Un pont nommé Noirmoutier
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Un pont nommé Noirmoutier
Racines249_nov2013_Mise en page 1 22/10/13 16:20 Page46 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | CULTURE | Retrouvez ce reportage sur RCF Vendée dans l’émission de Françoise Chevalier, Prise directe, jeudi 14 novembre à 19 h 30, rediffusion samedi 16 novembre à 9 h 30. AUTREFOIS (Jean Thiéry) Plus de photos sur www.magazine-racines.fr Après deux ans de chantier, un pont “libérait” l’île de Noirmoutier en 1971. Un pont nommé Noirmoutier Il y a 42 ans, près de 600 mètres de béton franchissaient le détroit de Fromentine pour relier l’île de Noirmoutier au continent. Tout un symbole. L IBERTÉ ! Le mot est lâché. Le pont comme une bénédiction. 29 novembre 1971, inauguration officielle du cordon de béton qui relie désormais Noirmoutier au continent. L’événement est joyeux. Il est attendu. “Je m’en souviens parfaitement, ma fille est née en août. Elle était la plus jeune de toute l’assemblée !”, raconte aujourd’hui André Gaborit alors maire de Barbâtre, commune au pied de l’édifice. Le ministre Albin Chalandon a fait le déplacement. Deux ans de réalisation pour ces 583 m entièrement financés par l’Etat (7 millions de nouveaux francs). Département et communes n’ont pas mis la main à la poche mais depuis le 7 juillet 1971, date d’ouverture à la circulation, le passage est payant : 3 F pour les insulaires, 5 F pour les continentaux. Personne ne conteste. Il en sera tout autrement quelques années plus tard quand l’augmentation des tarifs est décrétée (lire en page 48). Sur l’île, voilà des générations que l’on espérait déjouer les contraintes de l’insularité. “Nous vivions au rythme du passage du Gois. Tout le monde devait avoir les horaires des marées dans sa poche !” se souvient André Gaborit. L’image est folklo- rique mais le quotidien est pesant. “On ne pouvait jamais savoir à quelle heure on arriverait à un rendez-vous. La marée n’est pas fiable à 100 %.” Pêcheurs, producteurs de pommes de terre, artisans : tous les professionnels se plaignent de cet isolement qui nuit à leur activité. Bien des fois il faut se résoudre à rester à terre. Beaucoup d’habitants ont aussi en mémoire des drames familiaux. Ces femmes qui accouchent dans de mauvaises conditions, faute de pouvoir atteindre l’hôpital du continent, ces hivers où l’on espére ne pas tomber malade alors que la marée est capricieuse. | 46 | RACINES | Novembre 2013 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Racines249_nov2013_Mise en page 1 22/10/13 16:17 Page47 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | Le pont ne fut pas le premier projet de soudure entre l’île et le continent. Au début du XXe siècle, on envisagea d’enjamber le Gois par un pont. Dans l’Entre-deux-guerres, les Ponts et Chaussées proposent de boucler la baie de Bourgneuf par deux grandes digues (de la Fosse à Fromentine et de la jetée des îlots à la Pointe de Coupelasse). Le chantier est complexe et le bouleversement du milieu radical. Recalé. Un peu plus tard, l’idée d’un téléphérique semble alors trop saugrenue. Certains élus iront pourtant observer le funiculaire du Pic du Jer près de Lourdes. Dans les cartons, il y eut aussi les plans d’un tunnel et d’un bac. Toujours rien. L’envahisseur (Coll. AAIN) À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations sont ailleurs. La priorité sera de développer le réseau routier sur l’île. Le tourisme se massifie. Très vite même. “Tous les ans, au 15 août, la circulation était totalement encombrée entre Beauvoir-sur-Mer et Barbâtre. Le Gois devenait impraticable. Certains véhicules immobilisés étaient piégés par la mer. Les insulaires ne pouvaient plus sortir de chez CULTURE | “ En pleine saison, le réseau routier était totalement encombré” eux. Il était devenu impossible de travailler normalement, commente encore André Gaborit. Il était temps de rationaliser le trafic”. Sous la pression de ce tourisme galopant, Fernand Semelin, maire de Barbâtre de 1959 à mars 1971, lance l’élargissement des voies à l’entrée de l’île. Cet aménagement en terre insulaire suscite les commentaires. “Certains jugeaient les touristes comme des envahisseurs et s’interrogeaient sur l’intérêt de tout transformer pour deux mois par an”, explique Louis Gibier, Barbâtrin et ancien secrétaire de mairie. Le retraité poursuit : “les premiers campings ont été construits sur les dunes. Et l’été, les habitants quittaient leur maison pour y loger des estivants ! Leurs enfants qui ne vivaient plus ici voyaient toute cette affluence d’un mauvais œil.” Avant l’ouverture du pont, Le Goulet assurait la traversée de la Fosse (sur l’île) à Fromentine uniquement la journée. “Les gens de l ’intérieur (NDLR les continentaux) ne comprenaient pas ce que nous vivions”, ajoute André Gaborit. Alors quand le projet d’un pont fut remis sur la table, il fallut batailler fermement. Le conseil général était la première instance à convaincre. Des opposants minoritaires “C’est au docteur Charles-Hubert Poignant, maire de Noirmoutier-en-l’Île et conseiller général, que nous devons ce pont, souligne Louis Gibier. C’est lui qui a lancé l’idée et qui s’est battu avec toute la ténacité qu’on lui connaissait pour faire adopter le projet par les élus départementaux. Le pont était devenu une nécessité, une urgence même et en tant que médecin de l’île, il était bien placé pour en parler.” Le pont de l’île d’Oléron, alors le plus long de France (2,86 km), est inauguré en 1966. Il est le premier grand ouvrage maritime construit en utilisant la technique des ponts à voussoirs préfabriqués. Une réalisation qui va stimuler le dossier vendéen. Depuis le pont fait partie intégrante du patrimoine noirmoutrin. Ceux qui craignaient la dévalorisation du Gois ont eu tort. Il attire toujours autant. “Sur l’île, les opposants étaient très minoritaires. Même s’ils avaient tout à fait le droit d’être contre, on sait qu’ils ont tous emprunté le pont depuis !”, ironise André Gaborit avant d’ajouter comme ultime argument (s’il en fallait un), “enfin nous pouvions aller voir un match à Nantes !” Catherine Baty | 47 | RACINES | Novembre 2013 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine Racines249_nov2013_Mise en page 1 22/10/13 16:17 Page48 RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire | CULTURE | AUTREFOIS TÉMOIGNAGES Révolte au péage “Le pont ? Il a été l’événement de notre vie ! J’étais producteur de pommes de terre. Comme tout le monde, nous étions tributaires des marées. Alors quand on a pu livrer la coopérative sans cette contrainte, on a beaucoup mieux travaillé. Une vraie aubaine ! Il était enfin possible de planifier les expéditions. On devenait comme tout le monde. Ceux qui étaient contre ? La plupart de ces gens-là n’étaient jamais sortis de l’île avant leur service militaire, ils vivaient ici sans but et restaient sourds à toute idée de développement de l’île. Un inconvénient toutefois pour certains : les hommes n’avaient plus d’excuse pour traîner un peu trop tard sur le continent. Dans le temps, la marée avait parfois bon dos !” Gaston Bugeon, Noirmoutier-en-l’île “La marée avait parfois bon dos !” “Grâce au pont, mes dernières années de pêcheur ont été les meilleures. Nous étions enfin libres dans nos déplacements. Je pouvais vendre plus facilement mes crevettes grises à Fromentine ou Notre-Dame-de-Monts, les civelles à Paimboeuf ou Nantes. Avant même que le pont ne soit ouvert, les gars du chantier nous laissaient passer. On n’en abusait pas mais ils voyaient bien que pour nous c’était très pratique.” Marcel Renaud, Barbâtre (Coll. AAIN / fonds Paul Bonnifait) “Une aubaine !” “L a Corse, en comparaison, c’était de la rigolade !”, ironisent aujourd’hui les habitants de l’île. On se souvient forcément des pneus brûlant devant les CRS, des pancartes brandies, des grosses frayeurs avant l’assaut. Six ans après l’ouverture du pont, le conseil général de la Vendée qui assume le coût de fonctionnement du péage veut revaloriser le tarif de 50 centimes pour les insulaires, faire payer 6 F aux autres usagers, 9 F en période estivale… Déjà, depuis plusieurs mois, le Département examine, reporte, propose des réévaluations. Localement, on vit cette tentative comme une profonde injustice (il fut notamment question de réduire le tarif touriste). La protestation est générale. Jacques Oudin, conseiller général du secteur, menace de démissionner. Fin octobre 1977, le préfet signe l’arrêté autorisant la nouvelle tarification. La réaction est immédiate : des élus locaux font le blocus sur le pont en refusant de payer les 50 centimes supplémentaires. Ils appellent la population au boycott. Les gendarmes inter viennent, ce n’est qu’un début. Le point culminant de la révolte est le premier week-end de novembre. Deux ou trois mille personnes, des femmes, des enfants, se rassemblent au péage. Coups de matraque, bombes lacrymogènes, la situation est critique. Les maires sont reçus au conseil général. Sous la présidence de Michel Crucis, pourtant fermement accroché à sa première décision, le Département renonce à la hausse des tarifs. “Le vote a eu lieu à main levée, se souvient André Gaborit qui siégeait ce jour-là en remplacement de Jacques Oudin. Ce fut peut-être la clef de notre combat !” Dix-sept ans plus tard, traverser le pont sera gratuit pour tous. Et cette fois, les élus offriront le verre de l’amitié à tous les agents du péage, le 30 juin 1994. Remerciements à l’association Les Amis de l’île de Noirmoutier pour ses recherches photographiques et sa documentation (notamment Lettre aux Amis de juin 2012 dédiée à l’histoire du pont). Contact : 02 51 39 54 54 et sur [email protected]. | 48 | RACINES | Novembre 2013 | La reproduction ou l'utilisation sous quelque forme que ce soit de nos articles informations et photos est interdite sans l'accord du magazine