Un pont nommé Noirmoutier

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Un pont nommé Noirmoutier
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RACINES. Vivre entre Sèvre et Loire
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CULTURE
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Retrouvez ce reportage sur RCF
Vendée dans l’émission de Françoise
Chevalier, Prise directe, jeudi
14 novembre à 19 h 30, rediffusion
samedi 16 novembre à 9 h 30.
AUTREFOIS
(Jean Thiéry)
Plus de photos sur
www.magazine-racines.fr
Après deux ans de chantier, un pont “libérait” l’île de Noirmoutier en 1971.
Un pont nommé Noirmoutier
Il y a 42 ans, près de 600 mètres de béton franchissaient
le détroit de Fromentine pour relier l’île de Noirmoutier
au continent. Tout un symbole.
L
IBERTÉ ! Le mot est
lâché. Le pont comme une
bénédiction. 29 novembre
1971, inauguration officielle du cordon de béton
qui relie désormais Noirmoutier au continent. L’événement est joyeux. Il est
attendu. “Je m’en souviens parfaitement, ma
fille est née en août. Elle était la plus jeune
de toute l’assemblée !”, raconte aujourd’hui
André Gaborit alors maire de Barbâtre,
commune au pied de l’édifice. Le ministre
Albin Chalandon a fait le déplacement.
Deux ans de réalisation pour ces 583 m
entièrement financés par l’Etat (7 millions
de nouveaux francs). Département et
communes n’ont pas mis la main à la
poche mais depuis le 7 juillet 1971, date
d’ouverture à la circulation, le passage est
payant : 3 F pour les insulaires, 5 F pour
les continentaux. Personne ne conteste.
Il en sera tout autrement quelques années
plus tard quand l’augmentation des tarifs
est décrétée (lire en page 48).
Sur l’île, voilà des générations que l’on
espérait déjouer les contraintes de l’insularité. “Nous vivions au rythme du passage
du Gois. Tout le monde devait avoir les
horaires des marées dans sa poche !” se souvient André Gaborit. L’image est folklo-
rique mais le quotidien est pesant. “On
ne pouvait jamais savoir à quelle heure on
arriverait à un rendez-vous. La marée n’est
pas fiable à 100 %.” Pêcheurs, producteurs
de pommes de terre, artisans : tous les
professionnels se plaignent de cet isolement qui nuit à leur activité. Bien des fois
il faut se résoudre à rester à terre.
Beaucoup d’habitants ont aussi en
mémoire des drames familiaux. Ces
femmes qui accouchent dans de mauvaises conditions, faute de pouvoir atteindre l’hôpital du continent, ces hivers où
l’on espére ne pas tomber malade alors
que la marée est capricieuse.
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Le pont ne fut pas le premier projet
de soudure entre l’île et le continent. Au
début du XXe siècle, on envisagea d’enjamber le Gois par un pont. Dans l’Entre-deux-guerres, les Ponts et Chaussées
proposent de boucler la baie de Bourgneuf par deux grandes digues (de la
Fosse à Fromentine et de la jetée des îlots
à la Pointe de Coupelasse). Le chantier
est complexe et le bouleversement du
milieu radical. Recalé. Un peu plus tard,
l’idée d’un téléphérique semble alors trop
saugrenue. Certains élus iront pourtant
observer le funiculaire du Pic du Jer près
de Lourdes. Dans les cartons, il y eut aussi
les plans d’un tunnel et d’un bac. Toujours
rien.
L’envahisseur
(Coll. AAIN)
À la sortie de la Seconde Guerre mondiale, les préoccupations sont ailleurs. La
priorité sera de développer le réseau routier sur l’île. Le tourisme se massifie. Très
vite même. “Tous les ans, au 15 août, la circulation était totalement encombrée entre
Beauvoir-sur-Mer et Barbâtre. Le Gois
devenait impraticable. Certains véhicules
immobilisés étaient piégés par la mer. Les
insulaires ne pouvaient plus sortir de chez
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“
En pleine saison,
le réseau routier était
totalement encombré”
eux. Il était devenu impossible de travailler
normalement, commente encore André
Gaborit. Il était temps de rationaliser le
trafic”.
Sous la pression de ce tourisme galopant, Fernand Semelin, maire de Barbâtre de 1959 à mars 1971, lance
l’élargissement des voies à l’entrée de l’île.
Cet aménagement en terre insulaire suscite les commentaires. “Certains jugeaient
les touristes comme des envahisseurs et s’interrogeaient sur l’intérêt de tout transformer
pour deux mois par an”, explique Louis
Gibier, Barbâtrin et ancien secrétaire de
mairie. Le retraité poursuit : “les premiers
campings ont été construits sur les dunes.
Et l’été, les habitants quittaient leur maison
pour y loger des estivants ! Leurs enfants
qui ne vivaient plus ici voyaient toute cette
affluence d’un mauvais œil.”
Avant l’ouverture du pont, Le Goulet assurait la traversée
de la Fosse (sur l’île) à Fromentine uniquement la journée.
“Les gens de l ’intérieur (NDLR les
continentaux) ne comprenaient pas ce que
nous vivions”, ajoute André Gaborit. Alors
quand le projet d’un pont fut remis sur
la table, il fallut batailler fermement. Le
conseil général était la première instance
à convaincre.
Des opposants
minoritaires
“C’est au docteur Charles-Hubert Poignant, maire de Noirmoutier-en-l’Île et
conseiller général, que nous devons ce pont,
souligne Louis Gibier. C’est lui qui a lancé
l’idée et qui s’est battu avec toute la ténacité
qu’on lui connaissait pour faire adopter le
projet par les élus départementaux. Le pont
était devenu une nécessité, une urgence même
et en tant que médecin de l’île, il était bien
placé pour en parler.”
Le pont de l’île d’Oléron, alors le plus
long de France (2,86 km), est inauguré
en 1966. Il est le premier grand ouvrage
maritime construit en utilisant la technique des ponts à voussoirs préfabriqués.
Une réalisation qui va stimuler le dossier
vendéen.
Depuis le pont fait partie intégrante
du patrimoine noirmoutrin. Ceux qui
craignaient la dévalorisation du Gois ont
eu tort. Il attire toujours autant. “Sur l’île,
les opposants étaient très minoritaires. Même
s’ils avaient tout à fait le droit d’être contre,
on sait qu’ils ont tous emprunté le pont
depuis !”, ironise André Gaborit avant
d’ajouter comme ultime argument (s’il
en fallait un), “enfin nous pouvions aller
voir un match à Nantes !”
Catherine Baty
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AUTREFOIS
TÉMOIGNAGES
Révolte au péage
“Le pont ? Il a été l’événement de notre
vie ! J’étais producteur de pommes de
terre. Comme tout le monde, nous
étions tributaires des marées. Alors
quand on a pu livrer la coopérative sans
cette contrainte, on a beaucoup mieux
travaillé. Une vraie aubaine ! Il était
enfin possible de planifier les expéditions. On devenait comme tout le
monde.
Ceux qui étaient contre ? La plupart de
ces gens-là n’étaient jamais sortis de l’île
avant leur service militaire, ils vivaient ici
sans but et restaient sourds à toute idée
de développement de l’île.
Un inconvénient toutefois pour certains : les hommes n’avaient plus d’excuse pour traîner un peu trop tard sur le
continent. Dans le temps, la marée avait
parfois bon dos !”
Gaston Bugeon, Noirmoutier-en-l’île
“La marée
avait parfois
bon dos !”
“Grâce au pont, mes dernières années
de pêcheur ont été les meilleures. Nous
étions enfin libres dans nos déplacements. Je pouvais vendre plus facilement mes crevettes grises à Fromentine
ou Notre-Dame-de-Monts, les civelles à
Paimboeuf ou Nantes.
Avant même que le pont ne soit ouvert,
les gars du chantier nous laissaient
passer. On n’en abusait pas mais
ils voyaient bien que pour nous c’était
très pratique.”
Marcel Renaud, Barbâtre
(Coll. AAIN / fonds Paul Bonnifait)
“Une aubaine !”
“L
a Corse, en comparaison,
c’était de la rigolade !”, ironisent aujourd’hui les habitants de l’île. On se souvient forcément
des pneus brûlant devant les CRS, des
pancartes brandies, des grosses frayeurs
avant l’assaut. Six ans après l’ouverture
du pont, le conseil général de la Vendée
qui assume le coût de fonctionnement
du péage veut revaloriser le tarif de 50
centimes pour les insulaires, faire payer
6 F aux autres usagers, 9 F en période
estivale… Déjà, depuis plusieurs mois,
le Département examine, reporte, propose des réévaluations. Localement,
on vit cette tentative comme une profonde injustice (il fut notamment
question de réduire le tarif touriste).
La protestation est générale. Jacques
Oudin, conseiller général du secteur,
menace de démissionner. Fin octobre
1977, le préfet signe l’arrêté autorisant
la nouvelle tarification. La réaction est
immédiate : des élus locaux font le
blocus sur le pont en refusant de payer
les 50 centimes supplémentaires. Ils
appellent la population au boycott. Les
gendarmes inter viennent, ce n’est
qu’un début. Le point culminant de la
révolte est le premier week-end de
novembre. Deux ou trois mille personnes, des femmes, des enfants, se
rassemblent au péage. Coups de
matraque, bombes lacrymogènes, la
situation est critique. Les maires sont
reçus au conseil général. Sous la présidence de Michel Crucis, pourtant
fermement accroché à sa première
décision, le Département renonce à la
hausse des tarifs. “Le vote a eu lieu à
main levée, se souvient André Gaborit
qui siégeait ce jour-là en remplacement
de Jacques Oudin. Ce fut peut-être la clef
de notre combat !”
Dix-sept ans plus tard, traverser le
pont sera gratuit pour tous. Et cette fois,
les élus offriront le verre de l’amitié à
tous les agents du péage, le 30 juin 1994.
Remerciements à l’association Les Amis de l’île de Noirmoutier pour ses recherches
photographiques et sa documentation (notamment Lettre aux Amis de juin 2012 dédiée
à l’histoire du pont). Contact : 02 51 39 54 54 et sur [email protected].
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