Une nouvelle option dans le traitement de la lombalgie chronique
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Une nouvelle option dans le traitement de la lombalgie chronique
Une nouvelle option dans le traitement de la lombalgie chronique Par Philip A. Baer MDCM, FRCPC, FACR, Alain Bissonnette, MD, MCFP, et Jonathan Peck, MD, CMFC ÉTUDE DE CAS : Nancy a 42 ans. Elle travaille dans une garderie où elle s’occupe d’enfants de 3 à 6 ans. Elle s’est blessée au bas du dos il y a neuf mois en soulevant l’un des enfants. Depuis cette blessure, elle éprouve une douleur sourde localisée au milieu du bas du dos, qui irradie un peu dans la fesse gauche. Elle n’a pas de douleur dans les jambes. Avant cet épisode, elle ressentait de faibles élancements dans la région lombaire lorsqu’elle soulevait ou transportait un poids, mais ils s’estompaient toujours rapidement sans qu’elle ait besoin de consulter un médecin. Après l’incident, Nancy s’est absentée de son travail pendant six semaines au cours desquelles elle s’est reposée, a fait des exercices d’étirement, a appliqué de la chaleur et du froid, et a suivi quelques traitements de physiothérapie et de chiropratique, mais les bienfaits ont été limités. Elle est retournée au travail où ses tâches ont été modifiées, mais elle éprouve toujours quelques difficultés. Son employeur exerce une certaine pression pour qu’elle reprenne ses tâches complètes. Nancy prend actuellement des comprimés d’acétaminophène à 500 mg, au besoin, en moyenne 4 par jour. Elle a également pris des comprimés d’ibuprofène à 400 mg, vendus sans ordonnance, jusqu’à 3 fois par jour. Elle a pris des comprimés de codéine à 30 mg qu’il lui restait d’un traitement dentaire antérieur, mais ils n’ont pas été très efficaces et ont entraîné une constipation qui a empiré sa lombalgie. Nancy se porte autrement bien même si elle a pris 15 livres en raison de ses activités réduites depuis le début de sa lombalgie. Elle n’éprouve aucune faiblesse ni perte de sensation dans les membres inférieurs, n’a pas de fièvre et ne manifeste pas d’insuffisance intestinale ou rénale. Elle n’a aucun antécédent de traumatisme direct au dos. Sa douleur diminue au repos et est accrue par l’activité. Les radiographies ordinaires de sa colonne lombaire prises trois mois après le début des symptômes étaient normales outre la présence d’excroissances osseuses mineures de nature dégénérative au niveau des vertèbres L4-L5. Évaluation de la patiente D’après la durée des symptômes, soit 9 mois, Nancy souffre de lombalgie chronique. Elle ne présente aucun symptôme alarmant laissant supposer la présence d’étiologies telles que tumeur, infection, fracture, arthrite inflammatoire touchant les vertèbres ou compression de la moelle épinière. Sa dorsalgie correspond au profil des douleurs lombaires de nature mécanique non spécifique. Sur une échelle d’évaluation numérique de 11 points, elle évalue l’intensité de la pire douleur à 7, de la plus faible douleur à 3, et de la douleur moyenne à 5. Ces cotes correspondent à la catégorie de douleur modérée. La douleur nuit à son travail et l’empêche de pratiquer certains loisirs comme la danse, et elle ne peut plus fréquenter un centre de conditionnement physique. Cela a entraîné un gain pondéral et une baisse de sa forme physique. Son sommeil est parfois perturbé. Elle admet qu’elle se sent parfois un peu déprimée, mais elle n’a jamais fait de dépression. On n’observe aucun facteur psychosocial qui pourrait faire en sorte de prolonger sa douleur. Elle n’a pas d’antécédents de toxicomanie, et son score sur l’échelle d’évaluation de risque de dépendance aux opiacés est de « 0 ». Elle aime son travail auprès des enfants et voudrait reprendre ses tâches complètes. Philip A. Baer, MDCM Président, Rhumatologie, Ontario Medical Association Coprésident, Comité de la thérapeutique, Société canadienne de rhumatologie Toronto (Ontario) Alain Bissonnette, MD, CFPC Omnipraticien et expert de la douleur Clinique de la douleur du CHUL-CHUQ Québec (Québec) Jonathan Peck, MD, CFPC Omnipraticien et expert de la douleur Mississauga (Ontario) le clinicien octobre 2010 33 La lombalgie chronique Plan de traitement de la patiente Les objectifs du traitement de Nancy sont les suivants : réduire la douleur, améliorer sa capacité fonctionnelle, lui permettre de reprendre ses tâches complètes au travail et de pratiquer les activités sociales et les loisirs qu’elle aime. Parallèlement, les effets secondaires du traitement doivent être réduits au minimum. Il est toujours nécessaire d’associer un traitement non pharmacologique à un traitement pharmacologique. Un traitement non pharmacologique peut comporter un programme d’exercices visant le renforcement musculaire de la zone lombo-abdomino-pelvienne, un régime pour retrouver son poids initial et une formation sur les bonnes postures et techniques pour soulever des poids. Des techniques de méditation et de relaxation peuvent également être utiles. L’objectif du traitement pharmacologique de la lombalgie chronique consiste à atténuer la douleur sur une période de 24 heures, tous les jours. Le traitement antérieur à l’aide d’analgésiques simples, d’AINS et de codéine s’est révélé inefficace. Un analgésique à libération prolongée est souvent utile dans des cas comme celui-ci, car il améliore l’observance thérapeutique tout en réduisant au minimum les troubles du sommeil et en assurant une maîtrise constante de la douleur pendant toute la journée et la nuit. Suivi de la patiente Nancy entreprend un programme d’exercices, une diète et des cours de relaxation. Elle a commencé à prendre du tramadol à libération prolongée à raison de 100 mg par jour. Après deux semaines, sa dose est portée à 200 mg par jour. Elle dit que cette dose soulage sa douleur pendant 24 heures, améliore son sommeil et son humeur. L’intensité de sa douleur est passée à 5 dans le pire des cas et à 2 dans le meilleur des cas sur l’échelle d’évaluation de la douleur, le score moyen étant de 3. La capacité fonctionnelle de Nancy s’est beaucoup améliorée et elle est en mesure de reprendre toutes ses tâches au travail. Elle a également recommencé à danser et elle socialise davantage avec ses amis. Les effets secondaires de tramadol à libération prolongée* qui se sont manifestés ont été une faible somnolence et la nausée au début du traitement, qui sont disparus dans les 10 jours. Elle a également noté une légère constipation qui s’est réglée par une consommation accrue de fibres alimentaires et de liquides. * Veuillez consulter les monographies de produits pour obtenir la liste complète des effets secondaires. Introduction La majorité des personnes souffrant de douleur chronique non cancéreuse (DCNC) éprouvent des douleurs à plus d’un endroit, le dos étant le siège de douleur chronique le plus souvent signalé1. Dans le cadre d’une étude canadienne, les médecins ont estimé que parmi les patients souffrant de DCNC dans leur pratique, 95 % se plaignaient de dorsalgie, 49 % de douleurs aux genoux, 37 % de douleurs au cou, 36 % de céphalées et 34 % de douleurs aux hanches2. De façon générale, la dorsalgie est le problème de santé chronique le plus fréquent au Canada après les allergies alimentaires, suivie de près par l’arthrite/le rhumatisme3. La dorsalgie est souvent causée par des contraintes exercées sur les muscles et les ligaments qui soutiennent la colonne vertébrale. Bien que la douleur puisse se manifester à n’importe quel point de la colonne vertébrale, le bas du dos est le plus touché puisqu’il s’agit de la région qui supporte le plus de poids et subit le plus de contraintes4. La prévalence d’antécédents de lombalgie est élevée. Dans les études canadiennes et nord-américaines, jusqu’à 80 % des personnes ont signalé avoir souffert de douleur aiguë au bas du dos à un moment donné dans leur vie5,6,7. Alors que la majorité des cas aigus de lombalgie se guérissent en 3 à 4 semaines, de 10 à 40 % se transforment en cas de lombalgie chronique7. La lombalgie chronique fait 34 le clinicien octobre 2010 généralement référence à une douleur qui dure depuis plus de 12 semaines. Essayer de trouver les sources anatomiques précises de la lombalgie se révèle difficile en pratique clinique étant donné que la douleur est très subjective et que les différents schémas de classification sont souvent contradictoires8. Compte tenu du pourcentage considérable de patients recevant un diagnostic de lombalgie chronique « non spécifique », il est inévitable que des incohérences surviennent dans la prise en charge de leur douleur. Évaluation de la lombalgie chronique Suivant les recommandations de l’American College of Physicians, de l’American Pain Society et du Réseau provincial de recherche en adaptation et en réadaptation du Québec (REPAR/FRSQ), les médecins qui évaluent la lombalgie chronique doivent procéder à une prise des antécédents du patient et à un examen physique précis afin de déterminer la présence possible de troubles neurologiques spécifiques8,9. Le médecin doit déterminer : • la durée des symptômes • les facteurs de risque d’affections potentiellement graves • les symptômes évoquant une radiculopathie ou une sténose du canal lombaire • la présence et la gravité des déficits neurologiques • les facteurs de risque psychologiques Après cette évaluation et pour faciliter la prise de décisions subséquentes, les patients peuvent être répartis dans trois catégories8,9 : 1. lombalgie non spécifique (simple) 2. dorsalgie susceptible d’être associée à une radiculopathie ou à une sténose du canal lombaire 3. dorsalgie susceptible d’être associée à une autre cause vertébrale spécifique Dans le cas d’un diagnostic de lombalgie chronique susceptible d’être associé à un trouble spécifique et décelable, il peut être nécessaire d’avoir recours à plusieurs techniques d’imagerie diagnostique (p. ex., un examen par IRM ou une tomographie par ordinateur), ainsi qu’à une intervention chirurgicale ou à des injections rachidiennes8. La majorité (85 %) des cas de lombalgie chronique, toutefois, sont « non spécifiques » (Figure 1); les techniques d’imagerie et autres épreuves diagnostiques ne sont pas recommandées chez ces patients8,10. Rien n’indique à l’heure actuelle qu’un diagnostic anatomique précis améliore les résultats des patients chez qui on a correctement diagnostiqué une lombalgie chronique non spécifique8,9. Le traitement doit plutôt être axé sur l’atténuation des symptômes du patient comme l’intensité de la douleur, la fonction physique et la qualité de vie. Lacune thérapeutique La lombalgie chronique se manifeste habituellement entre 30 et 50 ans et peut avoir des répercussions graves sur la qualité de vie des patients11. Les patients souffrant d’une lombalgie modérée ou grave sont souvent sans emploi ou doivent faire face à une réduction de leur revenu, situations très éprouvantes sur le plan émotionnel et financier12. Une stratégie de prise en charge à long terme appropriée chez les patients atteints de la lombalgie chronique est par conséquent extrêmement importante pour permettre à ces patients de retrouver leur fonctionnalité et de reprendre le travail. Même si un diagnostic précis peut ne pas être nécessaire pour améliorer les résultats du patient, il est important d’évaluer l’intensité de la douleur du patient afin de déterminer la démarche thérapeutique optimale. Divers outils existent qui permettent aux patients de mieux décrire leur douleur. L’échelle d’évaluation visuelle analogique ou numérique de 11 points, sur laquelle 0 signifie « aucune douleur » et 10 « douleur grave », est souvent utilisée pour mesurer l’intensité de la douleur chez les patients souffrant de lombalgie chronique13,14. Plus précisément, de 25 à 33 % des Canadiens souffriraient d’une lombalgie modérée ou grave2,12. Une enquête menée en 2004 a révélé que, selon les médecins de soins primaires, la douleur chronique modérée ou grave n’était pas adéquatement prise en charge chez 60 % des FIGURE 1 Prévalence de la lombalgie chronique selon sa classification Non spécifique 7% 8% 85 % Dorsalgie possiblement associée à une radiculopathie ou à une sténose du canal lombaire Dorsalgie possiblement associée à une autre cause rachidienne spécifique Adaptation de Chou R, et al. Ann Intern Med 2007; 147(7):478-91. patients; seulement 1 % des médecins estimaient que la prise en charge était adéquate2. La même enquête a révélé que moins de 50 % des Canadiens souffrant de douleur chronique prennent des analgésiques sur ordonnance. En fait, environ deux tiers des patients atteints de douleur chronique modérée et un tiers des patients souffrant de douleur chronique grave ne prenaient aucun médicament sur ordonnance2. Alors qu’un nombre inacceptable de patients atteints de douleur chronique modérée ou grave n’est toujours pas traité, les médecins prescrivent plus souvent des analgésiques pour la douleur grave que pour la douleur modérée. Dans le même ordre d’idée, vu le nombre élevé d’ordonnances d’anti-inflammatoires non stéroïdiens (AINS) et d’inhibiteurs de la cyclo-oxygénase-2 (COX-2) au Canada (Figure 2)15, il appert que les médecins prescrivent également plus souvent des analgésiques pour la douleur légère que pour la douleur modérée. Ces données reflètent la « lacune thérapeutique » à laquelle sont confrontés les patients souffrant de douleur chronique modérée à moyennement grave, ces derniers étant souvent non traités, sous-traités ou mal traités. Cette lacune thérapeutique peut s’expliquer notamment par des obstacles à la prescription d’opiacés, par exemple la crainte de dépendance ou d’abus, les vérifications réglementaires, la nature subjective de la douleur ou encore l’abondance d’autres options thérapeutiques16. Démarche thérapeutique relative à la lombalgie chronique Une démarche thérapeutique intégrée est préconisée. Celle-ci peut inclure la réadaptation, des injections rachidiennes, une chirurgie et des traitements pharmacologiques17. Alors que le traitement pharmacologique est administré pour atténuer la douleur, le traitement pharmacologique autant que non pharmacologique vise surtout à accroître la capacité fonctionnelle, mais aussi à améliorer la qualité de vie du patient. Les principaux le clinicien octobre 2010 35 La lombalgie chronique FIGURE 2 Analgésiques les plus prescrits au Canada en 2008 0 1 Ordonnances en 2008 (millions) 2 3 4 5 6 Acétaminophène/caféine/codéine Naproxène Acétaminophène Acétaminophène/oxycodone Célécoxib Oxycodone Hydromorphone Morphine Adaptation de Carter B, Campeau L. Pharmacy/Practice 2009; Feature: 30-8. objectifs du traitement de la douleur, rappelons-le, consistent à soulager la douleur, à accroître le fonctionnement physique et à améliorer la qualité de vie. Options non pharmacologiques pour le traitement de la lombalgie chronique Expliquer aux patients leur diagnostic et leurs options de traitement, leur conseiller de rester actifs et leur proposer des options pour traiter eux-mêmes leur douleur (p. ex., des coussins chauffants pour le soulagement à court terme des douleurs aiguës au dos) comptent parmi les principales options thérapeutiques non pharmacologiques pour la lombalgie chronique. Ces options sont moins coûteuses et peuvent s’avérer presque aussi efficaces que les autres interventions8,10. Pour les patients dont l’état ne s’améliore pas avec les soins autoadministrés, les médecins peuvent envisager les options suivantes* : • programme intensif de réadaptation • rééducation par l’exercice • acuponcture • massothérapie • manipulation vertébrale • yoga • thérapie cognitivo-comportementale • autorelaxation progressive *Interventions appuyées par des preuves de grade B (soit des preuves de qualité intermédiaire de bienfaits modérés, ou de bienfaits modestes, mais associés à des risques, coûts et fardeau non significatifs). 36 le clinicien octobre 2010 Les traitements non pharmacologiques sont surtout prescrits dans les cas de lombalgie chronique aiguë ou légère, ou en association avec une pharmacothérapie dans les cas de lombalgie chronique modérée ou grave. Options pharmacologiques pour le traitement de la lombalgie chronique Lorsqu’ils traitent une lombalgie chronique, les médecins doivent soupeser les risques et bienfaits associés à chaque analgésique avant de choisir un traitement approprié. Les AINS et les inhibiteurs de la COX-2 sont associés à une toxicité gastro-intestinale et rénale, ainsi qu’à un risque accru de complications cardiovasculaires (CV)18. L’American Heart Association (AHA) ne recommande pas l’utilisation d’AINS/inhibiteurs de la COX-2 en traitement de première intention chez les patients atteints de maladie CV connue ou présentant des facteurs de risque de cardiopathie ischémique (Figure 3)18. En fait, l’Agence européenne des médicaments et Santé Canada recommandent pour tous les patients, sans égard au risque CV/GI, la plus faible dose d’AINS/inhibiteurs de la COX-2 durant la plus courte période nécessaire pour maîtriser efficacement les symptômes18,19. Contrairement au traitement par les AINS, le traitement à long terme par les analgésiques opiacés n’est pas associé à des lésions aux organes ni à des saignements GI ou des risques CV16. Certains professionnels de la santé peuvent hésiter à prescrire des opiacés en raison de craintes liées au risque de toxicomanie, de détournement et de vérifications faites par les organismes de FIGURE 3 Traitement pharmacologique des symptômes musculosquelettiques chez les patients atteints d'une maladie cardiovasculaire avérée ou qui présentent des facteurs de risque de cardiopathie ischémique Acétaminophène, AAS, tramadol, analgésiques narcotiques (court terme) Salicylates non acétylés* AINS non sélectifs de la COX-2 AINS relativement sélectifs de la COX-2 AINS sélectifs de la COX-2 Considérations Sélectionner les patients présentant un faible risque d’événements thrombotiques. Utiliser la plus faible dose possible permettant de maîtriser les symptômes. Ajouter de l’AAS à 81 mg et un IPP chez les patients présentant un risque accru d’événements thrombotiques†. Surveiller régulièrement la présence d’hypertension, d’œdème, de détérioration de la fonction rénale ou de saignement GI, auxquels cas il faut considérer une réduction de la dose ou l’arrêt du médicament responsable, l’administration d’un médicament différent ou une autre option thérapeutique en fonction des circonstances cliniques. * Pas commercialisé au Canada. L’ajout d’AAS peut ne pas procurer une protection suffisante contre les événements thrombotiques. Adaptation de Antman EM, et al. Circulation 2007; 115(12):1634-42. † réglementation16. Ces craintes ont été accentuées par le problème grandissant de l’utilisation abusive des opiacés au Canada. Entre 1997 et 2004, le nombre de décès liés aux opiacés a doublé au pays20. Le nombre croissant d’ordonnances de médicaments renfermant de l’oxycodone a fait l’objet d’une attention particulière, les ordonnances ayant grimpé de 850 % entre 1991 et 200720. La dépression respiratoire, la sédation et la constipation grave sont aussi souvent associées à cette classe de médicaments et peuvent être particulièrement préoccupantes chez les patients n’ayant jamais pris d’opiacés ou chez les patients âgés16. Malgré leurs inconvénients, les AINS, les inhibiteurs de la COX-2 et les opiacés conventionnels ont toujours leur place dans la prise en charge de la lombalgie chronique. Utilisés à bon escient chez la population de patients appropriée, ces analgésiques sont généralement sûrs et efficaces. Il reste néanmoins un besoin non comblé en termes d’analgésiques efficaces et sûrs pouvant être utilisés dans le traitement à long terme de la lombalgie chronique d’intensité modérée à moyennement grave. de son mode d’action unique qui combine des caractéristiques opiacées et non opiacées. En fait, la majeure partie (2/3) de l’effet analgésique du tramadol est obtenue par l’entremise des voies noradrénergique et sérotoninergique, alors que l’effet opiacé repose sur sa transformation en un métabolite actif (M1; Figure 4). Cette pharmacologie unique le distingue des opiacés traditionnels tels que la morphine ou la codéine21. Si on le compare aux autres opiacés, le tramadol a une affinité de liaison au récepteur µ-opioïde beaucoup plus faible, soit 1/6 000e de celle de la morphine22. Le métabolite actif M1 du tramadol est produit par transformation hépatique (CYP2D6) et présente une plus forte affinité pour le récepteur µ-opioïde; l’effet analgésique opiacé du tramadol lui est donc principalement attribuable22. Malgré sa plus forte affinité de liaison, la puissance du métabolite M1 équivaut à peine à celle de la codéine, celle-ci étant environ 1/10e de celle de la morphine23. Tramadol – un opiacé atypique En 2005, une association de tramadol à libération immédiate et d’acétaminophène a été commercialisée au Canada, suivie de trois formulations de tramadol à administration uniquotidienne en 2007. Récemment, la Le tramadol, l’un des plus récents analgésiques opiacés commercialisés au Canada, est considéré comme un analgésique opiacé « atypique » à action centrale en raison Tramadol à administration uniquotidienne dans la prise en charge de la lombalgie chronique le clinicien octobre 2010 37 La lombalgie chronique FIGURE 4 Double mode d’action suggéré du tramadol à administration uniquotidienne Vers le cerveau Voie descendante 2 Neurone empruntant le faisceau spinothalamique Récepteur µ 1 Sérotonine / Noradrénaline Récepteur α2 Message de douleur Neurone du nerf rachidien Neurotransmetteur de la douleur Fibres C afférentes Endorphine 1. La faible inhibition du recaptage de la noradrénaline (NA) et de la sérotonine (5-HT) est responsable d’environ 2/3 de l’effet analgésique du tramadol38,39. 2. La faible liaison du métabolite M1 aux récepteurs opiacés µ compte pour environ 1/3 de l’effet analgésique du tramadol38,39. Adaptation de Schug SA. Ther Clin Risk Manag 2007; 3(5):717-23. commercialisation d’un autre produit tramadol à libération immédiate (comprimés à 50 mg) a été autorisée au Canada24. Le tramadol à administration uniquotidienne est indiqué dans la prise en charge de la douleur modérée à moyennement grave chez les adultes qui ont besoin d’un traitement continuel durant plusieurs jours ou plus22,25,26. Cette indication étendue s’applique à un grand nombre de douleurs chroniques observées en pratique clinique (Tableau 1). Le tramadol à administration uniquotidienne est offert en teneurs de 100, de 150, de 200, de 300 et de 400 mg22,25,26. Même s’il est possible d’augmenter rapidement la dose (après 2, 5, ou 7 jours selon la teneur), des études ont montré qu’une augmentation plus lente de la dose (aux 10 jours) réduit le taux d’abandon du traitement en raison d’effets indésirables27. La commodité du schéma posologique uniquotidien permet d’accroître l’observance thérapeutique comparativement aux prises quotidiennes multiples, le nombre de comprimés à prendre étant moins élevé28,29. L’administration uniquotidienne facilite également le suivi de l’utilisation appropriée au moyen du compte de comprimés. Contrairement aux schémas posologiques multiples, les analgésiques opiacés à prise uniquotidienne procurent aussi 38 le clinicien octobre 2010 un soulagement de la douleur ininterrompu29. Cette caractéristique est particulièrement importante pour prévenir les accès douloureux paroxystiques, les concentrations opioïdes étant maintenues pendant 24 heures à l’intérieur d’une plage d’efficacité propre au patient, probablement en raison des concentrations opioïdes plus uniformes et des fluctuations moins fréquentes29. Les opiacés à prise uniquotidienne améliorent aussi le sommeil; les patients se réveillent moins souvent à cause d’accès douloureux ou pour prendre des doses additionnelles d’analgésiques, contrairement à ce qu’on observe avec les opiacés à courte durée d’action ou les analgésiques non opiacés29. Lors d’études cliniques, l’innocuité et l’efficacité des formulations de tramadol commercialisées au Canada ont été confirmées chez environ 8 000 patients souffrant de douleur chronique modérée à moyennement grave22,25,26,30. On a observé, plus précisément, que le tramadol à libération prolongée (tramadol ER) était sûr et efficace chez une population homogène de 619 patients souffrant de lombalgie chronique modérée à grave31. Lors de cette étude à répartition aléatoire et à double insu d’une durée de 12 semaines, contrôlée par placebo, on a observé que l’intensité de la douleur diminuait de plus de 50 % chez les patients qui avaient reçu du tramadol ER à 300 mg pendant une TABLEAU 1 Sources fréquentes de douleur chronique : • • • • • • Douleur au bas du dos Arthrose Fibromyalgie Douleurs neuropathiques Polyarthrite rhumatoïde (PAR)* Douleur cancéreuse * Un traitement anti-inflammatoire efficace est toujours requis. TABLEAU 2 Les contre-indications du tramadol à administration uniquotidienne sont les suivantes : • Patients hypersensibles au tramadol, aux opiacés ou à tout ingrédient de cette formulation. • Dans toute situation où les opiacés sont contre-indiqués, notamment l’intoxication aiguë avec l’alcool, les hypnotiques, les analgésiques à action centrale, les opiacés ou les psychotropes. Le tramadol à administration uniquotidienne peut aggraver la dépression du système nerveux central et la dépression respiratoire chez ces patients. D’après la Société canadienne pour le traitement de la douleur, 2007. phase préparatoire en mode ouvert, et que cette amélioration était maintenue plus efficacement sur une période de 12 semaines comparativement aux patients recevant un placebo (p = 0,009). Ces patients ont également signalé des améliorations importantes sur le plan des capacités fonctionnelles et la qualité du sommeil. Les patients sous tramadol ER (300 mg) ont observé des diminutions importantes de leur score sur l’échelle d’invalidité Roland (p < 0,001). L’indice d’invalidité Roland est un bon prédicteur des répercussions de la douleur sur les activités quotidiennes. Ce questionnaire de 24 questions évalue l’incapacité d’un patient à accomplir des tâches quotidiennes, par exemple la nécessité d’avoir recours à une main courante pour monter des marches, le besoin de s’étendre pour se reposer plus souvent que d’habitude, s’habiller plus lentement qu’avant et avoir à changer souvent de position pour assurer son confort32. En plus de limiter la capacité fonctionnelle d’un patient, la douleur chronique a un effet débilitant sur la qualité du sommeil. De 64 à 88 % des patients souffrant de douleur chronique ont de la difficulté à dormir, ce qui peut avoir des répercussions négatives importantes sur leur qualité de vie33. Les patients atteints de lombalgie chronique qui recevaient tramadol ER (200 et 300 mg) ont observé une amélioration importante de la qualité globale de leur sommeil comparativement aux patients recevant un placebo (p = 0,001; p = 0,008)31. Innocuité à long terme du tramadol Le tramadol est maintenant commercialisé dans plus de 100 pays, pour une exposition d’environ 1 milliard de jours de traitement par année dans le monde entier12. À l’échelle mondiale, le tramadol est utilisé depuis plus de 30 ans et s’est révélé généralement sûr. Contrairement aux AINS/inhibiteurs de la COX-2, le tramadol n’est pas associé à un risque élevé de toxicité GI, CV ou rénale34. Le tramadol à administration uniquotidienne présente certains effets indésirables associés aux opioïdes typiques tels que la nausée, les étourdissements et la constipation22,25,26. Contrairement aux opiacés typiques, l’effet • En concomitance avec les inhibiteurs de la MAO (ou moins de 14 jours après un tel traitement). • Dans les cas d’insuffisance rénale ou hépatique grave (clairance de la créatinine inférieure à 30 ml/min et/ou Child-Pugh Classe C)22,25,26. analgésique opiacé du tramadol ne compte que pour 1/3 de son effet. On s’attend par conséquent à ce que l’incidence de constipation associée au tramadol soit beaucoup moins élevée que celle associée aux opioïdes traditionnels. C’est en effet ce qui a été observé lors d’études cliniques sur le tramadol ER au cours desquelles la constipation a été signalée chez 17,9 % des patients traités par tramadol contre 3,8 % des patients recevant un placebo22. À titre de comparaison, jusqu’à 100 % des patients qui prennent de la morphine sont sujets à la constipation35. Les contre-indications à l’utilisation de tramadol à administration uniquotidienne figurent au Tableau 222,25,26. De plus, l’utilisation concomitante de tramadol avec les inhibiteurs sélectifs du recaptage de la sérotonine (ISRS antidépresseurs ou anorexigènes), les antidépresseurs tricycliques (ATC) et autres composés tricycliques (p. ex., cyclobenzaprine, prométhazine, etc.) ou les neuroleptiques accroît le risque de crises convulsives, et ces associations doivent être utilisées avec précaution22. Le syndrome sérotoninergique a été signalé lors de l’utilisation du tramadol en concomitance avec d’autres agents sérotoninergiques comme les ISRS et les IMAO22. Les symptômes peuvent comprendre : changement d’état mental, hyperréflexie, fièvre, frisson, tremblement, agitation, diaphorèse, convulsions et coma22. La pharmacologie unique du tramadol dissuade les patients d’en faire un usage abusif. Le risque d’usage abusif ou détourné lié au tramadol a été étudié en profondeur à l’aide de données tirées d’études épidémiologiques et d’études de surveillance postcommercialisation12. L’opinion générale est que le risque d’abus/de toxicomanie lié au tramadol est faible36,37, le taux d’abus signalé étant d’environ 1 cas par 100 000 patients37. le clinicien octobre 2010 39 La lombalgie chronique Tramadol à administration uniquotidienne – Combler la lacune La lombalgie chronique est un trouble courant chez les Canadiens. Une évaluation minutieuse de ces patients doit être menée afin de détecter toute affection neurologique spécifique. La majorité (85 %) des lombalgies chroniques, toutefois, sont non spécifiques. Aussi, les examens d’imagerie ou autres tests diagnostiques ne sont pas recommandés chez ces patients8. Comme il n’existe aucune preuve à l’heure actuelle qu’un diagnostic anatomique précis améliore les résultats des patients, la démarche thérapeutique doit plutôt être axée sur l’atténuation des symptômes des patients en fonction de l’intensité de leur douleur8. Il faut porter une attention particulière à la douleur chronique modérée ou grave car, en dépit de sa forte prévalence, il a été démontré qu’elle Références : 1. Gureje O, et al. Persistent Pain and Well-Being. JAMA. 1998;280(2):147-151. 2. Boulanger A, et al. Chronic pain in Canada: Have we improved our management of chronic noncancer pain? Pain Res Manage. 2007;12(1):39-47. 3. Schultz SE et JA Kopec. Impact of chronic conditions. Health Reports. 2003;14(4):41-53. 4. Murphy KA, Spence ST, McIntosh CN, Connor Gorber SK pour le programme Impact sur la santé de la population (ISP) des maladies au Canada. Description des états de santé au Canada : maladies musculosquelettiques. Statistique Canada, no de catalogue 82-619-MIE2006003. Ottawa : Statistique Canada, 2006. 5. Cassidy, DJ et al. The Saskatchewan Health and Back Pain Survey: The Prevalence of Low Back Pain and Related Disability in Saskatchewan Adults. Spine. 1998;23(17):1860-1866. 6. Dillingham, T. 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Il constitue également une solution de rechange sûre et efficace aux opiacés traditionnels et présente moins de risque de dépression respiratoire, de constipation et d’abus. 20. Dhalla IA, et al. Prescribing of opioid analgesics and related mortality before and after the introduction of long-acting oxycodone. CMAJ. 2009;181(12):891-896. 21. Raffa RB, et al. Opioid and Nonopiod Components Independently Contribute to the Mechanism of Action of Tramadol, an ‘Atypical’ Opioid Analgesic. J Pharmacol Exp Ther. 1992;260(1):275-285. 22. Monographie de Ralivia, Biovail Pharmaceuticals Canada, 2008. 23. Raffa RB. Basic pharmacology relevant to drug abuse assessment: tramadol as example. J Clin Pharm Ther. 2008;33(2):101-108. 24. Santé Canada. (Janssen Ortho Inc.) Avis de conformité. Disponible en ligne à l’adresse suivante : http://205.193.93.51/NocWeb/SwitchLanguageServlet?formname=viewnoce.jsp. (25 mai 2010). 25. Monographie de Tridural, Labopharm Inc., 2008. 26. 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