Je suis un gamer
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Je suis un gamer
DOSSIER Le jeu dans le soin Identité professionnelle Jeu, création, invention Ressenti, émotion Société Travail, Conditions de travail Je suis un gamer Le témoignage d’un soignant qui apprécie depuis son enfance les jeux vidéo comme un passetemps, mais aussi comme une échappatoire au stress de sa pratique. Séraphin Collé, Mon premier souvenir d’un jeu vidéo quisition de mon premier PC pour rédiger ma thèse... Dès sa sortie du carton, les disquettes de Prince of Persia® sont installées. Guerrier oriental, je dois franchir le dédale des salles du palais, déjouer ses pièges, éliminer les gardes, vaincre le vizir et enfin sauver la belle princesse. Vingt ans après, ce blockbuster 1 est régulièrement revisité avec des versions de plus en plus évoluées. Il nécessite des cartes graphiques et des processeurs de plus en plus rapides. La course à la vitesse ne fait que commencer, arrivent les jeux en 3D. Nous incarnons la belle Lara Croft® archéologue aventureuse dans la série culte Tomb Raider®. L’arrivée d’Internet révolutionne les jeux vidéo en permettant la découverte des nouveautés, le téléchargement légal ou illégal (certain préfère parler de partage peer-to-peer 2). Les jeux en ligne explosent avec l’Internet haut débit ainsi que les jeux de rôle en ligne multi-joueurs dont le plus connu est World of Warcraft®. Aujourd’hui, ma vie de joueur s’est assagie ; moins fréquente, elle est un passe-temps lorsque les patients manquent à la Maison Médicale de Garde. Elle est aussi un recours en cas d’insomnie : abus de café ou journée trop éprouvante. La vie professionnelle d’un généraliste n’est pas une répétition d’actes, elle est surtout le théâtre de drames et de tragédies humaines. Le type de spectacle dont on ne sort pas indemne. Le jeu est alors un refuge pour éliminer le trop plein de stress. Je suis alors un flic enquêtant dans le Los Angeles des années 50 dans L.A. Noire® ou un prêtre chevalier dans une épopée médiévale fantastique tiré de l’univers de Game of Thrones®. Ma vie et celles de mes ennemis n’ont alors plus de valeur. Je côtoie la mort avec désinvolture, quel soulagement ! médecin généraliste remonte à mes dix ans : un bar le long de la plage où nous allons en vacances, une attirance irrépressible pour cet écran où défilent dans un rythme électro-tribal des petits monstres verts. Je dois les empêcher d’atteindre la terre tout en me protégeant derrière des bunkers. Je cours redemander à ma mère la pièce de un franc qui me permettra de jouer quelques minutes supplémentaires. J’apprendrai plus tard que Space Invaders® a été un des tous premiers jeux vidéo en 1978. Au collège, c’est avec une joie coupable que nous sortons pour rejoindre l’appartement de l’un d’entre nous. Il a la toute nouvelle console Atari® qui, branchée sur la télé et grâce à des cartouches, nous permet de jouer ensemble à plein de jeux. Au lycée, l’affaire est plus sérieuse, car il nous arrive de sécher des cours pour aller à la foire du Trône ou à la Bastille. Les bornes d’arcade sont alignées dans des salles immenses à vous faire perdre la tête. C’est l’époque de Donkey Kong® bien sûr, où le personnage de Mario® apparaît pour la première fois. La qualité des graphismes et des bandes sonores s’améliore tellement que l’on se sent immergé dans un monde onirique. Je partage cette passion avec trois amis fidèles qui, comme moi, ont besoin de s’évader d’une réalité familiale pénible. Nous sommes tous enfants de parents divorcés. Soirées jeux de rôles ou traversée de Paris pour aller jouer au seul flipper sans tilt de la capitale, rien ne nous arrête ! Les premiers ordinateurs personnels font leur apparition, les grands frères ont leur premier Macintosh®. Toujours ce sentiment de liberté qui nous anime et nous pousse à explorer cet univers vierge, inconnu des adultes. Le début des études de médecine aurait pu être une rupture avec ce hobby, mais l’isolement a besoin d’un antidote… Heures perdues, yeux qui brulent, tête vidée, crampes dans les doigts, douleurs cervicales, nausées d’avoir dépensé tant d’argent et de temps précieux, me font prendre conscience que ces jeux peuvent devenir pathologiques. Une prise de distance s’impose… Le jeu s’insinue de nouveau dans ma vie avec l’ac- PRATIQUES 62 JUILLET 2013 1. Utilisé au cinéma pour qualifier les films à gros budgets et à gros revenus ; concernant les jeux vidéo, les blockbusters sont les suites ou extensions des jeux vidéo. 2. Permettent à plusieurs ordinateurs de communiquer via un réseau et de partager des fichiers, mais également des flux multimédia continus (streaming). 52