La logique était saine, puis la réalité s`en est mêlée

Transcription

La logique était saine, puis la réalité s`en est mêlée
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
«La logique était saine, puis la réalité s’en est mêlée»*
Arbeitsgruppe Tschad / Groupe Tchad
Menschenrechte – Rohstoffe – Friedensarbeit
Droits de l’homme – Industries extractives – Promotion de la Paix
2
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
Suggestions et interrogations de la société civile
tchadienne et camerounaise à l’évaluation
rétrospective de la performance du programme
du Groupe Indépendant d’Évaluation (IEG)
Les associations-membres de la Commission Perma­
nente Pétrole Locale (CPPL), Moundou, Tchad de­
mandent d’une présentation publique de résultats
du rapport d’évaluation du Groupe Indépendant
d’Èvaluation à la population région productrice.
Qu’est ce qu’elle fera la Banque Mondiale de ces dif­
férentes recommandations et conclusions de cette
évaluation ?
Si le projet n’a pas atteint son objectif principal
consistant en la réduction de la pauvreté, quelles
sont les mesures correctives que la Banque Mon­
diale préconisent pour ne pas que d’autres projets
de ce genre ratent les cibles comme au Tchad?
Que fera la Banque Mondiale des milliers des pay­
sans sans terres qui vivent dans une situation de
pauvreté sans égale à Maïkeri, Ngala, Bendoh,
Mouarom, Bolobo, Moundouli, Dildo, Dokaidilti,
MBANGA, NDABA et autres?
Les organisations de la société civile au Cameroun
exigent la réparation urgente des problèmes so­
ciaux et environnementaux encore existants causés
par le projet dans les deux pays. Les problèmes
d’eau potable notamment le long du pipeline sont
préoccupants.
Une partie des revenues du transit que gagne le
gouvernement du Cameroun devrait être investie
sur la route du pipeline.
Conjointement, les organisations de la société civile
de deux pays, du Tchad et du Cameroun, demandent
un audit indépendant des problèmes environne­
mentaux et sociaux persistants le long de l’oléoduc
Tchad-Cameroun et d’y apporter des réparations.
L’impact du projet apprécié par la société civile
«Pour nous, La Banque Mondiale a connu un crime
dans la zone pétrolière de Doba au Tchad. Sans elle,
ce projet n’a pas lieu et les paysans ne seront pas
dans cette situation inhumaine. Nous tenons la
Banque Mondiale de responsable des situations des
violations des droits humains et autres dérapages
qui sont commises par les agents de sécurités des
compagnies pétrolières dans la zone.»
Commission Permanente Pétrole Locale (CPPL)
Moundou, Tchad, Mars 2010
«C’est inacceptable que 10 ans après que la Banque
ait donné son approbation à ce projet, des centaines
de personnes affectées au Tchad et au Cameroun
attendent toujours réparation. Le «modèle»
d’arrangements institutionnels complexes de la
Banque n’a pas marché, et en quittant le Tchad la
Banque a crée une pétro-dictature. La Banque doit
rester dans le projet et résoudre urgemment tous les
problèmes crées dans les deux pays par le pipeline.
En abandonnant le projet, qui est-ce que la Banque
punit réellement?»
RELUFA, Cameroun, Mars 2010
«Le Tchad actuel
présente tous les
caractéristiques d´un
État pétrolier y compris
des effets tels qu’un
retard dans la démocra­
tisation, la répression
par les forces de
sécurité et le manque
de modernisations
économique et sociale.
C’est l’exemple typique d’un État rentier, qui est
également caractérisé par une dépendance élevée
d’une seule source de revenus.»
BICC Brief 41, Décembre 2009, p. 64
* Citation pochette: L’évaluation rétrospective de la perfor­
mance du programme du Groupe Indépendant d’Évaluation
(IEG), Novembre 2009, p. viii.
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
3
L’évaluation rétrospective de la performance du programme
du Groupe Indépendant d’Évaluation (IEG)
Logique de base & échec lamentable
L’un des plus gros investissements jamais réalisé sur le continent africain et autrefois présenté comme un modèle du
genre pour les industries extractives, est désormais synonyme d’aggravation de la pauvreté, de détérioration de la
gouvernance et de recrudescence de violents conflits1: Quelles leçons en tirer pour le Groupe de la Banque Mondiale et
de futurs projets à hauts risques?
Center for Global Governance & Accountability
Urgewald
Korinna Horta, Docteur en Philosophie
1Groupe Indépendant d’Évaluation, “Le Programme de soutien au développement des champs pétroliers et de la construction
de l’oléoduc Tchad-Cameroun du Groupe de la Banque Mondiale”, Rapport Nº 50315, Le Groupe de la Banque Mondiale, 20
novembre 2009, p. viii.
4
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
Table des matières
0. Résumé Exécutif.....................................................................................................................................5
1. Introduction..........................................................................................................................................6
2. Principales conclusions: Échec de la réduction de la pauvreté et détérioration de la gouvernance ........................8
a) Des failles dans la conception du programme............................................................................................9
b) Le renforcement des capacités: Le talon d’Achille......................................................................................9
3. Le besoin d’une approche plus approfondie............................................................................................... 10
a) Mauvaise interprétation du paysage politique........................................................................................ 10
b) Des sauvegardes sociales et environnementales...................................................................................... 11
c) Les moyens de subsistance dans le bassin d’extraction pétrolière et le long du couloir du pipeline ..................12
d) Les populations autochtones...............................................................................................................13
4. Suivi de la conformité sans précédent, mais à que escient?........................................................................... 14
5. Le contrefactuel contre une unique responsabilité......................................................................................15
6. Leçons pour le futur: revoir l’examen des industries extractives.................................................................... 16
7. Lectures aditionnelles............................................................................................................................ 17
8. Abbréviations.......................................................................................................................................18
9. Annexe................................................................................................................................................18
Annexe A: Réaction de la CPPL sur les rapports d’évaluation de l’IEG..............................................................18
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
O. Résumé Exécutif
“La logique était exemplaire – si l’on omet les faiblesses
découvertes à chaque maillon de la chaîne.” (Rapport
IEG, p.38)
En 2000, la Banque mondiale a approuvé le financement
du Projet controversé d’Exploitation Pétrolière et d’Oléo­
duc Tchad-Cameroun en promettant que son succès se­
rait mesuré par la réduction de la pauvreté et pas seule­
ment par les barils de pétroles exportés ou les millions
de dollars de recettes gouvernementales qu´il engen­
drerait.
Prés de dix ans plus tard, le Groupe d’évaluation indé­
pendant (IEG) de la Banque mondiale a réalisé une éva­
luation du projet dans laquelle il conclut que l’objec­
tif principal du projet consistant en une réduction de la
pauvreté n’avait pu être atteint. Au-delà, il a constaté
que la manne que représentaient les revenus pétroliers
s’associait à des conflits civils violents, à la dégradation
de la gouvernance et à une augmentation de la corrup­
tion. De plus, l’IEG a rapporté que le développement du
secteur pétrolier dans l´économie a abouti à un affaisse­
ment des autres secteurs économiques vitaux. Cela a ag­
gravé les conditions d´activité dans des domaines tels
que l’agriculture et le bétail, activités desquelles dépend
la vaste majorité de la population.
L’IEG explique l´incapacité du projet à remplir ses pro­
messes par le manque d’appropriation du gouvernement
et l’existence de failles dans sa conception. Des projets
de renforcement des capacités pour évaluer l’impact
environnemental et gérer le secteur du pétrole ont été
largement inefficaces. Le Tchad demeure incapable de
contrôler indépendamment son secteur pétrolier et les
gouvernements tchadien et camerounais ne maitrisent
pas l’impact des projets dans la zone d’exploitation du
pétrole et le long du tracé de l’Oléoduc.
L’évolution de la pauvreté n’a pas été correctement éva­
luée par la Banque Mondiale, ce qui représente selon
l’IEG un sérieux défaut pour un programme qui prétend
avoir pour principal objectif la réduction de la pauvreté
par l’utilisation de revenus pétroliers.
Au Tchad, de communautés de paysans pauvres sont les
plus affectées par l’empreinte écologique grandissante
5
d’un important projet pétrolier qui demande de plus en
plus de la terre cultivable. Peu de moyens ont été mis en
œuvre pour assister à la réhabilitation des conditions de
vie des communautés locales.
Au Cameroun, un Plan pour les populations autochtones
sensé protéger les plus vulnérables, c’est-à-dire les com­
munautés pygmées Bagyeli et Bakola qui vivent dans les
forêts traversées par la section sud du pipeline, n’a ja­
mais été instauré. Les fonds mis à disposition de FEDEC,
une fondation camerounaise, ces fonds devaient préten­
dument servir au financement de projets de ce plan, et
cette fondation était également responsable de la ges­
tion de deux parcs naturels créés afin de compenser la
perte de biodiversité occasionnée par la construction de
l’oléoduc. FEDEC a connu des problèmes dès le début et
la fondation est pour ainsi dire en faillite.
La responsabilité de la Banque Mondiale a une incidence
sur le futur. L’une des promesses clé du projet, entéri­
née par les accords de projet et de prêts de la Banque, est
que tout hydrocarbure passant par le pipeline serait sou­
mis aux mêmes normes environnementales et sociales
que dans le projet original. Encouragées par l’existence
du pipeline, d’autres compagnies sont apparues dans le
pays. Il est impossible de dire si le GBM se sert de sa pré­
sence continue au Tchad et du rôle persistant de la SFI
dans le projet pour s’assurer que cette clause précise éta­
blie dans l’accord de prêt initial soit respectée.
En dépit de la force de ses conclusions, le rapport de l’IEG
conclut que le GBM a eu raison de soutenir le programme
en 2000, et qu’il l’a fait avec la pleine connaissance des
risques encourus. C’est la triste vérité que le rapport ne
mentionne pas que le risque reposait directement sur des
personnes comptant parmi les plus pauvres au monde et
dans des pays ayant les indicateurs sociaux les pires de
la planète. Ces personnes continuent et continueront à
souffrir de privations drastiques pendant encore des an­
nées.
Malheureusement, l’IEG cherche à écarter d’une respon­
sabilité du GBM avec des arguments tels que “le projet
aurait de toutes façon vu le jour.” On ne saura jamais si ce
projet serait né plus tard, surtout depuis les compagnies
pétrolières préfèrent souvent le développement pétrolier
off-shore qui ne laisse pas courir de mêmes risques po­
litiques. Par contre, le fait est que la Banque elle-même
6
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
a constaté l’importance de son soutien pour l’implica­
tion d’institutions financières privées, qui n’étaient pas
prêtes de procéder sans la participation du Groupe. Le
GBM a profité de son rôle de catalyseur pour convaincre
ses actionnaires de donner leur accord au projet.
Une recommandation qui c’était de mise avec les résul­
tats importants du rapport de l’IEG serait l’appel à la
Banque Mondiale de fondamentalement repenser son
approche des industries extractives et d’autres projets à
hauts risques, si ce type d’investissements doit être plus
qu’un coup de pocker imprudent avec la vie des pauvres.
Le GBM se décrit comme étant la “Banque du Savoir.” Un
examen pour tenter de comprendre pourquoi la vision à
grande échelle de ce projet était si irréaliste serait cru­
cial pour approfondir notre compréhension de l’institu­
tion. Le rapport de l’IEG aurait été d’autant plus riche
s’il avait pris en compte les possibles pressions sousjacentes qui ont conduit à l’évaluation follement opti­
miste de la Banque sur la capacité de ce projet à sortir le
Tchad de sa pauvreté.
En dépit de ses défauts les conclusions du rapport de
l’IEG comprennent des nombreuses idées intéressantes
qui peuvent réorienter le futur soutien du GBM aux pro­
jets à haut risque. Malheureusement, ce n’est pas du
tout clair quelles leçons seront tirées de la part de GBM
de ce rapport d’évaluation de l’IEG et des réalités abso­
lues et indéniables créé par un projet dénommé un mo­
del d’investissement au secteur d’industries extractives
le cas échéant.
L’évalution de la performance du programme2
Impact
Risques sur l’Impact de
Développement
Performance de la Banque
Performance d’Emprunteur
Insatisfaisant
Èlevès
Modérément
Insatisfaisant
Insatisfaisant
2THE WORLD BANK GROUP PROGRAM OF SUPPORT
FOR THE CHAD CAMEROON PETROLEUM DEVELOP­
MENT AND PIPELINE CONSTRUCTION. PROGRAM PER­
FORMANCE ASSESSMENT REPORT CHAD, Report No.:
50315. Novembre 20, 2009; p. 49.
1. Introduction
Le Groupe Indépendant d’Évaluation est un organe in­
terne autonome au sein du Groupe de la Banque Mon­
diale qui relève directement du Conseil d’administra­
tion de cette institution. Ses objectifs déclarés sont de
tirer les leçons des expériences passées et de rendre des
comptes sur la réalisation des objectifs du GBM. La mis­
sion globale du GBM est de réduire la pauvreté et de pro­
mouvoir le développement durable.
Tout comme le GBM est constitué de filiales chargées du
financement du secteur public (la BIRD et l’AID, aux­
quelles l’on se réfère sous le nom de Banque Mondiale),
du soutien au secteur privé (SFI) et des garanties pour
les investissements multilatéraux (AMGI), l’IEG compte
trois filiales distinctes: l’IEG-Banque Mondiale, l’IEG-SFI
et l’IEG-AMGI.
Le projet pétrole et pipeline Tchad – Cameroun était sou­
tenu par des prêts octroyés par la BIRD et l’AID aux gou­
vernements tchadien et camerounais ainsi que par des
prêts directs affectés au secteur privé par la SFI.
L’évaluation du projet Tchad – Cameroun représente la
première appréciation conjointe de projet qu’aient réali­
sé l’IEG – Banque Mondiale et l’IEG – SFI, couvrant ainsi
tous les investissements de soutien et les efforts de ren­
forcement des capacités inhérents à ce projet et réalisés
par le GBM.
Dans ce contexte, il est important de noter que la Banque
Mondiale s’est retirée du projet en 2008, après que le
Tchad eut accepté de rembourser les emprunts en cours
auprès de cette dernière. La Banque Mondiale a justifié
son retrait en raison des violations par le Tchad des ac­
cords d’emprunts visant à répartir de façon adéquate les
ressources provenant des revenus pétroliers pour luter
contre la pauvreté.3 Toutefois, à ce jour, le secteur pri­
vé n’a pas encore remboursé les emprunts contractés au­
près de la SFI, ce qui la maintient de facto dans le pro­
jet. Ceci peut aider à comprendre pourquoi le rapport de
l’IEG décrit comme très positif le maintien de l’engage­
ment de la SFI, tandis que le résultat global du projet
est jugé insatisfaisant. Etant donné la détérioration de
3Communiqué de presse de la Banque Mondiale 2009/073/
AFR du 9 septembre 2008.
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
la gouvernance au Tchad et la perméabilité du secteur
privé aux interférences politiques, il aurait été légitime
d’attendre un rapport plus détaillé sur la manière dont le
soutien au secteur privé de la SFI participe au dévelop­
pement durable au Tchad. Le rapport de l’IEG ne donne
pas d’information y relatif.
Ce projet ayant fait l’objet d’une intense polémique, le
Groupe de la Banque Mondiale a fait des efforts sans
précédents pour s’assurer que les revenus pétroliers se­
raient affectés à des investissements sociaux prioritaires
au Tchad, pays parmi les plus pauvres du continent afri­
cain. En plus d’exiger du Tchad qu’il adopte une loi sur
la gestion des revenus et qu’il établisse un organe char­
gé du suivi de la mise en œuvre de cette loi (Collège de
Contrôle), le GBM a également requis des études d’im­
pact environnemental poussées, demandé l’adoption
d’un Plan de Gestion Environnementale (PGE) et créé
deux organes externes: le Groupe Externe du Suivi de la
Conformité Environnementale (ECMG) et le Groupe In­
ternational Consultatif (GIC) afin de s’assurer de la mise
en œuvre correcte du projet.
A l’aide de ces mesures innovantes, la direction de la
Banque Mondiale a vendu ce projet comme étant un mo­
dèle de partenariat public-privé, et également, comme
un cadre inédit visant à transformer la manne pétrolière
en avantages directs pour les pauvres.4
Aux vues du manque de droits démocratiques et de la
violation systématique des droits de l’homme au Tchad,
les organisations tchadiennes de la société civile étaient
sceptiques quant aux bénéfices que pourraient tirer le
pays des mesures instaurées. Elles redoutaient une re­
crudescence de la violence, une dégradation de l’envi­
ronnement et l’accentuation de la marginalisation des
populations pauvres dans la région d’extraction du pé­
trole.5 Leur demande d’un moratoire sur le financement
du projet jusqu’à ce que le gouvernement ait prouvé sa
volonté politique et sa capacité à faire progresser le dé­
veloppement social dans le pays, a été réjetée par le GBM
qui a argué que les pauvres ne pouvaient attendre davan­
4 Banque Mondiale, communiqué de presse du 6 juin 2000.
5Une analyse détaillée sur la position des ONG Tchadiennes
peut être trouvée dans Petry, M. et Bambé, N. “Le Pétrole
du Tchad – Rêve ou cauchemar pour les populations?”
Karthala, Paris, 2005.
7
tage les bénéfices que procurerait le projet. Après les ef­
forts acharnés de la direction de la Banque pour présen­
ter ce projet comme la seule opportunité pour le Tchad
de réduire son taux de pauvreté, le Conseil d’administra­
tion de la Banque Mondiale, dont plusieurs membres fi­
rent part de leurs inquiétudes quant aux risques liés à ce
projet, l’approuva finalement en 2000.6
Après que la Banque Mondiale se fût retirée du projet
en 2008, le Conseil demanda au Groupe Indépendant
d’Évaluation (IEG) de débuter une évaluation de celuici. Le rapport d’évaluation de l’IEG fut rendu public en
novembre 2009. Il conclut que le projet n’avait pu at­
teindre son objectif principal consistant en la réduction
de la pauvreté et qu’il était avéré que la manne que re­
présentaient les revenus pétroliers du Tchad “…s’associait à la résurgence de conflits civils et à la dégradation de
la gouvernance.”7
Les conclusions du rapport de l’IEG mettent à jour des
réalités absolues et indéniables, et comprennent égale­
ment des idées intéressantes. Malheureusement, le rap­
port de l’IEG contient aussi des lieux communs qui sem­
blent totalement déconnectés des réalités du terrain.
En outre, il défend la poursuite de l’engagement de la
Banque Mondiale auprès des industries extractives –
“quel qu’en soit le risque”8 – sans pour autant trouver de
justifications probantes pour qu’il en soit ainsi.
Ce document donne une vue d’ensemble des conclusions
pertinentes présentées dans le rapport de l’IEG mais cite
également certaines de ses principales faiblesses. En
conclusion le document prétend que les conclusions que
le rapport de l’IEG présente, avalisent encore un peu plus
les recommandations faites par l’Examen des Industries
Extractives qu’a commissionné la Banque Mondiale en
2003. L’EIR a souligné l’importance de l’existence d’une
approche par étapes des investissements dans les indus­
tries extractives afin que puissent être effectuées préa­
6Voir, par exemple, la déclaration du Directeur Exécutif
américain auprès de la Banque Mondiale qui a effectué
une mise en garde contre le projet en affirmant qu’il
“…serait indéniablement un prisme au travers duquel le
monde scruterait l’institution et aussi probablement dans
une plus large mesure l’aide au développement. Les enjeux
ne pourraient être plus importants.” (Déclaration US, 6
juin 2000).
7 Rapport de l’IEG, p. viii.
8 Rapport de l’IEG, p. viii.
8
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
Bref aperçu: Le Projet d’exploitation pétrolière et
d’oléoduc Tchad - Cameroun
• Le plus grand investissement on-shore singulier
en Afrique à présent
• Coûts estimés total: US $6.5 Milliard
lablement à l’exécution d’investissements lourds, des
analyses tant sur la capacité à transformer ces revenus
en avancées sociales que sur celle à appréhender l’impact
environnemental en découlant.9 Le GBM a jusqu’ici reje­
té l’adoption de cette recommandation de l’EIR ainsi que
d’autres tout aussi cruciales.
Activités du projet initial
• Forage de 521 puits dans les champs pétroliers de
Doba au Sud du Tchad
• Construction de 1.070 km d’oléoduc de Doba à
l’océan Atlantique en traversant le Cameroun.
• Construction d’un terminal marin et d’un oléduc
marin à Kribi pour l’entreposage flottant dans un
réservoir (FSO)
• Production journalière de 127 200 barril/j (en
2008)
2. Principales conclusions: échec
de la réduction de la pauvreté et
détérioration de la gouvernance
Expansion de la production
La capacité de l’oléduc représente l’incentive
d’exploration dans d’autres zones de la région.
L’exploration est en cours près de Sarh et de
nouveaux champs satellites sont déjà exploités
à part des anciens champs de Doba. La Banque
Mondiale a promis que tout pétrole qui passé
par l’oléoduc est soumis des mêmes standards
environnementaux et sociaux du projet initial. Dans
cette optique, elle a signé de covenants avec les
gouvernements et le consortium Esso. A présent la
Banque doute que ces conditions légales peuvent
être arrachées (ICR).
Rôle du Groupe de la Banque Mondiale
«Le soutien du Groupe de la Banque Mondiale était
un élément clé pour l’implication d’institutions
financières privés, qui n’étaient pas prêts de
procéder sans la participation du Groupe…» (World
Bank Project Appraisal Document, 22)
Le consortium Esso a fait de la participation de
la Banque Mondiale une condition préalable
pour le projet. Les raisons ont été motivées par la
sécurisation du risque politique et pour attirer le
financement d’autres sources publiques et privées.
La principale découverte du rapport de l’IEG est que les
objectifs fondamentaux du projet qui consistaient en la
réduction de la pauvreté au Tchad et en l’amélioration
de la gouvernance grâce à l’optimisation de l’utilisation
des revenus pétroliers, n’ont pas été atteints. En outre,
le rapport conclut qu’ “En effet, la manne pétrolière a engendré une résurgence des conflits civils et une dégradation de la gouvernance.”10
De plus, la prépondérance du pétrole a abouti à un af­
faissement des autres secteurs vitaux de l’économie. Se­
lon le rapport de l’IEG, l’objectif visant à renforcer l’éco­
nomie non liée au pétrole n’a pas été atteint. En effet, la
contribution du secteur non pétrolier au taux de crois­
sance du PIB a décliné après la mise en œuvre du pro­
jet.11 Ceci est une donnée alarmante car la subsistance
de la vaste majorité de la population dépend de l’agricul­
ture et du bétail. Le pétrole est donc associé à une aggra­
vation des conditions de ces activités qui sont également
les plus déterminantes pour la réduction du taux de pau­
vreté global.
En outre, la prédominance du pétrole est susceptible
d’être à l’origine d’impacts dévastateurs sur le long
terme. L’IEG cite les inquiétudes du FMI quant à l’affai­
blissement de la position budgétaire du Tchad avec l’ef­
fondrement des prix du pétrole et son besoin d’ajuste­
ments difficiles aux vues des impacts sur l’économie et
le développement social.12 Etant donné l’extrême degré
de privation qu’endure la plupart des Tchadiens, il est
9Rapport des Industries Extractives, “À la recherche du
juste milieu”, Le Groupe de la Banque Mondiale et les In­
dustries Extractives, Rapport final, décembre 2003.
10 Rapport de l’IEG, p. 35.
11 Rapport de l’IEG, p. 15.
12 Rapport de l’IEG, p. 16
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
difficile de concevoir qu’ils puissent davantage se “ser­
rer la ceinture” comme l’exige habituellement l’applica­
tion de mesures d’ajustement structurelles, sans que ce­
la ne débouche sur des troubles civils majeurs et de vio­
lents conflits.
a) Des failles dès la conception du projet
Tandis que le rapport de l’IEG fait mention du manque
“d’appropriation du gouvernement” comme principale
raison de l’échec du projet, il dénonce également l’exis­
tence de failles dans la conception du projet qui expli­
quent en partie cette issue tragique. Il est très critique
sur la focalisation du projet sur les intrants (c’est-à-dire
sur la production de revenus pétroliers) et beaucoup
moins sur les résultats obtenus au travers des dépenses
publiques: “Il s’est trouvé que les dépenses prévues ont
été dépassées alors même que l’efficacité de ces dépenses
a fait défaut – en partie en raison des gaspillages et des
abus, mais également en raison d’une impossibilité à intégrer des décisions concernant les dépenses courantes et les
investissements.”13
Parmi les failles de conception particulièrement criantes
figurent d’une part le manque de données fiables sur le
développement social humain, et d’autre part d’un sys­
tème de contrôle mesurant les impacts du projet sur
l’existence des populations. “L’évolution de la pauvreté
n’a pas été correctement évaluée, ce qui représente un sérieux défaut pour un programme qui prétend avoir pour
principal objectif la réduction de la pauvreté par l’utilisation des revenus pétroliers.”14
Certaines des données présentées dans le rapport de
l’IEG ne contribuent pas à donner de la cohérence à ce
projet: l’accès à l’eau a été amélioré, mais le taux de mor­
talité infantile et juvénile a également augmenté; la sco­
larisation en écoles primaires s’est accrue mais la quali­
té de l’enseignement a baissé. Pourquoi de telles contra­
dictions? Le rapport de l’IEG le dit simplement: “La question est de savoir si l’argent a été correctement dépensé.”15
En effet, dans les cas ou de fonds ont été dépensés pour
l’investissement dans l’infrastructure la pauvre qualité a
eu peu d’impact positive sur la vie de la population.
13 Rapport de l’IEG, p. 11.
14 Rapport de l’IEG, p. xiii et 23.
15 Rapport de l’IEG, p. 19.
9
b) Le renforcement des capacités: le talon d’Achille
Les projets de renforcement des capacités du Tchad et du
Cameroun ont tous deux été acceptés au même moment
que les autres prêts effectués par le GBM. Selon l’IEG, la
mise en œuvre des efforts de renforcement des capacités
n’a en réalité débuté qu’à l’achèvement de la construc­
tion et de la mise en service de l’oléoduc. Par consé­
quent, “…contrairement à ce qui avait été initialement
prévu, les projets n’ont pas contribué au contrôle du gouvernement, ni dans la phase de développement des zones
de production pétrolières, ni pendant celle de la construction du pipeline à proprement parler.”16
Bien qu’ils en soient totalement incapables, les gou­
vernements du Tchad et du Cameroun sont au bout du
compte responsables du suivi des impacts sociaux et en­
vironnementaux du projet. Les projets de renforcement
des capacités de la Banque devaient en théorie fournir
les capacités nécessaires aux gouvernements afin qu’ils
puissent remplir leurs obligations. Mais ils n’y sont pas
parvenus. Le rapport de l’IEG conclut qu’aucune trace de
suivi gouvernemental n’a été décelée dans la zone d’ex­
traction tchadienne depuis plusieurs années. Il en va de
même pour le projet camerounais puisqu’aucun contrôle
gouvernemental de l’oléoduc n’a eu lieu.17
En outre, “Aucune réelle intégration sociale ni environnementale n’a eu lieu dans les transports, la santé ou
d’autres ministères, comme cela avait été envisagé par le
projet d’assistance technique.”18
Un projet d’assistance technique additionnel pour le
compte du Tchad a tenté de fournir au pays la capacité de
gérer sa nouvelle économie pétrolière. Encore une fois,
l’IEG a découvert que la Banque n’avait pas réussi à aider
le Tchad à “…parvenir à un réel progrès en termes de budgétisation, de contrôles financiers et de capacité de gestion du secteur pétrolier; la tentative de soutien des activités de renforcement des capacités cumulée au projet principal s’est révélée être un échec.”19
16 Rapport de l’IEG, p.31.
17 Rapport de l’IEG, p.31 et 33.
18 Rapport de l’IEG, p. 33.
19 Rapport de l’IEG, p. xvi.
10
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
Les infrastructures construites grâce aux revenus pétro­
liers n’ont que peu contribué au développement social.
Les écoles ont été construites sans soucis des besoins lo­
caux et les coûts de construction se sont avérés exces­
sifs. Ainsi l’IEG cite un coût de 64 000 dollars pour la
construction d’un bâtiment abritant des classes d’école
primaire, ce qui est extrêmement élevé si on compare ce
chiffre aux normes internationales et double par ailleurs
le coût de construction financé par le budget de l’Etat
plutôt que par les revenus pétroliers. En ce qui concerne
les installations de santé, l’IEG n’a pas identifié la même
tendance de coûts excessifs mais néanmoins, il conclut
que le manque de moyens de production pour rendre
opérationnelles ces infrastructures a conduit à une si­
tuation où “…l’intégralité du coût de construction peut
être considérée comme perdue et la rentabilité de l’investissement est proche de zéro.”20
De précédentes évaluations du GBM ont identifié “la
pression à prêter” ou “la culture du consentement” comme
principales justifications des faibles résultats obtenus
par les opérations menées par le GBM.22 Il apparaît claire­
ment que les gros projets ‘finançables’ de haute qualité
ne se trouvent pas facilement, et particulièrement dans
des régions politiquement instables comme en Afrique
centrale. Il est possible de penser que la “pression à prêter” a joué un rôle significatif dans la décision du GBM
de servir de catalyseur financier à cette proposition de
projet promue par le consortium mené par Exxon Mobile.
Le rapport de l’IEG comporte d’importantes leçons. Mais
il n’a pas examiné les raisons sous-jacentes des erreurs
commises et il contient des affirmations douteuses qui
peuvent affaiblir son message d’ensemble.
a) Mauvaise interprétation du paysage politique
Selon l’IEG, la conception du projet doit être fondée sur
la reconnaissance des capacités institutionnelles et ad­
ministratives existantes. A l’inverse dans ce projet, “…
les composantes majeures de ce programme ont en réalité
supposé l’existence préalable de la même capacité qu’ils
s’apprêtaient à construire.”21
3. Le besoin d’une approche plus
approfondie
Selon le rapport de l’IEG, les raisons stratégiques du pro­
jet emmené par le GBM étaient claires et profondes, mais
leur articulation au sein des objectifs spécifiques de dé­
veloppement du projet ne l’était pas. Bien que cela ait pu
techniquement être le cas, l’erreur commise par la Banque
risque peu de se cantonner aux objectifs spécifiques men­
tionnés dans les différentes composantes du projet.
Le GBM se décrit comme étant la “Banque du Savoir.” Un
examen pour tenter de comprendre pourquoi la vision à
grande échelle de ce projet était si irréaliste serait cru­
cial pour approfondir notre compréhension de l’institu­
tion. Le rapport de l’IEG aurait été d’autant plus riche
s’il avait pris en compte les possibles pressions sousjacentes qui ont conduit à l’évaluation follement opti­
miste de la Banque sur la capacité de ce projet à sortir le
Tchad de sa pauvreté.
20 Rapport de l’IEG, p. 20.
21 Rapport de l’IEG, p. 46.
La raison pour laquelle les organisations africaines de
la société civile ainsi que leurs soutiens internationaux
(environnement, droits de l’homme et groupes religieux)
avaient requis un moratoire sur le financement du pro­
jet, résidait dans le fait qu’elles ne croyaient pas en l’en­
gagement du gouvernement à respecter les promesses
faites au GBM. Une répression sévère, des exécutions ex­
trajudiciaires, une corruption endémique, et un défaut
patent d’engagement gouvernemental à se confronter à
la détresse des pauvres, ont été les marques distinctives
de la réalité tchadienne, et dans une moindre mesure,
également celles du Cameroun.
En dépit de la lourde expérience que possède la Banque
Mondiale en matière d’encadrement dans ces deux pays,
ces réalités ont été balayées. La direction de la Banque
Mondiale a sérieusement sous-estimé la situation poli­
tique, et dans un de ses documents clé arriva même à dé­
clarer que “le Tchad avait réussi, avec succès, à instaurer
des institutions politiques démocratiques.”23
Mais la réalité s’en est mêlée. L’IEG a conclu qu’ “Il apparaît clairement que la volonté répétée du GBM à améliorer
22Voir, par exemple, Wapenhans, W. A. Un rapport du grou­
pe de travail pour la gestion de portefeuille. Washington,
D.C., 1992
23Banque Mondiale, Tchad-Cameroun: Projet de dévelop­
pement pétrolier et d’oléoduc, Document d’évaluation
du projet, 20 avril 2000, p. 121.
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
la responsabilité, l’état de droit, la transparence ainsi que
la participation, n’avait pas eu l’effet positif escompté sur
le développement de la gouvernance du Tchad.”24
En dépit de la force de ses conclusions, le rapport de l’IEG
conclut que le GBM a eu raison de soutenir le programme
en 2000, et qu’il l’a fait avec la pleine connaissance des
risques encourus.25
Des risques pour qui? Malheureusement, l’IEG ne traite
pas de cette question.
Hormis un risque d’atteinte à sa réputation, ni le GBM, ni
ses officiels n’ont jamais couru le moindre risque.
Etant donné le manque de solvabilité du Tchad, le GBM
s’est arrangé pour couvrir ses risques financiers dans
le projet en établissant un compte de garantie bloqué
à Londres et sur lequel le consortium déposait les reve­
nus issus du pétrole; c’est également depuis ce compte
qu’était effectué le remboursement du prêt octroyé par
la BIRD et ce, avant que le Tchad n’ait accès à celui-ci.
Selon l’IEG, “L’objectif immédiat (du compte de garantie
bloqué) était d’assurer en premier lieu le remboursement
du service de la dette de la BIRD et de la Banque Euro­
péenne d’Investissement... ”26
Le risque reposait directement sur des personnes comp­
tant parmi les plus pauvres au monde et dans des pays
ayant les indicateurs sociaux les pires de la planète. Ces
personnes continuent et continueront à souffrir de pri­
vations drastiques pendant encore des années.
Le rapport de l’IEG fait mention d’une détérioration su­
bite de l’état de droit, de la corruption et de l’efficaci­
té de la gouvernance.27 La souffrance humaine générale
du Tchad n’a pu augmenter qu’en raison de l’aggravation
des conditions de gouvernance.
Tandis que le Président Déby et ses alliés d’autrefois
s’embarquaient dans la pratique d’une cruelle violence
légitimée par la lutte de pouvoir pour le contrôle des
ressources pétrolières, il est estimé qu’au même mo­
24 Rapport de l’IEG, p.24.
25 Rapport de l’IEG, p. viii.
26 Rapport de l’IEG, p.4
27 Rapport de l’IEG, p. xiii.
11
ment, deux cent mille personnes déplacées tchadiennes
fuyaient leurs maisons pour se réfugier aux frontières
du pays, voisines de la province du Darfour au Soudan.
Les revenues pétroliers ont permis au Président Déby du
maintien au pouvoir et de stabiliser le régime par un sys­
tème de patronage, une fonction publique gonflée, une
des forces nationales les mieux armées du monde et par
la cooptation des groupes armés sans cesse. 28
Dans la zone d’extraction de pétrole, peu de moyens ont
été mis en œuvre pour améliorer les conditions de vie des
communautés locales les plus affectées par l’empreinte
écologique grandissante d’un important projet pétro­
lier. Faute de la transparence et de l’efficacité l’investis­
sement financé par le 5% de revenues pétroliers destinés
à la région productrice n’a pas contribué à la réduction
de la pauvreté.29
Au Cameroun, le rapport de l’IEG déclare que l’objectif
consistant à accroître les ressources du gouvernement
pour augmenter les dépenses consacrées aux pauvres,
a été atteint. Etant donné que le gouvernement du Ca­
meroun figure au nombre des pays dont l’indice de per­
ception de la corruption selon Transparency Internatio­
nal est parmi les pires, il aurait été bon de connaître la
destination exacte de ces fonds. En réalité, la dégrada­
tion de l’environnement, telle que la pollution des puits
d’eau potable, a eu des effets hautement négatifs sur la
subsistance des communautés locales. Les programmes
de compensation étaient particulièrement inadéquats.
Au Cameroun, un Plan pour les populations autochtones
sensé protéger les plus vulnérables, c’est-à-dire les com­
munautés pygmées Bagyeli/Bakola qui vivent dans les
forêts traversées par la section sud du pipeline, n’a ja­
mais été instauré.
b) Des sauvegardes sociales et environnementales
Selon l’IEG, “…la participation du GBM était cruciale pour
assurer une gestion satisfaisante de l’impact social et environnemental qu’aurait la construction de l’oléoduc et le
développement de l’exploitation pétrolière.”30 En effet, le
28 BICC Brief Nº 41, p. 64.
29Miankéol, Djéralar (BER): Utilisation des revenues pétro­
liers issues des 5% alloués à la région productrice: Ana­
lyses – Enseignement – Perspectives. March 2010.
30 Rapport de l’IEG, p. 9
12
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
GBM a insisté pour mettre en place une évaluation ap­
profondie de l’impact environnemental ainsi qu’un plan
de gestion environnementale. Mais encore une fois, la
réalité est venue altérer ce qui semblait être une bonne
idée sur le papier. L’IEG n’a apparemment pas tenu
compte des découvertes du propre Panel d’Inspection de
la Banque Mondiale.
plan d’atténuation du risque aurait largement contribué
à protéger une population vulnérable.
Le Panel d’Inspection a réalisé des enquêtes indépen­
dantes sur les possibles violations des politiques de sau­
vegarde sociale et environnementale et a publié son rap­
port sur le Tchad (2002), puis sur le Cameroun (2003).
Les conclusions du Panel d’Inspection concernant le
Tchad incluaient:
Le rapport de l’IEG reconnaît que les réglementations
environnementales en vigueur sur les zones d’extrac­
tion pétrolières, l’oléoduc et les secteurs d’opérations
pétrolières n’ont pas été approuvées par les gouverne­
ments tchadien et camerounais. Pas plus que les plans
nationaux pour répondre aux déversements d’hydrocar­
bures.33
• violation de la politique d’évaluation environnemen­
tale de la Banque car un projet de cette ampleur et de
cette envergure aurait requis une évaluation environ­
nementale régionale et cumulative;
• violation de la politique portant sur les consultations,
puisque les premières consultations ont été tenues en
présence de forces de sécurité;
• Mesures insuffisantes pour atteindre les objectifs de
réduction de la pauvreté.31
Au Cameroun, le Panel d’Inspection a été particulière­
ment préoccupé par le manque d’une part, de données
de référence sur la santé publique, et d’autre part, d’une
évaluation plus large des risques de santé posés par le
projet, particulièrement pour ce qui concerne la propa­
gation du VIH/SIDA le long du couloir emprunté par le
pipeline. Il a considéré que cela était également une vio­
lation de la politique de la Banque Mondiale.32
Il était déjà réputé à l’époque que le VIH/SIDA en
Afrique tend à se diffuser le long des principaux cou­
loirs de transport, comme celui créé par l’oléoduc. Le
mouvement associé à la migration de la main d’œuvre
vers des zones éloignées aurait constitué un facteur de
risque supplémentaire. Selon le Panel d’Inspection, un
31Le Panel d’Inspection de la Banque Mondiale, Rapport
d’enquête du Panel d’Inspection (INSP/R2002-0003), 23
juillet 2002.
32Le Panel d’Inspection de la Banque Mondiale, Rapport
d’enquête du Panel d’Inspection, Cameroun: projet de
développement pétrolier et d’oléoduc et projet de gestion
environnementale dans le secteur pétrolier, Rapport No.
25734, mai 2003.
Outre le Panel d’Inspection, des observateurs extérieurs
au projet (ECMG et GIC) ont rapporté de nombreux cas de
problèmes sociaux et environnementaux qui étaient en
violation avec les politiques de sauvegarde.
Les seules parties susceptibles d’accorder à ce projet un
passeport environnemental irréprochable sont des enti­
tés autocontrôlées, telles que les sociétés de transport
d’hydrocarbures comme la COTCO et la TOCTO, ou l’EEP­
CI, qui est la compagnie représentant Exxon Mobil (Es­
so) au niveau local. Puisqu’il n’existe pas de suivi gou­
vernemental des impacts sociaux et environnementaux
au Tchad comme au Cameroun, le Groupe Indépendant
d’Évaluation et les entreprises qui lui sont associées sont
les seules à être présentes sur toutes les zones pétrolières
et le long du couloir emprunté par le pipeline.
c) Les moyens de subsistance dans la région d’extraction du pétrole et le long du couloir du pipeline
Un plan de développement régional devait garantir que
5 % du revenu pétrolier dédié à la région d’extraction du
pétrole seraient utilisés pour assurer le bien être de ceux
qui subissaient les impacts du projet. En 2000, le docu­
ment de référence sur lequel le Conseil fonde sa décision
d’accepter ou non ce projet, stipule qu’un plan de déve­
loppement régional participatif était déjà en cours d’éla­
boration. Dix ans plus tard, le plan de développement ré­
gional n’est toujours pas entré en vigueur.34 À la place
existe un Comité provisoire en charge de la gestion des
revenus pétroliers affectés à la région de production de
33 Rapport de l’IEG, p. 34.
34Banque Mondiale, Tchad-Cameroun: Projet de dévelop­
pement pétrolier et d’oléoduc, Document d’évaluation
du projet, 20 avril 2000.
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
pétrole. Bien qu’il ait été incapable de rassembler des
informations détaillées du projet, le rapport de l’IEG a
considéré que cette mise en œuvre était relativement sa­
tisfaisante. Il est toutefois possible de supposer que la
découverte de l’IEG sur le fait que “Les réglementations
sur la gestion financière ont été régulièrement bafouées et
un nombre croissant de marchés publics ont été octroyés à
une entreprise unique ”35, affecte également les revenus
alloués à la région d’extraction du pétrole.
Le rapport de l’IEG mentionne que le projet prévoyait des
programmes d’indemnisation des communautés locales
avec des aides au micro-développement en nature et des
dons aux communautés, telles que des classes d’école et
des centres d’examens de santé.36 Est-ce qu’il se réfère
ici aux classes au coût exorbitant et aux centres de santé
non fonctionnels préalablement cités?
Même si les dirigeants ne sont pas à proprement parler
tenus responsables par les populations locales et que la
voix de ceux affectés par le projet sont largement ab­
sentes, le rapport de l’IEG note que les priorités des au­
tochtones n’ont pas été considérées dans les mesures
sensées leur profiter: “Toutefois, les décisions d’investissement n’ont pas répondu adéquatement aux véritables
demandes issues des communautés; améliorer cette réactivité devra être un objectif majeur dans le futur.”37
L’empreinte globale du projet s’accroît tout comme le
nombre de puits de pétrole a augmenté bien au delà
de celui estimé par le Plan de gestion environnemen­
tale. Le rapport de l’IEG mentionne les conclusions d’un
autre rapport, celui de Barclay-Koppert, qui avait éta­
bli par voie de conséquence, que le projet avait échoué
dans sa tentative de minimiser son impact sur la terre
et que la récupération de cette terre après la construc­
tion pour la rendre aux fermiers locaux continuait à être
un problème; de même, les mesures de restauration des
moyens de subsistance telles que la formation agricole
étaient inadéquates car elles ne pouvaient restaurer les
moyens de subsistance locaux.38
35 Rapport de l’IEG, p. 8.
36 Rapport de l’IEG, p.15.
37 Rapport de l’IEG, p. 21.
38 Rapport de l’IEG, p. 33.
13
Ces problèmes restent irrésolus à ce jour. Les familles
pauvres qui perdent ne serait-ce qu’une infime partie de
leur terre voient leurs moyens de subsistance irrémédia­
blement affectés, les femmes et les enfants étant ceux
qui en souffrent le plus.
Aux vues de l’iniquité des forces entre les fermiers pui­
sant leurs ressources localement et le consortium mené
par Exxon Mobile, il ne devrait pas être surprenant que
“…malgré un important programme de diffusion de l’information, certains intervenants locaux continuent à penser que plus de communication est nécessaire.” 39
Au Cameroun, le long du couloir emprunté par le pipe­
line et sur la côte voisine de Kribi, la principale plainte
émise par les communautés de paysans et de pêcheurs
locaux concerne l’insuffisance des indemnités. La Stra­
tégie d’aide au pays du GBM pour le Cameroun a noté en
2003 que: “…la responsabilité et la transparence dans
l’utilisation des ressources publiques sont insuffisantes, le
peu de ressources récoltées étant mal alloué aux secteurs
prioritaires.”40 Les revenus et taxes en transit du Came­
roun et issus du projet ont été généralement versés au
budget général de l’Etat; il était attendu que le gouver­
nement les utiliserait pour réduire la pauvreté.
Ce sont encore une fois les femmes et les enfants qui
souffrent le plus lorsque l’économie de subsistance de
laquelle ils dépendent est perturbée. Des problèmes lar­
gement documentés sur la pollution des puits d’eau po­
table, la faible qualité des biens donnés en compensa­
tion de la perte de terre ou des moindres prises de pois­
sons, favorisent l’aggravation de l’appauvrissement.
d) Les populations autochtones
Les Consignes opérationnelles pour les populations au­
tochtones de la Banque Mondiale (OD 4.20) sont conçues
pour promouvoir un développement respectueux des
droits des populations autochtones. Il requiert leur par­
ticipation active dans l’élaboration d’un plan pour les
populations autochtones.
39 Rapport de l’IEG, p. 33.
40La Banque Mondiale, Stratégie d’aide à la République du
Cameroun, 14 août 2003, p.7.
14
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
En 2001, la COTCO, l’une des compagnies locales d’Exxon
Mobile, a versé 3,5 millions de dollars à la FEDEC, une
fondation camerounaise. Ces fonds devaient prétendu­
ment servir au financement de projets tenus d’assurer la
conformité avec les politiques de sauvegarde de l’habi­
tat naturel et des populations autochtones de la Banque
Mondiale.
Outre le financement de la mise en œuvre du Plan pour
les populations autochtones, la FEDEC était également
responsable de la création de deux parcs naturels (Cam­
po Ma’an et Mbam-Djerem) afin de compenser la perte de
biodiversité occasionnée par la construction de l’oléo­
duc.
Un plan pour les populations autochtones avec la par­
ticipation des communautés pygmées Bagyeli et Bako­
la n’a jamais été développé. Les populations pygmées
au Cameroun souffrent de discrimination et sont mises
au ban de la société. Leur possibilité de cueillettes et de
chasse dans les forêts traversées par le pipeline ont été
profondément affectées.
La FEDEC a très peu fait pour eux et la fondation est pour
ainsi dire en faillite. Le rapport de l’IEG mentionne la
proposition de la COTCO et de la SFI pour injecter de nou­
veaux capitaux, mais jusqu’ici aucune décision n’a été
prise.
Le rapport de l’IEG reconnaît que les problèmes de ges­
tion et de financement de la FEDEC sont susceptibles
d’avoir de sérieuses retombées négatives pour les popu­
lations autochtones et les deux parcs.
Aux vues des problèmes majeurs et irrésolus, il est dif­
ficile de comprendre pourquoi le rapport de l’IEG au­
rait estimé que les résultats tant au niveau social qu’en­
vironnemental du projet de pipeline lors de la phase de
post construction au Cameroun aient été satisfaisants et
en accord avec les mesures de sauvegarde du GBM.41
4. Suivi de la conformité sans
précédent, mais à que escient?
concernant son développement plus large et les dimen­
sions de la gouvernance. Le Groupe Externe du Suivi de
la Conformité Environnementale (ECMG) travaillait pour
le compte de la Société Financière Internationale (SFI),
la branche en charge pour le GBM du secteur privé, tan­
dis que le Groupe International Consultatif (GIC) repré­
sentait les branches de l’institution en charge des prêts
pour le secteur public, nommément la Banque Inter­
nationale pour la Reconstruction et le Développement
(BIRD) et l’Association Internationale pour le Dévelop­
pement (AID). D’Appolonia S.p.A., un groupe privé de
conseil basé en Italie a réalisé le travail de l’ECMG tan­
dis qu’un groupe d’experts indépendants emmené par
l’ancien premier ministre sénégalais Mamadou Lamine
Djoum était responsable de l’AID.
Le rapport de l’IEG considère que l’instauration de ces
entités était l’une des caractéristiques positives de ce
projet et recommande qu’elle soit reproduite lors d’in­
terventions bancaires complexes et importantes à l’ave­
nir.42
En effet, la création du système de suivi externe était
l’une des caractéristiques hautement innovante et po­
sitive du projet. L’expertise des observateurs a aidé à
combler des vides cruciaux sur la connaissance de l’im­
pact du projet, telles que la gestion du contrôle des pous­
sières et des déchets toxiques, l’expropriation terrienne,
la santé publique et les compensations en cas de perte
des moyens de subsistance.
La question à poser est pourquoi ces précieux rapports
de suivi n’ont eu qu’un impact marginal sur le résultat
du projet et comment il convient de manière générale de
renforcer les systèmes de suivi pour qu’ils puissent rem­
plir leur promesse à l’avenir.
Le GIC a effectué de manière répétée des recommanda­
tions de rapport en rapport sur de sérieux problèmes
mais sans parvenir à obtenir de résultats tangibles.
Le Groupe de la Banque Mondiale (GBM) a établi deux
entités externes pour effectuer le suivi des impacts so­
ciaux et environnementaux du projet ainsi que celui
Dans l’un de ses premiers rapports, le GIC a effectué une
mise en garde sur le sérieux danger “d’un projet à deux
vitesses” dans lequel les composantes dures comme la
construction du pipeline progresseraient rapidement
tandis que les composantes molles tel que le renforce­
41 Rapport de l’IEG, p. 32
42 Rapport de l’IEG, p. 27.
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
ment des capacités, seraient déplorablement à la traîne.
43
Le GIC a requis un arrêt des activités de construction
jusqu’à ce que les composantes du projet conçues pour
assurer la viabilité sociale et environnementale du projet
en soient au même niveau d’avancement. Malheureuse­
ment, à l’instar de nombreuses autres recommandations
effectuées par le GIC, celle-ci n’a pas du tout ou peu été
suivie.
Un exemple de l’ECMG est son avertissement précoce sur
l’inefficacité continue de la FEDEC, la fondation créée
pour répondre aux exigences des politiques opération­
nelles de la Banque Mondiale sur les habitats naturels
(OP 4.04) et les populations autochtones (O.P.4.20).
L’ECMG a déclaré que l’échec de cette incapacité à ré­
pondre aux politiques de la Banque pouvait être consi­
dérée comme une non-conformité flagrante avec les en­
gagements du PGE; il notait également que pas assez de
personnel et de ressources n’étaient alloués au PGE dans
la région des champs d’extraction pétrolière.44
L’efficacité d’un système de suivi externe dépend des ré­
ponses apportées dans les délais à ses conclusions. Dans
le futur, le GBM devrait systématiquement et publique­
ment reconnaître les conclusions et recommandations
de ses observateurs, travailler avec ses clients à la réso­
lution des problèmes et faire la synthèse sur les moyens
mis en œuvre pour les solutionner.
5. La contrefactualité contre une
responsabilité unique
L’IEG utilise un scenario contrefactuel pour prétexter
que l’augmentation du prix du pétrole après l’an 2000
aurait sans aucun doute fait que le projet aurait vu le
jour même sans le soutien de la Banque Mondiale, bien
que peut être seulement un ou deux ans plus tard. L’IEG
déclare que si cela était arrivé, ni les sauvegardes so­
ciales et environnementales, ni les attributions des re­
venus aux secteurs prioritaires n’auraient été aussi sui­
43Groupe International Consultatif, Rapport de la première
mission (septembre 2001) et Rapport de la deuxième
mission (décembre 2001). Tous les rapports du GIC peu­
vent être consultés à l’adresse www.gic-iag.org).
44D’Appolonia, Rapport du Groupe Externe de Suivi de la
Conformité, Deuxième visite du site – après achèvement
du projet, novembre 2005.
15
vies sans la participation du GBM. Selon l’IEG, “En ce
sens, l’implication de GBM a constitué une contribution
positive.”45
En menant cet argument à sa conclusion logique, cela re­
vient à dire qu’aucun projet n’est jamais suffisamment
mauvais pour que le GBM décide de ne pas s’impliquer,
car le rôle qu’il y jouera sera toujours synonyme d’amé­
liorations mineures. On est largement en droit de se de­
mander si la meilleure utilisation de ressources rares est
de financer le développement.
On ne saura jamais si ce projet serait né plus tard si le
GBM n’avait pas joué un rôle de catalyseur pour en ar­
ranger le financement. Les compagnies pétrolières pré­
fèrent souvent le développement pétrolier off-shore
comme dans le Golfe de Guinée qui ne laisse pas courir de
risques politiques aux zones d’exploitation pétrolières
par rapport aux pipelines terrestres qui sont souvent
soumis à ce genre de problèmes. Le fait est que la direc­
tion de la Banque avait fait du faible montant d’investis­
sements nécessaires pour parvenir à catalyser une entre­
prise multimilliardaire, un argument de vente auprès de
son Conseil d’administration – dont plusieurs membres
doutaient de l’implication de la Banque dans ce projet.46
Comme le rapport de l’IEG l’explique, le financement to­
tal du GBM de 337.6 millions de dollars a contribué à seu­
lement 9 % du coût estimé à l’origine à 3.7 milliards de
dollars et à 5 % du coût actuel de 6.5 milliards de dol­
lars.47 En effet, mais le consortium d’hydrocarbures avait
clairement annoncé qu’il ne s’engagerait pas plus avant
sans les garanties de risques fournies en raison même de
la participation du GBM. La Banque Européenne d’In­
vestissement, la Banque Américaine fédérale d’ImportExport et une multitude d’autres institutions de prêts
ont également uniquement participé au financement du
projet en raison du “confort” que procurait la présence
du GBM.
Il existe indéniablement une responsabilité du GBM qui
ne doit pas être écartée avec des arguments tel que “le
45 Rapport de l’IEG, p. xiv.
46Banque Mondiale, Tchad-Cameroun: Projet de dévelop­
pement pétrolier et d’oléoduc, Document d’évaluation
du projet, 20 avril 2000, p. 22.
47 Rapport de l’IEG, p. 3
16
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
projet aurait de toutes les façons vu le jour.” En outre, cette
responsabilité a une incidence sur le futur. L’une des pro­
messes clé du projet, entérinée par les accords de projet et
de prêts de la Banque, est que tout hydrocarbure passant
par le pipeline serait soumis aux mêmes normes environ­
nementales et sociales que dans le projet original.
Le Tchad a maintenant créé une compagnie pétrolière
nationale et encouragées par l’existence du pipeline,
d’autres compagnies sont apparues dans le pays. L’IEG
déclare que “Le pays n’a pas de capacité indépendante
pour effectuer le suivi du secteur pétrolier.”48 Il est impos­
sible de dire si le GBM se sert de sa présence continue au
Tchad et du rôle persistant de la SFI dans le projet pour
s’assurer que cette clause précise établie dans l’accord
de prêt initial soit respectée. Tolérer la violation de ces
accords légaux créerait un précédent préjudiciable.
6. Leçons pour le futur: Revoir l’Examen
des Industries Extractives
C’est par ses propres mots que l’on peut le mieux résu­
mer les conclusions de l’IEG “La logique était exemplaire
– si l’on omet les faiblesses découvertes à chaque maillon
de la chaîne.”49
L’IEG conclut à juste titre que le manque d’implication
du gouvernement tchadien a été la raison ultime de
l’échec cuisant de ce projet. La direction de la Banque a
démontré sa naïveté délibérée en croyant que l’afflux de
vastes revenus pétroliers aiderait le Tchad à affirmer sa
gouvernance.
L’expérience du projet Tchad-Cameroun illustre l’im­
portance de réaliser une analyse détaillée de la poli­
tique économique d’un pays avant de s’engager à ef­
fectuer des investissements qui comportent de grands
risques pour sa population. La répartition du pouvoir au
sein d’un pays et l’accès de ses citoyens, notamment les
pauvres, à la justice, doivent être des considérations dé­
terminantes si l’objectif recherché est la réduction de
la pauvreté. En outre, ce n’est que dans des conditions
de gouvernance respectueuses des droits fondamen­
taux de l’homme qu’une mise en œuvre efficace des po­
litiques de sauvegarde du GBM peut avoir lieu. Ces po­
litiques de sauvegarde requièrent une participation et
48 Rapport de l’IEG, p.25.
49 Rapport de l’IEG, p. 38.
une consultation significatives, qui s’agrémentent mal
d’un contexte de peur et d’intimidation dominante en
raison des violations répétées des droits de l’homme.
Le rapport de l’IEG contient d’importantes leçons pour
l’avenir. Certaines d’entre elles reflètent des recomman­
dations effectuées par l’Examen des Industries Extractives
(EIR) commissionné par la Banque Mondiale – évaluation
indépendante menée pendant trois années sur l’impact
du soutien au développement pétrolier, gazier et minier –
qui a publié son rapport en décembre 2003. L’EIR a produit
un effort plus global. Ses recommandations étaient d’une
portée considérable et il n’a pas hésité à demander des ré­
formes en profondeur, même au GBM.
Ses recommandations centrales tournent autour de la
gouvernance, de la transparence, de la capacité à gérer
l’impact environnemental et des droits de l’homme. Elles
comprennent:
Le besoin d’une approche séquencée des industries ex­
tractives: S’assurer que les capacités à faire face aux im­
pacts sociaux et environnementaux et à gérer de façon
transparente et équitable des ressources, soient en place
avant que les investissements ne soient effectués;
Le besoin d’établir des bases claires et de mettre en place
des systèmes de suivi participatifs afin de vérifier l’im­
pact du projet sur la réduction de la pauvreté, et en prê­
tant particulièrement attention aux femmes;
Les projets ayant une incidence sur les terres, les terri­
toires et les ressources des populations autochtones ne
devraient pouvoir progresser sans leur participation et
leur consentement libre et préalable;
La mise en place de mécanismes de réclamations permet­
tant le règlement équitable et juste dans les meilleurs
délais.
En ce qui concerne la culture interne au GBM, l’EIR
conclut que l’institution ne semble pas être conçue pour
contribuer efficacement à la réduction de la pauvreté au
travers d’un développement durable.50 Il recommande
50Examen des Industries Extractives, A la recherche d’un
juste milieu, Le Groupe de la Banque Mondiale et les in­
dustries extractives, Rapport final, décembre 2003, p. 46.
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
17
l’instauration de primes pour le personnel qui récom­
penseraient les employés en fonction des résultats ob­
tenus dans la lutte pour la réduction de la pauvreté et la
protection de l’environnement.
Gary, I. and Reisch, N., Chad’s Oil: Miracle or Mirage? Following the Money in Africa’s Newest Petro-State, Catho­
lic Relief Services, Bank Information Center, February
2005.
L’ancien Département de l’Évaluation des Opérations –
devenu l’IED – a rendu publique une étude en 2004 qui
synthétise bien les risques liés aux projets d’industries
extractives:
Harvard Law School Human Rights Program, Managing
Oil Revenues in Chad: Legal Deficiencies and Institutional
Weaknesses, Cambridge, MA, October 13, 1999.
“Si le progrès consistant à attirer les investissements dépasse le progrès visant à établir les préalables de la gouvernance dans le but d’un bon développement des résultats, la Banque risque de favoriser le gaspillage des nouvelles ressources renouvelables et également de contribuer
aux dommages environnementaux, à la violence et à l’affaiblissement de la qualité de la gouvernance.”51
Ces risques sont devenus une réalité dans le projet TchadCameroun. Le GBM doit fondamentalement repenser son
approche des industries extractives et d’autres projets à
hauts risques, si ce type d’investissements doit être plus
qu’un coup de pocker imprudent avec la vie des pauvres.
7. Lecture additionnelle:
Collier, P., The Economic Causes of Civil Conflict and Their
Implications for Policy, The World Bank, June 15, 2000.
Extractive Industries Review, Striking a Better Balance,
The World Bank Group and Extractive Industries, Final Re­
port, December 2003,
Exxon Mobil, La Route de l’Espoir – Le Pétrole illumine
l’avenir économique du Tchad et du Cameroun, The Lamp,
Irving, Texas, 2002.
Frank, C. and Guesnet, L,. “We were promised development and all we got is misery” – The Influence of Petro­
leum on Conflict Dynamics in Chad., Bonn International
Center for Conversion, BICC Brief Nº 41, 2009.
51Département de l’Évaluation des Opérations, “Évaluation
des activités du Groupe de la Banque Mondiale dans les
industries extractives – l’affacturage dans les gouver­
nances,” Washington, D.C. 1er septembre 2004, p. 15.
Independent Evaluation Group, The World Bank Group
Program of Support for the Chad-Cameroon Petroleum Development and Pipeline Construction, Report Nº 50315,
The World Bank Group, November 20, 2009
Jobin, W., Health and Equity Impacts of a Large Oil Development Project in Africa, Bulletin of the World Health Or­
ganization, 81 (G), 2003.
Horta, K., Nguiffo, S. and Djiraibe, D., The Chad Cameroon Oil and Pipeline Project: Putting People and the Environment at Risk, September 1999
Horta, K., Nguiffo, S. and Djiraibe, D., The Chad-Cameroon Oil & Pipeline Project – A Project Non-Completion Report, April 2007.
Koczy, U. (MP) and Kofler, B. (MP), Report on Fact Finding Mission to Chad and Cameroon, January 19 – 27,
2007. Presented to the Parliamentary Committee on
Economic Cooperation and Development, Berlin, Ger­
many.
Miankéol, Djéralar (BER): Utilisation des révenues pétro­
liers issues des 5% alloués à la région productrice: Ana­
lyes – Enseignement – Perspectives. March 2010.
Operations Evaluation Department, Evaluation of the
World Bank Group’s Activities in the Extractive Industries
– Factoring in Governance,” Washington, D.C. September
1, 2004
Petry, M. and Bambé, N., Le pétrole du Tchad, Rêve ou
cauchemar pour les populations? Éditions Khartala, Pa­
ris, 2005.
World Bank, Chad-Cameroon: Petroleum Development
and Pipeline Project, Project Appraisal Document, April
20, 2000,
18
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
The World Bank Inspection Panel, Inspection Panel In­
vestigation Report (INSP/R2002-0003), July 23, 2002.
World Bank Inspection Panel, Inspection Panel Investigation Report, Cameroon: Petroleum Development and Pipeline Project and Petroleum Environment Capacity Enhancement Project, Report No. 25734, May 2003.
8. Abréviations
COTCO
CTNSC
ECMG
EEPCI
EIR
PGE
FEDEC
GIC
BIRD
AID
IEG
SFI
FMI
ZDCP
CPSP
TOTCO
GBM
Cameroon Oil Transportation Company
Comité Technique National de Suivi et de
Contrôle (Tchad)
Groupe Externe du Suivi de la Conformité
Environnementale
Esso Exploration and Production Chad, Inc.
Examen des Industries Extractives
Plan de Gestion Environnementale
Fondation pour l’Environnement et le Déve­
loppement au Cameroun
Groupe International Consultatif
Banque Internationale pour la Reconstruc­
tion et le Développement
Association Internationale pour le Dévelop­
pement
Groupe Indépendant d’Évaluation
Société Financière Internationale
Fond Monétaire International
Zone de Développement des Champs Pétro­
liers
Comité de Pilotage et de Suivi des Pipelines
(Cameroun)
Chad Oil Transportation Company
Groupe de la Banque Mondiale
9. Annex
Annex A: Position Paper CPPL ‘Réaction de la CPPL sur les
rapports d’évaluation de l’IEG
C.P.P.L
COMMISSION PERMANENTE
PETROLE LOCALE
BP 10 TEL 269 13 27 MOUNDOU
E-MAIL: [email protected]/[email protected]
REACTIONS DE LA CPPL SUR LES RAPPORTS D’EVALATUATION DE L’IEG
Remarques d’ordre général:
Le document est un commentaire de Korinna Horta sur
le rapport d’évaluation rétrospective de la performance
du programme du Groupe Indépendant d’Evaluation
(IEG). C’est son point de vue qui est exprimé par rapport
à ce document. Nous lui faisons confiance. Mais si c’était
encor la synthèse du rapport s’allait être mieux et per­
mettra à chacun de se prononcer sur le document. Les
commentaires faites par Korinna sont largement parta­
gés par les membres du réseau. Le document est un tra­
vail d’analyse à partir du rapport de l’IEG. C’est plus ou
moins les situations que nous dénonçons dans nos ac­
tions de tous les jours au niveau local.
Les remarques sur le document de Korinna
D’emblée, nous nous réjouissons de la publication de
cette évaluation rétrospective faite par la Banque Mon­
diale à travers l’étude de l’IEG et du commentaire faite
par Korinna. D’une manière générale, plusieurs conclu­
sions auxquelles l’évaluation est arrivée sont des points
de vue exprimés par la société civile tchadienne à son
temps sur ce projet. Il s’agit surtout de:
• les moyens de subsistance dans la région d’extraction
du pétrole
Le Groupe de la Banque Mondiale et le Projet d’exploitation pétrolière et d’oléoduc Tchad-Cameroun
La Banque mondiale et le Gouvernement Tchadien ne
sont pas capables de donner à l’heure actuelle des indi­
cateurs de réduction de pauvreté par rapport au projet
dans la zone pétrolière. Les communautés à la base sont
celles qui vivent de plus prêt les conséquences de l’éco­
nomie pétrolière. En effet installées au cœur des infras­
tructures ou du moins cernées par ces installations, elles
ont vu leurs modes et conditions de vie évoluer au gré
du temps. Toutes actions de développement à leur inten­
tions, devrait pouvoir se fonder sur ces changements à
l’œuvre sur le terrain et donc se fonder sur des informa­
tions actualisées sur la réalité et les manifestations de la
pauvreté, telle que les populations la vivent et la conçoi­
vent. Cependant, l’existence de telles sources d’informa­
tion ou leur accès ne semble pas évident dans le contexte
tchadien. En effet, la collecte et la publication régulière
d’informations et d’indicateurs pouvant permettre d’ap­
précier et de mesurer la pauvreté des populations man­
quent. Ce déficit d’informations n’est point de nature à
favoriser une prise de décision et une planification effi­
cientes.
La Question du Plan de développement Local (PDR) qui
a été financé par la Banque Mondiale et a vu la partici­
pation maximum de la population de la zone pétrolière
et des organisations de la société civile reste sans suite
dans les tiroirs du ministère du Plan. La Banque mon­
diale en complicité avec le Gouvernement n’a pas réa­
gi et à laisser le Gouvernement utiliser les 5% des res­
sources destinés à la région productrice sans chercher
à connaître les besoins prioritaires des populations lo­
cales.
Nous ne voyons pas d’éléments concrets sur le soutien
au secteur privé pour un développement durable dans ce
projet.
• sauvegardes environnementales
Nous sommes d’accord avec les concluions du Panel
d’Inspection sur la situation environnementale. Depuis
2003, que la Banque Mondiale a été avertie par le Panel,
sur les violations de la politique environnemental mais
aucune mesure n’a été prise à l’encontre de l’opérateur
Esso. Aucune structure indépendante de contrôle et sur­
veillance sur le terrain avec les compagnies pétrolières
à l’heure actuelle. A moins de 10 ans de production plu­
sieurs cas de déversements accidentels d’hydrocarburés
avérés ont été signalés.
19
La politique d’évaluation environnementale de la
Banque Mondiale a été mise à mal, mais la elle n’a pas
réagi face à cette violation.
La zone pétrolière est devenue aujourd’hui le cimetière
des déchets de tous genres.
Suggestions/interrogations:
Qu’est ce que la Banque Mondiale propose concrètement
pour redresser les tirs? Autrement dit qu’est ce qu’elle
fera de ces différentes recommandations et conclusions
de cette évaluation? Si le projet n’a pas atteint son ob­
jectif principal consistant en la réduction de la pauvreté,
quelles sont les mesures correctives que la Banque Mon­
diale preconisent pour ne pas que d’autres projets de ce
genre ratent les cibles comme au Tchad?
Que fera –t-elle (la Banque Mondiale) des milliers des
paysans sans terres qui vivent dans une situation de pau­
vreté sans égale à Maikeuri, Ngala, Bendoh, Mouarom,
Bolobo, Moundouli, Dildo, Dokaidilti, MBANGA, NDABA
et autres? Car C’est d’elle que cette situation est arrivée. Pour nous, La Banque Mondiale a connu un crime dans la
zone pétrolière de Doba au Tchad. Sans elle, ce projet n’a
pas lieu et les paysans ne seront pas dans cette situation
inhumaine. Nous tenons la Banque Mondiale de respon­
sable des situations des violations des droits humains et
autres dérapages qui sont commises par les agents de sé­
curités des compagnies pétrolières dans la zone.
La Banque Mondiale n’a pas pour mission selon nous de
lutter contre la pauvreté mais plutôt de distribuer des
prêts.
N’y a t- il pas de possibilités judiciaires/juridiques d’in­
tenter une action en justice contre la banque Mondiale
pour ce projet?
Pour nous, une campagne d’information dans tous les
34 cantons de la zone du projet est nécessaire pour in­
former les chefs des cantons, les chefs des villages, les
leaders d’opinions locaux, et toute la population de la
zone que, la banque Mondiale a échoué dans ce projet et
qu’elle a reconnut que l’objet du projet n’est pas atteint.
Arbeitsgruppe Tschad / Groupe Tchad
Menschenrechte – Rohstoffe – Friedensarbeit
Droits de l’homme – Industries extractives – Promotion de la Paix
Mentions légales:
Groupe Tchad
Chausseestraße 128/129
D-10115 Berlin
Allemagne
Coordination:
Claudia Frank
Phone: +49 030 30 87 44 58
Fax: +49 030 20 09 54 64
E-Mail: [email protected]
www.erdoel-tschad.de
Maquette:
Henry Zimmer
Photos:
Archives Groupe Tchad
Photo village: Joerg Siebert, Misereor
Référence bancaire:
EIRENE International
KD Bank eG
IBAN DE 69 350 601 90 10 11 348 013
BIC/SWIFT GENO DE D1 DKD
Avril 2010
Members of the Group Chad / Mitglieder der Arbeitsgruppe Tschad / Les membres du Groupe Tchad: Afrika e.V. Münster/W.,
amnesty international, Bonn International Center for Conversion, Brot für die Welt, Diakonie, EIRENE International, FIAN,
Kurve Wustrow, Initiative Pro Afrika, Lernen – Helfen – Leben, Misereor und Urgewald.
Financial support / Finanziell unterstützt von / Soutenue financièrement par: Brot für die Welt, Evangelischer Entwicklungsdienst, MISEREOR und EIRENE International (Träger)
Afrika e.V.
Münster/W.
Menschenrechte
KURVE Wustrow