L`analyse du système d`acteurs - Centre de ressource et d`échanges
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L`analyse du système d`acteurs - Centre de ressource et d`échanges
crdsu_int_36 25/10/04 15:05 Page 13 L’analyse du système d’acteurs : une approche pour évaluer une politique éducative territoriale 24 Une des dérives est bien de réduire le coordonnateur à un rôle de suivi administratif, financier et de programmation des actions, sans lui permettre d’assurer l’analyse de l’existant, la réflexion partagée avec les acteurs éducatifs, les propositions aux élus. Bien sûr, avant d’être force de proposition, le coordonnateur doit connaître l’ensemble des actions, des acteurs, des dispositifs. Il doit faire sa place sur le terrain des politiques éducatives locales. Peut-être l’intitulé de « coordonnateur » renvoie-t-il trop à la seule gestion des dispositifs ? Ne faudrait-il pas parler d’un chef de projet éducation, comme on parle d’un chef de projet contrat de ville ou d’un chef de projet PLIE ? Le PEL intéresse l’État parce qu’il est au cœur d’un débat de société lié à l’éducation partagée, la parentalité, l’échec scolaire, aux problèmes de comportement, de discipline et de violence chez certains jeunes, au vivre ensemble dans les quartiers entre les générations… Tout cela dans un contexte de décentralisation. C’est pour cela que le coordonnateur du PEL doit faire des questions d’éducation sa spécialité, son domaine d’expertise. Il doit se former, se documenter sur ce qui touche à l’école, au collège et à la famille. L’Inspection académique du Rhône a désigné des référents CEL par ville et par arrondissement pour Lyon (principaux de collèges et inspecteurs de circonscriptions du 1 er degré). Certes ces référents sont peu disponibles car ils n’ont pas de temps dégagé pour assurer cette fonction. Mais l’enjeu est de taille car, dans chaque ville, se dessine un binôme composé du coordonnateur du PEL et du référent CEL de l’Éducation nationale. Ensemble, ils peuvent faire avancer le projet éducatif local. En effet, il ne peut y avoir de projet éducatif local sans l’investissement fort de l’Éducation nationale aux côtés de la Ville. Pour cela, coordonnateur du projet et référent CEL de l’Éducation nationale doivent échanger d’égal à égal. On touche là un point-clé de la réussite d’une démarche de PEL, celui de la légitimité de la fonction du coordonnateur. L’animation du projet éducatif ne devrait-elle pas être du ressort d’un directeur ? D’autres diront que le pilotage du projet devrait revenir à l’élu. Quelle que soit la réponse, on aura du mal à déterminer le service ou l’élu de référence, tant la question de l’éducation est transversale. Ce coordonnateur, ce chef de projet éducation que le rapport Mouchard-Zay appelait de ses vœux, doit être qualifié, reconnu, puissant. En synthèse, plutôt qu’une mission idéale du coordonnateur de PEL, on retiendra plusieurs dimensions, dont l’organisation varie selon les villes et leur taille. Bien sûr, il coordonne les dispositifs CEL (incluant le CLAS) et CTL qui ciblent les 6-16 ans ; il prépare la programmation, suit les actions, les évalue. Il peut également contribuer au volet enfance et jeunesse du contrat de ville, au dispositif VVV, au REAAP. Il suit les liens entre les établissements scolaires et la Ville sur le plan éducatif ; à ce titre, il peut s’intéresser au projet d’école, au sport, au multimédia, aux événements culturels… Il se saisit des problématiques qui émergent : il peut lancer la réflexion sur la veille éducative (suivi des décrocheurs scolaires), s’intéresser à la santé des jeunes, aux relations filles-garçons, aux actions d’accompagnement scolaire, aux problèmes de langue des primo-arrivants… DANS LE RHÔNE, LA MISE EN RÉSEAU DES COORDONNATEURS Depuis deux ans, le Comité départemental des PEL du Rhône, – plus particulièrement la Préfecture et les deux Caf –, financent une mise en réseau départementale des coordonnateurs des PEL, des référents CEL de l’Éducation nationale et des chefs de projets du contrat de ville (soit en tout 120 personnes). Cette mise en réseau, animée par le cabinet Niagara, propose des rencontres mensuelles d’échange autour de thèmes comme la veille éducative, les liens entre le PEL et les Rep, les nouvelles formes d’accueil des jeunes… Les coordonnateurs apprécient cette mise en réseau. Leurs demandes sont de deux ordres : d’une part, réfléchir ensemble sur l’éducation, d’autre part, « voir ce qui se fait ailleurs », prendre des idées dans d’autres villes et être moins seuls. Il peut animer une commission extra-municipale de l’éducation. Il anime et nourrit le comité local du PEL qui doit composer le projet et le décliner en priorités annuelles. Et bien sûr, il conseille et nourrit les élus concernés. N’oublions pas, en conclusion, que les PEL visent à promouvoir la réussite et l’épanouissement des enfants et des jeunes et participent à la réduction des inégalités d’accès aux savoirs, à la culture et au sport. Les enfants et les jeunes des zones urbaines et rurales en difficulté sont en ce sens prioritaires. Les enfants et les jeunes d’aujourd’hui conduiront le monde de demain. ■ Jean-Michel LONGUEVAL La mise en œuvre des politiques éducatives locales repose sur un système d’acteurs complexe, qui doit pourtant parvenir à un compromis pour l’action. Corinne Masson, chargée de mission pour le volet éducation-formation du contrat de ville de l’agglomération grenobloise, souligne l’enjeu que représentent, lors de l’évaluation, la compréhension des stratégies des différents acteurs et l’analyse des rapports de force institutionnels au niveau local pour appréhender la façon dont les actions sont produites et pour dégager des pistes d’amélioration du partenariat. Depuis une vingtaine d’années, l’action publique se transforme et renforce le poids des collectivités territoriales dans la définition de politiques éducatives spécifiques : en effet, les lois de décentralisation marquent le territoire comme outil de mise en œuvre et de pilotage de politiques sociales. Le projet éducatif local permet de faire apparaître les priorités politiques dans le champ éducatif sur un territoire, le contrat devenant le dispositif de mise en œuvre d’un programme. La contractualisation pose la question du rapport entre l’État et les collectivités territoriales. En effet, toute évaluation d’une politique éducative met en relation deux actions : l’action nationale (celle des ministères) et l’action locale (celle des collectivités territoriales). Si concernant les politiques contractuelles, « l’État ne fait que fixer un cadre procédural, la construction du sens relevant du local 1 » qu’en est-il dans les faits ? Les acteurs peuvent sans cesse modifier, par leur action ou inaction, la mise en œuvre d’une politique contractuelle. Le contrat peut en effet être un simple instrument de programmation technocratique et financière ou une nouvelle forme d’action publique impliquant un travail de construction de sens. Quelle est la part des acteurs éducatifs dans l’élaboration et la mise en œuvre des programmes d’action? La question qui se pose lors de l’évaluation est finalement : quelles sont les stratégies des acteurs qu’ils soient administratifs, politiques ou représentants de la société civile ? ÉVALUER LE SYSTÈME D’ACTEURS POUR AMÉLIORER LE PARTENARIAT En observant les logiques locales, on voit apparaître une configuration d’acteurs au sein de laquelle s’établissent des rapports de force, des marges de manœuvre, de liberté et d’initiatives. Une clef pour comprendre ces relations est celle de l’analyse des systèmes d’acteurs. Les critères classiques de l’évaluation d’une politique ou d’un programme ne suffisent pas à rendre compte de la mobilisation des acteurs ni des modifications ou changements successifs apportés par ceux-ci tout au long d’un programme. Selon leur appartenance institutionnelle, les acteurs sont imprégnés de représentations sociales et de points de vue sectoriels qui influencent leurs logiques d’action. L’action de la Caf, de l’Éducation nationale ou celle de la Jeunesse et des sports, ne repose pas nécessairement sur les mêmes enjeux ni sur les mêmes compétences. L’évaluation apparaît alors comme l’occasion de créer du consensus, elle peut contribuer à une évolution positive du partenariat. Les divers systèmes de valeurs portés par les différents acteurs vont affecter le déroulement du programme d’action. La démarche d’évaluation est alors plus centrée sur les processus de médiation, et le premier temps de l’évaluation sera de recenser la pluralité des représentations en présence : celles des enseignants, des bénévoles, des animateurs, des élus locaux… UN RÉAJUSTEMENT CONTINU DES STRATÉGIES, Y COMPRIS EN INTERNE Toutefois, la sociologie a montré qu’il existe des logiques de pouvoir n’appartenant pas à l’autorité publique stricto sensu : il s’agit de la logique de l’acteur, de sa marge d’action par rapport au « décideur ». Pour les sociologues des organisations, les rapports humains sont toujours par essence potentiellement instables et conflictuels, parce qu’inscrits dans un univers de relations de pouvoir et de dépendance (rapports de force). L’organisation de l’action collective est alors vue comme la construction d’un ordre local, partiel, contingent et toujours provisoire, à travers la stabilisation et la structuration d’interactions entre des acteurs interdépendants. L’analyse du système de relations est fondamentale, car elle montre l’élasticité de l’organisation qui permet de mobiliser ou démobiliser les membres de son ressort. On peut faire l’hypothèse que la mise en œuvre d’un contrat repose sur un compromis local fait de tâtonnements selon des logiques de sens et d’action différentes. Ainsi, on observe au sein même de l’Éducation nationale des incompréhensions voire des cloisonnements ; cela est lié à la diversité des statuts et des fonctions qui la composent, avec des logiques de fonctionnement différentes (par exemple entre le premier et le second degré). Il est donc nécessaire que la transmission se fasse bien entre les acteurs de l’Éducation nationale, ce qui repose en partie sur Les cahiers du DSU Les cahiers du DSU décembre 2002 décembre 2002 Coordonnateur du projet éducatif local : un nouveau métier ? 25 crdsu_int_36 25/10/04 15:05 Page 14 Le positionnement de la Ligue de l’enseignement dans les PEL ? Entretien avec Éric Favey l’implication de niveaux intermédiaires de hiérarchie (notamment de l’inspecteur de l’Éducation nationale). Il paraît donc parfois difficile de mobiliser les acteurs de cette institution dans les démarches éducatives locales, souvent en raison d’une méconnaissance voire de désintérêt pour ces démarches, car elles sont peu lisibles et mal connues en interne, et donc ne font pas sens pour les personnes. Ce constat de cloisonnement et de manque d’appropriation des démarches ne vaut pas que pour l’Éducation nationale; les collectivités locales fonctionnent encore souvent de manière sectorielle. Tout comportement est actif (même la passivité), tout comportement a un sens dans le contexte où il s’inscrit. La stratégie développée n’est pas une volonté explicite avec des objectifs clairement formulés, mais une observation fine permet de repérer des régularités de comportements et de reconstruire la structure de pouvoir et les règles du jeu. Par exemple, il est observé que les relations entre les enseignants et les parents ne se font pas « d’égal à égal », les parents étant le plus souvent convoqués dans l’enceinte scolaire, voire à la grille de l’école. L’IMPORTANCE DES RÉSEAUX STRUCTURÉS Avec les politologues, on voit également émerger la notion de « réseaux » : cette idée provient du constat qu’un acteur n’agit pas isolé, mais dans un tissu complexe d’interactions, avec d’autres acteurs, un réseau. Dans cette optique, une partie des travaux transposent le concept de pouvoir à l’extérieur de l’organisation et s’intéressent à la manière dont celle-ci peut mieux contrôler ses adversaires, avec là encore des techniques qui rejoignent celles employées en matière de négociation. Par exemple l’appartenance de certains acteurs locaux à un réseau national va influencer leur stratégie. Dans la sphère éducative, il existe différents réseaux tels que celui des villes éducatrices ou de l’AMF (Association des maires de France) pour les élus ; celui de l’Andev (Association nationale des directeurs d’éducation des villes) pour les techniciens territoriaux ; celui des fédérations d’éducation populaire pour les associations de loisirs ; celui des fédérations ou des associations de parents d’élèves… La force de ces réseaux dépend en grande partie de la conviction et de l’adhésion de ses « éléments ». L’analyse de réseaux permet d’étudier le fonctionnement interne des organisations et les relations qu’elles entretiennent avec leur environnement. L’analyse stratégique propose un cadre d’analyse des règles permettant à l’action collective de se finaliser. Ainsi, les 26 approches des sociologues de l’innovation insistent sur l’art de l’intéressement et sur l’art de trouver les bons porte-parole pour promouvoir une action. Le terme de porte-parole est utilisé pour qualifier la personne qui se charge, pour son plus grand intérêt, de représenter les autres. En 1991, March et Simon démontrent qu’on ne peut éliminer l’affectivité, en réduisant tous les comportements humains à un schéma mécaniste simple, ni réduire l’efficacité organisationnelle à un sousproduit de bonnes relations humaines. Selon qu’il se trouve dans une sphère ou dans une autre (exemple : un parent d’élève qui est aussi enseignant ou un élu politique également directeur de collège), l’acteur n’occupe pas la même position, il ne s’appuiera pas sur les mêmes objets. Des choix s’opèrent en fonction des objectifs que l’acteur se donne, en correspondance avec son interprétation du monde. En conclusion, la décentralisation et la déconcentration modifient la façon dont les acteurs mènent leurs luttes et leurs alliances. Il est donc important de repérer et d’analyser les variables qui entrent en jeu dans la stratégie des acteurs et de comprendre leur rationalité à travers notamment la structuration des relations et la redistribution effective des pouvoirs. Observer à partir d’un territoire les relations qui se nouent autour d’objectifs concertés est une démarche qui vise à faire apparaître une réalité locale et à mettre en évidence la confrontation des systèmes de référence, des représentations et des valeurs. ■ Corinne MASSON 1. Francine Labadie, « L’aménagement des rythmes scolaires : une politique nationale territorialisée ou l’émergence de politiques de territoire ? » in revue Ville, école, intégration, n° 117, 1999, p. 113. La Ligue de l’enseignement, qui regroupe près de 33000 associations, souhaite jouer un rôle actif dans les projets éducatifs locaux. Éric Favey, secrétaire national, met en exergue deux modalités de cette implication : l’interpellation du politique pour instaurer un véritable débat laissant une place à chaque acteur (en particulier les parents et les jeunes), et l’aide au repositionnement des associations afin qu’elles soient actrices du débat local et sortent d’une logique parfois clientéliste. Il insiste également sur l’enjeu de lutte contre les inégalités, au cœur des valeurs défendues par la Ligue. « Il nous semble intéressant de noter qu’au départ, la notion de projet éducatif local a été créée et portée par les acteurs de terrain, associations et communes. Par la suite elle a été reprise pas les pouvoirs publics, et on peut déplorer son institutionnalisation à travers l’interprétation faite quelquefois des circulaires sur le CEL par exemple. En effet, les CEL sont souvent devenus des outils de gestion de l’existant (d’amélioration de l’organisation de l’offre) alors qu’ils devraient permettre de le transformer. Toutefois il semble que cela ait permis à l’idée de politique éducative locale de faire son chemin. SE DONNER LES MOYENS D’UN VRAI DÉBAT POLITIQUE « Dans la démarche de PEL, le débat sur les valeurs éducatives aboutit souvent à un consensus mou. Le plus difficile est de mettre ces valeurs à l’épreuve des faits pour construire un projet. « Les associations d’éducation populaire souhaitent que soit engagé un débat à partir des différences d’appréciation entre les institutions, dans un climat de confiance réciproque. Le rôle de ce débat, et du PEL, est de bousculer les manières de faire et les représentations des institutions. La Ligue a l’avantage d’avoir un pied dans l’école et un pied dehors. Elle peut interpeller aussi l’Éducation nationale, qui se place souvent dans une position d’exclusivité, pour qu’elle se mobilise localement, ce qui donne généralement de très bons résultats. « Les associations insistent également sur la nécessité de donner la parole à tous, directement ou par le biais des élus (ce sont eux qui tranchent au final) ou des associations (par exemple pour les familles, en travaillant avec la CSF). « Pour réaliser ce débat, il faut se donner les moyens, en termes de temps et de méthode, de construire un diagnotic partagé pour dégager un intérêt éducatif commun. Depuis environ trois ou quatre ans, la Ligue forme ses fédérations départementales à être des acteurs du débat local. SORTIR D’UNE LOGIQUE D’OFFRE « Les acteurs associatifs doivent eux aussi interroger leurs pratiques, par exemple en affirmant que la place de l’enfant n’est pas celle d’un usager mais d’un acteur, avec sa logique propre, différente de celle des adultes. Il est indéniable que la logique de marché (production d’une offre « occupationnelle », segmentation de la demande) a contaminé le secteur associatif. Les mouvements d’éducation populaire ont été confrontés comme les autres acteurs éducatifs aux évolutions sociales touchant les jeunes (impact croissant des médias, phénomènes de mode, rejet des institutions…). Dans un premier temps (1985-1995), ils ont tenté d’y répondre en multipliant l’offre et en essayant de coller à la demande culturelle des jeunes. Aujourd’hui, ils se repositionnent pour aider les jeunes à organiser leur parole et prendre conscience de leur appartenance à une société avec ses valeurs. Cela passe par une relation éducative fine : faire accepter des valeurs (rôle de transmission) et faire prendre conscience aux jeunes de leur liberté et de ses limites. Cela implique d’être présent là où ils sont, d’instaurer une proximité sociale et culturelle. LUTTER CONTRE LES INÉGALITÉS « Une des difficultés est de trouver un équilibre entre un travail d’urgence (que nous ne renions pas) et un travail de fond pour agir sur les causes des inégalités. Par exemple, la carte scolaire doit selon nous être redessinée, et les pouvoirs publics doivent être volontaristes sur la question de la mixité en redistribuant réellement les moyens, en assurant l’égalité de droit et la continuité du service public. Plus largement, il faut à la fois travailler dans l’urgence, par un accompagnement scolaire et éducatif pour enrayer l’échec scolaire, et, dans le cadre du PEL par exemple, questionner la répartition de l’offre éducative et culturelle et donc militer pour des investissements publics plus importants sur les quartiers. Ce n’est d’ailleurs pas toujours un problème d’argent, mais parfois d’articulation et de cohérence de l’offre. L’État a un rôle régulateur, même si les collectivités territoriales ne sont pas responsables des inégalités. Il doit intervenir de deux façons : en fixant les règles du jeu, un minimum commun sur lequel doivent s’aligner les collectivités (par exemple en matière de fournitures scolaires) et en redistribuant (péréquation). C’est une question de volonté politique. » ■ Les cahiers du DSU Les cahiers du DSU décembre 2002 décembre 2002 L’analyse du système d’acteurs : une approche pour évaluer une politique… Propos recueillis par Violaine PINEL 27