Yasmina Reza « Art

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Yasmina Reza « Art
Yasmina Reza
« Art »
Théâtre Alchimic
du 14 au 19 mai 2013
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« L’idée de l’art et l’art sont la même chose.»
Joseph Kosuth
RESUME DE LA PIECE
Trois amis, Serge, Marc et Yvan, s’entre-déchirent et détruisent peu à peu leur amitié en se révélant
à travers leurs positions respectives, leurs commentaires et ce qu’ils projettent sur une œuvre d’art
contemporaine, un tableau blanc, monochrome, abstrait et conceptuel, que l’un d’eux, Serge, vient
d’acquérir, par goût véritable, par snobisme ou spéculation financière – à chaque spectateur de
l’interpréter selon ce que cette pièce l’amène à projeter et donc à révéler de lui-même...
POINT DE VUE
On peut dire de « Art » qu’il s’agit d’une œuvre brillante, bien écrite, intelligente et drôle, dont la
force n’est pas uniquement de susciter des réflexions sur l’art en général, mais de montrer, voire de
démontrer, à travers les rapports que nous pouvons entretenir avec l’art, l’impact fort que celui-ci
peut avoir sur nos personnes, nos vies, nos relations. On peut donc dire que tant que l’art existe,
« Art », la pièce, sera toujours actuelle et universelle.
Néanmoins, et c’est à notre avis une tendance qui est indépendante de l’écriture même de Yasmina
Reza, on peut constater que la plupart des réalisations de cette pièce s’inscrivent, depuis sa création,
dans une esthétique de réalisme bourgeois propre à une démarche de type "théâtre privé parisien" et
que ce style d'interprétation semble avoir laissé une empreinte définitive sur l’ensemble de l’écriture
théâtrale de son auteur.
Cela est d’autant plus étonnant, que, lorsqu’on lit les indications scénographiques qui précèdent la
plupart des pièces de cet auteur, on relève systématiquement le souhait d’une esthétique qui suggère
les choses au lieu de les montrer, ainsi que la demande expresse d’espaces uniques, les plus purs, les
plus neutres et les plus dépouillés possibles, loin de tout réalisme. Une demande de sobriété et de
retenue qui s’harmonise par ailleurs parfaitement avec les formes d’écritures employées (apartés,
soliloques, ruptures, flashbacks) où tout est dit à travers le texte, souvent même par des non-dits,
savamment suggérés, qui disent plus qu’on ne saurait dire sans le dire.
Nous aimerions donc présenter cette pièce de Yasmina Reza dans une approche dramaturgique et
scénographique totalement nouvelle, qui laisse à la force du texte, au jeu des acteurs et à
l’imaginaire du spectateur le soin de faire exister les mots, de leur donner du sens. Cela dans un
parti pris radical et abstrait – où le discours se substitue à l'objet, où l'idée prime – influencé par la
démarche artistique conceptuelle même de l’auteur du tableau contemporain dont il est question
dans la pièce.
DISTRIBUTION
Serge : Joan Mompart
Marc : Elidan Arzoni
Yvan : Anthony Mettler
Mise en scène, scénographie et costumes : Elidan Arzoni
Lumière : Davide Cornil
Maquillage et coiffures : Johannita Mutter
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Graphisme : Joyce Vuille
Production, administration : Eva Kiraly
Une production de la Compagnie Métamorphoses
YASMINA REZA
Après son bac, obtenu en 1975, Yasmina Reza suit des études de théâtre et de sociologie à
l'Université de Paris X Nanterre d'où elle sort avec une licence en 1978. Elle travaille ensuite un peu
comme actrice, notamment dans Que les gros salaires lèvent le doigt ! de Denys Granier-Deferre
(1982). En 1984, elle se présente à l'examen d'entrée du Conservatoire National Supérieur d'Art
Dramatique mais échoue et s'inscrit alors aux cours de l'école Jacques Lecoq. Elle commence à
écrire sa première pièce, Conversations après un enterrement, qui sera montée en 1987 et recevra
le Molière du meilleur auteur, le prix SACD des Talents Nouveaux et le Prix de la Fondation
Johnson. En 1989, sa deuxième pièce, La traversée de l'hiver, est à l'affiche du Théâtre de la
Colline.
En 1994 elle connaît son premier véritable grand succès public avec la pièce « Art », mise en scène
par Patrice Kerbrat et interprétée par Pierre Vaneck, Fabrice Luchini et Pierre Arditi à la Comédie
des Champs-Elysées. « Art », qui aborde des questions liées à l'art contemporain et son implication
dans la vie quotidienne, sera couronnée en 1995 de deux Molière du théâtre, celui du meilleur
spectacle privé et celui du meilleur auteur. Traduite dans 35 langues et montée dans des centaines de
productions, de Berlin à Londres, en passant par Tokyo, Bombay, Johannesburg, Buenos Aires et
Bratislava. Sean CONNERY achète les droits pour une version américaine et favorise sa popularité.
Yasmina Reza obtiendra le Tony Award du meilleur auteur en 1998, après la présentation de la
pièce à Broadway, une première pour un écrivain qui n´est pas de langue anglaise.
Yasmina Réza explique son inspiration : « Au moment de L´Homme du hasard, j´ai connu une
période très difficile. Personne n´en voulait, mon père était mourant et je n´avais plus un centime
en poche. J´ai donc décidé de faire ce que je n´avais pas encore fait : écrire pour des amis qui me
tannaient depuis longtemps, Pierre Vaneck et Pierre Arditi. Ce n´était pas très bon au début, alors j
´ai ajouté un troisième personnage qui ressemblait à Fabrice Luchini avec qui j´avais joué Le
Veilleur de nuit. J´ai écrit « Art » en un mois et demi, à l´ordinateur, sans notes, d´un jet. Il fallait
écrire des rôles équilibrés pour ne pas prendre le risque que l´un des trois refuse de jouer. La pièce
est donc parfaitement équilibrée pour des raisons totalement contingentes. C´est un sentiment très
étrange que je n´ai jamais éprouvé avec les autres textes : faire quelque chose un peu à côté de
moi-même, utiliser mes dons et moins mon intériorité. »
Parmi les œuvres suivantes, se succèderont avec toujours autant de succès au théâtre L'homme du
hasard (1995), Trois versions de la vie (2001), Une pièce espagnole (2004) et Le dieu du
carnage (2007).
Tous les livres de Yasmina Reza sont maintenant traduits dans une trentaine de langues et ses pièces
de théâtre – qui ont reçu entre autres les prix anglo-saxons les plus prestigieux comme le Laurence
Olivier Award (Grande-Bretagne) et le Tony Award (Etats-Unis) – sont jouées dans le monde entier.
Ses œuvres sont étudiés à l'université, et même dans les lycées. Mais la lecture des thèses l'étonne :
« Je n'aime pas les commentaires, les explications de textes... D'ailleurs je suis la plus mal placée
pour parler de mes livres. Pourquoi devrait-on doubler la vie d'une vie parallèle qui existe sur le
papier? Je n'en sais rien... »
« Tous mes personnages sont au milieu de leur vie, qui dérapent, s'enlisent, qui ont une vision du
monde assez pessimiste, et qui ont tous le sentiment de basculer vers la mort. » répète Yasmina
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Reza, « c'est une chose que j'ai toujours ressentie... Même à 20 ans... Ce sentiment de manquer de
temps et de basculer vers la mort. »
LES PERSONNAGES
» Marc, « l'adepte du bon vieux temps »
Il est ingénieur dans l'aéronautique. La quarantaine. Il sort avec Paula. Il connaît Serge depuis 15
ans.
Serge le présente : « Mon ami Marc, qui est un garçon intelligent, garçon que j'estime depuis
longtemps, belle situation, ingénieur dans l'aéronautique, fait partie de ces intellectuels, nouveaux,
qui, non contents d'être ennemis de la modernité en tirent une vanité incompréhensible. Il y a
depuis peu, chez l'adepte du bon vieux temps, une arrogance vraiment stupéfiante. »
« Il n'a pas d'humour. Avec toi [Yvan] je ris. Avec lui, je suis glacé. »
Pour Yvan : « C'est un garçon classique, c'est un homme classique. Tu ne vas pas découvrir
aujourd'hui que Marc est impulsif. »
» Serge, « un rat d'exposition »
Dermatologue, il est divorcé de Françoise et a deux enfants. Depuis quelque mois, il fréquente « le
monde de l'Art ». Il convoite et obtient pour 200 000 francs une toile d'un certain Antrios.
« Mon ami Serge est un ami depuis longtemps. C'est un garçon qui a bien réussi, il est médecin
dermatologue et il aime l'art. » ... « Un garçon aisé mais qui ne roule pas sur l'or. Aisé sans plus,
aisé bon. Qui achète un tableau blanc vingt briques » explique Marc.
« Il a toujours hanté les galeries de manière ridicule, il a toujours été un rat d'exposition! » lance
Yvan. « Il a toujours été un rat, mais un rat avec qui on pouvait rire. Car vois-tu, au fond, ce qui
me blesse réellement, c'est qu'on ne peut plus rire avec lui » réplique Marc.
» Yvan, « un être hybride et flasque »
« Je m'appelle Yvan. Je suis un peu tendu car après avoir passé ma vie dans le textile, je viens de
trouver un emploi de représentant dans une papeterie en gros. Je suis un garçon sympathique. Ma
vie professionnelle a toujours été un échec et je vais me marier dans quinze jours avec une gentille
fille brillante et de bonne famille » dit-il. Cette papeterie où il travaille depuis un mois appartient à
l'oncle de sa fiancée. Celle ci s'appelle Catherine et il va l'épouser dans 15 jours. Un mariage qui le
ronge et lui a déjà fait perdre 4 kilos « uniquement par angoisse ». Ses parents sont divorcés et il
n'entretient pas d'excellentes relations avec la nouvelle femme de son père, Yvonne, « la relation la
plus pathologique qui soit » précise-t-il. Mais pour Marc, « Yvan est un garçon tolérant, ce qui en
matière de relations humaines est le pire défaut. Yvan est tolérant parce qu'il s'en fout. Si Yvan
tolère que Serge ait pu acheter une merde blanche vingt briques, c'est qu'il se fout de Serge. C’est
clair. »
Marc n'a pas la langue dans sa poche : « Yvan, tu n as pas de consistance. Tu es un être hybride et
flasque. » … « Cette mièvre et subalterne voix de la raison, que tu essaies de faire entendre depuis
ton arrivée, est intenable. »
Et Serge en rajoute : « Ta présence veule, ta présence de spectateur veule et neutre, nous entraîne
Marc et moi dans les pires excès. Sur ce point, je suis entièrement d'accord avec lui [Marc]. Tu
crées les conditions du conflit. »
Mais Yvan ne cherche pas à se rehausser : « Je suis rentré dans la suite logique des choses,
mariage, enfants, mort. Papeterie. Qu'est-ce qui peut m'arriver ? » … « Je ne suis pas comme vous,
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je ne veux pas être une référence, je ne veux pas exister par moi-même, je veux être votre ami Yvan
le farfadet ! Yvan le farfadet. »
Contre toute attente, cette pièce de Yasmina Reza n’a pas uniquement pour thème l’art
contemporain mais surtout celui de l’amitié. C’est ce qui est au cœur de cette histoire, même si la
toile d’art contemporain constitue un véritable personnage, le quatrième de cette pièce.
Plusieurs types de comiques sont à l’œuvre ; c’est ce que nous nous proposons de montrer dans
cette courte étude.
Tout d'abord, rappelons-nous que le rire n’est concevable qu’en groupe. Il peut être communicatif
mais constitue avant tout un moyen de communication, d’échange entre les individus. Il exige et
entraîne tout à la fois la complicité de l’autre ou des autres.
Dans le cadre d’une pièce de théâtre, les choses sont un peu particulières parce que, eu égard à la
double énonciation, il y a toujours un spectateur de ce comique : le public lui-même. Si bien que,
même lorsque le personnage est seul sur scène, il y a toujours déjà un complice de son comique
dans la salle en la personne une et multiple du public.
Art est une pièce comique même si les enjeux, eux, ne le sont pas. En effet, ce qui est en jeu est
l’amitié de 15 ans de trois adultes : Serge, Marc et Yvan. Le litige, élément déclencheur de la remise
en question de ces liens d’amitié, réside dans l’achat d’une toile d’art contemporain (un
monochrome blanc, de grande taille, signée Antrios) fort onéreuse que Serge, le dermatologue, vient
d’acquérir au point d’être ruiné.
Ses deux amis vont à tour de rôle devoir se positionner face à cette toile. Leurs réactions, diverses,
feront naître des conflits interpersonnels, exhumant de vieilles rancœurs, des non-dits ou encore des
rapports de force implicites qui, dès le départ, avaient rendus leur amitié un peu bancale.
THEMES
L'Art
Beaucoup de gens ont vu dans cette pièce une critique de l’art contemporain. C’est surtout la valeur
de l’art qui est remise en question par Marc, choqué du prix de l’œuvre : 200 000 francs. L’œuvre
est réduite à sa valeur monétaire, il n’en juge pas la valeur intrinsèque. Dans cette pièce, ce sont en
fait les pratiques culturelles de la classe aisée qui sont mises à mal, mais la critique est surtout
centrée sur l’intolérance envers ce que l’on ne comprend pas.
L’Amitié
C’est le véritable sujet de la pièce. Yasmina Reza nous dépeint une amitié passionnée,
intransigeante et douloureuse. On comprend que ce qui ennuie Marc, finalement, ce n’est pas que
Serge ait acheté un tableau mais qu’il ait trouvé un autre objet d’admiration que lui. Marc lui
reproche de faire passer sa passion pour l’art avant leur relation et explicite sa conception de
l’amitié: « J’aimais ton regard. J’étais flatté. Je t’ai toujours su gré de me considérer comme à
part. J’ai même cru que cet à part était de l’ordre du supérieur jusqu’à ce qu’un jour tu me dises le
contraire » … «Je cherche désespérément un ami qui me préexiste. Jusqu’ici, je n’ai pas eu de
chance. J’ai dû vous façonner… Mais tu vois, ça ne marche pas. »
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Structure
La pièce est composée de nombreuses séquences, organisées de façon rigoureuse en deux parties
principales. Dans un premier ensemble, on observe des scènes de duos (Serge et Marc / Yvan et
Marc / Serge et Yvan / Marc et Yvan / Serge et Marc) qui prennent chaque fois pour objet celui qui
manque, et qui sont entrecoupés par des apartés en forme de monologues.
Dans un deuxième bloc, on a une longue scène avec les trois personnages : il n’y a plus
d’intervention monologique détachée comme avant.
Puis, une séquence finale regroupe trois brèves conclusions sous forme de trois monologues.
Les monologues dans la pièce coupent le dialogue, qui se transforme au fur et à mesure en querelle,
et semble d’emblée voué à l'échec. Cela empire lors de l’entretien entre les trois amis, entraînés
dans une sorte de spirale dont ils n’arrivent plus à se sortir. Yvan, au milieu, tente d'arbitrer le
conflit mais ne fait que l'envenimer davantage, malgré lui. Le pauvre est pris comme bouc
émissaire.
La pièce est construite sur une structure atypique : pas d'actes, pas de scènes, mais des
« séquences ». On compte 17 séquences.
Le sujet de la grande toile blanche peut avoir était inspiré par Grand carrée blanc sur fond blanc,
peint en 1918 par Malevitch, et exposé au MOMA de New-York, ou encore les Monochromes
bleues de Klein, datant de 1960 et exposés au MAM de Nice.
Yasmina Reza, est l'une des dignes héritières de l'esprit Ionescoïen – si on peut se permettre ce
néologisme. Si elle a publié quelques récits et romans (dont Nulle part et Dans la luge de
Schopenhauer), le plus gros de son œuvre concerne le théâtre. Et "Art" est l'une de ses pièces les
plus magistrales.
L'histoire est simple. Trois personnes, amies. Un tableau d'art contemporain. Blanc. Cher. Serge, un
médecin dermatologue, et Marc, ingénieur dans l'aéronautique, s'opposent complètement sur le
point de vue de l'acquisition d'une telle œuvre (autrement appelée « la merde », par Marc). Et Yvan,
le tiers, tente de réconcilier les deux protagonistes, dont la rupture s'annonce de plus en plus
évidente. Tentative vaine. Le rapport humain se brise sur un fait inéluctable : les deux hommes
s'enferment de plus en plus dans leurs convictions, rendant tout dialogue impossible : « Tu es
comme dans les sables mouvants, plus tu cherches à t'extraire, plus tu t'enfonces. »
C'est aussi une réflexion sur l'art, sur son utilité, sa finalité : « Tu as dit modernissime, comme si
moderne était le nec plus ultra du compliment. Comme si parlant d'une chose, on ne pouvait dire
plus haut, plus définitivement haut que moderne. » Ressentir des sensations face à un tableau, est-ce
le considérer comme artistique, ou est-ce une illusion naïve ? Yasmina Reza propose des pistes, en
exposant les points de vue, sans prendre parti. En effet, Serge, attiré par le moderne, n'est pas
exempt de critiques : lui aussi reste enfermé dans ses convictions, jusqu'au bout, jusqu'au dernier
mensonge, où il laisse son ami gribouiller le tableau avec un feutre en sachant qu'il pourra rattraper
l'erreur.
Si cette pièce s'inscrit dans la thématique absurde, elle en sort aisément, en restant balisée par les
codes du théâtre. Le talent de Reza est d'allier au côté absurde de l'existence – une amitié qui
dégénère à cause d'une différence de point de vue sur un tableau – une réflexion humaniste.
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INFORMATIONS GENERALES
Horaire: mardi, jeudi, vendredi 20h30
mercredi, samedi, dimanche 19h
relâche: lundi
Réservations:
• en ligne sur la page du spectacle www.alchimic.ch
• par téléphone: 022 301 68 38
CONTACT
Théâtre Alchimic
Madame Eva kiraly
10, avenue Industrielle
1227 Carouge – Genève
076 382 20 82
[email protected]
www.alchimic.ch
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