A-2009/N°01 - Darwin, un révolutionnaire impénitent

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A-2009/N°01 - Darwin, un révolutionnaire impénitent
2009/01
Darwin,
un révolutionnaire
impénitent
par Harmony vander Straeten
Analyses &
Études
Société 1
Siréas asbl
Nos analyses et études, publiées dans le cadre de l’Education permanente,
sont rédigées à partir de recherches menées par le Comité de rédaction de
SIREAS sous la direction de Mauro SBOLGI, Editeur responsable. Les
questions traitées sont choisies en fonction des thèmes qui intéressent notre
public et développées avec professionnalisme tout en ayant le souci de
rendre les textes accessibles à l’ensemble de notre public.
Ces publications s’articulent autour de cinq thèmes
Monde et droits de l’homme
Notre société à la chance de vivre une époque où les principes des Droits de l’Homme
protègent ou devraient protéger les citoyens contre tout abus. Dans de nombreux pays ces
principes ne sont pas respectés.
Économie
La presse autant que les publications officielles de l’Union Européenne et de certains
organismes internationaux s’interrogent sur la manière d’arrêter les flux migratoires. Mais
ceux-ci sont provoqués principalement par les politiques économiques des pays riches qui
génèrent de la misère dans une grande partie du monde.
Culture et cultures
La Belgique, dont 10% de la population est d’origine étrangère, est caractérisée, notamment,
par une importante diversité culturelle
Migrations
La réglementation en matière d’immigration change en permanence et SIREAS est
confronté à un public désorienté, qui est souvent victime d’interprétations erronées des
lois par les administrations publiques, voire de pratiques arbitraires.
Société
Il n’est pas possible de vivre dans une société, de s’y intégrer, sans en comprendre ses
multiples aspects et ses nombreux défis.
Toutes nos publications peuvent être consultées et téléchargées sur notre site www.sireas.be
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de la Fédération
Wallonie-Bruxelles
À
l’époque de sa sortie déjà, « L’origine des espèces » de Charles
Darwin, parue le 24 novembre 1859, fit grand bruit. L’Église, qui
régnait en maître, voyait en effet d’un mauvais œil ce naturaliste
anglais qui osait remettre en question l’autorité religieuse en en revisitant
tous les fondements. Sans aucune prétention et à force de longues recherches,
Darwin était arrivé à la conclusion que l’homme était « sur le même plan
que n’importe quelle autre espèce animale, (le) dépouillant ainsi du statut
d’exception » (1) qui lui était attribué depuis l’Antiquité. N’étant pas le produit
de la main divine, mais plutôt de la sélection naturelle, l’homme descendait
du singe. Affirmant cela, Darwin ébranle la foi des plus fondamentalistes et
remet en cause les saintes écritures.1 La nature de l’homme, sa déchéance,
sa rédemption et la toute puissance de dieu sont sur la sellette. Tout comme
Galilée dans son domaine2, les idées darwiniennes furent mal acceptées et
rejetées, même si aujourd’hui tous leur reconnaissent la valeur de grands
scientifiques. Tous ? Pas tout à fait. 200 ans après, la théorie de l’évolution
1 Dans la Genèse 1-27 il est écrit « Dieu créa l’homme à son image » et dans la Genèse
2-7 « L’homme fut créé de la poussière de la terre. Il souffla dans ses narines un souffle
de vie et l’homme devint un être vivant. »
2 On compare souvent Darwin à Galilée parce que tous deux ont ébranlé la doctrine
de l’église, voire choqué de nombreux chrétiens par leurs découvertes scientifiques.
Cependant, il y a une différence majeure entre les deux hommes. En effet, la
démonstration galiléenne selon laquelle la terre tourne autour du soleil s’oppose à une
tradition inspirée par la philosophie grecque et par d’autres croyances de l’Antiquité
qui placent la terre au centre de l’univers, mais cette tradition n’est jamais mentionnée
dans la Bible. Galilée, à l’opposé de Darwin, ne remet donc jamais en question les
écritures saintes.
3
fait toujours parler d’elle et est continuellement remise en question. Ses
contestataires ? Les créationnistes. Contrairement à ce qu’avait pu déclarer
en 1999, le paléontologue S.J.3 Gould, cette controverse n’anime pas
seulement les débats entre quelques illuminés au pays de l’oncle Sam. Cette
« tendance » s’exporte depuis quelques années. Ainsi, d’après des enquêtes
visant à évaluer le « degré d’acceptation de la théorie de l’évolution », on
observe que celle-ci est mieux acceptée en Europe et au Japon que dans les
pays musulmans (1). Ceci dit, si le créationnisme remporte une certaine côte
de popularité dans les pays musulmans, l’Europe, elle non plus, n’est pas en
reste ! En 1996, la Suède ouvre le premier musée créationniste. Depuis 5 ans,
différents hommes politiques prennent publiquement position contre les
théories de Darwin « et/ou en faveur du créationnisme (…) ». (2) En février
2004, la ministre italienne de l’Éducation et de la Recherche, proposait
d’éradiquer tout cours sur l’évolution dans le primaire et le secondaire. La
même année, la ministre serbe de l’Éducation s’est vue, quant à elle, forcée de
démissionner après avoir tenté d’introduire dans les programmes scolaires
un cours sur le créationnisme qui serait donné en parallèle avec les chapitres
sur l’évolution. (2,3) Une enquête réalisée en 2006 auprès d’un échantillon
de 1163 élèves du secondaire belge a montré que près d’un quart de ces
étudiants adhéraient à l’explication créationniste pour expliquer l’origine de
l’homme. (4) L’expansion du créationnisme est donc belle et bien présente.
En principe, dans une société laïque, la question de la foi relève du domaine
de la tolérance, sauf bien évidemment, lorsque la foi devient fanatisme et
intolérance. Et lorsque l’enseignement est appuyé sur une croyance niant
toute réalité scientifique, nous sommes alors en droit de nous poser des
questions…
Créationnisme et créationnisme moderne
C
omment, alors que plusieurs découvertes archéologiques appuient la
thèse de Darwin, expliquer l’intérêt pour les théories créationnistes ?
D’où vient ce mouvement d’opposition ? Quels en sont les risques
de dérive ? Ce sont principalement des églises fondamentalistes qui ont opté
pour une interprétation littérale des saintes écritures qui défendent avec
ferveurs les théories créationnistes. Ceci dit, il n’existe pas une seule forme
de créationnisme, elles sont diverses et évoluent à travers le temps. Les
3
« Cette controverse est aussi localement déterminée, proprement nord-américaine,
que l’Apple pie ou l’Oncle Sam. Dans aucune autre nation occidentale l’on ne pourrait
considérer pareil monstre comme un mouvement politique sérieux : il apparaîtrait à
l’évidence comme le fait de quelques givrés sans importance et totalement marginaux. »
S.J. Gould (1)
4
plus intransigeants des créationnistes affirment que le monde a été créé par
Dieu en 6 jours4 pendant lesquels ce dernier a également créé chaque espèce
végétale et animale. « Ce créationnisme strict se subdivise lui-même » (3) en
différentes branches plus radicales ou progressistes selon leur position par
rapport à la science. La forme de créationnisme qui remporte actuellement
le plus de succès est le dessein intelligent (intelligent design). Pour éviter
qu’elle soit taxée de croyance religieuse et pour essayer de légitimer son
enseignement dans les écoles, les défenseurs du dessein intelligent présentent
cette théorie comme « une construction scientifique alternative à celle de
Darwin (…) ». (1) Ainsi reformulé, le dessein intelligent a pu être introduit
dans le programme scientifique d’une école de Dover en Pennsylvanie en
2004. Non sans créer la polémique, cette affaire s’est soldée par un procès
qui a donné raison aux partisans de Darwin, puisque le juge John Jones
n’a pas reconnu au dessein intelligent le statut de science. (1,5) « Comme
le souligne G. Lecointre, le créationnisme scientifique est par définition
aux antipodes de la science en ce sens qu’il nie la nécessité du recours (…)
aux réalités matérielles (…) pour établir des vérités. (…) Les créationnistes
formulent un certain nombre d’affirmations scientifiquement non testables
et donc non prouvables. Il est donc aisé de se rendre compte de l’imposture
des créationnistes qui se proclament scientifiques. Imposture d’autant plus
grande que, conscients de leur impossibilité à prouver scientifiquement ce
que prône leur dogme, certains créationnistes vont même jusqu’à fabriquer
des faits et des fausses preuves. » (3) Ils semblent prêts à tout, pour balayer
toute part d’incertitude qui entourerait leur théorie. En effet, pour les
créationnistes, c’est cette même part d’incertitude liée à toute la réflexion
scientifique portant sur la création et l’évolution qui la rend peu crédible.
Ils ne peuvent dès lors pas se permettre de laisser planer le moindre doute.
Le livre d’Harun Yahya qui, en 2007, a été envoyé à de nombreuses écoles,
universités, et rédactions respecte ce même principe puisqu’il est largement
illustré. Cependant, même si son auteur s’applique à essayer de démontrer ses
dires, son raisonnement n’est pas correct. Ainsi, en partant de l’affirmation
suivante « l’évolution n’est pas un fait, ce n’est qu’une théorie », Yahya
échafaude toute son argumentation. Mais, comme l’explique Laurence
Bouquiaux, professeur de philosophie des sciences à l’Université Libre de
4 Ceci dit, ce premier chapitre de la Genèse (qui explique que Dieu créa le monde en 6
jours, et que ce 6e jour il créa l’homme et la femme et les plaça dans le jardin d’Eden)
peut être interprété de manière conciliable sur le plan de la durée, y compris par le plus
fondamentalistes, en considérant que les 6 jours de la création correspondent à des âges
de la création. En effet, dans le 2e épître de Pierre, 3.8, on peut lire «  Devant le Seigneur
un jour est comme mille ans et mille ans sont comme un jour. » Bien que ce passage de
l’épître de Pierre fasse référence à la fin du monde plutôt qu’à la création, il s’agit d’un
indice qui peut également être appliqué à la création.
5
Liège, l’auteur  « change le sens des mots « fait » et « théorie » (…) Un
fait serait, (selon M. Yahya), quelque chose de solide et d’incontestable,
tandis qu’une théorie serait nécessairement une construction fragile,
douteuse, voire fumeuse. Si l’on accepte une telle conception, la notion
de “théorie scientifique” devient extrêmement problématique. En
réalité, la science n’est pas seulement une accumulation de faits. Elle
est aussi constituée de systèmes organisés qui articulent faits, principes
et conséquences et qui visent l’universalité au-delà des observations
effectivement réalisées (…) » (6) Par ailleurs, l’Atlas de la création
reproche aux évolutionnistes leurs erreurs passées et le fait d’avoir
reconnu celles-ci. Ce faisant, ils critiquent ce qui constitue l’essence
même de la démarche scientifique : « sa capacité de se remettre en
cause et de modifier ses théories si nécessaires (…) comme si (le fait
d’avoir déjà commis des erreurs auparavant) prouvait la fausseté de
l’évolution. » (6)
Terreau du racisme, du terrorisme…
L
e conflit qui oppose les créationnistes aux darwinistes va bien
au-delà de la simple querelle entre religieux et scientifiques.
En effet, certains reprochent aussi à Darwin d’avoir posé les
jalons du racisme, du nazisme et du terrorisme. (7, 3, 8) Ils ne lui
pardonnent pas « la récupération par les « darwinistes sociaux » des
notions de « sélection naturelle » et de « survie du plus apte » aux
fins de justifier le libéralisme économique le plus sauvage – qui, à
ses premières heures en tout cas, procédait d’une volonté eugéniste.
Eugéniste et raciste, Darwin ?(…) André Pichot (philosophe) allait
jusqu’à mêler les noms du savant britannique et de l’ordonnateur de
la solution finale, suggérant ainsi une continuité entre l’énoncé des
lois de la sélection naturelle et la destruction des juifs d’Europe. » (8)
Mais tenir de tels propos, c’est oublier que pour Darwin la sélection
naturelle ne se borne pas à sélectionner des « variations organiques
avantageuses ». (8) Selon le scientifique anglais, certains instincts
solidaires conduisant à la protection des faibles sont également
sélectionnés pour être amenés à évoluer. (8) On ne peut, dès lors,
trouver dans la théorie de Darwin aucun fondement au racisme, à
l’eugénisme ou à toute autre théorie antihumaniste. (3,8)
6
« Où finit la science commence….la croyance ? » (9)
M
ais que reproche-t-on exactement à la théorie de l’évolution et à
son théoricien ? Probablement ce pourquoi certains leur vouent
une grande admiration : leurs côtés révolutionnaires. Darwin,
révolutionnaire impénitent ? Vraisemblablement. Et comme dans toute
révolution, ce qui rassemble les uns divise les autres. Ceci dit, comme nous
l’avons déjà dit précédemment, l’opposition darwinistes/créationnistes
dépasse de loin la simple question du fondamentalisme religieux. Comme
avait déjà mis en garde le Conseil de l’Europe dans son rapport sur cette
question, « le créationnisme, si l’on n’y prend pas garde, peut être une
menace pour les droits de l’homme (…)» (3) « Cette influence croissante des
idées créationnistes ne serait pas si grave si elle n’avait pas de répercussions
politiques (…). Mais dès lors qu’on fait accepter d’une façon prétendument
scientifique, l’existence d’un concepteur à l’origine du monde, il devient facile
d’appuyer des positions législatives très conservatrices, et de faire admettre
certains comportements- l’homosexualité, la contraception, l’avortement –
comme déviants ». Sous ses aspects théoriques, le créationnisme constitue bel
et bien un enjeu de société. » (10) Dès lors que faire ? Plusieurs philosophes
ou historiens de la science comme M. Delumeau et M. Buican proposent
de repenser la problématique non plus en termes d’opposition, mais bien
de complémentarité. En effet, alors que, pour les créationnistes, la main de
Dieu apparaît là où la science ne peut trouver de réponses, et que pour les
scientifiques l’inconnaissable ne peut certainement pas s’expliquer par la
présence divine, MM Delumeau et Buican proposent d’arrêter d’opposer
ces deux disciplines. En effet, « l’une la science, constate des faits ; l’autre, la
réflexion sur la connaissance, s’efforce d’interpréter les acquis de la science. »
(11) Ils proposent ainsi de « remplacer le modèle de la confrontation par celui
de la complémentarité. » (11)
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
Nouvel observateur
Cnrs
Conseil de l’Europe
Enquête ulb
Hominidés
http://www2.ulg.ac.be/le15jour/Archives/164/creationnisme.shtml
L’atlas de la création http://us2.fmanager.net/api_v1/select_mirror.
php?dev-t=EDCRFV&with=mod=file,id=28740
7
8. Le monde des livres, 12 septembre 2008 par stéphane Foucart « Darwin,
l’éternelle querelle », p 9 sur 10.
9. Dieu contre Darwin, le 28 novembre 2008 p 20 sur 30 par Denis Buican,
historien des sciences , professeur honoris des universités
10.Le créationisme étend son influence en Europe ,le monde 18 novembre
2008 par Catherine Vincent p 4 sur 32 pages
11.La science, ses limites, son au-delà , 28 novembre, même page par Jean
Delumeau
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