La finitude du monde est une illusion
Transcription
La finitude du monde est une illusion
L’Echo, 09/07/2009, page/bladzijde 10 POUR CÉLINE PHILIPPE (INSTITUT ECONOMIQUE MOLINARI), LA CROISSANCE EST AUSSI INFINIE QUE LA CRÉATIVITÉ HUMAINE «La finitude du monde est une illusion» Sér d’ét ie é e es Autrichiens es en argent LA CROISSANCE EN QUESTIONS (3/5) écile Philippe, directrice générale de l’institut économique Molinari, poursuit le débat sur la croissance (après Serge Latouche et Etienne de Callataÿ). C es «philharmoniques» ant la seule Une croissance infinie est-elle possible dans un monde fini? 왘La croissance mesurée en pourcentage de PIB n’est pas toujours un bon indicateur, mais le «monde fini» est une illusion. La limite d’une ressource est relative. Les alarmistes n’ont cessé de nous annoncer d’abord la fin du charbon puis celle du pétrole alors que les limites prouvées de ces ressources étaient repoussées sans fin. Mais le cœur du problème est que l’on confond les ressources naturelles et les services écono- Copyright Mediafin miques qu’elles rendent aux hommes. Seuls ces derniers sont pertinents pour penser le développement économique. Or c’est le développement des connaissances qui permet de découvrir les caractéristiques des ressources, les services qu’elles peuvent rendre, les moyens de les remplacer. La créativité repousse sans cesse les limites auxquelles la finitude des ressources semble nous confronter. La seule limite réelle au développement économique à un instant donné réside en la rareté du temps des hommes. On pourrait, selon vous, «dématérialiser» la croissance? 왘Je ne vois de distinction entre matériel et immatériel: l’homme est avant tout matière, et quoi qu’il fasse, il utilise de la matière. Au fur et à mesure que des ressources se font rares, il apprend à les économiser, puis à utiliser des ressources de substitution. Que reprochez-vous au PIB et quel indicateur lui préférer? 왘Il ne donne pas une bonne représentation de l’ensemble de la valeur du capital (il n’incorpore pas les biens intermédiaires des stades de la production). Et plus largement, le développement n’est pas toujours chiffrable. Etienne de Callataÿ disait hier dans nos pages que l’exploita- tion des ressources naturelles devrait être soustraite au PIB… 왘Pas si ce qu’on cherche à mesurer est le développement économique, à savoir la valeur des ressources que l’être humain a prélevé dans la nature afin de répondre à ses divers besoins. l’idée de croissance mesurée très imparfaitement en pourcent de PIB. Et l’on peut en effet se demander s’il ne faut pas parler dans certains cas d’une fausse croissance, comme le révèle la crise financière. Mais le développement économique est tout sauf «Ne jetons pas le bébé (la croissance réelle) avec l’eau du bain (la croissance forcée par les pouvoirs publics)!» © Doc Mais alors, un indicateur plus fin est-il concevable? 왘Oui, s’il s’attache à prendre en compte toutes les stades de production et pas seulement le stade final. Tout dépend aussi de ce qu’on en fait. Le problème du PIB, c’est qu’il est instrumentalisé à des fins politiques. Serge Latouche compare la croissance à une religion. Qu’en pensez-vous? 왘Ce l’est pour les hommes politiques qui ont les yeux rivés sur une religion, si l’on accepte le postulat que le bien-être humain a de la valeur. La vraie question est de savoir quel type de croissance on veut promouvoir. Acceptonsnous que la capacité illimitée de création et d’innovation de l’être humain soit mise au service de son développement dans le respect des autres et de son environnement? Ou bien faut-il lui interdire tout simplement de se développer au nom d’une valeur supérieure de la préservation de la nature? Ceux qui plaident pour la fin de la croissance mettent-ils le doigt sur des questions importantes ou sont-ils au contraire irresponsables? 왘La crise financière que nous vivons permet d’une certaine façon de leur donner raison, à savoir que la croissance – en particulier des dernières années – repose sur des bases artificielles et dangereuses si bien qu’elle conduit à un gaspillage des ressources naturelles. En effet, sous l’impulsion des pouvoirs publics via une politique monétaire laxiste, de nombreuses ressources naturelles ont été utilisées et transformées pour réaliser des projets non viables. Au lieu de laisser l’épargne individuelle irriguer une croissance durable et solide, les pouvoirs publics – via la création de monnaie et le système des réserves fractionnaires – ont favorisé une croissance à tous crins, sans aucune rationalité économique. En ce sens, les partisans de la décroissance ont raison: ce type de croissance est inéluctablement voué à l’échec, car il ignore qu’une croissance durable est fondée sur des bases saines, à savoir l’épargne individuelle, l’accumulation du savoir et du capital. Reste qu’il ne faut pas jeter le bébé (la croissance réelle) avec l’eau du bain (la croissance forcée par les pouvoirs publics). 쐽 Propos recueillis par Frédéric Rohart