à Berlin

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à Berlin
CONSEIL EUROPÉEN
LE PRÉSIDENT
Berlin, le 9 novembre 2010
PCE 256/10
"UN RIDEAU S'EST LEVE"
Le président Herman Van Rompuy
prononce le premier discours sur l'état de l'Europe à Berlin
Konrad-Adenauer-Stiftung - Stiftung Zukunft Berlin - Robert-Bosch-Stiftung
Musée de Pergame
I
- DE Mesdames et Messieurs,
C'est pour moi un honneur de prendre aujourd'hui la parole devant vous.
Tout d'abord parce que je suis le premier homme politique que vous invitez pour tenir ici le discours
annuel "sur l'état de l'Europe".
Ensuite, parce que c'est dans le musée de Pergame et le 9 novembre que je m'adresse à vous.
Que de liens historiques ce lieu et cette date n'évoquent-ils pas! Nous avons l'impression d'être tirés
dans deux directions différentes par de puissantes forces historiques.
Les dieux de l'Olympe qui se trouvent devant et derrière nous ont 2300 ans et nous emmènent dans
la civilisation grecque. Ils nous ramènent à Pergame, à ses temples, ses fontaines, ses bibliothèques
et ses théâtres. Pour quelqu'un qui a fait des études d'humaniste, cet endroit représente beaucoup.
Puis, il y a cette date du 9 novembre. Une date qui renvoie à des épisodes bien différents de
l'histoire allemande du XXe siècle. À des moments sombres, mais aussi à la fête que constitua la
chute du mur de Berlin, si près de nous.
Le "mur de la honte", la négation de l'héritage que nous ont laissé les Grecs, la démocratie.
À l'école, j'ai appris le fameux éloge de la démocratie de Périclès, où "le pouvoir est entre les mains
non d'une minorité, mais du plus grand nombre".
C'est une des raisons pour lesquelles cette date m'interpelle.
Un philosophe allemand bien connu, Peter Slotedijk, a dit il y a treize ans - je cite:
"Si des nations entières pouvaient avoir des dépressions nerveuses, pour les Allemands, ce serait
un 9 novembre. Depuis 1918, voilà presqu'un siècle que, avec une régularité de métronome, les
Allemands répondent présents à cette date pour remplir leurs devoirs face à l'histoire, pour le
meilleur comme pour le pire." 1
Quelle série impressionnante.
1918: la fin de la première guerre mondiale.
1938: la nuit de cristal, le début d'un cauchemar.
1989: la fin de la guerre froide et le début d'une Allemagne réunifiée.
Pour moi, le 9 novembre 1989 est peut-être la date charnière la plus importante de l'histoire récente,
pas seulement pour l'Allemagne, mais pour toute l'Europe. Elle a fait de Berlin une ville
européenne.
(Vous voudrez bien m'excuser de poursuivre en anglais)
- EN Mesdames et Messieurs,
La chute du mur de Berlin, il y a 21 ans.
Certains d'entre vous y étaient, d'un côté du mur ou de l'autre.
Certains d'entre vous n'étaient pas encore nés.
Quant à moi, j'étais président de mon parti. Je me souviens que, quelques mois après la chute du
mur, les premiers ministres chrétiens-démocrates d'Italie et des pays du Benelux ont rencontré le
chancelier Kohl à Salzbourg pour parler de la réunification allemande. Dans ce petit cénacle, au
milieu des montagnes, je sentais que l'histoire était présente parmi nous.
Avant 1989, je n'avais pas vu personnellement ce côté du mur.
Lorsque j'avais quinze ou seize ans, un professeur m'a recommandé de lire Karl Marx. Dans une
école catholique, ça pouvait sembler étrange. "Tu ne deviendras quand même pas marxiste!" Il avait
raison … Pour moi, le communisme niait les valeurs européennes. Lorsque je suis arrivé à
l'université, peu avant mai '68, j'étais déjà immunisé contre le marxisme et les autres mouvements
"révolutionnaires". Depuis lors, je suis resté profondément anti-communiste.
C'est pourquoi les événements du 9 novembre ont signifié pour moi, comme pour nous tous, la fin
d'une ère d'idéologies destructrices. Cela a souvent été dit et doit être répété.
Mais la chute du mur n'a pas seulement été une fin (celle du communisme): elle a aussi été un
début. C'est la raison pour laquelle nous sommes présents ici ce soir.
1
Peter Sloterdijk, 'Der starke Grund, zusammen zu sein', Die Zeit, 2 janvier 2008.
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La chute du mur a créé un mouvement en Europe, pour l'Europe.
Notre continent divisé et glacé s'est réveillé, des millions de gens ont senti un besoin de liberté. Cela
a commencé à l'est du rideau de fer, ce rideau qui, selon Churchill, irait "de Stettin à Trieste". Il
était possible de se débarrasser de la tyrannie et de découvrir le souffle puissant de la liberté. Mais,
à l'ouest du mur, nous avons également été touchés. Le "vent du changement" n'a donc pas
seulement soufflé de "Stettin à Trieste", mais aussi de Cork à Capri et de Stockholm à Séville.
Avant 1989, la Communauté européenne signifiait surtout une intégration économique - le marché
intérieur était en route, Schengen n'en était encore qu'à ses balbutiements - mais une nouvelle
dynamique s'est alors emparée de notre aventure commune.
Le 9 novembre, qui a fait de l'Union européenne ce qu'elle est maintenant, doit aussi nous permettre
de comprendre comment agir aujourd'hui.
Avant 1989, toute l'Europe était derrière un rideau!
La carte du monde ne se déclinait pour nous qu'en Est et Ouest.
Dans cette conception du monde marquée par la guerre froide, l'Europe n'avait aucun rôle.
Ce n'est que quand le rideau s'est levé, en 1989, que la vieille Europe est sortie des coulisses pour
jouer son rôle sur la scène mondiale. Par étapes.
•
Occuper son espace.
•
Renforcer ses liens.
•
Trouver sa voix.
Ce sont les trois axes européens que je voudrais illustrer ce soir: notre espace, notre force, notre
voix.
II
Au lendemain de la chute du mur, Willy Brandt a eu ses paroles célèbres: "Maintenant s'unit ce qui
appartient l'un à l'autre"
Même s'il parlait de l'Allemagne, ses paroles sont tout aussi vraies pour l'Europe.
Nous nous sommes également "unis".
Il n'y avait pas de plan préétabli, mais ce n'est pas non plus un accident de l'histoire.
Le mouvement est venu des peuples, de la base, au départ de frémissements de liberté en Pologne,
en Hongrie, en Tchécoslovaquie.
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Ce qui était au départ une évasion de la tyrannie est devenu un mouvement de liberté. Des
commerçants, des étudiants, des hommes d'affaires, des touristes, des hommes et des femmes de
l'Est et de l'Ouest: dès que le mur est tombé, tous ont commencé à saisir leurs chances par-delà les
frontières. Aujourd'hui, l'entrée de dix pays d'Europe centrale et orientale dans l'UE a permis de
garantir cette liberté. C'est plus qu'un élément d'une Union économique. Un espace de liberté, où
règne l'État de droit, tant pour les voyageurs infatigables que pour les citoyens sédentaires: c'est une
marque de civilisation.
L'élargissement n'est pas qu'un processus bureaucratique bruxellois, c'est notre réponse aux
événements depuis 1989. En s'ouvrant à ses nouveaux membres, l'Union ne nous a peut-être pas
"uni", mais elle a réalisé quelque chose d'aussi essentiel: elle a consacré notre appartenance
européenne commune.
Le fait que nous sommes une Union.
Ce chapitre de l'histoire de notre Union n'est pas encore achevé.
Au cours des dix premiers mois de mon mandat, j'ai visité sept pays des Balkans occidentaux, afin
d'y confirmer leur perspective européenne.
Leur volonté de rejoindre notre club fait suite à une période de barbarie et de violence qui nous
semblait à tous impensable en Europe après 1945.
Cela devrait nous inciter encore davantage à les accueillir.
Pourquoi?
Parce que quasiment tous ceux qui font actuellement partie de l'Europe ont connu de profonds
bouleversements au cours du XXe siècle.
C'est le cas de l'Allemagne, de la France et des autres pays fondateurs après la destruction
provoquée par la deuxième guerre mondiale.
C'est le cas pour la Grèce, l'Espagne et le Portugal après la chute des dictatures.
C'est le cas des anciens pays communistes qui nous ont rejoints après la chute du mur.
À chaque élargissement, l'Union a absorbé les chocs.
Elle a été un gage de stabilité.
Elle a été un havre de prospérité et de justice.
Elle a été la garante de la paix.
L'entrée des Balkans occidentaux dans l'Union mettra ni plus ni moins un terme à la plus longue
guerre civile de l'histoire de l'Europe.
À tous ceux qui nous disent qu'il n'y a plus de guerre depuis tellement longtemps dans notre histoire
que la paix ne peut plus être un argument valable en Europe, que c'est une notion qui ne parle plus
aux jeunes générations, je réponds: "Allez dans ces pays et demandez à ces peuples! Demandez
aussi aux jeunes !"
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Atteindre cet objectif demandera du courage politique de chaque côté. L'idée d'un élargissement
n'est pas du tout populaire dans les États membres actuels. Bien sûr, les pays candidats devront
remplir toutes les conditions et rompre complètement avec leur passé de guerres civiles.
Les gouvernements et les partis favorables à l'Europe ne doivent pas perdre leur enthousiasme.
Les citoyens qui veulent la paix et la réconciliation ne doivent pas perdre l'espoir.
Les pays de cette région méritent que nous les aidions à concrétiser leur destinée européenne.
Pourquoi ces mouvements d'adhésion contribuent-ils aussi à lever le rideau pour l'Europe toute
entière ?
Pensez un instant aux deux significations du mot "Europe": d'une part notre merveilleux continent,
notre richesse culturelle, et d'autre part cet ensemble politique appelé UE.
L'Europe géographique et culturelle et l'EU-rope politique.
Voyons maintenant comment le temps a fait son œuvre.
Lorsque dans les années '50 seuls six pays se sont regroupés et se sont appelés "Europe", c'était
peut-être un peu prétentieux, ou plutôt un pari sur l'avenir. Cette promesse des débuts devient
maintenant réalité!
Grâce aux élargissements successifs, l'Union européenne est devenue l'expression politique de notre
continent.
Après 1989, nous devenons pareils à nous-mêmes, nos vêtements sont enfin à notre taille.
Lorsque nous disons que l'Europe est le continent des valeurs, c'est vrai aujourd'hui
pas seulement pour une petite partie de l'Europe, pas seulement pour la moitié de l'Europe, mais
c'est vrai aujourd'hui pour le continent dans son ensemble!
Cela nous rend crédibles.
Tous nos pays sont confrontés à une nouvelle diversité. Le temps des États-nations homogènes est
révolu. Chaque pays européen doit être ouvert à des cultures différentes. Mais nous n'avons qu'une
seule civilisation: elle est caractérisée par la démocratie, les droits individuels et l'État de droit.
À côté de la diversité - qui est indubitablement un atout pour nos sociétés - nous avons besoin, dans
chacune de nos sociétés, d'un sentiment d'unité, d'appartenance commune. Ce sentiment d'unité peut
être ancré dans des valeurs partagées, ou dans une langue, une histoire commune, un désir de vivre
ensemble (comme le disait Ernest Renan). Et ce désir jaillit surtout des histoires que nous nous
racontons.
Pensez aux anciens Grecs: les histoires d'Homère ont créé des liens qui ont dépassé les siècles. Elles
nous fascinent encore aujourd'hui.
Ce sont des histoires de guerre et de paix, d'exploits olympiques, de sacrifices surhumains, de la
prise d'une bastille ou de la chute d'un mur.
Ces histoires réussissent ce qu'un traité théorique sur les "valeurs" ne pourrait faire: elles
personnalisent les "vertus" de manière compréhensible, des vertus dont font preuve des hommes et
des femmes dans des situations réelles. Le courage, le respect, le sens des responsabilités, la
tolérance, la poursuite du bien commun.
Maintenir vivaces ces valeurs européennes, transmettre ces qualités ancestrales à nos enfants et à
nos petits-enfants, voilà un des grands défis de l'avenir.
Nous devons être une Union de valeurs, mais aussi une Union de vertus civiques.
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III
J'en arrive maintenant au deuxième axe de l'histoire européenne qui a commencé lorsque ce fameux
rideau s'est levé.
Je parle de l'euro, qui nous a tant apporté en unité et en stabilité.
Imaginez ce qu'aurait été la récession de 2008-2009 avec nos anciennes devises. Elle aurait
engendré un chaos monétaire et la fin du marché unique! Une guerre des changes finit
inévitablement par du protectionnisme.
Ce printemps, au plus fort de la crise des déficits publics, vous avez déclaré, Madame la
Chancelière: "L'échec de l'euro serait l'échec de l'Europe"
Ces mots ont marqué.
Vous avez ainsi mis en évidence la sagesse du passage à une monnaie unique. Vous avez vu que
créer une monnaie, c'était construire l'Europe.
Après la chute du mur, en cet instant de conflit potentiel entre la nouvelle Allemagne et ses
partenaires, les hommes d'État de 1989 - Helmut Kohl, François Mitterrand, Jacques Delors et les
autres - ont vu dans l'Europe un gage de stabilité et ont accéléré les plans du passage à une monnaie
unique. C'était le grand succès du traité de Maastricht.
Depuis lors, le sort de l'Europe et celui de l'euro sont indissociables.
L'euro est la manifestation la plus visible et la plus concrète de notre destinée commune. C'est aussi
notre outil le plus puissant.
Une monnaie commune signifie que les décisions de chacun nous affectent tous.
Nous l'avons vu! Ce printemps, une crise dans un pays de 10 millions d'habitants est devenue la
crise de 350 millions de citoyens européens; au début mai, elle est même devenue une menace pour
le monde entier.
La situation des pensions ou de la dette d'un pays touche les banques et les contribuables dans un
autre pays. Pour le meilleur comme pour le pire. Si Athènes est malade, Amsterdam en souffre et le
succès de Barcelone fait prospérer Berlin. Les intérêts nationaux et européens ne peuvent plus être
distingués: ils coïncident.
Jusqu'il y a un an, ce n'était qu'un savoir théorique.
La crise du printemps en a fait une réalité - que nous ne pouvons oublier.
Aujourd'hui, nous devons agir sur la base de ce fait - avec le sens des responsabilités.
C'est pourquoi, il y a deux semaines, le Conseil européen a pris d'importantes décisions: nous avons
scellé un pacte fort pour renforcer l'euro.
Nos décisions - et je pense en particulier aux recommandations de mon groupe de travail sur la
gouvernance économique - font en sorte que chaque État membre sente et comprenne que ses
décisions affectent tous les autres États membres et l'Union dans son ensemble. Une unité monétaire
n'est pas viable sans union économique.
Je suis très satisfait que le Conseil européen du 29 octobre ait approuvé le résultat final des travaux
du groupe de travail, ce qui représente une avancée considérable.
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Permettez-moi d'évoquer les trois points essentiels qui ont été dégagés.
Premièrement: nous suivrons de plus près l'évolution de la situation économique de nos pays, de
leur compétitivité ainsi que les risques de bulles immobilières et d'autres questions sensibles.
Nous agirons et prendrons des mesures correctives si nécessaire.
Cette démarche est réellement novatrice!
Si nous avions disposé de cet instrument pendant la première décennie d'existence de l'euro,
une crise dans la zone Euro aurait bien pu être évitée.
Deuxièmement: nous renforcerons le pacte de stabilité et de croissance, afin d'accroître
considérablement la responsabilité budgétaire et de sanctionner l'irresponsabilité. Les sanctions
seront appliquées plus tôt, pour un plus grand nombre de motifs, et leur application pourra être
décidée plus facilement. Certains sont déçus par le fait que le processus décisionnel ne soit pas plus
"automatique". Eh bien, grâce au nouveau vote dit à la majorité inversée, une plus grande
"automaticité" est précisément ce que nous proposons!
Il s'agit là d'un progrès décisif.
Troisièmement: nous établirons un "mécanisme permanent de gestion de crise pour préserver la
stabilité financière de la zone euro dans son ensemble". En tant que président du Conseil européen,
je mènerai des consultations avec les chefs d'État ou de gouvernement ainsi qu'avec le président de
la Commission en ce qui concerne la modification limitée du traité nécessaire à cet effet. Nous
tenons tous à ce qu'un système solide et crédible soit en place en 2013.
C'est notre devoir.
Considérées conjointement, ces propositions constituent la plus vaste réforme de l'Union
économique et monétaire depuis la création de l'euro. Elles rendront nos économies plus résistantes
aux crises. Nous parachèverons ainsi ce que nous avons commencé à édifier en 1989, non pas en
échafaudant un nouveau château, mais en renforçant les fondations déjà existantes.
Dans la droite ligne du traité de Lisbonne, l'ensemble des institutions et des États membres ont
œuvré ensemble à cette fin, ce qui constitue un excellent exemple de ce que la chancelière a baptisé,
la semaine passée à Bruges, la "méthode de l'Union".
La coopération est le leitmotiv. Tel a toujours été mon mode de fonctionnement politique.
Ainsi, dès le premier jour de mon mandat, j'ai établi des contacts structurels et informels avec
la Commission, le Parlement européen et la présidence tournante du Conseil. Sans coopération entre
les institutions ainsi qu'entre les États membres et les institutions, le traité de Lisbonne ne peut
fonctionner.
L'euro nous apporte donc la stabilité. Mais il nous faut également le progrès. Si nous nous
contentons de demeurer stables dans un monde en mouvement, nous connaîtrons un déclin.
Nous avons aussi besoin d'une croissance économique plus structurée.
Dans la plupart des pays européens - qui n'affichent pas une croissance démographique positive,
bien au contraire, en particulier en Allemagne - la croissance économique est pour l'essentiel due à
une augmentation du travail ou à un accroissement de la productivité et de la qualité du travail. Il
nous faut fabriquer des voitures plus performantes, mettre au point des machines plus compétitives,
développer des services plus intelligents.
Faute de quoi nous allons devenir un grand musée, mais pas un musée que vous et moi
apprécierions autant que celui-ci!
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Les réformes portant sur les régimes de sécurité sociale ou de retraite sont en principe du ressort des
États membres. L'Union européenne peut fixer des orientations, en particulier dans la zone euro,
mais la mise en œuvre est "décentralisée" (c'est le principe même de la subsidiarité). En temps
normal, l'Union peut surveiller l'évolution de la situation et faire des recommandations sur les
équilibres budgétaires et les dettes aux États membres, mais elle ne peut imposer des mesures
concrètes. Toutefois, lorsque les politiques suivies par un pays mettent en péril l'ensemble de la
zone euro, des sanctions peuvent être infligées, même dès le début.
Au sein du Conseil européen, la croissance économique constitue un leitmotiv depuis la première
réunion que j'ai présidée en février dernier. Pendant les prochains mois, j'ai l'intention d'aborder le
double thème de l'innovation et de l'énergie.
Ces réunions s'inscrivent dans une stratégie économique à long terme.
En mars, nous évaluerons pour la première fois, dans le cadre de ce qu'on appelle le semestre
européen, les efforts accomplis par tous les États membres pour mettre en œuvre la stratégie
Europe 2020 axée sur l'emploi et la croissance. Permettez-moi d'insister sur ce point: la croissance
et l'emploi, tel est notre objectif.
Certains se plaignent parfois du manque de courage politique de nos jours (en supposant qu'il y a
une ou deux générations cette qualité ait été monnaie courante!).
Pour ma part, j'ai vraiment apprécié le courage politique dont ont fait preuve nos gouvernements au
cours de l'année écoulée. Tous adoptent des mesures profondément impopulaires pour réformer
l'économie et le budget de leur pays, qui plus est à une époque de populisme croissant. Certains
chefs de gouvernement le font tout en étant confrontés à l'opposition du parlement, à des
manifestations dans les rues ou à des grèves sur les lieux de travail (ou à tout cela en même temps!),
et en étant pleinement conscients qu'ils courent un risque important de défaite aux élections - et
pourtant ils progressent. Cette démarche, qu'est-ce d'autre que du courage politique?
Nous surmonterons les divergences existant au sein de la zone euro, qui ont été à l'origine de la
crise de l'euro. Les différences observées actuellement dans les taux de croissance économique sont
dues aux mesures économiques rigoureuses prises par les pays confrontés à des problèmes, mais
tout cela sera temporaire. Dans quelques années, nous connaîtrons une plus grande convergence,
pas seulement en termes de politique suivie, mais également visible dans les chiffres.
Et pour rassurer les Allemands présents dans l'assistance, j'ajouterai qu'il s'agit de se rattraper et non
de ralentir!
L'euro est maintenant plus fort qu'il y a quelques mois, précisément parce que nous avons fait
preuve de volonté politique dans nos actes.
Je rends hommage ici, à Berlin, au rôle exceptionnel joué par la chancelière allemande et son
gouvernement depuis le début de la crise de l'euro.
L'amitié franco-allemande est un gage de réussite nécessaire pour la zone euro, mais elle ne suffit
pas. Les préoccupations de chacun devraient être prises en considération. Il m'incombe de veiller à
ce que tel soit le cas. Et tel est effectivement le cas.
À mon sens, la modification limitée du traité sur laquelle tous les chefs d'État ou de gouvernement
se sont mis d'accord il y a dix jours est essentielle, mais elle ne devrait pas rouvrir l'ensemble du
"débat interne" sur la nature, l'objectif et l'architecture de l'Union: des dossiers plus urgents nous
attendent.
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Pour la même raison, je ne crois pas que repenser les modalités de perception des ressources de
l'UE soit une priorité absolue. En principe, le système actuel tient compte de la capacité des États
membres à payer. Les contributions sont fondées sur le revenu national brut et sont donc
considérées comme équitables. Certains ont proposé de les remplacer par une taxe directe de l'UE,
perçue par exemple sur les transactions financières ou sur les émissions de carbone. L'argument
avancé est qu'en disposant de véritables "ressources propres" de ce type, les institutions de
Bruxelles agiraient de manière "plus responsable". Bien qu'ouvert aux nouvelles idées, j'estime que
la plupart des autres sources de revenus risquent de peser sur les États membres de manière inégale,
ce qui affecterait le caractère équitable et solidaire propre au système actuel. Donc, soyons
prudents, mais discutons-en.
La question la plus importante qui se pose est comment nous dépensons les fonds européens. Il nous
faut nous concentrer sur les domaines où les dépenses au niveau européen représentent une valeur
ajoutée pour les contribuables, en évitant les doubles emplois ou en permettant de réaliser des
économies d'échelle.
IV.
J'en viens finalement au troisième axe de notre histoire, entamée dans cette ville il y a vingt-et-un
ans.
Comme je l'ai dit, depuis ce jour de joie, le Rideau de fer s'est levé sur l'Europe toute entière:
•
nous intégrons dans notre cercle le reste de notre continent (grâce aux élargissements);
•
nous renforçons notre puissance au niveau interne (grâce surtout à l'euro);
•
et, en troisième lieu, nous élargissons notre rôle sur la scène mondiale.
Là aussi, l'année 1989 a marqué un tournant. L'évolution de la situation dans le monde nous a
obligés à assumer une responsabilité croissante quant à notre propre sécurité. Après la guerre froide,
nous sommes sortis de notre hibernation, non seulement en prônant des principes communs, mais
aussi en définissant et en défendant nos intérêts communs. À tous ceux qui parlent avec suffisance
ou complaisance d'un "déclin de l'Europe sur la scène internationale", je poserai juste la question
suivante: où se trouvait l'Europe sur cette scène avant 1989?
NOUS ne sommes pas les seuls à avoir changé depuis lors. Regardez le monde d'aujourd'hui!
Il n'est plus divisé entre l'Ouest et l'Est, avec le tiers monde dans un coin et nous-mêmes dans les
coulisses. Non, ces catégories que nous avons connu par le passé ont disparu.
Cette évolution politique et économique remarquable que nous appelons "mondialisation" a non
seulement permis à des centaines de milliers de personnes de sortir de la pauvreté, mais ce faisant a
également permis d'établir une nouvelle carte du monde. Ainsi, le tiers monde se réduit quasiment à
une grande partie de l'Afrique, tandis que la plupart des pays d'Asie, avec la Chine et l'Inde,
prennent de nouveau de l'assurance, tout comme l'Amérique du Sud.
TELLE est la scène mondiale sur laquelle l'Europe a son rôle à jouer.
Dans ce nouveau monde, qui peut nous ménager bien des surprises, nous devons gagner et occuper
notre place. Les chefs d'État ou de gouvernement ont un rôle décisif à jouer: ensemble, ils doivent
définir les intérêts stratégiques de l'Union, décider de ses priorités et indiquer la voie commune à
suivre.
Permettez-moi de décrire brièvement certains éléments nouveaux.
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Premièrement, le pouvoir et l'influence dans le monde relèvent de plus en plus de l'économie, et de
moins en moins des armes. Les conflits régionaux récents, tels que ceux en Iraq et en Afghanistan,
ont clairement mis en évidence les limites de l'intervention militaire. Les puissances émergentes en
tirent également un enseignement en se rendant compte qu'elles ne peuvent s'appuyer sur leur
capacité militaire croissante sans courir le risque de se retrouver isolées. En outre, l'économie
mondiale connaissant un taux de croissance d'environ 4%, la pression s'accentuera sur les prix de
l'énergie, des denrées alimentaires et des matières premières. L'accès à ces produits de base sera
essentiel dans les décennies à venir. En tant qu'Union, nous devons défendre nos intérêts dans ce
monde en pleine évolution.
Deuxièmement, dans le contexte de mondialisation que connaît notre planète, nous avons besoin
d'une gouvernance mondiale plus forte. C'est pourquoi il faut que le G20 assume un rôle plus
politique également. Deux grandes réformes sont dans l'impasse: ce qu'on appelle le cycle de Doha
visant à renforcer le libre-échange dans le monde et le suivi de la conférence de Copenhague sur le
changement climatique. Le mois dernier, les ministres des finances sont heureusement parvenus à
un accord sur la réforme du Fonds monétaire international. Cependant, le système monétaire
international en tant que tel ne fonctionne plus bien.
Seuls des taux de change basés sur le marché pourraient refléter correctement les "fondamentaux"
d'une économie et garantir une concurrence équitable entre les pays et les zones monétaires. Les
fondamentaux économiques, tels qu'une inflation modérée et des déficits faibles, doivent également
être solides, faute de quoi le spectre du protectionnisme réapparaîtra. La réorientation vers des taux
de change plus souples et des fondamentaux solides aura lieu progressivement, mais elle est
indispensable.
C'est pourquoi cette question sera une question capitale lors du sommet du G20 qui se tiendra à
Séoul cette semaine.
Troisièmement, l'Union européenne tient à reconnaître le rôle politique des nouvelles économies
émergentes. Les Européens l'ont fait en mettant en place le G20 au plus haut niveau et en renonçant
à deux sièges européens dans le cadre de la réforme du FMI. Néanmoins, nous estimons également
que les pays émergents devraient de leur côté se sentir plus responsables à l'égard de l'économie
mondiale et jouer un rôle plus actif dans la "gouvernance mondiale". J'espère qu'ils comprendront
qu'il est difficile de jouir à la fois des droits d'un pays sous-développé et de ceux d'une économie
avancée.
Dans ce monde en constante évolution, l'Union européenne doit continuer à s'adapter. Nous devons
peser de tout notre poids. Ainsi que nous l'avons indiqué dans les conclusions du Conseil européen
du 16 septembre 2010, nous devons construire nos relations avec nos partenaires stratégiques dans
un esprit de réciprocité et de bénéfice mutuel. Commençons par notre point fort: tirer parti de notre
poids économique. Au sein du FMI, les pays de la zone euro devraient coopérer étroitement. Nous
devrions un jour disposer au FMI d'un siège au nom de la zone euro et nous exprimer d'une voix
aussi forte que l'est notre monnaie commune.
Si nous voulons compter dans le monde, chacun des 27 États membres ainsi que les institutions de
l'UE devraient véhiculer les mêmes messages clés. Il ne s'agit non pas en soi de s'exprimer d'une
seule voix, mais de transmettre un seul et même message, délivré par l'ensemble des 27 pays.
Le traité de Lisbonne nous fournit les moyens politiques et diplomatiques à cette fin.
Après avoir passé le premier semestre de l'année à assurer la gestion de la crise, le Conseil européen
a commencé cet automne à donner les orientations stratégiques nécessaires. Désormais, nous nous
pencherons sur les relations étrangères lors de chaque réunion.
En bref: le Rideau est levé, le public attend et l'Europe est prête à jouer son rôle.
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V.
Nous devons ensemble lutter contre le danger d'un nouvel euroscepticisme.
Celui-ci n'est plus le monopole de quelques pays.
Dans chaque État membre, il y a des citoyens qui pensent que leur pays peut survivre seul à l'heure
de la mondialisation.
Cela est plus qu'une illusion, c'est un mensonge!
Franklin Roosevelt a dit: "La seule chose dont nous devons avoir peur, c'est de la peur elle-même".
Le plus grand ennemi de l'Europe aujourd'hui est la peur.
La peur mène à l'égoïsme, l'égoïsme mène au nationalisme et le nationalisme mène à la guerre
("Le nationalisme, c'est la guerre" (F. Mitterrand)). Bien souvent, le nationalisme d'aujourd'hui n'est
pas un sentiment de fierté à l'égard de sa propre identité, mais un sentiment négatif d'appréhension à
l'égard des autres.
La peur des "ennemis" à l'intérieur de nos frontières et au-delà est un sentiment qui existe dans toute
l'Europe, il n'est pas majoritaire, mais il est présent partout.
Notre Union est née d'une volonté de coopérer, de réconcilier et d'agir dans un esprit de solidarité.
La peur est source d'immobilité, d'un manque d'ambition ou, pire, de protectionnisme, en Europe et
dans le monde.
Ceux qui ont peur de perdre emploi et prospérité provoqueront précisément ce qu'ils voulaient
éviter.
-DERien n'a jamais été bâti sur la peur.
Les Européens de la première heure - Monnet, Adenauer, Spaak - avaient de l'ambition, ils n'étaient
pas timorés. Les citoyens de l'Allemagne de l'Est ont rejeté leur peur et ont ainsi vaincu la terreur du
communisme.
Notre Europe représente une société ouverte, et non fermée. Une société ouverte, certes, mais une
société qui a des règles et des valeurs, un projet et une identité positive.
Enfin, les gens respectent les personnalités qui sont des rassembleurs et qui ont un effet fédérateur.
Mais sans espoir et sans énergie, rien d'important ne peut être réalisé.
Il nous faut donc être des hommes et des femmes porteurs d'espoir.
Un espoir fondé sur les résultats du passé,
un espoir utilisé pour façonner le présent,
un espoir pour nous entraîner vers un avenir meilleur.
L'idée européenne a été le projet le plus généreux et le plus réussi dans le monde depuis 1945.
Il a permis d'unir l'ensemble du continent et nous a apporté paix et prospérité. Et il a fourni
aux 500 millions d'hommes et de femmes dans l'Union aujourd'hui les fondements sur lesquels ils
peuvent bâtir une meilleure Europe pour demain.
Mettons donc à profit notre expérience, et surtout que vive l'espoir!
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