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Sommaire
En guise de préface : Du Verbe au mouvement - Colette Pradelle ............... 2
Eurythmie - Art du mouvement en pédagogie et en thérapie
Sylvia Bardt ............................................................................................... 8
I - Qu’est-ce que l’eurythmie ?................................................................. 8
Une discipline du mouvement ............................................................... 8
EU-RYTHMIE – le "beau rythme" ........................................................... 9
Un langage rendu visible .......................................................................10
Mouvement et espace ............................................................................13
Les déplacements dans l’espace ............................................................14
II - L'eurythmie en tant qu’art.................................................................16
Les déplacements dans l’espace : pour donner forme à l’œuvre ..............17
Chorégraphie de groupe ........................................................................19
Le vêtement en tant qu’instrument du mouvement................................20
III - L'eurythmie et la sociabilité .............................................................22
L'eurythmie avec les tout-petits et au jardin d’enfants ...........................23
L'eurythmie dans les écoles Steiner-Waldorf ..........................................23
L'eurythmie comme exercice de sociabilité.............................................26
L'eurythmie dans la vie professionnelle .................................................27
IV - L'eurythmie de santé.........................................................................28
Les exercices d’eurythmie de santé........................................................29
Le phonème "B".....................................................................................29
Les voyelles sonnantes ..........................................................................31
Le phonème "L" .....................................................................................33
Le pentagramme - la forme de l’être humain..........................................35
Les mouvements de l’âme ........................................................................36
L’eurythmie de santé chez les personnes incapables de se mouvoir .......36
V - Considération finale ...........................................................................38
Centres de formation en eurythmie .......................................................39
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En guise de préface
Du Verbe au mouvement
Colette Pradelle
Ondes multiples nées avec le flux poétique ou musical ; ondes
entraînant chaque eurythmiste, saisissant le groupe et le faisant évoluer
dans un mouvement perpétuel, ondes aux couleurs fluides, toujours
changeantes - le spectacle d’eurythmie fait apparaître un monde où
tout est mouvement, vie, métamorphose.
Les gestes s’y déploient avec une grâce aérienne, naissent et renaissent,
jamais identiques. Il n’est pourtant pas là de fantaisie pure, de création
arbitraire mais expression d’un art aux lois précises.
Dans l’eurythmie, le mouvement accompagne toujours les sons1, qu’ils
soient parlés ou musicaux, plus que cela, il en révèle la nature profonde.
Car entre son et mouvement, il n’est pas de frontière, l’un peut
s’exprimer par l’autre.
Ceci peut surprendre. Pour s’en convaincre, on peut étudier les
expériences faites par le physicien Eugène Schiller à Dornach (Suisse)
qui montrent comment les sons et les bruits font varier la forme des
flammes, dans un air soustrait à tout autre influence, le son y crée des
formes rendues visibles par le mouvement modifié des flammes. Plus
récemment, des expériences et des travaux scientifiques qui
approfondissent le rapport entre son et mouvement ont fait l’objet d’une
thèse de doctorat en phonétique soutenue avec succès à l’Université de
Besançon le 20 décembre 2007 par Serge Maintier, art-thérapeute en
art de la Parole : « Les formes aériennes des sons du langage /
Contribution à la mise en évidence des morphologies spécifiques des
turbulences phonatoires externes / Une approche morphodynamique et
acoustique. »
Il en est de même pour chaque son que nous émettons : il imprime dans
l’air une forme qui lui est propre et que nous pouvons reproduire à
l’aide de nos bras et de mouvements du corps tout entier. Ce que nous
faisons inconsciemment en accompagnant de gestes notre langage
parlé, l’eurythmiste le reprend et l’élabore d’une manière consciente,
méthodique et artistique.
1
Dans cet article, les termes de “sons” et de “sonorités”, plus immédiatement compréhensibles, ont été préférés à celui de “phonèmes” pour désigner les productions
sonores élémentaires du langage (voyelles, consonnes, voire syllabes).
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Aussi est-il juste, pour la commodité de l’étude, de réduire l’eurythmie
à ses éléments de base : les sons.
Il est possible de retrouver pour chaque son de l’alphabet ou de la
gamme le geste correspondant et à partir de là, de créer un nouvel art
du mouvement. C’est ainsi que naquit l’eurythmie fondée par Rudolf
Steiner au début du XXe siècle dans un groupe qui allait la présenter
sur les grandes scènes d’Europe et d’Amérique.
L’eurythmie propose en préalable une nouvelle expérience de l’espace.
En fait, celui-ci n’est pas seulement une donnée abstraite, support de
relations de positionnement, de grandeurs mesurables, mais aussi et
surtout une réalité dont on peut saisir la qualité, - les qualités – donc
réalité à laquelle l’âme peut se lier. L’eurythmie reconstruit le lien de
l’âme avec l’espace, avec les formes. C’est par la présence de l’âme
que le mouvement se trouve, découvre sa beauté, sa plénitude. Sans
expérience intérieure, il n’y a pas de mouvement eurythmique.
Ainsi un mouvement aussi quotidien que la marche peut-il devenir un
immense champ d’expérience où l’âme éprouve différentes manières
d’être à partir des composantes de l’espace géométrique : verticalité,
horizontalité, avant, arrière. Le corps n’est plus réduit à lui-même tel
un objet simplement repéré dans les trois dimensions, mais, repris
dans un souffle qui le porte et l’entraîne, il est relié activement au
monde.
C’est à partir du travail sur les sonorités du langage et de la musique
que l’eurythmie révèle toute son originalité dans un apport des plus
importants pour l’art à notre époque.
« Comme de longs échos qui de loin se confondent
Dans une ténébreuse et profonde unité,
Vaste comme la nuit et comme la clarté,
Les parfums, les couleurs et les sons se répondent. »
Extrait du poème Correspondances
(Les fleurs du mal - Baudelaire)
Ce que le poète a pressenti et merveilleusement exprimé, Rudolf
Steiner, de son côté, en a fait un objet de recherche, faisant apparaître
que son et mouvement sont liés par nature au Verbe créateur.
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Cependant, beaucoup plus qu’un système de « correspondances », qu’estce qui fait de l’eurythmie un art ? Cherchons comment on peut répondre
à cette question en prenant l’exemple de l’eurythmie du langage.
Lorsque nous disons « Ah ! », nous exprimons un étonnement, une
admiration, sentiments qu’il semble impensable d’extérioriser par un
geste de repli. Le son est ici vécu, chargé de toute une valeur psychique,
non arbitraire. Le « Oh ! », par exemple, exprime un autre registre du
sentiment teinté d’affection, de tendresse ou d’émerveillement.
Spontanément, les enfants utilisent la richesse et la diversité d’expression
des sonorités : ils accompagnent leurs réactions et leurs évolutions
ludiques de mmm…, ch…, sss…, brrr…, onomatopées prolongées,
différentes selon les situations dans lesquelles elles apparaissent.
Ces constatations viennent à l’encontre d’une attitude très répandue,
qui considère les sons du langage comme un ensemble de signes
arbitraires dénués de vie, et qui n’ont d’autre fonction que de s’associer
de manière conventionnelle pour former les mots du langage.
Des poètes de tous les temps, et avec eux Rudolf Steiner, s’inscrivent
contre ce courant : les sons par eux-mêmes expriment une expérience
d’ordre à la fois psychique et cosmique. Ce sont eux que nous trouvons
aux sources du langage, chargés de toute une force expressive qui est
à la base de leur association dans les mots.
Dans les civilisations antiques, prononcer, dire, nommer, c’était
exprimer toute la relation entre l’Homme et le Cosmos, une relation dont
on pouvait saisir les éléments fondamentaux dans les différents sons :
« Prononcer une consonne avec la voix juste, c’était faire revivre l’une des
images zodiacales ; prononcer une voyelle, c’était rappeler les
mouvements des planètes devant ces mêmes images. » Berthin
Montifroy : Article paru dans « l’Expérience Spirituelle du Langage »
(Édition Triades).
« Autrefois le nom était une réalité ; il avait un rapport réel avec l’être ou
l’objet qu’il désignait. Sa sonorité devait en exprimer la nature intime, le
nom était comme un écho de l’être dans le son » Rudolf Steiner
On pouvait alors parler de « Magie de la Parole » qui tenait une place
très importante dans l’enseignement des initiés. Paul Coroze cite des
centres initiatiques égyptiens où « les instructions données par les
prêtres font apparaître la complication, la minutie de cette magie verbale ».
Pour que le texte soit efficace, il fallait qu’il soit dit d’une voix juste.
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Une telle tradition peut nous aider à situer dans une perspective bien
plus précise la force créatrice du langage évoquée dans la Genèse : « Et
Dieu dit … » et dans l’Évangile de Jean : « Au commencement était le
Verbe… ». C’est sur cette base grandiose qu’a été créée l’eurythmie,
ce nouvel art du mouvement, art de l’avenir.
Sans doute pensera-t-on que ceci est bien éloigné de la condition de
l’homme moderne. Il ne s’agit certes pas de s’installer dans un passé
qui semble à jamais révolu. Notre conscience actuelle ne s’en
accommoderait pas. Il nous faut explorer la nature profonde du
langage, en découvrir les possibilités, les richesses dans une démarche
renouvelée.
Lorsque Paul Valéry déclare : « Je trouve un homme très ancien en tout
poète véritable : il boit encore aux sources du langage ». Ce qui pour nous
est significatif, ce n’est pas le retour aux sources en lui-même, mais le
fait qu’à notre époque cet accès puisse contribuer à un
approfondissement de l’expérience poétique, de l’expérience humaine
et finalement représenter un progrès.
Lorsqu’on pénètre intimement la nature des sons, dans une approche
poétique ou eurythmique, l’intérêt du mot ne réside plus seulement
dans sa signification mais dans sa réalité sonore. Le prononcer, c’est
percevoir - avec plus ou moins d’évidence selon qu’il a gardé encore
fraîche la trace des origines - l’impulsion créatrice première qui s’est
saisie des sons pour exprimer la chose signifiée.
Chacun d’eux est un monde aux mystères encore insoupçonnés, Arthur
Rimbaud en témoigne ainsi : « Des faibles se mettraient à penser sur la
première lettre de l’alphabet qu’ils pourraient vite ruer dans la folie. »
(Correspondance)
Paul Valéry donne le conseil suivant : « Défendez-vous longtemps de
souligner des mots, il n’y a que des syllabes et des rythmes ». (De la
diction des Vers) car la substance poétique se tisse de cette réalité
spirituelle des sonorités.
Mais en quoi le mouvement peut-il être lié à cette expérience poétique
du langage ? - Parce que la Parole est elle-même mouvement.
Ceci est confirmé par Saint John Perse : « La poésie pour moi est avant
tout mouvement, dans sa naissance comme sa croissance et son
élargissement final. » C’est par un mouvement intérieur que le Poète
perçoit la nature des sonorités, un mouvement toujours vécu,
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significatif, coloré, un mouvement de l’âme. Le son et le geste le
manifestent. Pour mieux saisir la qualité du mouvement eurythmique,
on peut regarder ce qui se passe lorsque par exemple un élan nous
porte vers quelqu’un : cet élan naît d’une impulsion intérieure et par ce
fait déclenche le geste physique et l’alimente.
Quel qu’il soit, le mouvement eurythmique prend toujours naissance
au centre de l’être. Et c’est cette région intérieure où, surtout chez le
poète, se révèle l’essence du langage, que l’eurythmie rend visible.
Art, l’eurythmie l’est jusque dans sa technique. Il est impossible d’ôter
aux exercices quotidiens la participation intérieure : l’automatisme les
défigure. On voit d’après ce qui précède – et Rudolf Steiner le souligne
avec force – qu’il est plus important d’acquérir une expérience profonde
du langage que de connaître les seuls mouvements eurythmiques. Pour
que le Son devienne Geste, et que cette métamorphose ait lieu d’une
manière juste, donc artistique, il faut, de la part de l’eurythmiste, cette
présence totale à soi-même et au monde dans laquelle se révèle la
nature objective du son. Alors naît le mouvement vrai, un mouvement
qui ne se fige pas dans la rigidité mais laisse apparaître l’expérience
intérieure du son, l’émotion désormais lisible dans le geste, par le geste.
Et afin de donner à l’expérience du mouvement toute sa plénitude,
Rudolf Steiner propose d’étudier une autre qualité des sonorités :
leurs couleurs. La recherche eurythmique fait apparaître en effet que
chaque sonorité a ses couleurs spécifiques. La capacité de l’eurythmiste
à vivre intérieurement le flux coloré changeant avec les sons qui se
succèdent, contribue à la qualité du mouvement, de ce qui sera
communiqué au spectateur. Cette expérience des couleurs trouvera
son écho dans la mise en scène du spectacle : l’eurythmiste qui porte
la robe longue et le voile de teintes différentes évolue dans des éclairages
scéniques créant des ambiances lumineuses colorées qui se
métamorphosent au rythme du texte.
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Base indispensable, la connaissance de chaque son doit pourtant être
dépassée puisque les phonèmes s’associent dans les syllabes, les mots
et les phrases. Et dans son interprétation artistique, la façon dont
l’eurythmiste passe d’un mouvement à l’autre revêt une importance
capitale. C’est dans ce passage que s’exprime ce qu’il y a d’unique dans
la succession de deux sons, que se révèlent les impondérables suggérés
par les mots, entre les mots, enfin que se manifeste le caractère propre
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de chaque texte. Le lié du mouvement va en quelque sorte trouver un
achèvement à la fin du vers ou de la strophe dans une attitude reflétant
la tonalité du passage : interrogation, exclamation, négation ou bien :
joie, connaissance, désespoir, solennité, etc. quelle que soit l’attitude,
elle demande un léger temps d’arrêt.
L’eurythmiste est ainsi engagé(e) dans un travail d’élaboration qui va
lui permettre de pénétrer et de manifester toutes les structures du
langage et par elles, le message contenu dans le texte interprété. Travail
d’élaboration qui prend le corps pour instrument. « Le corps tout
entier doit devenir instrument de l’âme », indique Rudolf Steiner
aux eurythmistes ; âme telle une eau pure où sans heurt se propagent,
comme des ondes, les impulsions du langage. L’effort de l’eurythmiste
à rendre son corps toujours plus perméable à l’influx des sonorités
s’accompagne de la joie qu’il y a à faire naître une réalité spirituelle, à
l’installer dans notre espace terrestre qui dépasse alors le caractère
euclidien de sa nature pour s’intégrer dans une dimension nouvelle,
celle de l’âme. Il s’agit ici d’une rencontre, d’une fusion de deux ordres,
génératrice de vie.
Tous ces éléments artificiellement séparés pour l’étude et dont
l’énumération peut paraître fastidieuse, vont se fondre, prendre leur
juste valeur dans cette symphonie du mouvement qu’est le texte
eurythmisé, où la grâce du geste, énergique ou suave, se prolonge dans
le jeu des voiles mouvants s’attardant dans l’atmosphère colorée.
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La pratique de l’eurythmie nous permet de retrouver cette « Parole »
enfouie en nous, de prolonger par une activité créatrice ce que la nature
a inscrit dans notre constitution. A la fois démarche de connaissance
à laquelle participe le sentiment et pratique d’une discipline,
l’eurythmie est toujours génératrice d’une harmonie retrouvée.
« Il n’y a pas l’eurythmie et le reste ; mais quand on la pratique, ses
bienfaits rejaillissent sur la vie tout entière », témoignent ceux qui l’ont
adoptée. A cela rien d’étonnant puisqu’elle nous ouvre les arcanes du
langage – cette activité qui émane par excellence du centre de notre
être – en faisant appel au corps qui devient ainsi manifestation de l’âme,
instrument d’une création nouvelle qui jaillit dans l’espace redécouvert,
ré-habité.
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Eurythmie - Art du mouvement
en pédagogie et en thérapie
Sylvia Bardt
I - Qu’est-ce que l’eurythmie ?
Une discipline du mouvement
A notre époque, le mouvement est partout recommandé et conseillé là
où la santé est concernée. L’être humain, dans nos sociétés, vit
aujourd’hui dans une situation paradoxale : “trans-porté” en voiture,
en train ou en avion, à la plus grande vitesse possible sur d’énormes
distances, pendant tout ce temps, par contre, il reste lui-même en
position de repos. L’indispensable mouvement propre à chaque individu
est réduit au minimum. Pour compenser ce manque, de nombreux
sports et arts du mouvement sont proposés.
Au début du 20e siècle, la vie quotidienne était encore fortement
imprégnée de mouvements effectués naturellement et le manque de
mouvement n’était pas considéré comme un “risque de santé”. Pourtant
Rudolf Steiner fut invité en 1911 à élaborer des formes de mouvements
qui stimulent l’être humain dans sa totalité, c’est-à-dire en tant qu’être
de pensée, de ressenti, de volonté et qui l’amènent à se mouvoir d’une
façon plus adaptée à la gestuelle humaine.
Ainsi pouvait-on imaginer que cela dépassait la seule discipline du
mouvement lui-même, telle qu’elle était pratiquée en sport, en danse
et en gymnastique (1).
L’observation précise montre que tous les mouvements sont pénétrés
d’une force de vie qui échappe, quant à elle, à la perception visuelle.
Source de nos capacités, elle nous permet, grâce à l’exercice, de penser,
de sentir, de vouloir, donc de pouvoir être actif.
Pour un nombre infini de mouvements organiques, cette force vivante,
motrice, se tient à notre disposition. Tel un grand organisme, elle nous
enveloppe, elle agit, elle se manifeste comme un deuxième corps invisible il est vrai. Rudolf Steiner appelle ce corps le corps de forces
modelantes ou corps éthérique . Ces forces créatrices, formatrices,
conservatrices de forme, préservent le corps physique de devenir trop
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sclérosé ou de mourir. Chaque artiste, chaque pédagogue fait appel à
la dynamique de ces forces qu’il peut utiliser d’une manière constructive
et salutaire.
Le rapport "conscient" avec ces forces - invisibles mais pourtant
entretenant la vie - c’est cela qui différencie l’eurythmie des autres
disciplines du mouvement.
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- “le beau rythme”
C’est précisément à travers le mouvement que l’eurythmie, cet art du
mouvement créateur, rend visibles les forces éthériques, modelantes
et formatrices de l’être humain. De là est née une forme nouvelle de
danse.
Un exemple fondamental de l’activité de ces forces nous est donné par
la respiration : inspir / expir. Ainsi, le mouvement des poumons et du
thorax qui se dilatent pour que l’air puisse entrer puis se contractent
ou se relâchent pour libérer l’air, réalise “une gymnastique
inconsciente”. Ce processus de la respiration se laisse imiter par les
possibilités gestuelles des bras. Il peut même être manifesté par la
stature humaine dans sa totalité à travers ses attitudes : courbures,
flexions, extensions et détentes – et jusque dans les déplacements à
travers des formes marchées d’enroulement et de déroulement de
spirales.
Saisissant de l’extérieur le corps tout entier, d’une manière profonde,
rapide, retenue ou relâchée, le souffle3 change la sensation globale du
corps, modifie les états d’âme. L’art fait également cela : langage,
musique et rythme donnent des ailes à nos mouvements et ainsi
pénètrent profondément notre être intérieur. Bien-être, tristesse, fatigue
peuvent aussi devenir dépendants de ce qui est perçu (entendu, vu,
etc.) et surtout lorsque ces impressions sont reçues inconsciemment.
Un exemple : dans les grands magasins, l’avalanche de marchandises
a pour but d’agir puissamment pour influencer les intentions d’achats.
Si nous cherchons dans l’être humain l’équivalent de la mesure en
musique, nous trouvons le pouls. Il est plus inconscient que la
respiration et pourtant il manifeste encore plus la vie.
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Du grec : eu : beau, harmonieux (NDLR).
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Le mot souffle doit être ici pris dans son sens global : inspir et expir (NDLR).
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En musique, les temps forts et faibles se regroupent différemment
suivant la mesure. Nous nous mouvons autrement avec la mesure à
3/4 d’une valse qu’avec la mesure à 2/4 ou à 4/4 d’une marche et ceci
uniquement à l’écoute. Par exemple, si une musique s’accorde
exactement à la fréquence du rythme cardiaque et que son rythme
s’accélère - comme dans un tempo techno – il s’ensuivra une
intensification impressionnante des mouvements, qui toutefois passera
à côté de la conscience.
Au contraire, si nous transposons consciemment au mouvement les
éléments du rythme et de la mesure, nous “pénétrons” dans ce qui agit
sur le pouls et la respiration. Les forces de vie seront par là suscitées
et renforcées. Alors les mouvements issus de l’activité artistique
aboutiront globalement à une action bienfaisante.
Langage visible
Mots
Les mots sont des grenades mûres
elles tombent sur la terre
et s’ouvrent.
L’intérieur devient l’extérieur
le fruit livre simplement son mystère
et montre ses graines,
un nouveau mystère.
Hilde Domin (1909-2006)
“L’intérieur devient l’extérieur - le fruit livre simplement son mystère”
– C’est exactement ce qui se produit en eurythmie. Elle mène l’être
intime du langage vers la visibilité.
L’eurythmie est langage rendu visible.
Le langage humain sera rendu possible grâce à une action combinée
de nombreux organes, eux-mêmes différenciés au plus haut point.
Ainsi le souffle, la langue, le palais, les lèvres ont appris à capter les
mouvements d’une façon très fine et à leur donner forme en tant que
langage, porteur de sens et de sentiment.
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Le phonème “M”
Comment le “M” se forme-t-il en nous ? Lorsque le “M”, seul, est
prononcé avec un sentiment de bien-être, on ressent comme il ruisselle
à travers tout le corps, depuis les profondeurs de notre être intérieur ;
comme il est savoureux ! Le M ainsi formé à partir des lèvres et
délicatement ressenti, nous éprouvons une unité entre le corps et l’âme.
Ce “M” est une sonorité de la sympathie, le premier phonème à être
émis par nombre d’enfants. Le mot “maman” pourrait-il commencer
par un autre son que le “M” - de même que le mot “mère” ? Le
mouvement éthérique du “M” est ce qui relie le sentiment corporel, la
sympathie avec le mot “maman”.
Si nous formons le mouvement en nous inspirant du ressenti du “M”,
le corps physique deviendra aussi souple et expressif que le “M” du
bien-être. Les bras et les mains tâtonnent, s’assouplissent comme le
font les lèvres, générant un mouvement fluide et réceptif – qui sera
rempli d’âme.
De la consonne à la voyelle
En opposition, prenons une voyelle, qui a valeur de “son en soi”, elle
se manifeste, révélant sa qualité propre, sa tonalité, elle résonne. C’est
autre chose qu’une consonne, « un son qui sonne avec » (con-sonne).
C’est en effet grâce aux consonnes que le langage est articulé, exigeant
de nombreux mouvements des lèvres, de la langue, de la gorge.
Contrairement aux consonnes, la voyelle jaillit librement avec le souffle ;
elle est très peu formée par les instruments du langage. Le sentiment
s’exprime à travers elle. On s’en rend mieux compte avec les
exclamations : “Ah !”, “Oh oh”, “Hi” etc. qui sont totalement déterminées
par le son de la voyelle.
Le son “I”
Le “I”, la voyelle la plus claire, a quelque chose en soi de rayonnant, de
vertical. Nous le ressentons dans les mots allemands “Licht” (lumière),
“Ich” (je), “Himmel” (ciel) – en français, libre, vie, pic. Le “I” est en
corrélation avec le sens des mots, de même dans le mot “Mitte” (milieu).
Jusque dans notre écriture le “I” a la forme linéaire. Ainsi un étirement
du geste, un mouvement vertical et clair, est facile à ressentir en tant
que mouvement eurythmique du “I”.
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