les dommages en série - responsabilité, assurance et indemnisation

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Études générales —
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LES DOMMAGES EN SÉRIE - RESPONSABILITÉ,
ASSURANCE ET INDEMNISATION
(Deuxième partie)
par Bernard Dubuisson
Professeur ordinaire à l'Université catholique de Louvain
III. — LES DOMMAGES
EN SÉRIE ET L'ASSURANCE
33. — Les dommages en série posent en
matière d'assurance des problèmes qui ne
sont pas moins difficiles qu'en matière de
responsabilité civile. La multiplication des
réclamations expose l'assureur qui couvre
la responsabilité civile à de nombreux
débours qui pourraient mettre en péril son
équilibre financier.
Pour éviter cet impact négatif, l'assureur
met en place des techniques contractuelles
permettant de délimiter clairement ses
engagements en cas de sinistre sériel. La
clause de globalisation qui a pour effet de
considérer comme un seul sinistre l'ensemble des réclamations issues d'un même fait
générateur est le moyen le plus fréquemment utilisé dans ce but.
Une bonne compréhension des conséquences de la clause de globalisation nécessite
de rappeler les difficultés auxquelles donnent lieu la définition et le moment du sinistre, l'étendue de la garantie dans le temps
ainsi que la fixation des plafonds de garantie en assurance de responsabilité civile (A).
Ensuite, on abordera les questions particulières liées à la mise en œuvre de ces clauses de globalisation en cas de sinistre sériel
(B).
A. — Le sinistre en assurance
de la responsabilité civile
34. — On sait que la définition du sinistre
pose problème dans les assurances de la
responsabilité civile en général, dès lors
que l'établissement de la responsabilité
passe par des étapes successives qui peuvent, s'agissant de responsabilités latentes,
s'étaler dans le temps (1).
L'étirement de la responsabilité, d'une part,
et le caractère le plus souvent illimité de la
responsabilité couverte, d'autre part, oblige
l'assureur à délimiter ses engagements
dans le temps et en montants. La délimitation de la couverture dans le temps vise à
écarter de la garantie des réclamations qui
seraient formulées tardivement (2). La délimitation de la garantie en montants vise à
définir un plafond au-delà duquel l'assureur
n'est plus tenu d'intervenir (3).
1. — La définition du sinistre
35. — La réalisation du risque dans les
assurances de responsabilité peut suivre un
processus très lent pouvant s'étaler sur plusieurs années, depuis le fait générateur de
la responsabilité jusqu'au paiement final de
l'indemnité. Comment dans ces conditions
définir le sinistre ? La nouvelle loi du 4 avril
2014 relative aux assurances qui intègre
désormais la plupart des dispositions de la
loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (L.C.A.T.) ne s'attarde pas
vraiment à cette question qui a pourtant des
conséquences importantes non seulement
sur l'application des textes de la loi faisant
référence à la notion de sinistre, mais aussi
sur le fonctionnement même de la garantie
d'assurance.
Dans le chapitre III du titre III consacré aux
assurances de la responsabilité civile,
l'article 141 de la nouvelle loi (ex-article 77
de la L.C.A.T.) prévoit certes que « le présent chapitre est applicable aux contrats
d'assurance qui ont pour objet de garantir
l'assuré contre toute demande en réparation fondée sur la survenance du dommage
prévu au contrat, et de tenir, dans les limites
de la garantie, son patrimoine indemne de
toute dette résultant d'une responsabilité
établie », mais l'intitulé de cet article montre
bien que son objet est de délimiter le champ
d'application du chapitre VIII en démontant
le mécanisme de l'assurance de la responsabilité, et non de définir le sinistre dans
cette catégorie d'assurance.
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L'objet des contrats d'assurance de la resp onsabilité est bien de te nir l'assuré
indemne d'une dette de responsabilité.
Celle-ci se traduit par une demande en
réparation fondée sur la survenance d'un
dommage. Mais l'article 141 ne dit pas quel
est l'élément qui doit être considéré comme
déterminant en vue de définir le sinistre.
36. — Face au silence du législateur, certains auteurs estiment que la définition du
sinistre dans cette catégorie d'assurance
n'est pas nécessairement univoque et que
celui-ci peut se cristalliser à des moments
différents en fonction de la portée de la disposition légale en cause (81).
Sans préjudice des modulations qui pourraient se justifier au regard de dispositions
légales particulières, il vaut mieux partir de
l'idée théorique qu'il ne saurait y avoir sinistre dans cette catégorie d'assurances tant
que tous les éléments de la responsabilité
ne sont pas réunis, ce qui revient à situer,
en principe, le sinistre au moment de la survenance ou de la première manifestation du
dommage. La dette de responsabilité ne
peut en effet se concevoir tant que le dommage n'est pas survenu. C'est à ce moment
que naît la créance en réparation de la victime, même si son montant ne sera précisément fixé que postérieurement au jour du
jugement (82).
Il ne faut pas oublier cependant que l'assurance de la responsabilité civile fait naître
une autre obligation pour l'assureur que
celle de prendre en charge la dette de responsabilité. L'assureur doit aussi prendre
fait et cause pour son assuré dans le procès
qui l'oppose à la victime. Rien n'empêche
de considérer que cette obligation, à la différence de l'obligation de garantie, naît dès
que survient l'événement dommageable.
Il pourrait en aller de même en ce qui concerne l'obligation de déclarer le sinistre.
Compte tenu de l'intérêt que présente la
déclaration du sinistre pour l'assureur, le
délai de déclaration pourrait commencer à
courir dès que l'assuré a connaissance à la
fois de l'événement et de ses conséquences dommageables. Cela signifie que
l'assuré doit bien entendu déclarer un sinistre avéré, mais que cette obligation pourrait
(81) M. Fontaine, Précis de droit des assurances,
4e éd., Bruxelles, Larcier, 2010, p. 439, nos 684 et s.
(82) Lamy Assurances, éd. 2013, op. cit., no 1394 et
no 1408.
naître anticipativement dès qu'il a connaissance d'un fait pouvant entraîner un dommage de nature à entraîner la garantie (83).
La définition du sinistre serait ici adaptée
compte tenu de l'importance que représente pour l'assureur le fait d'être informé
rapidement de la survenance du sinistre.
En revanche, on ne voit pas très bien en
quoi la réclamation de la victime participerait à la définition du sinistre (84). La responsabilité se conçoit en effet indépendamment de la réclamation. Si la réclamation de
la victime se voit reconnaître une importance dans les contrats d'assurance de la
responsabilité civile, c'est uniquement pour
délimiter la garantie d'assurance dans le
temps (voy. infra, no 37). À peine de confusions, la clause à base de réclamation ne
peut donc, à notre avis, être tenue pour une
clause participant à la définition du sinistre
en assurance de la responsabilité civile.
2. — L'étendue de la garantie
dans le temps
37. — Vu l'étalement de la responsabilité
dans le temps et la durée limitée du contrat
d'assurance, il se pourrait que l'un ou l'autre
des éléments constitutifs de la responsabilité déborde, d'un côté ou de l'autre, la
période de garantie.
Si, par exemple, le fait générateur de la responsabilité a pris naissance avant la conclusion du contrat, mais que la survenance du
dommage et la réclamation surviennent
pendant la période de garantie, déterminer
si l'assureur est tenu de couvrir ce sinistre
relève d'une question d'antériorité. Si, par
contre, le fait générateur ou le dommage est
survenu pendant la période de garantie,
mais que la réclamation survient après la
cessation du contrat, savoir si l'assureur est
tenu de garantir le sinistre relève d'une
question de postériorité (85)
(83) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain,
op. cit., p. 476, no 802.
(84) Lamy Assurances, éd. 2013, op. cit., p. 518,
no 1423.
(85) Sur cette question en droit belge, voy. C. Paris,
« Considérations sur l'étendue de la garantie dans le
temps dans l'assurance de la responsabilité », in
B. Dubuisson et V. Callewaert (dir.), La loi sur le contrat d'assurance terrestre - Bilan et perspectives
après 20 années d'application, Bruxelles, Bruylant,
2012, pp. 111-138 ; C. Van Schoubroeck et
G. Schoorens, « De aansprakelijkheidsverzekering :
a never ending story », T.B.H., 1995 ; T. Van Sweevelt, De beroepsaansprakelijkheidsverzekering van
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Pour des raisons techniques, l'assureur est
attentif à bien maîtriser ses engagements
dans le temps tant sous l'angle de l'antériorité que de la postériorité.
38. — La question de l'antériorité ne faisant
pas l'objet d'une disposition impérative dans
la loi relative aux assurances, on en déduit
généralement que les parties sont libres de
la régler comme ils l'entendent (86). Parfois
l'assureur accepte de reprendre le passé
inconnu, c'est-à-dire de couvrir les conséquences d'un fait survenu avant la conclusion du contrat dont l'assuré ignorait ou
pouvait légitimement ignorer l'existence.
À défaut de clause contractuelle réglant la
prise en charge de l'antériorité, il va de soi
que l'article 58 de la loi relative aux assurances (ex-article 5 de la L.C.A.T.) oblige le
preneur à déclarer à son assureur, dès la
conclusion du contrat, tout fait générateur
et, a fortiori, tout dommage dont il aurait
connaissance et qui pourrait donner lieu à
une réclamation. Si le dommage survient ou
si la réclamation est formulée avant la conclusion du contrat, il nous semble que le
sinistre est déjà accompli et que l'assureur
ne pourrait le couvrir à défaut d'aléa au
moment de la conclusion du contrat
(article 79 de la loi du 4 avril 2014 relative
aux assurances).
39. — Si la question d'antériorité n'est pas
réglée par la loi relative aux assurances, par
contre, l'article 142 de la même loi (exarticle 78 de la L.C.A.T.) réglemente explicitement les obligations de l'assureur postérieures à l'expiration du contrat (87).
L'article 142, § 1 er, pose, tout d'abord, le
principe général de manière impérative : la
garantie porte sur le dommage survenu
pendant la durée du contrat et s'étend aux
réclamations formulées après la fin de ce
contrat. Si le dommage survient pendant la
durée du contrat, l'assureur doit donc
garantir toutes les réclamations qui se rappor tent à ce dommage sans limite de
temps, si ce n'est bien entendu celle qui se
déduit du délai de prescription de l'action en
responsabilité civile.
artsen en ziekenhuizen : een vergelijkende analyse,
Gand, Mys & Breesch, 1997, 120 p.
(86) Sur cette interprétation qui reste discutée, voy.
M. Fontaine, Précis de droit des assurances, op. cit.,
no 699, spécialement note 1606, et les réf. citées.
(87) Pour un commentaire, voy. M. Fontaine, Précis
de droit des assurances, op. cit., p. 446, nos 698 et s.
Pour les contrats déterminés par le Roi,
l'article 142, § 2, alinéa 1er, prévoit que les
parties peuvent convenir que la garantie
d'assurance por te uniquement sur les
demandes en réparation formulées par écrit
à l'encontre de l'assuré ou de l'assureur
pendant la durée du contrat pour un dommage survenu pendant cette même durée.
Dans ce cas, les parties sont donc autorisées à introduire une clause à base de
réclamation (claims made) (88). Pour que
l'assureur soit tenu à garantie, on notera
cependant que tant la réclamation de la victime que la survenance doivent survenir
pendant la durée du contrat.
Pour éviter les effets limitatifs d'une telle
clause sur la garantie offerte, l'alinéa 2 prévoit que l'assureur qui fait usage d'une
clause à base de réclamation devra néanmoins couvrir les réclamations formulées
par écrit à l'encontre de l'assuré ou de
l'assureur dans un délai de trente-six mois à
compter de la fin du contrat et se rapportant
soit à un dommage survenu pendant la
durée de ce contrat, si à la fin de ce contrat,
le risque n'est pas couvert par un autre
assureur, soit à des actes ou des faits pouvant donner lieu à un dommage, survenus
et déclarés à l'assureur, pendant la durée
de ce contrat. La deuxième hypothèse
s'appuie sur l'idée qu'en cas de succession
de deux garanties en régime de réclamation, la deuxième ne pourrait en effet
reprendre les faits générateurs antérieurs
déjà connus et déclarés par l'assuré.
Nous savons que les notions de fait dommageable (fact occurrence or act commited), de survenance du dommage (loss
occurrence) et de réclamation (claims
(88) On sait que, par cet arrêt rendu le 19 décembre
1990 (Bull. civ., I, no 303), la première chambre civile
de la Cour de cassation française a conclu à l'illicéité
des clauses à base de réclamation au motif « qu'une
telle clause aboutit à priver l'assuré du bénéfice de
l'assurance en raison d'un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite comme dépourvu de cause et, par conséquent, contraire aux dispositions de l'article 1131 du Code civil., au profit du
seul assureur, qui aurait alors reçu des primes sans
contrepartie ». L'argumentation de la Cour a été largement critiquée par la doctrine (Lamy Assurances,
éd. 2013, nos 1457 et s. ; H. Groutel, F. Leduc,
P. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d'assurance terrestre, Paris, Litec, 2008, p. 1127, no 1796),
mais celle-ci a néanmoins maintenu sa jurisprudence qui reste valable en dehors des cas spécifiques
réglementés par la loi. Elle revient à calquer la durée
de la garantie sur la durée de la responsabilité, quelles que soient les clauses du contrat.
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made) sont elles-mêmes sujettes à interprétation (89). On se rapportera sur ce point à
ce qui a été énoncé ci-dessus (voy. supra,
no 8).
3. — L'étendue de la garantie
en montants
40. — Pour limiter ses engagements, l'assureur de la responsabilité a fréquemment
recours à la technique du plafonnement. Le
plafond marque la limite supérieure de
l'engagement de l'assureur sur un plan
financier. L'utilisation du plafond est monnaie courante en assurance et son utilisation déborde largement l'hypothèse d'un
sinistre en série.
Le contrat peut prévoir différents types de
plafond : plafond par sinistre ou plafond par
année d'assurance (90). Soit le montant
garanti joue et se reconstitue pour chaque
sinistre de l'année d'assurance (plafond par
sinistre), ce qui est la règle sauf clause contraire, soit la garantie est prévue pour un an
et s'épuise au fur et à mesure des sinistres
successifs (plafond par année d'assurance).
Le cas échéant, les deux types de plafond
peuvent se cumuler.
a) Plafond par sinistre
41. — Le contrat d'assurance de la responsabilité peut tout d'abord prévoir que l'assureur n'interviendra pas au-delà d'un certain
montant par sinistre. La garantie se reconstitue alors totalement après chaque sinistre,
le même montant étant remis à disposition
de l'assuré. Si le plafond est prévu par sinistre, il importe peu que le fait reproché à
l'assuré ait entraîné une seule ou plusieurs
victimes.
Le fonctionnement de ce plafond dépend
étroitement de la définition contractuelle du
sinistre. Pour le mettre en œuvre, l'assuré
doit démontrer que le sinistre ainsi défini est
survenu pendant la période de garantie. Le
plafond applicable sera celui afférent à cette
période.
(89) L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch
verzekeringsrecht, 2e éd., Anvers - Oxford, Intersentia, 2008, p.450, no 610. Pour une application des
différents critères pour la couverture des responsabilités liées à l'amiante, voy. A. De Kezel, Asbest,
gezondheid en veiligheid, ontwikkelingen, op. cit.,
p. 385, nos 723 et s.
(90) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain,
op. cit., p. 1113, no 1772.
b) Plafond par année d'assurance
42. — L'assureur peut aussi se prémunir
d'une accumulation de sinistres en prévoyant un plafond par année d'assurance.
La clause en question devra alors définir
clairement ce que recouvre l'année d'assurance. La limitation par année suppose en
effet que chaque paiement puisse être rattaché à une année déterminée.
Le plafond prévu se réduira alors progressivement sinistre après sinistre, si ceux-ci
sont survenus au cours d'une même année
d'assurance. Dans quel ordre les différentes
réclamations vont-elles effectivement épuiser la garantie et selon quels critères : la
date de survenance du dommage, la date
de la réclamation ou la date du règlement ?
Retenir la date du règlement des indemnités serait injuste et discriminatoire, puisque
la durée du règlement est souvent tributaire
de la nature des lésions subies, circonstance indépendante de la volonté des victimes. L'ordre des paiements étant à proscrire, il y a lieu de retenir, à notre avis, en
l'absence de clause contraire, l'ordre des
réclamations. Il est vrai que c'est faire
dépendre le règlement de la diligence de
chaque victime, mais cela paraît inhérent à
la technique du plafond (91).
À noter que l'ordre des réclamations permettra d'établir un classement en vue du
traitement des demandes d'indemnisation. Il
reste que ce sont les paiements effectifs et
non la simple mise en réserve qui doivent
ê tre pr i s e n com pt e po ur savoir si la
demande classée en ordre utile peut être
réellement satisfaite (92).
Lorsque la limite est dépassée, l'assureur
n'intervient plus. Il se pourrait cependant
qu'un seul sinistre épuise, à lui seul, toute la
garantie. Pour éviter cette situation, une
clause du contrat peut autoriser le preneur
à reconstituer la garantie moyennant toutefois le versement d'une nouvelle prime. La
reconstitution peut être automatique et donc
obligatoire pour chacune des parties, mais
elle peut aussi être facultative dans le chef
de l'assuré ou de l'assureur (93).
(91) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain,
op. cit., p. 1121, no 1784.
(92) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain,
op. cit., p. 1113, no 1786
(93) Lamy Assurances, op, cit., éd. 2015, p. 322,
no 811.
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Comme le précisent certains auteurs, « le
montant de la garantie annuelle se présente
donc comme une sorte de crédit qui s'ouvre
au début de chaque année d'assurance et
sur lequel s'imputeront les paiements au fur
et à mesure » (94).
B. — Le sinistre sériel en assurance
de la responsabilité civile
43. — Afin de maîtriser ses engagements
en cas de dommages en série, l'assureur
introduit généralement dans sa police une
clause dite « de globalisation » qui permet
de considérer comme un seul et même
sinistre tous les dommages et toutes les
réclamations issues d'un même fait générateur (95). La clause de globalisation a deux
effets principaux. Tout en enfermant la prise
en charge des réclamations dans la limite
du plafond prévu par sinistre, elle permet de
fixer le sinistre sériel dans le temps en rattachant celui-ci à une même année d'assurance (96). Il importe d'examiner la portée
de ces clauses de globalisation (1) et leurs
conséquences (2).
1. — La clause de globalisation
44. — Lorsque plusieurs réclamations proviennent d'un même fait générateur ou de
plusieurs faits ayant une cause commune, il
faudrait normalement considérer que chaque dommage fait naître une nouvelle dette
de responsabilité et que chacune des réclamations formulées est le résultat d'un sinistre distinct. L'assureur serait donc tenu chaque fois dans la limite de son plafond par
sinistre. La clause de sinistre sériel a, au
contraire, pour objet de rassembler toutes
ces réclamations en un seul et même sinistre rattaché à une même année d'assurance. Le fait que la clause de globalisation
participe directement à la délimitation de la
garantie offerte explique d'ailleurs pourquoi
elle est, en principe, opposable aux victimes.
(94) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain,
op. cit., p. 1113, no 1773
(95) La technique globalisation du sinistre peut-être
utilisée en assurance de choses (catastrophes naturelles...) comme en assurance de la responsabilité
civile. Nous l'aborderons exclusivement en assurance de la responsabilité civile.
(96) Il existe, à notre connaissance, peu de contributions sur ce sujet, voy. cependant, F. Piedbœuf,
« Les frais de prévention et de retrait », in Les assurances de l'entreprise, coll. Fac. dr. U.L.B., Bruxelles, Bruylant, 1988, pp. 167-194.
La clause de globalisation relève ni plus ni
moins d'une fiction, l'objectif étant pour
l'assureur de maîtriser ses engagements
financiers afin d'éviter que le plafond de
garantie soit appliqué à chacun des sinistres faisant partie de la série. Cette fiction,
notons-le, peut se révéler tantôt favorable
(la franchise ne sera déduite qu'une seule
fois), tantôt défavorable à l'assuré (le plafond par sinistre ne sera disponible qu'une
seule fois) (97). En l'absence de clause ou
de disposition légale en ce sens, il va de soi
que les sinistres ne seront pas globalisés et
qu'ils seront considérés distinctement. Il en
ira de même si la clause n'est pas claire :
elle sera privée d'effet et la garantie jouera
pour chaque sinistre (98).
45. — La loi belge ne définit pas le sinistre
en série. En France, par contre, la loi
no 2003-76 du 1er août 2003 a introduit un
article L. 124-1 dans le Code des assuranc es q ui « l é ga li se » le pr in ci pe d e la
globalisation : « Au sens du présent chapitre constitue un sinistre tout dommage ou
ensemble de dommages causés à des tiers,
engageant la responsabilité de l'assuré,
résultant d'un fait dommageable et ayant
donné lieu à une ou plusieurs réclamations.
Le fait dommageable est celui qui constitue
la cause génératrice du dommage. Un
ensemble de faits dommageables ayant la
même cause technique est assimilé à un
fait dommageable unique ».
En ce qu'elle assimile le fait dommageable
à la cause génératrice du dommage, puis à
la cause technique, cette définition est
imparfaite. (99) Elle repose à nos yeux sur
une confusion entre le fait générateur et le
fait dommageable et perd de vue que le fait
générateur peut varier en fonction de la
nature de la responsabilité en cause (voy.
(97) Lamy Assurances, éd. 2015, op. cit., p. 515,
no 1414 ; L. Schuermans, op. cit., p. 835.
(98) L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch
verzekeringsrecht, 2e éd., Anvers - Oxford, Intersentia, 2008, p. 455, no 616. À été jugée ambiguë la
clause soumettant au plafond de garantie les sinistres en série survenus au cours d'une même année
d'assurance, celle-ci étant l'année pendant laquelle
la première réclamation a été formulée à l'assuré et
les sinistres ultérieurs quel que soit leur date étant
réputés s'être produits pendant cette même année.
La clause pourrait en effet signifier que chaque année d'assurance couvre tous les sinistres survenus
pendant ladite année : Cass. fr., 1re ch. civ., 3 mai
1995, R.G.A.T., 1995, p. 669, note F. Vincent.
(99) Pour une critique, voy. Lamy Assurances, op.
cit., éd. 2015, p. 515, no 1414.
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supra, no 12). Par ailleurs, la référence à la
cause technique n'a de sens que si la responsabilité de l'assuré est fondée sur un
défaut du produit ou un vice de construction. Elle n'en a pas pour les responsabilités
résultant de l'inexécution d'un contrat de
service. Il reste que cette disposition légale
impérative impose le recours à la globalisation quelles que soient les stipulations du
contrat d'assurance.
À défaut de disposition identique dans la loi
belge, la définition du sinistre en série
relève de la liberté des conventions (100).
De nombreux contrats contiennent une
clause de globalisation permettant de considérer comme un seul sinistre toutes les
réclamations ou tous les dommages se rapportant à un même fait générateur ou à une
même cause. Parfois, le contrat se réfère à
un ensemble de réclamations se rattachant
à une seule cause technique initiale.
Conformément à son libellé, il n'y aura
matière à appliquer la clause de sinistre
sériel que s'il est démontré que tous ces
dommages trouvent leur cause dans un fait
générateur unique. La charge de la preuve
appartient ici, de prime abord, à l'assuré qui
doit démontrer qu'il se trouve dans les conditions pour bénéficier de la garantie. Pour
certains auteurs, il incomberait à l'assureur
d'apporter la preuve de la portée d'une
clause de globalisation (101). Ceci ne nous
semble pas contradictoire dès lors qu'il
s'agit de régler un problème d'interprétation
de la clause plus qu'une question de
preuve. Or les clauses ambiguës s'interprètent, en principe, en faveur du preneur
d’assurance (article 23, § 2, loi du 4 avril
2014 relative aux assurances).
des produits est d'entendre par fait générateur, le défaut ou le vice propre qui affecte le
produit et par cause, la cause technique qui
rend le produit défectueux. S'agissant de
cette responsabilité, la mise en œuvre de la
clause de sinistre sériel suppose que toutes
les réclamations puissent être rattachées à
un même défaut imputable à la même
cause technique.
Plusieurs décisions confirment cette analyse. Dans l'affaire du sang contaminé en
France, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a
considéré que les contaminations de plusieurs centaines d'hémophiles par le virus
du sida résultaient du fait de la diffusion de
lots de sang non chauffés et non testés par
le centre de transfusion et formaient, dès
lors, un seul et même sinistre (102). Le plafond par année d'assurance qui limitait
l'engagement de l'assureur à 5 millions FRF
devait donc être appliqué quel que soit le
nombre de sinistres survenus dans l'année.
Le pourvoi introduit contre cet arrêt a été
rejeté par la Cour de cassation (103). Celleci a par ailleurs cassé systématiquement les
décisions qui ont décidé que le plafond
annuel devait jouer à l'égard de chaque victime (104).
Dans la même ligne, le tribunal de Rotterdam a décidé qu'une série de fuites constatées dans deux chaudières à vapeur ne
pouvait donner lieu qu'à la déduction d'une
seule franchise, parce que les dommages
couverts dans la police trouvaient leur origine dans une seule et même cause,
laquelle s'identifiait dans le choix de la
méthode de soudure des tubulures (105).
46. — On sait que la notion de cause et
celle de fait générateur sont elles-mêmes
sujettes à interprétation. Comme on l'a
démontré ci-dessus, la seule manière de
donner un sens à la clause de sinistre sériel
dans le domaine de la responsabilité du fait
Dans le cas d'un procès relatif à l'amiante
où l'action était fondée sur la faute inexcusable de l'employeur et non sur le défaut du
produit, une cour d'appel avait estimé que la
notion de fait générateur devait s'entendre
de l'exposition de tous les salariés aux
fibres d'amiante et que la clause de globalisation prévue dans le contrat devait donc
(100) Exemple de clauses : « Sont considérés comme constituant un seul et même sinistre tous les
dommages résultant d'une même erreur, malfaçon
ou faute professionnelle quelconque » ; ou encore
« seront considérées comme formant un seul et
même sinistre toutes les conséquences des dommages causés à des personnes différentes ayant leur
origine dans une même faute ou un même fait
générateur ».
(101) J.H. Wansink, De algemene aansprakelijkheid
verzekering, 2e éd., W.E.J. Tjeenk Willink Zwolle,
1994, p. 129.
(102) Aix-en-Provence, 12 juillet 1993, R.G.A.T.,
1994, p. 236, note J. Bigot.
(103) Cass. fr., 9 juillet 1996, no 93-19.160,
R.G.D.A., 1996, p. 919, note P. Remy.
(104) Cass. fr., 1re ch. civ., 23 novembre 1999, Bull.
civ. I, no 315 ; Resp. civ. et assur., 2000, comm. 66 ;
R.G.D.A., 2000, p. 190, note P. Remy ; Cass. fr.,
1re ch. civ. 3 juillet 2001, Bull. civ. I, no 194 ; Resp.
civ. et assur., 2001, comm. 337.
(105) Arr. Rechtb., Rotterdam, 21 janvier 1994,
Schip en Schade, 1996, 48, commenté par
L. Schuermans, op. cit., p. 842.
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s'appliquer à l'ensemble des réclamations
introduites par les travailleurs. L'assureur
soutenait que l'on ne pouvait pas parler d'un
sinistre sériel au motif que la faute inexcusable devait s'apprécier en fonction de chaque cas d'espèce selon les circonstances
de temps et de lieu propres à chaque réclamation. La Cour de cassation a rejeté le
pourvoi intenté contre l'arrêt rendu par la
cour d'appel, estimant que la clause était
ambiguë et que la cour d'appel, qui était
donc tenue de l'interpréter, n'en avait pas
dénaturé le sens (106).
Notons que la clause de sinistre sériel, telle
qu'elle est généralement libellée, n'implique
pas nécessairement une pluralité de victimes et n'exige pas non plus que les dommages soient de même gravité ou de même
nature, pour autant que ceux-ci se rapportent à la même cause (107). Ainsi, lorsque
la victime engage la responsabilité d'un
intermédiaire financier pour manquement à
son obligation de conseil en raison de deux
placements désastreux, le rejet de la clause
de globalisation ne peut être motivé par le
fait que les sommes investies étaient différentes de même que les taux d'intérêt et la
durée des placements (108).
47. — L'ensemble des sinistres, quelle que
soit leur date de survenance, étant par
l'effet de la clause de globalisation, ramenés à un seul sinistre, celui-ci prendra généralement date au jour de la réalisation du
premier d'entre eux. En fonction du libellé
de la clause, il s'agira soit du moment où le
premier dommage est survenu soit du
moment où la première réclamation de la
série a été formulée. C'est donc l'assureur
qui est en garantie à ce moment qui devra
prendre l'intégralité du sinistre sériel en
(106) Cass. fr., ch. civ., 7 février 2013, pourvoi no 1124154, R.G.D.A., 2013, p. 693, obs. J. Kullmann. La
clause en question prévoyait que l'ensemble des réclamations qui sont la conséquence d'un même fait
générateur, quels que soient leur nombre et le délai
dans lequel elles sont présentées, constituent un
seul et même sinistre imputé à l'année d'assurance
au cours de laquelle la première réclamation a été
formulée.
(107) J. Kullmann, obs. précitées.
(108) Cass. fr., ch. comm., 12 février 2013, pourvois
no 12-11828 et no 12-12907, R.G.D.A., 2013, p. 696,
obs. J. Kullmann. La clause définissait le sinistre
comme la réclamation formulée par un tiers à la suite
d'un acte, d'une erreur ou d'une omission fautifs et
précisait que toutes les réclamations résultant d'un
même événement ou acte ou omissions fautifs
étaient considérées comme un même sinistre.
charge dans la limite de ses engagements
financiers à ce moment-là (109).
Par contre, la clause ne formule généralement aucune exigence de proximité entre le
fait générateur et les réclamations, ni dans
le temps, ni dans l'espace, pas plus qu'entre
les réclamations elles-mêmes. Il n'en reste
pas moins que l'éloignement de certaines
réclamations par rapport à d'autres pourrait
conduire à douter de l'unicité de leur
source. Dans certains cas, la clause de globalisation pourrait tourner en faveur de la
victime si la première réclamation correspond à une période effective de garantie
alors que les réclamations ultérieures
seraient formulées en dehors de cette
période.
La reconstruction de la série nécessitera un
examen précis de chaque plainte introduite
par chacune des prétendues victimes. Il
n'est pas toujours facile en pratique de distinguer parmi les réclamations présentées
celles qui font partie de la même série. Pendant le temps de sa commercialisation, un
même médicament peut en effet donner lieu
à des plaintes d'origine très diverse dont
toutes ne font pas nécessairement partie de
la série, parce que, par exemple, certaines
affections peuvent être considérées comme
des effets secondaires indésirables et connus du médicament et non comme la conséquence d'un défaut. S'il s'agit d'effets
secondaires connus, les prétendus dommages ne pourraient être rattachés au même
fait générateur.
En outre, des événements sérieux (adverse
events) ont pu être répertoriés dans le
cadre des procédures de pharmacovigilance. Ces événements, même s'ils sont
répertoriés systématiquement, ne peuvent
toutefois être assimilés à des réclamations
écrites au sens de la police en sorte qu'ils
ne sont généralement pas déterminants
pour fixer le point de départ du sinistre en
série.
2. — Les effets de la clause
de globalisation
48. — La clause de globalisation dont la
portée vient d'être expliquée emporte des
effets bien précis sur le montant des engagements financiers de l'assureur. Elle considère l'ensemble des réclamations comme
(109) Lamy Assurances, éd. 2015, p. 323, no 813.
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un seul et même sinistre et le fixe sur une
ligne du temps au moment où est survenu
le premier dommage ou la première réclamation (a).
Cependant, comme cette clause unifie abstraitement le sinistre en le rendant indivisible, elle peut avoir des effets inattendus sur
la mise en œuvre de certaines dispositions
légales (b). Elle restera, par contre, sans
effet sur d'autres dispositions dont l'application ne saurait être affectée par le principe
d'indivisibilité du sinistre (c)
a) Effets attendus de la clause
de globalisation
49. — Afin de parer à la multiplication des
réclamations qu'entraîne un sinistre sériel,
l'assureur prévoit généralement des plafonds d'intervention par sinistre et par
année d'assurance (i). Par contre, le contrat
prévoit assez rarement ce qu'il advient lorsque le plafond est dépassé et qu'il convient
de répartir les montants entre les victimes
d'un même sinistre (ii).
(i) Plafond par sinistre, plafond par année
d'assurance
50. — La clause de globalisation vise principalement à protéger l'assureur en limitant
ses engagements financiers face à un sinistre de grande ampleur. Selon le libellé de la
clause, l'ensemble des dommages ou
l'ensemble des réclamations qui trouvent
leur cause dans un même fait générateur
seront alors considérés comme un seul et
même sinistre, si bien que le montant prévu
ne sera disponible qu'une seule fois pour
l'ensemble des réclamations se rattachant à
un même fait générateur (sous réserve
d'une possibilité de reconstitution parfois
prévue contractuellement).
L'on retrouve ici les difficultés d'interprétation des notions de fait générateur, de fait
dommageable, de survenance du dommage et de réclamation évoquées ci-dessus
(voy. supra, n os 9 et s.) qui traduisent
l'émiettement de la responsabilité typique
d'un dommage en série. Dans l'affaire du
sang contaminé, on a vu que certaines juridictions de fond avaient tenté de contourner
le plafond par année d'assurance prévu
dans les contrats souscrits par les centres
de transfusion sanguine en considérant que
le plafond annuel jouait à l'égard de chaque
victime et que le plafond pouvait donc jouer
plusieurs fois au cours d'une même année.
Cette interprétation a été condamnée par la
Cour de cassation : « le plafond de la
garantie fixé par le contrat d'assurance
constitue la limite de l'indemnisation par
l'assureur pour une même année d'assurance, quel que soit le nombre de sinistres
ou de victimes » (110).
Même si cela paraît curieux, il n'est pas rare
de rencontrer des clauses qui prévoient un
même plafond d'intervention par sinistre et
par année d'assurance. De telles clauses
ont parfois été critiquées par la jurisprudence pour leur ambiguïté (111). On peut
se demander en effet si le plafond s'applique globalement pour l'année ou s'il s'applique pour chaque sinistre quel qu'en soit le
nombre en cours d'année. Le plafond par
année protège en effet aussi bien l'assureur
contre un gros sinistre que contre une multiplication de petits sinistres.
La question s'est à nouveau posée à propos
des contrats d'assurance de la responsabilité des centres de transfusion sanguine.
(112) Il est vrai que prévoir un plafond par
année équivalent à celui du plafond par
sinistre paraît vider le premier de tout intérêt. Cette articulation conserve cependant
toute son utilité en présence d'une clause
de globalisation dont l'effet est de regrouper
plusieurs réclamations en un seul sinistre et
de rattacher celui-ci à la date où la première
réclamation a été formulée (113).
(ii) Le règlement des indemnités
et le dépassement du plafond
51. — Chaque paiement lié aux différentes
réclamations va donc venir entamer l'un
après l'autre la garantie financière prévue
par sinistre et par année d'assurance. Mais
dans quel ordre et selon quelles priorités ?
À l'origine, ces questions délicates ne faisaient l'objet d'aucune disposition précise
(110) Cass. fr., 1re ch. civ., 23 novembre 1999, Bull.
civ. I, no 315 ; Resp. civ. et assur., 2000, comm. 66 ;
R.G.D.A., 2000, p. 190, note P. Remy ; Cass. fr.,
1re ch. civ., 3 juillet 2001, Bull. civ. I, no 194 ; Resp.
civ. et assur., 2001, comm. 337. Arr. Rechtb., Rotterdam, 21 janvier 1994, Schip en Schade, 1996, 48,
commenté par L. Schuermans, op. cit., p. 842.
(111) Pour un aperçu de la jurisprudence française à
cet égard, Lamy Assurances, éd. 2015, p. 322,
no 812.
(112) Cass. fr., 1re ch. civ., 9 juillet 1996, no 9319.160, R.G.D.A., 1996, p. 119, note P. Remy ;
H. Groutel, « Les suites d'une manipulation », Resp.
civ. et assur., chron., no 37.
(113) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain,
op. cit., p. 1113, no 1774
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dans la loi. Elles n'étaient pas davantage
réglées par le contrat, ce qui est normal,
puisqu'il s'agit d'organiser les relations avec
les tiers victimes.
Que se passera-t-il si le plafond par sinistre
ou par année ne suffit pas à satisfaire toutes les victimes ? Comment l'assureur va-t-il
procéder ? Faut-il appliquer le prix de la
course et indemniser les victimes qui ont
présenté leur demande le plus rapidement
ou faut-il attendre que toutes les victimes
soient connues pour répartir le montant
tota l au marc le fran c a u p rorat a de s
créances ?
autres personnes lésées qu'à concurrence
du restant de la somme assurée ».
On notera que l'article 150, alinéa 3, n'établit aucune hiérarchie entre les préjudices
réparables ni aucune priorité entre les catégories de victimes. Elle ne prévoit pas non
plus de subordonner les droits des tiers
payeurs subrogés ou bénéficiant d'un droit
propre en remboursement à l'indemnisation
complète des victimes directes ou de leurs
ayants droit.
En cas d'insuffisance du plafond, le principe
qui doit dominer le règlement collectif est
celui de l'égalité des droits entre les victimes. En cas d'insuffisance de la somme
due par l'assureur, les créances devront
donc être réglées propor tionnellement
(114). Encore faut-il que l'assureur ait conscience de l'insuffisance de la garantie. Cette
prise de conscience peut, elle-même, être
tardive. L'espacement dans le temps des
réclamations pourrait aboutir à la constatation que l'assureur a, de bonne foi, déjà
indemnisé intégralement certaines victimes
en entamant ainsi le plafond contractuel.
Pour autant qu'ils aient été effectués de
bonne foi, ces paiements doivent être considérés comme valables.
52. — Il est néanmoins permis de voir dans
cette disposition un embryon de règlement
collectif du dommage de masse. La disposition laisse entendre que lorsque l'assureur
s'aperçoit que la somme assurée ne suffira
pas à réparer l'ensemble des dommages
subis, il doit suspendre le règlement de
manière à permettre à chaque victime de
faire valoir ses droits. L'on évite ainsi que
les victimes soient indemnisées en fonction
du prix de la course : premier venu, premier
servi. Ceci pourrait cependant retarder considérablement le règlement de l'indemnité.
L'assureur ne devrait toutefois pas être
empêché de verser des provisions aux victimes déjà déclarées pour autant que ces
versements ne mettent pas en péril les
droits des autres victimes. Une libération
progressive en pourcentage du montant des
créances devrait être envisageable.
Ces deux principes (égalité et bonne foi)
sont maintenant confirmés par l'article 150,
alinéa 3, de la nouvelle loi relative aux assura n ce s ( ex-a r t i cle 8 6 , al in é a 3, d e la
L.C.A.T.), inséré par l'article 10 de la loi du
22 août 2002, qui prévoit à cet égard que
« s'il y a plusieurs personnes lésées et si le
total des indemnités dues excède la somme
assurée, les droits des personnes lésées
contre l'assureur sont réduits proportionnellem en t j usq u 'à con cu r r en ce d e ce t te
somme. Cependant, l'assureur qui aurait
versé de bonne foi à une personne lésée
une somme supérieure à la part lui revenant, parce qu'il ignorait l'existence d'autres
prétentions, ne demeure tenu envers les
Le texte ne dit pas si une réclamation formelle de la victime est nécessaire pour être
prise en compte dans le règlement collectif
ou s'il suffit que l'assureur ait connaissance
de la victime et du préjudice qu'elle a subi.
Saisie de cette question, la Cour de cassation française a décidé que l'assureur
méconnaissait la règle de proportionnalité
lorsqu'il écarte une demande du règlement
alors qu'il avait connaissance de l'existence
de la victime par le biais de la déclaration
faite par son assuré. Par contre, l'assureur
peut opposer les paiements déjà effectués
aux victimes dont il ne pouvait connaître
l'existence au moment où il a effectué ces
payements (115).
(114) S'agissant précisément d'une clause de globalisation d'un sinistre sériel, certains auteurs préconisent de substituer à la mise en œuvre de la règle de
proportionnalité, celle de l'épuisement progressif du
plafond annuel au motif qu'il ne s'agirait plus à proprement parler de créances concurrentes. Nous ne
partageons pas ce point de vue. La clause de globalisation est, elle aussi, soumise au principe d'égalité
des droits des victimes Voy. H. Groutel, F. Leduc,
P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 1121, no 1784.
b) Effets inattendus de la clause
de globalisation
53. — La clause de globalisation qui conduit
à l'unicité du sinistre pourrait avoir des conséquences inattendues sur l'application de
(115) Cass. fr., 1re ch. civ., 19 décembre 1979,
R.G.A.T., 1980, p. 100, note A. Besson.
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dispositions légales qui font elles-mêmes
référence à la notion de sinistre. Faut-il limiter les conséquences de cette clause aux
effets révélés ci-dessus ou, par souci de
cohérence, considérer que le sinistre est
unique ?
(i) Étendue de la garantie dans le temps
54. — Le sinistre sériel vient ajouter ses
caractéristiques propres aux questions relatives à l'étendue de la garantie dans le
temps, déjà évoquées ci-dessus (voy.
supra, no 37) (116). Il convient de repartir
de l'idée que le sinistre sériel est, par l'effet
de la clause de globalisation, considéré
comme un seul et même sinistre prenant
date, selon les termes de cette clause, soit
au moment de la survenance du premier
dommage soit au moment de la première
réclamation écrite, amiable ou judiciaire.
Lorsque la clause fait référence à la réclamation, on ajoute parfois « ou de la déclaration faite par l'assuré à la compagnie, si
cette date est antérieure ».
Au regard de la garantie d'antériorité, si la
série a débuté avant l'entrée en vigueur de
la police, l'assureur ne sera pas tenu à
garantie. Sur le fondement de la clause de
globalisation, il est permis de considérer
que le risque s'est déjà réalisé avant la conclusion du contrat, si bien que le contrat est
réputé nul sur le fondement de l'article 79
de la loi relative aux assurances (exarticle 24 de la L.C.A.T.). Cette nullité ne
devrait cependant affecter que la couverture
du sinistre en cause, pas le contrat dans
son ensemble.
Sous le même aspect, on pourrait se
demander si l'assureur sera tenu de couvrir
un sinistre qui donnerait lieu à des réclamations en cascade pendant la durée du contrat, mais qui se rapporterait à un ou plusieurs faits générateurs antérieurs. Si
l'assureur a accepté de reprendre le passé
inconnu, la réponse devrait être affirmative
pour autant que l'ignorance de l'assuré soit
légitime et que l'élément retenu pour la définition du sinistre se cristallise pendant la
période de garantie.
(116) Sur la relative inefficacité de l'assurance de la
responsabilité de l'exploitant pour la couverture des
dommages causés par l'amiante, voy. A. De Kezel,
Asbest, gezondheid en veiligheid, ontwikkelingen,
op. cit., p. 408, nos 781 et s. Ces risques sont désormais exclus des garanties R.C. exploitation.
55. — En ce qui concerne la postériorité,
tout dépendra des termes de la clause relative au sinistre sériel. Si le moment où survient le sinistre sériel est fixé à la date de
survenance du premier dommage ou de la
première réclamation et que ce moment se
situe pendant la période de garantie, il nous
paraît que l'assureur sera tenu de couvrir
toutes les réclamations subséquentes,
même si celles-ci sont formulées après la
fin du contrat et même si elles le sont après
le terme de la garantie légale de postériorité. La clause de globalisation se révèle ici
favorable à l'assuré, puisque toutes les
réclamations successives seront, en principe, prises en charge par l'assureur sans
limite dans le temps, sous réserve bien
entendu du délai de prescription de l'action
en responsabilité.
Si, par contre, la première réclamation est
formulée pendant la garantie de postériorité, l'assureur qui aurait prévu une clause à
base de réclamation dans son contrat sera
tenu dans les termes de l'article 142, § 2,
de la loi relative aux assurances (exarticle 78, § 2, de la L.C.A.T.). Pour bénéficier de la garantie de postériorité, il suffira
donc que la première réclamation relative
au sinistre sériel soit formulée dans les
trente-six mois qui suivent la cessation du
contrat et se rapporte soit à un dommage
survenu pendant la durée du contrat, pour
autant qu'à la fin de ce contrat, le risque ne
soit pas couvert par un autre assureur, soit
à des actes ou des faits pouvant donner lieu
à un dommage, survenus et déclarés à
l'assureur pendant la durée de ce contrat.
Sous ce dernier aspect, ceci signifie que si
des faits se sont produits qui peuvent laisser croire à l'existence d'un sinistre sériel,
l'assuré sera bien inspiré de les déclarer
avant même la fin du contrat pour pouvoir
bénéficier de la garantie de postériorité si
des dommages ou des réclamations surviennent ultérieurement.
En cas d'appel à la garantie de postériorité,
le principe de la continuité des garanties
conduit à considérer que le ou les plafonds
de garantie applicables seront ceux qui
existaient au cours de la dernière année
d'assurance précédant la fin du contrat.
(ii) Atténuation des conséquences
du sinistre
56. — L'article 75 de la loi du 4 avril 2014
(ex-article 20 de la L.C.A.T.) oblige l'assuré
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à prendre toutes mesures raisonnables
pour prévenir et atténuer les conséquences
d'un sinistre. Si tous les dommages ou toutes les réclamations résultant d'un même
fait générateur sont considérés comme un
seul et même sinistre et que celui-ci est
réputé survenu à la date de la première
réclamation de la série, l'assuré devrait dès
ce moment faire tout ce qui est raisonnable
pour limiter les conséquences dommageables de ce sinistre sériel et traiter les réclamations ultérieures en conséquence.
En outre, l'article 106 de la même loi (117)
pourrait obliger l'assureur à prendre en
charge tous les frais de retrait des produits
affectés d'un même défaut au titre des frais
de sauvetage (118). Comme le sinistre
sériel est considéré comme un seul et
même sinistre, toutes les mesures de retrait
envisagées pourraient en effet être considérées comme « des mesures visant à atténuer les conséquences du sinistre » au
sens de cet article.
Certains auteurs ont exprimé un avis contraire au motif que l'unicité du sinistre n'impliquerait pas l'unicité du dommage. (119)
L'argument était pertinent dans le contexte
de l'article 17 de l'ancienne loi du 11 juin
1874 qui fait effectivement allusion au dommage. Il ne l'est plus dans le contexte de
l'article 106 qui se réfère seulement au sinistre. La question est alors de savoir s'il faut
entendre le sinistre sériel au sens défini par
la police ou s'il faut revenir à des sinistres
distincts. Il nous semble que la seule
manière de donner un sens à cet article dans
le contexte d'un sinistre sériel est de s'en
référer à la définition proposée par le contrat
et de considérer, par conséquent, que ce
sinistre a débuté dès la première réclamation
ou le premier dommage, selon le cas, et qu'à
partir de ce moment l'assuré a l'obligation
d'en atténuer les conséquences afin d'éviter
la multiplication des dommages. Ceci va
d'ailleurs dans le sens des intérêts de l'assureur. Corrélativement, celui-ci devra donc
rembourser les frais de sauvetage.
(117) Ex-article 52 de la L.C.A.T.
(118) Cette question avait déjà été posée par
F. Piedbœuf, « Les frais de prévention et de retrait »,
in Les assurances de l'entreprise, U.L.B., Bruxelles,
Bruylant, 198, p. 185.
(119) G. Vernimmen, « Obligation de prévention et
de sauvetage et prise en charge des frais par l'assureur (article 17 de la loi du 11 juin 1874) », R.G.A.R.,
1977, no 9743/2.
Il importe de rappeler cependant que tous
les frais consentis lors d'un retrait n'entrent
pas indistinctement dans la catégorie des
frais de sauvetage au sens de l'article 106
de la loi relative aux assurances. Cet article
ne vise que les frais nécessaires pour éviter
que des dommages soient causés aux tiers.
On y inclura les frais de publicité, de rappel
et de retrait stricto sensu, mais non les frais
éventuels de destruction ou de réparation ni
les frais visant à rétablir l'image de marque
du fabricant (120). Par ailleurs, on se souviendra que la couverture des frais de sauvetage est limitée en montants (121). Pour
bénéficier d'une couverture plus complète,
l'assuré prendra soin de souscrire une
garantie frais de retrait spécifique en lien
avec la garantie principale.
(iii) La résiliation après sinistre
57. — Saisi de plusieurs réclamations transmises directement par les victimes ou par
l'intermédiaire de son assuré laissant croire
à l'existence d'un sinistre sériel, l'assureur
pourrait être incité à résilier très rapidement
le contrat au moment même où les réclamations commencent à affluer afin de ne plus
devoir couvrir les suivantes. Pourrait-il se
prévaloir de l'article 86, § 1er, de la loi relative aux assurances (ex-article 31, § 1er, de
la L.C.A.T.) en vue de mettre fin au contrat ?
Il nous semble que la clause de globalisation doit produire ici tous ses effets. Elle a
pour conséquence de rendre le sinistre en
série indivisible à dater du premier dommage ou de la première réclamation, même
si, en réalité, la série n'est identifiée
qu'après la résiliation du contrat. Dès lors
que toutes les réclamations sont considérées comme un seul et même sinistre et
que ce sinistre est survenu, conformément
à la clause de globalisation, pendant la
période de garantie, la résiliation demandée par l'assureur ne pourrait plus avoir
aucun effet sur les réclamations subséquentes attachées à la même série même
si celles-ci sont formulées après la cessation du contrat. La résiliation qui n'a d'effet
que pour l'avenir ne peut en avoir aucun sur
un sinistre survenu pendant la période de
garantie.
(120) F. Piedbœuf, op. cit., p. 188, no 20.
(121) Arrêté royal portant exécution de la loi du
25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre,
article 4.
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Par contre, on pourrait se demander si
l'assureur conserverait le droit de résilier le
contrat dès la première alerte de ce qui
semble représenter un sinistre sériel, alors
qu'aucune réclamation n'aurait encore été
formulée. Dans un tel contexte, la résiliation
pourrait être entachée d'une fraude ou d'un
abus de droit, ce qui devrait conduire à la
priver d'effet.
c) Absence d'effets
de la clause de globalisation
(i) Déclaration du sinistre
58. — Quand le sinistre sériel doit-il être
déclaré ? Compte tenu de l'intérêt que présente la déclaration de sinistre pour l'assureur, on a indiqué que le délai devait commencer à courir dès que l'assuré a
connaissance à la fois de l'événement et
des conséquences éventuellement dommageables de nature à entraîner la garantie.
En tout état de cause, l'obligation de déclaration d'un éventuel sinistre sériel ne saurait
dépendre exclusivement de l'existence
d'une clause contractuelle de globalisation.
Vu le temps qui est nécessaire pour imputer
des réclamations à une série, il importe que
l'assuré déclare à son assureur chacune
des réclamations dont il a été saisi, quitte à
s'apercevoir ensuite que les différents sinistres ainsi déclarés constituent un sinistre
sériel.
L'existence d'une clause de globalisation
n'a donc pas, comme telle, d'incidence sur
cette obligation. Telle n'est d'ailleurs pas sa
portée. Elle ne saurait libérer l'assuré de
son obligation de déclarer le sinistre ou les
sinistres dans un délai raisonnable au sens
de l'article 74 de la loi du 4 avril 2014 (exarticle 19 de la L.C.A.T.).
Il est d'ailleurs vraisemblable qu'au moment
de la première réclamation, ni l'assuré, ni
l'assureur n'auront pris conscience de l'existence d'un sinistre sériel. Plusieurs déclarations de sinistre devront vraisemblablement
être introduites avant même que la série
soit identifiée. Une fois le sinistre sériel établi, toutes les réclamations subséquentes
devront faire l'objet d'une déclaration complémentaire visant à les ajouter à la série
(122).
(122) Dans les programmes internationaux d'assurance, il est souvent prévu que la déclaration à l'assureur local vaut déclaration au titre de la police
master.
59. — On pourrait d'ailleurs se demander si
l'assuré n'aurait pas, indépendamment de
l'obligation de déclarer chacune des réclamations qui lui est adressée, une obligation
distincte de déclaration lorsqu'il s'aperçoit,
pour la première fois, que le sinistre présente un caractère sériel. Ceci paraît se justifier pour permettre à l'assureur de prendre
aussitôt ses dispositions en vue de gérer un
tel sinistre.
Le fait que l'assuré aurait tardé à déclarer
l'existence d'un sinistre sériel ne saurait toutefois s'analyser en un manquement à l'obligation de déclarer une aggravation du risque assuré au sens de l'article 81 de la loi
relative aux assurances (ex-article 26 de la
L.C.A.T.). Dès que la première réclamation
est formulée, le sinistre est constitué et le
retard de déclaration ne peut s'analyser en
une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l'événement assuré
au sens de cet article. Une déclaration tardive ou une absence de déclaration ne
pourraient donc, à notre avis, être sanctionnées par application de l'article 81, § 3.
Il y aurait lieu d'appliquer plutôt les sanctions prévues par l'article 76 de la loi du
4 avril 2014 (ex-article 21 de la L.C.A.T.) en
cas d'absence de déclaration ou de déclaration tardive. On sait que la sanction réservée à la déclaration tardive n'est pas très
lourde. La prestation sera réduite à concurrence du préjudice subi. Celui-ci doit être
d û m e n t d é m o n t r é p a r l ' a s s u r e u r. L a
déchéance de la garantie n'est prévue
qu'en cas de fraude (article 76, § 2).
(ii) La prescription
60. — La clause de globalisation du sinistre
sera également sans effet sur la prescription des actions des victimes touchées par
le dommage en série. Chacune de ces
actions est en effet soumise à son propre
délai dont le point de départ peut donc être
différent pour chaque victime.
En ce qui concerne l'action résultant du
droit propre de la victime, l'action se prescrira donc par cinq ans à compter du fait
générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, à compter du jour où celle-ci a
été commise. Toutefois, lorsque la personne
lésée prouve qu'elle n'a eu connaissance
de son droit envers l'assureur qu'à une date
ultérieure, le délai ne commencera à courir
qu'à cette date, sans pouvoir excéder dix
ans à compter du fait générateur (article 88,
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Études générales —
F.5
-
§2, de la loi relative aux assurances ; exarticle 34, § 2, de la L.C.A.T.) (123).
Comme le délai de l'action en responsabilité
civile extracontractuelle, le délai butoir de
dix ans s'avérera souvent trop court dans
des litiges où le dommage se révèle tardivement. On se rappellera cependant que la
Cour de cassation a considéré que ce délai
est un délai de prescription et qu'il peut
donc être interrompu ou suspendu (124).
Bien que cette interprétation soit critiquable,
elle se révèle favorable aux victimes d'un
dommage en série. L'article 89, § 2, de la
loi (ex-article 35, § 2, de la L.C.A.T.) prévoit
en effet que la prescription ne court pas
contre la personne lésée qui se trouve par
force majeure dans l'impossibilité d'agir
dans les délais prescrits. Cette disposition
est donc conforme à la jurisprudence de la
Cour européenne des droits de l'homme
commentée ci-dessus (voy. supra, no 31).
61. — Si l'action directe de la victime devait
être atteinte par la prescription, celle-ci
pourrait encore agir directement contre
l'assuré responsable. Comme l'action en
responsabilité est soumise à un délai spécifique, elle pourrait échapper à la prescription (article 2262bis du Code civil). Si c'est
le cas, l'assuré pourra ensuite exercer une
action récursoire contre son assureur de
responsabilité afin de l'appeler en garantie.
Cette action devrait-elle être soumise à un
délai unique au motif qu'une clause du contrat considère que le sinistre est censé être
s u r ve n u a u m o m e n t d e l a p r e m i è r e
réclamation ?
La réponse est assurément négative. La
clause de globalisation sera sans effet sur
la prescription de l'action récursoire de
l'assuré contre l'assureur. Conformément à
(123) La Cour de cassation a décidé que la personne
lésée a connaissance de son droit envers l'assureur
au sens de cet article « si elle a connaissance non
seulement du fait que la personne responsable est
assurée, mais aussi de l'identité de l'assureur »
(Cass., 1re ch., 16 février 2007, R.D.C., 2007,
p. 794 ; NjW., 2007, p. 267, note G. Jocqué ; C.R.A.,
2007, p. 224, note J. Muyldermans). Sur le délai de
prescription de l'action directe voy. en doctrine,
B. Weyts, « Over de verjaring van de rechstreekse
vordering in de aansprakelijkheidsverzekering », T.
Verz., 2009, p. 172 ; G. Jocqué, « Verjaring en
verzekering », De Verz., 2006, pp. 6-36.
(124) Cass., 7 octobre 2005, Pas., 2005, p. 490 ;
R.D.C., 2006, p. 752, note C. Van Schoubroeck ;
Bull. ass., 2007, p. 33, note P. Fontaine ; J.T., 2006,
p. 187 ; NjW., 2006, p. 74, note G. Jocqué ; Cass.
1re ch., 6 avril 2006, R.G.A.R., 2007, no 14319.
l'article 88, § 1er, alinéa 3, de la loi relative
aux assurances cette action est soumise à
un délai de prescription de trois ans qui
court à compter de la demande en justice
de la personne lésée, soit qu'il s'agisse
d'une demande originaire d'indemnisation,
soit qu'il s'agisse d'une demande ultérieure
ensuite de l'aggravation du dommage ou de
la survenance d'un dommage nouveau.
L'assureur ne peut prétendre, en s'appuyant
sur la clause de globalisation, que l'action
en garantie se prescrit à compter de la
demande en justice résultant de la première
réclamation de la série afin de soumettre
l'action de l'assuré relative à ce sinistre
sériel à un seul délai de prescription et éviter ainsi de devoir couvrir les réclamations
qui seraient formulées plus de trois ans
après cette première demande. Chacune
des actions introduites par l'assuré relatives
à ce sinistre sériel fera l'objet d'un délai de
prescription différent qui commencera à
courir à compter de chaque demande en
justice introduite par chacune des victimes.
On ne peut donc qu'approuver la Cour de
cassation française lorsqu'elle décide
qu'une clause de globalisation ne porte que
sur la définition du sinistre et a pour objet de
per mettre d'appliquer les plafonds de
garantie prévus par sinistre et par an à des
sinistres dits sériels, en les considérant
comme un seul sinistre se rattachant à la
même année d'assurance. Elle n'a pas pour
effet de faire courir un seul délai de prescription pour tous les sinistres se rattachant
au même fait générateur (125).
IV. — LES DOMMAGES EN SÉRIE
ET L'INDEMNISATION
SANS RESPONSABILITÉ
62. — Les contraintes et les limites imposées par les règles de la responsabilité
civile et par les garanties d'assurance sont
telles que le législateur est parfois obligé de
trouver des solutions dérogatoires au droit
commun en vue de permettre l'indemnisation des dommages en série, surtout lorsque ceux-ci prennent une dimension catastrophique.
Certaines catastrophes sanitaires ont ainsi
conduit le législateur à sortir des sentiers de
(125) Cass. fr., 2e ch. civ., 28 février 2013, pourvoi
no 12-12813, R.G.D.A., 2013, p. 617, note
J. Kullmann.
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la responsabilité civile pour se rabattre vers
des régimes spéciaux d'indemnisation fondés sur la solidarité. Pour illustrer ce propos, nous avons choisi deux drames sanitaires déjà évoqués, qui ont fait ou font
encore grand bruit : celui du sang contaminé (A) et celui de l'amiante (B) (126).
Notre propos ne consistera pas à faire une
description détaillée et exhaustive des régimes d'indemnisation mis en place, mais plutôt à montrer comment ces régimes parviennent à surmonter les difficultés relevées
ci-dessus : plafonnement de la responsabilité, preuve du lien causal, prescription,
clause limitant la garantie d'assurance...
A. — La contamination des produits
dérivés du sang en France
63. — Les dommages liés à la transfusion
du sang contaminé par le virus du sida en
France constituent une illustration parfaite
d'un dommage en série, puisque des milliers de victimes hémophiles ou transfusées
ont été infectées par ce virus à la suite
d'injections de produits sanguins ou de produits dérivés du sang. Cette affaire témoigne parfaitement de l'évolution progressive
d'un régime de responsabilité civile vers un
système d'indemnisation sans responsabilité.
D ans un prem ier te mps, les victimes
s'appuyèrent sur le droit commun de la responsabilité contractuelle et extracontractuelle pour engager la responsabilité non
seulement des centres de transfusion et
des hôpitaux, mais aussi des médecins et
parfois même des particuliers qui, par leur
faute, avaient rendu la transfusion nécessaire. Entre autres rebondissements, la
Cour de cassation et le Conseil d'État finirent par mettre à charge des centres de
transfusion l'obligation de fournir aux receveurs un produit exempt de tout vice, obligation qui fut qualifiée de résultat et dont les
(126) L'on aurait pu aussi choisir le drame du softenon ou de la thalidomide dont les ressorts sont
comparables : voy. à ce sujet J.-L. Fagnart, « La
conception des produits pharmaceutiques - Précaution et responsabilité », in Mélanges offerts à Marcel
Fontaine, Bruxelles, 2003, p. 750, no 4 ; C. Delforge
et A. Regniault, « La responsabilité du fait des produits défectueux mise en œuvre par la directive du
25 juillet 1985 : la responsabilité civile du
producteur », in O. Mignolet (dir.), Traité de droit
pharmaceutique - La commercialisation des médicaments à usage humain, vol. 2, Kluwer, 2011,
p. 1204, no 1244.
centres de transfusion ne pouvaient, par
conséquent, s'exonérer que par la preuve
d'une cause étrangère (127).
À la suite d'un rapport demandé par le
ministère de la Santé à l'inspection des
affaires sociales, qui avait conclu que les
autorités politiques, administratives et
scientifiques avaient commis de graves
erreurs d'appréciation, deux fonds de solidarité furent créés en 1989, un public et un
privé, pour venir en aide aux hémophiles,
victimes de contaminations post-transfusionnelles. Au vu des contestations exprimées par les associations de victimes non
hémophiles, la loi du 31 décembre 1991 a
finalement mis en place un seul Fonds
d'indemnisation permettant à l'ensemble
des victimes de contaminations post-transfusionnelles d'obtenir une indemnisation
(F.I.T.H.).
L'article 47 de cette loi organise l'indemnisation des « victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une
transfusion de produits sanguins ou une
injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française (128). À noter que depuis la loi du
9 août 2004, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (O.N.I.A.M.)
s'est substitué au Fonds d'indemnisation
des transfusés et hémophiles (F.I.T.H.).
Pour surmonter l'inégalité de traitement des
victimes de contaminations post-transfusionnelles, le législateur français en a
même étendu l'accès, en 2008, aux personnes contaminées par le virus de l'hépatite
C.
64. — La création du F.I.T.H. a permis de
libérer l'indemnisation des victimes du sang
(127) Cass. fr., 1re ch. civ., 12 avril 1995, Bull. civ., I,
no 179 ; J.C.P., éd. G, 1995, II, 22467, note
P. Jourdain ; voy. aussi C. Lacroix, op. cit., p. 114,
no 255.
(128) Le financement du fonds provenait, entre 1993
et 2006, d'une dotation prise sur le budget de l'État.
Les entreprises d'assurances ont apporté une contribution forfaitaire lors de sa création au titre sans doute de la couverture de la responsabilité des cliniques
privées, des centres de transfusion privés et des médecins prescripteurs. Depuis l'année 2006 qui marque le transfert des compétences à l'O.N.I.A.M., l'indemnisation des victimes est prise sur des fonds
provenant des organismes d'assurance maladie. Sur
tout ceci, voy. J. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d'indemnisation, Bibliothèque de
droit privé, t. 548, Paris, L.G.D.J., 2013, p. 37, no 45
et s.
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-
contaminé des contraintes issues de l'application des règles de la responsabilité civile
et d'accélérer le processus d'indemnisation.
Les personnes s'estimant lésées par une
contamination post-transfusionnelle peuvent en effet présenter directement leur
demande d'indemnisation devant le Fonds
qui est tenu de leur proposer une offre dans
des délais brefs. Cette demande d'indemnisation n'est soumise à aucun délai de prescription (129). Les conditions sont objectives en sorte que les questions relatives à
l'existence d'une faute du centre de transfusion ou de tout autre protagoniste ayant
joué un rôle dans la transfusion deviennent
sans incidence sur le droit à indemnisation.
L'intervention du Fonds repose aussi sur
une simplification de l'exigence causale,
puisque les victimes doivent seulement justifier de l'existence de la contamination par
le virus du sida et de la transfusion ou de
l'injection de produits sanguins ou dérivés
du sang (130). Le lien de causalité entre la
contamination et la transfusion est alors
présumé à charge pour le Fonds de renverser cette présomption dans le délai de trois
mois qui lui est imparti pour vérifier si les
conditions d'indemnisation sont réunies.
Dans ce contexte, il lui appar tient de
démontrer que la contamination virale a une
autre cause que la transfusion ou l'injection.
Ceci pousse encore plus loin la faveur pour
la victime, dont la tâche était déjà allégée
en droit commun de la responsabilité, puisque celle-ci ne doit même plus préciser le
r ô le d e s d i f f é r e n t s a c t e u r s n i é t a bli r
l'absence de tout autre mode de contamination (131).
L'intervention du Fonds est principale et non
subsidiaire en ce sens que les victimes ne
doivent pas préalablement engager des
poursuites contre les responsables devant
les juridictions ordinaires. Il est important de
noter que la réparation octroyée par le
Fonds est, en principe, intégrale (132).
(129) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 225, no 165.
(130) A. Guégan-Lécuyer, ibidem ; C. Lacroix, op.
cit., p. 153, nos 347 et 348.
(131) J. Knetsch, op. cit., p. 119, no 176.
(132) Ce principe est énoncé par l'article 47, III, de la
loi du 31 décembre 1991. En raison de l'imprécision
du texte légal, la question des rapports entre le régime spécial d'indemnisation et le droit commun de la
responsabilité civile a nourri un abondant contentieux opposant le Conseil d'État et la Cour de cassation. Cette question en comporte deux en réalité. La
La création d'un fonds d'indemnisation en
marge de la responsabilité civile présente
l'avantage d'éviter l'éclatement du contentieux entre des tribunaux de ressorts différents en évitant ainsi la divergence des
jurispr udences. On y verra aussi une
réponse des autorités face à la multiplication des actions en responsabilité intentées
contre l'État, les établissements de santé ou
les particuliers (133).
B. — L'indemnisation des victimes
de l'amiante
65. — Les dommages résultant de l'exposition à l'amiante peuvent être répertoriés en
bonne place dans la liste des dommages en
série. L'amiante, on le sait, est une substance qui a été très utilisée dans les matériaux pour ses propriétés ignifuges. Grâce
aux études scientifiques, elle s'est révélée
très nocive pour la santé des personnes
ayant respiré des fibres d'amiante dispersées dans l'atmosphère, non seulement
dans le cadre d'une activité professionnelle,
mais aussi dans le cadre d'une activité de
proximité (contamination domestique ou
environnementale). Les personnes qui ont
inhalé ces poussières de manière répétée
peuvent développer un cancer de la plèvre,
l'asbestose (134) ou un mésothéliome (135)
très longtemps après l'exposition (10, 20,
voire 40 ans après l'exposition en fonction
des maladies concernées) (136).
première concerne le cumul d'actions : une victime
qui a introduit une demande d'indemnisation devant
le Fonds peut-elle encore exercer parallèlement un
recours en droit commun devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ? La seconde concerne à proprement
parler le cumul d'indemnités. Il s'agit de savoir si la
victime indemnisée par le Fonds pour différents
chefs de préjudice peut encore agir en droit commun
afin d'obtenir une indemnisation complémentaire
pour ces mêmes préjudices auprès des juridictions
judiciaires ou administratives. Sur la différence entre
cumul d'actions et cumul d'indemnités, voy.
J. Knetsch, op. cit., p. 410, nos 561 et s.
(133) J. Knetsch, op. cit., p. 97, no 147 ; C. Lacroix,
op. cit., p. 113, no 252.
(134) L'asbestose est la fibrose pulmonaire, occasionnée par une exposition intense à l'amiante.
(135) Il s'agit de tumeurs malignes primitives localisées au niveau de la plèvre et du péritoine, provoquées par une exposition à l'amiante. À la différence
des cancers, qui peuvent trouver d'autres causes
que l'exposition à l'amiante, l'amiante est la source
exclusive du mésothéliome.
(136) Pour une analyse détaillée, voy. E. De Kezel,
Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 41,
nos 74 à 101.
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La pre uve définitive de la t oxicité de
l'amiante a été appor tée au cours des
années 1960, mais il a fallu attendre les
années 1970 pour que les premières réglementations visant à limiter l'exposition à ce
produit particulièrement dangereux soient
adoptées (137).
On retrouve dans cette pénible affaire toutes les caractéristiques typiques des dommages en série, en particulier l'éparpillem en t de s él ém en t s con st it ut if s de la
responsabilité et les difficultés que cet éparpillement fait naître quant à l'identification
des responsables, l'établissement de la
faute ainsi que de la relation causale.
Bien que les dommages causés par
l'amiante aient été la source de nombreuses actions en responsabilité civile, il est
intéressant d'examiner brièvement comment l'indemnisation des victimes a pu être
organisée à la faveur de régimes spéciaux
liés ou non la sécurité sociale, en marge de
l'application des règles de droit commun.
Nous examinerons, de manière synthétique,
les régimes mis en place en Belgique (1),
en France (2) et aux Pays-Bas (3) et nous
terminerons par quelques conclusions (4)
(138).
1. — La Belgique :
intervention du Fonds des maladies
professionnelles et verrouillage
de l'action en responsabilité (139)
66. — En Belgique, l'indemnisation des victimes de l'amiante repose très largement
sur le système d'assurance sociale dans
son volet consacré aux maladies professionnelles. Ce système de couverture du
risque social garantit aux travailleurs exposés à l'amiante dans le cadre de leurs activités professionnelles, le droit à une indemnisation forfaitaire accordée par le Fonds
(137) Suspectée d'être à l'origine de l'asbestose et
d'avoir des propriétés cancérogènes dès 1930, c'est
dans les années 1960, à la faveur d'études épidémiologiques publiées dans la littérature scientifique,
qu'un lien incontestable a été établi.
(138) Les développements qui suivent doivent beaucoup à la thèse d'Evelien de Kezel : E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., Anvers - Oxford, Intersentia, 2013, 756 pp.
(139) Sur le système belge, voy. en particulier E. De
Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit.,
p. 413, nos 792 à 938. Pour un résumé en français,
du même auteur : « La réparation du dommage corporel à la suite d'une exposition à l'amiante », op.
cit., R.G.A.R., 2001, no 13426 (première partie) et
no 13340 (deuxième partie).
des maladies professionnelles, organisme
public géré paritairement par des représentants des employeurs et des salariés (140).
Le caractère forfaitaire de l'indemnisation
est la contrepartie de l'obligation faite à
l'employeur de contribuer au financement
du système d'assurance des risques professionnels et de l'assouplissement considérable des conditions d'indemnisation (141).
D'un point de vue général, pour bénéficier
de l'intervention du Fonds, la maladie doit
être inscrite sur une liste officielle des maladies reconnues comme professionnelles.
L'asbestose, le cancer du poumon, le mésothéliome et les affections de la plèvre sont
répertoriés comme des maladies professionnelles pouvant être provoquées par
l'amiante.
Lorsque la maladie est reconnue, la victime
peut se contenter de démontrer qu'elle a,
effectivement et de manière significative,
été exposée au risque durant la période de
mise au travail. Pour alléger le fardeau de la
preuve, le législateur a établi une nomenclature des métiers et catégories d'entreprises
pour lesquels la victime est présumée avoir
été exposée au risque, jusqu'à preuve du
contraire. La difficulté de démontrer le lien
de causalité entre l'exposition et la survenance de la maladie est ainsi surmontée. Il
reste que la preuve du caractère significatif
de l'exposition n'est pas toujours facile à
fournir, spécialement lorsqu'il s'agit de
maladies multifactorielles comme le cancer
du poumon (142).
Depuis 1990, les maladies qui ne sont pas
inscrites sur cette liste peuvent aussi donner lieu à intervention du Fonds dans le
cadre d'un régime « ouver t », mais la
charge de la preuve est alors beaucoup
plus lourde. La victime doit notamment
démontrer positivement l'existence d'une
relation causale directe et déterminée entre
l'activité professionnelle et la maladie (143).
(140) L'indemnisation est limitée tant sous l'angle de
la nature des préjudices couverts que sous l'angle du
mode de calcul des indemnités.
(141) E. De Kezel, R.G.A.R.,2001, no 13426/7, no 45
(142) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,
op. cit., p. 415, nos 797 à 807 ; E. De Kezel,
R.G.A.R., 2001, no 13426/3, nos 14 et s. et no 13426/
7, no 44 ; H. Bocken et I. Boone n.m.v. M. Kruithof,
Inleiding tot het schade vergoedingsrecht, die Keure,
2014, p. 259, no 419.
(143) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,
op. cit., p. 418, nos 808 et s. ; H. Bocken et I. Boone,
op. cit., p. 275, no 413.
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Études générales —
F.5
-
On notera qu'aucun délai n'est prévu pour
l'introduction de la demande d'indemnisation et que celle-ci ne dépend pas de la
p r e u ve d ' u n e fa u t e d a n s l e c h e f d e
l'employeur.
En contrepartie, et pour préserver la paix
sociale dans les entreprises, l'employeur,
ses préposés et mandataires bénéficient
d'une quasi-immunité civile (144). Un
recours ne peut être intenté en droit commun contre ceux-ci pour obtenir une indemnité complémentaire, que dans l'hypothèse
d'une faute intentionnelle. Autant dire que
celle-ci ne pourra presque jamais être établie à charge de l'employeur. À l'acte délibéré, on assimile cependant le cas où
l'employeur n'a pas respecté ses obligations
en matière de sécurité et d'hygiène du travail et a continué à exposer ses travailleurs
aux risques de maladie professionnelle en
dépit d'une mise en demeure écrite de l'inspection sociale lui signalant expressément
ce danger (article 51, § 1 er , de la loi du
3 juin 1970 sur les maladies professionnelles). Cette dernière exigence ne facilite pas
non plus le recours, d'autant que les premières réglementations relatives à l'amiante
datent des années 1970.
Ceci explique que le contentieux de la responsabilité civile relatif à l'amiante soit
beaucoup plus limité en Belgique qu'en
France et aux Pays-Bas (145). La responsabilité de l'employeur n'a pratiquement
j a m a i s é t é m i s e e n c a u s e, p a s p l u s
d'ailleurs que la responsabilité de l'État pour
manquement aux obligations de prévention,
de précaution ou de contrôle. Jusqu'à présent le contentieux s'est donc cantonné aux
relations entre les salariés et le Fonds des
maladies professionnelles.
À l'origine, le système ne profite qu'aux travailleurs salariés ou à ses ayants droit, pas
aux travailleurs indépendants ni aux particuliers qui peuvent pourtant avoir été exposés
à l'amiante dans d'autres contextes. La liste
(144) La Cour constitutionnelle n'y voit pas une discrimination condamnable sur le fondement des
articles 10 et 11 de la Constitution. C.A., 1er mars
2001, no 31/2001 et C.A., 18 avril 2001, no 52/2000.
Sur la pertinence des motifs invoqués, voy. E. De
Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit.,
p. 431, no 857 et s. E. De Kezel, op. cit., R.G.A.R.,
2001, no 13426/10, no 75. L'auteur rejette l'argument
tiré de la paix sociale.
(145) E. De Kezel,
no 13426/8, no 59
op.
cit.,
R.G.A.R.,
2001,
des bénéficiaires est définie limitativement
(146).
67. — Toutefois, pour dépasser les limites
dans lesquelles s'inscrit l'intervention du
Fonds des maladies professionnelles,
l'article 113 du chapitre VI, du titre IV de la
loi-programme du 27 décembre 2006 a créé
un Fonds spécial d'indemnisation des victimes de l'amiante au sein même du Fonds
des maladies professionnelles, financé pour
partie par des deniers publics et pour une
autre par des cotisations des employeurs,
même si ceux-ci ne font pas usage de
l'amiante (147). La loi détermine les conditions de réparation des dommages résultant
d'une exposition à l'amiante.
Cette intervention a eu pour effet bénéfique
d'élargir le champ de l'intervention du Fonds
à toutes les personnes atteintes de mésothéliome, d'asbestose ou d'autres maladies
à déterminer par le Roi ainsi que leurs
ayants droit, quel que soit le type d'exposition (article 118) (148). Les demandeurs
doivent apporter la preuve de l'exposition au
risque de l'amiante en Belgique. Pour le
mésothéliome, il n'y a pas d'autre preuve à
rapporter. Pour les autres maladies (seulement l'asbestose à ce jour), la preuve doit
être rapportée au regard des mêmes critères que ceux déterminés par le Fonds des
maladies professionnelles (article 119).
L'intervention consiste principalement dans
une rente mensuelle forfaitaire ou un capital
en cas de décès. Les décisions du Fonds
sont soumises à recours devant le tribunal
du travail.
L'article 125 de la loi-programme reproduit
les termes de la quasi-immunité civile prévue initialement pour l'employeur, ses mandataires et préposés. Il ne permet le recours
en droit commun que si le tiers responsable
a provoqué intentionnellement le dommage.
Est assimilé à une faute intentionnelle, le
fait que le tiers responsable a continué à
exposer la victime au risque d'exposition à
l'amiante, alors qu'une autorité publique lui
a donné une injonction relative à l'amiante
ou ayant une incidence sur l'exposition à
l'amiante, à laquelle il n'a pas obtempéré ou
à laquelle il ne s'est pas strictement conformé dans les délais imposés. Le système
(146) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,op. cit., p. 419, nos 812 et s.
(147) H. Bocken et I. Boone, op. cit., p. 260, no 421.
(148) Ibidem, p. 528, no 1139.
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reste donc bien cadenassé et rend pratiquement impossible l'évasion vers le droit commun.
Les victimes sont libres d'introduire leur
demande devant le Fonds ou devant une
juridiction de droit commun (cumul
d'actions). Par contre, la victime qui a
accepté l'indemnité proposée par le Fonds
ne peut plus, en règle, recourir en droit
commun pour obtenir un complément
d'indemnités (cumul d'indemnités)
(article 125, § 1er).
2. — La France :
l'intervention à titre principal
d'un fonds d'indemnisation
68. — En France, comme la plupart des
contaminations résultaient de l'exercice
d'activités professionnelles, l'indemnisation
des victimes a été envisagée, dans un premier temps, dans le contexte d'un régime
spécial de sécurité sociale au titre des
maladies professionnelles et accidents du
travail, régime comparable à celui qui vient
d'être décrit en Belgique (149). Il existe
aussi dans ce contexte une liste officielle
énumérant les maladies qui ont un caractère professionnel et précisant la durée de
l'incubation et la nature des activités susceptibles de provoquer ces maladies. La loi
fixe la durée maximale pouvant s'écouler
entre la fin de l'exposition au risque et la
première constatation de la maladie ainsi
que la durée de l'exposition. Dès que ces
conditions sont remplies le lien de causalité
est présumé.
Pour faire face au phénomène de latence, le
point de départ du délai de prescription a
été déplacé de la première constatation du
dommage à la date à laquelle la victime a
été informée de la relation possible entre sa
maladie et ses activités professionnelles.
Le régime s'accompagne, comme en Belgiq u e, d ' u n e q u a s i - i m mu n i t é c i v i l e d e
l'employeur, sauf en cas de faute inexcusable. La preuve d'une telle faute permet en
effet à la victime dans le cadre même du
régime de sécurité sociale, d'obtenir une
majoration de la rente allouée ainsi que la
réparation de préjudices supplémentaires.
Ce régime de sécurité sociale présentait
cependant de nombreuses limites liées à
(149) Sur le système français voy. E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,op. cit., p. 458,
nos 939 et s. J. Knetsch, op. cit.., p. 40, no 50.
ses conditions d'application particulières. Il
cantonnait en effet son domaine d'application aux affections ayant un caractère professionnel, il déterminait limitativement la
liste des bénéficiaires et il octroyait une
réparation non intégrale à caractère forfaitaire. De nombreuses victimes entamèrent
dès lors des recours afin d'obtenir une
indemnisation plus complète de leurs préjudices. Plusieurs voies furent empruntées à
cet effet.
La première, et la principale, consistait à
démontrer une faute inexcusable à charge
de l'employeur sur le fondement de l'article
L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, ce
qui permettait à la victime ou à ses ayants
droit de prétendre à une réparation quasiment intégrale. Une interprétation extensive de la notion de faute inexcusable par
les tribunaux a permis aux victimes de
l'amiante de faire fréquemment tomber la
barrière de l'immunité de l'employeur (150).
Une deuxième voie, perçue souvent comme
plus favorable, consistait pour les victimes à
se tourner vers le Fonds de garantie des
victimes des actes de terrorisme et autres
i n f r a c t i o n s , s u r l e fo n d e m e n t d e s
articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale.
Enfin, par un troisième chemin, certaines
victimes ont tenté d'engager la responsabilité de l'État devant le juge administratif pour
carence fautive dans l'exercice de son pou(150) Une jurisprudence abondante et un peu chaotique s'est développée sur la notion de faute inexcusable de l'employeur en cas d'exposition prolongée à
l'amiante. Le problème résultait principalement dans
la conscience du danger, conscience qu'il fallait apprécier soit in abstracto en fonction de l'état de la réglementation et des connaissances scientifiques acquises soit in concreto en fonction des habitudes de
la profession. Par faveur pour les victimes de
l'amiante, la Cour de cassation française a fini par
considérer que l'employeur était tenu d'une obligation de sécurité qualifiée de résultat et que tout manquement à cette obligation de sécurité constituait
une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du
Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur
avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel
était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver. Cass. fr., ch. soc.,
28 février 2002, R.T.D. civ., 2002, p. 310, obs.
P. Jourdain ; J.C.P., 2002, I, 186, note G. Viney.
Voy. en doctrine, X. Pretot, « La nouvelle définition
de la faute inexcusable de l'employeur, une jurisprudence contra legem ? », D., 2002, p. 2696 ;
J. Knetsch, op. cit., p. 99, no 149 ; E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,op. cit., p. 478,
nos 1020 et s. ; E. De Kezel, op. cit., R.G.A.R.,2001,
no 13426/10, no 71.
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Études générales —
F.5
-
voir de réglementation et de contrôle afin de
prévenir et limiter les risques résultant de
l'exposition aux poussières d'amiante. (151)
Ces recours ont reçu un accueil généralement favorable. Les juridictions administratives ont reconnu, dès les années 2000, la
responsabilité de l'État au motif qu'il s'était
abstenu de limiter l'utilisation de l'amiante
dont les propriétés nocives étaient pourtant
connues depuis 1950 (152).
69. — Devant l'ampleur des dommages et
le drame social qui était annoncé, le législateur a alors décidé de mettre en place un
Fonds spécial d'indemnisation en faveur
des victimes de l'amiante visant à accélérer
le processus d'indemnisation (F.I.V.A.).
Comme le F.I.T.H., le F.I.V.A. n'intervient pas
à titre subsidiaire, mais à titre principal. La
procédure s'en trouve simplifiée, d'autant
qu'en s'adressant au Fonds d'indemnisation
les victimes peuvent prétendre à la réparation intégrale de leurs préjudices (153).
Conformément à l'article 53-I de la loi du
23 décembre 2000, le F.I.V.A. octroie en
effet une réparation intégrale à toutes les
personnes qui ont subi un préjudice résult a n t d i r e c t e m e n t d ' u n e ex p o s i t i o n à
l'amiante sur le territoire français (154).
Les avantages de ce système particulier
d'indemnisation sont identiques à ceux relevés ci-dessus à propos du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles. Ce
régime ouvre un droit à indemnisation à tou(151) La responsabilité de l'administration ressort
notamment du rapport de M. Claude Got établi en
1997 « sur la gestion du risque et des problèmes de
santé publique posés par l'amiante en France ».
Voy. A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 209, no 155.
(152) Notamment, Trib. adm. Marseille, 30 mai 2000
(quatre jugements), Gaz. Pal., 9 février 2001, p. 14,
note B. Pauvert ; Dr. environn., 2000 (no 80), p. 5,
concl. C. Fédi.
(153) Les victimes conservent la possibilité de choisir la voie contentieuse en portant leur action devant
les juridictions de droit commun même si elles ont
déjà saisi le F.I.V.A., mais sans toutefois pouvoir cumuler les indemnités obtenues. L'acceptation de l'offre du Fonds emporte en effet désistement automatique de toutes actions judiciaires en cours et rend
irrecevable toute autre action future en réparation du
même préjudice. Le législateur a entendu clairement
éviter les contestations suscitées par ces questions
de cumul dans le cadre de l'indemnisation des victimes du sang contaminé.
(154) Les ressources financières du F.I.V.A. proviennent d'une dotation de l'État et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la
sécurité sociale, elle-même alimentée par les cotisations des employeurs. Il est plus accessoirement alimenté par les recettes provenant de l'exercice des
recours subrogatoires.
tes les victimes sans distinction selon la
nature de la contamination, professionnelle
ou environnementale. À la différence de
l'action en responsabilité, la demande
d'indemnisation des victimes n'est pas soumise à un délai de prescription particulier
(155). Une présomption de causalité est
mise en place : les victimes doivent seulement prouver la réalité de l'atteinte à leur
état de santé et le fait qu'elles ont été exposées à l'amiante (156). Le Fonds examinera
ensuite si les conditions d'indemnisation
sont réunies et si le lien de causalité existe.
Si l'affection est d'origine professionnelle,
les conditions sont plus favorables : le fait
que la maladie professionnelle dont se prévaut la victime soit répertoriée parmi celles
qui peuvent résulter d'une exposition à
l'amiante au titre de la législation sociale
vaut présomption irréfragable d'imputabilité
(157). À défaut, une commission ad hoc instruit le dossier.
3. — Les Pays-Bas :
l'intervention subsidiaire
d'un fonds de garantie (158)
70. — La situation des victimes aux PaysBas fut, dès le départ, très différente, pour
le motif que depuis 1967, le législateur avait
aboli le traitement spécifique des risques
professionnels au titre de la sécurité sociale
tant sous l'angle des maladies que des accidents. Cette différence de traitement entre
risques professionnels et privés a été perçue comme injuste et discriminatoire. Un
régime unique qui sert des prestations limitées est donc applicable au titre de la sécurité sociale. La victime qui a obtenu une
rémunération de remplacement peut toujours tenter d'obtenir une réparation complémentaire en droit commun, sans aucune
r e s t r i c t i o n , s u r l e fo n d e m e n t d e
l'article 7:658 du Code civil néerlandais qui
concerne la responsabilité de l'employeur.
Très vite, il est apparu que les conditions du
droit commun ne permettaient pas aux victimes de l'amiante d'obtenir une réparation
satisfaisante. Pour résoudre ces difficultés,
(155) A. Guégan-Lécuyer, ibidem.
(156) C. Lacroix, op. cit., p. 153, no 349.
(157) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 225, no 165 ;
(158) Pour un examen détaillé du régime néerlandais, E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,
op. cit., p. 517, nos 1115 et s. ; pour un résumé en
français E. De Kezel, R.G.A.R. 2001, no 13440/1,
nos 82 à 102.
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le législateur néerlandais a, à la suite du
rapport De Ruiter, travaillé dans trois directions différentes (159).
Il a tout d'abord modifié les règles de prescription de l'action en responsabilité dans le
cas de dommages corporels (voy. supra,
no 32). Dans un deuxième temps, le législateur a créé le 26 janvier 2000, un organe de
médiation, dénommé « Institut des victimes
de l'amiante » (IAS), sur la base d'un
accord entre les ministères concernés, les
organisations patronales, les compagnies
d'assurance couvrant la responsabilité civile
des entreprises, les syndicats et le comité
des victimes de l'amiante. L'Institut n'intervient toutefois que si l'employeur responsable est encore en activité et si la prescription n'est pas acquise. Il agit seulement en
vue de favoriser une indemnisation à l'amiable. Encore faut-il que l'employeur et l'assureur acceptent l'intervention de l'Institut lorsque la victime la demande.
L'intervention se fonde principalement sur
les règles de responsabilité civile, mais
l'Institut statue en fonction des critères prévus dans les protocoles d'accord notamment pour ce qui relève de l'établissement
du lien causal (160). La procédure se termine normalement par un accord amiable.
À défaut d'accord, les parties soumettent le
litige à un juge qui statue dans le cadre
d'une procédure d'urgence.
Par ailleurs, un Fonds d'indemnisation a été
créé au même moment, mais seulement au
profit des victimes d'une exposition professionnelle chez qui un mésothéliome a été
détecté (TAS). À la différence du Fonds
d'indemnisation français, le Fonds néerlandais intervient comme un fonds de garantie
lorsque l'action en responsabilité n'est plus
possible soit en raison de la faillite de
l'employeur, soit parce que ce dernier ne
peut être identifié, soit encore parce que
l'action est prescrite (161). Il intervient donc
à titre subsidiaire pour suppléer la
défaillance des règles de responsabilité
civile.
(159) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,
op. cit., p. 517, no 1115.
(160) E. De Kezel, R.G.A.R., 2001, no 13440/1,
no 91.
(161) Pour une comparaison entre fonds de garantie
et fonds d'indemnisation, voy. E. De Kezel, Asbest,
gezondheid en veiligheid, ontwikkelingen,op. cit.,
p. 506, no 1088 et s. ; du même auteur, op. cit.,
R.G.A.R.,2001, no 13440, no 95.
Ce Fonds est financé exclusivement par
l'État et permet le règlement d'un versement
unique pour un montant forfaitaire. Cette
somme ne vise donc pas à proprement parler à réparer le dommage intégralement,
mais permet de manifester une forme de
solidarité collective à l'égard des victimes.
Une réglementation similaire a ultérieurement été adoptée, le 1er décembre 2007, au
profit des victimes qui ont été exposées à
l'amiante dans leur environnement (milieuslachtoffers) (162).
4. — Commentaires
71. — Dans les cas examinés, la création
d'un fonds d'indemnisation lié ou non au
système de sécurité sociale vise à résoudre
une véritable crise sanitaire dans laquelle
les pouvoirs publics assument généralement une part de responsabilité. Elle permet de surmonter les difficultés liées à
l'application des règles de droit commun de
la responsabilité civile et remédie aux lenteurs de la procédure judiciaire, en assouplissant très considérablement les conditions d 'indemnisation issues du droit
commun.
Le plus souvent, lorsque le dommage en
série prend un caractère catastrophique, le
fonds ad hoc est créé rétrospectivement
pour exprimer une solidarité collective à
l'égard des nombreuses victimes de cette
catastrophe (163). On peut aussi percevoir
certaines de ces initiatives comme une
réponse de l'État à une situation qui révèle,
le plus souvent, des négligences ou des
dysfonctionnements de l'administration,
voire d'organismes privés (164). Il a pour
effet de limiter les velléités des victimes
d'engager la responsabilité des pouvoirs
publics pour carence fautive dans l'exercice
de leur pouvoir réglementaire et contribue
d'une certaine façon au rétablissement de la
paix sociale.
(162) Pour un tableau récapitulatif voy. E. De Kezel,
op. cit., p. 526, no 1136.
(163) De tels fonds peuvent être qualifiés de
« rétrospectifs » selon la terminologie proposée par
J. Knetsch, p. 93, no 140 ; voy. également
C. Lacroix, op. cit., p. 160, no 363.
(164) J. Knetsch, p. 95, nos 144 et 145 ; p. 102,
nos 154 et s. Dans le même registre, l'auteur cite
aussi les dispositifs mis en place par le législateur allemand en faveur des victimes de la thalidomide, des
victimes du sang contaminé par le virus HIV, des victimes du virus de l'hépatite C. et des sportifs de haut
niveau victimes du dopage.
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Études générales —
F.5
-
Lorsque l'indemnisation est prise en charge
par la sécurité sociale ou par un fonds
d'indemnisation ad hoc, la question de la
responsabilité ne se pose plus puisque le
débiteur de l'indemnité intervient au titre de
la solidarité. Elle ne resurgit que si la victime préfère agir en droit commun ou si
l'organisme payeur entend se retourner
contre le responsable après indemnisation
de la victime. La demande d'indemnisation
introduite devant le fonds n'est généralement pas soumise à un délai de prescription.
La création d'un fonds permet aussi de rassembler le contentieux au sein d'une même
institution tout en évitant l'engorgement des
tribunaux par un contentieux de masse
(165). Les demandes d'indemnisation sont
ainsi traitées en dehors du système judiciaire de manière plus rapide et moins coûteuse. L'expérience montre cependant que
malgré l'institution de ces fonds, des
recours sont néanmoins exercés non seulement devant les juridictions pénales, mais
aussi civiles.
72. — Les modalités d'intervention de ces
Fonds sont cependant très variables d'un
État à l'autre. Dans certains cas le fonds
intervient à titre principal, comme le Fonds
des maladies professionnelles belge et les
deux Fonds français (F.I.T.H. et F.I.V.A.). La
réparation est tantôt intégrale (F.I.T.H. et
F.I.V.A.), tantôt forfaitaire (Fonds des malad i e s p r o fe s s i o n n e l l e s e n B e l g i q u e ) .
L'absence de subsidiarité permet d'accélérer la procédure d'indemnisation tout en
transférant au fonds le soin de récupérer les
sommes déboursées. Le fonds supporte
alors le risque d'insolvabilité des responsables.
Mais le fonds peut aussi intervenir à titre
subsidiaire, comme dans le cas des PaysBas. D ans ce cas, il in ter vient plut ôt
comme un fonds de garantie, car il n'entend
pas se substituer totalement aux règles de
la responsabilité civile. Le fonds pallie alors
la défaillance du système de responsabilité
civile due à l'insolvabilité ou à l'impossibilité
d'identifier un responsable. Ce système se
révèle beaucoup moins favorable pour les
victimes tant sous l'angle des conditions
que de l'étendue de la réparation. Il semble
cependant que nos voisins hollandais
(165) J. Knetsch, p. 106, no 161.
soient moins enclins que nous ou nos voisins français à autoriser des dérogations
aux règles générales de la responsabilité
civile en vue de mettre en place des régimes d'exception.
73. — Certaines critiques sont adressées
aux fonds d'indemnisation, même lorsqu'ils
interviennent sur des bases aussi généreuses qu'en France. Leur intervention contribue à minimiser le rôle préventif généralement attribué à la responsabilité civile et à
occulter la responsabilité des vrais auteurs.
L'action est en effet dirigée contre le fonds
et non contre d'éventuels responsables. On
sort totalement de la relation bilatérale traditionnelle inhérente aux règles de responsabilité civile, celles-ci ne retrouvant une vocation à s'appliquer qu'après indemnisation
lors d'un éventuel recours subrogatoire
(166). L'expérience montre toutefois que
ces recours en remboursement sont peu
effectifs.
Par ailleurs, la place laissée à la victime
dans la procédure d'indemnisation est
généralement peu affirmée, sa demande
étant traitée dans le cadre d'une procédure
administrative (167). En outre, la décision
d'indemnisation n'implique pas de reconstituer les faits qui ont conduit à la survenance
du dommage. Au sortir de la procédure, la
victime n'est donc pas reconnue dans son
statut de victime, ce qui explique sans doute
les recours fréquents devant les juridictions
pénales (168). Le mécanisme de socialisation de l'indemnisation ne remplace pas la
procédure juridictionnelle mieux adaptée
aux besoins psychosociaux des victimes.
À propos des fonds d'indemnisation français, certains auteurs ajoutent que la procédure d'instruction et d'indemnisation qui se
déroule devant ces fonds méconnaît parfois
le droit de la victime à un procès équitable
tant sous l'angle de l'indépendance et de
l'impartialité de l'organe d'instruction que
des garanties procédurales (169).
Une dernière critique, provient du fait que
ces dispositifs, en délimitant leur domaine
d'application à certaines activités et à cer(166) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 244, no 179 ;
C. Lacroix, op. cit., p. 213, nos 485 à 500.
(167) J. Knetsch, op. cit., p. 299, no 430.
(168) J. Knetsch, op. cit., p. 303, no 435 ; C. Lacroix,
op. cit., p. 227, no 518 et s.
(169) J. Knetsch, op. cit., p. 311, nos 447 et s. ;
A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 251, nos 183 et 184.
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tains bénéficiaires, sont source d'inégalités
et de discriminations entre victimes (170).
Ces critiques ne doivent toutefois pas dissimuler l'effet bénéfique que l'existence d'un
fonds d'indemnisation a pour les victimes
d'une catastrophe. Lorsque ni les règles de
la responsabilité civile ni l'assurance privée
ne permettent de justifier la réparation, il
importe que les pouvoirs publics prennent le
relais au nom de la solidarité collective.
Savoir dans quelle mesure il y a lieu de
déroger aux règles de droit commun relève
d'un choix de politique juridique.
CONCLUSION
74. — Classés en bonne place parmi les
dommages de masse, les dommages en
série placent le droit commun de la responsabilité face à ses propres limites et conduisent à s'interroger sur sa capacité à répondre adéquatement aux demandes des
victimes. Ces dommages se caractérisent à
la fois par un éparpillement des éléments
de la responsabilité dans le temps et dans
l'espace et par l'unicité de la cause. L'identification de cette cause commune et la définition des différentes étapes du processus
dommageable nécessitent un travail d'interprétation juridique. Les concepts de fait
générateur, d'événement dommageable, de
survenance du dommage et de réclamation,
largement utilisés dans les textes légaux et
les documents contractuels, gagneraient à
être clarifiés.
Le montant cumulé des dommages subis
par de nombreuses victimes expose, par
ailleurs, le responsable à des débours
importants, ce qui peut justifier l'introduction
d'une limite financière à la responsabilité.
Le recours à un plafond reste toutefois très
exceptionnel en droit européen dans le cas
des dommages en série, sauf en Allemagne
ou le plafonnement est perçu comme la
contrepartie logique d'un régime de responsabilité sans faute.
L'étirement de la responsabilité dans le
temps complique la preuve du lien causal et
confronte souvent la victime à la prescription. Sous le premier aspect, la jurisprudence est parvenue, par des techniques
probatoires originales (présomptions de fait
ou de droit, inversion de la charge de la
(170) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 241, no 177,
qui parle à cet égard d'arbitraire du législateur.
preuve...), à atténuer le fardeau de la
preuve pour les victimes au point de porter
sérieusement atteinte au dogme de la causalité certaine. Dans une société aussi
technicisée que la nôtre, il serait profondément injuste que l'incertitude causale se
retourne systématiquement contre la victime.
La révélation tardive du dommage et le
temps nécessaire à l'identification du responsable peuvent aboutir à la constatation
que l'action de la victime est prescrite avant
même que la victime n’ait pris connaissance
de ses droits. Plusieurs pays ont modifié
leur législation pour éviter cette conséquence inéquitable, en supprimant le délai
de forclusion. Dans les pays qui n'ont pas
fait ce pas, comme en Belgique, une prescription acquise dans ces conditions semble
incompatible avec le droit d'accès à un tribunal consacré par l'article §, 6 1 er, de la
Convention européenne des droits de
l'homme.
Les assureurs qui couvrent la responsabilité
du fabricant sont évidemment soucieux de
limiter leurs engagements financiers en cas
de sinistre en série. Les conditions contractuelles comportent fréquemment une clause
de globalisation dont l'objet est de considérer comme un seul sinistre l'ensemble des
réclamations résultant d'un même fait générateur ou d'une même cause. Sur le fondement de cette fiction, le plafond par sinistre
ne sera disponible qu'une seule fois et ce
sinistre sera rapporté à l'année d'assurance
au cours de laquelle la première réclamation a été formulée. La clause de globalisation en ce qu'elle crée une indivisibilité du
sinistre par voie conventionnelle peut comporter des effets inattendus pour l'assureur.
Il n'est pas toujours facile d'en mesurer
exactement la portée.
Lorsque le dommage en série s'apparente à
une véritable catastrophe, le souci de libérer l'indemnisation des victimes des contraintes inhérentes aux conditions de la responsabilité civile et à l'étendue de la
garantie d'assurance a parfois conduit le
législateur à mettre en place des régimes
spéciaux d'indemnisation fondés sur le risque social. L'efficacité de la réponse apportée par les États est variable selon que
l'indemnisation repose sur un fonds social
qui octroie une réparation forfaitaire et qui
cadenasse l'action en responsabilité civile
pour le surplus, ou sur un fonds d'indemni-
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Études générales —
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sation ad hoc qui octroie une réparation
intégrale ou encore sur un fonds de garantie
dont l'objet est seulement de suppléer aux
défaillances du système de droit commun.
Les dommages causés par l'amiante constituent un excellent observatoire pour évaluer
les avantages et les inconvénients de cha-
cune de ces formules. Il paraît en tout cas
indispensable que les pouvoirs publics qui
assument généralement une part de responsabilité dans la catastrophe ne restent
pas inactifs et mettent en œuvre une forme
de solidarité collective au profit des victimes.
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