les dommages en série - responsabilité, assurance et indemnisation
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les dommages en série - responsabilité, assurance et indemnisation
RGAR_06_2015.fm Page 1 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - LES DOMMAGES EN SÉRIE - RESPONSABILITÉ, ASSURANCE ET INDEMNISATION (Deuxième partie) par Bernard Dubuisson Professeur ordinaire à l'Université catholique de Louvain III. — LES DOMMAGES EN SÉRIE ET L'ASSURANCE 33. — Les dommages en série posent en matière d'assurance des problèmes qui ne sont pas moins difficiles qu'en matière de responsabilité civile. La multiplication des réclamations expose l'assureur qui couvre la responsabilité civile à de nombreux débours qui pourraient mettre en péril son équilibre financier. Pour éviter cet impact négatif, l'assureur met en place des techniques contractuelles permettant de délimiter clairement ses engagements en cas de sinistre sériel. La clause de globalisation qui a pour effet de considérer comme un seul sinistre l'ensemble des réclamations issues d'un même fait générateur est le moyen le plus fréquemment utilisé dans ce but. Une bonne compréhension des conséquences de la clause de globalisation nécessite de rappeler les difficultés auxquelles donnent lieu la définition et le moment du sinistre, l'étendue de la garantie dans le temps ainsi que la fixation des plafonds de garantie en assurance de responsabilité civile (A). Ensuite, on abordera les questions particulières liées à la mise en œuvre de ces clauses de globalisation en cas de sinistre sériel (B). A. — Le sinistre en assurance de la responsabilité civile 34. — On sait que la définition du sinistre pose problème dans les assurances de la responsabilité civile en général, dès lors que l'établissement de la responsabilité passe par des étapes successives qui peuvent, s'agissant de responsabilités latentes, s'étaler dans le temps (1). L'étirement de la responsabilité, d'une part, et le caractère le plus souvent illimité de la responsabilité couverte, d'autre part, oblige l'assureur à délimiter ses engagements dans le temps et en montants. La délimitation de la couverture dans le temps vise à écarter de la garantie des réclamations qui seraient formulées tardivement (2). La délimitation de la garantie en montants vise à définir un plafond au-delà duquel l'assureur n'est plus tenu d'intervenir (3). 1. — La définition du sinistre 35. — La réalisation du risque dans les assurances de responsabilité peut suivre un processus très lent pouvant s'étaler sur plusieurs années, depuis le fait générateur de la responsabilité jusqu'au paiement final de l'indemnité. Comment dans ces conditions définir le sinistre ? La nouvelle loi du 4 avril 2014 relative aux assurances qui intègre désormais la plupart des dispositions de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre (L.C.A.T.) ne s'attarde pas vraiment à cette question qui a pourtant des conséquences importantes non seulement sur l'application des textes de la loi faisant référence à la notion de sinistre, mais aussi sur le fonctionnement même de la garantie d'assurance. Dans le chapitre III du titre III consacré aux assurances de la responsabilité civile, l'article 141 de la nouvelle loi (ex-article 77 de la L.C.A.T.) prévoit certes que « le présent chapitre est applicable aux contrats d'assurance qui ont pour objet de garantir l'assuré contre toute demande en réparation fondée sur la survenance du dommage prévu au contrat, et de tenir, dans les limites de la garantie, son patrimoine indemne de toute dette résultant d'une responsabilité établie », mais l'intitulé de cet article montre bien que son objet est de délimiter le champ d'application du chapitre VIII en démontant le mécanisme de l'assurance de la responsabilité, et non de définir le sinistre dans cette catégorie d'assurance. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151951 RGAR_06_2015.fm Page 2 Friday, July 3, 2015 3:38 PM L'objet des contrats d'assurance de la resp onsabilité est bien de te nir l'assuré indemne d'une dette de responsabilité. Celle-ci se traduit par une demande en réparation fondée sur la survenance d'un dommage. Mais l'article 141 ne dit pas quel est l'élément qui doit être considéré comme déterminant en vue de définir le sinistre. 36. — Face au silence du législateur, certains auteurs estiment que la définition du sinistre dans cette catégorie d'assurance n'est pas nécessairement univoque et que celui-ci peut se cristalliser à des moments différents en fonction de la portée de la disposition légale en cause (81). Sans préjudice des modulations qui pourraient se justifier au regard de dispositions légales particulières, il vaut mieux partir de l'idée théorique qu'il ne saurait y avoir sinistre dans cette catégorie d'assurances tant que tous les éléments de la responsabilité ne sont pas réunis, ce qui revient à situer, en principe, le sinistre au moment de la survenance ou de la première manifestation du dommage. La dette de responsabilité ne peut en effet se concevoir tant que le dommage n'est pas survenu. C'est à ce moment que naît la créance en réparation de la victime, même si son montant ne sera précisément fixé que postérieurement au jour du jugement (82). Il ne faut pas oublier cependant que l'assurance de la responsabilité civile fait naître une autre obligation pour l'assureur que celle de prendre en charge la dette de responsabilité. L'assureur doit aussi prendre fait et cause pour son assuré dans le procès qui l'oppose à la victime. Rien n'empêche de considérer que cette obligation, à la différence de l'obligation de garantie, naît dès que survient l'événement dommageable. Il pourrait en aller de même en ce qui concerne l'obligation de déclarer le sinistre. Compte tenu de l'intérêt que présente la déclaration du sinistre pour l'assureur, le délai de déclaration pourrait commencer à courir dès que l'assuré a connaissance à la fois de l'événement et de ses conséquences dommageables. Cela signifie que l'assuré doit bien entendu déclarer un sinistre avéré, mais que cette obligation pourrait (81) M. Fontaine, Précis de droit des assurances, 4e éd., Bruxelles, Larcier, 2010, p. 439, nos 684 et s. (82) Lamy Assurances, éd. 2013, op. cit., no 1394 et no 1408. naître anticipativement dès qu'il a connaissance d'un fait pouvant entraîner un dommage de nature à entraîner la garantie (83). La définition du sinistre serait ici adaptée compte tenu de l'importance que représente pour l'assureur le fait d'être informé rapidement de la survenance du sinistre. En revanche, on ne voit pas très bien en quoi la réclamation de la victime participerait à la définition du sinistre (84). La responsabilité se conçoit en effet indépendamment de la réclamation. Si la réclamation de la victime se voit reconnaître une importance dans les contrats d'assurance de la responsabilité civile, c'est uniquement pour délimiter la garantie d'assurance dans le temps (voy. infra, no 37). À peine de confusions, la clause à base de réclamation ne peut donc, à notre avis, être tenue pour une clause participant à la définition du sinistre en assurance de la responsabilité civile. 2. — L'étendue de la garantie dans le temps 37. — Vu l'étalement de la responsabilité dans le temps et la durée limitée du contrat d'assurance, il se pourrait que l'un ou l'autre des éléments constitutifs de la responsabilité déborde, d'un côté ou de l'autre, la période de garantie. Si, par exemple, le fait générateur de la responsabilité a pris naissance avant la conclusion du contrat, mais que la survenance du dommage et la réclamation surviennent pendant la période de garantie, déterminer si l'assureur est tenu de couvrir ce sinistre relève d'une question d'antériorité. Si, par contre, le fait générateur ou le dommage est survenu pendant la période de garantie, mais que la réclamation survient après la cessation du contrat, savoir si l'assureur est tenu de garantir le sinistre relève d'une question de postériorité (85) (83) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 476, no 802. (84) Lamy Assurances, éd. 2013, op. cit., p. 518, no 1423. (85) Sur cette question en droit belge, voy. C. Paris, « Considérations sur l'étendue de la garantie dans le temps dans l'assurance de la responsabilité », in B. Dubuisson et V. Callewaert (dir.), La loi sur le contrat d'assurance terrestre - Bilan et perspectives après 20 années d'application, Bruxelles, Bruylant, 2012, pp. 111-138 ; C. Van Schoubroeck et G. Schoorens, « De aansprakelijkheidsverzekering : a never ending story », T.B.H., 1995 ; T. Van Sweevelt, De beroepsaansprakelijkheidsverzekering van RGAR_06_2015.fm Page 3 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - Pour des raisons techniques, l'assureur est attentif à bien maîtriser ses engagements dans le temps tant sous l'angle de l'antériorité que de la postériorité. 38. — La question de l'antériorité ne faisant pas l'objet d'une disposition impérative dans la loi relative aux assurances, on en déduit généralement que les parties sont libres de la régler comme ils l'entendent (86). Parfois l'assureur accepte de reprendre le passé inconnu, c'est-à-dire de couvrir les conséquences d'un fait survenu avant la conclusion du contrat dont l'assuré ignorait ou pouvait légitimement ignorer l'existence. À défaut de clause contractuelle réglant la prise en charge de l'antériorité, il va de soi que l'article 58 de la loi relative aux assurances (ex-article 5 de la L.C.A.T.) oblige le preneur à déclarer à son assureur, dès la conclusion du contrat, tout fait générateur et, a fortiori, tout dommage dont il aurait connaissance et qui pourrait donner lieu à une réclamation. Si le dommage survient ou si la réclamation est formulée avant la conclusion du contrat, il nous semble que le sinistre est déjà accompli et que l'assureur ne pourrait le couvrir à défaut d'aléa au moment de la conclusion du contrat (article 79 de la loi du 4 avril 2014 relative aux assurances). 39. — Si la question d'antériorité n'est pas réglée par la loi relative aux assurances, par contre, l'article 142 de la même loi (exarticle 78 de la L.C.A.T.) réglemente explicitement les obligations de l'assureur postérieures à l'expiration du contrat (87). L'article 142, § 1 er, pose, tout d'abord, le principe général de manière impérative : la garantie porte sur le dommage survenu pendant la durée du contrat et s'étend aux réclamations formulées après la fin de ce contrat. Si le dommage survient pendant la durée du contrat, l'assureur doit donc garantir toutes les réclamations qui se rappor tent à ce dommage sans limite de temps, si ce n'est bien entendu celle qui se déduit du délai de prescription de l'action en responsabilité civile. artsen en ziekenhuizen : een vergelijkende analyse, Gand, Mys & Breesch, 1997, 120 p. (86) Sur cette interprétation qui reste discutée, voy. M. Fontaine, Précis de droit des assurances, op. cit., no 699, spécialement note 1606, et les réf. citées. (87) Pour un commentaire, voy. M. Fontaine, Précis de droit des assurances, op. cit., p. 446, nos 698 et s. Pour les contrats déterminés par le Roi, l'article 142, § 2, alinéa 1er, prévoit que les parties peuvent convenir que la garantie d'assurance por te uniquement sur les demandes en réparation formulées par écrit à l'encontre de l'assuré ou de l'assureur pendant la durée du contrat pour un dommage survenu pendant cette même durée. Dans ce cas, les parties sont donc autorisées à introduire une clause à base de réclamation (claims made) (88). Pour que l'assureur soit tenu à garantie, on notera cependant que tant la réclamation de la victime que la survenance doivent survenir pendant la durée du contrat. Pour éviter les effets limitatifs d'une telle clause sur la garantie offerte, l'alinéa 2 prévoit que l'assureur qui fait usage d'une clause à base de réclamation devra néanmoins couvrir les réclamations formulées par écrit à l'encontre de l'assuré ou de l'assureur dans un délai de trente-six mois à compter de la fin du contrat et se rapportant soit à un dommage survenu pendant la durée de ce contrat, si à la fin de ce contrat, le risque n'est pas couvert par un autre assureur, soit à des actes ou des faits pouvant donner lieu à un dommage, survenus et déclarés à l'assureur, pendant la durée de ce contrat. La deuxième hypothèse s'appuie sur l'idée qu'en cas de succession de deux garanties en régime de réclamation, la deuxième ne pourrait en effet reprendre les faits générateurs antérieurs déjà connus et déclarés par l'assuré. Nous savons que les notions de fait dommageable (fact occurrence or act commited), de survenance du dommage (loss occurrence) et de réclamation (claims (88) On sait que, par cet arrêt rendu le 19 décembre 1990 (Bull. civ., I, no 303), la première chambre civile de la Cour de cassation française a conclu à l'illicéité des clauses à base de réclamation au motif « qu'une telle clause aboutit à priver l'assuré du bénéfice de l'assurance en raison d'un fait qui ne lui est pas imputable et à créer un avantage illicite comme dépourvu de cause et, par conséquent, contraire aux dispositions de l'article 1131 du Code civil., au profit du seul assureur, qui aurait alors reçu des primes sans contrepartie ». L'argumentation de la Cour a été largement critiquée par la doctrine (Lamy Assurances, éd. 2013, nos 1457 et s. ; H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, Traité du contrat d'assurance terrestre, Paris, Litec, 2008, p. 1127, no 1796), mais celle-ci a néanmoins maintenu sa jurisprudence qui reste valable en dehors des cas spécifiques réglementés par la loi. Elle revient à calquer la durée de la garantie sur la durée de la responsabilité, quelles que soient les clauses du contrat. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151952 RGAR_06_2015.fm Page 4 Friday, July 3, 2015 3:38 PM made) sont elles-mêmes sujettes à interprétation (89). On se rapportera sur ce point à ce qui a été énoncé ci-dessus (voy. supra, no 8). 3. — L'étendue de la garantie en montants 40. — Pour limiter ses engagements, l'assureur de la responsabilité a fréquemment recours à la technique du plafonnement. Le plafond marque la limite supérieure de l'engagement de l'assureur sur un plan financier. L'utilisation du plafond est monnaie courante en assurance et son utilisation déborde largement l'hypothèse d'un sinistre en série. Le contrat peut prévoir différents types de plafond : plafond par sinistre ou plafond par année d'assurance (90). Soit le montant garanti joue et se reconstitue pour chaque sinistre de l'année d'assurance (plafond par sinistre), ce qui est la règle sauf clause contraire, soit la garantie est prévue pour un an et s'épuise au fur et à mesure des sinistres successifs (plafond par année d'assurance). Le cas échéant, les deux types de plafond peuvent se cumuler. a) Plafond par sinistre 41. — Le contrat d'assurance de la responsabilité peut tout d'abord prévoir que l'assureur n'interviendra pas au-delà d'un certain montant par sinistre. La garantie se reconstitue alors totalement après chaque sinistre, le même montant étant remis à disposition de l'assuré. Si le plafond est prévu par sinistre, il importe peu que le fait reproché à l'assuré ait entraîné une seule ou plusieurs victimes. Le fonctionnement de ce plafond dépend étroitement de la définition contractuelle du sinistre. Pour le mettre en œuvre, l'assuré doit démontrer que le sinistre ainsi défini est survenu pendant la période de garantie. Le plafond applicable sera celui afférent à cette période. (89) L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch verzekeringsrecht, 2e éd., Anvers - Oxford, Intersentia, 2008, p.450, no 610. Pour une application des différents critères pour la couverture des responsabilités liées à l'amiante, voy. A. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, ontwikkelingen, op. cit., p. 385, nos 723 et s. (90) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 1113, no 1772. b) Plafond par année d'assurance 42. — L'assureur peut aussi se prémunir d'une accumulation de sinistres en prévoyant un plafond par année d'assurance. La clause en question devra alors définir clairement ce que recouvre l'année d'assurance. La limitation par année suppose en effet que chaque paiement puisse être rattaché à une année déterminée. Le plafond prévu se réduira alors progressivement sinistre après sinistre, si ceux-ci sont survenus au cours d'une même année d'assurance. Dans quel ordre les différentes réclamations vont-elles effectivement épuiser la garantie et selon quels critères : la date de survenance du dommage, la date de la réclamation ou la date du règlement ? Retenir la date du règlement des indemnités serait injuste et discriminatoire, puisque la durée du règlement est souvent tributaire de la nature des lésions subies, circonstance indépendante de la volonté des victimes. L'ordre des paiements étant à proscrire, il y a lieu de retenir, à notre avis, en l'absence de clause contraire, l'ordre des réclamations. Il est vrai que c'est faire dépendre le règlement de la diligence de chaque victime, mais cela paraît inhérent à la technique du plafond (91). À noter que l'ordre des réclamations permettra d'établir un classement en vue du traitement des demandes d'indemnisation. Il reste que ce sont les paiements effectifs et non la simple mise en réserve qui doivent ê tre pr i s e n com pt e po ur savoir si la demande classée en ordre utile peut être réellement satisfaite (92). Lorsque la limite est dépassée, l'assureur n'intervient plus. Il se pourrait cependant qu'un seul sinistre épuise, à lui seul, toute la garantie. Pour éviter cette situation, une clause du contrat peut autoriser le preneur à reconstituer la garantie moyennant toutefois le versement d'une nouvelle prime. La reconstitution peut être automatique et donc obligatoire pour chacune des parties, mais elle peut aussi être facultative dans le chef de l'assuré ou de l'assureur (93). (91) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 1121, no 1784. (92) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 1113, no 1786 (93) Lamy Assurances, op, cit., éd. 2015, p. 322, no 811. RGAR_06_2015.fm Page 5 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - Comme le précisent certains auteurs, « le montant de la garantie annuelle se présente donc comme une sorte de crédit qui s'ouvre au début de chaque année d'assurance et sur lequel s'imputeront les paiements au fur et à mesure » (94). B. — Le sinistre sériel en assurance de la responsabilité civile 43. — Afin de maîtriser ses engagements en cas de dommages en série, l'assureur introduit généralement dans sa police une clause dite « de globalisation » qui permet de considérer comme un seul et même sinistre tous les dommages et toutes les réclamations issues d'un même fait générateur (95). La clause de globalisation a deux effets principaux. Tout en enfermant la prise en charge des réclamations dans la limite du plafond prévu par sinistre, elle permet de fixer le sinistre sériel dans le temps en rattachant celui-ci à une même année d'assurance (96). Il importe d'examiner la portée de ces clauses de globalisation (1) et leurs conséquences (2). 1. — La clause de globalisation 44. — Lorsque plusieurs réclamations proviennent d'un même fait générateur ou de plusieurs faits ayant une cause commune, il faudrait normalement considérer que chaque dommage fait naître une nouvelle dette de responsabilité et que chacune des réclamations formulées est le résultat d'un sinistre distinct. L'assureur serait donc tenu chaque fois dans la limite de son plafond par sinistre. La clause de sinistre sériel a, au contraire, pour objet de rassembler toutes ces réclamations en un seul et même sinistre rattaché à une même année d'assurance. Le fait que la clause de globalisation participe directement à la délimitation de la garantie offerte explique d'ailleurs pourquoi elle est, en principe, opposable aux victimes. (94) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 1113, no 1773 (95) La technique globalisation du sinistre peut-être utilisée en assurance de choses (catastrophes naturelles...) comme en assurance de la responsabilité civile. Nous l'aborderons exclusivement en assurance de la responsabilité civile. (96) Il existe, à notre connaissance, peu de contributions sur ce sujet, voy. cependant, F. Piedbœuf, « Les frais de prévention et de retrait », in Les assurances de l'entreprise, coll. Fac. dr. U.L.B., Bruxelles, Bruylant, 1988, pp. 167-194. La clause de globalisation relève ni plus ni moins d'une fiction, l'objectif étant pour l'assureur de maîtriser ses engagements financiers afin d'éviter que le plafond de garantie soit appliqué à chacun des sinistres faisant partie de la série. Cette fiction, notons-le, peut se révéler tantôt favorable (la franchise ne sera déduite qu'une seule fois), tantôt défavorable à l'assuré (le plafond par sinistre ne sera disponible qu'une seule fois) (97). En l'absence de clause ou de disposition légale en ce sens, il va de soi que les sinistres ne seront pas globalisés et qu'ils seront considérés distinctement. Il en ira de même si la clause n'est pas claire : elle sera privée d'effet et la garantie jouera pour chaque sinistre (98). 45. — La loi belge ne définit pas le sinistre en série. En France, par contre, la loi no 2003-76 du 1er août 2003 a introduit un article L. 124-1 dans le Code des assuranc es q ui « l é ga li se » le pr in ci pe d e la globalisation : « Au sens du présent chapitre constitue un sinistre tout dommage ou ensemble de dommages causés à des tiers, engageant la responsabilité de l'assuré, résultant d'un fait dommageable et ayant donné lieu à une ou plusieurs réclamations. Le fait dommageable est celui qui constitue la cause génératrice du dommage. Un ensemble de faits dommageables ayant la même cause technique est assimilé à un fait dommageable unique ». En ce qu'elle assimile le fait dommageable à la cause génératrice du dommage, puis à la cause technique, cette définition est imparfaite. (99) Elle repose à nos yeux sur une confusion entre le fait générateur et le fait dommageable et perd de vue que le fait générateur peut varier en fonction de la nature de la responsabilité en cause (voy. (97) Lamy Assurances, éd. 2015, op. cit., p. 515, no 1414 ; L. Schuermans, op. cit., p. 835. (98) L. Schuermans, Grondslagen van het Belgisch verzekeringsrecht, 2e éd., Anvers - Oxford, Intersentia, 2008, p. 455, no 616. À été jugée ambiguë la clause soumettant au plafond de garantie les sinistres en série survenus au cours d'une même année d'assurance, celle-ci étant l'année pendant laquelle la première réclamation a été formulée à l'assuré et les sinistres ultérieurs quel que soit leur date étant réputés s'être produits pendant cette même année. La clause pourrait en effet signifier que chaque année d'assurance couvre tous les sinistres survenus pendant ladite année : Cass. fr., 1re ch. civ., 3 mai 1995, R.G.A.T., 1995, p. 669, note F. Vincent. (99) Pour une critique, voy. Lamy Assurances, op. cit., éd. 2015, p. 515, no 1414. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151953 RGAR_06_2015.fm Page 6 Friday, July 3, 2015 3:38 PM supra, no 12). Par ailleurs, la référence à la cause technique n'a de sens que si la responsabilité de l'assuré est fondée sur un défaut du produit ou un vice de construction. Elle n'en a pas pour les responsabilités résultant de l'inexécution d'un contrat de service. Il reste que cette disposition légale impérative impose le recours à la globalisation quelles que soient les stipulations du contrat d'assurance. À défaut de disposition identique dans la loi belge, la définition du sinistre en série relève de la liberté des conventions (100). De nombreux contrats contiennent une clause de globalisation permettant de considérer comme un seul sinistre toutes les réclamations ou tous les dommages se rapportant à un même fait générateur ou à une même cause. Parfois, le contrat se réfère à un ensemble de réclamations se rattachant à une seule cause technique initiale. Conformément à son libellé, il n'y aura matière à appliquer la clause de sinistre sériel que s'il est démontré que tous ces dommages trouvent leur cause dans un fait générateur unique. La charge de la preuve appartient ici, de prime abord, à l'assuré qui doit démontrer qu'il se trouve dans les conditions pour bénéficier de la garantie. Pour certains auteurs, il incomberait à l'assureur d'apporter la preuve de la portée d'une clause de globalisation (101). Ceci ne nous semble pas contradictoire dès lors qu'il s'agit de régler un problème d'interprétation de la clause plus qu'une question de preuve. Or les clauses ambiguës s'interprètent, en principe, en faveur du preneur d’assurance (article 23, § 2, loi du 4 avril 2014 relative aux assurances). des produits est d'entendre par fait générateur, le défaut ou le vice propre qui affecte le produit et par cause, la cause technique qui rend le produit défectueux. S'agissant de cette responsabilité, la mise en œuvre de la clause de sinistre sériel suppose que toutes les réclamations puissent être rattachées à un même défaut imputable à la même cause technique. Plusieurs décisions confirment cette analyse. Dans l'affaire du sang contaminé en France, la cour d'appel d'Aix-en-Provence a considéré que les contaminations de plusieurs centaines d'hémophiles par le virus du sida résultaient du fait de la diffusion de lots de sang non chauffés et non testés par le centre de transfusion et formaient, dès lors, un seul et même sinistre (102). Le plafond par année d'assurance qui limitait l'engagement de l'assureur à 5 millions FRF devait donc être appliqué quel que soit le nombre de sinistres survenus dans l'année. Le pourvoi introduit contre cet arrêt a été rejeté par la Cour de cassation (103). Celleci a par ailleurs cassé systématiquement les décisions qui ont décidé que le plafond annuel devait jouer à l'égard de chaque victime (104). Dans la même ligne, le tribunal de Rotterdam a décidé qu'une série de fuites constatées dans deux chaudières à vapeur ne pouvait donner lieu qu'à la déduction d'une seule franchise, parce que les dommages couverts dans la police trouvaient leur origine dans une seule et même cause, laquelle s'identifiait dans le choix de la méthode de soudure des tubulures (105). 46. — On sait que la notion de cause et celle de fait générateur sont elles-mêmes sujettes à interprétation. Comme on l'a démontré ci-dessus, la seule manière de donner un sens à la clause de sinistre sériel dans le domaine de la responsabilité du fait Dans le cas d'un procès relatif à l'amiante où l'action était fondée sur la faute inexcusable de l'employeur et non sur le défaut du produit, une cour d'appel avait estimé que la notion de fait générateur devait s'entendre de l'exposition de tous les salariés aux fibres d'amiante et que la clause de globalisation prévue dans le contrat devait donc (100) Exemple de clauses : « Sont considérés comme constituant un seul et même sinistre tous les dommages résultant d'une même erreur, malfaçon ou faute professionnelle quelconque » ; ou encore « seront considérées comme formant un seul et même sinistre toutes les conséquences des dommages causés à des personnes différentes ayant leur origine dans une même faute ou un même fait générateur ». (101) J.H. Wansink, De algemene aansprakelijkheid verzekering, 2e éd., W.E.J. Tjeenk Willink Zwolle, 1994, p. 129. (102) Aix-en-Provence, 12 juillet 1993, R.G.A.T., 1994, p. 236, note J. Bigot. (103) Cass. fr., 9 juillet 1996, no 93-19.160, R.G.D.A., 1996, p. 919, note P. Remy. (104) Cass. fr., 1re ch. civ., 23 novembre 1999, Bull. civ. I, no 315 ; Resp. civ. et assur., 2000, comm. 66 ; R.G.D.A., 2000, p. 190, note P. Remy ; Cass. fr., 1re ch. civ. 3 juillet 2001, Bull. civ. I, no 194 ; Resp. civ. et assur., 2001, comm. 337. (105) Arr. Rechtb., Rotterdam, 21 janvier 1994, Schip en Schade, 1996, 48, commenté par L. Schuermans, op. cit., p. 842. RGAR_06_2015.fm Page 7 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - s'appliquer à l'ensemble des réclamations introduites par les travailleurs. L'assureur soutenait que l'on ne pouvait pas parler d'un sinistre sériel au motif que la faute inexcusable devait s'apprécier en fonction de chaque cas d'espèce selon les circonstances de temps et de lieu propres à chaque réclamation. La Cour de cassation a rejeté le pourvoi intenté contre l'arrêt rendu par la cour d'appel, estimant que la clause était ambiguë et que la cour d'appel, qui était donc tenue de l'interpréter, n'en avait pas dénaturé le sens (106). Notons que la clause de sinistre sériel, telle qu'elle est généralement libellée, n'implique pas nécessairement une pluralité de victimes et n'exige pas non plus que les dommages soient de même gravité ou de même nature, pour autant que ceux-ci se rapportent à la même cause (107). Ainsi, lorsque la victime engage la responsabilité d'un intermédiaire financier pour manquement à son obligation de conseil en raison de deux placements désastreux, le rejet de la clause de globalisation ne peut être motivé par le fait que les sommes investies étaient différentes de même que les taux d'intérêt et la durée des placements (108). 47. — L'ensemble des sinistres, quelle que soit leur date de survenance, étant par l'effet de la clause de globalisation, ramenés à un seul sinistre, celui-ci prendra généralement date au jour de la réalisation du premier d'entre eux. En fonction du libellé de la clause, il s'agira soit du moment où le premier dommage est survenu soit du moment où la première réclamation de la série a été formulée. C'est donc l'assureur qui est en garantie à ce moment qui devra prendre l'intégralité du sinistre sériel en (106) Cass. fr., ch. civ., 7 février 2013, pourvoi no 1124154, R.G.D.A., 2013, p. 693, obs. J. Kullmann. La clause en question prévoyait que l'ensemble des réclamations qui sont la conséquence d'un même fait générateur, quels que soient leur nombre et le délai dans lequel elles sont présentées, constituent un seul et même sinistre imputé à l'année d'assurance au cours de laquelle la première réclamation a été formulée. (107) J. Kullmann, obs. précitées. (108) Cass. fr., ch. comm., 12 février 2013, pourvois no 12-11828 et no 12-12907, R.G.D.A., 2013, p. 696, obs. J. Kullmann. La clause définissait le sinistre comme la réclamation formulée par un tiers à la suite d'un acte, d'une erreur ou d'une omission fautifs et précisait que toutes les réclamations résultant d'un même événement ou acte ou omissions fautifs étaient considérées comme un même sinistre. charge dans la limite de ses engagements financiers à ce moment-là (109). Par contre, la clause ne formule généralement aucune exigence de proximité entre le fait générateur et les réclamations, ni dans le temps, ni dans l'espace, pas plus qu'entre les réclamations elles-mêmes. Il n'en reste pas moins que l'éloignement de certaines réclamations par rapport à d'autres pourrait conduire à douter de l'unicité de leur source. Dans certains cas, la clause de globalisation pourrait tourner en faveur de la victime si la première réclamation correspond à une période effective de garantie alors que les réclamations ultérieures seraient formulées en dehors de cette période. La reconstruction de la série nécessitera un examen précis de chaque plainte introduite par chacune des prétendues victimes. Il n'est pas toujours facile en pratique de distinguer parmi les réclamations présentées celles qui font partie de la même série. Pendant le temps de sa commercialisation, un même médicament peut en effet donner lieu à des plaintes d'origine très diverse dont toutes ne font pas nécessairement partie de la série, parce que, par exemple, certaines affections peuvent être considérées comme des effets secondaires indésirables et connus du médicament et non comme la conséquence d'un défaut. S'il s'agit d'effets secondaires connus, les prétendus dommages ne pourraient être rattachés au même fait générateur. En outre, des événements sérieux (adverse events) ont pu être répertoriés dans le cadre des procédures de pharmacovigilance. Ces événements, même s'ils sont répertoriés systématiquement, ne peuvent toutefois être assimilés à des réclamations écrites au sens de la police en sorte qu'ils ne sont généralement pas déterminants pour fixer le point de départ du sinistre en série. 2. — Les effets de la clause de globalisation 48. — La clause de globalisation dont la portée vient d'être expliquée emporte des effets bien précis sur le montant des engagements financiers de l'assureur. Elle considère l'ensemble des réclamations comme (109) Lamy Assurances, éd. 2015, p. 323, no 813. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151954 RGAR_06_2015.fm Page 8 Friday, July 3, 2015 3:38 PM un seul et même sinistre et le fixe sur une ligne du temps au moment où est survenu le premier dommage ou la première réclamation (a). Cependant, comme cette clause unifie abstraitement le sinistre en le rendant indivisible, elle peut avoir des effets inattendus sur la mise en œuvre de certaines dispositions légales (b). Elle restera, par contre, sans effet sur d'autres dispositions dont l'application ne saurait être affectée par le principe d'indivisibilité du sinistre (c) a) Effets attendus de la clause de globalisation 49. — Afin de parer à la multiplication des réclamations qu'entraîne un sinistre sériel, l'assureur prévoit généralement des plafonds d'intervention par sinistre et par année d'assurance (i). Par contre, le contrat prévoit assez rarement ce qu'il advient lorsque le plafond est dépassé et qu'il convient de répartir les montants entre les victimes d'un même sinistre (ii). (i) Plafond par sinistre, plafond par année d'assurance 50. — La clause de globalisation vise principalement à protéger l'assureur en limitant ses engagements financiers face à un sinistre de grande ampleur. Selon le libellé de la clause, l'ensemble des dommages ou l'ensemble des réclamations qui trouvent leur cause dans un même fait générateur seront alors considérés comme un seul et même sinistre, si bien que le montant prévu ne sera disponible qu'une seule fois pour l'ensemble des réclamations se rattachant à un même fait générateur (sous réserve d'une possibilité de reconstitution parfois prévue contractuellement). L'on retrouve ici les difficultés d'interprétation des notions de fait générateur, de fait dommageable, de survenance du dommage et de réclamation évoquées ci-dessus (voy. supra, n os 9 et s.) qui traduisent l'émiettement de la responsabilité typique d'un dommage en série. Dans l'affaire du sang contaminé, on a vu que certaines juridictions de fond avaient tenté de contourner le plafond par année d'assurance prévu dans les contrats souscrits par les centres de transfusion sanguine en considérant que le plafond annuel jouait à l'égard de chaque victime et que le plafond pouvait donc jouer plusieurs fois au cours d'une même année. Cette interprétation a été condamnée par la Cour de cassation : « le plafond de la garantie fixé par le contrat d'assurance constitue la limite de l'indemnisation par l'assureur pour une même année d'assurance, quel que soit le nombre de sinistres ou de victimes » (110). Même si cela paraît curieux, il n'est pas rare de rencontrer des clauses qui prévoient un même plafond d'intervention par sinistre et par année d'assurance. De telles clauses ont parfois été critiquées par la jurisprudence pour leur ambiguïté (111). On peut se demander en effet si le plafond s'applique globalement pour l'année ou s'il s'applique pour chaque sinistre quel qu'en soit le nombre en cours d'année. Le plafond par année protège en effet aussi bien l'assureur contre un gros sinistre que contre une multiplication de petits sinistres. La question s'est à nouveau posée à propos des contrats d'assurance de la responsabilité des centres de transfusion sanguine. (112) Il est vrai que prévoir un plafond par année équivalent à celui du plafond par sinistre paraît vider le premier de tout intérêt. Cette articulation conserve cependant toute son utilité en présence d'une clause de globalisation dont l'effet est de regrouper plusieurs réclamations en un seul sinistre et de rattacher celui-ci à la date où la première réclamation a été formulée (113). (ii) Le règlement des indemnités et le dépassement du plafond 51. — Chaque paiement lié aux différentes réclamations va donc venir entamer l'un après l'autre la garantie financière prévue par sinistre et par année d'assurance. Mais dans quel ordre et selon quelles priorités ? À l'origine, ces questions délicates ne faisaient l'objet d'aucune disposition précise (110) Cass. fr., 1re ch. civ., 23 novembre 1999, Bull. civ. I, no 315 ; Resp. civ. et assur., 2000, comm. 66 ; R.G.D.A., 2000, p. 190, note P. Remy ; Cass. fr., 1re ch. civ., 3 juillet 2001, Bull. civ. I, no 194 ; Resp. civ. et assur., 2001, comm. 337. Arr. Rechtb., Rotterdam, 21 janvier 1994, Schip en Schade, 1996, 48, commenté par L. Schuermans, op. cit., p. 842. (111) Pour un aperçu de la jurisprudence française à cet égard, Lamy Assurances, éd. 2015, p. 322, no 812. (112) Cass. fr., 1re ch. civ., 9 juillet 1996, no 9319.160, R.G.D.A., 1996, p. 119, note P. Remy ; H. Groutel, « Les suites d'une manipulation », Resp. civ. et assur., chron., no 37. (113) H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 1113, no 1774 RGAR_06_2015.fm Page 9 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - dans la loi. Elles n'étaient pas davantage réglées par le contrat, ce qui est normal, puisqu'il s'agit d'organiser les relations avec les tiers victimes. Que se passera-t-il si le plafond par sinistre ou par année ne suffit pas à satisfaire toutes les victimes ? Comment l'assureur va-t-il procéder ? Faut-il appliquer le prix de la course et indemniser les victimes qui ont présenté leur demande le plus rapidement ou faut-il attendre que toutes les victimes soient connues pour répartir le montant tota l au marc le fran c a u p rorat a de s créances ? autres personnes lésées qu'à concurrence du restant de la somme assurée ». On notera que l'article 150, alinéa 3, n'établit aucune hiérarchie entre les préjudices réparables ni aucune priorité entre les catégories de victimes. Elle ne prévoit pas non plus de subordonner les droits des tiers payeurs subrogés ou bénéficiant d'un droit propre en remboursement à l'indemnisation complète des victimes directes ou de leurs ayants droit. En cas d'insuffisance du plafond, le principe qui doit dominer le règlement collectif est celui de l'égalité des droits entre les victimes. En cas d'insuffisance de la somme due par l'assureur, les créances devront donc être réglées propor tionnellement (114). Encore faut-il que l'assureur ait conscience de l'insuffisance de la garantie. Cette prise de conscience peut, elle-même, être tardive. L'espacement dans le temps des réclamations pourrait aboutir à la constatation que l'assureur a, de bonne foi, déjà indemnisé intégralement certaines victimes en entamant ainsi le plafond contractuel. Pour autant qu'ils aient été effectués de bonne foi, ces paiements doivent être considérés comme valables. 52. — Il est néanmoins permis de voir dans cette disposition un embryon de règlement collectif du dommage de masse. La disposition laisse entendre que lorsque l'assureur s'aperçoit que la somme assurée ne suffira pas à réparer l'ensemble des dommages subis, il doit suspendre le règlement de manière à permettre à chaque victime de faire valoir ses droits. L'on évite ainsi que les victimes soient indemnisées en fonction du prix de la course : premier venu, premier servi. Ceci pourrait cependant retarder considérablement le règlement de l'indemnité. L'assureur ne devrait toutefois pas être empêché de verser des provisions aux victimes déjà déclarées pour autant que ces versements ne mettent pas en péril les droits des autres victimes. Une libération progressive en pourcentage du montant des créances devrait être envisageable. Ces deux principes (égalité et bonne foi) sont maintenant confirmés par l'article 150, alinéa 3, de la nouvelle loi relative aux assura n ce s ( ex-a r t i cle 8 6 , al in é a 3, d e la L.C.A.T.), inséré par l'article 10 de la loi du 22 août 2002, qui prévoit à cet égard que « s'il y a plusieurs personnes lésées et si le total des indemnités dues excède la somme assurée, les droits des personnes lésées contre l'assureur sont réduits proportionnellem en t j usq u 'à con cu r r en ce d e ce t te somme. Cependant, l'assureur qui aurait versé de bonne foi à une personne lésée une somme supérieure à la part lui revenant, parce qu'il ignorait l'existence d'autres prétentions, ne demeure tenu envers les Le texte ne dit pas si une réclamation formelle de la victime est nécessaire pour être prise en compte dans le règlement collectif ou s'il suffit que l'assureur ait connaissance de la victime et du préjudice qu'elle a subi. Saisie de cette question, la Cour de cassation française a décidé que l'assureur méconnaissait la règle de proportionnalité lorsqu'il écarte une demande du règlement alors qu'il avait connaissance de l'existence de la victime par le biais de la déclaration faite par son assuré. Par contre, l'assureur peut opposer les paiements déjà effectués aux victimes dont il ne pouvait connaître l'existence au moment où il a effectué ces payements (115). (114) S'agissant précisément d'une clause de globalisation d'un sinistre sériel, certains auteurs préconisent de substituer à la mise en œuvre de la règle de proportionnalité, celle de l'épuisement progressif du plafond annuel au motif qu'il ne s'agirait plus à proprement parler de créances concurrentes. Nous ne partageons pas ce point de vue. La clause de globalisation est, elle aussi, soumise au principe d'égalité des droits des victimes Voy. H. Groutel, F. Leduc, P. Pierre et M. Asselain, op. cit., p. 1121, no 1784. b) Effets inattendus de la clause de globalisation 53. — La clause de globalisation qui conduit à l'unicité du sinistre pourrait avoir des conséquences inattendues sur l'application de (115) Cass. fr., 1re ch. civ., 19 décembre 1979, R.G.A.T., 1980, p. 100, note A. Besson. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151955 RGAR_06_2015.fm Page 10 Friday, July 3, 2015 3:38 PM dispositions légales qui font elles-mêmes référence à la notion de sinistre. Faut-il limiter les conséquences de cette clause aux effets révélés ci-dessus ou, par souci de cohérence, considérer que le sinistre est unique ? (i) Étendue de la garantie dans le temps 54. — Le sinistre sériel vient ajouter ses caractéristiques propres aux questions relatives à l'étendue de la garantie dans le temps, déjà évoquées ci-dessus (voy. supra, no 37) (116). Il convient de repartir de l'idée que le sinistre sériel est, par l'effet de la clause de globalisation, considéré comme un seul et même sinistre prenant date, selon les termes de cette clause, soit au moment de la survenance du premier dommage soit au moment de la première réclamation écrite, amiable ou judiciaire. Lorsque la clause fait référence à la réclamation, on ajoute parfois « ou de la déclaration faite par l'assuré à la compagnie, si cette date est antérieure ». Au regard de la garantie d'antériorité, si la série a débuté avant l'entrée en vigueur de la police, l'assureur ne sera pas tenu à garantie. Sur le fondement de la clause de globalisation, il est permis de considérer que le risque s'est déjà réalisé avant la conclusion du contrat, si bien que le contrat est réputé nul sur le fondement de l'article 79 de la loi relative aux assurances (exarticle 24 de la L.C.A.T.). Cette nullité ne devrait cependant affecter que la couverture du sinistre en cause, pas le contrat dans son ensemble. Sous le même aspect, on pourrait se demander si l'assureur sera tenu de couvrir un sinistre qui donnerait lieu à des réclamations en cascade pendant la durée du contrat, mais qui se rapporterait à un ou plusieurs faits générateurs antérieurs. Si l'assureur a accepté de reprendre le passé inconnu, la réponse devrait être affirmative pour autant que l'ignorance de l'assuré soit légitime et que l'élément retenu pour la définition du sinistre se cristallise pendant la période de garantie. (116) Sur la relative inefficacité de l'assurance de la responsabilité de l'exploitant pour la couverture des dommages causés par l'amiante, voy. A. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, ontwikkelingen, op. cit., p. 408, nos 781 et s. Ces risques sont désormais exclus des garanties R.C. exploitation. 55. — En ce qui concerne la postériorité, tout dépendra des termes de la clause relative au sinistre sériel. Si le moment où survient le sinistre sériel est fixé à la date de survenance du premier dommage ou de la première réclamation et que ce moment se situe pendant la période de garantie, il nous paraît que l'assureur sera tenu de couvrir toutes les réclamations subséquentes, même si celles-ci sont formulées après la fin du contrat et même si elles le sont après le terme de la garantie légale de postériorité. La clause de globalisation se révèle ici favorable à l'assuré, puisque toutes les réclamations successives seront, en principe, prises en charge par l'assureur sans limite dans le temps, sous réserve bien entendu du délai de prescription de l'action en responsabilité. Si, par contre, la première réclamation est formulée pendant la garantie de postériorité, l'assureur qui aurait prévu une clause à base de réclamation dans son contrat sera tenu dans les termes de l'article 142, § 2, de la loi relative aux assurances (exarticle 78, § 2, de la L.C.A.T.). Pour bénéficier de la garantie de postériorité, il suffira donc que la première réclamation relative au sinistre sériel soit formulée dans les trente-six mois qui suivent la cessation du contrat et se rapporte soit à un dommage survenu pendant la durée du contrat, pour autant qu'à la fin de ce contrat, le risque ne soit pas couvert par un autre assureur, soit à des actes ou des faits pouvant donner lieu à un dommage, survenus et déclarés à l'assureur pendant la durée de ce contrat. Sous ce dernier aspect, ceci signifie que si des faits se sont produits qui peuvent laisser croire à l'existence d'un sinistre sériel, l'assuré sera bien inspiré de les déclarer avant même la fin du contrat pour pouvoir bénéficier de la garantie de postériorité si des dommages ou des réclamations surviennent ultérieurement. En cas d'appel à la garantie de postériorité, le principe de la continuité des garanties conduit à considérer que le ou les plafonds de garantie applicables seront ceux qui existaient au cours de la dernière année d'assurance précédant la fin du contrat. (ii) Atténuation des conséquences du sinistre 56. — L'article 75 de la loi du 4 avril 2014 (ex-article 20 de la L.C.A.T.) oblige l'assuré RGAR_06_2015.fm Page 11 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - à prendre toutes mesures raisonnables pour prévenir et atténuer les conséquences d'un sinistre. Si tous les dommages ou toutes les réclamations résultant d'un même fait générateur sont considérés comme un seul et même sinistre et que celui-ci est réputé survenu à la date de la première réclamation de la série, l'assuré devrait dès ce moment faire tout ce qui est raisonnable pour limiter les conséquences dommageables de ce sinistre sériel et traiter les réclamations ultérieures en conséquence. En outre, l'article 106 de la même loi (117) pourrait obliger l'assureur à prendre en charge tous les frais de retrait des produits affectés d'un même défaut au titre des frais de sauvetage (118). Comme le sinistre sériel est considéré comme un seul et même sinistre, toutes les mesures de retrait envisagées pourraient en effet être considérées comme « des mesures visant à atténuer les conséquences du sinistre » au sens de cet article. Certains auteurs ont exprimé un avis contraire au motif que l'unicité du sinistre n'impliquerait pas l'unicité du dommage. (119) L'argument était pertinent dans le contexte de l'article 17 de l'ancienne loi du 11 juin 1874 qui fait effectivement allusion au dommage. Il ne l'est plus dans le contexte de l'article 106 qui se réfère seulement au sinistre. La question est alors de savoir s'il faut entendre le sinistre sériel au sens défini par la police ou s'il faut revenir à des sinistres distincts. Il nous semble que la seule manière de donner un sens à cet article dans le contexte d'un sinistre sériel est de s'en référer à la définition proposée par le contrat et de considérer, par conséquent, que ce sinistre a débuté dès la première réclamation ou le premier dommage, selon le cas, et qu'à partir de ce moment l'assuré a l'obligation d'en atténuer les conséquences afin d'éviter la multiplication des dommages. Ceci va d'ailleurs dans le sens des intérêts de l'assureur. Corrélativement, celui-ci devra donc rembourser les frais de sauvetage. (117) Ex-article 52 de la L.C.A.T. (118) Cette question avait déjà été posée par F. Piedbœuf, « Les frais de prévention et de retrait », in Les assurances de l'entreprise, U.L.B., Bruxelles, Bruylant, 198, p. 185. (119) G. Vernimmen, « Obligation de prévention et de sauvetage et prise en charge des frais par l'assureur (article 17 de la loi du 11 juin 1874) », R.G.A.R., 1977, no 9743/2. Il importe de rappeler cependant que tous les frais consentis lors d'un retrait n'entrent pas indistinctement dans la catégorie des frais de sauvetage au sens de l'article 106 de la loi relative aux assurances. Cet article ne vise que les frais nécessaires pour éviter que des dommages soient causés aux tiers. On y inclura les frais de publicité, de rappel et de retrait stricto sensu, mais non les frais éventuels de destruction ou de réparation ni les frais visant à rétablir l'image de marque du fabricant (120). Par ailleurs, on se souviendra que la couverture des frais de sauvetage est limitée en montants (121). Pour bénéficier d'une couverture plus complète, l'assuré prendra soin de souscrire une garantie frais de retrait spécifique en lien avec la garantie principale. (iii) La résiliation après sinistre 57. — Saisi de plusieurs réclamations transmises directement par les victimes ou par l'intermédiaire de son assuré laissant croire à l'existence d'un sinistre sériel, l'assureur pourrait être incité à résilier très rapidement le contrat au moment même où les réclamations commencent à affluer afin de ne plus devoir couvrir les suivantes. Pourrait-il se prévaloir de l'article 86, § 1er, de la loi relative aux assurances (ex-article 31, § 1er, de la L.C.A.T.) en vue de mettre fin au contrat ? Il nous semble que la clause de globalisation doit produire ici tous ses effets. Elle a pour conséquence de rendre le sinistre en série indivisible à dater du premier dommage ou de la première réclamation, même si, en réalité, la série n'est identifiée qu'après la résiliation du contrat. Dès lors que toutes les réclamations sont considérées comme un seul et même sinistre et que ce sinistre est survenu, conformément à la clause de globalisation, pendant la période de garantie, la résiliation demandée par l'assureur ne pourrait plus avoir aucun effet sur les réclamations subséquentes attachées à la même série même si celles-ci sont formulées après la cessation du contrat. La résiliation qui n'a d'effet que pour l'avenir ne peut en avoir aucun sur un sinistre survenu pendant la période de garantie. (120) F. Piedbœuf, op. cit., p. 188, no 20. (121) Arrêté royal portant exécution de la loi du 25 juin 1992 sur le contrat d'assurance terrestre, article 4. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151956 RGAR_06_2015.fm Page 12 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Par contre, on pourrait se demander si l'assureur conserverait le droit de résilier le contrat dès la première alerte de ce qui semble représenter un sinistre sériel, alors qu'aucune réclamation n'aurait encore été formulée. Dans un tel contexte, la résiliation pourrait être entachée d'une fraude ou d'un abus de droit, ce qui devrait conduire à la priver d'effet. c) Absence d'effets de la clause de globalisation (i) Déclaration du sinistre 58. — Quand le sinistre sériel doit-il être déclaré ? Compte tenu de l'intérêt que présente la déclaration de sinistre pour l'assureur, on a indiqué que le délai devait commencer à courir dès que l'assuré a connaissance à la fois de l'événement et des conséquences éventuellement dommageables de nature à entraîner la garantie. En tout état de cause, l'obligation de déclaration d'un éventuel sinistre sériel ne saurait dépendre exclusivement de l'existence d'une clause contractuelle de globalisation. Vu le temps qui est nécessaire pour imputer des réclamations à une série, il importe que l'assuré déclare à son assureur chacune des réclamations dont il a été saisi, quitte à s'apercevoir ensuite que les différents sinistres ainsi déclarés constituent un sinistre sériel. L'existence d'une clause de globalisation n'a donc pas, comme telle, d'incidence sur cette obligation. Telle n'est d'ailleurs pas sa portée. Elle ne saurait libérer l'assuré de son obligation de déclarer le sinistre ou les sinistres dans un délai raisonnable au sens de l'article 74 de la loi du 4 avril 2014 (exarticle 19 de la L.C.A.T.). Il est d'ailleurs vraisemblable qu'au moment de la première réclamation, ni l'assuré, ni l'assureur n'auront pris conscience de l'existence d'un sinistre sériel. Plusieurs déclarations de sinistre devront vraisemblablement être introduites avant même que la série soit identifiée. Une fois le sinistre sériel établi, toutes les réclamations subséquentes devront faire l'objet d'une déclaration complémentaire visant à les ajouter à la série (122). (122) Dans les programmes internationaux d'assurance, il est souvent prévu que la déclaration à l'assureur local vaut déclaration au titre de la police master. 59. — On pourrait d'ailleurs se demander si l'assuré n'aurait pas, indépendamment de l'obligation de déclarer chacune des réclamations qui lui est adressée, une obligation distincte de déclaration lorsqu'il s'aperçoit, pour la première fois, que le sinistre présente un caractère sériel. Ceci paraît se justifier pour permettre à l'assureur de prendre aussitôt ses dispositions en vue de gérer un tel sinistre. Le fait que l'assuré aurait tardé à déclarer l'existence d'un sinistre sériel ne saurait toutefois s'analyser en un manquement à l'obligation de déclarer une aggravation du risque assuré au sens de l'article 81 de la loi relative aux assurances (ex-article 26 de la L.C.A.T.). Dès que la première réclamation est formulée, le sinistre est constitué et le retard de déclaration ne peut s'analyser en une aggravation sensible et durable du risque de survenance de l'événement assuré au sens de cet article. Une déclaration tardive ou une absence de déclaration ne pourraient donc, à notre avis, être sanctionnées par application de l'article 81, § 3. Il y aurait lieu d'appliquer plutôt les sanctions prévues par l'article 76 de la loi du 4 avril 2014 (ex-article 21 de la L.C.A.T.) en cas d'absence de déclaration ou de déclaration tardive. On sait que la sanction réservée à la déclaration tardive n'est pas très lourde. La prestation sera réduite à concurrence du préjudice subi. Celui-ci doit être d û m e n t d é m o n t r é p a r l ' a s s u r e u r. L a déchéance de la garantie n'est prévue qu'en cas de fraude (article 76, § 2). (ii) La prescription 60. — La clause de globalisation du sinistre sera également sans effet sur la prescription des actions des victimes touchées par le dommage en série. Chacune de ces actions est en effet soumise à son propre délai dont le point de départ peut donc être différent pour chaque victime. En ce qui concerne l'action résultant du droit propre de la victime, l'action se prescrira donc par cinq ans à compter du fait générateur du dommage ou, s'il y a infraction pénale, à compter du jour où celle-ci a été commise. Toutefois, lorsque la personne lésée prouve qu'elle n'a eu connaissance de son droit envers l'assureur qu'à une date ultérieure, le délai ne commencera à courir qu'à cette date, sans pouvoir excéder dix ans à compter du fait générateur (article 88, RGAR_06_2015.fm Page 13 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - §2, de la loi relative aux assurances ; exarticle 34, § 2, de la L.C.A.T.) (123). Comme le délai de l'action en responsabilité civile extracontractuelle, le délai butoir de dix ans s'avérera souvent trop court dans des litiges où le dommage se révèle tardivement. On se rappellera cependant que la Cour de cassation a considéré que ce délai est un délai de prescription et qu'il peut donc être interrompu ou suspendu (124). Bien que cette interprétation soit critiquable, elle se révèle favorable aux victimes d'un dommage en série. L'article 89, § 2, de la loi (ex-article 35, § 2, de la L.C.A.T.) prévoit en effet que la prescription ne court pas contre la personne lésée qui se trouve par force majeure dans l'impossibilité d'agir dans les délais prescrits. Cette disposition est donc conforme à la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme commentée ci-dessus (voy. supra, no 31). 61. — Si l'action directe de la victime devait être atteinte par la prescription, celle-ci pourrait encore agir directement contre l'assuré responsable. Comme l'action en responsabilité est soumise à un délai spécifique, elle pourrait échapper à la prescription (article 2262bis du Code civil). Si c'est le cas, l'assuré pourra ensuite exercer une action récursoire contre son assureur de responsabilité afin de l'appeler en garantie. Cette action devrait-elle être soumise à un délai unique au motif qu'une clause du contrat considère que le sinistre est censé être s u r ve n u a u m o m e n t d e l a p r e m i è r e réclamation ? La réponse est assurément négative. La clause de globalisation sera sans effet sur la prescription de l'action récursoire de l'assuré contre l'assureur. Conformément à (123) La Cour de cassation a décidé que la personne lésée a connaissance de son droit envers l'assureur au sens de cet article « si elle a connaissance non seulement du fait que la personne responsable est assurée, mais aussi de l'identité de l'assureur » (Cass., 1re ch., 16 février 2007, R.D.C., 2007, p. 794 ; NjW., 2007, p. 267, note G. Jocqué ; C.R.A., 2007, p. 224, note J. Muyldermans). Sur le délai de prescription de l'action directe voy. en doctrine, B. Weyts, « Over de verjaring van de rechstreekse vordering in de aansprakelijkheidsverzekering », T. Verz., 2009, p. 172 ; G. Jocqué, « Verjaring en verzekering », De Verz., 2006, pp. 6-36. (124) Cass., 7 octobre 2005, Pas., 2005, p. 490 ; R.D.C., 2006, p. 752, note C. Van Schoubroeck ; Bull. ass., 2007, p. 33, note P. Fontaine ; J.T., 2006, p. 187 ; NjW., 2006, p. 74, note G. Jocqué ; Cass. 1re ch., 6 avril 2006, R.G.A.R., 2007, no 14319. l'article 88, § 1er, alinéa 3, de la loi relative aux assurances cette action est soumise à un délai de prescription de trois ans qui court à compter de la demande en justice de la personne lésée, soit qu'il s'agisse d'une demande originaire d'indemnisation, soit qu'il s'agisse d'une demande ultérieure ensuite de l'aggravation du dommage ou de la survenance d'un dommage nouveau. L'assureur ne peut prétendre, en s'appuyant sur la clause de globalisation, que l'action en garantie se prescrit à compter de la demande en justice résultant de la première réclamation de la série afin de soumettre l'action de l'assuré relative à ce sinistre sériel à un seul délai de prescription et éviter ainsi de devoir couvrir les réclamations qui seraient formulées plus de trois ans après cette première demande. Chacune des actions introduites par l'assuré relatives à ce sinistre sériel fera l'objet d'un délai de prescription différent qui commencera à courir à compter de chaque demande en justice introduite par chacune des victimes. On ne peut donc qu'approuver la Cour de cassation française lorsqu'elle décide qu'une clause de globalisation ne porte que sur la définition du sinistre et a pour objet de per mettre d'appliquer les plafonds de garantie prévus par sinistre et par an à des sinistres dits sériels, en les considérant comme un seul sinistre se rattachant à la même année d'assurance. Elle n'a pas pour effet de faire courir un seul délai de prescription pour tous les sinistres se rattachant au même fait générateur (125). IV. — LES DOMMAGES EN SÉRIE ET L'INDEMNISATION SANS RESPONSABILITÉ 62. — Les contraintes et les limites imposées par les règles de la responsabilité civile et par les garanties d'assurance sont telles que le législateur est parfois obligé de trouver des solutions dérogatoires au droit commun en vue de permettre l'indemnisation des dommages en série, surtout lorsque ceux-ci prennent une dimension catastrophique. Certaines catastrophes sanitaires ont ainsi conduit le législateur à sortir des sentiers de (125) Cass. fr., 2e ch. civ., 28 février 2013, pourvoi no 12-12813, R.G.D.A., 2013, p. 617, note J. Kullmann. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151957 RGAR_06_2015.fm Page 14 Friday, July 3, 2015 3:38 PM la responsabilité civile pour se rabattre vers des régimes spéciaux d'indemnisation fondés sur la solidarité. Pour illustrer ce propos, nous avons choisi deux drames sanitaires déjà évoqués, qui ont fait ou font encore grand bruit : celui du sang contaminé (A) et celui de l'amiante (B) (126). Notre propos ne consistera pas à faire une description détaillée et exhaustive des régimes d'indemnisation mis en place, mais plutôt à montrer comment ces régimes parviennent à surmonter les difficultés relevées ci-dessus : plafonnement de la responsabilité, preuve du lien causal, prescription, clause limitant la garantie d'assurance... A. — La contamination des produits dérivés du sang en France 63. — Les dommages liés à la transfusion du sang contaminé par le virus du sida en France constituent une illustration parfaite d'un dommage en série, puisque des milliers de victimes hémophiles ou transfusées ont été infectées par ce virus à la suite d'injections de produits sanguins ou de produits dérivés du sang. Cette affaire témoigne parfaitement de l'évolution progressive d'un régime de responsabilité civile vers un système d'indemnisation sans responsabilité. D ans un prem ier te mps, les victimes s'appuyèrent sur le droit commun de la responsabilité contractuelle et extracontractuelle pour engager la responsabilité non seulement des centres de transfusion et des hôpitaux, mais aussi des médecins et parfois même des particuliers qui, par leur faute, avaient rendu la transfusion nécessaire. Entre autres rebondissements, la Cour de cassation et le Conseil d'État finirent par mettre à charge des centres de transfusion l'obligation de fournir aux receveurs un produit exempt de tout vice, obligation qui fut qualifiée de résultat et dont les (126) L'on aurait pu aussi choisir le drame du softenon ou de la thalidomide dont les ressorts sont comparables : voy. à ce sujet J.-L. Fagnart, « La conception des produits pharmaceutiques - Précaution et responsabilité », in Mélanges offerts à Marcel Fontaine, Bruxelles, 2003, p. 750, no 4 ; C. Delforge et A. Regniault, « La responsabilité du fait des produits défectueux mise en œuvre par la directive du 25 juillet 1985 : la responsabilité civile du producteur », in O. Mignolet (dir.), Traité de droit pharmaceutique - La commercialisation des médicaments à usage humain, vol. 2, Kluwer, 2011, p. 1204, no 1244. centres de transfusion ne pouvaient, par conséquent, s'exonérer que par la preuve d'une cause étrangère (127). À la suite d'un rapport demandé par le ministère de la Santé à l'inspection des affaires sociales, qui avait conclu que les autorités politiques, administratives et scientifiques avaient commis de graves erreurs d'appréciation, deux fonds de solidarité furent créés en 1989, un public et un privé, pour venir en aide aux hémophiles, victimes de contaminations post-transfusionnelles. Au vu des contestations exprimées par les associations de victimes non hémophiles, la loi du 31 décembre 1991 a finalement mis en place un seul Fonds d'indemnisation permettant à l'ensemble des victimes de contaminations post-transfusionnelles d'obtenir une indemnisation (F.I.T.H.). L'article 47 de cette loi organise l'indemnisation des « victimes de préjudices résultant de la contamination par le virus d'immunodéficience humaine causée par une transfusion de produits sanguins ou une injection de produits dérivés du sang réalisée sur le territoire de la République française (128). À noter que depuis la loi du 9 août 2004, l'Office national d'indemnisation des accidents médicaux (O.N.I.A.M.) s'est substitué au Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles (F.I.T.H.). Pour surmonter l'inégalité de traitement des victimes de contaminations post-transfusionnelles, le législateur français en a même étendu l'accès, en 2008, aux personnes contaminées par le virus de l'hépatite C. 64. — La création du F.I.T.H. a permis de libérer l'indemnisation des victimes du sang (127) Cass. fr., 1re ch. civ., 12 avril 1995, Bull. civ., I, no 179 ; J.C.P., éd. G, 1995, II, 22467, note P. Jourdain ; voy. aussi C. Lacroix, op. cit., p. 114, no 255. (128) Le financement du fonds provenait, entre 1993 et 2006, d'une dotation prise sur le budget de l'État. Les entreprises d'assurances ont apporté une contribution forfaitaire lors de sa création au titre sans doute de la couverture de la responsabilité des cliniques privées, des centres de transfusion privés et des médecins prescripteurs. Depuis l'année 2006 qui marque le transfert des compétences à l'O.N.I.A.M., l'indemnisation des victimes est prise sur des fonds provenant des organismes d'assurance maladie. Sur tout ceci, voy. J. Knetsch, Le droit de la responsabilité et les fonds d'indemnisation, Bibliothèque de droit privé, t. 548, Paris, L.G.D.J., 2013, p. 37, no 45 et s. RGAR_06_2015.fm Page 15 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - contaminé des contraintes issues de l'application des règles de la responsabilité civile et d'accélérer le processus d'indemnisation. Les personnes s'estimant lésées par une contamination post-transfusionnelle peuvent en effet présenter directement leur demande d'indemnisation devant le Fonds qui est tenu de leur proposer une offre dans des délais brefs. Cette demande d'indemnisation n'est soumise à aucun délai de prescription (129). Les conditions sont objectives en sorte que les questions relatives à l'existence d'une faute du centre de transfusion ou de tout autre protagoniste ayant joué un rôle dans la transfusion deviennent sans incidence sur le droit à indemnisation. L'intervention du Fonds repose aussi sur une simplification de l'exigence causale, puisque les victimes doivent seulement justifier de l'existence de la contamination par le virus du sida et de la transfusion ou de l'injection de produits sanguins ou dérivés du sang (130). Le lien de causalité entre la contamination et la transfusion est alors présumé à charge pour le Fonds de renverser cette présomption dans le délai de trois mois qui lui est imparti pour vérifier si les conditions d'indemnisation sont réunies. Dans ce contexte, il lui appar tient de démontrer que la contamination virale a une autre cause que la transfusion ou l'injection. Ceci pousse encore plus loin la faveur pour la victime, dont la tâche était déjà allégée en droit commun de la responsabilité, puisque celle-ci ne doit même plus préciser le r ô le d e s d i f f é r e n t s a c t e u r s n i é t a bli r l'absence de tout autre mode de contamination (131). L'intervention du Fonds est principale et non subsidiaire en ce sens que les victimes ne doivent pas préalablement engager des poursuites contre les responsables devant les juridictions ordinaires. Il est important de noter que la réparation octroyée par le Fonds est, en principe, intégrale (132). (129) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 225, no 165. (130) A. Guégan-Lécuyer, ibidem ; C. Lacroix, op. cit., p. 153, nos 347 et 348. (131) J. Knetsch, op. cit., p. 119, no 176. (132) Ce principe est énoncé par l'article 47, III, de la loi du 31 décembre 1991. En raison de l'imprécision du texte légal, la question des rapports entre le régime spécial d'indemnisation et le droit commun de la responsabilité civile a nourri un abondant contentieux opposant le Conseil d'État et la Cour de cassation. Cette question en comporte deux en réalité. La La création d'un fonds d'indemnisation en marge de la responsabilité civile présente l'avantage d'éviter l'éclatement du contentieux entre des tribunaux de ressorts différents en évitant ainsi la divergence des jurispr udences. On y verra aussi une réponse des autorités face à la multiplication des actions en responsabilité intentées contre l'État, les établissements de santé ou les particuliers (133). B. — L'indemnisation des victimes de l'amiante 65. — Les dommages résultant de l'exposition à l'amiante peuvent être répertoriés en bonne place dans la liste des dommages en série. L'amiante, on le sait, est une substance qui a été très utilisée dans les matériaux pour ses propriétés ignifuges. Grâce aux études scientifiques, elle s'est révélée très nocive pour la santé des personnes ayant respiré des fibres d'amiante dispersées dans l'atmosphère, non seulement dans le cadre d'une activité professionnelle, mais aussi dans le cadre d'une activité de proximité (contamination domestique ou environnementale). Les personnes qui ont inhalé ces poussières de manière répétée peuvent développer un cancer de la plèvre, l'asbestose (134) ou un mésothéliome (135) très longtemps après l'exposition (10, 20, voire 40 ans après l'exposition en fonction des maladies concernées) (136). première concerne le cumul d'actions : une victime qui a introduit une demande d'indemnisation devant le Fonds peut-elle encore exercer parallèlement un recours en droit commun devant les tribunaux de l'ordre judiciaire ? La seconde concerne à proprement parler le cumul d'indemnités. Il s'agit de savoir si la victime indemnisée par le Fonds pour différents chefs de préjudice peut encore agir en droit commun afin d'obtenir une indemnisation complémentaire pour ces mêmes préjudices auprès des juridictions judiciaires ou administratives. Sur la différence entre cumul d'actions et cumul d'indemnités, voy. J. Knetsch, op. cit., p. 410, nos 561 et s. (133) J. Knetsch, op. cit., p. 97, no 147 ; C. Lacroix, op. cit., p. 113, no 252. (134) L'asbestose est la fibrose pulmonaire, occasionnée par une exposition intense à l'amiante. (135) Il s'agit de tumeurs malignes primitives localisées au niveau de la plèvre et du péritoine, provoquées par une exposition à l'amiante. À la différence des cancers, qui peuvent trouver d'autres causes que l'exposition à l'amiante, l'amiante est la source exclusive du mésothéliome. (136) Pour une analyse détaillée, voy. E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 41, nos 74 à 101. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151958 RGAR_06_2015.fm Page 16 Friday, July 3, 2015 3:38 PM La pre uve définitive de la t oxicité de l'amiante a été appor tée au cours des années 1960, mais il a fallu attendre les années 1970 pour que les premières réglementations visant à limiter l'exposition à ce produit particulièrement dangereux soient adoptées (137). On retrouve dans cette pénible affaire toutes les caractéristiques typiques des dommages en série, en particulier l'éparpillem en t de s él ém en t s con st it ut if s de la responsabilité et les difficultés que cet éparpillement fait naître quant à l'identification des responsables, l'établissement de la faute ainsi que de la relation causale. Bien que les dommages causés par l'amiante aient été la source de nombreuses actions en responsabilité civile, il est intéressant d'examiner brièvement comment l'indemnisation des victimes a pu être organisée à la faveur de régimes spéciaux liés ou non la sécurité sociale, en marge de l'application des règles de droit commun. Nous examinerons, de manière synthétique, les régimes mis en place en Belgique (1), en France (2) et aux Pays-Bas (3) et nous terminerons par quelques conclusions (4) (138). 1. — La Belgique : intervention du Fonds des maladies professionnelles et verrouillage de l'action en responsabilité (139) 66. — En Belgique, l'indemnisation des victimes de l'amiante repose très largement sur le système d'assurance sociale dans son volet consacré aux maladies professionnelles. Ce système de couverture du risque social garantit aux travailleurs exposés à l'amiante dans le cadre de leurs activités professionnelles, le droit à une indemnisation forfaitaire accordée par le Fonds (137) Suspectée d'être à l'origine de l'asbestose et d'avoir des propriétés cancérogènes dès 1930, c'est dans les années 1960, à la faveur d'études épidémiologiques publiées dans la littérature scientifique, qu'un lien incontestable a été établi. (138) Les développements qui suivent doivent beaucoup à la thèse d'Evelien de Kezel : E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., Anvers - Oxford, Intersentia, 2013, 756 pp. (139) Sur le système belge, voy. en particulier E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 413, nos 792 à 938. Pour un résumé en français, du même auteur : « La réparation du dommage corporel à la suite d'une exposition à l'amiante », op. cit., R.G.A.R., 2001, no 13426 (première partie) et no 13340 (deuxième partie). des maladies professionnelles, organisme public géré paritairement par des représentants des employeurs et des salariés (140). Le caractère forfaitaire de l'indemnisation est la contrepartie de l'obligation faite à l'employeur de contribuer au financement du système d'assurance des risques professionnels et de l'assouplissement considérable des conditions d'indemnisation (141). D'un point de vue général, pour bénéficier de l'intervention du Fonds, la maladie doit être inscrite sur une liste officielle des maladies reconnues comme professionnelles. L'asbestose, le cancer du poumon, le mésothéliome et les affections de la plèvre sont répertoriés comme des maladies professionnelles pouvant être provoquées par l'amiante. Lorsque la maladie est reconnue, la victime peut se contenter de démontrer qu'elle a, effectivement et de manière significative, été exposée au risque durant la période de mise au travail. Pour alléger le fardeau de la preuve, le législateur a établi une nomenclature des métiers et catégories d'entreprises pour lesquels la victime est présumée avoir été exposée au risque, jusqu'à preuve du contraire. La difficulté de démontrer le lien de causalité entre l'exposition et la survenance de la maladie est ainsi surmontée. Il reste que la preuve du caractère significatif de l'exposition n'est pas toujours facile à fournir, spécialement lorsqu'il s'agit de maladies multifactorielles comme le cancer du poumon (142). Depuis 1990, les maladies qui ne sont pas inscrites sur cette liste peuvent aussi donner lieu à intervention du Fonds dans le cadre d'un régime « ouver t », mais la charge de la preuve est alors beaucoup plus lourde. La victime doit notamment démontrer positivement l'existence d'une relation causale directe et déterminée entre l'activité professionnelle et la maladie (143). (140) L'indemnisation est limitée tant sous l'angle de la nature des préjudices couverts que sous l'angle du mode de calcul des indemnités. (141) E. De Kezel, R.G.A.R.,2001, no 13426/7, no 45 (142) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 415, nos 797 à 807 ; E. De Kezel, R.G.A.R., 2001, no 13426/3, nos 14 et s. et no 13426/ 7, no 44 ; H. Bocken et I. Boone n.m.v. M. Kruithof, Inleiding tot het schade vergoedingsrecht, die Keure, 2014, p. 259, no 419. (143) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 418, nos 808 et s. ; H. Bocken et I. Boone, op. cit., p. 275, no 413. RGAR_06_2015.fm Page 17 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - On notera qu'aucun délai n'est prévu pour l'introduction de la demande d'indemnisation et que celle-ci ne dépend pas de la p r e u ve d ' u n e fa u t e d a n s l e c h e f d e l'employeur. En contrepartie, et pour préserver la paix sociale dans les entreprises, l'employeur, ses préposés et mandataires bénéficient d'une quasi-immunité civile (144). Un recours ne peut être intenté en droit commun contre ceux-ci pour obtenir une indemnité complémentaire, que dans l'hypothèse d'une faute intentionnelle. Autant dire que celle-ci ne pourra presque jamais être établie à charge de l'employeur. À l'acte délibéré, on assimile cependant le cas où l'employeur n'a pas respecté ses obligations en matière de sécurité et d'hygiène du travail et a continué à exposer ses travailleurs aux risques de maladie professionnelle en dépit d'une mise en demeure écrite de l'inspection sociale lui signalant expressément ce danger (article 51, § 1 er , de la loi du 3 juin 1970 sur les maladies professionnelles). Cette dernière exigence ne facilite pas non plus le recours, d'autant que les premières réglementations relatives à l'amiante datent des années 1970. Ceci explique que le contentieux de la responsabilité civile relatif à l'amiante soit beaucoup plus limité en Belgique qu'en France et aux Pays-Bas (145). La responsabilité de l'employeur n'a pratiquement j a m a i s é t é m i s e e n c a u s e, p a s p l u s d'ailleurs que la responsabilité de l'État pour manquement aux obligations de prévention, de précaution ou de contrôle. Jusqu'à présent le contentieux s'est donc cantonné aux relations entre les salariés et le Fonds des maladies professionnelles. À l'origine, le système ne profite qu'aux travailleurs salariés ou à ses ayants droit, pas aux travailleurs indépendants ni aux particuliers qui peuvent pourtant avoir été exposés à l'amiante dans d'autres contextes. La liste (144) La Cour constitutionnelle n'y voit pas une discrimination condamnable sur le fondement des articles 10 et 11 de la Constitution. C.A., 1er mars 2001, no 31/2001 et C.A., 18 avril 2001, no 52/2000. Sur la pertinence des motifs invoqués, voy. E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 431, no 857 et s. E. De Kezel, op. cit., R.G.A.R., 2001, no 13426/10, no 75. L'auteur rejette l'argument tiré de la paix sociale. (145) E. De Kezel, no 13426/8, no 59 op. cit., R.G.A.R., 2001, des bénéficiaires est définie limitativement (146). 67. — Toutefois, pour dépasser les limites dans lesquelles s'inscrit l'intervention du Fonds des maladies professionnelles, l'article 113 du chapitre VI, du titre IV de la loi-programme du 27 décembre 2006 a créé un Fonds spécial d'indemnisation des victimes de l'amiante au sein même du Fonds des maladies professionnelles, financé pour partie par des deniers publics et pour une autre par des cotisations des employeurs, même si ceux-ci ne font pas usage de l'amiante (147). La loi détermine les conditions de réparation des dommages résultant d'une exposition à l'amiante. Cette intervention a eu pour effet bénéfique d'élargir le champ de l'intervention du Fonds à toutes les personnes atteintes de mésothéliome, d'asbestose ou d'autres maladies à déterminer par le Roi ainsi que leurs ayants droit, quel que soit le type d'exposition (article 118) (148). Les demandeurs doivent apporter la preuve de l'exposition au risque de l'amiante en Belgique. Pour le mésothéliome, il n'y a pas d'autre preuve à rapporter. Pour les autres maladies (seulement l'asbestose à ce jour), la preuve doit être rapportée au regard des mêmes critères que ceux déterminés par le Fonds des maladies professionnelles (article 119). L'intervention consiste principalement dans une rente mensuelle forfaitaire ou un capital en cas de décès. Les décisions du Fonds sont soumises à recours devant le tribunal du travail. L'article 125 de la loi-programme reproduit les termes de la quasi-immunité civile prévue initialement pour l'employeur, ses mandataires et préposés. Il ne permet le recours en droit commun que si le tiers responsable a provoqué intentionnellement le dommage. Est assimilé à une faute intentionnelle, le fait que le tiers responsable a continué à exposer la victime au risque d'exposition à l'amiante, alors qu'une autorité publique lui a donné une injonction relative à l'amiante ou ayant une incidence sur l'exposition à l'amiante, à laquelle il n'a pas obtempéré ou à laquelle il ne s'est pas strictement conformé dans les délais imposés. Le système (146) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,op. cit., p. 419, nos 812 et s. (147) H. Bocken et I. Boone, op. cit., p. 260, no 421. (148) Ibidem, p. 528, no 1139. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 151959 RGAR_06_2015.fm Page 18 Friday, July 3, 2015 3:38 PM reste donc bien cadenassé et rend pratiquement impossible l'évasion vers le droit commun. Les victimes sont libres d'introduire leur demande devant le Fonds ou devant une juridiction de droit commun (cumul d'actions). Par contre, la victime qui a accepté l'indemnité proposée par le Fonds ne peut plus, en règle, recourir en droit commun pour obtenir un complément d'indemnités (cumul d'indemnités) (article 125, § 1er). 2. — La France : l'intervention à titre principal d'un fonds d'indemnisation 68. — En France, comme la plupart des contaminations résultaient de l'exercice d'activités professionnelles, l'indemnisation des victimes a été envisagée, dans un premier temps, dans le contexte d'un régime spécial de sécurité sociale au titre des maladies professionnelles et accidents du travail, régime comparable à celui qui vient d'être décrit en Belgique (149). Il existe aussi dans ce contexte une liste officielle énumérant les maladies qui ont un caractère professionnel et précisant la durée de l'incubation et la nature des activités susceptibles de provoquer ces maladies. La loi fixe la durée maximale pouvant s'écouler entre la fin de l'exposition au risque et la première constatation de la maladie ainsi que la durée de l'exposition. Dès que ces conditions sont remplies le lien de causalité est présumé. Pour faire face au phénomène de latence, le point de départ du délai de prescription a été déplacé de la première constatation du dommage à la date à laquelle la victime a été informée de la relation possible entre sa maladie et ses activités professionnelles. Le régime s'accompagne, comme en Belgiq u e, d ' u n e q u a s i - i m mu n i t é c i v i l e d e l'employeur, sauf en cas de faute inexcusable. La preuve d'une telle faute permet en effet à la victime dans le cadre même du régime de sécurité sociale, d'obtenir une majoration de la rente allouée ainsi que la réparation de préjudices supplémentaires. Ce régime de sécurité sociale présentait cependant de nombreuses limites liées à (149) Sur le système français voy. E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,op. cit., p. 458, nos 939 et s. J. Knetsch, op. cit.., p. 40, no 50. ses conditions d'application particulières. Il cantonnait en effet son domaine d'application aux affections ayant un caractère professionnel, il déterminait limitativement la liste des bénéficiaires et il octroyait une réparation non intégrale à caractère forfaitaire. De nombreuses victimes entamèrent dès lors des recours afin d'obtenir une indemnisation plus complète de leurs préjudices. Plusieurs voies furent empruntées à cet effet. La première, et la principale, consistait à démontrer une faute inexcusable à charge de l'employeur sur le fondement de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, ce qui permettait à la victime ou à ses ayants droit de prétendre à une réparation quasiment intégrale. Une interprétation extensive de la notion de faute inexcusable par les tribunaux a permis aux victimes de l'amiante de faire fréquemment tomber la barrière de l'immunité de l'employeur (150). Une deuxième voie, perçue souvent comme plus favorable, consistait pour les victimes à se tourner vers le Fonds de garantie des victimes des actes de terrorisme et autres i n f r a c t i o n s , s u r l e fo n d e m e n t d e s articles 706-3 et suivants du Code de procédure pénale. Enfin, par un troisième chemin, certaines victimes ont tenté d'engager la responsabilité de l'État devant le juge administratif pour carence fautive dans l'exercice de son pou(150) Une jurisprudence abondante et un peu chaotique s'est développée sur la notion de faute inexcusable de l'employeur en cas d'exposition prolongée à l'amiante. Le problème résultait principalement dans la conscience du danger, conscience qu'il fallait apprécier soit in abstracto en fonction de l'état de la réglementation et des connaissances scientifiques acquises soit in concreto en fonction des habitudes de la profession. Par faveur pour les victimes de l'amiante, la Cour de cassation française a fini par considérer que l'employeur était tenu d'une obligation de sécurité qualifiée de résultat et que tout manquement à cette obligation de sécurité constituait une faute inexcusable au sens de l'article L. 452-1 du Code de la sécurité sociale, lorsque l'employeur avait ou aurait dû avoir conscience du danger auquel était exposé le salarié, et qu'il n'a pas pris les mesures nécessaires pour le préserver. Cass. fr., ch. soc., 28 février 2002, R.T.D. civ., 2002, p. 310, obs. P. Jourdain ; J.C.P., 2002, I, 186, note G. Viney. Voy. en doctrine, X. Pretot, « La nouvelle définition de la faute inexcusable de l'employeur, une jurisprudence contra legem ? », D., 2002, p. 2696 ; J. Knetsch, op. cit., p. 99, no 149 ; E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid,op. cit., p. 478, nos 1020 et s. ; E. De Kezel, op. cit., R.G.A.R.,2001, no 13426/10, no 71. RGAR_06_2015.fm Page 19 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - voir de réglementation et de contrôle afin de prévenir et limiter les risques résultant de l'exposition aux poussières d'amiante. (151) Ces recours ont reçu un accueil généralement favorable. Les juridictions administratives ont reconnu, dès les années 2000, la responsabilité de l'État au motif qu'il s'était abstenu de limiter l'utilisation de l'amiante dont les propriétés nocives étaient pourtant connues depuis 1950 (152). 69. — Devant l'ampleur des dommages et le drame social qui était annoncé, le législateur a alors décidé de mettre en place un Fonds spécial d'indemnisation en faveur des victimes de l'amiante visant à accélérer le processus d'indemnisation (F.I.V.A.). Comme le F.I.T.H., le F.I.V.A. n'intervient pas à titre subsidiaire, mais à titre principal. La procédure s'en trouve simplifiée, d'autant qu'en s'adressant au Fonds d'indemnisation les victimes peuvent prétendre à la réparation intégrale de leurs préjudices (153). Conformément à l'article 53-I de la loi du 23 décembre 2000, le F.I.V.A. octroie en effet une réparation intégrale à toutes les personnes qui ont subi un préjudice résult a n t d i r e c t e m e n t d ' u n e ex p o s i t i o n à l'amiante sur le territoire français (154). Les avantages de ce système particulier d'indemnisation sont identiques à ceux relevés ci-dessus à propos du Fonds d'indemnisation des transfusés et hémophiles. Ce régime ouvre un droit à indemnisation à tou(151) La responsabilité de l'administration ressort notamment du rapport de M. Claude Got établi en 1997 « sur la gestion du risque et des problèmes de santé publique posés par l'amiante en France ». Voy. A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 209, no 155. (152) Notamment, Trib. adm. Marseille, 30 mai 2000 (quatre jugements), Gaz. Pal., 9 février 2001, p. 14, note B. Pauvert ; Dr. environn., 2000 (no 80), p. 5, concl. C. Fédi. (153) Les victimes conservent la possibilité de choisir la voie contentieuse en portant leur action devant les juridictions de droit commun même si elles ont déjà saisi le F.I.V.A., mais sans toutefois pouvoir cumuler les indemnités obtenues. L'acceptation de l'offre du Fonds emporte en effet désistement automatique de toutes actions judiciaires en cours et rend irrecevable toute autre action future en réparation du même préjudice. Le législateur a entendu clairement éviter les contestations suscitées par ces questions de cumul dans le cadre de l'indemnisation des victimes du sang contaminé. (154) Les ressources financières du F.I.V.A. proviennent d'une dotation de l'État et de la branche accidents du travail et maladies professionnelles de la sécurité sociale, elle-même alimentée par les cotisations des employeurs. Il est plus accessoirement alimenté par les recettes provenant de l'exercice des recours subrogatoires. tes les victimes sans distinction selon la nature de la contamination, professionnelle ou environnementale. À la différence de l'action en responsabilité, la demande d'indemnisation des victimes n'est pas soumise à un délai de prescription particulier (155). Une présomption de causalité est mise en place : les victimes doivent seulement prouver la réalité de l'atteinte à leur état de santé et le fait qu'elles ont été exposées à l'amiante (156). Le Fonds examinera ensuite si les conditions d'indemnisation sont réunies et si le lien de causalité existe. Si l'affection est d'origine professionnelle, les conditions sont plus favorables : le fait que la maladie professionnelle dont se prévaut la victime soit répertoriée parmi celles qui peuvent résulter d'une exposition à l'amiante au titre de la législation sociale vaut présomption irréfragable d'imputabilité (157). À défaut, une commission ad hoc instruit le dossier. 3. — Les Pays-Bas : l'intervention subsidiaire d'un fonds de garantie (158) 70. — La situation des victimes aux PaysBas fut, dès le départ, très différente, pour le motif que depuis 1967, le législateur avait aboli le traitement spécifique des risques professionnels au titre de la sécurité sociale tant sous l'angle des maladies que des accidents. Cette différence de traitement entre risques professionnels et privés a été perçue comme injuste et discriminatoire. Un régime unique qui sert des prestations limitées est donc applicable au titre de la sécurité sociale. La victime qui a obtenu une rémunération de remplacement peut toujours tenter d'obtenir une réparation complémentaire en droit commun, sans aucune r e s t r i c t i o n , s u r l e fo n d e m e n t d e l'article 7:658 du Code civil néerlandais qui concerne la responsabilité de l'employeur. Très vite, il est apparu que les conditions du droit commun ne permettaient pas aux victimes de l'amiante d'obtenir une réparation satisfaisante. Pour résoudre ces difficultés, (155) A. Guégan-Lécuyer, ibidem. (156) C. Lacroix, op. cit., p. 153, no 349. (157) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 225, no 165 ; (158) Pour un examen détaillé du régime néerlandais, E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 517, nos 1115 et s. ; pour un résumé en français E. De Kezel, R.G.A.R. 2001, no 13440/1, nos 82 à 102. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 1519510 RGAR_06_2015.fm Page 20 Friday, July 3, 2015 3:38 PM le législateur néerlandais a, à la suite du rapport De Ruiter, travaillé dans trois directions différentes (159). Il a tout d'abord modifié les règles de prescription de l'action en responsabilité dans le cas de dommages corporels (voy. supra, no 32). Dans un deuxième temps, le législateur a créé le 26 janvier 2000, un organe de médiation, dénommé « Institut des victimes de l'amiante » (IAS), sur la base d'un accord entre les ministères concernés, les organisations patronales, les compagnies d'assurance couvrant la responsabilité civile des entreprises, les syndicats et le comité des victimes de l'amiante. L'Institut n'intervient toutefois que si l'employeur responsable est encore en activité et si la prescription n'est pas acquise. Il agit seulement en vue de favoriser une indemnisation à l'amiable. Encore faut-il que l'employeur et l'assureur acceptent l'intervention de l'Institut lorsque la victime la demande. L'intervention se fonde principalement sur les règles de responsabilité civile, mais l'Institut statue en fonction des critères prévus dans les protocoles d'accord notamment pour ce qui relève de l'établissement du lien causal (160). La procédure se termine normalement par un accord amiable. À défaut d'accord, les parties soumettent le litige à un juge qui statue dans le cadre d'une procédure d'urgence. Par ailleurs, un Fonds d'indemnisation a été créé au même moment, mais seulement au profit des victimes d'une exposition professionnelle chez qui un mésothéliome a été détecté (TAS). À la différence du Fonds d'indemnisation français, le Fonds néerlandais intervient comme un fonds de garantie lorsque l'action en responsabilité n'est plus possible soit en raison de la faillite de l'employeur, soit parce que ce dernier ne peut être identifié, soit encore parce que l'action est prescrite (161). Il intervient donc à titre subsidiaire pour suppléer la défaillance des règles de responsabilité civile. (159) E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, op. cit., p. 517, no 1115. (160) E. De Kezel, R.G.A.R., 2001, no 13440/1, no 91. (161) Pour une comparaison entre fonds de garantie et fonds d'indemnisation, voy. E. De Kezel, Asbest, gezondheid en veiligheid, ontwikkelingen,op. cit., p. 506, no 1088 et s. ; du même auteur, op. cit., R.G.A.R.,2001, no 13440, no 95. Ce Fonds est financé exclusivement par l'État et permet le règlement d'un versement unique pour un montant forfaitaire. Cette somme ne vise donc pas à proprement parler à réparer le dommage intégralement, mais permet de manifester une forme de solidarité collective à l'égard des victimes. Une réglementation similaire a ultérieurement été adoptée, le 1er décembre 2007, au profit des victimes qui ont été exposées à l'amiante dans leur environnement (milieuslachtoffers) (162). 4. — Commentaires 71. — Dans les cas examinés, la création d'un fonds d'indemnisation lié ou non au système de sécurité sociale vise à résoudre une véritable crise sanitaire dans laquelle les pouvoirs publics assument généralement une part de responsabilité. Elle permet de surmonter les difficultés liées à l'application des règles de droit commun de la responsabilité civile et remédie aux lenteurs de la procédure judiciaire, en assouplissant très considérablement les conditions d 'indemnisation issues du droit commun. Le plus souvent, lorsque le dommage en série prend un caractère catastrophique, le fonds ad hoc est créé rétrospectivement pour exprimer une solidarité collective à l'égard des nombreuses victimes de cette catastrophe (163). On peut aussi percevoir certaines de ces initiatives comme une réponse de l'État à une situation qui révèle, le plus souvent, des négligences ou des dysfonctionnements de l'administration, voire d'organismes privés (164). Il a pour effet de limiter les velléités des victimes d'engager la responsabilité des pouvoirs publics pour carence fautive dans l'exercice de leur pouvoir réglementaire et contribue d'une certaine façon au rétablissement de la paix sociale. (162) Pour un tableau récapitulatif voy. E. De Kezel, op. cit., p. 526, no 1136. (163) De tels fonds peuvent être qualifiés de « rétrospectifs » selon la terminologie proposée par J. Knetsch, p. 93, no 140 ; voy. également C. Lacroix, op. cit., p. 160, no 363. (164) J. Knetsch, p. 95, nos 144 et 145 ; p. 102, nos 154 et s. Dans le même registre, l'auteur cite aussi les dispositifs mis en place par le législateur allemand en faveur des victimes de la thalidomide, des victimes du sang contaminé par le virus HIV, des victimes du virus de l'hépatite C. et des sportifs de haut niveau victimes du dopage. RGAR_06_2015.fm Page 21 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - Lorsque l'indemnisation est prise en charge par la sécurité sociale ou par un fonds d'indemnisation ad hoc, la question de la responsabilité ne se pose plus puisque le débiteur de l'indemnité intervient au titre de la solidarité. Elle ne resurgit que si la victime préfère agir en droit commun ou si l'organisme payeur entend se retourner contre le responsable après indemnisation de la victime. La demande d'indemnisation introduite devant le fonds n'est généralement pas soumise à un délai de prescription. La création d'un fonds permet aussi de rassembler le contentieux au sein d'une même institution tout en évitant l'engorgement des tribunaux par un contentieux de masse (165). Les demandes d'indemnisation sont ainsi traitées en dehors du système judiciaire de manière plus rapide et moins coûteuse. L'expérience montre cependant que malgré l'institution de ces fonds, des recours sont néanmoins exercés non seulement devant les juridictions pénales, mais aussi civiles. 72. — Les modalités d'intervention de ces Fonds sont cependant très variables d'un État à l'autre. Dans certains cas le fonds intervient à titre principal, comme le Fonds des maladies professionnelles belge et les deux Fonds français (F.I.T.H. et F.I.V.A.). La réparation est tantôt intégrale (F.I.T.H. et F.I.V.A.), tantôt forfaitaire (Fonds des malad i e s p r o fe s s i o n n e l l e s e n B e l g i q u e ) . L'absence de subsidiarité permet d'accélérer la procédure d'indemnisation tout en transférant au fonds le soin de récupérer les sommes déboursées. Le fonds supporte alors le risque d'insolvabilité des responsables. Mais le fonds peut aussi intervenir à titre subsidiaire, comme dans le cas des PaysBas. D ans ce cas, il in ter vient plut ôt comme un fonds de garantie, car il n'entend pas se substituer totalement aux règles de la responsabilité civile. Le fonds pallie alors la défaillance du système de responsabilité civile due à l'insolvabilité ou à l'impossibilité d'identifier un responsable. Ce système se révèle beaucoup moins favorable pour les victimes tant sous l'angle des conditions que de l'étendue de la réparation. Il semble cependant que nos voisins hollandais (165) J. Knetsch, p. 106, no 161. soient moins enclins que nous ou nos voisins français à autoriser des dérogations aux règles générales de la responsabilité civile en vue de mettre en place des régimes d'exception. 73. — Certaines critiques sont adressées aux fonds d'indemnisation, même lorsqu'ils interviennent sur des bases aussi généreuses qu'en France. Leur intervention contribue à minimiser le rôle préventif généralement attribué à la responsabilité civile et à occulter la responsabilité des vrais auteurs. L'action est en effet dirigée contre le fonds et non contre d'éventuels responsables. On sort totalement de la relation bilatérale traditionnelle inhérente aux règles de responsabilité civile, celles-ci ne retrouvant une vocation à s'appliquer qu'après indemnisation lors d'un éventuel recours subrogatoire (166). L'expérience montre toutefois que ces recours en remboursement sont peu effectifs. Par ailleurs, la place laissée à la victime dans la procédure d'indemnisation est généralement peu affirmée, sa demande étant traitée dans le cadre d'une procédure administrative (167). En outre, la décision d'indemnisation n'implique pas de reconstituer les faits qui ont conduit à la survenance du dommage. Au sortir de la procédure, la victime n'est donc pas reconnue dans son statut de victime, ce qui explique sans doute les recours fréquents devant les juridictions pénales (168). Le mécanisme de socialisation de l'indemnisation ne remplace pas la procédure juridictionnelle mieux adaptée aux besoins psychosociaux des victimes. À propos des fonds d'indemnisation français, certains auteurs ajoutent que la procédure d'instruction et d'indemnisation qui se déroule devant ces fonds méconnaît parfois le droit de la victime à un procès équitable tant sous l'angle de l'indépendance et de l'impartialité de l'organe d'instruction que des garanties procédurales (169). Une dernière critique, provient du fait que ces dispositifs, en délimitant leur domaine d'application à certaines activités et à cer(166) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 244, no 179 ; C. Lacroix, op. cit., p. 213, nos 485 à 500. (167) J. Knetsch, op. cit., p. 299, no 430. (168) J. Knetsch, op. cit., p. 303, no 435 ; C. Lacroix, op. cit., p. 227, no 518 et s. (169) J. Knetsch, op. cit., p. 311, nos 447 et s. ; A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 251, nos 183 et 184. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 1519511 RGAR_06_2015.fm Page 22 Friday, July 3, 2015 3:38 PM tains bénéficiaires, sont source d'inégalités et de discriminations entre victimes (170). Ces critiques ne doivent toutefois pas dissimuler l'effet bénéfique que l'existence d'un fonds d'indemnisation a pour les victimes d'une catastrophe. Lorsque ni les règles de la responsabilité civile ni l'assurance privée ne permettent de justifier la réparation, il importe que les pouvoirs publics prennent le relais au nom de la solidarité collective. Savoir dans quelle mesure il y a lieu de déroger aux règles de droit commun relève d'un choix de politique juridique. CONCLUSION 74. — Classés en bonne place parmi les dommages de masse, les dommages en série placent le droit commun de la responsabilité face à ses propres limites et conduisent à s'interroger sur sa capacité à répondre adéquatement aux demandes des victimes. Ces dommages se caractérisent à la fois par un éparpillement des éléments de la responsabilité dans le temps et dans l'espace et par l'unicité de la cause. L'identification de cette cause commune et la définition des différentes étapes du processus dommageable nécessitent un travail d'interprétation juridique. Les concepts de fait générateur, d'événement dommageable, de survenance du dommage et de réclamation, largement utilisés dans les textes légaux et les documents contractuels, gagneraient à être clarifiés. Le montant cumulé des dommages subis par de nombreuses victimes expose, par ailleurs, le responsable à des débours importants, ce qui peut justifier l'introduction d'une limite financière à la responsabilité. Le recours à un plafond reste toutefois très exceptionnel en droit européen dans le cas des dommages en série, sauf en Allemagne ou le plafonnement est perçu comme la contrepartie logique d'un régime de responsabilité sans faute. L'étirement de la responsabilité dans le temps complique la preuve du lien causal et confronte souvent la victime à la prescription. Sous le premier aspect, la jurisprudence est parvenue, par des techniques probatoires originales (présomptions de fait ou de droit, inversion de la charge de la (170) A. Guégan-Lécuyer, op. cit., p. 241, no 177, qui parle à cet égard d'arbitraire du législateur. preuve...), à atténuer le fardeau de la preuve pour les victimes au point de porter sérieusement atteinte au dogme de la causalité certaine. Dans une société aussi technicisée que la nôtre, il serait profondément injuste que l'incertitude causale se retourne systématiquement contre la victime. La révélation tardive du dommage et le temps nécessaire à l'identification du responsable peuvent aboutir à la constatation que l'action de la victime est prescrite avant même que la victime n’ait pris connaissance de ses droits. Plusieurs pays ont modifié leur législation pour éviter cette conséquence inéquitable, en supprimant le délai de forclusion. Dans les pays qui n'ont pas fait ce pas, comme en Belgique, une prescription acquise dans ces conditions semble incompatible avec le droit d'accès à un tribunal consacré par l'article §, 6 1 er, de la Convention européenne des droits de l'homme. Les assureurs qui couvrent la responsabilité du fabricant sont évidemment soucieux de limiter leurs engagements financiers en cas de sinistre en série. Les conditions contractuelles comportent fréquemment une clause de globalisation dont l'objet est de considérer comme un seul sinistre l'ensemble des réclamations résultant d'un même fait générateur ou d'une même cause. Sur le fondement de cette fiction, le plafond par sinistre ne sera disponible qu'une seule fois et ce sinistre sera rapporté à l'année d'assurance au cours de laquelle la première réclamation a été formulée. La clause de globalisation en ce qu'elle crée une indivisibilité du sinistre par voie conventionnelle peut comporter des effets inattendus pour l'assureur. Il n'est pas toujours facile d'en mesurer exactement la portée. Lorsque le dommage en série s'apparente à une véritable catastrophe, le souci de libérer l'indemnisation des victimes des contraintes inhérentes aux conditions de la responsabilité civile et à l'étendue de la garantie d'assurance a parfois conduit le législateur à mettre en place des régimes spéciaux d'indemnisation fondés sur le risque social. L'efficacité de la réponse apportée par les États est variable selon que l'indemnisation repose sur un fonds social qui octroie une réparation forfaitaire et qui cadenasse l'action en responsabilité civile pour le surplus, ou sur un fonds d'indemni- RGAR_06_2015.fm Page 23 Friday, July 3, 2015 3:38 PM Études générales — F.5 - sation ad hoc qui octroie une réparation intégrale ou encore sur un fonds de garantie dont l'objet est seulement de suppléer aux défaillances du système de droit commun. Les dommages causés par l'amiante constituent un excellent observatoire pour évaluer les avantages et les inconvénients de cha- cune de ces formules. Il paraît en tout cas indispensable que les pouvoirs publics qui assument généralement une part de responsabilité dans la catastrophe ne restent pas inactifs et mettent en œuvre une forme de solidarité collective au profit des victimes. Revue Générale des Assurances et des Responsabilités (2015) 1519512