Dix questions sur l`authenticité du Journal d`Anne Frank
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Dix questions sur l`authenticité du Journal d`Anne Frank
Dix questions sur l'authenticité du Journal d'Anne Frank Il existe un nombre important de sources d'informations fiables concernant Anne Frank et son Journal. Des informations fausses concernant le Journal circulent aussi, notamment sur Internet. On peut lire dans certains livres et brochures que le Journal serait un faux, qu'il nʼaurait pas été rédigé par Anne Frank, etc... Certains sites web affirment même que des passages entiers du Journal auraient été écrits au stylo à bille. La Maison Anne Frank gagne régulièrement des procès intentés contre des personnes remettant en cause l'authenticité du Journal. Pour ceux qui y ont été confrontés, vous trouverez ci-dessous des réponses à ceux qui doutent de l'authenticité du Journal dʼAnne Frank. Une arrière-pensée politique Il convient de placer les attaques contre le Journal dʼAnne Frank dans une perspective plus large : ceux qui mettent en doute lʼauthenticité du Journal ont une arrière-pensée politique. En général, ce sont les mêmes qui nient la réalité de la Shoah ou tentent de démontrer qu'il n'y aurait pas eu de chambres à gaz à Auschwitz, ou encore que le nombre de six millions de Juifs assassinés durant la Shoah serait « exagéré »… Le Journal d'Anne Frank constitue un témoignage essentiel et, au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, Anne Frank est devenue la figure emblématique de la persécution des Juifs dʼEurope durant la Seconde Guerre mondiale. Les personnes ou organisations qui nient ou minimisent la Shoah tentent en fait de disculper et de réhabiliter le système national-socialiste, ou - en niant les persécutions antisémites - de refuser le droit à l'existence de l'État d'Israël. À la télévision et sur Internet La diffusion de documents remettant en cause l'authenticité du Journal d'Anne Frank – et niant aussi fréquemment la Shoah – nʼest souvent l'oeuvre, en Europe et en Amérique du Nord, que de quelques individus. Il n'existe pas de scientifique digne de 1 ce nom qui doute de la réalité de la Shoah ou de l'authenticité du Journal d'Anne Frank. Au Moyen-Orient par contre, le négationnisme est une arme de lutte contre Israël et les thèses négationnistes sont largement diffusées à la télévision et sur Internet. Des enfants y apprennent à l'école que le Journal d'Anne Frank est un « faux ». Ces fausses allégations pénètrent le monde occidental par la télévision par satellite. Internet permet également une large diffusion des propos négationnistes remettant en cause lʼauthenticité du Journal d'Anne Frank. La Maison Anne Frank tient, par différents moyens – et notamment par son site Web –, à faire le point sur quelques idées fausses qui circulent à propos du Journal d'Anne Frank. Dix questions à propos de l'authenticité du Journal d'Anne Frank 1. Quʼa-t-on exactement retrouvé des écrits Anne Frank ? 2. Quelles ont été les recherches effectuées sur l'authenticité du journal ? 3. D'où proviennent les cinq nouvelles pages du Journal récemment publiées ? 4. Existe-t-il dans le Journal dʼAnne Frank des notes écrites au stylo à bille ? 5. Qui, en réalité, nie lʼauthenticité du Journal d'Anne Frank ? 6. Pourquoi est-il interdit de dire que le Journal dʼAnne Frank est un faux ? Quʼen est-il alors de la liberté dʼexpression ? 7. Quelles sont les actions menées par Otto Frank face aux attaques négationnistes mettant en cause l'authenticité du Journal dʼAnne ? 8. Quelles sont les actions menées par la Maison Anne Frank face aux attaques mettant en cause l'authenticité du Journal ? 9. Pourquoi les sites Internet qui nient la réalité de la Shoah ou qui mettent en doute l'authenticité du Journal sont-ils poursuivis ? 10. Où trouver des informations à propos du négationnisme ? 2 1) Quʼa-t-on exactement retrouvé des écrits d'Anne Frank ? Le 12 juin 1942, Anne Frank fêtait son treizième anniversaire : elle a reçu à cette occasion, parmi ses cadeaux, un carnet de forme carrée, à couverture rigide, à carreaux rouges et blancs. Ce carnet va devenir son journal intime. Le carnet rempli dès le 5 décembre 1942, lʼécriture doit se poursuivre sur un nouveau support… Un cahier d'écolier a été retrouvé, daté du 22 décembre 1943 au 17 avril 1944. Il est tout à fait improbable qu'Anne Frank n'ait pas tenu son journal entre décembre 1942 et décembre 1943 : à lʼévidence, un document manque. Un troisième et dernier cahier d'écolier retrouvé débute à la date du 17 avril 1944 et se termine le 1er août 1944. Anne a également rédigé dʼautres textes : les « Contes d'Anne Frank », rédigés dans un ancien cahier de comptabilité et un « Livre de belles phrases » , recueil de citations reproduites dans un petit cahier de caisse de forme allongée. Tous deux ont été retrouvés. Les deux versions du Journal écrites par Anne Le Journal d'Anne Frank décrit de façon poignante, à compter de juin 1942, la vie quotidienne des huit clandestins juifs cachés dans « lʼAnnexe secrète » située sur le Prinsengracht, à Amsterdam. Alors quʼelle était encore recluse, Anne Frank a ellemême réécrit un roman sur la base de son journal intime, dans la perspective de le faire publier après la guerre. Elle a rédigé son roman sur des feuilles volantes de papier pelure de récupération, remaniant les textes, assemblant parfois sous une seule date des écrits rédigés à des dates différentes et en raccourcissant considérablement certaines parties. C'est ainsi quʼest née de sa main une deuxième version de son journal, où sont décrits les événements qui se sont déroulés dans lʼAnnexe de décembre 1942 à décembre 1943. Les feuilles volantes ont été préservées et les dernières notes datent du 29 mars 1944. Si la première version du journal n'a donc pas été entièrement retrouvée, la seconde est restée inachevée. 3 La publication Afin de trouver un éditeur pour le roman dʼAnne, « Het Achterhuis » (« L'Annexe », comme Anne Frank lʼavait elle-même intitulé), Otto Frank fait dactylographier durant l'automne 1945 plusieurs passages du manuscrit. Il supprime alors certaines parties, en déplace d'autres et apporte quelques corrections… obtenant ainsi un premier manuscrit dactylographié, mais pas encore un véritable livre. Par la suite, à la demande d'Otto Frank, son ami Albert Cauvern réalise une seconde version dactylographiée. Avec l'autorisation d'Otto Frank, Cauvern change les noms de neuf des treize clandestins et protecteurs de l'Annexe en leur donnant les pseudonymes qu'Anne avait elle-même imaginés. Ces deux textes dactylographiés ont été conservés. Pour finir, un rédacteur de la maison d'édition Contact sera le troisième à travailler le texte, en corrigeant les fautes de frappe et en harmonisant le manuscrit avec les règles internes de la maison d'édition. Le texte de la première publication néerlandaise, en juin 1947, de Het Achterhuis (« LʼAnnexe ») résulte de ces trois interventions sur le manuscrit original. Publication intégrale des trois versions du Journal dʼAnne Frank Otto Frank, décédé le 19 août 1980, a légué par testament tous les manuscrits de sa fille à l'État néerlandais. Les autorités néerlandaises ont alors confié la gestion de ces manuscrits à l'Institut national de documentation sur la guerre (RIOD, devenu par la suite Institut néerlandais de documentation sur la guerre NIOD). En 1986, le NIOD a publié les trois versions intégrales du Journal dʼAnne Frank – les notes originales du Journal qui ont été retrouvées, la version réécrite par Anne Frank et l'édition composée par Otto Frank et parue en 1947 aux éditions Contact – en un seul et même volume intitulé « De Dagboeken van Anne Frank » (« Les journaux d'Anne Frank », publié en français chez Calmann-Lévy en 1989). L'original du Journal d'Anne Frank ainsi que plusieurs écrits de sa main sont exposés depuis 1986 à la Maison Anne Frank. 4 2) Quelles ont été les recherches effectuées sur l'authenticité du Journal ? Face aux attaques incessantes, dans les années Soixante et Soixante-dix, à l'encontre du Journal d'Anne Frank, des recherches ont été effectuées – en partie à l'initiative d'Otto Frank – visant à prouver l'authenticité du Journal. Les recherches les plus importantes datent du début des années Quatre-vingt et ont été réalisées par le Laboratoire judiciaire de l'Institut néerlandais de médecine légale à la demande de l'Institut national de documentation sur la guerre (NIOD). Les résultats ont fait lʼobjet dʼun rapport de plus de 250 pages. La majeure partie de ce rapport porte sur les résultats d'une analyse graphologique approfondie, une analyse technique de datation des documents a également été effectuée. Un résumé du rapport du Laboratoire judiciaire de 65 pages a été publié dans les « Dagboeken van Anne Frank » (« Les Journaux dʼAnne Frank »), édition intégrale publiée par le NIOD en 1986. Lʼintégralité de ce rapport est disponible pour les chercheurs. Le NIOD conclut : « (...) Le rapport du Laboratoire judiciaire (« Gerechtelijk Laboratorium ») a établi de façon probante que les deux versions du Journal d'Anne Frank ont bien été écrites par elle, entre les années 1942 et 1944. Les allégations selon lesquelles elles auraient été écrites (après-guerre ou non) par une autre personne, ont trouvé ainsi une réfutation décisive. » (Les journaux d'Anne Frank. Édition intégrale - Version française, 1989 p. 207.) Les recherches allemandes Les recherches du Laboratoire judiciaire effectuées dans les années Quatre-vingt portant sur l'authenticité du Journal avaient été précédées d'autres recherches. En 1959, les écrits d'Anne Frank avaient été analysés par des graphologues en Allemagne en vue d'un procès intenté par Otto Frank. En mars 1960, les graphologues de Hambourg étaient parvenus à la conclusion, dans un rapport de 131 pages, que toutes les notes contenues dans les journaux, les feuilles volantes ainsi que toutes les corrections et tous les ajouts étaient "identiques" à l'écriture d'Anne 5 Frank. Le rapport concluait également que les feuilles volantes n'avaient pas été écrites avant les trois cahiers. Il avait ensuite été conclu que « le texte paru en traduction allemande sous le titre « Das Tagebuch der Anne Frank » [devait] être considéré comme conforme à l'original en ce qui concerne le contenu et les idées. » (Les Journaux d'Anne Frank. Édition intégrale, 1989, p. 109) C'est également en 1980 qu'ont été effectuées des recherches – très limitées - en Allemagne, en vue d'une procédure judiciaire, recherches effectuées par le Bundeskriminalamt (BKA) de Wiesbaden. Le BKA était alors parvenu à la conclusion que tous les types de papier et toutes les encres utilisés avaient été fabriqués avant 1950 et qu'ils avaient donc pu être utilisés durant les années de guerre. 6 3) D'où proviennent les cinq nouvelles pages du Journal récemment publiées ? En 1998, cinq pages jusqu'alors inconnues du Journal d'Anne Frank sont apparues. Il s'agissait de cinq feuilles volantes qu'Otto Frank avait écartées avant la publication du Journal en 1947. Elles ont été rendues publiques par Cor Suyk, un ancien collaborateur de la Maison Anne Frank. Cor Suyk a déclaré qu'Otto Frank lui avait confié ces cinq feuillets. Il a vendu les feuilles volantes à l'État néerlandais et cellesci ont ensuite été ajoutées au Journal détenu par l'Institut néerlandais de documentation sur la guerre (NIOD). Les cinq feuilles furent insérées pour la première fois intégralement dans la cinquième édition du Journal dʼAnne Frank (2001), puis dans lʼEdition critique révisée du Journal dʼAnne Frank ( 2003). Selon toute vraisemblance, Otto Frank n'a pas voulu rendre publics ces fragments du journal de sa fille étant donné qu'ils contenaient des remarques déplacées d'Anne vis-à-vis de sa première femme, décédée à Auschwitz, et de leur mariage. « Avec une probabilité quasi certaine » Le NIOD chargea le Laboratoire judiciaire, qui durant la première moitié des années Quatre-vingt avait effectué des recherches approfondies sur l'authenticité du Journal, d'étudier également ces cinq feuilles volantes. A l'issue des recherches sur l'aspect technique des documents et d'une étude graphologique, le Laboratoire judiciaire conclut que « (...) l'écriture figurant sur le matériel à étudier d'une part et sur le matériel de référence constitué par des feuilles volantes du journal d'Anne Frank d'autre part, sont avec une probabilité quasi certaine de la même main. » (« De Dagboeken van Anne Frank », cinquième édition, 2001, p. 213.) 7 4) Y a-t-il dans le Journal des passages écrits au stylo à bille ? Cʼest faux. Les manuscrits du Journal ont été écrits avec différentes encres et au crayon de couleur, mais pas au stylo à bille. Les recherches techniques effectuées par le Laboratoire judiciaire sur les manuscrits démontrent que lʼessentiel du Journal, incluant les feuilles volantes, a été écrit au stylo à plume, avec une encre bleu gris. Par ailleurs, Anne a aussi utilisé, pour des annotations. de l'encre rouge clair, des crayons de couleur vert, rouge et noir, mais jamais de stylo à bille. Pourtant, on continue à lire sur certains sites, la plupart d'extrême-droite, que certains passages du Journal d'Anne Frank auraient « été écrits au stylo à bille ». Ces sites évoquent ironiquement Anne Frank comme « la fille au stylo à bille », tout en expliquant que ce n'est qu'après la Seconde Guerre mondiale que le stylo à bille sʼest répandu en Europe. La conclusion qui s'imposerait de ces fausses allégations, est que les textes de son Journal n'ont pas pu être écrits par Anne Frank elle-même. Ces allégations sont mensongères. Deux pages de notes L'origine du mythe du « stylo à bille » date dʼun rapport de quatre pages que le Bundeskriminalamt (BKA) de Wiesbaden avait publié en 1980. Ces recherches, qui portaient sur les qualités d'encres et de papier utilisés dans le manuscrit du Journal d'Anne Frank, mentionnaient des « corrections au stylo à bille » effectuées sur des feuilles volantes. Le BKA avait alors été chargé dʼanalyser lʼintégralité des écrits des manuscrits du Journal. Les analyses du Laboratoire judiciaire néerlandais (au milieu des années Quatre-vingt) démontrent quʼune écriture au stylo à bille a bien été retrouvée, mais sur deux feuilles volantes rédigées par des chercheurs et que ces notes nʼont rien à voir avec le contenu du Journal. Elles se sont, de toute évidence, glissées entre les pages du manuscrit. Les conclusions du Laboratoire judiciaire mentionnent que l'écriture de ces deux pages diffère « dans une très large mesure » de celle du Journal. La publication du NIOD a inclus des photos de ces feuilles volantes (« De Dagboeken van Anne Frank », cinquième édition, 2001, p. 193 et 195). 8 En 1987, monsieur Ockelmann, de Hambourg, a attesté par écrit que c'était sa mère qui avait rédigé les notes en question. Madame Ockelmann avait fait partie de l'équipe qui, dans les années 1960, avait effectué une première analyse graphologique des manuscrits d'Anne Frank. La fabrication dʼun mensonge Le mythe du stylo à bille est donc simple à réfuter. La formulation négligente ou du moins susceptible dʼêtre mal interprétée du rapport du BKA de 1980 – rapport qui, au demeurant, ne remet absolument pas en cause l'authenticité du Journal – a néanmoins fait son chemin dans les milieux d'extrême-droite. Ce mensonge a été fabriqué à partir du simple fait que, dans les années 1960, deux pages de notes écrites au stylo à bille se sont glissées parmi les feuillets du manuscrit original. Ces textes ont été écrits par une graphologue et n'ont figuré dans aucune édition du Journal (à l'exception de l'édition critique, où figurent les photographies de ces pages). En juillet 2006, le BKA a décidé de confirmer, par un communiqué de presse, que les analyses réalisées en 1980 ne pouvaient en aucun cas être utilisées pour mettre en doute l'authenticité du Journal. 9 5) Qui nie lʼauthenticité du Journal d'Anne Frank ? A part quelques personnes mal renseignées, tous ceux qui nient lʼauthenticité du Journal ou de certains passages du Journal d'Anne Frank sont des négationnistes. En attaquant le Journal, elles tentent de mettre en doute la réalité de la Shoah, le fait que six millions de Juifs ont été assassinés durant la Seconde Guerre mondiale et que les nazis ont conçu les chambres à gaz dans cet objectif. Il y a sans conteste dans cette dénégation une arrière-pensée politique : en niant la réalité de la Shoah, il sʼagit en fait de démontrer ou du moins de tenter de rendre plausible le fait que le national-socialisme ait été (et demeure) un système politique honorable. Il sʼagit de gagner par-là même de nouveaux adeptes. Dans la mesure où le Journal d'Anne Frank est célèbre dans le monde entier, il constitue une cible de choix pour ces nazis dʼhier et dʼaujourdʼhui. Des arguments pseudo-scientifiques Il existe toute sorte de négationnistes - ceux donc qui nient la réalité de la Shoah -. Certains prétendent être des scientifiques, se qualifient de « révisionnistes » (le "révisionnisme" en histoire signifie lʼaspiration à la révision dʼopinions couramment admises), et tentent de réécrire l'histoire de la Seconde Guerre mondiale avec de faux arguments scientifiques. L'un des plus connus, concernant la négation de lʼauthenticité du Journal d'Anne Frank, est un français, Robert Faurisson, qui a publié, en 1978, un ouvrage sous le titre : « Le Journal d'Anne Frank est-il authentique ? » Robert Faurisson a été condamné à plusieurs reprises en France à des peines de prison et à des amendes, pour avoir nié l'existence des chambres à gaz durant la Seconde Guerre mondiale et pour incitation à la discrimination et à la haine raciale. « Propagande sioniste » Le négationnisme ne sévit pas uniquement dans le monde occidental, mais aussi – et de façon croissante ces dernières années – au Moyen Orient. Il y constitue un moyen de lutte contre l'État d'Israël. 10 Douter de la destruction des Juifs durant la Seconde Guerre mondiale et nier l'authenticité du Journal d'Anne Frank tendrait à "démontrer" que la Shoah ne serait quʼune "propagande sioniste". Il sʼagit en fait de nier le droit à lʼexistence de l'Etat d'Israël. En Iran, le négationnisme est l'idéologie officielle de l'État, il en est souvent de même dans le monde arabe : les négationnistes y sont présentés dans les médias comme des « scientifiques ». On observe par ailleurs que de nombreux écrits négationnistes qui circulent au Moyen Orient (par exemple sur Internet) proviennent en fait dʼEurope ou des EtatsUnis. 11 6) Pourquoi est-il interdit de dire que le Journal dʼAnne Frank est un faux ? Quʼen est-il alors de la liberté dʼexpression ? La liberté d'expression est un droit fondamental garanti par les sociétés démocratiques. Il sʼagit du droit d'exprimer en public ses idées, ses opinions, sans avoir à être préalablement confronté à la censure. Toutefois, la liberté d'expression nʼautorise pas à dire nʼimporte quoi en toute impunité. Comme tous les autres droits fondamentaux, la liberté d'expression a ses limites : l'incitation à la haine, au meurtre ou à la violence, la diffamation… sont interdites par la loi. La diffusion de mensonges avérés à propos du Journal d'Anne Frank n'est pas uniquement diffamatoire vis-à–vis des personnes concernées, elle entre dans le cadre de « lʼincitation à la haine raciale » et porte atteinte à la mémoire des victimes de la Shoah. Des propos qui tombent sous le coup de la Loi C'est seulement une fois exprimée quʼune opinion peut être examinée par le Juge au regard de la Loi. Les lois sont différentes aux États-Unis et dans les pays membres de l'Union européenne. Aux États-Unis, la liberté d'expression prime : le premier article de la Constitution américaine précise que le législateur ne peut promulguer aucune loi la limitant. En Europe par contre, la liberté d'expression est le plus souvent limitée par le droit à la protection contre les discriminations. Le négationnisme nʼest donc pas poursuivi en tant que tel aux États-Unis, en revanche, cʼest un délit en Allemagne, en France et dans bien dʼautres pays européens. Les mensonges avérés concernant le Journal d'Anne Frank sont considérés comme des écrits négationnistes et tombent donc sous le coup de la Loi en Europe. Cʼest pourquoi la plupart des livres et documents mettant en doute lʼauthenticité du Journal d'Anne Frank sont publiés depuis les Etats-Unis. 12 7) Quelles sont les actions menées par Otto Frank face aux attaques négationnistes mettant en cause l'authenticité du Journal dʼAnne ? De la fin des années Cinquante jusqu'à sa mort, en 1980, Otto Frank nʼa cessé de sʼélever, y compris devant la Justice, face aux négationnistes qui remettaient en cause l'authenticité du Journal. Les premières accusations contre le Journal sont parues en 1957 et 1958 dans d'obscures revues suédoises et norvégiennes, où il était notamment affirmé que le journaliste et romancier américain Meyer Levin était l'auteur du Journal dʼAnne Frank. Meyer Levin avait souhaité monter aux États-Unis une adaptation du Journal au théâtre et au cinéma, mais Otto Frank nʼétait pas dʼaccord. Le conflit entre Meyer Levin et Otto Frank a été médiatisé puis instrumentalisé par lʼextrême-droite pour mettre en doute l'authenticité du Journal. On ignore si Otto Frank était informé de ces premières attaques contre le Journal ; le fait est qu'il n'a pas déposé de plainte. Lothar Stielau et Heinrich Buddeberg Otto Frank a poursuivi trois fois en justice des personnes qui avaient affirmé que le Journal de sa fille était « un faux ». Début 1959, il a déposé plainte contre le professeur allemand Lothar Stielau (professeur d'anglais à Lübeck et membre du parti dʼextrême-droite Deutsche Reichspartei) pour diffamation, injure, outrage et atteinte à la mémoire d'une personne décédée ainsi que pour des propos antisémites. Celui-ci avait écrit dans un journal d'école : « Les faux journaux d'Eva Braun, de la reine d'Angleterre et celui, à peine plus authentique, d'Anne Frank ont sans doute rapporté quelques millions aux profiteurs de la défaite de l'Allemagne, mais ont en revanche exacerbé notre sensibilité à ces sortes de choses. » La plainte déposée par Otto Frank visait également Heinrich Buddeberg, membre du même parti que Lothar Stielau, qui avait pris la défense de ce dernier dans une lettre ouverte au journal Lübecker Nachrichten. À l'issue dʼune analyse graphologique minutieuse des manuscrits d'Anne Frank, le tribunal régional de Lübeck a reconnu l'authenticité du Journal et déclaré que la plainte d'Otto Frank était fondée. Lothar Stielau et Heinrich Buddeberg se sont rétractés et la procédure judiciaire fut close. L'enquête et l'audition des témoins les avaient convaincus de l'authenticité du 13 Journal. Ils ont présenté leurs excuses pour avoir relayé des propos sans avoir vérifié les informations. Otto Frank les a acceptées et sʼen est tenu là, ce qu'il regretta par la suite : « Si j'avais su qu'il y a des gens pour qui un compromis, dans cette affaire, ne constitue pas une preuve suffisante, j'aurais mené le procès à son terme. » (Les Journaux d'Anne Frank. Édition intégrale, 1989, p. 112) Heinz Roth En 1976, Otto Frank a engagé, devant le tribunal régional de Francfort, une procédure en référé contre Heinz Roth, originaire de la ville d'Odenhausen, en Allemagne. Heinz Roth possédait sa propre maison dʼédition grâce à laquelle il écoulait une multitude de brochures et de tracts néonazis intitulés notamment : Anne Frank's Tagebuch – eine Fälschung (« Le Journal dʼAnne Frank – un faux ») et Anne Frank's Tagebuch – Der Grosse Schwindel (« Le Journal dʼAnne Frank – la grande supercherie »). Après deux ans de procédure, le tribunal a rendu une décision menaçant Heinz Roth dʼune peine de 500.000 marks allemands d'amende (environ € 250.000) ou de six mois de prison s'il publiait à nouveau de tels propos. Roth a fait appel et produit un rapport du « scientifique » français Robert Faurisson, mais ce rapport nʼa pas convaincu le tribunal allemand. L'appel de Heinz Roth a été rejeté en 1979. Bien que lʼaccusé soit décédé en 1978, un pourvoi en cassation auprès de la Cour fédérale allemande a renvoyé l'affaire, en 1980, à la Cour de Francfort au motif que Roth n'avait pas eu la possibilité dʼapporter la preuve de ses affirmations. La disparition du prévenu, deux ans plus tôt, nʼavait apparemment aucune incidence sur cet arrêt ; l'affaire nʼa finalement jamais été examinée par le tribunal de Francfort. Ernst Römer et Edgar Geiss Le troisième procès intenté en Allemagne par Otto Frank sʼest déroulé de 1976 à 1993. Tout a commencé par une distribution de tracts ayant pour titre "Best-Seller ein Schwindel" (« le best-seller - une supercherie ») à l'issue des représentations de la pièce "Le Journal d'Anne Frank". Le responsable de la diffusion était un certain Ernst Römer. Le Ministère public a poursuivi Ernst Römer, ainsi quʼun journaliste, Edgar Geiss, qui, en soutien à lʼaccusé avait diffusé le même tract dans la salle du 14 Tribunal lors de la première comparution de Ernst Römer. Les deux affaires ont été traitées conjointement. Ernst Römer et Edgar Geiss ont été respectivement condamnés à 1.500 marks d'amende (environ € 750) et six mois d'emprisonnement. Ils ont alors fait appel. Le Bundeskriminalamt a été chargé dʼune expertise mais il a été décidé d'attendre la traduction en allemand des « Dagboeken van Anne Frank » (« Les Journaux dʼAnne Frank » édition critique), parus en 1988, qui ont servi de pièce à conviction. En raison de son âge avancé, Ernst Römer a renoncé à faire appel et Edgar Geiss sʼest retrouvé seul au tribunal. L'un des moyens de sa défense a atteint son but: en Allemagne la diffusion d'écrits diffamatoires bénéficie d'un délai de prescription relativement court et lʼ affaire a été classée pour prescription. 15 8) Quelles sont les actions menées par la Maison Anne Frank face aux attaques mettant en cause l'authenticité du Journal ? La Maison Anne Frank sʼest toujours opposée, y compris en Justice, face aux remises en cause de lʼauthenticité du Journal dʼAnne Frank. « Libre recherche historique » En 1976, la Maison Anne Frank intervenait aux côtés dʼOtto Frank dans le référé qu'Otto Frank avait engagé contre Heinz Roth devant le tribunal régional de Francfort (voir question précédente). Après la mort d'Otto Frank (en 1980), la Maison d'Anne Frank a continué à lutter contre la diffusion de mensonges concernant le Journal dʼAnne. Elle a engagé, aux côtés dʼautres organisations, des procédures judiciaires contre la maison de vente par correspondance Vrij Historisch Onderzoek (« Libre recherche historique », VHO), l'un des plus grands diffuseur de matériel négationniste en langue néerlandaise, qui remettait en cause l'authenticité du Journal d'Anne Frank. Établie à Anvers (Belgique), cette maison dʼédition diffusait depuis 1985 la traduction néerlandaise du pamphlet de Robert Faurisson intitulé « Le Journal d'Anne Frank est-il authentique ? » ainsi, en 1991, quʼune brochure : « Le "Journal" d'Anne Frank : une approche critique ». Cette brochure contenait le texte de Faurisson accompagné dʼune introduction de l'éditeur de la VHO, Siegfried Verbeke. Elle a été envoyée à des bibliothèques et à des personnes privées, aux Pays-Bas, sans qu'elles nʼen aient fait la demande. Procédure civile La Maison Anne Frank et le Fonds Anne Frank de Bâle ont engagé une procédure civile conjointe contre Verbeke, Faurisson et la Vrij Historisch Onderzoek : les deux organisations demandaient une interdiction de la diffusion de la brochure aux PaysBas sous peine d'une amende de 25.000 florins. En décembre 1998, le Tribunal de grande instance d'Amsterdam acceptait la demande des requérants, une décision confirmée en 2000 en appel. D'autres procédures ont été intentées depuis 1992 16 contre la Vrij Historisch Onderzoek et Siegfried Verbeke ; ces derniers ont considérablement élargi leur champ d'activité sur Internet. 17 9) Pourquoi les sites Internet qui nient la réalité de la Shoah ou qui mettent en doute l'authenticité du Journal sont-ils poursuivis devant la Justice ? Jusque dans les années 1990, les négationnistes diffusaient essentiellement leur propagande visant à mettre en cause lʼauthenticité du Journal d'Anne Frank par la publication de brochures ou de tracts diffusés par des maisons d'édition dʼidéologie nazie. La très grande majorité de ces écrits n'a jamais atteint le grand public. Le développement dʼInternet a démultiplié lʼimpact de la propagande négationniste. En tapant « Anne Frank » sur des moteurs de recherche, on peut désormais obtenir tant des informations fiables que des contrevérités sur le Journal. Et en tapant le mot « Holocauste » ou « Shoah » on se retrouve rapidement sur des sites négationnistes. Sur Internet, le meilleur côtoie le pire. Un combat juridique complexe La lutte contre le négationnisme sur Internet, comme celle contre toutes les formes de cybercriminalité, nʼen est encore quʼà ses débuts. Il est donc difficile de déterminer la meilleure façon de combattre les mensonges qui circulent sur le Journal d'Anne Frank et de mettre un terme à la diffusion de la propagande négationniste sur Internet. La lutte juridique est rendue complexe par lʼhébergement des sites hors des frontières européennes ; les groupes néonazis et négationnistes sont protégés par des fournisseurs d'accès situés en dehors de l'Europe. Aux Etats-Unis, il est difficile de poursuivre des négationnistes, mais il existe cependant de nombreux sites proposant un argumentaire pour contrer et dénoncer leurs idées (voir également la dernière question). Ces sites réfutent la propagande négationniste ainsi que les mensonges colportés dans certains pamphlets, documents et chiffres à l'appui, en partant du principe que les faits, qui sʼinscrivent en faux face à cette idéologie, suffisent à rétablir la vérité historique. 18 10) Où trouver des informations à propos du négationnisme ? Il existe nombre de livres et de sites web offrant des informations fiables sur le négationnisme. Les titres mentionnés ci-dessous sont accessibles à tous, au centre de documentation de la Maison Anne Frank. Vous pouvez également visiter les sites qui vous sont proposés. Article - Barnouw, David Mises en cause de l'authenticité du Journal. – dans: Les journaux d'Anne Frank / Institut national néerlandais pour la documentation de guerre ; introd. de Harry Paape, Gerrold van der Stroom et David Barnouw ; texte établi par David Barnouw et Gerrold van der Stroom ; trad. du néerlandais par Philippe Noble et Isabelle RosselinBobulesco. Paris : Calmann-Lévy, 1989. – P. 105-125. Livres - Brayard, Florent Le génocide des Juifs entre procès et histoire, 1943-2000, sous la dir. de Florent Brayard ; textes de Florent Brayard ... [et al.]. - Bruxelles : Éditions Complexe [etc.], cop 2000. – (Collection "Histoire du Temps Présent"). - Brayard, Florent Comment l'idée vint à M. Rassinier : naissance du révisionnisme, Florent Brayard ; préf. de Pierre Vidal-Naquet. - [Paris] : Fayard, 1996. - Finkielkraut, Alain L'avenir d'une négation : réflexion sur la question du génocide, Paris : Seuil, 1982. - Igounet, Valérie Histoire du négationnisme en France, Paris : Seuil, 2000. - 693 p. - Janover, Louis Nuit et brouillard du révisionnisme, Paris : Méditerranée, 1996. - Vidal-Naquet, Pierre Les assassins de la mémoire : "Un Eichmann de papier" et autres essais sur le révisionnisme, Paris : Découverte, 1987. - (Cahiers libres). - Wellers, Georges Les chambres à gaz ont existé : des documents, des témoignages, des chiffres, Paris : Gallimard, 1981. - (Collection Témoins). 19 Sites web - The Nizkor Project: Deceit and Misrepresentation: The Techniques of Holocaust Denial : un site en anglais sur les stratégies des négationnistes. - www.phdn.org : un site en français dédié a la lutte contre le négationnisme © 2007 Anne Frank Stichting 20