Les Belges, de plus en plus superstitieux, consultent à

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Les Belges, de plus en plus superstitieux, consultent à
Les Belges, de plus en plus superstitieux,
consultent à tout va.
Une pratique interdite en Belgique
«!Seront punis d’une amende
de 15 à 25 euros et d’un
emprisonnement d’un jour
à sept jours, ou d’une de
ces peines seulement!: les
gens qui font métier de
deviner et de pronostiquer
ou d’expliquer les songes.
Seront saisis et confisqués
les instruments, ustensiles
et costumes servant
ou destinés à l’exercice
du métier de devin,
pronostiqueur ou interprète
des songes.!» En Belgique,
Voyance :
gare aux
arnaques !
l’article 563 du Code pénal
ne reconnaît pas le métier
de voyant et l’interdit même.
Mais, comme l’explique
le Crioc, l’interdiction est
tombée en désuétude.
Selon le Centre de
recherche et d’information
des organisations de
consommateurs, cela
n’empêche pas que le service
rémunéré offert par le voyant
est soumis à la loi du 6 avril
2010 relative aux pratiques
du marché et à la protection
T
arologues, mages, médiums,
marabouts et autres inspirés
voient aujourd’hui la vie en rose.
Les extralucides sont plus populaires que jamais, exerçant leur
art divinatoire sur tous les fronts,
en salon, sur le Net, avec ou sans
webcam, à la télé, par téléphone,
par SMS ou par mail. Il suffit de taper le mot
“voyant” sur Google pour être convaincu de
leur popularité car pas moins de 14,3 millions
de résultats sont proposés…
REPORTERS
DES MILLIARDS DE CHIFFRES D’AFFAIRES
Peu de statistiques existent pourtant sur ce
phénomène de société. En France, des données chiffrées existent. Selon l’Institut national
des Arts divinatoires, une société qui tente de
lutter contre les dérives et escroqueries de la
voyance comme le fait l’ASBL “Delta blanc”
en Belgique, la voyance génère 3 milliards
de chiffre d’affaires par an, ce qui représente
environ 15 millions de consultations annuelles
pratiquées par 100.000 personnes. Les tarifs
varient entre 60 et 300 euros par consultation
quel que soit le réseau choisi. Une autre étude
avance qu’un Français sur quatre consulterait
un voyant au moins une fois par an, ce qui
donnerait bien plus de 16 millions de consultations annuelles… Et ces chiffres seraient
encore sous-évalués car nombre de personnes
cachent de tels rendez-vous, tout comme nombre de praticiens travaillent dans l’ombre, chez
eux ou dans les arrière-boutiques de commerces ésotériques ou d’associations pratiquant le
bien-être…
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LA CRISE BOOSTE LA VOYANCE
C’est sans nul doute la crise économique qui
rend la voyance si populaire. En ces temps
difficiles, plus nombreuses sont les personnes
qui veulent connaître l’avenir, espérant avoir
plus de prise sur lui et être rassurées. Les gens
consultent pour savoir s’ils vont garder leur
travail, s’ils vont bientôt retrouver un job…
Fragilisés par les difficultés, ils deviennent
plus superstitieux comme le montre le sondage effectué en 2010 par le Crioc et qui établissait que 20 % des Belges se disent supers-
du consommateur. Le
voyant doit informer le
consommateur sur le
service offert, le prix de
la consultation. Il ne peut
faire état de certitudes,
ni garantir la réalisation
d’événements ou encore la
justesse de ses prédictions.
De plus, certaines prévisions
relèvent de l’escroquerie qui,
en Belgique, est punissable
selon l’article 496 du Code
pénal.
J. S.
DR
u
“
titieux, soit une hausse de 6 % par rapport à
2007. Et comme le fait remarquer le Centre de
recherche et d’information des organisations
de consommateurs, ces superstitieux sont susceptibles d’être exploités par le marché de
l’ésotérisme.
DES NOUVEAUX CLIENTS
POUR LES VOYANTS
Alors que les clients des extralucides étaient
traditionnellement et majoritairement (80 %
même) des femmes entre 25 et 55 ans s’interrogeant sur leur vie affective, aujourd’hui
ils sont constitués de femmes mais aussi
d’hommes curieux de connaître leur avenir.
Chefs d’entreprise, cadres, traders, commerçants, politiciens, artistes consultent bien plus
qu’avant pour prendre la bonne décision ou
être calmés, rassurés. « La voyance téléphonique que nous proposons est en hausse depuis
quelques années à cause de la crise. Il est tout à
fait clair que les questions posées à nos voyants
ont évolué et sont davantage liées à la sphère
professionnelle et au logement. Mais trop de
voyance tue la voyance. Le business est victime
de son succès et les offres de services se sont
multipliées. Le service de voyance téléphoni-
personne honnête désireuse de gagner de
l’argent en aidant et conseillant ses clients ou
un charlatan obsédé seulement par l’appât du
gain. Et les charlatans semblent être bien plus
nombreux qu’on ne le croit. Le site de l’Institut des Arts divinatoires qui tente, comme
l’ASBL belge Delta blanc de mettre de l’ordre
et de l’éthique dans la profession, publie
d’ailleurs les témoignages édifiants de personnes victimes d’imposteurs comme cette dame
abusée par une offre de voyance gratuite.
Celle-ci commence par apprécier les encouragements reçus, les mots positifs entendus qui
de gratuits deviennent de plus ne plus chers
une fois que la cliente y est accro. Il y a encore
ce témoignage d’une autre dame victime d’un
marabout qui pour garantir l’avenir qu’il a
vu pour sa cliente doit la “nettoyer” et faire
des séances de magnétisme pour un montant
de 5.000 euros. «Vendez votre voiture », lui
conseillera le “mage” quand la dame lui dit
qu’elle n’a pas cette somme.
DES CLIENTS FRAGILES
L’abus est d’autant plus facile que les clients
des voyants offrent des profils psychologiques caractérisés par la fragilité et l’anxiété.
Des plaintes souvent tues par honte
que que nous offrons végète car nous avons
bien plus de concurrents aujourd’hui », explique Cédric Courboin, de la société Gsmzoo.
UN VÉRITABLE BUSINESS
Portée par les angoisses de tout un chacun, la
voyance connaît une telle croissance qu’elle
devient un véritable business. Chaque jour,
de nouveaux sites de voyance téléphonique
ouverts par des particuliers ou des multinationales apparaissent. Leurs motivations sont
sans doute plus liées à l’appât du gain qu’à
l’envie d’apaiser les angoisses des clients. Le
business croît car il est facile, n’exigeant ni
formation ni diplôme particulier. La voyance
étant un supposé “don” – même si elle est
davantage une capacité d’empathie – chacun peut se proclamer voyant, qu’il soit une
La psychothérapeute Judith Delaunay décrit
d’ailleurs la personne assidue à la voyance
comme un individu anxieux présentant des
tendances dépressives, ne supportant pas
l’incertitude et les frustrations de l’existence
et cherchant à être rassuré.
DIX PLAINTES PAR AN
Mais, étonnamment, le nombre de plaintes
en Belgique est peu élevé et constant. Dix ont
été enregistrées pour chacune des trois dernières années par le SPF Économie qui rassemble les plaintes des consommateurs. Mais
au SPF, on explique que ce petit nombre est
dû à la gêne de la personne qui a été abusée.
Qui ose dire qu’il va chez Madame Irma ? Qui
ose confier qu’il a été floué ?
Joëlle Smets.
b
15
“
“
Rendez-vous chez une voyante pas extra et peu lucide
C’est une petite dame charmante
qui ouvre la porte, la septantaine
affirmée, les cheveux bien lissés,
les yeux légèrement maquillés,
les plis du pantalon parfaitement
repassés. Pas de foulard étoilé
sur la tête ou de bague à tous
les doigts pour notre “Madame
Irma” bruxelloise. Notre voyante
joue la carte de la réserve et de la
psychologie quand elle manipule
le tarot de Marseille. Devant la
table ronde nappée de son petit
appartement, elle s’appuie sur
les cartes pour donner mille et
un conseils à la question du jour,
imaginée pour les besoins de
l’interview. Elle rassure, encourage,
conseille avec une intelligence
humaine indéniable, nous dit
d’aller de l’avant, d’avoir confiance
en nos capacités, en affirmant
que les cartes annoncent bien
des changements pour l’avenir
mais nullement négatifs en ce qui
nous concerne. Bien au contraire!!
Nous lui demandons alors d’être
rassurée quant à la justesse de
ses prévisions et au pouvoir du
tarot. Ses cartes pourraient-elles
nous donner des informations
sur des éléments avérés de notre
vie!? Et notre gentille voyante de
répondre que la chose est difficile
mais possible. Nous demandons
alors si nous sommes célibataire
ou si nous vivons en couple!? «!Je
vous vois célibataire!!!», répondelle après nous avoir observée.
Pas de chance. Nous sommes en
couple depuis plus de 20 ans. Elle
se lance alors dans la description
de notre relation!: un tableau qui
se révèle être le contraire de la
réalité. Nous lui demandons de
tester une nouvelle fois le pouvoir
des cartes. Peuvent-elles nous
dire si nous avons des enfants de
ce compagnon!? «!Vous avez des
enfants mais d’une précédente
union!», nous répondit Madame M.
Tout faux!; nous en avons deux de
ce compagnon. Enfin, elle s’étonne
de ne pas nous entendre parler de
notre fils. Pas de chance pour notre
voyante!: il n’y a pas de garçon
parmi nos enfants… Joëlle Smets.
Voyance téléphonique:
ce qu’ils nous ont prédit!
“Le Soir magazine” a testé des consultations de voyance
téléphonique. Nous avons été de surprise en surprise : temps
d’attente interminables, conversations coupées, conseils vagues
et impersonnels... Seule prédiction sûre : 60 euros à payer !
TOUS LES VOYANTS SONT OCCUPÉS!:
PATIENTEZ À 2 EUROS LA MINUTE…
L’opérateur propose d’attendre que la consultation se termine ou de choisir un autre
voyant. Pas moins de 4 minutes et 28 secondes sont déjà passées. Nous choisissons Julien
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pendule et qu’il nous faut patienter. Nous
patientons jusqu’à ce que la communication
se coupe ! Le portable affiche “annulé”. Dix
minutes se sont écoulées et 20 euros vont
déjà s’ajouter à notre facture téléphonique…
Nous rappelons quelques minutes plus tard,
trop curieuse de savoir ce que le pendule de
Julien a découvert mais, cette fois, parmi les
tarologues et autres spécialistes, il n’y a plus
de Julien, ni de Bérénice, ni de Sandra. Cette
fois, nous pouvons écouter les prévisions de
Loana, Orlane et Michelle. Loana nous ayant
annoncé qu’elle fait ses prévisions sans complaisance mais en portugais et Orlana qu’elle
a des flashs seulement le week-end entre 9 et
DR
I
l est invité sur les plateaux de télé et
dans nombre de journaux, fait de la pub
sur les ondes et s’y déclare la “star des
voyants et le voyant des stars”. Dans ses
spots publicitaires, Dominique Lehmann
propose à toute personne ayant des soucis financiers, des problèmes de cœur ou
des préoccupations affectives de l’appeler. N’ayant pu noter le numéro de téléphone
donné dans les publicités radio, nous l’avons
recherché sur internet. Nous avons appelé
Dominique Lehmann : nous savions que la
minute de communication serait facturée à
2 euros… D’emblée, une voix féminine nous
apprend qu’une équipe de quatre médiums
est disponible. Il y a d’abord Michèle qui
se dit tarologue. Appuyez sur le 1 si vous
choisissez Michèle. Il y a ensuite Sandra qui
nous explique qu’elle parle sans complaisance et que si les mots lui manquent, c’est
que le destin se sert d’elle. Appuyez sur le 2
si vous optez pour elle. Julien prédit votre
chemin de vie grâce à son pendule. Tapez 3…
Enfin, Bérénice va vous parler avec amour et
sincérité. Tapez 4. Nous tapons le 1… pour
apprendre que Michèle est déjà en ligne.
Un voyant tient des propos faux
et mensongers ou vous induit
en erreur en ce qui concerne
ses prestations ou ses prix!?
Vous pouvez vous adresser à la
Direction Générale “Contrôle et
Médiation” du SPF Economie,
pour porter plainte. Sur le site,
un onglet “arnaque“, vous
permet d’entrer en contact
avec le service médiation et de
déposer plainte pour litige.
http://economie.fgov.be/fr/
consommateurs/arnaques/
victime/
DR
Quand les cartes de
madame M. se trompent à
tous les coups...
Que faire si vous avez été escroqué!?
mais lui aussi est en pleine consultation…
Nous décidons de patienter en écoutant,
comme le propose l’opérateur, la consultation en cours qui ne nous concerne pas.
Julien annonce à son client qu’il aura le
nouveau job convoité fin 2014 et qu’il ne faut
pas s’inquiéter. Enfin c’est à nous, quelque
8 minutes après avoir formé le numéro de
la star des voyants. Julien demande notre
prénom, date de naissance et la raison de
notre appel. Nous inventons un questionnement professionnel, des doutes, des craintes…
Julien nous annonce qu’il doit consulter son
11 heures, nous choisissons Michelle. Deux
minutes et 47 secondes se sont écoulées
depuis que nous avons appelé. Bien évidemment, notre voyante tarologue du jour est
déjà en ligne et nous décidons d’attendre en
écoutant la consultation. Nous attendons,
entendons ce qui ressemble à une conversation entre deux copines, l’une se plaignant de ses patrons et l’autre lui disant
de faire confiance et même d’augmenter
ses tarifs de femme de ménage. Nous
attendons toujours. Dix minutes se passent et la communication se coupe. C’est
un arrêté royal du 27 avril 2007 qui prévoit
une coupure automatique des numéros surtaxés à 2 euros la minute dans le but de protéger le consommateur. Mais nous avons déjà
dépensé 40 euros sans avoir pu entendre la
moindre prévision de voyance… Malchance ?
Nous rappelons quelques jours plus tard.
Cette fois nous pouvons choisir entre Nadia,
Loana qui fait toujours ses consultations en
portugais, Michelle, Julien et Bérénice. Trop
contente de retrouver Julien, nous tapons
le 4. Quatre minutes se sont déjà passées.
Julien est bien évidemment en consultation,
mais persuadée que les quatre autres voyants
le seraient également, nous choisissons d’attendre. Nous avons attendu, attendu, attendu
en écoutant la consultation en cours : une
certaine Jeanne, 72 ans, parlait de ses problèmes d’argent, de déménagement, de ses
glaucomes aux yeux, de son petit-fils… Julien
a rassuré la dame. Nous patientons toujours
et la ligne se coupe après dix minutes… Notre
facture téléphonique va être chargée de 60
euros sans que nous ayons reçu le moindre
conseil ! Nous avons eu Julien pendant quelques secondes en ligne pour lui donner notre
prénom, date de naissance et la raison de
notre appel.
60 EUROS DE COMMUNICATION
ET PAS LE MOINDRE CONSEIL
Pour avoir une explication à ces appels
sans réponse, nous contactons Dominique
Lehmann en personne qui nous apprend qu’il
ne gère pas le service de voyance téléphonique et qu’il l’a confié en Belgique à un certain
Cédric. Nous contactons Cédric Courboin : il
nous explique que le numéro belge renseigné
sur le site internet de Dominique Lehmann
que nous avons formé n’est pas le sien et
que nous avons été mis en contact avec une
équipe de voyants français et non belges…
Ce numéro est pourtant le seul renseigné
sur tous les sites internet liés au médium…
Le patron de la société Gsmzoo nous donne
alors son numéro “0905” en nous expliquant
que les consultations de voyance Dominique
Lehmann ne se passent pas de la même
façon en Belgique. Nous appelons… Cette
Si votre voyant vous a garanti le
retour de l’être aimé ou promis
de donner les numéros gagnants
du Lotto, il s’agit d’escroquerie
et il faut alors porter plainte
directement auprès des
autorités judiciaires ou sur le site
de la Computer Crime Unit de la
Police Fédérale si l’escroquerie
s’est déroulée sur le Net.
http://www.polfed-fedpol.be/
org/org_dgj_FCCU_RCCU_fr.php
J.S.
fois, c’est la voix préenregistrée du célèbre
médium et non celle d’une opératrice que
nous entendons. Notre homme nous annonce
qu’il a sélectionné une équipe de cinq voyants
parmi lesquels il figure. Nous le choisissons
mais la star des voyants n’est pas disponible,
tout comme la deuxième voyante choisie.
Nous faisons un troisième choix et sommes
mis en communication avec une voyante !
Après trois minutes ! Nous confions la voix
tremblante et hésitante nos inquiétudes professionnelles en nous excusant de bafouiller
– nous sommes stressée – et tout aussi rapidement, sans demander ni notre prénom, ni
notre date de naissance, Madame Irma nous
rassure et nous réconforte, nous dit de ne pas
avoir peur. Quand nous lui demandons, surprise, sur quoi elle se base pour dire cela aussi
rapidement, elle nous répond : « Je l’entends à
votre voix… » Le tout est cette fois expédié en
cinq minutes.
“TOUT VA BIEN!! NE VOUS INQUIÉTEZ PAS”
Nous avons encore essayé une autre société
de voyance téléphonique, moins médiatisée,
choisie au hasard parmi les centaines de
références proposées par Google. Nous appelons Diego qui se dit “voyant de renom” et
travaillant “sans complaisance”. La formule
doit plaire car elle est également utilisée
par tous les voyants conseillés par la star
des voyants. Diego décroche directement et
nous expliquons à nouveau notre inquiétude
professionnelle ! Notre voyant nous demande nos prénom, date de naissance, secteur
dans lequel nous travaillons – nous disons
la communication –, notre ancienneté dans
le métier. Il nous demande 6 chiffres choisis
entre 1 et 36. Quelques secondes se passent
et voilà notre homme lancé dans un discours
rassurant, le même que celui que nous avons
tant entendu sur les lignes de voyance de
Dominique Lehmann : « Non ! vous ne devez
pas vous inquiéter ; il y a bien des changements dans votre société mais rien ne vous
concerne… Votre valeur ? Vos nombreuses
qualités… » Tout va pour le mieux dans le
meilleur des mondes possibles, écrivait déjà
Voltaire.
Joëlle Smets.
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u
Rose-Anne Vicari a travaillé comme
voyante par téléphone durant deux
ans. Aujourd’hui, elle déballe tout dans
“Confessions d’une voyante”. Interview.
“Confessions
d’une voyante”,
éd. Max Milo,
174 p., 16 euros.
“J’avais des stratégies proches
de la manipulation mentale”
R
DR
ose-Anne pensait être bénie
des dieux et
avoir reçu le
don de voyance.
Depuis
l’adolescence,
la jeune Vicari
tirait les cartes pour ses amis.
Mais autour de la cinquantaine, acculée par les problèmes financiers, elle se décide
à contacter une société de
voyance par téléphone pour
offrir ses services. À sa plus
grande surprise, la Française
est d’emblée engagée sans devoir fournir aucune
référence. Rose-Anne se choisit alors le pseudonyme “Enora”, prend sur le Net la photo
d’une jolie quadra, la transforme légèrement et
commence à travailler. Et cela marche bien pour
elle, les consultations tournent et les clients rap-
“LE DON DE VOYANCE EST UN
SIMPLE SENS DE L’EMPATHIE
QUE NOUS AVONS TOUS”
Quand avez-vous commencé
à douter de votre don!? Après
un an environ… Tout marchait pourtant bien pour moi.
Je pensais aider les autres et
j’avais une clientèle fidèle. Mais
à force de donner tous les jours
des consultations, je me suis
rendu compte que je me répétais, j’avais les mêmes idées et
donnais les mêmes conseils. Je
me suis aussi rendu compte
que mon imagination intervenait beaucoup et que j’inventais des histoires
qui collaient à la personne qui appelait. J’ai
également pris conscience que je pouvais être
complaisante avec les clients quand par exemple
certaines personnes enfermées dans leur folie
me hurlaient dessus.
Une voyante “repentie” raconte
pellent. Mais petit à petit, la voyante commence
à douter de la réalité de son don et ses interrogations sont amplifiées par ce qu’elle découvre
du milieu de la voyance : de maigres salaires en
rapport au nombre d’heures travaillées et des
collègues qui abusent de la détresse de ceux qui
appellent. Rose-Anne Vicari décide de tout arrêter et de raconter cette expérience dans le livre
“Confessions d’une voyante”. Pourquoi avez-vous
commencé à travailler comme voyante!? Ce sont
les ennuis financiers qui m’y ont poussée mais
je voulais faire du bien puisque je me sentais
investie d’une mission divine. J’étais persuadée
d’avoir un don et j’avais souvent prédit des
choses qui s’étaient révélées justes. Aujourd’hui,
vous ne croyez plus avoir ce don!? Non je n’y
crois plus ! Ce qu’on appelle le “don de voyance”
est en réalité la faculté d’entrer en empathie
avec l’autre, d’analyser une personne, de percevoir son état d’esprit et d’imaginer ce qui a pu
amener cet état d’esprit. Cette empathie, cette
intuition, nous l’avons chacun. Chez certaines
personnes, plus sensibles, elle est seulement
plus prononcée.
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DES INTONATIONS POUR
FAIRE PARLER LES CLIENTS
Vous aviez développé des stratégies pour “voir”!?
Bien sûr, j’avais des stratégies, des automatismes
innés, que l’on pourrait assimiler à de la manipulation mentale. Je lançais des informations
avec certaines intonations de voix qui poussaient
inconsciemment la personne à confirmer ou
infirmer ce que je disais et à se raconter. Je
demandais à la personne de me donner des
numéros ; cela me donnait du temps pour amorcer un scénario en adéquation avec les informations perçues dans sa voix. Celle-ci trahit bien
plus qu’on ne le suppose sur l’intimité de l’esprit,
les désirs et souhaits, etc. Le prénom et la date
de naissance apportent d’autres informations
utiles. Vous savez, 99 % des femmes de quarante
ans ont des enfants, vécu des problèmes dans
leur couple et sont plus désabusées sur la vie et
l’amour qu’une jeune fille de 20 ans. Elles veulent un amour plus raisonnable que passionné.
Vous savez aussi qu’à 50 ans, les femmes seules veulent retrouver rapidement l’amour. Vous
jouez avec tout cela et vous conseillez, rassurez.
Les gens qui appellent sont souvent des femmes
en détresse à la recherche principalement de
l’être aimé, même si depuis la crise, les questionnements révèlent une inquiétude grandissante
dans les domaines du travail et du logement.
L’espoir et les encouragements donnés par la
voyante n’aident-ils pas les gens en détresse!?
C’est vrai que j’ai conseillé et aidé mais cette
aide rend dépendant. En général, les voyants
ne permettent pas à leurs clients de prendre
leur vie en main. J’ai vu des gens consulter de
nombreux voyants et attendre leur avis pour
prendre leurs décisions. L’espoir que nous donnons à nos clients en leur annonçant une bonne
nouvelle fait du bien sur l’instant mais éloigne
de la réalité de la vie. Le rêve que nous offrons
peut détruire la personne et l’empêcher de prendre les bonnes décisions. J’ai connu une dame
persuadée que son mari l’avait quittée car il était
victime de la magie noire. Elle dépensait des
fortunes avec des voyants au lieu d’aider sa sœur
qui était endettée. Vous dénoncez également les
pratiques qui se passent dans le monde de la
voyance téléphonique. La voyance téléphonique
peut se faire de deux façons, soit en privé – vous
payez le voyant en donnant votre numéro de
carte bancaire –, soit en Audiotel – vous payez la
consultation via un numéro surtaxé facturé par
votre opérateur téléphonique. En moyenne vous
payez 3 euros la minute mais certains voyants
vont jusqu’à demander 7 euros la minute. Dans
ce type de voyance, on vous explique que plus
vous faites durer la consultation téléphonique,
plus vous avez de personnes qui patientent dans
la file d’attente, plus vous gagnez de l’argent. Moi
comme voyante Audiotel, je gagnais 600 euros
par mois et en consultation privée téléphonique
1000-1200 euros. Quel regard posez-vous sur vos
anciens confrères!? Je classe les voyants en trois
catégories : les escrocs purs et durs qui savent
n’avoir aucun don mais veulent faire le maximum de fric. Il y a ensuite les voyants conscients
de ne pas avoir de don mais qui continuent de
travailler car la voyance est leur gagne-pain. Ils
forment la majorité. Enfin il y a les illuminés
persuadés d’avoir des dons. Pour moi, la voyance
est un pur business qui prend ses marques sur la
misère humaine, exploitant tour à tour le client
et le voyant.
Propos recueillis par Joëlle Smets.