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Evasion Dans le domaine spatial, la réalité dépasse souvent l’imagination. L’envoi dans l’espace des premiers “marsonautes” n’est plus du domaine de la fiction, avec à la clé de nouveaux défis pour l’odontologie. Implications dentaires des missions spatiales habitées de longue durée Mathieu Gunepin, Florence Derache, Leon Dychter, Jean-Jacques Risso E n soixante ans, l’espace est devenu l’un des rouages majeurs de notre civilisation, car il constitue le principal moyen global de recueil, transport et dissémination de l’information. Après avoir révolutionné toutes les sciences de l’univers, puis l’art de la guerre, l’espace a pénétré notre vie quotidienne avec l’omniprésence de la télévision en direct, le téléphone mobile, Internet, les systèmes GPS, Google Earth, etc. De nombreux pays l’ont également utilisé comme vitrine de leur puissance technologique et financière : les États-Unis et l’URSS d’abord, puis l’Europe et désormais la Chine, l’Inde et le Japon. L’émergence successive de nouveaux acteurs (comme la Chine, qui sera le premier pays à disposer d’une station orbitale fabriquée et lancée par un seul pays) est le garant de la dynamique de la conquête spatiale. Cette dynamique est indispensable pour faire face au nouveau défi que constitue l’envoi des premiers hommes autour puis sur Mars. Le président des États-Unis a d’ores et déjà annoncé l’envoi vers Mars d’une sonde habitée (sans atterrissage) à l’horizon 86 magazine 2035 [1]. Bien qu’une mission vers Mars – et retour – semble techniquement faisable, toute une série de problèmes médicaux considérables n’est pour l’heure pas encore résolue [2]. De plus, aucun homme n’a passé autant de temps consécutif dans l’espace que ce que nécessitera une mission spatiale habitée vers Mars (record de 437 jours à bord de la station Mir en 1994-1995 pour le russe Valeri Poliakov contre 500 jours minimum pour un vol “aller-retour” vers Mars) [3]. D’un point de vue dentaire, ces missions représentent un véritable défi puisqu’il s’agira d’envoyer dans l’espace des individus pendant 18 à 36 mois selon le profil de la mission avec deux objectifs fondamentaux : - maintenir en bonne santé des individus soumis à des contraintes importantes (microgravité, isolement, etc.) ; - pouvoir traiter le cas échéant des pathologies dans l’espace avec des contraintes de matériel, de personnel. Evasion Historique de la dentisterie spatiale [4, 5] Le concept de dentisterie spatiale est né en 1957 avec la publication par le General Office de l’US Air Force du premier guide de médecine spatiale incluant un chapitre sur l’odontologie (Air Force Manual 160-13). Il faudra ensuite attendre 1966 pour voir l’affectation d’un chirurgien-dentiste à plein temps à la National Aeronautics and Space Administration (NASA). Ce chirurgiendentiste, affecté à Houston, avait pour mission la prise en charge bucco-dentaire des astronautes avant les missions spatiales (examens de sélection, prévention, traitements). Les années 1980 verront l’odontologie entrer dans les navettes spatiales avec le développement d’instruments dentaires adaptés aux contraintes spatiales et de guides pour la prise en charge bucco-dentaire des astronautes au cours des vols spatiaux. Début 2000, la conquête spatiale entre dans une nouvelle dimension avec le projet de missions de longue durée pour atteindre la planète Mars. Le Comité de la National Academy of Science Institute of Medicine pour la médecine spatiale se saisit alors de la problématique du maintien de la santé bucco-dentaire des équipages au cours de ces vols de longue durée. Les premières études portant spécifiquement sur l’impact de la microgravité sur la sphère bucco-dentaire ont débuté en 2009. Cette année a vu également la création de l’International Association of Aerospace Dentistry (IAAD) [6]. Depuis 2010, la Kepler Space University propose une formation en dentisterie spatiale pour à la fois sensibiliser les professionnels de l’espace à la problématique de la dentisterie spatiale (sélection des équipages, prévention de la survenue de pathologies bucco-dentaires au cours des missions spatiales, traitements bucco-dentaires dans l’espace), mais aussi pour promouvoir la recherche en dentisterie spatiale peu développée jusqu’à présent. Survenue d’événements dentaires au cours des missions spatiales Types d’événements La NASA préfère le terme d’« événement » dentaire plutôt que d’urgence dentaire lorsqu’il est question des astronautes [7]. L’utilisation de la notion d’urgence dentaire implique que des problèmes dentaires n’auraient pas besoin d’une prise en charge immédiate, ce qui n’est pas le cas au cours des missions spatiales. Tous les problèmes dentaires ayant potentiellement vocation à entraîner des complications de plus en plus difficiles à gérer par du personnel non-dentiste et des conséquences opérationnelles de plus en plus délétères, ils doivent être traités avec le même intérêt et la même diligence [7]. Le risque de survenue d’événements dentaires persiste quelle que soit la qualité de la mise en condition dentaire avant les départs en mission. D’un point de vue dentaire, le risque majeur au cours des missions spatiales est le traumatisme [8]. Les astronautes déplacent des objets volumineux dont l’inertie et la vélocité peuvent être à l’origine de traumatismes de la face [8]. Selon la NASA, les autres types d’événements dentaires pouvant survenir au cours des missions spatiales sont les caries dentaires non dépistées avant la mission et les conséquences des traitements endodontiques défectueux [8]. Fréquence Au cours des missions spatiales Officiellement, aucun événement dentaire n’est survenu au sein des équipages américains durant l’ensemble des missions auxquelles ils ont participé [7]. Un chirurgien-dentiste de la NASA a cependant rapporté le cas d’une couronne prothétique descellée au cours d’une mission ayant nécessité son rescellement avec un ciment provisoire [7]. Au sein des équipages russes, des cas de perte d’obturation et de descellement de prothèse ont été relevés au cours de la phase de décollage du fait des vibrations générées par la poussée des moteurs [9]. L’événement dentaire le plus “célèbre” au cours d’un vol spatial russe est survenue en 1978 durant la mission Salyut 6 [10]. La “victime” était Yuri Romanenko qui a souffert d’une douleur dentaire pendant quinze jours, c’est-à-dire jusqu’à son retour sur Terre [10]. Deux autres événements dentaires sont survenus au sein des équipages de la station spatiale Mir en mars 1995 et juin 1998 [11, 12]. Il s’agissait de caries dentaires qui ont été soignées à bord de la station [11]. Ces deux événements représentent 1 % de l’ensemble des “événements” médicaux survenus au cours de la période 1995-1998 [7]. L’incidence carieuse au sein de la station Mir a été de 0,01 % pour 100 jours de mission [7]. Aucun événement bucco-dentaire n’a été signalé au cours de la simulation de mission sur Mars (Mars500®) réalisée de juin 2010 magazine 87 Evasion à novembre 2011 dans la banlieue de Moscou. Cette étude a consisté à enfermer six “marsonautes” pendant 520 jours à bord d’un ensemble de caissons simulant un vaisseau spatial [1]. Cette durée de 520 jours correspond à la durée d’un vol aller-retour vers Mars plus 30 jours d’exploration martienne [13]. Au-delà des retours d’expérience des missions spatiales et des simulations en termes d’événements dentaires, tous les experts s’accordent sur le fait que l’incidence de ces événements augmentera de facto avec l’allongement de la durée des missions spatiales. Avant les missions Depuis la première mission spatiale jusqu’au 23 juillet 2010, si l’on additionne le nombre de jours passés par l’ensemble des astronautes américains entre leur recrutement et leur premier départ en mission, on obtient : - 173 450 jours pour les hommes. Au cours de ces 173 450 jours, 5 caries (0,00006 %), 4 abcès (0,00005 %) et 11 maladies parodontales (0,00013 %) ont été rapportés [7] ; - 43 855 jours pour les femmes. Au cours de ces 43 855 jours, aucune carie, aucun abcès et un cas de maladie parodontale (0,0001 %) ont été rapportés [7]. Certains de ces événements dentaires sont intervenus dans les 90 jours précédant le décollage (pulpites, abcès dentaires, fractures dentaires et descellements de prothèse [14]) et même un cas dans les 15 jours précédant le décollage [7]. Selon un rapport de la NASA, tous ces chiffres sont sûrement sous-estimés, car les « événements » dentaires ne sont pas systématiquement documentés par les médecins en charge des astronautes [7]. Selon l’Integrated Medical Model (IMM) créé par la NASA pour prévoir la fréquence de survenue de l’ensemble des événements médicaux chez les astronautes, les fréquences théoriques de survenue des événements dentaires sont de 0,3 % pour les caries, 0,02 % pour les pulpites et 0,005 % pour les descellements de prothèse [7]. Conséquences En l’absence de traitement adapté, la survenue d’un événement dentaire au cours d’une mission spatiale peut avoir un impact délétère sur la capacité opérationnelle de l’astronaute [8]. Du fait de ses douleurs dentaires, Yuri Romanenko ne put accomplir les tâches qui lui étaient dévolues jusqu’à son retour sur Terre [8]. Dès lors, des procédures et du matériel spécifiques furent mis en place afin que les astronautes puissent faire face à toutes les urgences dentaires au cours des missions spatiales [8]. Principes de la dentisterie spatiale [15] Sélection des astronautes [16-19] Afin de pallier la survenue de pathologies au cours des vols spatiaux, toutes les agences spatiales incluent, au cours de leur processus de sélection médicale des astronautes, un ou plusieurs examens bucco-dentaires. Une fois sa candidature acceptée par la 88 magazine NASA, le futur astronaute subit un examen bucco-dentaire annuel [8]. Lors de chaque examen, le patient se voit classé dans l’une des trois catégories suivantes [8] : - classe I : patient ayant une bonne santé bucco-dentaire et ne nécessitant pas de soin bucco-dentaire ni de réévaluation au cours des 12 prochains mois ; - classe II : patient ayant un état buccodentaire nécessitant la réalisation de soins bucco-dentaires. Si ces soins ne sont pas réalisés immédiatement, l’état bucco-dentaire du patient ne risque pas d’être à l’origine d’une urgence dentaire au cours des 12 prochains mois ; - classe III : patient ayant un état bucco-dentaire nécessitant la réalisation de soins bucco-dentaires. Si ces soins ne sont pas réalisés immédiatement, l’état bucco-dentaire du patient risque d’être à l’origine d’une urgence dentaire au cours des 12 prochains mois. Tous les astronautes doivent être au minimum en classe II. Seuls les astronautes en classe I peuvent participer aux missions à bord de la station spatiale internationale (International Space Station, ISS) [8]. La NASA avance le fait que l’envoi dans l’espace d’individus totalement indemnes de pathologies, mais également de soins bucco-dentaires (denture totalement saine), sera le meilleur moyen de garantir un risque minimal de survenue de pathologies au cours des missions spatiales. Une étude menée au niveau militaire indique qu’à l’heure actuelle, seulement 2,7 % de la population a une denture indemne de soins et de pathologies [20]. Cependant, cette fréquence est plus importante au sein des populations ayant un haut niveau socio-économique et éducatif (cas de la population cible de la sélection des agences spatiales). De plus, du fait de l’amélioration générale de la santé bucco-dentaire de la population, la fréquence d’individus indemnes de soins et de pathologies devrait augmenter. Quoi qu’il en soit, le fait d’avoir une denture saine, eu égard aux autres critères de sélection, ne peut pas être un critère à part entière de choix des futurs astronautes. En plus du suivi annuel, les astronautes subissent des examens pré-vols 18 à 21 mois avant le lancement [8]. Ces examens cliniques et radiographiques incluent la réalisation systématique de bite-wings et d’une radiographie panoramique dentaire. Tous les traitements dentaires des pathologies dépistées doivent être réalisés au minimum 90 jours avant le lancement [8, 21]. Un examen bucco-dentaire additionnel est réalisé entre 30 et 90 jours avant le départ pour être certain que l’astronaute est bien indemne de pathologie [8]. Jusqu’en 2013, la NASA disposait de sa propre clinique dentaire permettant le suivi (examens et traitements) des astronautes [8]. Face aux contraintes budgétaires, cette clinique a été fermée. Le suivi dentaire des astronautes s’effectue désormais dans le privé, les médecins de la NASA étant chargés du contrôle de ce suivi [8]. Evasion 1. L’hygiène bucco-dentaire dans la navette spatiale Discovery (25 septembre 1993) (NASA courtesy to nasaimages.org). Prévention de la survenue de pathologies bucco-dentaires dans l’espace Hygiène alimentaire au cours des missions spatiales de longue durée [22, 23] Pour maintenir les astronautes en bonne santé, leur alimentation doit être nutritive, comestible et savoureuse. Cela est rendu difficile par de nombreuses contraintes liées aux missions spatiales : - limitation du poids et du volume de ce qui peut être emporté au cours des missions ; - limitation de l’énergie disponible pour préparer les aliments ; - durée minimale de conservation des produits alimentaires de neuf mois pour le système alimentaire de la navette, un an pour la station spatiale internationale et jusqu’à cinq ans pour les postes planétaires avancés ; - type de nourriture fortement dépendant de la production agricole renouvelable (les récoltes produites dans l’espace sont les choux, carottes, cardes, haricots secs, salades, oignons, arachides, pommes de terre, radis, riz, soja, épinards, patates douces, tomates et blé) ; - systèmes de transformation agroalimentaire pouvant fonctionner en microgravité (ISS) ou en gravité réduite (postes avancés planétaires ou lunaires). Actuellement, les produits disponibles pour des missions de longue durée sans ravitaillement sont limités : - barres de substitut de repas fournissant un tiers des calories journalières et des besoins nutritionnels ; - produits incorporant 25 g de soja par jour dans le régime alimentaire des astronautes ; - produits issus de soja à faible teneur en matières grasses permettant une baisse de la flatulence ; - produits qui incorporent l’okara issu de la production du lait de soja. À cette nourriture peu ragoûtante viennent s’ajouter les perturbations du sens du goût du fait de la rétractation des papilles gustatives en microgravité, une texture des aliments très souvent similaire quel que soit le type de produit consommé et l’absence de repas à proprement parler du fait de la charge importante de travail reposant sur chaque membre d’équipage et des rythmes de travail et de vie propres à chaque astronaute. L’ensemble de ces facteurs conduit à une faible appétence des astronautes pour l’alimentation dans l’espace. Cela peut aboutir à un fractionnement des prises alimentaires avec de petites collations répétées dès que l’emploi du temps le permet. Ce rythme alimentaire déstructuré peut avoir des conséquences délétères sur la santé bucco-dentaire des équipages [24]. Des expériences menées dans le Skylab ont mis en évidence une augmentation quantitative des Strepctococcus mutans dans la salive des astronautes au cours des missions spatiales [21]. Selon Hodapp, cela serait dû à la consommation d’aliments déshydratés au cours des missions [8]. Dans le cadre de vols et de missions spatiales de longue durée, ce phénomène devra être endigué au risque de voir augmenter l’incidence carieuse [8]. Hygiène bucco-dentaire dans l’espace [16] (fig. 1) Se brosser les dents dans l’espace n’est pas forcément chose aisée. La quantité d’eau étant rationnée, il est recommandé de se brosser les dents sans eau. La NASA a mis au point un dentifrice conçu spécifiquement pour être avalé, évitant ainsi aux astronautes d’avoir à cracher et surtout à se rincer la bouche. Quoi qu’il en soit, il est impératif d’optimiser son hygiène bucco-dentaire à la hauteur de l’altération de l’hygiène alimentaire. Prise en compte des contraintes environnementales [13] Les contraintes subies par les astronautes au cours des missions spatiales sont importantes : confinement, atmosphère et rythme nycthéméral artificiels, isolements physique et social, monotonie des stimuli visuels, auditifs, olfactifs, tactiles, gustatifs et thermiques, ainsi que l’hypodynamie (diminution de la charge s’exerçant sur les muscles posturaux) et l’hypokinésie (réduction de l’activité motrice). Ces phénomènes sont étudiés à bord de la station spatiale internationale, mais aussi sur Terre lors de simulations de missions de longue durée comme le projet Mars500®. Ces simulations permettent aux agences spatiales, notamment l’European Space Agency (ESA), d’étudier l’impact de cet environnement dit restrictif sur la physiologie humaine [25]. Au cours de la mission Mars500®, l’équipage a vécu en autonomie, sans produit frais, sans lumière du jour ni air pur [13]. Parmi les facteurs environnementaux agissant dans l’espace, la microgravité est cependant le seul spécifique du vol spatial. L’exposition à la microgravité entraîne de nombreuses modifications physiologiques avec des conséquences importantes sur la santé des astronautes [26, 27] : diminution de la densité minérale osseuse, diminution de la masse musculaire, mal de l’espace, perturbations du système immunitaire, troubles de la vision, etc. Les effets à long terme de l’exposition à la microgravité sur l’organisme humain sont étudiés : - durant les missions spatiales [3]. Lors d’une mission spatiale de 340 jours réalisée en 2015-2016 au sein de l’ISS, les chercheurs ont notamment comparé des paramètres biologiques de l’astronaute Scott Kelly à ceux de son jumeau resté sur Terre [3] ; magazine 89 Evasion - au sol. Depuis les années 1990, des modèles expérimentaux permettent d’approcher les effets de la microgravité notamment l’alitement antiorthostatique au cours duquel les patients sont allongés sur des lits inclinés à 6° avec la tête en bas (6° HDT – Head Down Tilt) [21]. De tels systèmes sont spécifiquement utilisés pour l’étude de l’impact de la microgravité sur la sphère bucco-dentaire [28-35]. Jusqu’à présent, deux types d’effets de la microgravité sur la sphère oro-faciale ont été mis en évidence [21, 28-35] : - des effets réversibles : œdème de la face, xérostomie, modification des expressions faciales et modification du goût ; - des effets irréversibles dont la prévalence est plus élevée chez les individus soumis à la microgravité que dans le groupe contrôle (environnement terrestre 1 g) : parodontites, caries, fractures des structures osseuses, algies dentaires, engourdissements des tissus buccaux et péri-buccaux, calculs salivaires et cancers buccaux. À l’heure actuelle, la prise en compte de la microgravité et de son impact sur la sphère oro-faciale représente le principal défi de la dentisterie spatiale. C’est pourquoi les études tendent à se multiplier dans ce domaine. Cependant, ces études restent encore limitées quant à la taille des échantillons et à leur composition (quasi systématiquement des hommes) et au manque de suivi des participants sur de longues périodes. Des projets de recherche internationaux sont en cours pour pallier ces inconvénients. Un autre objectif de ces études est d’identifier des biomarqueurs de la santé, dentaire ou non, des astronautes et de trouver des méthodes non invasives de recueil de ces biomarqueurs [36]. L’objectif est, à partir de l’analyse d’un prélèvement biologique simple, de suivre en temps réel l’impact de l’exposition des astronautes à l’environnement spatial (microgravité, irradiation, confinement, etc.). De par la facilité de son recueil et la diversité des molécules qu’elle contient (immunoglobuline, bactéries, etc.), c’est la salive qui est actuellement utilisée [32, 36]. Dès les années 1970, les Américains avaient noté une modification de la composition salivaire des membres d’équipage du Skylab [37]. Des études plus récentes indiquent que le stress psychique joue un rôle important dans la modification de la flore buccale [28]. Traitements des pathologies bucco-dentaires dans l’espace (fig. 2) La réalisation de traitements bucco-dentaires dans l’espace achoppe sur plusieurs difficultés. Absence de chirurgien-dentiste au sein des équipages spatiaux [38]. Il n’y a jamais eu et il est extrêmement peu probable qu’il y ait dans un avenir proche un chirurgien-dentiste dans un équipage spatial. De même, la présence d’un médecin au sein des équipages n’est pas systématique. Lors de chaque mission spatiale, deux astronautes sont désignés Crew Medical Officer (CMO). Ils suivent une formation médicale de 40 à 70 heures au cours des 18 mois précédant la mission. Cette formation inclut un module dentaire devant leur permettre de réaliser aussi bien les visites dentaires périodiques semestrielles de l’ensemble de l’équipage que la prise en charge des événements dentaires (du 90 magazine 2. Examen bucco-dentaire de l’astronaute Charles Conrad Jr le 22 juin 1973 dans le Skylab 2 (NASA courtesy of nasaimages.org). rescellement de couronne à l’extraction). De telles formations à la dentisterie pour du personnel non chirurgien-dentiste sont déjà dispensées régulièrement en France par le service de santé des armées aux médecins affectés dans les Terres Australes et Antarctiques Françaises, mais aussi sur les sous-marins nucléaires lanceurs d’engins. Au cours des missions spatiales, en plus des soins éventuels, les CMO doivent réaliser régulièrement des examens bucco-dentaires au profit de l’ensemble de l’équipage à des fins de dépistage et de prévention. Difficulté de maintenir les compétences techniques tout au long de la mission [39]. Les missions étant de longue durée (jusqu’à 36 mois), les connaissances et la technicité acquises par les CMO durant la phase de préparation au vol doivent être entretenues pendant la mission (simulateurs, exercices, etc.). Les modalités de cette « formation continue » font l’objet de projets de recherche de la part de l’ESA, notamment au cours de missions type Mars500®. Équipements dentaires limités [40-43]. Les équipements dentaires sont limités en raison de l’importance de restreindre le poids et le volume des équipements à bord des navettes. Pour les futures missions sur Mars, le matériel dentaire doit permettre, en plus des soins, de réaliser un examen bucco-dentaire et un détartrage tous les 6 mois pour chaque membre d’équipage. La dotation dentaire comprendra notamment une caméra intra-orale haute définition, un système à faible irradiation permettant la détection des caries proximales et des infections osseuses, une pièce à main avec batterie intégrée et une lampe frontale [8]. L’ensemble des équipements est adapté à une utilisation en microgravité avec l’absence de spray qui entraînerait une diffusion de particules dans l’ensemble de l’espace de la navette. Le problème des débris dentaires projetés sous l’effet de l’utilisation d’instruments rotatifs sur les tissus dentaires se pose également. Pour la stérilisation des instruments chirurgicaux, un ozonisateur est actuellement en service dans l’ISS [44]. Evasion Difficultés liées à la microgravité. Si la microgravité a des conséquences sur la santé des astronautes, elle en a également sur la réalisation des thérapeutiques dentaires dans l’espace [8]. Au cours d’un vol pour Mars, la gravité à bord du vaisseau sera égale à environ un tiers de ce qu’elle est sur Terre [8]. De ce fait, la simple pression générée par l’injection d’anesthésique peut éloigner le patient du praticien [8]. De même, le fait que les objets “flottent” dans le vaisseau augmente le risque d’inhalation des instruments [8]. Des procédures précises de réalisation des soins doivent donc être respectées [8]. Limite de la télémédecine [39]. Si la télémédecine et la téléchirurgie sont envisageables entre la Terre et une station spatiale en orbite autour de la Terre, le système actuel de télémédecine TEMOS (Telemedical Emergency Management on Board the International Space Station) se révélerait d’une utilité limitée lors d’une mission vers Mars puisqu’au mieux les délais de communication seraient de vingt minutes entre la Terre et la navette, et qu’aucune communication ne sera possible durant la plus grande partie de la mission. Conclusion L’objectif américain d’un vol habité vers Mars dès 2035 semble inatteignable, notamment du fait des immenses contraintes des vols spatiaux de longue durée sur la physiologie humaine. Cependant, dans le domaine spatial, la réalité dépasse souvent l’imagination. Qui aurait pu imaginer, lors de l’envoi dans l’espace du premier satellite artificiel en 1957, qu’il serait possible quelques décennies plus tard de faire se poser des robots sur Mars ou sur une comète ? La concurrence internationale a toujours été le moteur de la conquête spatiale. Après s’être essoufflée avec la fin de la guerre froide, l’arrivée de nouveaux acteurs (Japon, Chine, Inde) a relancé une dynamique qui permettra sans aucun doute de lever les obstacles qui nous séparent de l’envoi dans l’espace des premiers “marsonautes”. Dans le domaine de l’odontologie, le défi de la dentisterie spatiale sera de maintenir en bonne santé bucco-dentaire et, le cas échéant, de traiter les pathologies bucco-dentaires des astronautes au cours des vols spatiaux habités de longue durée. Auteurs Mathieu Gunepin Chirurgien-Dentiste, Institut de recherche biomédicale des armées Florence Derache Chirurgien-Dentiste, Centre médical des armées de Draguignan Leon Dychter Chirurgien-dentiste, Président de l’International Association of Aerospace Dentistry Jean-Jacques Risso Institut de recherche biomédicale des armées Sélection bibliographique des auteurs Bibliographie intégrale de cet article sur : www.information-dentaire.fr 7. Menon A. Review of Spaceflight Dental Emergencies. NASA/TM–2012217368. September 2012. Accessible le 22 juin 2016 sur http://ston.jsc. nasa.gov/collections/trs/_techrep/TM-2012-217368.pdf 8. Extracting a tooth should be the last resort in space. An interview with former NASA dentist Dr Michael H. Hodapp. USA Dental tribune Asia Pacific Edition, 1er/5/2013:6-7. 9. Marshburn TH. Acute Care. In: Barratt M, Pool S, eds. Principles of Clinical Medicine for Space Flight. New York: Springer; 2008:101-122. 11. Gontcharov IB, Kovachevich IV, Pool SL. 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Evaluation by an aeronautic dentist on the adverse effects of a six-week period of microgravity on the oral cavity. International Journal of Dentistry 2011 ; 2011, article ID 548068, 5 pages,- http://dx.doi.org/10.1155/2011/548068 Correspondance : [email protected] magazine 91