DOSSIER DE PRÉSENTATION revue faire part Combe d`Arc : Mains

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DOSSIER DE PRÉSENTATION revue faire part Combe d`Arc : Mains
Combe d'Arc - Les Mains inverses
DOSSIER DE PRÉSENTATION
revue faire part
Combe d'Arc : Mains inverses
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faire part - 32/33
INTRODUCTION
« La fraîche trace de ce pied n’a pas beaucoup plus de 30 000 ans.
Cet enfant a vu la nuit dans le ciel... «
Si nous avons choisi de consacrer ce nouveau numéro de la revue « faire part » aux artistes et
créateurs de la Grotte Chauvet c’est qu’il nous est apparu que se présentait à nous l’un des événements
majeurs concernant l’Ardèche depuis toutes ces dernières années.
faire part », ardéchoise
d’origine et publication littéraire et artistique reconnue, se penche sur ce pan nouveau de notre patrimoine
culturel. Bien qu’en l’occurrence celui-ci dépasse largement les limites de notre département pour toucher
à l’ensemble mondial des populations.
Notre but n’était pas d’ajouter une publication aux nombreuses autres ayant déjà été publiées sur le
présentant des iconographies étonnantes. Nous avons voulu aborder ce dossier sur un plan totalement
inédit, strictement créatif, pictural, littéraire et poétique. Nous en tenant au cadre, déjà assez vaste, de
ce que la revue « faire part » réalise avec succès depuis plusieurs années maintenant. Cet aspect de pure
création, de moyens artistiques utilisés non seulement de la main, mais bien aussi de l’imaginaire, de la
sensibilité, et pourquoi ne pas le dire, du cœur ou de l’âme…
«
est
indispensable. Mais cette caverne est aussi un lieu de rêve.
Elle stimule l’imagination et les sentiments en des raccourcis parfois trompeurs
mais toujours enrichissants et émouvants.
Les deux attitudes occupent des registres différents. Elles ne sont pas incompatibles. »
Jean Clottes, préface
Éditions du Chassel, 2007
Il s’est agi de demander aux artistes, plasticiens et aux poètes et écrivains, ayant eu la grande chance
pu avoir cette incursion dans le passé originel de l’Art sur leur propre œuvre, la transcription qu’ils ont
pu effectivement en faire, l’impression qu’ils en ressentent encore aujourd’hui en peignant, sculptant,
écrivant…
la
fabrique de l’œuvre. »
cf. texte Christian Tran / Alain Coste.
Nous avons ensuite proposé à un ensemble d’auteurs et de plasticiens, méticuleusement choisis
pour côtoyer cet art des origines, et le trouver parmi les préoccupations de leur travail, s’y pencher avec
application, mais pour lesquels cette visite demeure utopique, d’intervenir sur ces œuvres-ci et sur ce
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Nous le découvrirons dans nos pages, parmi les auteurs et plasticiens ayant accepté notre invitation,
tous n'ont pas la même approche ni le même regard sur cette manifestation artistique que représentent les
créations de la grotte Chauvet-Combe d'Arc. Mais tous par contre se retrouvent cependant sur l'importance
essentielle de ces manifestations de l'Art, et sur le fait de les partager et partager ces regards différents,
quelquefois opposés. Toujours admiratifs, curieux, ils n'ont de cesse d'en révéler leur propre sensibilité et
s'associer à l'unanimité qui en découle.
Entre les deux gués que sont ici la revue « faire part » et le site de la grotte Chauvet, comme ce Pont
d’Arc au sud de l’Ardèche, nous avons désiré dérouler ce couloir, rouvrir ce passage entre des milliers
de siècles, rapprocher nos pratiques, nos connaissances, de celles de nos lointains aïeux, qui pour autant,
nous le verrons plus loin, ne sont parfois pas si éloignés de nos propres vies et préoccupations.
« L'art y est ici au sommet de son accomplissement, et mystérieusement il est d'une
incroyable légitimité, modernité, c'est presque de l'art contemporain. »
Pierre Oscar Lévy, Noir silence
Ainsi, et l’occasion en était trop belle, le projet amènera des auteurs à cohabiter dans une communauté
littéraire non pas autour d’un auteur, mais autour de ces rencontres essentielles sur le plan artistique pardelà le temps, par des interventions critiques, analyses ou lectures des œuvres, saisir les Mains inverses
tendues vers nous au travers de cet au-delà des Temps.
Nous désirons de plus situer ce numéro comme devant représenter une sorte d’anniversaire, celui des
dix ans de la parution de notre important dossier : Un temps ; créations actuelle en Ardèche… publié en
2003 en co-édition avec la revue passage d’encres…
peintres et rencontres résultant du hasard... qui nous ont accompagnés et permis de progresser tout au
long de la préparation de ce dossier spécial.
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faire part - 32/33
Jean-Jacques SALGON
DANS Le SeCReT De LA GROTTe ChAUveT
Curieusement, alors que les peintures ou gravures se trouvent enfouies dans les entrailles de la Terre, c’est
la métaphore céleste qui s’est imposée à moi lorsque j’ai tenté de rendre compte par écrit de ma visite. Face
à la grande fresque des lions, il m’a semblé que toutes ces bêtes étaient en train de s’envoler vers le ciel de
la Mésopotamie. Je les ai vues prises dans cet élan collectif, ce mouvement ascendant qui les portait au ciel.
Elles y sont d’ailleurs toujours, et si la pollution lumineuse ne nous prive pas du spectacle, la Grande et la
Petite Ourse, le Taureau, le Lion et Pégase le cheval continuent de nous faire signe depuis les profondeurs du
ciel boréal. C’est vers ces animaux célestes que se braquent aujourd’hui nos télescopes pour tenter d’en percer
les secrets, ce sont certains d’entre eux que continuent d’invoquer les astrologues pour tenter de tordre le cou
au temps, et c’est lorsque la nuit est bien noire, sans Lune et sans lumières, que la voûte céleste redevient celle
jour resplendir dans la lueur des torches pour se porter au seuil de la divinité.
Nicolas PeSQUÈS
AThÉOLOGIQUeS
Et si nous devions à nouveau, non pas nous convertir – car il s’agit justement
mais embrasser l’évidence de ces dessins, leur liberté, leur rayonnement, le
déploiement de leur réponse artistique, ce serait témoigner d’un monde neuf,
rugueux, dépourvu de prophètes. Ce serait empoigner le réel, saluer ses éclaireurs.
À tout le moins porter un regard laïc sur des images qui ne parlent que de la vie
sur terre, avec les bêtes et avec l’art. C’est-à-dire la nôtre, encore aujourd’hui, où
notre part animale est toujours si indignement et si mal embarquée.
N.P. 2012.
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Jacques DUPIN
ils sont à la peine ils vont
au charbon
après le mur indestructible
déjà dans les lignes de la main
l’entame est une secousse
une explosion de lumière
un trou noir
attirant la précipitation
de l’accord
Chauvet, à quelques jets de pierre
de la magnanerie désertée
on y retournera naguère
par un livre incompulsé
inachèvement du labyrinthe
en train de s’écrire
et de sinuer
entre les gisants dressés
Extrait de Coudrier, POL, 2006
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faire part - 32/33
Clayton eShLeMAN
ChAUveT, MUR GAUChe De LA ChAMBRe FINALe
Les contours de certaines parois de la grotte invitent au combat.
La foule sur le mur lisse, convexe,
force à veiller le mental qui dérive. Pour peupler
le paysage lunaire d’un mur. Pour dessiner en cratères éclairés
les convulsions et tournoiements de cet essai d’incarnation.
Leur ventre pend bas, leurs épaules
se lèvent et plongent comme des pistons, chaque touche placée
sans bruit. Panthera spelea. Plus grand que
le lion d’Afrique. Plus grand même
Joues exorbitées. Têtes se télescopant hors des têtes.
emmanuelle PAGANO
SUR LeS ÉPAULeS OU UN CORPS SUFFISANT
Pour dessiner, on n’a pas besoin de cette attente, ni de ce soulagement, on dessine avant de savoir écrire,
de dessiner sans savoir bouger son corps. Je crois que pour dessiner, il faut aussi avoir un corps, peut-être
même deux. Il faut savoir sauter, pencher la tête, la mettre à l’envers, tourner, monter et descendre les
pentes, les collines, rouler de haut en bas dans les prés. Et s’étirer. Grimper sur les épaules des autres. Je
regarde des reproductions de dessins de félins de la grotte Chauvet. Dans la salle du fond, grand panneau,
1m69 du sol, c’est-à-dire plus haut que moi, je n’aurais pas pu dessiner si haut, même si j’avais su dessiner,
même si j’avais vécu il y a trente mille ans. Je suis surprise de comprendre, en lisant ces indications dans le
malgré son âge préhistorique. Cet homme, ou cette femme, avait déjà plus de corps que moi. Peut-être
est-il porté par un autre, peut-être le sol était-il plus haut, haussé par des remblais de roches, d’alluvions,
ou plus haut qu’il ne l’est aujourd’hui, érodé depuis par des milliers d’années d’écoulements. Ce que je
la concavité de droite. Il a dessiné juché sur les épaules de quelqu’un de plus fort, de plus robuste que lui,
ou peut-être juste de plus maladroit.
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Gérard TITUS-CarMEL
SérIE dES BrISéES
Encres 21 x 22 cm - 2011
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John BeRGeR
Le PONT D’ARC
Dans les gorges de l’Ardèche se dresse le pont d’Arc, soutenu par une arche quasi symétrique de trentequatre mètres de haut, façonnée par la rivière elle-même. Sur la rive gauche s’élève une grande saillie de
calcaire, dont la silhouette érodée évoque celle d’un géant, vêtu d’une cape, qui s’avance vers le pont pour le
traverser. Derrière lui, sur la roche, la pluie a peint des taches jaunes et rouges – de l’oxyde d’ocre et de fer. Si
le géant se hasardait vraiment à traverser le pont, vu sa taille, il se trouverait tout de suite de l’autre côté de la
rivière, contre la falaise opposée, au sommet de laquelle il ne pourrait manquer l’entrée de la grotte Chauvet.
Le pont et le géant étaient déjà là au temps des Cro-Magnons. La seule différence, c’est qu’il y a trente
mille ans, quand furent réalisées les peintures rupestres, l’Ardèche serpentait encore au pied des falaises et
les animaux, toutes espèces confondues, descendaient régulièrement le sentier naturel que je grimpe en ce
moment, pour s’abreuver à la rivière. La situation de la grotte était stratégique et providentielle.
Les Cro-Magnons vivaient dans la peur et l’émerveillement, confrontés à de nombreux mystères. Leur
culture – une culture de l’Arrivée – a duré quelques mille ans. Nous vivons dans la culture de Départs et de
Progrès incessants, qui dure depuis deux ou trois siècles. La culture actuelle, au lieu de se confronter aux
mystères, essaie continuellement de les percer.
L'arche de Noé ; crue de l'Ardèche, une idée du déluge ; le Pont d'Arc - Photo Jean-Marc ELALOuF
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Jean-Marc ELALOUF
DESCENDRE
La maîtrise du feu par les hominidés remonte à plusieurs centaines de milliers d’années. Elle est
considérée comme un progrès décisif, donnant la possibilité de cuire les aliments, de se chauffer et
s’éclairer à volonté. Le confort moderne en quelque sorte, ou une autre qualité de vie comme on dit
aujourd’hui. Avec le mythe de Prométhée, les Grecs ont quelque peu élevé le débat. Les Grecs ou d’autres
bien avant eux : j’ai essayé de montrer ailleurs (Comme une présence, dans Nomad’s land) qu’un mythe
comme l’union de Pasiphaé et du taureau envoyé par Poséidon a sans doute des racines bien plus
anciennes que l’antiquité Grecque. On en retrouve en effet un équivalent graphique dans le Salle du Fond
de la Grotte Chauvet. Du feu des Dieux à sa version laïque, le feu intérieur, un continuum est perceptible,
dont l’expression le feu sacré témoigne sous une forme synthétique. Comme certains occultistes l’ont
fait observer, la lumière ou le feu est indispensable à la production de certaines opérations chimiques et
pourtant la formule qui rend compte de telles opérations omet de parler de ce feu, de cette lumière sans
quoi rien ne s’effectuerait (André Breton). Le feu dans les grottes permettait de s’éclairer et de produire
de la matière charbonneuse. Ainsi les hommes de Chauvet ont obtenu des résidus de combustion, puis
ont opéré une nouvelle transmutation. Avec du charbon et des cendres, ils ont créé quelque chose de
précieux et d’inaltérable que nous appelons l’art, qui est or du temps.
Grotte Chauvet-Pont d’Arc, accès actuel par la descenderie.
© Valérie Feruglio / Ministère de la Culture et de la Communication.
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GErMaIn rOESZ
SUITE ChaUvET
Encre, acrylique, crayon Conté sur papier, 21 x 21 cm - 2013
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Serge PeY
ChANT hALLUCINOGÈNe PRÉhISTORIQUe
POUR UN XXIème SIÈCLe À L’eNveRS
i.
ii.
iii.
iv.
v.
vi.
vii.
viii.
ix.
x.
xi.
Axolotl-ARF
Axolotl-BAOuM
Axolotl-ARF-BAOuM
Nous entendons
il était
le masque
et nous entendons
Axolotl est un chien d’eau
Et nous le savons
Axolotl
coquelicot provisoire de couteaux
xii.
xiii.
xiv.
Et nous ouvrons les
champignons qui parlent
au pied des bouses
xv.
xvi.
xvii.
xviii.
xix.
xx.
xxi.
xxii.
Les égouts des étoiles vomissent
Des bébés lumineux
mangent des moustiques
de pierres
Nous buvons
l’eau bleue
qui pleure des yeux
des cochons
xxiii.
xxiv.
xxv.
xxvi.
xxvii.
Nous-Eux
Il était Axolotl
et lui même se nommait
poids de chair vive sous les ciseaux
Axolotl berçant des poupées de verre
anthropophages
xxviii. Pieds qui parlent
xxix. dans les abattoirs
xxx.
de la neige
xxxi. Vous masques de crânes de chevaux
xxxii. dans le plastique
xxxiii.
xxxiv.
xxxv.
xxxvi.
xxxvii.
Vous Axolotl photos d’arcs géants
pour le combat qui nous retourne
Vous sommeil planté
dans l’ombre
Montagne juste
xxxviii. Nous regardons
xxxix. Axolotl BAOuM-BÊ
xl.
Axolotl CHIAC - BLuNG
xli.
Axolotl ZGRuNT-ZDOÏNG
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faire part - 32/33
arMand ShOLTÈS
GrOTTE ChaUvET
Encres sur papier, 71 x 50 cm - 2013
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Les abris ornés font partie de l'exploration entreprise par le Pyronaute
d'Arc sont des lieux qui témoignent d'une activité humaine, pariétale et
prépondérante et où les prémisses de l'enfance de l'art, toujours aussi
et les empreintes laissés par la fumée sont faites de cette même main que
l'homme représente et produit par la suie sur la roche. Troublant. Les
mains de l'homme comme des autoportraits sont les traces actives à la
Que faire sans main et sans feu.
Maintenant, les traces de vie sont autrement dans d'autres lieux.
Œuvrés par l'ignition de mèches lentes ou de gel thermique, leurs graphes
et leurs méandres apparaissent au droit des parois enduites ou sur des
subjectiles en tous genres. Ce sont des réceptacles où l'énergie fulgurante
qui agonise se sublime en trace. Ainsi le noir de fumée, la poussière de
carbone et leur pulvérulence agissent comme traces de vie ornées.
sont les traces de l'existant, du vivant tout en étant les empreintes résiduelles
du feu, celui-ci étant à l'origine de la vie. L'espèce humaine et le feu ont
besoin d'oxygène pour se mouvoir. L'une et l'autre sont indissociables
quant à leurs existences et leurs traces de vie.
ChrISTIan JaCCard
TraCES dE vIE
Suite de combustions ML sur papier, 20 x 20 cm - 2007
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SErGE PLaGnOL
POUr La GrOTTE ChaUvET
Fusain, collage, pigments sur papier de riz, 23 x 33 cm - 2013
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Christian LIMOUSIN
main ocrée & vulve charbonnée
….. rouge chauvet rouge ancien aurignacien zone rouge d’incandescendance résonance
plurielle ….. au commencement c’est rouge toujours & partout tout commence dans
la nuit rouge de la grotte fractures & rhapsodies seuil rouge seuil s’’’’’ouvre au rouge
premiers typographes premières impressions le grand corps ét’’’’’iré dé-chi-que-té d’la
grotte nue tatouée tabouée ventrecloaque après le passage de l’eau rouge exclusif
inclusif c’est trait rouge tiré d’hématite Fe2O3 pierre de sang rouge d’entrée ou de fond
où ça commence une grotte & où débute un corps un texte un tableau démarre palpite
celui indéchiffrable de la caverne territoire sensible lacis aux images formes vivantes
zone rouge ancien aurignacien quelques foyers ponctuant d’éclats le labyrinthe corps
réel idéal d’la grott’ c’est par où qu’on entr’ qu’on pénètr’ à rebours par quel perthuis
quel huis c’est où qu’on ramp’ rept’ comme des bêt’ dans la gadoue la soue dans l’boyau
Vincent CORPET
VOIR ÇA ÇA VOIR
L’Homme, dans ses diverses activités, a une fâcheuse tendance à accaparer l’historique
de cette même activité. Ainsi un physicien se prendra facilement pour Archimède, un poète
pour Homère, un historien pour Thucydide, un critique pour Diderot. Chez les artistes, le
même phénomène peut être observé, photographes, cinéastes, vidéastes connaissent tout
sur l’histoire de leur technique. Ils sont cette histoire. Pour les peintres ou les dessinateurs ou
encore les sculpteurs, il en va de même. À ceci près que cette activité tend à être la preuve de
l’apparition de l’humain. Ainsi, il n’est pas rare qu’un peintre se prenne pour un humain. C’est
sans doute pour cela que l’on nous dit mégalomanes. Notre paranoïa vient du fait que l’histoire
nous a montré qu’on nous préfère morts que vivants.
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faire part - 32/33
John BeRGeR
Le PONT D’ARC
...
Je regarde les oiseaux en amont qui plongent sous sa surface argentée. un peu plus tôt, ce matin, je suis
allé prier pour Anne, dans la chapelle, au pied des falaises. Anne est la mère de mon ami Simon, elle est en
train de mourir chez elle – dans sa maison avec un jardin – à Cambridge. Si je pouvais, je lui enverrais le bruit
de l’Ardèche, qui tinte comme une promesse à la fois infaillible et imprécise.
Les eaux ont creusé de nombreuses grottes sur le plateau du Bas-Vivarais et, depuis la nuit des temps,
ces grottes ont abrité les intrépides. Sur la route, en venant ici, j’ai pris en auto-stop un Lyonnais qui n’avait
« pas d’argent mais du temps à revendre ». il arpentait la région depuis janvier, bivouaquant dans les grottes
qu’il dénichait çà et là. Demain, je vais visiter celle de Chauvet, à trente kilomètres en aval. La grotte Chauvet
a été rouverte en 1994 pour la première fois depuis la période glaciaire. J’y verrais les peintures rupestres les
plus anciennes que l’on connaisse au monde : de quinze mille ans plus anciennes que celles de Lascaux ou
d’Altamira.
Fred GRIOT
UNE ÉCRITURE DE PAROI
connexion
Sans avoir pu visité la grotte Chauvet, elle m’a pourtant profondément touché dès sa découverte…
par sa beauté immédiate, et par son ancienneté, tout autant que par le sens qu’elle porte pour l’homme de
l’époque comme pour celui d’aujourd’hui… et donc pour l’artiste contemporain, laissant trace, lui aussi, tout
comme nos ancêtres aurignaciens…
En ressentant et cherchant cette connexion, cette filiation, il y a une volonté de donner à voir et à
comprendre peut-être un peu mieux ce qui se joue là, comme enjeux pour nous, les descendants. Enjeux de
« lignage », d’héritage, pour notre vision et notre rapport au monde, aujourd’hui. Tenter de retracer le fil c’est
ressentir et comprendre la permanence de l’élan, du mouvement, du geste, de la trace et du signe, entre la
sensibilité, la vision, l’art pariétaux et la sensibilité, la vision, l’art contemporains. Car il s’agit, à mon sens ici,
du même geste, et de « la » même geste, qui se perpétuent.
Même si la portée symbolique diffère peut-être, je me sens, en dessinant, en écrivant, humble successeur
de ceux qui ont dessiné, peint et gravé à Chauvet… En écrivant, en dessinant à nouveau toutes ces figures
pariétales ou rupestres, en s’en inspirant librement, c’est « re-tracer » ce geste… pour ressentir, comprendre
et poursuivre cette continuité de l’expression de notre rapport au monde, ainsi que pour poursuivre nos
interrogations sur le sens et l’incarnation en signaux de nos propos (donc aussi sur les origines : du signe,
du parler, des langues), en passant par cette observation des traces et dessins, narrés et scénographiés,
laissés par nos anciens prédécesseurs, depuis l’Aurignacien… au moins.
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Deux mains pétrissent une simple boule de terre, l’arrondissent
comme une petite planète ou comme un ventre, et par ce geste
primitif, doucement un monde, à la fois intime et cosmique, se crée.
Car la terre, sans doute plus que tout autre matériau, induit pour
l’artiste qui la travaille, un lien entre le plus archaïque, le plus
profond de soi et la vastitude du monde.
Certes le feu primitif s’est éteint, mais par la cuisson il sera
rappelé. Et son opposée complémentaire, l’eau, nécessaire à
éprouver la souplesse et la douceur des formes, est là puisée dans le
petit bassin de barbotine. L’air du séchage, si évident qu’on l’oublie,
vient compléter le carré des quatre éléments premiers énoncés par
la physique antique.
J-C Villain, extrait de préface d’une exposition de MJ. Armando
MarIE-JOSé arMandO
EMPrEInTES
Grès biscuité, 5 x 3,5 x 2,5 cm - 2013
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faire part - 32/33
CÉRÉMONIe DANS LA GROTTe
Traits charbonneux. Pigments épais. Flammes vacillantes. Et gouttes parfois, à même le crâne. Sueurs.
dominer ses sorts. Son esprit me tient. Entre elle et moi, une fois encore le bison m’assure. Il m’abrite. Seul
rempart, je sais compter sur lui. Sa masse m’a déjà sauvé. Sa crainte aussi : quand je crie, soudain raide sur
ses pattes, il s’immobilise. Je le vois trembler. Ou serait-ce le vacillement des torches ? Elles déforment tout
alentour, étirent, déplacent. Comme dans les grondements terribles de l’orage, la furie des tempêtes, avec
elles tout chavire.
Gil JOUANARD
AVANT LASCAUX, LA GROTTE CHAUVET
INTERROGEAIT LE MONDE ET LA VIE
La « modernité », qui commence avec le pragmatique Néolithique (voilà environ dix ou douze
mille ans, si l’on prend en compte ses prémices mésopotamiens et anatoliens) n’a pas seulement
fait disparaître le mode de vie nomade ou semi-nomade que les Primates bipèdes et bimanes de
la classe des mammifères avaient mis au point probablement dans un coin de savane du nord-est
de l’Afrique. Elle a aussi mis fin à un type de rapport, paradoxalement fruste et raffiné à la fois, avec
l’énigme fondamentale (dont les avatars religieux devinrent par la suite des recueils de dogmes et
de rites abstraits et généralement arbitraires, déconnectés de toute réalité tangible).
Ceux que nous avons coutume d’appeler les Homo Sapiens-Sapiens, dits aussi « Hommes
modernes », inventèrent de toute pièce, sur une intuition ou une brusque impulsion dont les
témoignages sporadiques subsistent en quelques endroits du monde, une façon de manifester, en
les figurant, leurs peurs et leurs attentes, leurs interrogations aussi, et peut-être déjà des embryons
de réponses.
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
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faire part - 32/33
Mireille CLUZeT
L'IMAGe ReLIe – ReLIGARe
L’attaque de la paroi
A l’instant même où se pose la trace
Sur la paroi, sur le support
L’idée d’image s’inscrit, comme une urgence
Miracle de la pensée qui se fait forme
Comme une incarnation
Re - présenter le monde
Saisir le réel dans l’ interface du visible et du lisible
Être là
Eikon, Inséparable
Et aussi Figure
résiste au temps et au corps qui l’a tracée
S’impose au regard au delà de ses effacements
Elle nous engage dans un processus imaginant
Condensé ouvert de pensées divergentes
Indice d’un acte, d’une présence, d’un passage
Elle nous emmène parfois vers Eidolon, vers l’Idôle, qui fera Symbole et cherche à nous
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Patrick BEURARD-VALDOYE
NARRER L’ÉBLOUISSEMENT
...
Suggérer le privilège, mais ne rien dire de l’éblouissement. Jamais le terme anglais evidence
n’est plus évocateur pour qualifier ces témoignages. Que des scientifiques – ou même des
sculpteurs – ne parviennent à nous transmettre leurs émotions – ou y rechignent – n’est en soi
pas une surprise : ce n’est ni leur aspiration ni leur métier. L’approche théorique assume la part
de compréhension et de pénétration, laissant de côté les accès d’émotion. Mais que personne
– semble-t-il – au Ministère de la Culture (& de la Communication) n’ait songé à solliciter ceux
qui ont vocation à le faire – ou pour être plus précis, dont l’art consiste à inventer une expression
(mais aussi une forme) à restituer l’éblouissement – me semble proprement stupéfiant.
Il faudrait nous faire ressentir l’étouffement dû à la semi-obscurité, à la réclusion, mais aussi
au gaz carbonique présent. L’oppression proviendrait aussi de cette redoute de l’inconnu venant
du poids des millénaires, où le savoir laisse place à l’imagination. Il faudrait nous faire effleurer
le désir empathique de rencontrer ces êtres, dont la subite présence s’installe, intime jusqu’à
donner la chair de poule. Ce visiteur primitif pris d’effroi qui, par ses gestes et le jeu d’ombres de
sa seule lampe à graisse, du fait encore des irrégularités de la paroi comme des recoins ornés,
induisait une véritable animation rendant mouvants, et bien sûr dangereux, ces lions aux aguets.
Et que dire de la beauté des effigies ?
Julien BLAINe
5 FeUILLeS = 1 SeUL SIGNe
Je réinvente des rites certainement inexacts, mais aujourd’hui, en art contemporain cette
appropriation, cette inexactitude, cette erreur s’intitule performance,
pour moi un poème en chair et en os & à cor et à cri.
C’est dans ce numéro-là, aussi, que j’ai publié la photographie du berceau de Brassempouy
avec son nourrisson ou du cercueil avec son gisant.
le lange et le linceul
l’ange et l’un seul.
...
Et je découvre la grotte Chauvet avec Jean Clottes !
Il me décrit la Vénus du pendant rocheux de la salle du fond (toujours cachées et au fond,
les vulves) :
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ChrISTIan SOrG
La faLaISE dE La GrOTTE ChaUvET
Huile sur papier, 22 x 42 cm - 2011
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Rémy FROGeR
PaS d’hISTOIrES
1
… sinon d’une manière silencieuse au bout d’une très longue marche
bien avant que l’histoire ne nous liste les choses que l’on reconnaitra.
Nous demeurons dans les zones de passage - demeurons n’est jamais identique.
Ne nous habituons pas - continuons à lire - ruissellement sans ponctuation empilement - je compte jusqu’à trois quatre - le récipient - est-ce naturel
*
silence : lumière arquée, soudaine relique, ligne la tête aussi dure
2
colline montagne - ici je vais t’inscrire un récit retourné par un trait
trop épais – l’épaisseur change toute la composition - ici tu devrais être
quelque part en dehors - les couleurs se construisent un hiver entier nous pensons à la lisière d’un cours d’eau de bruits d’arbres qu’entendons-nous qui ne devrait exister que passé neuf effacé
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faire part - 32/33
BErnadETTE TInTaUd
PIErrES PaLIMPSESTES
Photographies couleur, 130 x 91 cm - 2009
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Marcelin PLEYNET
PRÉHISTOIRE DE L'ART
“ LA GROTTE CHAUVET ”
« Les hommes, quand ils sont saisis par la terreur,
inventent en même temps qu’ils croient. »
Tacite, repris par Vico dans La Scienza nuova.
2) Le paysage
Il faut dire que l’emplacement de la grotte Chauvet facilite à la fois la surprise et l’engouement. Elle se
situe en effet dans un cadre d’une très grande beauté.
À quelque 30 km du chef-lieu qu’est Privas, l’entrée des gorges de l’Ardèche est commandée par le Pont
d’Arc. Ce phénomène géologique exceptionnel dans le monde, se présente comme une arche naturelle
sous laquelle coule une rivière permanente. Cette arche est le résultat du travail des eaux qui, après
avoir encaissé un méandre dans la masse calcaire (le cirque d’Estre), en a coupé souterrainement le
pédoncule.
L’action des eaux, souterraines au Pont d’Arc, est omniprésente dans les gorges, elle est à l’origine des
centaines de cavités et de plusieurs grottes : entres autres la grotte de la Madeleine, la grotte de Saint
Marcel et finalement l’importante grotte Chauvet.
L’ensemble est situé le long des gorges de l’Ardèche, dans une réserve naturelle. Toutes les grottes
s’ouvrent ainsi dans les escarpements calcaires des falaises qui surplombent l’ancien cours d’eau de
l’Ardèche.
Le paysage s’impose avec une force visuelle associant le gris lumineux des falaises au luxe de la végétation,
du vert clair des buissons au vert plus foncé des arbres. Sans oublier le vert pastel des plantations et
cultures contemporaines qui semblent présenter et actualiser l’ensemble sans âge d’un spectacle vivant
naturel et frais dans la lumière du premier jour...
Les spécialistes nous informent que le Pont d’Arc existait déjà au paléolithique. Mais y eut-il jamais un
premier jour ?
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CLaUdE vIaLLaT
MaInS InvErSES
Photos © Jean-Pierre Loubat
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Pierre Oscar LÉvY
NOIR SILeNCe
En juin 1996, Jean-Marie Barbe fondateur des État-Généraux de Lussas (village ardéchois,
à 30 kms de Vallon-Pont d’Arc) m’invite à réaliser un documentaire sur la Grotte Chauvet, dont
l’existence a été révélée en Janvier 1995. Je suis un documentariste
...
L’autorisation de prise de vues, dans la grotte elle-même, délivrée par le Ministère de la Culture,
en 2001 seulement, comporte 12 pages d’obligations et de règles. Cela donne une petite idée de la
grotte, les « inventeurs » – ceux qui ont découvert la cavité – nous ont assigné devant les tribunaux pour
tenter de nous empêcher d’y pénétrer avec une caméra.
Jean Gabriel COSCULLUeLA
ReTOURNONS vOIR L'INvISBLe
Cette grotte, à l’aplomb du ciel, dans la pierre, la roche, la terre et près de l’eau, a tout son
temps depuis trente-six mille ans, pour troubler, déplacer ce que nous pensons savoir ou plus
abruptement et le plus souvent ce que nous ignorons de l’image, de la première image, de son
commencement sans cesse, car l’image au bout de tout ce temps nous manque encore.
Il suffit d’un chemin nu, d’une promenade sur la terre et la pierre, la roche, au-dessus de la
grotte, d’un appel d’air là-haut, et de la tombée des corps dans la terre, le noir, dans la lumière du
noir, malgré l’étroit.
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ChrISTIan JaCCard
TraCES dE vIE
Suite de combustions ML sur papier, 20 x 20 cm - 2007
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
Gérard TITUS-CARMeL
TeMPS MORT
Mais voilà que cette main a baigné dans l'ocre de la terre molle et qu'elle vient de transporter
sur le mur la parfaite empreinte de la paume et des doigts, toujours écartés par la surprise
de la chute, à cet instant où elle ouvrit à l'approche du sol tout son empan, comme pour se
garantir de descendre encore plus bas, jusqu'à l'origine. Car au moment de la chute, dans le
vertige de ce bref épisode où tout s'effondre dehors et dedans, on se retient, on s'accroche,
le genou douloureux – mais aussi avec un dessin sur le mur.
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MIqUEL BarCELÓ
CahIEr dE féLInS
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Combe d'Arc - Les Mains inverses
MIqUEL BarCELÓ
anIMaLarI II (rEnIfLEUr)
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SOMMAIRE
Auteurs, poètes, critiques :
Marc AZÉMA - Christian ARTHAUD - Jean-Marc BAILLIEU - John BERGER - Patrick BEURARD-VALDOYE
- Julien BLAINE - Claude CHAMBARD - Alain CHANÉAC - Jean CLOTTES - Vincent CORPET - Jean Gabriel
COSCULLUELA - Alain COSTE - Jacques DEMARCQ - Jacques DUPIN - Jean-Marc ELALOUF - Clayton
ESCHLEMAN - Serge FAUCHIER - Rémi FROGER - Fred GRIOT - Christian JACCARD Gil JOUANARD Pierre Oscar LÉVY - Christian LIMOUSIN - Rapahël MONTICELLI - Emmanuelle PAGANO - Nicolas PESQUÈS
- Serge PEY - Marcelin PLEYNET - Germain ROESZ - Jean-Jacques SALGON - Gérard TITUS-CARMEL Christian TRAN - Romain VERGER - Dominique VIART - Jean-Claude VILLAIN
Peintres, plasticiens :
Marie-José ARMANDO - Miquel BARCELÓ - Mireille CLUZET - Gérard GAROUSTE - Christian JACCARD
- Serge PLAGNOL
- Germain ROESZ - Léonardo ROSA - Armand SCHOLTÈS - Christian SORG Bernadette TINTAUD - Gérard TITUS-CARMEL - Gilles TOSELLO - Gérald THUPINIER - Claude VIALLAT
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