Qualité nutritionnelle des protéines de la viande
Transcription
Qualité nutritionnelle des protéines de la viande
Qualité nutritionnelle des protéines de la viande Didier REMOND Christelle DUCHÈNE LES 3 POINTS FORTS : COMPOSITION, DIGESTIBILITÉ ET VITESSE DE DIGESTION Teneur en acides aminés indispensables, % des protéines 50 Viandes de bœuf Produits tripiers de bœuf Bavette Faux-filet Foie Hampe Macreuse Cœur Tende de Entrecôte tranche 45 40 Plat de Côte Langue Paleron Rognons Joue 35 30 0 4 8 12 16 Teneur en collagène, % des protéines 20 24 Figure n° 2 Composition en acides aminés de viandes et produits tripiers de bœuf se différenciant par leur teneur en collagène [6] g/100 g deprotéine 20 Bavette Paleron Joue 15 10 Acides aminés indispensables 5 an As Ar Al gi in e ni pa ne ra g Cy ine s té Gl u t in e am i G l ne yc in Pr e ol in Sé e r Hy i dr Tyr ne ox os i y- ne pr ol in e 0 Is o din le e uc Le in e uc in e M Lys é Ph th ine én ion y la in la e T h nim Tr réo e y p ni to ne ph an Va e li n e Les différentes viandes ont en commun plusieurs caractéristiques nutritionnelles : des apports significatifs Relation entre les teneurs en collagène et acides aminés indispensables (AAI) dans les viandes et produits tripiers de bœuf [6] s ti Une composition protéique peu variable selon les viandes Figure n° 1 Hi Les protéines jouent plusieurs rôles fondamentaux pour notre organisme : enzymes, hormones, récepteurs, protéines de structures, etc. Pour remplir leurs fonctions, elles doivent être renouvelées en permanence, ce qui requiert la présence simultanée de tous les acides aminés qui les composent. Si certains peuvent être synthétisés par l’organisme, neuf d’entre eux, appelés acides aminés indispensables (AAI)*, doivent être apportés par l’alimentation. Les besoins en acides aminés chez l’Homme adulte correspondent principalement au remplacement des pertes métaboliques et digestives. La qualité d’une source alimentaire de protéines va donc être évaluée en premier lieu selon sa capacité à satisfaire quantitativement et qualitativement ces besoins, ce qui dépend de sa composition en AAI et de sa digestibilité. D’autres critères peuvent compléter cette notion de qualité : la vitesse de digestion qui conditionne l’efficacité d’utilisation des acides aminés alimentaires par l’organisme, le rôle spécifique de certains acides aminés comme, par exemple, celui de la leucine dans le déclenchement de la synthèse protéique musculaire. PRONUTRIAL De 2010 à 2013, le programme Pronutrial a étudié la digestion des produits carnés et l’impact des procédés sur celle-ci dans le but d’optimiser la qualité des apports alimentaires protéiques. Plusieurs unités de l’INRA (*), l’ADIV (Institut technique Agro-Industriel des filières viandes) et le CIV (Centre d’Information des Viandes) ont collaboré à ce programme cofinancé par l’ANR (Agence Nationale de la Recherche). (*) (UR 370 Qualité des produits Animaux, UMR 1019 Unité Nutrition Humaine, UMR 914 Physiologie de la Nutrition et Comportement Alimentaire) PROCÉDÉS DE TRANSFORMATION DES VIANDES T° cuisson, hachage, sel, pH DIGESTION IN VITRO ET IN VIVO DES PROTÉINES CARNÉES Modélisation * Neuf acides aminés indispensables : histidine, isoleucine, leucine, lysine, thréonine, méthionine, phénylalanine, tryptophane, valine. VERS UNE QUALITÉ NUTRITIONNELLE PROTÉIQUE OPTIMISÉE Qualité nutritionnelle des protéines de la viande Les 3 points forts : composition, digestibilité et vitesse de digestion en fer héminique, en zinc, en sélénium, en vitamines du groupe B et, bien sûr, leur richesse en protéines : 17 à 23 g de protéines pour 100 g de viande [6]. La structure des viandes et leur composition biochimique peuvent toutefois différer selon l’origine animale, les morceaux considérés et les modes de préparation (hachage, marinage, cuisson, etc.). La proportion de collagène constitue par exemple le principal facteur de variation de la composition en acides aminés d’un morceau à un autre : plus la viande est riche en collagène moins elle contient d’AAI (Figure n° 1). Toutefois, même pour des proportions importantes de collagène (20 % dans la joue), l’impact sur la composition en AAI reste modéré (Figure n° 2). Une composition adéquate en acides aminés Globalement, la composition en acides aminés des protéines de la viande cor- respond aux besoins de l’Homme pour accroître ou renouveler les protéines corporelles (Tableau n° 1). Il n’est donc pas nécessaire d’ingérer de grandes quantités de viande pour couvrir les besoins en acides aminés indispensables. A contrario, certains aliments protéiques d’origine végétale ont une composition déséquilibrée en AAI ; la couverture des besoins requiert donc des quantités très importantes ou bien une complémentation. Les céréales présentent, par exemple, des teneurs limitantes en lysine et les légumineuses, de faibles concentrations en acides aminés soufrés (méthionine + cystéine) (Tableau n° 1). Tableau n° 1 Composition en acides aminés de différentes sources de protéines (g/100 g de protéine). Protéine de b référencea [1] Bœuf [6] Lait [17] Histidine 1,7 3,1 2,7 Isoleucine 2,7 4,7 6,4 Leucine 5,9 8,1 10,7 Lysine 4,5 8,9 7,9 Méthionine (+ cystéine) 2,3 5,8 3,4 Phénylalanine (+ tyrosine) 4,1 7,7 10,4 Thréonine 2,5 5,3 4,6 Tryptophane 0,6 1,5 1,4 Valine 2,7 4,9 7,0 Acides aminés Blé [17] 2,4 4,6 7,9 3,2 4,4 9,0 3,7 1,3 5,3 Pois [17] Soja [17] 2,5 4,5 8,4 7,2 2,1 9,1 3,9 1,0 5,0 2,2 4,7 7,5 5,0 3,1 8,6 4,0 1,2 5,9 a Profil établi sur la base des besoins moyens de l’organisme [1]. b Composition en acides aminés indispensables du Faux-filet [6]. EVOLUTION DES MÉTHODES D’ÉVALUATION DE LA QUALITÉ NUTRITIONNELLE DES PROTÉINES ALIMENTAIRES Jusqu’à présent, la méthode de référence pour évaluer la qualité des protéines alimen- Indice DIAAS (Digestible Indispensable Amino Acid Score) de différentes sources de taires était le PD-CAAS (Protein Digestibility protéines alimentaires Corrected Amino Acid Score) recommandé Bœuf Lait Blé Pois Soja par la FAO/WHO [9]. Le PD-CAAS correspond Digestibilité iléale à la digestibilité de la protéine multipliée 92 [13] 95 [10] 90 [4] 89 [11] 92 [12] réelle, % par l’indice chimique. Pour calculer celui-ci, Acide aminé digestible par rapport à la protéine de référence [1] la teneur de chaque AAI dans la protéine Histidine 1,98 1,52 1,27 1,31 1,18 concernée est exprimée en pourcentage Isoleucine 1,50 2,26 1,54 1,49 1,60 par rapport à la teneur de cet acide aminé Leucine 1,31 1,72 1,20 1,27 1,16 dans la protéine de référence. Le plus faible Lysine 1,87 1,68 0,65 1,43 1,02 pourcentage, c’est-à-dire celui de l’acide Méthionine (+ cystéine) 2,31 1,39 1,71 0,82 1,23 aminé dit « limitant », constitue l’indice (AAS) chimique du produit. Phénylalanine 1,73 2,41 1,98 1,98 1,90 (+ tyrosine) Ce critère souffre cependant d’imprécisions. a Profil établi sur la base des besoins moyens de l’organisme [2]. b Composition en AAI du faux-filet [1]. Thréonine 1,93 1,74 1,33 1,39 1,44 La digestibilité utilisée est le plus souvent Tryptophane 2,04 2,23 1,93 1,49 1,82 celle mesurée sur l’ensemble du tube digestif Valine 1,58 2,48 1,77 1,66 1,58 et non dans l’intestin grêle. Et elle ne tient DIAAS, % 131 (Leu) 139 (AAS) 65 (Lys) 82 (AAS) 102 (Lys) pas compte du fait que la digestibilité peut différer selon les acides aminés. Aussi, en la composition et de la digestibilité dans possible d’utiliser la digestibilité iléale glo2013, la FAO a proposé un nouvel indice, l’intestin grêle de chacun des acides aminés bale de la protéine comme valeur moyenne le DIAAS (Digestible Indispensable Amino indispensables [8]. La digestibilité iléale réelle pour tous les acides aminés. C’est cette Acid Score) non plus calculé sur la base du étant encore très rarement mesurée pour les digestibilité que le programme PRONUTRIAL seul acide aminé limitant mais à partir de acides aminés individuels, il est cependant a évalué pour la viande. Une digestibilité réelle de 92 % Chez l’Homme, la digestibilité des protéines de la viande dans l’ensemble du tractus digestif (mesurée à partir de prélèvements au niveau fécal) est très élevée (97-100 %) [21]. Cependant, seule la digestion dans l’intestin grêle permet de libérer des acides aminés biodisponibles pour l’organisme. C’est cette digestibilité réelle (quantité digérée dans l’intestin grêle rapportée à la quantité ingérée), mesurable par des prélèvements au niveau de l’iléon, que le programme PRONUTRIAL a évalué. Une étude préliminaire sur des porcs nains a démontré l’efficacité de la digestion de la viande dans l’intestin grêle avec une Figure n° 3 Effet de la quantité de viande ingérée sur la quantité de protéines non absorbées dans l’intestin grêle et entrant dans le côlon (dosage de l’azote) [3] Quantité cumulée d’azote (N) alimentaire entrant dans le colon, g 0,5 Viande ingérée, g 65 100 135 0,4 N ingéré, g N digéré, g Digestibilité réelle, % 3,42 3,24 95 % 5,13 4,90 96 % 6,83 6,51 95 % 65 g 100 g 135 g 0,1 0,0 1 2 3 4 5 Temps, h 6 7 8 9 Figure n° 4 Effet de la température de cuisson à cœur sur la vitesse d’apparition des acides aminés dans le plasma [3] Augmentation postprandiale de la concentration plasmatique en AAI, M 900 750 95°C 600 75°C 450 60°C 300 150 0 0 60 120 180 240 La quasi-totalité des acides aminés apportés par la viande est donc absorbée. De plus, les viandes n’induisent pas de réaction notable au niveau du tractus digestif susceptible d’accroître les pertes de protéines endogènes comme cela peut se produire avec des aliments d’origine végétale dont les fibres augmentent les pertes de protéines par desquamation et dont certains facteurs "antinutritionnels" tels que les lectines stimulent la sécrétion de protéines intestinales (mucines, etc.). PRONUTRIAL a également montré que la température de cuisson (60 à 95°C pendant 30 minutes) n’avait pas d’impact significatif sur la digestibilité dans l’intestin grêle bien que le chauffage induise des modifications de la structure des protéines [3, 13]. 0,3 0,2 quantité digérée bien proportionnelle à la quantité ingérée (Figure n° 3) et une digestibilité iléale de 95 % [3]. Une étude sur des volontaires sains a confirmé cette observation, avec une digestibilité iléale moyenne de 92 % [13]. Temps, min La température de cuisson : un levier pour optimiser la vitesse de digestion La cinétique de digestion des protéines alimentaires conditionne l’efficacité de leur assimilation. La cinétique optimale n’est pas nécessairement la même pour tous les sujets. Chez les personnes âgées, il est préférable de consommer des protéines rapidement digérées pour accélérer l’augmentation de la concentration en acides aminés dans le sang après la prise alimentaire et relancer ainsi la synthèse des protéines corporelles. Chez les jeunes adultes, en revanche, la vitesse de digestion a peu d’impact sur le métabolisme protéique [7]. La viande, quelle que soit son origine, est considérée comme une source de protéines à digestion rapide [16, 18, 20]. Les analyses à la fois in vitro et in vivo chez l’animal, menées dans le cadre de PRONUTRIAL, ont montré que la vitesse Qualité nutritionnelle des protéines de la viande Les 3 points forts : composition, digestibilité et vitesse de digestion de digestion peut être modulée par la température de cuisson à cœur [2, 3]. Cette relation n’est toutefois pas linéaire : dans l’étude in vivo, la vitesse d’apparition des acides aminés dans le sang suite à l’ingestion de viande est supérieure pour FIGURE N° 5 Effet de la température de cuisson à cœur sur la conformation des protéines et l’accessibilité des enzymes digestives à leur site de coupure [2] Enzymes digestives 60°C Protéine native 75°C Protéine dénaturée 95°C Protéines agrégées une température de cuisson à cœur de 75°C (bien cuite) par rapport à des cuissons à 60° C (saignant-rosé) ou à 95°C (bouillie) (Figure n° 4) [3]. Ceci s’expliquerait par la combinaison, selon la température à cœur, de deux processus aux effets antagonistes (Figure n° 5) [2] : la dénaturation des protéines qui, jusqu’à des températures de 75°C, augmenterait le nombre de sites de coupures accessibles aux enzymes, ce qui conduirait à leur plus grande digestibilité, la forte agrégation de ces protéines qui, pour des températures supérieures à 95°C, limiterait l’accessibilité aux sites de coupure et réduirait ainsi la digestibilité. LES PERSONNES ÂGÉES : DES BESOINS SPÉCIFIQUES EN PROTÉINES DE QUALITÉ Une des caractéristiques majeures du vieillissement est le déclin progressif de la masse musculaire, conduisant à la sarcopénie. A un stade avancé, celle-ci entraîne une fragilisation et une perte progressive de l’autonomie de l’individu. Associée au maintien d’une activité physique régulière, la nutrition protéique permet de ralentir son développement [5]. De par sa densité en protéines de bonne digestibilité, riches en AAI et rapidement digérées, la viande constitue un aliment important pour les personnes âgées. Des travaux récents soulignent son intérêt dans l’alimentation des personnes âgées pour relancer la synthèse protéique musculaire [19] ; à quantité équivalente de protéine, la viande est plus efficace qu’une source de protéines végétales assez bien équilibrée en AAI, telle que le soja [15]. Toutefois, une baisse importante de l’efficacité masticatoire qui s’accompagne d’une déglutition de morceaux de viande moins déstructurés, peut ralentir la digestion des protéines et l’apparition des acides aminés dans le sang. Ce ralentissement est dommageable pour les personnes âgées puisqu’il s’accompagne d’une moins bonne utilisation des acides aminés pour la synthèse des protéines corporelles [16]. Le hachage de la viande accélère la vitesse de digestion et entraîne une meilleure assimilation des protéines [14]. BIBLIOGRAPHIE 2. Bax ML, et al. (2012). Cooking temperature is a key determinant of in vitro meat protein digestion rate: investigation of underlying mechanisms. J Agric Food Chem 60: 2569-76. 3. Bax ML, et al. (2013). Effects of meat cooking, and of ingested amount, on protein digestion speed and entry of residual proteins into the colon: a study in minipigs. PlosOne 8(4): e61252. 4. Bos C, et al. (2005). Postprandial metabolic utilization of wheat protein in humans. Am J Clin Nutr 81(1): 87-94. 5. CIV (2012), L'alimentation des seniors - Prévenir la sarcopénie et la dénutrition. 6. CIV-INRA (2009). Valeurs nutritionnelles des viandes crues www.lessentieldesviandes-pro.org 7. Dardevet D, et al. (2012). Muscle wasting and resistance of muscle anabolism: 'the anabolic threshold concept' for adapted nutritional strategies during sarcopenia. Sci World J 2012: 269531. 8. FAO (2013). Dietary protein quality evaluation in human nutrition: Report of an FAO Expert Consultation, FAO Food and Nutrition Paper 92. Rome: FAO. 9. FAO/WHO (1991). Protein quality evaluation: Report of the Joint FAO/WHO Expert Consultation, FAO Food and Nutrition Paper 51. Rome: FAO. 10. Gaudichon C, et al. (2002). Ileal losses of nitrogen and amino acids in humans and their importance to the assessment of amino acid requirements. Gastroenterology 123(1): 50-9. 11. Gausserès N, et al. (1997). [15N]-labeled pea flour protein nitrogen exhibits good ileal digestibility and postprandial retention in humans. J Nutr 127: 1160-65. 12. Mariotti F, et al. (1999). Nutritional value of [15N]-soy protein isolate assessed from ileal digestibility and postprandial protein utilization in humans. J Nutr 129(11): 1992-7. 13. Oberli M, et al. (2013). Impact des barèmes de cuisson sur la digestion des protéines de viande chez l'Homme. Nutr Clin Metab 48: S41. 14. Pennings B, et al. (2013). Minced beef is more rapidly digested and absorbed than beef steak, resulting in greater postprandial protein retention in older men. Am J Clin Nutr 98: 121-128. 15. Pillips SM (2013). Nutrient-rich meat proteins in offsetting age related muscle loss. Meat Sci 92: 174-178. 16. Rémond D, et al. (2007). Postprandial whole-body protein metabolism after a meat meal is influenced by chewing efficiency in elderly subjects. Am J Clin Nutr 85: 1286-1292. 17. Souci, Fachmann, Kraut (2000). Food composition and nutrition tables. CRC Press. 18. Soucy J, et al. (1998). Protein meals and postprandial thermogenesis. Physiology& Behavior 65: 705-709. 19. Symons TB, et al. (2009). A moderate serving of high-quality protein maximally stimulates skeletal muscle protein synthesis in young and elderly subjects. J Am Diet Assoc 109: 1582-1586. 20. Uhe AM, et al. (1992). A comparison of the effect of beef, chicken and fish protein on satiety and amino acid profiles in lean male subjects. J Nutr 122: 467-472. 21. Young VR, et al. (1975). Protein requirements of man: comparative nitrogen balance response within the submaintenance-tomaintenance range of intakes of wheat and beef proteins. J Nutr 105: 534-542. Mai 2014 1. AFSSA (2007). Apports en protéines : consommation, qualité, besoins et recommandations.