Avis n°2011-01

Transcription

Avis n°2011-01
Avis n°2011-01 du 15 septembre 2011
relatif à l’exigence d’une assurance de responsabilité civile pour dommages
directs ou indirects sous peine de résiliation du contrat
La Commission interprofessionnelle des pratiques contractuelles, ci-après dénommée « CIPC »,
Vu le courrier électronique, reçu le 19 juin 2011 et enregistré sous le numéro CIPC-2011-06-01, par
lequel un producteur de lait a saisi la CIPC d’une demande d’avis relative à l’obligation de souscrire
une police d’assurance responsabilité civile pour couvrir les dommages directs ou indirects
susceptibles d’engager sa responsabilité sous peine de résiliation du contrat ;
Vu le code civil ;
Vu le code des assurances ;
Vu les observations formulées par l’entreprise de transformation auteur de projet de contrat, reçues
par courrier le 26 juillet 2011 ;
Vu les autres pièces du dossier ;
Questions posées à la Commission
1. La clause contractuelle, objet de la demande d’avis, est rédigée dans les termes suivants :
« Le producteur doit être titulaire d’une police d’assurance couvrant, au titre de sa responsabilité
civile professionnelle, les dommages directs ou indirects susceptibles d’engager sa responsabilité. Il
fournira annuellement une attestation de son assureur indiquant les risques couverts, le montant des
garanties, et précisant que les fournitures de lait sont garanties par ladite police. A défaut, le présent
contrat sera susceptible d’être résilié de plein droit. »
2. Le producteur auteur de la saisine interroge la Commission sur la question de savoir ce que recouvre
la notion de « dommages indirects » et sur l’étendue de la couverture assurantielle exigée, dans la
mesure où une clause de résiliation unilatérale est attachée à cette obligation.
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3. Il lui demande également s’il peut de la même façon exiger de l’entreprise cocontractante une
assurance sur les hommes et les matériels intervenant sur son exploitation.
Avis de la Commission
4. La responsabilité civile naît de l’obligation faite à chacun de réparer les dommages causés à autrui.
L’assurance de responsabilité civile offre, quant à elle, une garantie contre le risque d’indemnisation
d’une victime à la suite d’un dommage engageant la responsabilité de la personne assurée.
5. La Commission estime qu’il est légitime que figure dans un contrat ayant pour objet la fourniture et
la collecte de lait une obligation d’assurance pour couvrir les risques liés à l’activité respective des
parties.
6. Elle relève que l’étendue de la responsabilité civile est définie au cas par cas par le juge. Dès lors, elle
considère que la mention d’une assurance couvrant les « dommages directs et indirects » est
superflue.
7. Il appartient au final à chacune des parties de souscrire une police d’assurance comprenant des
garanties, des montants d’indemnisation et des limitations de couverture adaptées à son activité.
Délibéré et adopté par la Commission Interprofessionnelle des Pratiques Contractuelles en sa séance
du 15 septembre 2011, composée de MM. BAZIN Gérard, CHEVALLIER Régis, FINOT Denis, GRIFFONI
Jean-François, GUILLOUX Patrice, LEPETIT Pierre, LOUSTAU Jean-Louis.
Le Président,
Pierre Lepetit
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Analyse
Sur la notion de dommages indirects
1. La responsabilité civile naît de l’obligation faite à chacun de réparer les dommages causés à autrui.
2. La responsabilité civile découle des dommages occasionnés tant par une faute intentionnelle (le
délit) que par une faute non intentionnelle (le quasi-délit). Selon que la faute dommageable
intervient en dehors ou à l’occasion d’un contrat, s’appliquera le régime de la responsabilité
extracontractuelle ou bien celui de la responsabilité contractuelle.
3. La responsabilité extracontractuelle est fondée sur les articles 1382 et suivants du code civil. En vertu
de l’article 1382, « tout fait quelconque de l’homme qui cause à autrui un dommage, oblige celui par
la faute duquel il est arrivé à le réparer. » En complément, l’article 1383 ajoute : « chacun est
responsable du dommage qu’il a causé, non seulement par son fait mais encore par sa négligence ou
son imprudence ».
4. La particularité de la responsabilité contractuelle, dont le principe est établi à l’article 1147 du code
civil, tient en ce que le dommage résulte nécessairement de l’inexécution, d’une mauvaise exécution
ou d’un retard dans l’exécution d’une obligation contractuelle. Cette responsabilité découle de la
force obligatoire du contrat à l’égard des parties, puisqu’aux termes de l’article 1134 du code civil,
« les conventions légalement formées tiennent lieu de loi à ceux qui les ont faites. » Selon l’alinéa 3,
« elles doivent être exécutées de bonne foi » et l’article 1135 précise qu’elles « obligent non
seulement à ce qui est exprimé mais aussi à toutes les suites que l’équité, l’usage ou la loi donnent à
l’obligation d’après sa nature ».
5. A côté de ce régime général de la responsabilité contractuelle et extracontractuelle, le régime spécial
de responsabilité du fait des produits défectueux, établi aux articles 1386-1 et suivants du code civil
impose, par ailleurs, au producteur ou au fabricant d’un produit de réparer tout « dommage causé
par un défaut de son produit, qu'il soit ou non lié par un contrat avec la victime ».
6. Quel que soit le régime de responsabilité en cause, l’obligation de réparation suppose la réunion de
trois conditions : un fait générateur de responsabilité, un dommage et un lien de causalité entre l’un
et l’autre, auxquelles s’ajoute l’absence de causes d’exonération.
7. Le préjudice peut prendre la forme :
- d’un dommage matériel, qui qualifie une atteinte à un droit patrimonial tel que la
détérioration ou destruction d’objets corporels, la perte d’un droit de nature pécuniaire ou
une perte économique ;
- d’un dommage moral, qui désigne une atteinte à un droit extrapatrimonial ou à des
sentiments tel que la violation du droit à l’image ou au respect de la vie privée, la perte d’un
être cher ou d’un animal ;
- d’un dommage corporel lorsqu’il y a atteinte à l’intégrité physique de la personne ;
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- d’un dommage immatériel, qui naît d’une atteinte portée à l’activité économique d’une
personne physique ou morale et qui se traduit par des pertes d’exploitation.
8. C’est au lien de causalité qu’il convient de rattacher la notion de « dommages indirects ». Le
mécanisme de mise en œuvre de la responsabilité implique en effet que soit démontré un rapport de
cause à effet entre la survenance du dommage et le fait générateur. Or, un fait générateur unique
peut entraîner plusieurs dommages. Il arrive aussi qu’il produise une cascade de dommages
successifs, un premier entraînant un autre ou une série d’autres.
9. L’article 1151 du code civil dispose que le responsable d’un dommage ne doit réparer que « ce qui est
une suite immédiate et directe de l’inexécution de la convention », mais cette disposition a été
interprétée largement par la jurisprudence qui n’hésite pas à réparer les préjudices différés ou
réfléchis. Les tribunaux indemnisent en effet les victimes de :
- préjudices « en cascade », lorsque le dommage initial s’est aggravé ou a été la cause de
l’apparition d’un nouveau dommage (ex : le non-paiement des matériaux livrés et des travaux
exécutés par le maître d’ouvrage ayant occasionné les difficultés de trésorerie de
l’entrepreneur, Cass. 3e civ. 14 mai 1974),
- préjudices « par ricochet », lorsque les personnes de l’entourage proche de la victime
subissent des dommages matériels et moraux, voire même lorsque les intérêts de certains
tiers tels que employeurs, salariés, créanciers, clients, associés de la victime sont mis en péril
(ex : les salariés mis en chômage du fait de la fermeture d’un salon de coiffure démoli par un
automobiliste - TGI Nanterre, 22 octobre 1975, cité par Y. Buffelan-Lanore et V. LarribauTerneyre, Droit Civil – Les obligations, Dalloz, 12e éd,, 1675).
10. Dans les observations qu’elle a transmises à la Commission, l’entreprise de transformation auteur du
projet de contrat définit les dommages indirects comme étant « des dommages de nature pécuniaire
(perte de valeur, de revenus) ou des préjudices causés à autrui, consécutifs à une non-conformité ou
un accident provoqué par le produit ».
Sur l’étendue et les obligations contractuelles de la couverture assurantielle
11. L’assurance de responsabilité civile garantit la personne assurée contre le risque d’indemnisation
d’une victime à la suite d’un dommage engageant sa responsabilité.
12. En dehors de la responsabilité pénale, toutes les dettes de responsabilité civile sont assurables dès
lors qu’elles ne résultent pas d’une faute intentionnelle ou dolosive, conformément à l’article L. 1131 du code des assurances.
13. Le risque garanti est défini par la police d’assurance et peut faire l’objet de limitations (dans son
montant par exemple) et de restrictions (avec l’exclusion de certains dommages ou de certains
évènements).
14. Alors que l’étendue de la couverture assurantielle est contractuellement définie, l’étendue de la
responsabilité civile relèvera, le cas échéant, de l’appréciation du juge.
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15. En vertu du principe de la liberté contractuelle, les parties ont la faculté d’établir une obligation de
souscription d’une police d’assurance responsabilité civile dans leur contrat et peuvent l’assortir
d’une clause résolutoire prévoyant la fourniture d’une attestation de l’assureur sous peine de
résiliation unilatérale du contrat.
16. Au cas d’espèce, le producteur auteur de la saisine indique qu’il a souscrit une assurance de
responsabilité civile pour couvrir les dommages pouvant survenir dans le cadre de son activité
professionnelle, notamment des fournitures de lait.
17. L’intervention de l’entreprise de collecte et/ou de transformation sur l’exploitation du producteur
comporte des risques pour lesquels une assurance de responsabilité civile peut également être
exigée.
18. D’ailleurs, l’entreprise de transformation auteur du projet de contrat indique, dans ses observations,
qu’elle « souscrit de la même façon une police d’assurance responsabilité civile exploitation et après
livraison, en garantie des mêmes risques, tant vis-à-vis des tiers qui pourraient subir un dommage du
fait de l’activité de ses présupposés et salariés que du fait de l’utilisation ou de la consommation des
produits [qu’elle fabrique] ».
19. Si l’obligation d’assurance peut ainsi figurer dans un contrat de fourniture et de collecte de lait, il
appartient à chaque partie de souscrire des garanties, des montants d’indemnisation et des
limitations de couverture adaptés à son activité professionnelle.
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