Environnement et mobilités géographiques - Prodig

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Environnement et mobilités géographiques - Prodig
Thème 3
Environnement
et
territoires
Prodig 2006
101
Réimplantations humaines
aux îles Horn et à Clipperton :
une réponse aux risques environnementaux ?
et, du rôle du porc dans l’évolution
des écosystèmes insulaires du Pacifique
Christian Jost
Résumé : Sur deux des cent trente quatre îles françaises du Pacifique, l’île haute habitée de Futuna et l’atoll désertique de Clipperton, les écosystèmes terrestres se dégradent
de façon préoccupante et les risques naturels sont majeurs. Mais si sur l’atoll de
Clipperton, la désertification, dont sont responsables des millions de crabes terrestres,
semble être un retour vers un état naturel ancien depuis la disparition des porcs introduits à la fin du XIXe siècle, sur Futuna, c’est la croissance du parc porcin et conséquemment les nouvelles surfaces en manioc qui augmentent le mitage de la forêt, les
sols à nu et les processus d’érosion sur pentes. Face aux risques cycloniques et suite
au séisme de 1993, se sont amorcées des migrations vers les plateaux et de nouvelles
implantations humaines qui accroissent encore la pression sur les hauteurs de
Futuna. A l’inverse, à Clipperton, une réimplantation humaine contrôlée et accompagnée d’un prédateur du crabe, permettrait une réhabilitation de l’écosystème terrestre
et un retour à la vie du lagon tout en offrant un havre à utilisations multiples. A des
enjeux environnementaux similaires, les réponses à apporter sont donc diamétralement opposées dans ces deux îles.
Mots-clés : Dégradation environnementale – îles tropicales – atoll – désertification – risques
naturels – mobilités et réimplantations humaines – impacts anthropiques – porc – îles Horn –
Futuna – Clipperton
Les migrations et les nouvelles implantations humaines ont, depuis plusieurs
centaines d’années, fait partie intégrante des sociétés et des cultures du Pacifique
insulaire. Les migrations se sont cependant accentuées durant les dernières décennies en s’orientant alors vers les pays industrialisés riverains du Pacifique, notamment les pays anglo-saxons. Entre les archipels/pays océaniens et plus particulièrement en Mélanésie, les frontières coloniales n’ont que ralenti les échanges et les
installations, car les liens culturels restent souvent plus forts que les divisions politiques imposées entre des îles voisines de deux états riverains. Induites le plus souvent par la recherche d’emplois et de meilleures conditions de vie, les migrations
volontaires, vers les capitales ou les émigrations vers l’étranger, s’accompagnent
souvent de désillusions quand ce n’est pas de dégradation des conditions de vie des
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Environnement et mobilités géographiques
migrants rarement diplômés. Cependant, il existe aussi des déplacements de population au sein des îles mêmes ; donnant lieu à de nouvelles implantations commandées par une quête de nouvelles terres, un rapprochement des centres économiques, et/ou une protection contre des risques naturels. Enfin, des réimplantations sur des îles inoccupées peuvent faire l’objet d’une décision coutumière ou
gouvernementale ou, à tout le moins, d’une incitation pour des raisons économiques, géostratégiques ou environnementales ! Ce sont ces deux cas singuliers
que cet article évoque à travers les enjeux et les contraintes d’occupation humaines
dans deux îles très différentes qui n’ont pratiquement de points communs que leur
appartenance à la république française.
Dans les deux cas les contraintes environnementales sont fortes et les risques
sévères pour l’homme. Le maintien de la présence humaine multiséculaire à Futuna
(TOM de Wallis-et-Futuna) a été rendue possible par l’existence de zones de refuge
sur les hauteurs de l’île. En revanche, à Clipperton, régulièrement oublié de la
France, l’étroite bande de terre de ce « presqu’atoll » n’offre aucun autre abri
qu’un pointement volcanique ruiniforme de 100 m de diamètre. Dans les deux cas,
l’adaptation de l’homme, qu’elle fût temporaire comme à Clipperton, ou permanente comme à Futuna, a supposé, à défaut de pouvoir réaliser de grands aménagements, une adaptation et une organisation des espaces de vie. L’occupation humaine a cependant eu des impacts très différents, sinon contraires, sur les deux
milieux écologiques, comme les études de terrain le montrent dans cet article. La
nécessité d’une gestion rationnelle des écosystèmes demeure néanmoins une
constante, si l’homme veut continuer à vivre dans et de ces milieux. Dans les
Territoires français d’Outre-Mer, les décisions de gestion du milieu relèvent des
autorités coutumières et de celles du Territoire ; dans un domaine public d’état
inhabité comme Clipperton, c’est le premier ministre et le secrétaire à l’outre-mer,
qui devront choisir entre une protection totale de l’écosystème ou une protection
partielle et une valorisation de la zone.
L’île haute de Futuna et l’atoll de Clipperton ont peu de points communs, mais
leur originalité et leurs caractères extrêmes rendent une évaluation des contraintes
environnementales et des enjeux de développement d’autant plus intéressants,
sinon nécessaires, que celle-ci peut être porteuse d’enseignements pouvant trouver
d’autres champs d’application.
Au cœur de l’Océanie, à l’espace maritime limité par les ZEE des Fidji au sud-est,
du Tuvalu au nord-ouest, des Samoa à l’est et du royaume de Tonga au sud, Futuna
(45 km²) et sa voisine immédiate Alofi (19 km²), constituent l’archipel des îles Horn
à 250 km au sud de Wallis, en position ultramarine, à 16 151 km de Paris et 30 h de
vol (figure 1). Clipperton, ou île de La Passion de son vrai nom de baptême français
(Jost, 2003), est dans une position encore plus isolée, à 1 280 kilomètres des côtes
mexicaines et à 945 kilomètres de la première terre émergée, celle de l’île volcanique de Socorro de l’archipel de Revillagigedo au nord. Seul atoll (ou presqu’atoll
car flanqué d’un rocher volcanique de 29 m de haut), du Pacifique nord oriental,
Clipperton est un anneau corallien fermé de 1,7 km² de terre émergée et de forme
oblongue de 3 km sur 4 km.
Mais hormis leur petite taille, leur isolement et l’éloignement des centres de
décision, les ressemblances entre les deux îles s’arrêtent là. L’intérêt d’une telle présentation réside de fait dans l’analyse de l’évolution des milieux « naturels » souProdig 2006
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C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
Figure 1 – Les territoires français du Pacifique et leur ZEE
mis à l’empreinte humaine et, curieusement, mais c’est un fait, à l’empreinte porcine, qui toutes deux eurent des effets radicalement différents.
Répartition et variations de la population à Futuna
Le recensement général de la population de septembre 2003 comptabilise 4873
habitants à Futuna et Alofi soit à peine 235 habitants de plus qu’en 1996 année du
précédent recensement. Les résultats détaillés du recensement de population ne
sont pas encore à ce jour officiellement publiés. Seuls les chiffres par village sont
officieusement disponibles. L’analyse des variations des chiffres par village est
aussi prématurée, en l’absence de données sur les ménages et les classe d’âge et
sans enquêtes postérieures au RGP. Cependant on notera une augmentation significative de la population des villages du nord-ouest de l’île (supérieure à 30% à
Toloke, Tavaï et Tuatafa) et, dans une moindre mesure, de ceux du sud (figure 2).
Si les chiffres de population totale changent peu d’un recensement à l’autre, les
tendances à la hausse ou à la baisse des différents villages ne sont pas constantes
et sont même parfois inversées (tableau 1) (les données des RGP de 1976 et 1983
sont cependant incomplètes). Dans certains villages, tels que Poï, Tamana, d’occupation ancienne, l’absence de chiffre ne signifie pas absence d’habitant et nouveau
village en 1990, mais, chiffres non validés ou non communiqués. Par contre, pour
Alofi, il est certain qu’il n’y avait pas d’habitant avant les années 2000.
En effet, des îles Horn, seule Futuna était occupée ; l’île d’Alofi, dépendant du
royaume d’Alo, était traditionnellement « réserve écologique coutumière » et
interdite d’habitations permanentes. Les cultures de kapé, d’ignames et les plantaProdig 2006
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Environnement et mobilités géographiques
Figure 2 – Répartition de la population des îles Horn en 2003 et ses variations entre 1996 et 2003
Tavai
216
Population totale : 4 873 habitants
Peka
Tuatafa
Toloke
43
398
14°15' S
Circonscription de Sigave : 1 880 habitants
Circonscription d'Alo
: 2 993 habitants
Fiua
250
Circonscription
de SIGAVE
Vaisei
221
Tamana
FUTUNA
Fuga Sau
Nuku
315
Fuga Toga
PoÔ
294
Fuga Alo Sisia
Leava
480
226
Circonscription
Pukuma
d'ALO
Kolia-le-haut
Kaleveleve
Taoa Malae
238
717
variation en %
de la population
Peka
Fuga Alo
250
de 0 à 10
nombre d'habitants
303
Alofi
2
nombre d'habitants par village
700
300
de - 10 à - 20
Vele
432
738
Nouvelle implantation
Site envisage de nouvelle implantation
> à 30
de 0 à-10
Kolia
Ono
14°20' S
Circonscription
d'ALO
ALOFI
500
100
> à- 30
0
178°10' W
1
2 km
178°5' W
C. JOST et G. DECROIX - CNRS - PRODIG 2004
Source : Service de la Statistique de Wallis-et-Futuna
Tableau 1 – Evolution de la population des îles Horn par village de 1976 à 2003
Circonscription
d'Alo
RGP
1976
RGP
1983
RGP
1990
RGP
1996
RGP
2003
Circonscription
de Sigave
RGP
1976
RGP
1983
RGP
1990
RGP
1996
RGP
2003
Alofi
Kolia
Mala'e
Ono
Poi
Tamana
Taoa
Tuatafa
Vele
434
271
624
423
32
1 752
372
399
635
584
487
1 990
439
247
627
305
251
598
151
242
2 618
404
229
709
326
211
724
2
287
2 605
2
432
238
738
294
226
717
43
303
2 690
Fiua
Leava
Nuku
Tavai
Toloke
Vaisei
196
387
294
295
217
1 389
269
500
359
470
249
1 847
497
468
344
133
195
235
1 872
450
484
326
124
162
200
1 746
250
480
315
216
398
221
1 880
4732
4638
4873
Total Sigave
TOTAL
3173
4324
FUTUNA
Total Alo
Source : Service de la statistique de Wallis-et-Futuna, données du RGP 2003 provisoires et inédites
tions de kava et fruitiers existent de longue date sur les terrasses calcaires d’Alofi.
Mais c’est la première fois, en septembre 2003, que deux habitants permanents y
sont enregistrés. Il ne faut cependant pas tirer de conclusions trop hâtives concernant une autorisation d’installation sur Alofi par les autorités coutumières, mais
plutôt considérer que les agents recenseurs, se rendant sur Alofi dans le cadre de
leur mission, ont rencontré deux occupants temporaires ou à la semaine et les ont
assimilés à des permanents1.
Certes, sur des chiffres de population aussi faibles, il est de peu de sens de faire
de longues analyses et de tirer de grandes conclusions quant aux variations du
nombre d’habitants au sein de chaque village. Les changements dans les compositions des familles, les opportunités d’emploi, la disponibilité nouvelle de terres, la
réfection de la voirie ou l’ouverture d’une piste, l’électrification d’un secteur ou une
nouvelle adduction d’eau, voire les conflits ou la politique locale et coutumière,
1. Communication orale de Marc Soulé.
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C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
sont autant de facteurs isolés ou combinés pouvant expliquer le déplacement de
quelques individus ou l’installation d’une nouvelle famille dans l’un ou l’autre village du littoral. Dans certains cas par contre, les facteurs attractifs sont plus évidents. Ainsi l’accroissement régulier de la population de Vele est lié à la proximité
de l’aérodrome, seule porte de sortie de l’archipel en l’absence de liaison maritime
toujours en projet (Jost, 2003b). Leava, le chef-lieu administratif, voit sa population
stagner, voire diminuer comme les autres villages du centre sud. La croissance
apparente des villages du sud-est, Malae, Kolia, mais surtout Ono, a plusieurs
causes : d’une part l’existence d’un hôpital et d’un collège, construits respectivement sur les hauteurs de Kaleveleve et de Sisia dans les années 1990 ; d’autre part
la prise en compte dans leurs chiffres des nouvelles implantions sur les plateaux
encore rattachées administrativement à ces villages.
Une histoire et des modes d’utilisation
bien différents
Occupée depuis environ 3400 ans, Futuna n’a pas toujours connu une installation humaine sur son étroite bande littorale. Après une longue période en bord de
mer et des activités tournées vers la mer (temps de la terre noire, Kele Uli), les
Futuniens s’installèrent sur les plateaux vers l’an 700 et y restèrent jusqu’au
XVe siècle, en raison des tentatives d’invasion tongiennes qui se heurtèrent à ces
positions de défense (temps de la terre ocre, Kele Mea) (Soulé, 2004). La lande à
toafa (fougère de type Dycranopteris), qui occupe aujourd’hui 70 % des plateaux et
des hauts de versants, est le résultat de cette longue période d’occupation qui s’accompagna de déboisements massifs, de cultures sur brûlis et de mise en place de
tarodières. C’est plus tard, au cours du temps de la terre brune (Kele Kula) qui fut
une période de guerres internes, que les Futuniens redescendirent s’installer sur le
littoral. Jusque dans les années 1990, la totalité de la population vivait sur le littoral surtout sud et ouest, en raison de l’existence de bonnes terres alluvio-colluvionnaires sur l’ancien platier exondé. Sur ces terres en arrière des habitations, à
l’entrée des vallées, sur d’anciens lobes de solifluxion, ou au pied des versants
façonnées de plus en plus en terrasses, sont installés les tarodières irriguées auxquelles succèdent vers le bas les cultures complémentaires ou maraîchères et les
fruitiers. Les versants et les plateaux sont aussi « mités » de cultures itinérantes et
de jachères récentes peu protectrices des sols sur pentes souvent supérieures à
55 % (figure 3 et figure 6).
Le fonctionnement de la société futunienne, déjà largement décrit (MoyseFaurie, 1998 ; Soulé, 2004 ; Frimigacci et al., 1995, Burrows, 1936, etc.), est commandé par un fort attachement à la fois au système coutumier de la royauté et des
chefferies et à l’église catholique puissante et omniprésente (une église pour
300 personnes, 90 % de la population va à la messe, etc.). La piété et le respect des
traditions se manifestent aussi à l’occasion de kermesses au cours desquelles
chaque famille offre un cochon. Le nombre et l’importance des fêtes et des kermesses augmentant pratiquement chaque année, le parc porcin, richesse des
familles, est en pleine expansion. Mais, comme il faut nourrir ces animaux, habituellement par des tubercules de manioc, les surfaces de champs en manioc ont
doublé ces dix dernières années et ce, essentiellement sur les plateaux, au détriment de la forêt. Or les jeunes Futuniens ne sont plus prêts à monter à pied s’occuper des cultures sur les hauteurs. L’enrichissement des familles, avec l’indexation
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Environnement et mobilités géographiques
Figure 3 – Carte des pentes des îles Horn
des salaires de fonctionnaires locaux et les aides de l’état, entraîne parallèlement
une augmentation du parc automobile, notamment de véhicules tout-terrain, et des
constructions de maisons en dur souvent mises en location. Suite à la demande de
certaines chefferies, le Service des Travaux Publics et surtout quelques bulldozers
utilisés en fin de semaine (…), ont ouvert de nouvelles pistes, vers et sur les plateaux, sans étude préalable suffisante (figure 2 et figure 5). Ces pistes parfois
taillées dans la forêt donnent accès à de nouvelles terres pour la mise en culture,
voire pour une installation de falés dans un premier temps, parfois de maison en
dur par la suite.
Mais cette re-conquête s’accompagne aussi de réimplantations directement liées
aux risques naturels.
Bien différent est Clipperton, quatre mètres au plus au dessus des vagues qui,
par son isolement, sa taille réduite, ses conditions climatiques et son accès difficiles, se prêtent peu à une occupation humaine. L’île, aujourd’hui inhabitée, n’a été
occupée de façon continue que vingt ans au début du XIXe siècle par les Mexicains,
puis un an par les Etats-uniens entre 1943 et 1944, enfin durant des périodes de six
mois maximum : 1958 (Scripps Institution et M.H. Sachet) et de 1966 à 1969 par
les missions française Bougainville, périodes durant lesquelles les études les plus
importantes furent conduites. Depuis lors, la Marine nationale ne s’y rend en
moyenne qu’une fois par an. Malgré tout, l’impact de la présence passée de l’homme sur l’écosystème terrestre a été important et pas forcément dans le sens où l’on
pourrait s’y attendre. Un rapide rappel historique s’impose.
Découverte le Vendredi Saint de 1711 et baptisée île de la Passion par les commandants français Martin du Chassairon et Michel du Bocage qui en dressèrent le
premier plan, Clipperton ne fut déclarée possession française qu’en 1858 par Le
Coët de Kerveguen qui déposa l’acte de prise de possession auprès du gouvernement d’Hawaii. L’éloignement, les difficultés d’accostage et de transbordement, du
fait d’une côte corallienne accore et d’une forte houle constante, fit que la France
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C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
renonça à exploiter les ressources phosphatées de l’île. En 1897, le bâtiment français Duguay-Trouin, venu en mission, rend compte d’une présence américaine et
amène le pavillon états-unien. Quelques jours plus tard, c’est le Mexique qui
débarque un groupe d’ouvriers qui va exploiter le phosphate jusqu’à épuisement de
la ressource. C’est aussi en 1897 que sont introduits les deux premiers cocotiers de
l’île jusque là décrite comme désertique, ainsi que des porcs pour servir à la
consommation. Dans le conflit de souveraineté qui l’oppose alors à la France, le
gouvernement Mexicain décide en 1906 d’installer sur Clipperton une garnison de
soldats avec leurs familles. Mais à partir de 1914, la révolution mexicaine et la
Grande Guerre les plongent dans l’oubli et les ravitaillements s’interrompent. La
petite communauté commandée par le capitaine Ramon Arnaud, reste dès lors sans
autre ressource que les noix de coco, les oiseaux de mer et leurs œufs, ainsi que les
porcs en liberté qu’ils ne pouvaient capturer. Décimés par le scorbut et un naufrage d’Arnaud et de ses hommes (partis à la poursuite d’un mirage de navire) ; ce ne
seront que trois femmes et huit enfants qui seront miraculeusement sauvés par le
USS Yorktown, un bâtiment états-unien, le 18 juillet 1917. C’est l’histoire des tristement célèbres « Oubliés de Clipperton » et de la plus longue occupation de l’île.
L’île retombe alors dans l’oubli, occupée seulement par les oiseaux (fous, frégates,
sternes, etc.), les crabes terrestres qui pullulent, et les cochons oubliés qui s’adaptent à leur nouvel environnement déshumanisé dans lequel les cocotiers, quelques
espèces herbacées et quelques buissons se développent. Ce n’est qu’en 1935, après
l’arbitrage international rendu en 1931 dans le conflit de souveraineté qui opposait
la France et le Mexique, qui attribua définitivement Clipperton à la France, que le
croiseur Jeanne d’Arc vient y effectuer des relevés et une couverture aérienne qui
servira à établir en 1937 la carte au 1 : 20 000, toujours utilisée.
Risques naturels et contraintes environnementales
de vie
A des latitudes voisines2 de part et d’autre de l’équateur, Futuna (14°S) jouit et
redoute, doit-on dire, de conditions climatiques tropicales océaniques humides
similaires à celles de Clipperton (10°N). Les précipitations y sont supérieures à
3000mm par an, les températures moyennes de 27°5C et la forte humidité sont quasi
constantes toute l’année3. Mais, à la différence du bassin central océanien, la zone
de Clipperton est dans le secteur de formation des dépressions tropicales qui circulent en général du sud-est vers le nord-ouest entre les côtes mexicaines et le
125°W une quinzaine de fois par an4. La saison cyclonique s’étend du 15 mai au
30 novembre. Par 14°S, à l’est des trajectoires habituelles des dépressions, les îles
Horn sont plus rarement touchées par les cyclones et tempêtes tropicales (passage
à proximité, une à deux fois par an), mais elles n’en connaissent pas moins certains
phénomènes directs aux effets dévastateurs (Raja, 1986). Ceux-ci se forment soit
au nord des îles Fidji et n’ont pas le temps de se renforcer, ou au nord du Vanuatu
et prennent alors plus souvent une composante sud.
2. Futuna : 14°18'S et 178°10'E ; Clipperton : 10°18'N et 109°13'W
3. Futuna : 3300mm/an ; T° moyenne annuelle: 27°5 ; HR moyenne : 83%. Clipperton : données
éparses, estimations : entre 3000 et 5000mm/an (Sachet, 1962), T° moyenne annuelle : 27° à 29°C ;
HR moyenne : > 85% (moyenne des périodes d'observations)
4. Source : National Hurricane Center, Florida International University, Miami.
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Environnement et mobilités géographiques
Risque cyclonique et risques associés
A Futuna, la position des habitations, à seulement quelques mètres du rivage et
à moins de trois mètres de hauteur, est un facteur essentiel de leur vulnérabilité
face aux vagues de tempêtes et à l’élévation du niveau marin sous l’effet de l’aspiration dépressionnaire. La mer submerge fréquemment certains secteurs de la côte
comme par exemple à Kolia ou à Ono (figure 4). Les précipitations abondantes qui
accompagnent la plupart des systèmes cycloniques provoquent, après saturation
des sols en eau, des mouvements de masse sur les versants dénudés et les hauts de
relief mis en culture. Les écoulements torrentiels, naturels sur cette île au relief
escarpé, sont amplifiés par l’augmentation des surfaces de sols à nu et imperméabilisés par les artefacts humains. De véritables phénomènes de chasse d’eau se produisent dans les vallons étroits déversant alors boues et débris végétaux dans les
bas-fonds, aux embouchures et sur le platier corallien. L’aléa cyclonique est devenu risque, puis, aujourd’hui, risque majeur pour les 5000 habitants de Futuna. La
vulnérabilité a augmenté depuis quelques années, non pas avec l’accroissement
somme toute insignifiant de la population, mais en raison des transformations
sociales et des changements des systèmes d’exploitation. Les enquêtes de population montrent que de tous les risques naturels, c’est le cyclone et les tempêtes tropicales que redoute aujourd’hui le plus la population (85 % contre 15 % pour les
séismes, les autres risques n’étant pas mentionnés) (Soulé, 2004). Comme ailleurs
dans le monde, on constate que face aux catastrophes naturelles la mémoire
humaine est courte car, il y a dix ans à peine, c’était le risque sismique qui était cité
en premier. Il n’y a pas de culture du risque nettement établie à Futuna au sens perception engendrant des actions de prévention. Il n’y a pas non plus de véritable
politique environnementale, quoique quelques chefferies sollicitent le Service du
Développement Rural, et participent activement au reboisement en pins caraïbes
sur les hauts ou en fruitiers sur le littoral.
Figure 4 – Risques naturels et secteurs à risques aux îles Horn
Pointe Fatua 178°10'
RISQUES NATURELS aux Iles HORN
- Futuna et Alofi -
Pointe Matapu
22°S
Pointe desPyramides
Peka
Mt Falanise
460 m
473 m
Pointe Fatua
N
Mt Puke
524 m
178?10'
RISQUES NATURELS aux Iles HORN
- Futuna et Alofi -
Pointe Matapu
FUTUNA
Vai
ni
VaifaoLasi
Leav
V
aou
Fuga Alo
Kaleveleve
Malae
Kaleveleve
Malae
LÈgende
Secteurs ‡ trËs fort risque de submersion marine
(tsunamis, cyclones)
Secteurs de soulËvement maximum lors du sÈisme
de 1993 (0,50m ‡ 1m pour le platier corallien)
Glissements de terrain gÈnÈralisÈs ou localisÈs
CoulÈes boueuses ‡ la faveur des nouvelles
pistes. CÙnes de dÈjection sur rÈcif frangeant
Eboulement de blocs rocheux
Stations sismiques installÈes par l'IRD - NoumÈa en 1998
Légende
Secteurs à très fort risque de submersion marine
(tsunamis, cyclones)
Secteurs de soulèvement maximum lors du séisme
Nouvelles implantations
de 1993 (0,50 m à 1m pour le platier corallien)
Sites envisagÈs pour nouvelles implantations
Glissements de terrain généralisés ou localisés
Nouvelles pistes ouvertes
RÈseau routier existant en 1998
Coulées boueuses à la faveur des nouvelles
pistes. Cônes de déjection sur récif frangeant
Eboulement de blocs rocheux
Stations sismiques installées par l'IRD - Nouméa en 1998
Nouvelles implantations
Sites envisagés pour nouvelles implantations
Nouvelles pistes ouvertes
Réseau routier existant en 1998
Mt Mamati
302 mPoÔ
Pal
Pukuma
Fuga Sau
Leava
Fuga Pukuma
Alo
Fuga Toga
Gutuv
ai
Vai
nifao
Gutuv
ai
sau
Sa u
.
aR
V
FUTUNA
ai
Fuga
BaieToga
de Sigave
N
Mt Puke
524 m
aou
Leava
473 m
Pal
Baie de Sigave
Fuga Sau
Pointe desPyramides
Mt Falanise
460 m
ai
Leav
Sau
sau
Peka
.
aR
Vai Lasi
22?S
Ono
Ono
PoÔ
Mt Mamati
302 m
Kolia
Kolia 2 Pointe Vela
Kolia 2
Kolia
Vents do
minants
Vents do
minants
Pointe Vela
Pointe Matalesina
Pointe
Sauna
Alofitai
Pointe Matalesina
ALOFI
Mt Kolofau
417m
Pointe Mafa'a
Pointe
Sauna
Alofitai
Pointe Afaga
ALOFI
3 km
C. JOST - CNRS - PRODIG UMR 8586 et Laboratoire GECO - UNC NoumÈa - Sept. 1999 (actualisÈ 2002)
Mt Kolofau
417m
Pointe Mafa'a
Pointe Afaga
3 km
C. JOST - CNRS - PRODIG UMR 8586 et Laboratoire GECO - UNC Nouméa - Sept. 1999 (actualisé 2002)
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C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
A Clipperton, les écrits historiques relatent la violence des phénomènes cycloniques, notamment des vents, des pluies et des vagues déferlantes (Sachet, 1962).
A l’île de la Passion, l’aléa cyclonique est important et, en cas d’occupation humaine, le risque serait majeur. Le seul refuge possible est le Rocher ruiniforme et ses
couloirs de faille et de dissolution karstique, qui offrent un abri sûr mais étroit pour
seulement quelques dizaines de personnes. Tout projet d’implantation humaine permanente devra prévoir des structures capables de résister à des vents très violents,
qui ne rencontrent sur mer aucun ralentisseur, voire à des vagues franchissant la
couronne, dont la fréquence et l’impact augmentent certainement déjà actuellement avec l’élévation du niveau marin.
Risque sismique et risques associés
A proximité de la zone de fracture nord fidjienne, sur la ride ou fracture WNWESE de Futuna, le mont sous-marin de plus de 2000 mètres qui constitue le soubassement des îles Horn, culmine à Futuna au Mont Puke à 514 m. La raideur du
profil et la rectitude du tracé du flanc nord de l’île souligne l’existence d’une faille
NW-SE. La zone est tectoniquement active et l’île en surrection lente interrompue de
périodes de paroxysme et d’élévation brutale, qu’atteste l’étagement des terrasses
calcaires au sud-est de Futuna et jusqu’à plus de 300 m d’altitude à Alofi (figure 3).
Clipperton, situé à la croisée de la dorsale nord-sud des Mathématiciens et de la
fracture ouest-est de Clipperton, correspond au sommet d’un mont de plus de
3000m dont seul un neck de trachy-andésites, le Rocher, émerge à 29 m de haut au
sud-est de la couronne. Si Futuna est encore en phase de surrection, Clipperton a
connu, par le passé, à défaut de résultats pouvant attester de l’évolution actuelle,
une subsidence lente accompagnée de constructions coralliennes l’amenant au
stade actuel d’atoll. Aucune instrumentation permettant de mesurer la sismicité de
la zone n’y a été installée à ce jour. La première borne géodésique a été implantée
en février 2001 par la mission Passion 20015 pour le laboratoire de géophysique de
l’IRD de Nouméa (Jost, 2003). Ce n’est qu’au prochain relevé que pourra être évalué
le déplacement de la plaque tectonique.
En revanche, le même laboratoire a installé cinq stations de mesures sismiques
sur Futuna et Alofi en 1998 (figure 4). Le dernier séisme majeur qu’ait connu Futuna
en mars 1993 s’est accompagné d’un basculement de l’île vers le nord et d’un soulèvement de 0,50m à 1m de la côte sud (figure 4) (Monzier, 1982, 1993 ; Jost, 1997a).
L’épicentre ne se situant qu’à une vingtaine de kilomètres de l’île, aucun tsunami
n’affecta la côte, rappelons-le, non protégée par un récif barrière. Les conséquences furent nombreuses : désorganisation des réseaux hydrographiques, surcreusement des talwegs et érosion accrue, développement de cônes alluvionnaires
et étouffement de la faune et de la flore du récif sud (rendant impossible la pêche
et la collecte de coquillages sur le platier), désorganisation des systèmes d’irrigation des tarodières, et une centaine de mouvements de masse sur les versants (figure 4). Mais, le séisme fit surtout trois morts et détruisit de nombreux édifices en
dur, maisons et églises. Il marqua fortement les consciences, fut à l’origine d’un
changement de la perception du risque sur le littoral désormais dangereux et suscita des velléités de migration vers des zones refuges.
5. Mission conduite par l'auteur en collaboration avec l'IRD avec l'assistance de la Marine nationale
Prodig 2006
111
Environnement et mobilités géographiques
Réponses des Futuniens aux risques naturels :
un retour à la « Terre ocre » ?
Les années qui suivirent le séisme meurtrier de 1993 furent des années de doute
pour les Futuniens. Des entretiens conduits durant les années suivantes, il ressortait encore que de très nombreuses personnes habitant dans les secteurs touchés
par les glissements de terrain (Kolia, côte centre-sud, côte nord) ou par le rehaussement du platier (côte centre-sud) pensaient à quitter leur village et à s’installer
sur le plateau par crainte des cyclones (Raja était encore dans les mémoires) et de
nouveaux séismes pouvant occasionner un tsunami meurtrier ou des coulées de
boue dévastatrices (Jost, 1997a, Jost et Soulé, 1998). Quel est le bilan et quelles
sont les tendances actuelles ?
Figure 5 – Variations et déplacements de population à Futuna entre 1990 et 1996
178°5'
178°10'
Pointe Fatua
Tavai (133-124)
Pointe Matapu
C
22°S
Tuatafa (151-2)
i rc
Peka
on
scr
pti
on
Fiua
(497-450)
Pointe des Pyramides
Mt Falanise
460 m
473 m
de
Puke Mt
524 m
C
S
Vaisei
(235-200)
Vai
nifao
n
s
n
aou
Fuga Alo
Fuga Toga
Kaleveleve
(721)
o
Pukuma
Tamana (251-211)
V
Pal
Fuga Sau
Gutuv
ai
Leav
E
ti
Leava
(468-484)
V
ai
Baie de Sigave Cove
wharf
A
ip
Nuku
(344-326)
a
co
c
Sau
sau
I
G
R.
FUTUNA
ir
Vai Lasi
Toloke
(195-162)
P (305-326)
Lalua
Mt Mamati
302 m
Pointe Vele
Nouveau Kolia
Taoa
(598-724) Malae Ono
(247-229) (627-709)
Kolia
(439-404)
Vele (242-287)
Pointe
Matalesina
Population en augmentation - Habitat groupé (constructions en dur dominantes)
Population en diminution - Habitat groupé (constructions en dur dominantes)
Sologa
Alofitai
Population en diminution - Habitat dispersé (Falés dominants)
Mua
d'
A
Habitat isolé (Futuna) ou falés et abris d'occupation temporaire (Alofi)
Nouvelles implantations (Kolia-le-Haut, Kaleveleve...)
Sites envisagés de nouvelles implantations
Nouvelles routes (pistes commencées en 1998)
14°20' S
Ganiu
L O
Kolofau Mt
417m
Pointe Mafa'a
ALOFI
Vaika
Pointe
Sauna
Sa'avaka
Routes et pistes existantes (avant 1998)
Pointe Afaga
Limite de circonscription et de royaume
3 km
Ono (627-709) : Nom de village et population en 1990 et en 1996
C. JOST - CNRS - PRODIG UMR 8586
Le mouvement de population le plus important enregistré entre les deux RGP de
1990 et de 1996, est le départ des 149 habitants sur les 151 que comptait Tuatafa
(figure 5). Si toutes les raisons de ce départ n’ont certainement pas été élucidées,
il ressort néanmoins des entretiens, que les habitants, après le séisme de 1993 et les
glissements de terrain qui bloquèrent la route côtière, redoutaient à la fois le risque
naturel en tant que tel (séisme, cyclone, tsunami, mouvements de masse) et l’isolement sur cette étroite côte nord, sauvage et sous équipée (mauvaise piste, éloignement des centres de soins, des centres administratifs et commerciaux et de
l’aérodrome). Rattachés coutumièrement aux terres de Taoa au sud, ils vinrent s’y
installer et une partie d’entre eux créa le nouveau village de Kaleveleve sur les hauteurs de Taoa. La récente installation de 43 personnes à Tuatafa, constatée au RGP
de 2003 n’est pas encore expliquée, mais il est probable qu’il s’agisse de quelques
retours sur des terres toujours cultivées, mais trop éloignées et peut-être égaleProdig 2006
112
C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
ment d’un certain nombre de jeunes ménages en quête de terre. Le site de
Kaleveleve compte aujourd’hui une vingtaine de maisons en dur et quelques falés,
la disponibilité des terres, la proximité de l’hôpital (de 22 lits), la viabilisation possible et rapide des habitations, ont été des facteurs déterminants de cette implantation qui ne peut que se développer. Plus longue, mais désormais effective depuis
2003, fut l’arrivée de l’électricité sur les hauteurs de Kolia, à Kolia-le-Haut6, pour le
groupement de sept maisons en dur qui ont progressivement remplacé les premiers
falés de 1995 (figure 6).
Figure 6 – Vue vers le nord de la côte sud-est de Futuna, du village de Kolia
et de la nouvelle implantation de Kolia-le-haut sur le plateau
Erosion sur
pente
Mouvements de masse
Déforestation
Cultures et jachère de
manioc
Kolia -le -Haut
Village de Kolia
vers Poï
Route côtière
vers Vele
Submersion marine possible lors
de cyclones ou séismes
Récif frangeant Ètroit
Absence de récif barrière
Phot : C. JOST - PRODIG 2004
Ailleurs, à l’extrême nord-ouest de l’île, sur le plateau de Peka un nouveau site
d’habitations s’est également créé dans les mêmes années. Mais la difficulté d’amener l’eau et l’électricité a eu raison des nouveaux candidats, et seuls quelques falés
temporaires subsistent aujourd’hui au milieu des cultures. A l’est de Poï, à Laloua,
groupement en bord de mer de neuf maisons durement touchées lors des cyclones,
les habitants envisagèrent aussi en 1998 d’aller s’installer sur le plateau, mais semblent y avoir renoncé depuis lors. Enfin, non loin du nouveau village de Kaleveleve,
ont été identifiés et retenus par les chefferies, des sites potentiels pour de futures
implantations de villages, comme ceux de Fuga Sau, Fuga Toga Pukuma et Fuga
Alo (le terme Fuga désigne en futunien le plateau) (figure 2 et figure 5). Après
ouvertures de pistes en 1998 et défrichement de quelques surfaces, le projet d’habitation est pour le moment suspendu, mais les cultures (notamment de manioc),
se sont étendues sur ces nouveaux territoires, dont l’extension restera à évaluer
avec la nouvelle couverture aérienne.
Les tendances à la migration vers le refuge que constituent les hauts de l’île,
après avoir été fortes pendant la décennie 1990-2000, se sont donc atténuées
depuis, comme la mémoire collective des évènements naturels catastrophiques qui
s’estompe lentement. Toutefois, la conscience du risque subsiste avec l’anxiété
apportée par chaque nouvel évènement et les implantations se poursuivent de
manière moins anarchique car mieux accompagnées par les autorités et par les
infrastructures publiques, notamment à Kolia-le-haut, à Kaleveleve et à Sisia. Ainsi
Kolia-le-haut, après de nombreuses années de demandes répétées par les nouveaux
occupants, a fini par être équipé en électricité et la route d’accès a été bétonnée.
6. Nom donné par l'auteur, en l'absence de nom officiel
Prodig 2006
113
Environnement et mobilités géographiques
De la terre noire des alluvions et colluvions de la bande littorale vers les sols ferrallitiques ocre-rouge des plateaux, le choix des Futuniens n’est pas facile, même
pour se mettre à l’abri. Quand la mémoire des catastrophes naturelles s’estompe
avec le temps, la peur diminue et la nécessité de migrer trouve moins d’arguments.
La période actuelle n’est pas une période comparable à celle de la Terre ocre qu’a
connue Futuna entre le VIIIe et le XVe siècles, mais ce sont pourtant des années de
profonds changements, et ceux d’une réorganisation de l’utilisation du territoire
qui ont commencé. L’impact négatif de l’homme sur le milieu « naturel » est encore insuffisamment contrecarré par les quelques actions de protection et de réhabilitation du milieu. Futuna est à un tournant de son histoire et le milieu écologique
peut basculer dans un processus de désertification irréversible si des mesures renforcées de protection des sols ne sont pas rapidement et efficacement mises en
place dans le cadre d’une politique environnementale du territoire.
La désertification de l’atoll de Clipperton :
un processus naturel
A Clipperton l’occupation humaine n’a été qu’épisodique et la plus longue
remonte à cent ans. Pourtant l’occupation mexicaine du début du XXe siècle eut un
impact décisif sur l’évolution de l’écosystème terrestre.
Les écrits du XIXe siècle décrivent l’île comme vierge, dénuée de toute végétation. Pourtant les photographies prises lors de la mission française de 1935 et celles
de Taylor (Taylor, 1948), puis, les travaux de Marie-Hélène Sachet en 1958 (Sachet,
1962), montrent une végétation herbacée et buissonnante couvrant 80 % de la couronne de l’atoll. En 1967-1968, les études conduites lors des missions françaises
Bougainville décrivent encore l’île avec un couvert végétal herbacé, quoique moins
abondant qu’en 1958 (Ehrhardt, 1968). En 1997, vingt ans après la dernière mission
scientifique, celle de l’équipe Cousteau, l’auteur découvre une couronne corallienne désertique avec pour seule végétation, 674 cocotiers et une maigre couverture
herbacée sur seulement cinq petits îlots du lagon (Jost, 2003). Que s’est-il passé ?
En reconstituant l’évolution de la végétation au cours du siècle, on s’aperçoit que
l’île était verte de 1917 à 1958, année à partir de laquelle la végétation se réduit d’année en année pour pratiquement disparaître en 1997 (Jost, 1997b, 2001, 2003).
Rappelons que les Mexicains introduisirent en 1897 les deux premiers cocotiers
ainsi que quelques porcs qui survécurent à leur départ en 1917. Les porcs se multiplièrent même, se nourrissant d’œufs d’oiseaux et des crabes, Gecarcinus planatus
Stimpson, dont la population était de 11 millions en 1967 (Ehrhardt, 1968). Or ces
crabes dévorent tout ce qu’ils trouvent notamment toutes les formes de végétation
à leur portée. Seuls les grands cocotiers purent se développer par le nombre et seuls
les îlots furent préservés car les crabes ne survivent pas dans l’eau. En 1958, les ornithologues de la Scripps Institution, constatant les dégâts qu’occasionnaient à la
faune aviaire les porcs, espèce qui plus est importée, décidèrent de les abattre.
Les porcs, introduits par l’homme, semblent donc bien être les principaux responsables du développement de la couverture végétale sur Clipperton. En limitant
la population de crabes et en fertilisant le sol de gravier et de sable corallien de
leurs excréments, ils ont indirectement permis à une végétation basse apportée par
la mer, le vent et les oiseaux, de se développer. C’est un exemple rare d’un impact
Prodig 2006
114
C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
positif indirect et a posteriori de l’homme sur un écosystème insulaire aussi fragile que celui d’un atoll.
Figure 7 – L’atoll de Clipperton : batymétrie et couvert végétal en 2001 (Jost, 2003a)
Une réimplantation humaine et … porcine :
réponse à la dégradation de Clipperton ?
La perturbation actuelle apparente de l’écosystème terrestre de Clipperton n’en
est pas une. L’écosystème terrestre de Clipperton, presque totalement désertifié, est
simplement revenu à son état naturel originel qui précédait l’arrivée de l’homme,
sous l’action conjuguée des tempêtes tropicales qui dévastent régulièrement l’île, et
de celle des crabes et des oiseaux. La démographie des oiseaux de mer a en effet été
profondément modifiée depuis la disparition des porcs. La population des fous masqués (Sula dactylatra) est passée de 4 239 individus en 1968 (Ehrhardt, 1976) à 110
000 en 2001, tandis que celle des fous bruns (Sula leucogaster) a stagné, voire chuté
durant la même période. Ce changement démographique étonnant, à partir de 1968,
s’explique en grande partie par le comportement des espèces d’oiseaux et par la
multiplication du crabe après la disparition du porc (Jost 2003, Jost et al. 2005).
La dégradation du milieu est aussi manifeste dans le lagon fermé, d’eau douce
en surface, eutrophisée et quasiment sans vie. Les deux passes existant dans la couronne au nord et au sud-est près du Rocher se sont naturellement fermées dans les
années 1850. Il est cependant possible que l’ancienne passe du Rocher s’ouvre à
nouveau naturellement dans les prochaines années au regard du rétrécissement de
la bande de terre et du franchissement fréquent des vagues attesté par les débris
coralliens, lavés et sans patine (figure 6).
Quoique inhabitée, l’île fait régulièrement l’objet de visites clandestines de
pêcheurs voire de contrebandiers. Plusieurs bateaux de pêche venant des pays voiProdig 2006
115
Environnement et mobilités géographiques
sins d’Amérique centrale ont déjà été appréhendés par la Marine nationale. Les ressources en thonidés de la zone sont en effet parmi les plus riches au monde, et on
estime aujourd’hui à 50 000 tonnes par an les poissons pêchés dans la seule ZEE de
Clipperton7.
Les fonds marins sont de plus tapissés de nodules polymétalliques, que la
France pourra peut-être un jour exploiter avec intérêt8. Enfin, les convoitises se
manifestent aussi plus ou moins officiellement du côté mexicain, où certains
groupes de financiers et de diplomates argumentent régulièrement pour une
« rétrocession » de l’île au Mexique. De leur côté les Etatsuniens ne manquent pas
d’encourager le Mexique dans cette revendication, cette possession française ayant
permis à la France d’adhérer à l’Inter-American Tropical Tuna Commission
(IATTC) qui couvre l’une des zones de pêche les plus riches du monde. La France
participe activement aux travaux de l’IATTC, tant au sein de ses structures permanentes à La Jolla (Californie, Etats-Unis d’Amérique) que lors des conférences techniques annuelles.
Les enjeux sont donc multiples : environnementaux,
économiques et géostratégiques
Aux enjeux environnementaux et au souci de préservation des écosystèmes terrestres et marins dans leur état naturel actuel, deux réponses sont possibles :
• La première réponse consisterait, après réouverture et aménagement des deux
anciennes passes, à laisser un secteur de la couronne en réserve intégrale interdite de tout accès, et à autoriser l’implantation humaine sur l’autre partie de la
couronne sur laquelle pourrait être réintroduit une espèce prédatrice du crabe
comme le porc.
• La deuxième réponse serait de laisser l’île dans son état actuel et de préserver cet
écosystème unique au monde, ou ce qu’il en reste, en la déclarant réserve de la
biosphère et en n’autorisant que l’installation de capteurs (station météo, marégraphe, etc.) et quelques visites scientifiques.
L’une des réponses n’empêche cependant pas l’autre. Certes une réouverture de
passe est un aménagement important dont les effets sur le lagon seraient l’afflux
des eaux marines dans le lagon et conséquemment un retour progressif à la vie par
introduction et réinstallation des espèces récifales, aussi intéressant à étudier que
la mort lente actuelle du lagon qui passionne certains scientifiques.
Quels avantages pourrait retirer la France d’une réimplantation de l’homme sur
Clipperton ?
• en tout premier lieu l’intérêt d’une occupation serait de confirmer la Zone
Economique Exclusive des 200 milles nautiques et de permettre ainsi l’exploitation française des ressources halieutiques ;
• en deuxième lieu, elle autoriserait également les autorités françaises à demander
l’extension à 360 milles nautiques de la souveraineté française sur les fonds dont
la topographie et la géologie sont dans la continuité celle de l’île9, ce qui reste à
confirmer par une cartographie précise des fonds notamment sur la dorsale des
Mathématiciens vers le nord ;
• l’installation d’une base scientifique sur cet atoll unique du Pacifique nord-orien7. 20 000 tonnes évoquées en 1988 (Goujon, 1988).
8. Les premiers prélèvements de nodules dans la ZEE française ont été effectués en 1997 par la mission océanographique mexicaine SURPACLIP de l'UNAM, à laquelle a participé l'auteur (Jost,
1997b).
Prodig 2006
116
C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
tal serait d’un intérêt exceptionnel : tête de pont pour les études des relations
océan-atmosphère et notamment du phénomène El Niño, étude des coraux et de
la dispersion des espèces dans le Pacifique ; le suivi des migrations d’espèces
marines et des oiseaux ; étude des mouvements tectoniques des plaques, des
variations du niveau marin, d’une renaissance de l’écosystème lagonaire, etc.
• une base hauturière dans les eaux profondes des fosses du lagon permettrait aux
thoniers français de disposer d’un havre et de pêcher dans la ZEE, comme l’envisageait déjà en 1983 le projet Niwes (Niwes, 1983) ;
• une base ou une unité militaire, protégeant les résidents des éventuelles visites
clandestines, permettrait d’affirmer la présence française et de surveiller les
routes maritimes de cette zone stratégique proche des Etats-unis et entre la
Colombie et le Mexique ; le contrôle de la zone de pêche permettrait également
à la France de prélever des redevances de pêche des armateurs de thoniers étrangers, redevances dont les montants calculés sur les seules ressources prélevées
illégalement actuellement pourrait dépasser les huit millions d’euros par an (Jost,
2003).
• une base de tourisme d’aventure, de pêche au gros et de plongée sportive pourrait également être source de dividendes au lieu de laisser le site actuellement
exploité par des sociétés de tourisme états-uniennes amenant des amateurs de
pêche au gros et de plongée pour 5000 US$.
Le potentiel de cette possession française est donc loin d’être négligeable, mais
il convient d’être très prudent face à l’extrême fragilité de ce milieu exceptionnel.
La réouverture de deux passes au droit de celles qui existaient par le passé et la
réintroduction d’une espèce prédatrice du crabe (véritable fléau gênant considérablement toute activité humaine et empêchant toute repousse végétale), seraient les
transformations à apporter pour enrayer le processus actuel de désertification.
L’expérimentation, préalable à toute application de solution, a déjà été faite, sur un
siècle complet, et les résultats ont montré une évidente amélioration et diversification de l’écosystème.
Conclusion
Etrangement peut-être, l’originalité de ces deux milieux insulaires si différents
et, de fait, ce qui les rapproche le plus, est le rôle joué par … le porc. Dans un cas
il aura directement favorisé le développement d’un couvert végétal, dans l’autre il
est indirectement responsable d’une réduction du couvert végétal et d’un appauvrissement des sols.
Dans le cas de Clipperton, les porcs introduits par les Mexicains en 1897 et qui
survécurent jusqu’en 1958, eurent indéniablement un rôle de facilitateur du développement du couvert végétal. En 70 ans, une quarantaine de cochons (soit un porc
pour quatre hectares), se nourrissant d’œufs d’oiseaux, de noix de cocos et de
crabes (au regard des carcasses de crabes trouvées dans leurs excréments) a limité la population des crabes et celle des oiseaux et fertilisé le substrat corallien, au
point qu’une végétation basse de Convolvulaceae, de Cyperaceae et de quelques
9. Voir Convention internationale sur les droits de la mer signée à Montego Bay en 1986, ratifiée par
la France en 1996 ; annexe 4 précisant qu'une demande d'extension de souveraineté peut être faite,
dans un délai de 10 ans suivant la ratification par le pays demandeur, sur les fonds marins en continuité topographique et/ou géologique prouvée avec le continent ou l'île.
Prodig 2006
117
Environnement et mobilités géographiques
Scrophulariaceae a pu se développer sur 80 % de la couronne en plus des cocotiers,
coco nucifera. Il s’est agi là d’un véritable front pionnier de végétation qui a progressivement envahi l’île jusqu’à atteindre un optimum de développement, que l’on
peut situer autour des années 1930 au vu des images aériennes prises en 1935 lors
de la mission du croiseur Jeanne d’Arc.
Dans le cas de Futuna, c’est un front pionnier agricole qui progresse actuellement au détriment de la forêt. Les effets en sont multiples : augmentation du ruissellement sur terres mises à nu, accélération des phénomènes d’érosion en nappe
et en ravine, augmentation de la fréquence et de l’intensité des écoulements torrentiels dans les talwegs, mais aussi, sur les versants, ruissellement concentré sur
les nouvelles pistes, véritables chenaux d’écoulement qui se transforment rapidement en ravines par manque d’entretien. En réalité on peut parler de deux types
de fronts pionniers qui progressent sur les hauteurs de Futuna : d’une part ce que
l’on peut appeler le front du manioc, lié à la démographie porcine, qui progresse
en ligne de part et d’autre des nouvelles pistes et en taches itinérantes qui mitent
la forêt, d’autre part le front des nouvelles implantations qui avance plus lentement en auréoles à partir des nouveaux axes de conquêtes des hauts comme à
Kolia-le-haut.
A Futuna et à Clipperton, l’évolution des écosystèmes terrestres tend vers une
désertification. Si cet état est déjà quasiment atteint sur l’ensemble de l’atoll, il
semble bien correspondre à l’état naturel pré-anthropique de l’île. A Futuna, soumis
à une anthropisation trimillénaire, la tendance à la désertification n’est pas aussi
nette en ces termes, mais elle est tangible par l’accélération des processus morphogénétiques tel que l’érosion par mouvements de masse et par ravinement, et la
torrentialité, conséquences de l’augmentation des surfaces de sol à nu. Si l’intensification et l’extension de ces processus ne sont pas forcément, ou pas encore, perçus par la population, car se produisant plutôt sur les hauts de relief, il n’en reste
pas moins qu’ils sont favorisés par la déforestation et par l’augmentation des surfaces cultivées en manioc qui épuise rapidement le sol, même en jachère où subsistent toujours des tubercules.
De ces deux exemples d’évolution, ressort la nécessité d’une rapide prise en
compte globale par les décideurs des dynamiques écosystémique et sociale : dynamique et changements socioculturels dans le cas de Futuna, dynamique d’occupation envisageable et d’aménagements dans le cas de Clipperton. Une véritable politique de gestion de l’environnement reste à mettre en place dans les PTOM. Les
autorités locales devraient rapidement doter leurs institutions locales d’une structure, Agence ou ministère de l’environnement, aux compétences renforcées et à
l’autorité supérieure à celle des autres services ou ministères dont les actions ou
les décisions peuvent affecter l’environnement (travaux publics, aménagement,
urbanisme, etc.). En Polynésie française existe un ministère de l’environnement,
mais ses moyens et son pouvoir se réduisent d’année en année et ils ne traduisent
pas une véritable politique environnementale globale et volontariste. Cette agence
ou ce ministère devrait mettre en place un Plan territorial d’Action Environnemental (PAE), à l’instar de ceux qui ont été développés dans la plupart des pays
du sud, mais avec un contrôle local. Les actions de reforestation ou de conseil restent trop isolées et peu coordonnées. Seule une prise en compte globale et une
approche intégrée peuvent permettre de proposer des solutions adaptées.
A Clipperton, vu les enjeux environnementaux, mais aussi économiques et géopoProdig 2006
118
C. Jost — Réimplantations humaines aux îles Horn et à Clipperton
litiques, il faut rapidement envisager une implantation humaine permanente dont
les effets, mesurés et contrôlés, pourraient précisément être bénéfiques au milieu
écologique. La mise en exploitation de la ZEE de Clipperton en août 2005, la nomination d’un administrateur du territoire en la personne du secrétaire général du
Haut-commissaire en Polynésie française, et le départ de bateaux de pêche polynésiens vers les eaux de Clipperton, sont autant de signes d’une réhabilitation de
cette possession trop longtemps négligée.
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Environnement et mobilités géographiques
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Un bilan des opérations de transmigration
au Timor-Oriental
Olivier Sevin
Résumé : Le programme de Transmigration est l'objet de nombreuses polémiques. Au
Timor-Oriental. Le gouvernement indonésien est accusé d'avoir organisé des déplacements de populations dans le seul but de miner la capacité de résistance du peuple
timorais. La réalité est plus nuancée.
Mots-clés : Timor-Oriental, transmigration, riziculture.
Transmigration et Timor-Oriental constituent deux sujets sensibles. Transmigration est le nom donné au programme de redistribution de la population sur l'ensemble des provinces indonésiennes. C'est un programme de colonisation agricole
assistée, souvent accusé d'être un instrument de « javanisation » de l'archipel.
Timor-Oriental est l'ancienne colonie portugaise envahie par l'armée indonésienne
le 7 décembre 1975, qui a accédé à l'indépendance le 20 mai 2002 sous le nom de
Timor Lorosa'e (Timor Soleil Levant), et qui constitue depuis le 27 septembre 2002
le 191e membre des Nations-Unies sous le nom de République Démocratique du
Timor-Oriental. L'objet de la présente communication est d'apprécier dans quelle
mesure le programme de transmigration a été utilisé par le gouvernement de
Jakarta pour miner la capacité de résistance des populations est-timoraises et
empêcher l'accession à l'indépendance du nouvel Etat.
Les ambiguïtés du programme de Transmigration
Transmigration est le nom donné après l'indépendance de l'Indonésie au vieux
programme néerlandais de Kolonisatie dont la mise en œuvre a débuté dans le sud
de Sumatra, au Lampung, en 1905. On se doute que sur le siècle, en dépit de leur commune filiation, les objectifs assignés à ces deux programmes ont évolué. Cependant,
que ce soit durant la période coloniale ou depuis l'indépendance, les ambiguïtés
quant aux buts à atteindre ont été savamment entretenues par les différents gouvernements : le « non-dit » l'a toujours largement emporté sur les objectifs avoués.
Au début du XXe siècle, un programme social
Pour les colons « éclairés », promoteurs du programme de Kolonisatie, les objectifs sont nobles. Il s'agit d'abord de rééquilibrer la distribution de la population sur
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121
Environnement et mobilités géographiques
l'ensemble des îles, Java abritant les deux-tiers de la population sur moins de 7 % de
la superficie du pays. Il s'agit ensuite de lutter contre la paupérisation de la paysannerie javanaise en distribuant des terres vacantes à des paysans sans terre. Il s'agit
enfin, d'augmenter les superficies rizicoles et d'accroître la production de vivres. La
Kolonisatie constitue l'un des éléments majeurs de ce que l'on appelle la « politique
de la voie morale » lancée par le gouvernement colonial en 1902.
Dès l'origine cependant, le programme acquiert une dimension géopolitique.
C'est sans doute la raison pour laquelle le gouvernement colonial se laisse
convaincre par un groupe de colons « éclairés » promoteurs du projet. Alors que le
partage du monde s'achève, les Néerlandais se rendent compte qu'il ne peuvent
plus se permettre de négliger tout ce qui n'est pas Java. La Kolonisatie devient l'œil
de Batavia dans les îles : pour le gouvernement colonial, distribuer des terres
vacantes (ou réputées telles parce qu'exploitées de manière extensive par des
populations d'essarteurs), est une manière de réaffirmer sa souveraineté sur l'ensemble du territoire. Il y a urgence car les menaces étrangères se précisent. Les
Britanniques sont solidement implantés en péninsule malaise et dans le nord de
Bornéo ; leurs compagnies de navigation ont acquis une position dominante ; leurs
intérêts économiques sont de plus en plus importants à Sumatra, notamment dans
l'agriculture de plantation, et dans le pétrole. A cet égard, l'annexion du Transvaal
par la Grande-Bretagne en 1877, la longue résistance des Bœrs puis la guerre ouverte en 1899, ont servi de révélateurs.
Après l'indépendance, la Transmigration sert
à parachever l'unité nationale
Pour les Indonésiens qui se réapproprient ce vieux programme colonial de colonisation agricole assistée, les objectifs sont officiellement toujours aussi nobles :
mieux répartir la population, étendre les superficies cultivées pour parvenir à l'auto-suffisance alimentaire, favoriser le désenclavement et le développement des
régions reculées, assurer la paix sociale en donnant des terres aux plus démunis.
Avec l'Ordre Nouveau institué en 1965 par le Général Suharto, la finalité du programme est cependant reprécisée. Il lui est dorénavant demandé de contribuer à
renforcer l'unité nationale et de lutter contre d'éventuelles visées séparatistes1.
Priorité est donc donnée aux implantations dans les régions suspectes de dissidence : Sumatra-Ouest et Aceh, dans les années 1950 ; Sulawesi dès la fin des
années 1960 ; Kalimantan-Centre au début des années 1980… Sanctuariser le
territoire national est de la première importance. Le long de la frontière du Sarawak
et de celle de la Papouasie-Nouvelle-Guinée, l'installation de vétérans de l'armée
participe de la construction d'un véritable limes. La Transmigration devient alors
un outil au service du nationalisme indonésien. Ses objectifs sont dès lors clairement géopolitiques et non plus seulement économiques et sociaux (Sevin, 2001).
La Transmigration au Timor-Oriental
En mai 1974, à la suite de la « Révolution des œillets », les colonies portugaises
sont affranchies. A Dili, un conflit violent éclate entre factions timoraises.
1. « (…) la Transmigration constitue un instrument au service de la défense de l'Etat unitaire, ainsi
qu'au développement de l'unité nationale. » Décret présidentiel n° 3 du 28 juillet 1972, article 6,
« Cohésion et unité nationale ».
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O. Sevin — Un bilan des opérations de transmigration au Timor-Oriental
S'opposent modérés regroupés au sein de l'UDT2, partisans d'une intégration à
l'Indonésie membres de l'APODETI3, et marxistes très méfiants vis-à-vis du voisin
indonésien qui fondent l'ASDT4, bientôt transformée en FRETILIN5. A la suite de
l'échec d'une tentative de coup d'Etat par l'UDT, le FRETILIN prend le pouvoir et proclame l'indépendance de la République Démocratique de l'Est-Timor le
28 novembre 1975.
Le gouvernement indonésien profite de la confusion et son armée attaque Dili le
7 décembre. Après d'intenses combats et un simulacre de consultation populaire,
Timor-Oriental est annexé et devient la 27e province indonésienne. Une guérilla très
meurtrière se développe, qui ne prendra fin qu'avec l'arrivée des forces de l'ONU en
1999.
La Transmigration aurait servi à miner la capacité
de résistance du peuple est-timorais
L'idée est séduisante pour les politologues occidentaux nourris du conflit du
Proche-Orient. Elle est clairement exprimée par Gabriel Defert dans son ouvrage
Timor Est, Le génocide oublié. Dans le chapitre 14, intitulé « Indonésianiser » les
Timorais tout en les marginalisant sur leur propre territoire, la cinquième partie,
Remplacer les autochtones par des Indonésiens est, de ce point de vue, particulièrement explicite. L'auteur rappelle que, contrairement à Kalimantan ou à l'Irian Jaya,
la 27e province est loin d'être sous-peuplée : en 1985, la densité moyenne de population y est, en effet, de 42 hab./km2. Il ôte ainsi toute légitimité au discours officiel sur
la redistribution nécessaire de la population sur l'ensemble des îles (Defert, 1992, p.
183). La finalité du programme n'aurait rien non plus de social : les seuls objectifs
seraient de jalonner les zones pacifiées de noyaux de peuplements fidèles au régime
et de bouleverser l'équilibre interne de la population dans l'éventualité d'un référendum ultérieur. Enfin, l'argument du développement régional ne lui semble pas plus
pertinent : une partie des soi-disant « agriculteurs modèles » n'auraient, en fait
jamais pratiqué l'agriculture. Pour illustrer cette thèse, quelques exemples, pour l'essentiel tirés de la presse, sont choisis : 600 familles installées dans la région de
Maliana nouvellement « pacifiée », colons envoyés à Los Palos où se poursuivent les
opérations militaires…(Defert, 1992, p. 182) Ces idées sont reprises par la plupart
des commentateurs de la crise timoraise. Paule Bouvier et Kerstine Vanderput (2001,
p. 80) dans leur ouvrage Timor Oriental : le combat d'un peuple, écrivent : « (…)
au-delà de ses aspects démographiques, cette politique avait également, en tout cas
pour ce qui concerne le Timor Oriental, le but de contrôler et d'assujettir la population locale, et finalement de mouler celle-ci sur le modèle du “nouvel homme
indonésien” selon le vocabulaire utilisé par les militaires » . De même, dans son
atlas géo-historique de Timor Lorosa'e, Frédéric Durand (2002, p. 100) écrit : « Les
campagnes de planning familial et de transmigration sont encore plus révélatrices de
la volonté de marginaliser la population locale. »
La réalité est cependant plus nuancée
Il convient d'abord de rappeler que, sur les 24 ans d'occupation indonésienne, la
Transmigration n'a opéré que tardivement et, par conséquent, que son action est
2. União Democrática Timorense.
3. Associação Popular Democrática Timorense.
4. Associação Social Democrata Timorense.
5. Frente Revolucionária de Timor Leste Independente.
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Environnement et mobilités géographiques
restée relativement brève. Les opérations n'ont débuté qu'au cours de l'année budgétaire 1982-1983, et se sont achevées durant l'année 1998-1999. Elles ont donc duré
en tout et pour tout 17 ans. Sur cette période, le ministère de la Transmigration a
installé 12 671 familles, soit environ 56 500 personnes6. La montée en puissance du
programme est d'ailleurs tardive : durant les IIIe, IVe et Ve plans, n'ont été installées
que 3 611 familles, contre 9 060 au cours du seul VIe plan (1994-1995/1998-1999).
En outre, lorsque l'on examine le détail des chiffres, on constate que, contrairement aux idées reçues, le programme n'a que peu concerné les Javanais. Ils ne
représentent que moins de 8 % des transmigrants contre un peu plus de 10 % pour
les Balinais7. En fait, le gros des transmigrants relève de la catégorie APPDT. Le
terme signifie « Allocation Résidentielle pour les Populations des Régions de
Transmigration8». C'est une catégorie de transmigrants dont le statut a été fixé en
1978 par le décret présidentiel n° 1- 1978. A l'époque, l'objectif du gouvernement
était de mieux faire accepter l'arrivée de transmigrants dans les îles extérieures.
Afin de favoriser le brassage des populations et d'éviter tout heurt ethnique, il
s'était fixé l'objectif d'accorder 10 % des places dans les villages de transmigration,
avec tous les avantages afférents (terres, maisonnette, outillage agricole, intrants,
allocation de subsistance) aux populations du lieu. Les transmigrants APPDT ne
sont donc pas des migrants stricto sensu. Il ne viennent pas de Java ou de Bali : ce
sont des Est-Timorais qui ont bénéficié des avantages dévolus d'ordinaire aux
transmigrants. Or il se trouve qu'ils représentent ici plus des trois-quarts du total !
Les enquêtes de terrain menées en août 2002 dans les villages de Tunubibi, près
de Maliana à proximité immédiate de la frontière avec Timor-Occidental, et dans le
hameau de Maulik qui relève du village de Hatularan9 non loin de Laleia, sur la côte
septentrionale, ainsi que les enquêtes menées en août de l'année suivante à Ariana,
dans le centre de l'île, à quelques kilomètres de Venilale, confirment l'originalité de
la structure ethnique des populations de transmigrants. Tunubibi est un village
(suco) composé de 6 hameaux ou aldeia, dont deux ont été fondés en 1982-1983 par
la Transmigration : Fulan Monu et Lalia Giral. Ces deux hameaux ont accueilli
100 familles de transmigrants : 50 familles venues de Bali et 50 familles d'origine
est-timoraise. En Août 2002, les 22 familles qui y résident encore sont enquêtées :
17 ont été installées par le gouvernement indonésien tandis que 5 sont arrivées ultérieurement. Toutes sont timoraises, 11 appartiennent au groupe ethnolinguistique
kemak, 9 au groupe bunak, et 2 au groupe tetun. A l'est de Laleia, en bordure du
fleuve éponyme, 54 familles de transmigrants ont été installées en 1998 en deux
groupes de 36 et de 18 familles. Toutes sont également timoraises et, du moins en
ce qui concerne les 36 premières, relèvent du groupe linguistique galoli. Les mêmes
constatations s'imposent aussi à Ariana : les 100 familles installées par le gouvernement indonésien en 1987-1988 sur le territoire de la commune de Uato-Hako sont
timoraises. Elles relèvent du groupe ethnolinguistique midiki.
Ces Timorais qui ont bénéficié du programme de transmigration n'ont pas tous
reçu la totalité des aides auxquelles ils auraient pu prétendre du fait de leur statut
APPDT. A Maulik, sur les 26 familles enquêtées en août 2002, une seule a reçu, outre
une maisonnette et une allocation en nourriture de 12 mois, 2 ha de terre, à savoir
6. Realisasi Penempatan Transmigran Berdasarkan Propinsi Daerah Penempatan (Récapitulation du nombre de familles déplacées depuis 1905 dans le cadre des programmes de Kolonisatie
puis de Transmigration, en fonction des provinces d'accueil). Indonésie, Departemen Tenaga
Kerja, Direktorat Jendral Mobilitas Penduduk, Direktorat Bina Kapasitas Ekonomi, 2001.
7. Indonésie, Kantor Statistik Timor Timur, 1997, tabl. 3.3.1, p. 63-66.
8. APPDT : Alokasi Pemukiman bagi Penduduk Daerah Transmigrasi.
9. Aturarang pour les villageois interrogés.
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124
O. Sevin — Un bilan des opérations de transmigration au Timor-Oriental
une cour-jardin (pekarangan) d'une superficie de 0,25 ha, et deux parcelles de
rizières de 0,75 ha et de 1 ha. Les 25 autres familles ont dû se contenter de la petite maison, de la cour-jardin et de l'allocation en nourriture. A Tunubibi, la discrimination a régné entre Timorais et Balinais : toutes les familles, quelle que soit leur
origine, ont bénéficié de l'allocation en nourriture, de la maison et de la cour-jardin,
mais seules 10 des 50 familles timoraises ont reçu des rizières alors que toutes les
familles balinaises en ont obtenu. Quarante familles timoraises ont donc dû se
contenter de parcelles de terres sèches (tegalan). Les raisons de ce traitement discriminatoire ne sont pas aisées à établir ; la pression sociale est très forte et le nondit pesant. Sans qu'il soit bien sûr possible de généraliser, les enquêtes menées à
Ariana en août 2003 laissent supposer que nombre de Timorais installés au sein des
villages de transmigration sont d'anciens guérilleros qui ont déposé les armes et se
sont ralliés aux autorités indonésiennes. Leur réinstallation dans ces nouveaux villages a sans doute constitué, du moins en partie, le prix de leur ralliement, et a
constitué un moyen, pour les militaires indonésiens, de mieux les contrôler. Bien
évidemment, dans les circonstances politiques actuelles, l'aveu n'est pas facile.
L'impact demeure très limité
Au Timor-Oriental, le programme de transmigration a donc pris une connotation
tout à fait particulière. Le terme de « transmigration » n'y recouvre pas la même
réalité que dans les îles de l'archipel indonésien. C'est la raison pour laquelle, que
ce soit sur le plan démographique ou bien sur le plan du développement agricole,
les effets de ce programme sont globalement très modestes.
Au plan démographique, autant que l'on puisse en juger, l'influence de la
Transmigration est négligeable. En effet, on a vu d'une part que l'écrasante majorité des 56 500 personnes installées dans le cadre de ce programme était d'origine
timoraise. D'autre part, l'enquête intercensitaire indonésienne de 1995 donne une
population de langue maternelle non timoraise d'environ 44500 personnes, ce qui
représente 6,35 % de la population totale10. Certes, au sein de la communauté des
non-Timorais, il est difficile d'estimer le poids respectif des Javanais et des Balinais
dans la mesure où seules 8 774 personnes sont réputées être de langue maternelle
javanaise, et 2 720 de langue maternelle balinaise, tandis que 27 469 sont considérées comme étant de langue maternelle indonésienne, mais on conviendra aisément que sur une population de 700 000 à 800 000 personnes, la Transmigration n'a
pu que très faiblement affecter l'équilibre démographique du pays. Pour l'essentiel,
les non-Timorais qui se sont installés au Timor-Oriental ne sont pas arrivés comme
transmigrants ; ce sont, soit des militaires et des fonctionnaires, soit des migrants
spontanés : employés ou commerçants.
Sur le plan agricole, on pourrait légitimement penser que la Transmigration ait
favorisé l'extension des superficies rizicoles et la modernisation des pratiques culturales donc, à terme, l'augmentation de la production de riz. C'est d'ailleurs ce
dont se targuent souvent les auteurs indonésiens. Hadi Sœsastro, chercheur au
Center for Strategic and International Studies de Jakarta, porte, par exemple, un
jugement globalement positif, bien que souvent nuancé, sur les résultats de la politique indonésienne dans le domaine agricole. Il évoque une production en hausse
de 68 % pour le riz et de 66 % pour le maïs sur la seule période 1980-1986 (Soesastro
Hadi, 1989, p. 223). Il écrit : « Les rendements comme les superficies se sont accrus
10. Indonésie, Biro Pusat Statistik, 1996, tabl. 16.9, p. 177.
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125
Environnement et mobilités géographiques
et ont contribué à la croissance de la production dans des proportions à peu près
identiques en ce qui concerne le riz, la hausse des rendements ayant eu plus
d'impact en ce qui concerne le maïs et la patate douce, alors que ces mêmes rendements ont décliné ces dernières années en ce qui concerne le manioc. » (id.)
L'enquête de terrain montre, au contraire, que les effets du programme sont
assez modestes. Certes, les villages de transmigration sont toujours entourés de
rizières. C'est le cas, de Tunubibi et d'une manière générale des villages des environs de Maliana, de Maulik-Laleia, d'Ariana-Uato-Hako, ou des villages neufs de la
côte méridionale autour de Suai (figure 1). Pourtant, à y regarder de près, très souvent, ces rizières ne doivent pas grand-chose à la Transmigration. L'enquête menée
en août 2003 à Ariana montre sans conteste que les périmètres rizicoles datent de
Deux exemples de villages de transmigration
A) Tunubibi
N
Tunubibi
Tunubibi
vers
vers
Balibo
Balibo
et
et Dili
Dili
TIMOR
TIMOR __ ORIENTAL
ORIENTAL
(Timor Lorosa'e)
Lorosa'e)
(Timor
vers
Bobonaro
Bobonaro
Maliana
Maliana
0
Mota Lale
libaca
Mota La
INDONÉSIE
INDONÉSIE
(Province
de de
(Province
Timor - Occidental)
Timor
- Occidental)
oo
S oss
Mota
2 km
1
B) Maulik
Banc de sable
Laleia
Petit centre urbain
Rizières irriguées
Maulik
Village de transmigration
Rizières pluviales
Espace bâti
Champs secs
Route goudronnée
Etendue herbeuse
Route secondaire
Forêt secondaire
Fleuve ou rivière
N
vers
vers
Bacau
Bacau
Forêt primaire
Laleia
Laleia
vers
vers
Dili
Dili
Laleia
Frontière internationale
Maulik
Maulik
Dili
B
TIMOR ORIENTAL
R
A
O
M
I
T
INDONÉSIE
0
Sources : 1) Topographical Map, Indonesia, édition 1993, 1/25 000e
A - Feuille n° 2407.212 (Maliana)
B - Feuille n° 2507-134 (Vemasse)
2) Enquêtes de terrain, août 2002
Prodig 2006
100 km
Cartographie : V. LAHAYE, Université Paris-Sorbonne, 2004
126
O. Sevin — Un bilan des opérations de transmigration au Timor-Oriental
la période portugaise. La situation est du même ordre autour de Maliana : les paysans interrogés en août 2002, ont tous attesté de l'existence de vastes périmètres
rizicoles antérieurs à l'arrivée des Indonésiens. Les autorités indonésiennes ont
amélioré le réseau d'irrigation, mais n'ont pas créé les rizières. Il en va de même
autour de Laleia (photos 1 et 2).
D'ailleurs, globalement, l'irrigation est médiocrement assurée. Certes, à
Tunubibi, au temps de la présence indonésienne, les paysans obtenaient deux
récoltes de paddy par an, mais l'irrigation ne fonctionnait véritablement qu'en saison des pluies, lorsque le niveau de l'eau était suffisant dans les rivières Mota
Sasso, Mota Lale et Mota Lalibaca. En saison sèche, l'irrigation était très imparfaite : à partir de puits, des pompes électriques alimentaient quelques casiers. A
Maulik, les paysans n'ont jamais obtenu qu'une récolte de paddy, en saison des
pluies. Et pour cause : en août, au cœur de la saison sèche, seul un filet d'eau coule
dans la rivière Laleia. D'ailleurs, sur les cartes indonésiennes, les rizières représentées sont des rizières pluviales (tadah hujan), et non pas des rizières irriguées11. Il
en va de même à Ariana : seule une moitié des rizières en terrasses dispose de l'irrigation ; l'autre n'est alimentée en eau que par les précipitations.
De fait, la modernisation du secteur agricole a commencé bien avant l'arrivée
des Indonésiens, vers le milieu des années 1960. Ce sont les Portugais qui ont introduit les variétés de paddy à haut rendement, mises au point à l'IRRI, à Los Baños. A
l'occasion, ils ont modernisé les techniques culturales, généralisant la pratique du
repiquage, en particulier dans les environs de Manatuto, vers Laclo et Laleia ; à
Seiçal, près de Baucau ; et à Laivai dans les environs de Lautem. Ils ont également
créé des périmètres irrigués dans la partie orientale du Timor portugais12. Les
Indonésiens n'ont guère développé l'irrigation que dans la partie occidentale du
Timor-Oriental, en particulier autour de Maliana et de Bobonaro, au début des
années 1980. Ils ont également introduit dans le même temps les vaches balinaises
à culotte blanche pour les labours (Fox, 2001, p. 165-166) . Au total, cependant, les
rendements en paddy sont demeurés fort modestes durant la période d'occupation
indonésienne : dans la seconde moitié des années 1990, les statistiques officielles
oscillent entre 26 et 27 qx/ha au Timor-Oriental, contre 42 à 44 qx/ha pour la moyenne indonésienne13.
Conclusion • La difficile condition de transmigrant
En 2002 et en 2003, les villages de transmigrants sont dans une situation difficile. Tous ne sont plus occupés que par des Est-Timorais. Javanais et Balinais ont
regagné l'Indonésie. A Tunubibi, sur la frontière avec le Timor indonésien, en août
2002, les 6 aldeia qui composent le village sont habités par 275 familles. Les
hameaux d'Antigo, Manu Aman, Lesu et Sekar sont peuplés exclusivement d'EstTimorais Kemak et Bunak ; de même que les deux hameaux de Fulan Monu et de
Lalia Giral, fondés par la Transmigration. Les Balinais sont tous retournés en
Indonésie : la grande majorité dès le début du mois d'août 1999, et le reste après le
référendum d'autodétermination14, entre le 4 et le 6 septembre de la même année.
11. Topographical Map, Indonesia, 1 : 25 000, feuille n° 2507-134, Vemasse.
12. Metzner J.K., 1977, p. 225-234 in Fox J.J., 2001, p. 164-165.
13. Indonésie, Badan Pusat Statistik, 2000, tabl. 5.1.9, p. 161.
14. Dans la cadre de ce référendum, le 30 août 1999, 78,5 % des électeurs se sont prononcés pour l’indépendance du Timor-Oriental. Les résultats sont proclamés officiellement le 3 septembre par le
Secrétaire Général des Nations-Unies Kofi Annan (Brana P., Blum R., 2000, p. 15).
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Environnement et mobilités géographiques
Photo 1 – Périmètre rizicole développé durant la période coloniale portugaise à Ariana
(août 2003). En dépit de la construction de canaux d’irrigation, dont l’un est visible en bas de la
photo, les paysans, tous Est-Timorais, n’obtiennent qu’une récolte annuelle de paddy, en saison
des pluies. On notera le nombre élevé de chevaux qui témoigne d’une longue tradition
d’élevage dans les îles de la Sonde orientales.
Photo 2 – Maulik, un village APPDT.
En bordure du fleuve Laleia, Maulik est un village fondé
par la Transmigration en 1998 pour des Est-Timorais.
On distingue nettement les maisonnettes alignées le long de l’unique rue du village
et les casiers rizicoles bien secs. En dépit de la proximité du fleuve,
ces rizières n’ont jamais été irriguées : ce sont des rizières pluviales
qu’il est impossible de cultiver au cœur de la saison sèche.
La photo a été prise en août 2002.
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128
O. Sevin — Un bilan des opérations de transmigration au Timor-Oriental
Les villageois est-timorais interrogés certifient qu'ils sont partis de leur plein gré,
mais dans des camions militaires indonésiens. Ils précisent, en outre, qu'ils ont
payé eux-mêmes leur transport. Ils ont été suivis par 78 familles timoraises originaires des hameaux de Lesu, Manu Aman Antigo et Sekar, dont une vingtaine
étaient revenues du Timor-Occidental au moment de l'enquête. Dans les deux derniers hameaux de Fulan Monu et de Lalia Giral, 34 familles timoraises avaient
déjà fui dans la montagne ; toutes avaient regagné leur domicile au moment de
l'enquête. Les miliciens pro-indonésiens sont venus à plusieurs reprises dans le
village avant le 30 août et, surtout les 5, 6, et 7 septembre 1999 : ils ont pillés et
tué 4 timorais indépendantistes. Six familles de miliciens, timoraises, ont également fui au Timor-Occidental ; au moment de l'enquête aucune n'était revenue.
Dans les villages de Maulik et d'Ariana, la situation est différente dans la mesure
où ces villages de transmigration n'ont toujours été peuplés que de Timorais.
Ainsi, par exemple, à Maulik, sur les 54 familles qui y résidaient en 1999, il n'en
reste plus que 26, personne ne sachant, ou ne voulant dire, ce que sont devenus
les absents.
La situation matérielle des différents villages varie fortement. Maulik et Ariana
n'ont pas subi de destructions. Par contre, Tunubibi a été pillé : les habitations ont
été dévastées puis brûlées. Fenêtres, portes, toitures en zinc ont été démontées et
emportées par les miliciens (photos 3 et 4). Les 22 familles enquêtées déplorent, en
outre, le vol de 31 buffles, 33 vaches balinaises, 41 chèvres, et 29 porcs. D'après les
villageois, le bétail a franchi la frontière indonésienne emmené par des miliciens
mais aussi par des militaires indonésiens. Des vols de bétail se sont également produits à Maulik. Les 26 familles enquêtées ont subi le vol de 3 vaches balinaises, 28
chèvres, et 3 porcs ; près de 100 buffles ayant été, en outre, purement et simplement
abattus.
Sur le plan agricole, la culture principale reste le riz, comme dans tous les villages de transmigration indonésiens, et non pas le maïs, culture traditionnelle des
Timorais. Cette riziculture est cependant assez médiocre : dans les trois villages
enquêtés, les riziculteurs n'obtiennent qu'une récolte de paddy par an, en saison
des pluies avec des rendements très modestes : en moyenne, ils ont obtenu en 2002,
1, 3 t/ha à Tunubibi et 2 t/ha à Maulik. A cette situation on peut avancer trois explications. La première est que les réseaux d'irrigation, sans avoir été systématiquement détruits en 1999, ont manqué d'entretien. Lors des crues, une partie des installations a été emportée. Le cas est patent de Tunubibi à Maliana (photo 5). Depuis
l'année 2000, les ingénieurs japonais sont à l'œuvre, mais seuls les ouvrages
hydrauliques des environs de Manatuto, de Baucau et de Viqueque, dans l'est du
pays ont été remis en état. Tout reste à faire dans l'ouest du pays, en particulier à
la frontière avec le Timor indonésien (Fox, 2001, p. 166-167) . La seconde raison est
que les paysans n'ont plus du tout accès aux engrais et aux pesticides venus
d'Indonésie, compte tenu de la dégradation des circuits de commercialisation.
Enfin, la troisième raison est que les occasions d'emploi plus rémunératrices se
sont multipliées avec l'arrivée de la force internationale de maintien de la paix. Le
cas est patent à Tunubibi : les paysans préfèrent aujourd'hui travailler pour le
compte des militaires australiens qui gardent la frontière que sur leurs rizières.
Pour construire leur camp installé juste en face du village (photo 6), les Australiens
ont, en effet, rémunéré les travailleurs sur la base de 6 US $ par jour en 2002. On
comprend mieux pourquoi cette même année, la moitié des paysans enquêtés n'a
pas travaillé du tout dans la rizière et n'a, par conséquent, rien récolté.
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Environnement et mobilités géographiques
Photo 3 – Temple balinais abandonné à Tunubibi.
Le village, fondé en 1982-1983, était peuplé en partie d’Est-Timorais et en partie de Balinais.
Aux yeux du gouvernement indonésien, ces derniers, dont la culture fait une large place à l’héritage
indien, présentaient l’avantage de ne pas prêter le flanc aux accusations d’islamisation rampante
du pays. Ils sont tous rentrés en Indonésie en août 1999.
Photo 4 – Tunubibi : un village en voie de « timorisation ».
Une fois les Balinais rentrés en Indonésie, les Est-Timorais, restés seuls, se réapproprient le village.
Les maisonnettes léguées par la Transmigration sont remplacées progressivement par
des habitations timoraises traditionnelles (août 2002).
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O. Sevin — Un bilan des opérations de transmigration au Timor-Oriental
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Environnement et mobilités géographiques
Photo 4 – Le délabrement du système d’irrigation à la frontière avec l’Indonésie.
Les prises d’eau qui alimentaient les canaux d’irrigation n’ont pas été détruites par les milices
pro-indonésiennes comme on aurait pu le penser mais par les crues violentes du fleuve.
De toute façon, au cour de la saison sèche, le faible débit rend impossible toute culture de contre-saison.
Photo 6 – Camp militaire australien à la frontière avec le Timor-Occidental.
En août et septembre 1999, les milices pro-indonésiennes se sont déchaînées à Tunubibi.
Le village a été en grande partie détruit et le cheptel volé. Les forces australiennes,
sous mandat de l’ONU, ont sécurisé la région. En offrant des salaires relativement élevés
pour la construction de leurs infrastructures, elles ont détourné les paysans de la riziculture.
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Mobilités transnationales
et frontière en Océanie
Tamatoa Bambridge
« Les îles sont d’avant l’homme, ou pour après »
(G. Deleuze, 2002, p. 12)
Résumé : Les termes « cultures transnationales » et « frontière » apparaissent antinomiques. Par un mouvement continu de va et vient, les cultures contemporaines se
développent au-delà des frontières étatiques qui, par définition, entourent un espace
fini, délimité, national1. En même temps, les cultures transnationales peuvent véhiculer des représentations et des conceptions spécifiques de la frontière, s’écartant ainsi
d’une définition étatique.
Mots-clés : Océanie, pacifique, frontière, culture transnationale, mobilité.
Ces contradictions soulignent la difficulté que nous avons à comparer des
notions et des pratiques qui relèvent de registres différents, tout en entretenant des
relations dialogiques que nous souhaitons examiner. Comme dans d’autres parties
du monde, les cultures transnationales océaniennes sont en effet devenues une réalité contemporaine. A l’échelle du Pacifique, les insulaires connaissent une mobilité circulaire dont l’intensité et l’ampleur sont sans précédents2. Compte tenu des
registres mythologiques, symboliques et des représentations sociales liées à la frontière en Océanie, on peut se demander quelle(s) acception(s) de la frontière ces
« cultures transnationales » véhiculent-elles ? La frontière correspond-t-elle à une
définition étatique ?
1. Le débat sur l’antinomie des termes de mobilité et de territoire, la première réalité ayant supplanté la seconde à l’époque contemporaine, est sans doute une impasse comme le montrent plusieurs
études intéressantes sur diverses régions en géographie culturelle, en sociologie et en anthropologie. Qu’il s’agisse, dans une acception contemporaine, de mobilité sociale, de migration ou de
mobilité circulaire, les concepts sont vraisemblablement complémentaires même si les termes et
les indicateurs doivent être affinés et calibrés car plusieurs configurations historiques de la mobilité peuvent se produire et plusieurs définitions du territoire peuvent être évoqués. Du côté de la
géographie culturelle ou de l’anthropologie de l’espace, voir notamment J. Bonnemaison (1985,
1997) ; Ch. Chivallon (1997, 1998, 1999). En ethnologie, voir Ottino (1972, ch. Résidence et
Mobilité).
2. Voir à ce sujet, M. Sahlins (2000), T. Bambridge (2004).
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133
Environnement et mobilités géographiques
A l’examen de la littérature actuelle, l’analyse de la notion de frontière est passée par trois phases historiques et théoriques en Océanie. Ces périodes sont celles
de l’évolutionnisme, de la dépendance et de l’identité3. Comme dans d’autres parties du monde, une première phase dite évolutionniste au XIXe siècle, prédisait la
disparition de l’organisation traditionnelle des sociétés dans un proche avenir. Le
concept d’Etat et celui de frontière au sens occidental allaient irrémédiablement
supplanter les modes d’organisations locales et les modalités traditionnelles de
délimitation des territoires dans les sociétés insulaires.
Une seconde phase, correspondant à la période des indépendances dans les
années 1960 jusque dans les années 1990, a été celle de la dépendance. Les Etats
insulaires désormais bornés par des limites continues et arbitrairement fixées à
leur littoral, sont décrits comme « petits », « dépendant » et « sans ressources ».
La phase évolutionniste avait logiquement fait le lit de la période dite de la dépendance. Les « Etats océaniens sous-développés » y sont décrits comme dépendants
des ressources extérieures provenant des migrants à l’étranger et des aides apportées par les anciennes puissances coloniales. Une telle approche a évidemment
contribué à répandre l’idée selon laquelle les sociétés insulaires n’évoluaient que
sous le stimulus de forces externes et que les acteurs n’étaient pas maître de leur
histoire.
Aujourd’hui, c’est la théorie de l’identité qui est en vogue. Contre toute attente
et contrairement aux approches précédentes, les communautés insulaires se sont
inscrites à contre-courant en se saisissant de leur devenir historique et culturel,
prenant eux-mêmes conscience de l’importance de la « culture ». Les deux théories
précédentes font en effet fi du fait que, pour les autochtones au jour le jour, c’est le
système mondial qui se situe à la «périphérie», c’est le « village mondial » qui est
«lointain». C’est en reconnaissant cette simple réalité que la revendication d’une
identité culturelle est apparue avec force, revendication d’ailleurs soutenue par des
chercheurs et des intellectuels océaniens4. Cette revendication a entraîné dans son
sillage une reconsidération des principaux concepts, tels que l’« Etat », la « frontière » et la « migration ».
Dans une première partie, nous évoquerons à propos des frontières la première
phase dite de l’évolutionnisme en Océanie. La seconde partie sera consacrée à la
période de la dépendance. La dernière exposera les principaux acquis de la phase
de l’identité que nous connaissons actuellement.
La période évolutionniste
Avant l’arrivée des missionnaires en Océanie, aucune île – à l’exception de
Tonga – n’avait connu une forme de centralisation du pouvoir. La notion de frontière, comme ligne continue de démarcation entre une ou plusieurs entités politiques, était alors inconnue de ces sociétés et n’entrait pas dans le schème de leur
organisation politique. La frontière, lorsqu’elle existait s’y définissait soit négativement, soit comme un réseau de lieux qui parsème le territoire. La frontière entre les
entités sociopolitiques était en quelque sorte un espace vide de sens, vide d’appro3. Pour l’Océanie, du côté de l’anthropologie, voir les analyses de M. Sahlins (2000). Concernant la
sociologie, voir T. Bambridge (2001, 2004). Pour des références plus générales (notamment africaines) sur le même sujet, voir notamment E. Le Roy (1999), N. Rouland (1988, 1998).
4. Par exemple, à Tonga, Hau'ofa Epeli (1975). Voir aussi l'article de Waddell (2000) qui présente certains chercheurs et intellectuels dans le Pacifique insulaire.
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T. Bambridge – Mobilités Transnationales et frontières en Océanie
priation. C’est une « étendue sans lieux », « sans appropriation » indique à cet
égard J. Bonnemaison (1997, p. 173-174)5.
En Mélanésie, ce dernier (1997, T2, 221) indique que ce qui limite le territoire des
pirogues ne peut être une ligne artificielle créée par les hommes, mais les signes
que la terre révèle aux hommes. Ces signes ont été posés par les esprits créateurs
ou par les héros civilisateurs lors du « temps du rêve ». « Leur nature sacrée les
rend incontestables et aisément reconnaissables par tous (…) ». Il ajoute (T2,
p. 222) : « il serait donc vain de chercher une « frontière » qui soit une ligne
dessinée. Suivre la limite d’un territoire consiste à aller d’un point de repère à
un autre, d’un rocher à un autre (…) Les lieux-frontières sont simplement des «
bornes » disposées sans régularité, ni ordre apparent ». Il conclut en indiquant :
« c’est dire que les territoires sont moins des « frontières » que des cœurs. (…)
La structuration de l’espace par des réseaux de lieux et non par un encadrement
linéaire apparaît bien comme le trait dominant de l’organisation du territoire
coutumier. (…) Le territoire, animé par un réseau souple de lieux vivants, forme
un système réticulé qui parcourt l’espace plus qu’il ne le partage (…). »6
Les îles polynésiennes partageaient cette approche de la délimitation des territoires politiques. En Polynésie orientale, le centre du pouvoir de chaque chefferie
était le marae (temple religieux et politique à ciel ouvert) de chef, le marae
mataèinaa, qui apparaissait alors comme un cœur politique. A l’instar des sociétés
mélanésiennes, les frontières politiques étaient délimitées par des ôfaì ôtià, bornes
en pierre parsemant le territoire. Remarquons d’ailleurs que le terme aujourd’hui
utilisé par le dictionnaire de la langue tahitienne de Mgr Tepano Jaussen (1996,
8e édition) pour définir « la frontière » en tahitien est celui de « otia ». Tandis que
du tahitien au français, le terme « frontière » n’apparaît plus, la traduction donnée
au terme « otia » est celui de borne7. Ces bornes sont intimement liées à l’identité
des groupements dans leurs rapports au territoire.
5. Voir aussi E. Le Roy (1999) qui propose différentes conceptions de l’espace : odologique, d’usage,
de propriété privée. Nous suggérons que trois conceptions des frontières peuvent y être associées :
les frontières « sacrées » élaborés dans le temps du rêve ; les frontières-réseaux qui correspondent
à un bornage socio-affectif de l’espace ; la frontière continu, exclusive et linéaire correspondant à
la propriété privée. De ces faits, nous ne souscrivons pas à l’opinion caricaturale selon laquelle il
existerait des sociétés « sans frontières ». Toutes les sociétés peuvent être définies par des frontières, il nous appartient de les caractériser.
6. A une échelle spatiale archipélagique, la frontière n’est pas envisagée autrement que comme des
points qui parsèment un espace d’interrelations. J. Bonnemaison explique clairement de quelle
manière la mer, en Mélanésie traditionnelle, ne constitue pas une rupture par rapport aux terres
mais un axe de communication privilégié. Il note que « l’espace politique mélanésien (…) n’a pas
de centre et donc pas de périphérie. Il est réticulaire et multicentré, organisé par un système
souple qui met en réseau des archipels de lieux entre lesquels les gens et les dons circulent »
[Bonnemaison (1992, p. 86)].
7. - les ôfaì ôtià qui délimitent un territoire, épousent la configuration de l’espace naturel (embouchure de rivière, différenciation d’un cours d’eau, pied de montagne, etc.).
- la majorité des ôfaì ôtià portent des noms précis qui peuvent désigner le nom d’un ancêtre (par
exemple Tauha désigne un ôfaì ôtià à Rimatara et se réfère à un ancêtre (tupuna) ayant vécu sur
une terre donnée il y a plusieurs générations), qualifier le lieu lui-même (par exemple « pahee » qui
signifie « glissant » est le nom d’un ôfaì ôtià pour caractériser un lieu propice aux éboulements).
- le ôfaì ôtià ne doit cependant pas être confondu avec un tii, représentation homomorphique en
pierre ou en bois, qui porte un nom d’une divinité familiale (dans le cadre d’un ôpu –groupement
de parenté par exemple) et qui assure une influence bienfaisante eu égard au groupement auquel
il est rattaché, parfois malfaisante par rapport aux autres groupes « étrangers ». J. Morrison (1966),
p 160, écrivait : « les Polynésiens sont très superstitieux pour les rites religieux et préfèrent laisser la partie en litige dans l'indivision plutôt que de marquer leur propres limites, craignant
qu'une maladie ne résulte d'un empiètement sur la terre du voisin ».
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Environnement et mobilités géographiques
Au début du XIXe siècle, ce ne sont pas les expéditions coloniales qui instaurèrent pour la première fois une unification du pouvoir politique à l’image des Etats
centralisés européens. Dans certains cas, les missionnaires notamment de la
London Missionnary Society (LMS), ont participé à la centralisation du pouvoir,
conseillant les principaux chefs. A Tahiti, un Etat indépendant sous la coupe d’un
des chefs, Pomare, fût ainsi constitué après bien des affrontements avec les chefferies concurrentes. La bataille de Fei-Pi (nom du lieu où s’est déroulé une grande
bataille) de 1815 fût décisive pour contraindre les autres chefs à se soumettre à
Pomare. A Samoa, bien que la volonté de centraliser le pouvoir était voulue par certains chefs, aucun affrontement déterminant, même à l’époque des missionnaires,
ne permis un tel changement politique8. Bien que les sociétés maories étaient très
hiérarchisées, à l’instar de Hawaii, la centralisation du pouvoir, sous la coupe de
Kamehameha, n’a pas eu lieu avant la mise en place d’une « situation coloniale »
au sens de G. Ballandier.
Les expéditions coloniales précipitèrent les transformations des sociétés océaniennes. En Nouvelle-Calédonie, les Kanaks furent dès 1847 placés dans des réserves,
interrompant ainsi les parcours rituels et politiques qui dominaient à une époque précédente9. Comme dans d’autres lieux dans le monde, l’imposition d’une définition étatique du pouvoir et d’une délimitation occidentale du territoire se manifesta en particulier à l’occasion de la signature de traité de protectorat puis d’annexion. Les
protectorats français ou anglais signés avec quelques chefs, s’étendaient désormais
sur une île entière ou sur plusieurs ensembles archipélagiques. Cela dépendait des
alliances antérieures nouées avec certains chefs dans plusieurs îles. Remarquons que
les traités de protectorat ou d’annexion ont bénéficié des alliances politiques entre
les chefferies océaniennes, intégrant dans un même ensemble politiquement exclusif, les espaces insulaires qui étaient jusqu’alors dans des relations de réciprocités. Ce
faisant, ces traités, dont beaucoup sont reconsidérés aujourd’hui10, ont transformé les
usages traditionnels des frontières et des chefferies.
Dès cette époque, les valeurs civilisatrices dont l’institution étatique était porteuse ont, dans le même temps, rempli une fonction de dénigrement des valeurs traditionnelles. C’est au cours de cette période que se constitue le référent « précolonial » et l’opposition « moderne/traditionnel », produit d’un simple travail de
représentation sociale. Comme l’ont signalé E. Le Roy et al. (1991) à propos de
l’Afrique, le référent précolonial des sociétés traditionnelles qui se construisait
alors, comprend un certain nombre de caractéristiques qui condensent d’une
manière anhistorique des attributs idéaux associés à l’organisation traditionnelle
des territoires. Par exemple, la propriété foncière traditionnelle était présentée
comme « archaïque », « collective », « intemporelle », liée au « droit du premier occupant »11. Autant de termes qui disqualifient l’organisation politique
ancienne et ignorent les conceptions endogènes des frontières.
8. Pour une discussion récente de cette question, voir S. Tcherkezoff (2003).
9. Voir par exemple M. Naepels (1998).
10. Nous pensons en particulier aux traités de Waitangi en Nouvelle-Zélande, celui de Tahiti et de
Rapa. Voir notamment, Fleras, 1985; McLeay 1991; Mulgan, 1989, Schulte-Tenckhoff, 2000,
Bambridge et Ghasarian( 2002).
11. Même les travaux politiques et juridiques récents qui concernent la Polynésie française condensent ces idéaux-types sur les sociétés « traditionnelles ». Cela n'a rien d'étonnant car les auteurs
ne cessent de se renvoyer les uns aux autres. Cela est moins le signe de la validité du modèle que
d'une « sagesse conventionnelle ». Entre les travaux des périodes anciennes et ceux plus récents,
il y a une continuité majeure qui renforce le modèle pré-colonial initialement construit. Voir
notamment (la liste n'est pas exhaustive) dans le cas polynésien: R. Cochin (1947), J. Roucaute
(1951), R. Brochet (1956), Y.L. Sage (1981). Pour une critique du référent « pré-colonial », voir
N. Rouland (1988), E. Le Roy (1982, 1983, 1998), Verdier (1982).
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T. Bambridge – Mobilités Transnationales et frontières en Océanie
A la suite des époques coloniales (dont l’espace-temps est plus ou moins étendu
selon les îles)12, les élites océaniennes n’ont pas cherché à revenir à des formes
politiques anciennes, ni à privilégier une conception traditionnelle des frontières.
Au contraire, comme dans d’autres parties du monde (notamment en Afrique et en
Asie), ces élites ont adopté le modèle étatique d’organisation des territoires introduit par les Européens, accélérant la dépendance de ces Etats vis-à-vis de l’ingénierie juridique et politique occidentale.
La phase de la dépendance
Cette phase évolutionniste a ensuite et logiquement fait le lit de la théorie de la
dépendance qui entendait décrire les régimes sous-développés et mercantiles du
Pacifique comme dépendant des nations développées et des ressources provenant
des migrants travaillant à l’étranger. Les Etats océaniens, désormais bornées par des
frontières limitées à leur littoral, sont décrits comme « petits », « sans ressource »,
« dépendant des revenus provenant des migrants » et « des anciennes puissances
occidentales ». Cette tendance générale en Océanie est particulièrement marquée
au cours des années 1960-199013. Au-delà de la diversité des approches, ceux-ci partagent des fondements communs : l’idée que les sociétés insulaires puissent être
confondues avec leur Etat ; l’idée que les mobilités océaniennes contemporaines ne
peuvent être compris que dans le sens de migrations, c’est-à-dire de « déplacement
définitif d’une population d’un pays à un autre ». Les conceptions occidentales des
Etats et des frontières appliquées aux sociétés insulaires océaniennes, ont en effet
fini par interpréter ces mobilités en terme de migrations.
Il est très intéressant de détailler quelques peu ces travaux qui ont dominé les
années 1980 car la majeure partie de leurs analyses repose sur l’hypothèse que les
conceptions occidentales de l’Etat et des frontières sont maintenant des réalités
bien ancrées et incontournables qui déterminent les processus sociaux observés.
Depuis vingt ans, les études sociologiques et économiques dominantes, qui rendent
compte de la mobilité océanienne contemporaine, ont généralement abordé ces
situations en les qualifiant de migrations. C’est dans cette optique que certains
auteurs ont traduit ces situations de mobilité à l’aide de sigles comme MIRAB
(Migration, Remittance, Aid, Bureaucracy) pour les Polynésiens et MURAB
(Migration, Urban, Remittance, Aid, Bureaucracy) pour les Mélanésiens, pour
rendre compte des mobilités et signaler la situation de dépendance économique
dans laquelle se trouvent les Etats océaniens (Bertram et Watters, 1985 ; Rallu,
1994). On peut néanmoins s’interroger sur les postulats qui fondent ces théories de
la dépendance. L’Etat n’y est-il pas défini comme une forme politique exclusive de
toute autre ? Les frontières linéaires qui existent désormais ne déterminent-elles
12. A titre d’illustration, la vague des protectorats français dans l’archipel des îles Australes, s’étendra de 1842 à 1889, soit sur plus de 50 ans et celle des annexions entre 1880 et 1900.
Dates
des protectorats
1842
1861
1867
1889
Dates
Des annexions
1880
1880
1881
1900
Îles
Tupuai
Raivavae
Rapa
Rurutu et Rimatara
13. Voir par exemple, les études en démographie [Bertram et Wattters (1985), Rallu (1994)], en socioéconomie [Bertram et Watters (1985), B. Poirine (1994), Toullelon et Gille (1999), Brown et Foster
(1995)], en géographie humaine [JP Doumenge (1982), Ward (1989), Cole (1993), Curry et
Koczberski (1998)].
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Environnement et mobilités géographiques
pas les résultats des recherches ? La mobilité n’est en effet pas soumise à un examen critique puisqu’elle est assimilée à une migration. Le pluralisme du pouvoir
politique qui continue de dominer les sociétés insulaires est confondu à des
« retards de développement ». Il n’est certes pas question de contester la réalité de
l’Etat ou des frontières au sens ocidental dans le Pacifique, mais de s’interroger sur
la continuité d’autres conceptions et représentations du territoires et des frontières
qui, à leur tour, éclairent les phénomènes sociaux liées à la résidence, la domiciliation et à la mobilité.
Si les mobilités actuellement observées relevaient effectivement du concept de
migration en Océanie, les retours possibles des migrants ne pourraient pas être
confondus à un parcours de circulation. Il s’agirait alors d’un séjour provisoire,
d’une villégiature ou tout simplement d’une activité touristique. Or, précisément,
nous identifions aujourd’hui, en Océanie comme dans d’autres régions du monde,
non pas des changements définitifs de résidence, mais au contraire, des parcours
de circulation à une échelle transnationale. En ce sens, les mobilités contemporaines peuvent être associées à l’émergence de cultures transnationales à l’échelle
océanienne et dans d’autres régions du monde14. Parmi les conséquences de ces
nouvelles cultures transnationales, on constate un élargissement de l’espace géographique de la mobilité, une circularité des flux de populations mais également de
biens matériels, des idées et de l’argent. Désormais, les routes de la mobilité océanique sont largement empruntées par les Polynésiens, tandis que les Mélanésiens,
favorisés par la grande taille de leurs territoires, empruntent plus volontiers les «
routes d’alliance » terrestres. Les routes translocales ont désormais pour destination privilégiée la Nouvelle-Zélande, l’Australie et les USA15. Déjà, quelques pôles
urbains ont « émergé ». Il s’agit de Nouméa, Papeete, Suva, Auckland la plus grande capitale des « highlanders » dans la terminologie anglo-saxonne, Adélaïde, Port
Moresby, Honolulu, et Nauru. Quelques pôles urbains périphériques concentrent et
accueillent désormais de vastes mouvements de populations.
Il importe désormais d’expliciter en quoi les cultures transnationales en Océanie
continuent de véhiculer une conception spécifique des frontières et de l’organisation politique de leur territoire.
Cultures transnationales et frontières
J. Bonnemaison (2000, p. 121-133) a insisté sur quatre définitions du territoire
qui peuvent, nous semble-t-il, être étudiées en même temps que la conception de la
frontière véhiculée par les sociétés océaniennes. En premier lieu, le territoire a un
rapport étroit avec l‘identité. Ce sont ces « lieux de l’identité » qui incarnent le
territoire et lui donnent une forme et une réalité spatiale. En second lieu, le
territoire fait référence à une représentation plutôt qu’à une fonction. Pour beaucoup d’auteurs, le territoire « est une vision du monde plutôt qu’une organisation
». Son analyse en appelle d’abord à l’histoire, la culture et la science politique de
préférence à l’aménagement de l’espace et à l’économie. Troisièmement, le
territoire peut être abordé dans le sens du rite. Dans toutes les sociétés, c’est le rite
qui institue le territoire, informe les hiérarchies sociales, fortifie ses valeurs et ses
représentations. Les rites apparaissent dans des lieux sacrés qui parsèment le
14. Pour les Caraïbes, voir notamment Ch. Chivallon (2004). Pour un panorama plus général, se référer à P. Meyer (2004).
15. Voir par exemple, Rallu (1994).
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T. Bambridge – Mobilités Transnationales et frontières en Océanie
territoire. Enfin, le territoire peut faire référence à un enjeu politique. Ce territoire
ci est défini par des frontières. C’est un espace où se jouent les rapports de domination entre les nations. C’est également un espace où se dénouent les relations de
pouvoir internes lorsque la nation cherche à contrôler, organiser les lieux du
territoire.
L’identité ou l’oblitération de la frontière
Les communautés insulaires dispersées en Océanie se sont saisies de leur devenir historique, réinterprétant et requalifiant les concepts d’identité, d’espace et de
frontière. Remarquons tout d’abord que les cultures transnationales océaniennes
ne se sont pas renfermées sur une identité de migrants définitivement déplacés
d’un pays à un autre. Les nouveaux lieux de conquête urbaine sont aussi devenus
de nouveaux lieux d’ancrages identitaires. A une identité océanienne, ne s’oppose
pas une identité urbaine, car les affiliations traditionnelles sont reconfigurées. De
nouvelles relations émergent. Certains organisent les flux des ressources et des
personnes et s’occupent des aspects logistiques de la mobilité circulaire16. Les processus d’identification territoriaux traditionnels s’estompent au bénéfice d’autres
identifications urbaines, religieuses, et économiques17. Les relations étroites sont
maintenues entre les territoires urbains et ruraux séparés par une étendue maritime s’étendant sur des milliers de kilomètres. On observe donc moins la substitution d’une identité par une autre que la superposition de plusieurs identités.
En outre, ce sont des intellectuels océaniens n’habitant pas nécessairement leur
île d’origine, résidant en Nouvelle-Zélande pour les uns, à Fidji ou à Hawaii pour les
autres, qui ont reconsidéré les liens entre identité, espace et frontière. Par exemple,
A. Gell a entrepris un travail intéressant sur les tatouages polynésiens. Il théorise
le fait que le corps tatoué devient une frontière poreuse presque liquide entre l’intérieur et l’extérieur, entre ce qui relève du privé et du public18. Discutant de la
signification des tatouages océaniens, il indique en particulier : « cette double
peau, plissée sur elle-même, laisse la possibilité à une élaboration sans fin d’interactions des composantes de la personne sociale. Le corps se multiplie ; des
organes additionnels et des « moi-s » subsidiaires sont créés ; esprits, ancêtres,
dirigeants et victimes prennent résidences dans une coquille qui commence alors
à avoir sa propre vie »19
16. Si nous prenons en considération le caractère dynamique de la mobilité géographique océanienne, les effets de solidarité induits sont particulièrement frappants. Dans la société Wosera en
Papouasie Nouvelle-Guinée, les « migrants temporaires » entretiennent les relations entre les villages et les migrants à long terme. Cela permet à ces derniers, à la fois de conserver une identité villageoise et parfois même de voir le prestige de leur statut s’amplifier en fonction de l’importance des sommes d’argent remises à destination de leur village. Dans cette même société, la
composante monétaire des dons qui permet de maintenir des droits sur les terres du village,
aurait atteint selon les auteurs plus de la moitié de l’ensemble des dons. Les statistiques officielles sous-évaluent de manière importante la nature des dons renvoyés par les Samoa et les
Tongiens de Nouvelle-Zélande dans leur île d’origine. Il semblerait néanmoins qu’une part très
importante de ces dons serait maintenant réalisée sous une forme monétaire. Voir Curry et
Koczberski (1998) ; Brown et Foster (1995). Ces derniers pensent que près de 57 % des dons passeraient par d’autres canaux que celui du système bancaire.
17. Voir par exemple M. Augé (1994) qui remarque le même phénomène sur d’autres terrains notamment africains.
18. A. Gell, (1993), p. 38-39.
19. A. Gell (1993), p. 39 : “This double skin, folded over on itself allows the possibility of an endless
elaboration of interacting components of the social person. The body multiplies; additional
organs and subsidiary selves are created; spirits, ancestors, rulers and victims take up residence
in an integument which begins to take a life of its own”.
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Environnement et mobilités géographiques
Prenant appui sur cette étude, le samoan A. Wendt remarque que le corps tatoué
fait explicitement référence à une surface relationnelle dans laquelle « l’extériorisation de l’intérieur est simultanément l’intériorisation de l’extérieur »20. La surface dessinée ou inscrite sur la peau qui active les deux côtés, devient une chose
transparente. Tenant compte des mythologies et des mobilités océaniennes,
A. Wendt suggère que la « frontière poreuse » serait la marque distinctive et
constituerait un paradigme océanien de la définition de l’espace : « (…) Je veux
souligner ici à quel point la frontière poreuse que Gell propose peut être le fondement d’une manière de penser à propos du Pacifique. Une fondation des frontières qui démarque l’espace, qui marque la rupture entre l’être privé et public,
est un moment absolu de dualité où les frontières qui regardent ‘de l’extérieur à
l’intérieur, de l’intérieur à l’extérieur’ [en Océanie], oblitèrent la frontière ellemême (…) » (Wendt, p. 4)21. Si, comme le tatouage, la frontière peut être comparée à une armure, une protection, c’est l’appartenance à la société (des hommes,
des chasseurs, des pêcheurs, etc.) et au territoire du rite qui constitue le meilleur
rempart contre l’extérieur. C’est également une autre façon de distinguer les
espaces publics/privées qui est ici soulignée.
Ainsi, l’idée d’un territoire plus organisé autour d’un cœur qu’autour de ses frontières, l’image d’une identité ouverte « depuis un intérieur » et « visible depuis un
extérieur » apparaissent comme des marques distinctives des sociétés contemporaines du Pacifique. L’analyse du tatouage par A. Gell et A. Wendt suggère un paradigme océanien d’appréhension de l’espace22. Cette analyse caractérise la rupture
particulière générée par la frontière : si l’intérieur peut être perçu de l’extérieur et
inversement, si l’espace d’interrelations est composé de divinités, de la famille, de
la communauté mais aussi du monde environnant, c’est un espace rempli et non un
espace vide qui est ainsi constitué. La frontière qui caractérise les mondes océaniens devient poreuse et facilement franchissable. Tant sur les plans cosmogoniques que identitaires, elle devient la condition d’existence de ces sociétés.
20. Etudiant les liens entre identité, tatouage et espace dans le Pacifique d’un point de vue phénoménologique, le samoa A. Wendt (2004) suggère que l’art du tatouage traditionnel océanien dénote une certaine forme identitaire, un type particulier de rapport à l’espace, au territoire et à la
frontière aujourd’hui. Se positionnant dans une optique régionale, A. Wendt, insiste sur le fait que
discuter des notions d’espace et de frontière revient à circonscrire l’art de la localisation, de la «
connaissance de la place à laquelle on est », à identifier où chacun se tient ou tu, en relation avec
le fenua (la terre), avec les tupuna (les ancêtres), avec le mataèinaa (la communauté), à respecter le va (espace sacré d’interrelations) en relation avec l’environnement naturel.
21. Entre crochets, de nous. Comme dans le cas des cosmogonies polynésiennes, la symbolique
maritime est également présente dès qu’il s’agit d’analyser la notion de frontière d’un point de
vue identitaire. A Wendt, p 3 : « Tatau, ta-tau (Tatouage, tatouer) a une signification particulière en Polynésie. (…) Tau peut être décrit à un moment pertinent d’attention, par exemple,
le tautai ou navigateur, doit se concentrer sur la lecture de l’océan et sur les marques environnantes ou les changements qui lui indiqueront où il se situe dans l’océan. Tau est le moment
d’anticipation du signe pertinent dans un lieu et un espace. Ta-tau (tatouage) permet l’ouverture du corps et sa connection aux confins de l’horizon de la relation va. Il active le corps de
manière à ce qu’il puisse regarder des deux côtés, de l’intérieur vers l’extérieur et de l’extérieur
vers l’intérieur (…) »
22. Gell (1993) suggère que le tatouage remplie un rôle de protection, d’armure dans le Pacifique. Il
pense que le tatouage en tant que seconde peau fortifie le corps qui est devenu un membre d’un
corps social plus important (groupe des hommes, chasseurs, etc.). Ainsi, le tatouage dans les
sociétés traditionnelles du Pacifique, apparaît comme un acte public et non un acte d’individualisation, comme c’est le cas pour beaucoup de tatouages aujourd'hui. Alors que l’âme en Occident
est préservée, gardée secrète, relève d’une sphère privée, le marquage par le tatouage montre l’intérieur à l’extérieur, de manière à ce que l’âme soit visible par la communauté. L’âme est portée
comme une armure sur l’extérieur en Océanie.
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T. Bambridge – Mobilités Transnationales et frontières en Océanie
Frontière et représentation du territoire
Comme dans d’autres lieux de la planète, la représentation du territoire dans le
Pacifique est liée à celle de la frontière. La prise en compte des mobilités et des
liens de réciprocité maintenus par les populations à l’échelle océanienne, a mené
les travaux récents à inverser leur perspective analytique, passant d’un village
« petit et isolé » à un « village social » qui s’étend sur des milliers de kilomètres23.
Le village n’est plus identifié par ses frontières terrestres mais à un réseau de lieux
qu’il construit à l’échelle insulaire et océanienne.
On sait par ailleurs que dans d’autres lieux de la planète, les diasporas ont
construit au fil du temps un réseau de lieux et ont réinventé une nouvelle frontière
sociale et identitaire24, sans qu’on puisse pour autant conclure à la continuité de
processus politiques et territoriaux endogènes. Mais un des facteurs déterminant
concernant l’Océanie, réside dans le fait que ce maillage spatial et identitaire s’inscrit d’abord dans un registre politique. A cet égard, il est intéressant de remarquer
que certaines coutumes juridiques n’ont rien perdu de leur valeur au cours du parcours de circulation vers de nouveaux territoires. Il en est ainsi de la cérémonie du
Kava qui se déroule dans une maison, dégagée de tout meuble pour la circonstance, où les membres sont amenés à prendre des décisions qui impliquent la vie de la
communauté. La communauté samoa édifie des « faletele » (maison de réunion
politique) au cœur des plus grandes universités de la Nouvelle-Zélande.
L’architecture de ces maisons, ouvertes sur l’extérieur, reflète la métaphore de la
pirogue voyageant sur l’océan et une image d’une organisation politique tournée
autour d’un cœur plutôt que des frontières. De même que les Futuniens et
Wallisiens émigrés en Nouvelle-Calédonie bâtissent des maisons qu’ils prennent
soin d’enclore dans un jardin. C’est dans ce jardin que des réunions coutumières
sont organisées pour décider de la vie de la communauté et prendre des décisions
qui revêtent parfois un caractère juridique25.
D’un autre côté, on aurait pu déduire des mobilités océaniennes une interruption de la représentation traditionnelle de la frontière, si les populations
« migrantes » ne maintenaient pas de liens privilégiés avec les territoires autochtones, ruraux et communautaires, si le « réseau de lieux » avait perdu ses fonc23. Le village social qui prend en compte les relations entre le monde rural et les acteurs de la mobilité dans les grandes métropoles périphériques est identifié en tant qu’objet de recherche à part
entière au moins depuis le début des années 1960. Voir par exemple : Uzzell (1979); E. Bruner
(1961). Pour l’Océanie, consulter notamment E. Hau’ofa (1993), Tui Atua Tupua Tamasese Taisi
Tupuola Tufuga Efi (2004), T. Bambridge (2004)
24. Par exemple, se référer à J.-B. Meyer (2004), Ch. Chivallon (2004).
25. Selon J-C Roux (1995, p 666) : « [En Nouvelle-Calédonie], une partie non négligeable des
familles wallisiennes possède en propriété ou en co-propriété son domicile (15 à 25 % à
Nouméa ou en périphérie où de nombreuses maisons de fortune sont érigées sur des terrains
achetés au Mont Dore à Dumbea ou à Pauta) (…). La famille wallisienne s’épanouit, crée un
logement accueillant, vite entouré d’arbres et de fleurs avec un carré de gazon pour les
réunions de famille (…) ». Le choix de la langue utilisée dans le contexte de ces réunions dans
des espaces ouverts est très souvent celui de la langue autochtone. La coutume juridique autochtone peut alors pleinement s’exprimer dans un espace ouvert analogue au marae à une époque
pré-européenne.
Paul Ottino (1966) avait déjà remarqué pour l’archipel des îles Marquises, que les mots de la
langue polynésienne pouvaient avoir plusieurs significations selon leur contexte d’utilisation.
L’usage de certaines catégories langagières est flexible selon l’interprétation en fonction du
contexte d’énonciation, de la structure des personnes présentes, etc. Par analogie, la distinction
entre catégorie « flexible » et catégorie « fermée » – cette dernière caractérisant les structures
formelles du droit occidental – peut être la même que celle que l’on peut faire entre coutume
(orale) et loi (écrite). La première est par définition dynamique dans le temps comme dans l’espace. La seconde demeure la même à n’importe quelle époque (pour peu qu’on ne la modifie pas)
et dans n’importe quel lieu (pour peu que la loi s’applique à un territoire déterminé).
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Environnement et mobilités géographiques
tions sociales. Il en aurait été de même si les mobilités pouvaient être exclusivement confondues avec des migrations définitives. Pourtant, une revue extensive de
la littérature sur la culture et le développement montre que la prolétarisation des
migrants maintes fois annoncée par les études libérales et marxistes, n’a jamais eu
lieu (Kearney, 1986). Le réseau social océanien révèle une frontière dont la traduction territoriale serait moins un espace délimitée par une ligne continue, qu’un
espace-réseau, un espace d’activité orientée autour d’un moment et d’une place
commune : cérémonie religieuse, mortuaire, assemblage des chefs, etc. Le choix
du « moment » des visites, lors des grandes fêtes ou des rituels importants (deuil,
mariage, évènement de la vie insulaire), les activités lors de ces parcours (visite des
familles élargies, participation aux activités villageoises), évoquent beaucoup plus
l’idée de parcours-rituels réactualisés dans les rapports sociaux, plutôt qu’un séjour
de villégiature.
Rite et frontière
Il existe certaines réalités liées aux rites qui réactualisent les rapports sociaux
dans des lieux spécifiques et concourent à la fois à la formation du territoire et à
son appropriation par ses habitants. Nous avons déjà évoqué le fait que les mobilités des cultures transnationales océaniennes s’apparentent moins à un parcours
touristique qu’à des visites dans des contextes rituels et politiques particuliers.
Ainsi que nous l’avions noté dans un précédent article : « (…) les bénéfices tirés
des revenus provenant des « migrants » travaillant dans des entreprises multinationales, dans des plantations de bois, de café, de nickel et d’autres encore,
n’ont jamais autant contribué qu’aujourd’hui aux grandes cérémonies
d’échanges locaux entre les clans, les chefferies et les villages. Qu’il s’agisse des
Wallisiens, des Kanak, des Enga, des Chimbu ou des Hagen en Papouasie
Nouvelle-Guinée, les cérémonies traditionnelles ont considérablement progressé
en terme de fréquence et de magnitude dans des proportions jusqu’alors inconnues » (Bambridge, 2004).
Les conditions de pérennité des processus politiques traditionnelles sont également un objet de débat en Océanie. Au cours d’un colloque sur les concepts juridiques polynésiens, Tui Atua Tupua Tamasese Taisi Tupuola Tufuga Efi (2004) discute les notions de « résident », « résidence » et de « domiciliation » dans le
contexte de la culture transnationale samoane. Il interroge les manières dont le statut de non résident d’un chef coutumier, affecte son rôle et sa fonction à l’époque
contemporaine. L’auteur analyse les conséquences du statut de non résident d’un
chef sur les relations avec le monde spirituel et la continuité du dialogue entre les
vivants et les ancêtres aujourd’hui. Citant un proverbe samoa répandu (« e le tu se
Tamaaiga i se uaniu », signifiant « un Tamaaiga ne se tient pas au sommet d’un
cocotier »), il explique qu’un chef se tient (tu) ou tombe en fonction des liens
d’amour et de loyauté qu’il est capable de générer auprès de son peuple, le aiga.
Autrement dit, une des manières de pérenniser juridiquement le statut d’un chef
non résident à Samoa réside dans les principes de partage et d’échange.
L’hypothèse avancée par Tui Atua Tupua Tamasese Taisi Tupuola Tufuga Efi est
exemplaire pour les cultures transnationales océaniennes car elle suggère que des
processus politiques coutumiers peuvent se maintenir en dépit des distances qui
séparent les communautés.
Cet aspect est intéressant car il est révélateur des erreurs commises par les
théories de la dépendance. En insistant sur les liens de réciprocité et d’échange plutôt que sur les relations de dépendance, on déplace en même temps l’analyse d’un
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T. Bambridge – Mobilités Transnationales et frontières en Océanie
terrain strictement étatique, d’une échelle politique bornée par des frontières
exclusives pour se placer dans un registre politique et à une échelle plus large. Les
liens d’échange et de réciprocité apparaissent fondamentaux pour maintenir les
continuités familiales, de résidence et de domiciliation. Dans un contexte francophone en Polynésie sur l’atolls de Rangiroa, P. Ottino (1972) avait montré que ce
sont ces mêmes liens d’échanges et de réciprocités qui permettaient d’assurer la
domiciliation des non-résidents et, surtout, leur accès aux terres indivises. Ce sont
des phénomènes liés à la terre que nous avons également identifiés et analysés à
propos de l’archipel des îles Australes en Polynésie française (Bambridge, 2006 (à
paraître).
Conclusion : La frontière comme enjeu politique
Tenant compte des cultures transnationales contemporaines, la frontière est
devenue un enjeu politique majeur. Ce qui est en cause, c’est moins la notion de
frontière en tant que ligne continu délimitant un territoire insulaire. Ce qui est en
jeu est relatif à la permanence des cultures transnationales et aux conditions politiques de leur pérennité. A titre d’illustration, le fait que de nombreux tongiens,
samoans, tokelaus, niues, rarotongiens, etc. possèdent une double nationalité, celle
de leur île d’origine mais aussi celle de leur territoire d’accueil –notamment la
Nouvelle-Zélande, l’Autralie-, ne nous semble pas manifester une dépendance à
l’égard des pays d’accueil, mais plutôt le choix de développer de nouveaux parcours de circulation. La prochaine accession de Tokelau à un statut d’autodétermination vis à vis de la Nouvelle-Zélande n’enlèvera pas aux Tokelaus leur droit à une
citoyenneté néo-zélandaise a acquiescé M. Phil Goff, ministre néo-zélandais des
affaires étrangères (Wellington Post du 12 novembre 2004).
Il convient d’ajouter que dans la plupart des sociétés du Pacifique, les Etats centralisés ont constitutionnellement reconnu l’importance de la coutume, et ce faisant le pluralisme culturel et juridique inhérent aux interactions entre la loi nationale et les processus coutumiers locaux. Ce sont précisément ces « territoires
locaux » disposant de leurs propres règles, de rites spécifiques, qui sont les supports des parcours de circulation qui se définissent par rapport à un point d’origine déterminé : le territoire des ancêtres et des mythes. Les modes de délimitations
des territoires coutumiers continuent de véhiculer l’idée d’un espace-réseau. Des
bornes sont disposées sur les périmètres des villages. Les villages sont toujours
construits autour d’un cœur : le « faletele » à Samoa, aux Kiribatis, le marae à
Tonga ou à Rarotonga. En Nouvelle-Calédonie, la maison du chef se tient tout en
haut du village et inspire/induit le respect à tous ceux qui passent par ces lieux.
C’est la raison pour laquelle, il apparaît difficile de confondre les parcours transnationaux à des migrations. La conception des frontières ainsi véhiculée par les
sociétés transnationales s’apparente plutôt à un réseau de lieux politiques, sociaux,
culturels sans cesse en mouvement et en développement. Ce sont les cœurs
urbains, ruraux, communautaires qui déterminent l’existence de ces réseaux et non
les territoires organisés autour des frontières. Dans bien des cas, les sociétés océaniennes ont même fait pression sur leur gouvernement pour qu’une politique des
visas adaptés aux mobilités dans le Pacifique, soit négociée et acceptée par les pays
d’accueil.
Lorsque le salomonais T. Kabutaulaka (1993) en appelle à une unité politique
dans le monde océanien, il est moins fait référence à un « Super-Etat Océanien »
ou à une « frontière d’empire » qu’à la construction à une échelle régionale d’un
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Environnement et mobilités géographiques
espace de circulation des sociétés du Pacifique. Quoi qu’il en soit, on peut se
demander comment les territoires politiques, définis par leurs frontières, vont
s’adapter au phénomène des mobilités circulaires au nord comme au sud. Est-il
pensable que ces mobilités transnationales n’aient pas un impact sur l’auto définition politique des sociétés ? En Europe comme sur le continent nord-américain, les
tentations de la retraite nationaliste semblent exacerbées par l’ampleur du phénomène des mobilités circulaires. Le soit disant manque d’intégration des « migrants
» est souvent interprété comme un « repli communautaire », alors même qu’un
malentendu profond semble perdurer sur les différents sens des mobilités contemporaines.
Enfin, nous pouvons nous demander jusqu’à quel point la mobilité au sens d’une
conquête politique du Pacifique, apparaît comme une fiction encore présente
aujourd’hui ? Le penseur tongien, Epili Hau’ofa (2000) a entamé une réflexion sur
les conditions politiques de continuités entre les processus anciens de mobilité et
les phénomènes actuels des cultures transnationales. Après avoir remarqué que la
loi sur la convention de la mer avait ironiquement encouragé les « instincts territoriaux » en élargissant les frontières insulaires aux zones maritimes des deux
cents milles nautiques, il suggère que le point commun entre les mobilités
anciennes et contemporaines réside dans la manière dont les Océaniens vont
construire leur rapport à l’espace maritime dans le futur. Dans un registre symbolique et culturel, l’espace maritime est ce qui a permis les mobilités dans le passé et
ce qui risque de diviser les Océaniens dans le futur. Dès lors, compte tenu de la multiplicité des références actuelles, une identité régionale ne peut que se fonder sur
une représentation commune de l’espace maritime en Océanie : un espace ouvert,
condition et conséquence de la reproduction des sociétés océaniennes ; un espace
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Abstracts
Christian Seignobos
A half-century of rural development in the North of Cameroun, on the theme of
erosion and impoverishment of the soil allows us the contemplation of a column
on the contacts between experts and countrymen. A total incomprehension is
noted from the start, the “fears” of the ones, are not those of the others. The development themes, built on transfers meet diverse fortunes. These last year, development messages have, at last, found echo in the village communities, however by
the means of their urban elites.With the uniting of scolarisation, the medias and the
rurbanisation of the countryside, the “development language” progresses. The
local elites seize it, creating forms of understanding between rural communities
and project promoters. Would Development then be just a slow process of cultural
integration ? Key words : North Cameroun, expert, countryman knowledge, erosion, earth fertility, Faidherbia albida.
Bénédicte Thibaud
Irrigated perimeters of Niger’s Office became very attractive since their recent
rehabilitation. With the agronomic succes and perspective of new amenagement,
the interest is growing for imporverished sahelians and also for urban invest : the
installations of new rizicultors are numerous. Nevertheless, actual conditions of
the developement, depend of nature’s ressources wich are reduced and/or without
management so, irrigated perimeters durability is compromised.
Jean-Louis Chaléard, Évelyne Mesclier
The north coast of Peru appears as one of the most auspicious regions for the
development of export agriculture encouraged by neo-liberal policies of the 1990s.
Its semi arid weather notwithstanding, the region has acquired value thanks to the
water that flows down from the nearby mountains. Nevertheless, water is unequally distributed and its availability is influenced by significant annual and seasonal variations. The legacy of the system based on the hacienda and the demographic growth that characterized the 20th century, intensified by regional migrations,
have all contributed to make water accessibility even more precarious for a great
number of farmers. This precariousness has been intensified by the choice of rice
as the main cash crop; however, the adoption of new products is not easy. Only
business-oriented farmers who can afford to drill tubular wells dare to run the risk.
Larger irrigation projects such as those carried out already in the Trujillo region
and to be soon implemented in the Chiclayo area will bring within the present political context radical changes to the land property structure.
Prodig 2006
147
Environnement et mobilités géographiques
Pierre-Marie Decoudras
All outside development schemes have a direct impact on the reorganization of
the local community’s territory, a woof of classified and interdependent areas,
changing the balances built on long term. This article puts forward a new approach to the questions concerning development, namely the analysis of the changes in
function of certain areas. By comparing the places of which the function cannot be
negotiated for change and the places that can easily be developed due to their lack
of importance for the local community, the question of development is tackled
under the context of spatial mediation.
Solenne Philippon et Nicole Fourquet
Fight against cerebrospinal meningitis is based upon a reactive strategy : vaccines and antibiotics are distributed only to put out the epidemic outbreaks. In
sahelian Africa, decision making about alarm and response thresholds is especially crucial, because of the weakness of national health systems. Warning and response must be done as earlier as possible. This key factor to effectiveness of the
strategy, depends closely on the quality of epidemiological surveillance by official
health centers network. However, from a geographical point of view, health data
quality is deteriorated by inegal capacity of districts health systems to detect
meningitis cases in the community. To strenghten the geographical quality of health data, a correction that takes into account the local conditions of health systems
themselves, must be prescribed.
Jérôme Fournier et Vincent Dubreuil
This work consists of the study of the temporal and spatial distribution of a benthic intertidal phytocoenosis founded on the diachronical analysis of airborne data.
The considerable space variations which could be highlighted following the mapping survey of the envelope of the meadow at Zostera noltii can be explained primarily by the local climatic variability. This result confirms the influence of the periods of freezing on the cinematic of this seagrass.
Christian Jost
On two of the one hundred and thirty four French Pacific islands, the high and
inhabited island of Futuna and the desertic atoll of Clipperton, land ecosystems are
in drastic degradation and natural hazards are severe. On Clipperton, the desertification process, caused by the millions of crabs, seems to be a return to an ancient
natural state following the elimination of pigs. On Futuna island it is the increasing
number of pigs and consequently the newly cultivated fields of manioc which destroy the forest, leaving the soils unprotected and increasing the erosion processes
on slopes. Due to tropical storm hazard and following the 1993 earthquake, part of
Futuna’s population started migrating towards the higher parts of the island and
built new settlements, thereby increasing pressure on the plateaux. In contrast, on
Clipperton, a planned new human settlement, together with the introduction of a
crab predator, would ensure rehabilitation of the vegetation cover and a revitalisation of the lagoon while offering a harbour for various uses. In other words, similar environmental challenges call for radically different responses on the two
islands.
Prodig 2006
148
Abstracts
Olivier Sevin
Discussion about Transmigration Programme is generally controversial. In
East-Timor, the Indonesian Government is charged to have used ressettlement to
undermine Timorese resistance ability. Reality is not so sharp.
Tamatoa Bambridge
Words such as “transnational cultures” and “frontier” appear to be at odd from
each other. As a matter of fact, transnational cultures develop beyond frontiers.
But at the same time, these particular cultures continue to convey an oceanian
vision and definition of the frontier which cannot be reduced to a state definition
of the frontier.
Liste des auteurs
Tamatoa Bambridge
Institut pour le Développmeent (IRD) de Tahiti
BP 529 Papeete,
Tahiti (Polynésie Française)
[email protected]
Jean-Louis Chaléard
Université de Paris 1
2 rue Valette
75005 Paris
[email protected]
Pierre-Marie Decoudras
Université de la Polynésie française
BP 6570,
98702 FAAA’A aéroport
[email protected]
Vincent Dubreuil
UMR 6554 CNRS LETG
Laboratoire COSTEL
Université de Rennes
2 Place du recteur Henri Le Moal
35043 Rennes cedex
[email protected]
Jérôme Fournier
Laboratoire de Géomorphologie et Environnement littoral
Ecole Pratique des Hautes Etudes
15, boulevard de la mer,
35800 Dinard (France)
[email protected]
Prodig 2006
151
Environnement et mobilités géographiques
Nicole Fourquet
UMR 8586 PRODIG
2 rue Valette
75005 Paris
[email protected]
Christian Jost
UMR 8586 PRODIG
2 rue Valette
75005 Paris
[email protected]
Évelyne Mesclier
IRD, membre de l’UR REFO
UMR 8586 PRODIG
2 rue Valette
75005 Paris
[email protected]
Solenne Philippon
UMR 8586 PRODIG
2 rue Valette
75005 Paris
[email protected]
Olivier Sevin
Université de Paris IV – Institut de Géographie
191 rue Saint Jacques
75005 Paris
[email protected]
Bénédicte Thibaud
Université de Poitiers
Département de géographie
UMR PRODIG 8586 / EA 2252 ICOTEM
1 rue de la Charmille
17330 Courant
[email protected]