MALOUINES_Operation_BLACKBUCK

Transcription

MALOUINES_Operation_BLACKBUCK
© ANOLIR
GUERRE DES MALOUINES: UN FRANÇAIS
AU PLUS PRES DE L’OPERATION BLACK BUCK
Par le Colonel (ER) ROGER LE DOARE
Il serait fastidieux de remémorer ici les péripéties qui ont émaillé l’occupation
des îles Malouines, mais le rappel des différents colonisateurs permettra de mieux
comprendre ce conflit et la toponymie des lieux.
HISTORIQUE
1592 : découverte par John Davis (pour les anglo-saxons) ou par Magellan (pour les
hispaniques) quelques années auparavant.
1690 : débarquement de John Strong. Il les nomme "Falklands" du nom du vicomte
du même nom haut dignitaire de l’Amirauté britannique.
1720 : arrivée des Français (Bretons de Saint Malo).
1764 : création d'un fort à Port Louis.
1765 : vente des îles à l'Espagne par la France.
1766 : débarquement de 1400 soldats espagnols de Buenos-Aires.
1771 : reprise des îles par les Anglais. Installation du premier gouverneur Clayton.
1774 : départ des militaires britanniques. Un statu-quo s’installe entre colons: les
Espagnols sur l'île de l'ouest, les Britanniques sur l’île de l’est.
1826 : installation d'un gouverneur argentin (Vernet) à l’indépendance de l’Argentine,
malgré les protestations britanniques.
1833 : le remplaçant de Vernet (Mestivier) est tué dans une mutinerie. Les Anglais
en profitent pour nommer un gouverneur qui restera jusqu’au 2 avril 1982.
En ce début d’année 1982, l’Argentine est dirigée par une junte militaire avec
à sa tête le général Galtiéri également chef de l’Armée de terre. Le pays doit faire
face à une crise économique de grande ampleur même si depuis 1980 les Etats-Unis
ont suspendu leurs sanctions qui dataient de la présidence de Kennedy. L’Argentine
participe aux exercices de l’OTAN comme la Grande-Bretagne avec laquelle de
nombreux échanges militaires ont d’ailleurs lieu tous les ans.
Le peu d’intérêt que semble marquer celle-ci pour son territoire austral où
vivent moins de deux mille éleveurs de moutons est un autre facteur encourageant
pour une petite opération militaire destinée à redorer le blason de ce général qui
atteint l’âge de la retraite mais qui aimerait asseoir son pouvoir avant la fin de son
mandat de président qui s’arrête en 1984.
Par ailleurs, les relations avec le Chili sont toujours entachées par des
revendications territoriales sur le canal de Beagle
à l’extrême sud du pays, mais le risque de
déclencher une guerre douloureuse est sans
doute moindre dans une reconquête des
"Malvinas".
Au même moment la Grande-Bretagne est
pourtant dirigée par une "Dame de fer", Madame
Thatcher qui a su s’imposer comme premier
ministre depuis 1979 en diminuant la puissance
des syndicats britanniques, et en tenant tête à la
LE VICTOR (1957/1993)
www.anolir.org - [email protected]
1
© ANOLIR
violente Armée républicaine irlandaise en Ulster. Pourtant, quand le 19 mars Galtiéri
teste la réaction de la Grande-Bretagne en plantant son drapeau en Géorgie du sud,
sœur jumelle mais désertée des Malouines, la réaction de Londres est très mesurée.
Aussi le 22 mars prétextant un exercice conjoint avec l’Uruguay, il décide d’envahir
les Malouines.
A partir de cet instant un processus inéluctable, qu’aucune diplomatie ne
parviendra à enrayer, va se dérouler avec une accélération imprévisible, et des
conséquences dramatiques et disproportionnées. La chronologie des évènements
résume à elle seule cet état de fait :
19 janvier: réunion des chefs d'état-major argentins, la reconquête des Malouines est
envisagée.
19 mars: une équipe de démolisseurs argentins hissent leur drapeau en Géorgie du
sud.
22 mars: décision d'envahir les Malouines en prenant comme couverture un exercice
annuel avec l’Uruguay.
28 mars: début de l'opération "ROSARIO".
30 mars: débarquement des forces amphibies (800 hommes).
1er avril: reddition de port Stanley.
05 avril: départ de la Task force britannique de Porthmouth et Plymouth (3000
hommes).
07 avril: mobilisation des forces argentines et début de déploiements (9804 hommes
en tout).
12 avril: déclaration de la zone d'exclusion maritime par les Britanniques (200 milles
nautiques).
25 avril: reconquête de la Géorgie du sud (200 prisonniers argentins, un sous-marin
coulé).
1er mai: attaque de Stanley airport par un Vulcan (opération Black Buck) et par des
Sea Harriers de l'Invincible et Hermes.
02 mai: attaque du général Belgrano par le sous-marin Conqueror (360 disparus).
04 mai: attaque du Sheffield par un Super Etendard armé d'Exocet (30 disparus).
13 mai: départ du Queen Elisabeth II avec 3000 hommes à bord.
15 mai: raid des SAS et SBS sur Pebble island (9 Pucaras détruits).
21 mai: débarquement britannique à San-Carlos.
26 mai: attaque du Coventry et Atlantic-conveyor (3 Chinook, 7 Wessex détruits, 35
morts).
28 mai: prise de port Darwin (1200 prisonniers, 250 morts argentins, 17 britanniques)
03 juin: débarquement sur la côte sud.
04 juin: attaque de Bluff Cove (Sir Galahad, Sir Tristan, Sir Lancelot touchés, 50
morts).
12 juin: Glamorgan touché par un MM 38.
15 juin: reddition de port Stanley.
LE CONFLIT VU DE GRANDE-BRETAGNE
Affecté en Grande-Bretagne au Collège de la Royal Air Force de CRANWELL
depuis 1979, j’avais la chance d’être accepté comme navigateur bombardier abonné
au sein du 44e escadron de Vulcan de Waddington et en ce mois de mars 1982 je
continue à bénéficier d’une complète intégration comme officier de liaison instructeur
de français et comme personnel navigant sur les avions écoles et sur Vulcan.
www.anolir.org - [email protected]
2
© ANOLIR
Aussi je ressens l’invasion des Malouines comme un membre des forces de
sa Gracieuse Majesté. Le gouvernement français lui-même manifeste sa profonde
réprobation, me permettant de garder le capital de sympathie acquis par les
aviateurs français depuis la bataille d’Angleterre.
Comme mes camarades britanniques, je reste à l’affût des moindres
informations et en particulier des réactions de Madame Thatcher. En effet et
contrairement à sa position future, le Premier Ministre, sans doute retenu par l’allié
américain commun avec les Argentins, ne veut pas dramatiser. D’ailleurs aucune
déclaration de guerre n’a été proclamée et ne le sera d’ailleurs jamais de part et
d’autre.
Pourtant, tandis que la diplomatie (surtout américaine) piétine, l’opposition
britannique travailliste reprend tout haut à la chambre des députés ce que le peuple
pense tout bas : "The right honourable Lady is talking about a piece of rock
uninhabited and which smells of large accumulations of penguins and other birds
droppings. There is a vast difference - a whole world of difference - between the
1,800 people now imprisoned by Argentine invaders and that argument, the right
honourable Lady should have the grace to accept that"1.
Non seulement Madame Thatcher va l’accepter mais désormais, forte du
soutien de l’ensemble de la population, des chambres et de la Reine (le prince
Andrews fera partie de la Task force comme pilote d’un hélicoptère Sea king) elle va
décider de lancer à 13000km de Grande-Bretagne la plus grande opération de
débarquement jamais réalisée depuis la dernière guerre. Ce sera l’opération
"CORPORATE".
Je ne reviendrai pas sur la montée en
puissance de cette opération, ni sur les
opérations maritimes et terrestres mais la
chronologie ci-dessus vous a résumé les
principaux faits et les historiens vous
narreront bien mieux que moi la totalité de ce
LE NIMROD (1969/2011)
conflit.
Mais je m’attarderai sur le rôle joué par la Royal air force au travers de
l’opération BLACK BUCK que j’ai pu suivre de l’intérieur, du moins en métropole. Il
faut revenir néanmoins sur l’accélération des évènements. En effet si la confirmation
de la reddition de Port Stanley atteint Londres le 2 avril, dès le 5 les premiers navires
de la Task force avec troupes (3000h) et armement quittent Plymouth mais aussi dès
le 9 avril, la base de Waddington change de rythme.
Pourtant en ce début de printemps 1982, Waddington est une base musée où
les derniers Vulcans de la "V force’" autrefois bombardiers nucléaires avant que
n’arrivent les Polaris, sont utilisés comme avions d’entraînement des navigateurs de
combat. Les escadrons prestigieux de Scampton ont rendu leur drapeau avant que
leurs traditions ne soient reprises dès 1983 par les Tornados.
L'APPAREIL
Quadri-réacteurs à ailes delta, le Vulcan vola pour la première fois en 1953.
En 1956, le 230 OCU (unité de transformation) s'installe à Waddington. A partir de
1
« Mme le premier ministre nous décrit un rocher inhabité rendu nauséabond par l’accumulation des
déjections de pingouins et d’autres oiseaux. Il y a une énorme différence – un monde de différence –
entre les 1800 personnes dorénavant prisonnières des envahisseurs argentins et cette description.
Madame le premier ministre devrait nous faire la grâce de l’accepter ».
www.anolir.org - [email protected]
3
© ANOLIR
1957, il sera équipé d'une bombe H (Blue Danube) et prendra l'alerte à Waddington
(83 squadron), puis à Scampton en 1958 (617 Squadron qui reprend ainsi la tradition
du DAMSBUSTER Squadron des Briseurs de barrages sur la Ruhr).
Le Vulcan marque en outre cette période par deux records, 23H09mn pour
rejoindre l'Australie et 7H pour rejoindre Aden sans escale. Malheureusement, au
retour le XA 897 s'écrase à Londres-Heathrow et seuls les deux pilotes sont
indemnes. Le Vulcan ne sera jamais malgré cela, équipé de sièges éjectables pour
les trois autres membres de l'équipage (navigateur, bombardier-radariste et officier
contre-mesures).
En 1958, la force de dissuasion est renforcée par des missiles américains solsol Thor et un escadron supplémentaire à Waddington, 44 Squadron. En 1960, le
Vulcan B2 commence à remplacer le Vulcan Mark1. Il a une aile delta gothique et
une puissance accrue (quatre réacteurs de 20000Lb de poussée). Un croupion
détecteur de contre-mesures change aussi sa physionomie. Sa puissance doit alors
lui permettre d'emporter un missile nucléaire stratégique britannique Blue Steel et
deux missiles américains Skybolt.
En fait, les américains abandonneront ce missile avant qu'il ne soit livré à la
Grande-Bretagne, et l'avion prendra l'alerte uniquement avec le Blue Steel jusqu'en
1969 (Scampton 617 Squadron dès février 1963); un exemplaire du missile est
aujourd'hui exposé au Musée de l'Air à Hendon). Le Blue Steel était un missile de
croisière d’une portée de 100 miles nautiques mais qui montait à 70000 pieds et
M2.5 après largage avec une charge d’une mégatonne.
En 1969, les missiles Polaris viendront équiper les sous-marins nucléaires
stratégiques britanniques et dés 1972 tous les Vulcans seront de nouveau équipés
avec une soute classique permettant l’emport de 21 bombes de 450kg (1000 livres).
En fait pour éviter des ravitaillements en vol pour le simple entraînement des
navigateurs, actuelle mission des Vulcans en
fin de vie, deux réservoirs de 8000 livres
rempliront les soutes à bombes et un plancher
du type Alkan permettra le largage de
bombinettes types SAMP. Nous retrouverons
ces réservoirs pour les dernières missions
anti-radar de l’opération BLACK BUCK.
LE VULCAN (1956/1984)
L’OPERATION BLACK BUCK 1
Lorsque, en ce début d’avril 1982, la décision est prise de monter un raid
aérien vers les Malouines et que seul le Vulcan présente les capacités pour le faire,
les permissions de Pâques sont supprimées à Waddington, mais aussi la fermeture
des escadrons 9 et 101 est remise à une date ultérieure à la grande joie des
personnels qui se voient alors désignés avec leurs collègues de l’escadron 44 (le
mien) et 50 pour commencer rapidement l’entraînement pour la première mission de
guerre de leur vie. Les membres d’un équipage étant indissociables depuis la
dernière guerre, il va donc être procédé à un tirage au sort d’un équipage par
escadron complété par un second de l’escadron 50 pour arriver au total de cinq
équipages. (Mon équipage n’est pas choisi, à son grand regret.)
Les mécaniciens vont aussi devoir accomplir des miracles car les perches de
ravitaillement opérationnelles ont depuis longtemps été dispersées. Certaines vont
être retrouvées dans les musées de l’air sur les premiers Vulcans remisés comme à
Castle AFB (USA) et d’autres dans les matériels sous cocon. L’autre modification
www.anolir.org - [email protected]
4
© ANOLIR
concerne les réacteurs RR/b Olympus Mk103 qu’il faut débrider de 17500 à 20000
livres de poussée.
Une autre modification touche les contre-mesures qui doivent être rajeunies
par des AN/ALQ-101D (dash ten) qui ont fait leurs preuves sur Buccaneers. L’un des
points d’attache des missiles Skybolt jamais utilisés servira pour fixer la nacelle sous
l’aile droite.
Pour compléter l’armement il sera aussi décidé d’équiper les Vulcans de
missiles anti-radar AGM-45A Strike grâce à deux nacelles doubles venant des A6
américains. Ils seront livrés en cours d’opération, et on verra leur implication dans
BLACK BUCK. Le missile Martel utilisé dans la RAF avait au départ été envisagé sur
l’autre support Skybolt et même testé mais le nombre de missiles emportés était plus
réduit.
Pour la navigation, la centrale à inertie (carrousel delco) des VC10 rachetés à
la British Airways sera fixée sur cinq appareils. Elle se révèlera très efficace avec 2
milles nautiques d’erreur après 13 heures de vol.
Les soutes à bombes font également l’objet d’une remise à niveau.
Un dernier coup de peinture rendra plus gris (matt dark sea grey) le dessous
des ailes désormais sans cocardes alors que les insignes d’escadron sont enlevés
sur les dérives.
Pendant que les mécaniciens font preuve d’ingéniosité pour faire passer le
câblage, vérifier les étanchéités et les connections tout en récupérant le matériel en
tout lieu, les équipages s’entraînent pour la première fois au ravitaillement en vol et
au bombardement réel. Dix appareils ont été équipés de perches opérationnelles
permettant de se ravitailler sur les Victors de Marham.
Dès le 28 avril, 14 jours seulement après le début de l’entraînement, chaque
équipage ayant effectué trois ravitaillements de jour et deux de nuit, les trois
premiers Vulcans vont partir vers l’île de l'Ascension. Le co-pilote laissera sa place
pendant les phases de ravitaillement à un instructeur de Victor également habitué au
ravitaillement comme pilote receveur. L’équipage sera donc de six membres dans
l’ensemble des cinq missions BLACK BUCK. Les pilotes de Victors se livrent aussi à
des ravitaillements de nuit entre Victors rarement pratiqués jusque là.
Le nombre des Vulcans finalement retenu sera de cinq : XM597, XM598,
XM607, XM612 et XL391 et celui des Victors atteindra 15, réunis sur l’île de
l'Ascension sur les 23 existant à Marham dans les escadrons 55 et 57.
Le Victor est un des trois bombardiers nucléaires de la "V" force avec le
Valiant et le Vulcan. Il a été transformé en ravitailleur stratégique dans les années
70. Son autonomie est de 7 heures avec 69200 livres de carburant. L’équipage est
de 5 hommes comme sur le Vulcan; le radariste assure la fonction de ravitailleur
(ORV) de sa place grâce à un périscope et un tableau de commandes.
LA MISSION BLACK BUCK
Dans la nuit du 30 avril avant minuit, les deux équipages choisis (avions :
XM598 et XM607) vont décoller de nuit de Wideawake (Ascension) vers les
Malouines en emportant 21 bombes de 450kg équipées de retardateur de 30mn à
une heure. Mais quelques minutes après le décollage l’avion titulaire souffre de
dépressurisation (pour une vitre mal fermée !), le numéro deux (XM 607) deviendra
alors le glorieux équipage à remplir la première mission de guerre depuis la dernière
guerre. L’équipage titulaire se rattrapera de sa malchance en effectuant la deuxième
mission de bombardement sur le même avion (XM607).
www.anolir.org - [email protected]
5
© ANOLIR
LES RAVITAILLEMENTS ALLER
Au même moment 11 Victors dont deux
remplaçants décollent de Wideawake en trois
vagues. Ils vont accompagner le Vulcan
bombardier en "MIC MAC" (ravitaillement en
croisière et en patrouille jusqu’à 400 milles
nautiques de l’objectif). Pendant cette phase les
Victors vont également se ravitailler entre eux.
La croisière s’effectue à 27000 pieds pour les
Victors et 33000 pieds pour le Vulcan qui, à la
même vitesse de 260 nœuds, garde un œil sur
les Victors (bien que 40000 pieds eussent été
préférables pour son autonomie). Très
rapidement les équipages s’aperçoivent en effet
que la consommation a été sous-estimée et un
autre problème va créer dès ce premier vol une
situation
dramatique.
Lors
du
dernier
ravitaillement entre les deux Victors une forte
turbulence endommage la perche du Victor
receveur qui ne peut plus assurer le
ravitaillement ultime du Vulcan faute de
carburant suffisant. Le Victor donneur XL189
décide de permuter les rôles et reprend donc
son carburant et le complément de plein. Il
Plan de ravitaillement
demande également au Vulcan de tenter un
ravitaillement pour vérifier que son panier n’est pas endommagé.
Après cet avatar, un dernier et sixième ravitaillement se fera sans problème à
400 milles nautiques de l’objectif mais le déficit en carburant ne permet plus au
ravitailleur qui s’est sacrifié de rejoindre l’île de L’Ascension et il doit rester en silence
radio jusqu’au bombardement.
LE RUN DE BOMBARDEMENTS
Surpris de voir les signaux de fin de ravitaillement du Victor s’allumer avant le
remplissage complet de carburant, le Vulcan a cependant assez de kérosène pour
effectuer le bombardement, mais ignore les problèmes du Victor.
Il entame sa descente à 300 milles nautiques de l’objectif et 340 nœuds vers
300 pieds pour échapper à la détection radar.
A 40 milles nautiques il remonte à 10000 pieds pour le run final. Il est alors
éclairé par le radar Skygard d’un missile Tigerfish vendu par les Britanniques (!) qu’il
brouille à 25 milles nautiques.
A 4h20, les soutes sont ouvertes et le largage des 21 bombes a lieu en 5
secondes à 4h23 avec un cap de 30° par rapport à la piste. Le code "Superfuse" de
mission effectuée est lancé en broadcast (en l’air). Seule la dernière bombe touchera
la piste. Les autres exploseront en fonction des retards en causant des dégâts aux
installations mais surtout prévenant la population argentine et britannique que la
reconquête des Malouines a commencé.
L’équipage entendra sur la BBC le résultat de son tir bien avant l’atterrissage.
www.anolir.org - [email protected]
6
© ANOLIR
LES RAVITAILLEMENTS RETOUR
Dans la nuit 7 Victors vont décoller ou redécoller de Wideawake pour assurer
les ravitaillements retour suivant le même processus. Dès le silence radio rompu, le
ravitailleur XL189 demande un ravitaillement d’urgence. Il s’estime trop court de 400
milles nautiques pour rejoindre Ascension.
De son côté le Vulcan après 8 heures de vol entame la phase de rejointe de la
deuxième vague dont il ne reste plus que le dernier Victor déjà ravitaillé par un autre
Victor tandis que le remplaçant rejoint l’île de l’Ascension. Il manque 8000 livres de
kérosène et le retard est de 30mn. En plus il semble que la procédure de rendezvous en silence radio n’ait pas eu le temps d’être rodée avec si peu d’entraînement.
Ce sera l’instant délicat des cinq missions BLACK BUCK malgré le nouvel
équipement en centrale à inertie.
Heureusement, il y a un joker avec le Nimrod de détection avancée qui a lui
même été ravitaillé sur un Victor et qui va donner des gisements de rejointe en
broadcast en décryptant les IFF des deux appareils. Pourtant le Vulcan n’est pas au
bout de ses peines.
Une fuite importante entre le panier et la perche rend le ravitaillement
problématique. Cet ennui récurant entre certains appareils n’a pu être solutionné
avant le départ et sera le cauchemar des contacts ultérieurs. Néanmoins grâce à
l’aide visuelle et vocale du navigateur le contact est maintenu et permet à l’équipage
de se relaxer enfin. Un dernier ravitaillement de sécurité sur la troisième vague de
deux Victors dont un remplaçant a lieu avant d’atteindre l’île de l’ascension après
15h45 de vol et huit ravitaillements.
En tout 400000 livres de kérosène ont été livrées entre le Vulcan et les 12
Victors (tous ravitaillements confondus) pour une seule bombe sur une piste de 1200
mètres impropre à l’atterrissage des avions de chasse argentins !
Néanmoins le 3 mai, une seconde mission du même type aura lieu sur le
même avion avec l’équipage malchanceux du premier jour. Aucun impact n’est
enregistré sur la piste, mais la base est touchée. Le tir avait été effectué à 16000
pieds.
Cette mission a pour but de laisser un doute en Argentine sur la durée de la
campagne des bombardements avec un bombardement possible sur Buenos-Aires;
ce qui monopolisera des Mirages affectés à la défense aérienne de la capitale. Mais
la RAF se rend compte du coût de telles missions et des vents défavorables annulent
définitivement la mission BLACK BUCK 3 le 13 mai.
LES MISSIONS ANTI-RADAR
Le XM597 est revenu à Waddington pendant cette période pour effectuer des
essais de missiles anti-radar d’abord Martel puis Shrike, fournis par l’US air force,
transportés par des F4 G de Spandahlen (RFA). Il est rejoint pour transformation par
le XM598 revenu de Wideawake. Leur soute à bombes sera remplie par les deux
réservoirs de carburant dans la configuration habituelle des vols d’entraînement. Le
gain de 16000 livres va permettre de supprimer un ravitaillement à l’aller comme au
retour.
Après le retour des deux avions le 26 mai sur l’île de l’Ascension, le 28 mai, la
mission BLACK BUCK 4 est lancée avec le troisième équipage sur le XM 597.
www.anolir.org - [email protected]
7
© ANOLIR
L’avion est équipé de deux missiles anti-radar AGM-45A Shrike, mais des problèmes
sur l’avant-dernier ravitaillement des Victors font échouer la mission.
Le 30 mai la même mission est programmée avec le même équipage et le
même avion. Les tirs auront lieu en coordination avec les accrochages radar des
Harriers survolant les conduites de tir et un radar TRS-43 argentins. Les deux
missiles sont tirés pendant les 45mn du survol de la zone.
Le 2 juin la mission BLACK BUCK 6 est lancée avec les mêmes paramètres
(avion, équipage) et 4 missiles, mais les Harriers ne sont pas disponibles au dernier
moment. Le Vulcan essaie alors seul de se faire accrocher par les radars argentins.
Deux missiles sont tirés. Quatre opérateurs radaristes argentins sont tués dans
l’opération.
La rejointe est de nouveau difficile avec un retard au point de rendez-vous
(75mn) et un Nimrod doit intervenir. Le ravitaillement se complique lorsque la perche
se brise lors du contact. Il n’y a plus qu’un choix, celui d’un déroutement en terrain
neutre au Brésil à Rio de Janeiro.
En fait dans l’esprit de la mission BLACK
BUCK aucun terrain de déroutement (dit
"LOTO" dans l’Armée de l’air) n’a été prévu
dans les plans de ravitaillement, ce qui explique
le nombre élevé des ravitaillements aller. Rio de
Janeiro était uniquement l’ultime terrain de
Insignes d'escadrons BLACK BUCK
secours dans la pire des configurations.
Les documents sensibles sont évacués par la porte d’accès équipage après
dépressurisation et les missiles restants largués en inerte, mais l’un deux reste
attaché mettant l’équipage dans une position difficile pour sa sécurité et sa neutralité.
La réserve en carburant devenant hypothétique, un "Mayday" est lancé à 200
milles nautiques des côtes brésiliennes en VHF. L’atterrissage autorisé a lieu à
contre QFU sur une piste désaffectée (le Vulcan malgré sa taille se pose à 145
nœuds). Il lui restait 5 minutes de carburant.
L’équipage naufragé n’a que le temps de cacher son missile avec ses
anoraks avant l’intervention des forces brésiliennes. En fait aucun journaliste n’aura
le temps de découvrir la nature exacte du missile et les autorités brésiliennes
annonceront la saisie d’un missile défensif "Sidewinder". Au bout d’une semaine
l’équipage sera autorisé à revenir sur l’île de l’Ascension à condition de ne plus être
engagé dans le conflit. Trois jours plus tard l’appareil XM597 avec une nouvelle
perche et son équipage rejoindront Waddington. Ils auront effectué les deux seules
opérations anti-radar dans l’histoire du Vulcan.
Il sera transformé en ravitailleur jusqu’en avril 1984 au 50 e escadron, avant de
finir glorieusement à East Fortune au musée du Royal Scottish Museum of Flight.
Une fois encore les résultats n’ont pas été concluants car les radars ont
recommencé à émettre après les frappes.
Aussi la dernière mission BLACK BUCK 7 qui aura lieu le 12 juin de nouveau
sur le XM 607 de retour de Waddington, avec l’équipage ayant rempli la première
mission utilisera la même configuration mais avec un mélange de bombes antipersonnels et classiques sur l’aéroport de Port Stanley. Aucun incident notable n’a
été signalé sur une mission qui n’a pas été cependant anodine pour les Argentins au
sol. On remarquera que pour toutes les missions les Vulcans sont repartis s’armer à
Waddington (les Victors qui ont accompagné ces vols ont souvent fait escale à
Dakar !).
www.anolir.org - [email protected]
8
© ANOLIR
Le XM 607, unique Vulcan à avoir effectué des bombardements de guerre
classiques est mis à la retraite avec son escadron (44) le 21 décembre 1982 et garde
actuellement l’entrée de la base de Waddington.
LES LECONS DE BLACK BUCK
La Royal air force, armée emblématique de la puissance britannique depuis la
bataille d’Angleterre ne pouvait rester à l’écart d’un conflit touchant la souveraineté
du pays. Les Harriers GR3 embarqués sur le porte-aéronefs Hermes ont également
rempli à moindre frais (en carburant) des missions d’attaque. Pour la petite histoire,
le seul prisonnier de guerre britannique de l’opération CORPORATE sera un pilote
de Harrier éjecté derrière les lignes argentines et gardé sur le continent jusqu’au 8
juillet 1982. Néanmoins première mission de bombardement depuis la dernière
guerre, l’opération BLACK BUCK était plus qu’un avertissement pour le général
Galtieri qui ne s’attendait pas à une telle escalade. Le lendemain la Royal Navy jouait
également un rôle capital en coulant le croiseur argentin Général Belgrano (360
morts).
Néanmoins, comme on a pu le constater, le coût exorbitant de ces missions
n’a pas eu l’effet dissuasif escompté et la reddition des Malouines a été obtenue par
les troupes terrestres au prix de sacrifices disproportionnés.
Par contre sur le plan opérationnel, l’opération BLACK BUCK a eu des
retombées positives car la projection des forces aériennes a pu être testée pour la
première fois en vraie grandeur et à grande échelle par une puissance européenne.
La RAF a alors décidé :
-de renforcer sa flotte de ravitaillement. Six Vulcans seront transformés en
ravitailleurs avant que les VC10 n’arrivent en 1983.
-de rendre le maximum de types d’avion ravitaillables (C130, Nimrod, Harrier,
Tornado en plus de ceux existant déjà comme les Victors et le Vulcan).
-de rajeunir et d’améliorer la flotte de détection lointaine. Ce sera le programme de
transformation des Nimrods qui se terminera par l’achat des AWACS avec la France.
-de définir un programme de plate-forme du type F4G Wild weasel pour la
suppression des défenses radar (ce rôle a été dévolu depuis aux Tornados).
Certains se demanderont sans doute comment votre rédacteur a traversé ce
conflit en tant qu’officier de liaison. Que le commandement se rassure, je n’ai vu ni
l’île de l’Ascension, ni bombardé les Malouines.
Au retour des vacances de Pâques, vers la mi-avril, j’ai constaté que la base
de Waddington était passée au stade d’alerte maximum et m’était donc interdite en
temps qu’abonné. J’ai cependant gardé contact avec mon équipage de Vulcan (qui
n’avait pas été tiré au sort) et ainsi, jusqu’au champagne final qui correspondait à la
reddition des Argentins et la fin de mon affectation, j’ai pu entretenir les meilleures
relations avec mes bombardiers.
A Cranwell, les choses furent moins simples car mes élèves et les cadres du
Royal College avaient plus de temps pour polémiquer. Il faut dire que la position
ambiguë de nos industriels de l’armement ne les rassurait pas quant à la neutralité
de la France dans le conflit. La panoplie de matériels de guerre livrés à l’Argentine
s’était récemment accrue de Super-Etendards et d’Exocets. Si certaines invitations
m’arrivaient encore, elles étaient accompagnées de la remarque : "let your Exocet in
your bath !"2 La tension fut à son comble lorsque l’HMS Sheffield fut coulé le 4 mai
2
« Laisse ton Exocet à la maison ! »
www.anolir.org - [email protected]
9
© ANOLIR
par le redouté missile. Je décidai de prendre les repas de midi chez moi, étant logé
en famille sur la base. Heureusement quelques jours plus tard un combat épique au
dessus de Cranwell entre un Harrier de Wittering et un Mirage de Creil prouva aux
britanniques que l’Armée de l’air au moins était restée la fidèle alliée de la Bataille
d’Angleterre et le bar me fut généreusement ouvert à nouveau.
Ainsi durant cette période, je fis ce que chaque officier de liaison a dû faire et
pour le reste j’ai fait ce que j’ai pu… Le général, Attaché de l’air à l’ambassade s’en
est sans doute souvenu, car deux ans plus tard il m’appelait comme adjoint à
Londres.
La véritable leçon a cependant été,
pour ceux qui l’ont vécue de l’intérieur, de
constater
une
fois
encore
le
professionnalisme des équipages et des
mécaniciens britanniques qui à partir d’une
armée de temps de paix ronronnant dans le
savoir-faire rodé de l’OTAN monteront en
quelques jours une opération impensable le
mois précédent et la réaliseront sans pertes
humaines et avec un sang froid parfois au
Le rédacteur à Waddington
delà des limites généralement autorisées
e
au 44 Escadron
par le bon sens, et la rigueur militaire.
Et c’est dans l’esprit des retombées du conflit des Malouines que j’ai continué
ma mission car l’Armée de l’air française réfléchissait également à la projection des
ses forces et donc à sa protection et son opérabilité. Ainsi sont nées, en outre, de
cette coopération, l’acquisition en commun des AWACS et l’adaptation aux
ravitailleurs C135 français des nacelles de ravitaillement britanniques.
CONCLUSION
Aujourd’hui 25 ans plus tard, les "Falklands" comptent un peu plus d’éleveurs
de moutons mais aussi environ 2500 militaires installés sur l’importante base
nouvelle de Mont-Pleasant séparée de Port-Stanley et de ses habitants par des
champs de mines en voie de sécurisation (26000 ont été enterrées). Des accords ont
été signés avec l’Argentine le 14 juillet 1999. La question de la souveraineté a été
volontairement mise à l’écart pour régler les problèmes plus concrets comme la
répartition des cimetières et l’édification de monuments aux morts britanniques et
argentins… L’Argentine a en effet refusé le retour des corps de ceux qui étaient
morts sur le sol des "Malvinas" redevenues argentines… (pendant quelques jours).
Si la victoire fut largement célébrée dans toute la Grande-Bretagne au début
de l'été, dans les mois qui suivirent, après la diffusion d'images de guerre d'un autre
siècle et la publication des pertes réelles, les belligérants et leurs alliés n'ont pu
qu'amèrement regretter de n'avoir pas su gérer pacifiquement une crise aux
conséquences disproportionnées avec la revendication territoriale initiale.
www.anolir.org - [email protected]
10

Documents pareils