LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT A TRAVERS LE
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LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT A TRAVERS LE
LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT A TRAVERS LE CYCLE DES JEUNES FILLES INTRODUCTION Considérée par une bonne frange de l’opinion comme un comportement anti nature, anti humain, anti religieux, la misogynie que d’aucuns confondent au sexisme est une attitude certes répréhensible. Mais les raisons et les mobiles poussant les écrivains à l’adopter ne sont pas toujours identiques d’un artiste à l’autre. Avec la vague déferlante des déviations des mœurs dans la plupart de nos sociétés, les misogynes sont aujourd’hui logés à la même enseigne que les homosexuels qui, agissant aussi contre nature revendiquent fermement leur légitimité au nom d’une certaine démocratie. Même si les écrivains comme André Gide ont cherché à prouver que cette inversion sexuelle n’était pas un vice et de surcroît n’apparaissait pas contre nature, la misogynie a-t-elle jamais signifié rejet de la gent féminine ? Nous ne le pensons pas. La misogynie est le fait en général pour un homme d’avoir du mépris pour les femmes ; assurément pour leurs attitudes, leurs idées et leurs comportements condamnables. La misogynie dont il est question ici est celle de l’écrivain qui évoque les raisons contre le mariage de l’artiste. En principe, pense Montherlant, « Le mariage ne doit pas convenir à l’artiste mais il y a sans doute de nombreux cas où les artistes s’en sont trouvés bien. Il est difficile de le savoir, car en matière de mariage tout le monde ment1» Tout en admettant que l’homme ici bas est à la quête du « bonheur » qu’il soit spirituel ou charnel, l’écrivain doit-il sacrifier 1 Tiré de l’entretien entre Jean Fayard et Montherlant 29 avril 1937 par le journal Candide 181 ANALYSES son génie créateur et l’éclosion des œuvres d’art patrimoine de l’humanité au profit d’une union désastreuse ? Le présent article se fixe pour objectif de montrer les nombreuses facettes de cette misogynie chez Montherlant à travers Le cycle des jeunes filles regroupant les œuvres suivantes : Le démon du bien, Pitié pour les femmes, Les lépreuses, Les Jeunes Filles. Après des écrivains comme Tolstoï, Kafka, Vigny…Montherlant semble avoir donné une nouvelle dimension et un ton particulier à ce problème qui défraie toujours l’actualité ? Par rapport aux autres défenseurs de la misogynie, Montherlant fait-il piètre figure ou est-il considéré comme marginal ? Notre raisonnement s’articule autour des points suivants : Les raisons et les causes de la misogynie chez Montherlant, Les dimensions de cette misogynie chez l’écrivain, La signification de cette misogynie à travers une relecture du cycle des jeunes filles. I RAISONS ET CAUSES DE LA MISOGYNIE CHEZ MONTHERLANT Contrairement aux autres écrivains dont la misogynie est née à la suite d’une rupture amoureuse, d’une profonde déception, les raisons ayant poussé Montherlant à la misogynie sont plus profondes et nombreuses. I.1 Solitude et volupté Plus à l’aise dans la solitude qu’au grand jour, l’écrivain y trouve une douceur secrète qui lui permet de mieux savourer les voluptés de la vie. André Gide avant lui reconnaît avoir trouvé plus d’instruction dans la volupté que dans les livres mais note Pierre Sipriot dans Montherlant sans masque 1990 : 248 « L’écrivain appartient au « type rapace » dont la vie se passe à goûter toutes formes de vie les plus opposées qui toutes ont leur volupté : voluptés artistiques jusqu’au raffinement…Volupté mystique, volupté de la culture. Ce style de vie a des répercussions sur la vie future de l’écrivain qui cultive son indépendance et son refus de se marier. Il est surtout féru du vieil aphorisme : « Le sel vient de l’eau, et s’il s’approche de l’eau il se dissout et disparaît. Pareillement, le moine ou l’artiste vient de la femme et, s’il s’approche d’une femme il se dissout » ibid. 297 I.2 Le refus de la dictature familiale Le cycle des jeunes filles semble une réponse de Montherlant à sa famille. En 1934, il est harcelé par ses oncles et ses tantes qui font 182 LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT tant d’histoires pour qu’il se marie. Dans carnets (1930-1944) XXVI paru en 1957 : 1927 il écrit : « Ils veulent me faire entrer dans un cadre et je ne veux pas. Ils veulent avoir barre sur moi par une femme qu’ils me donneraient. Par elle, ils s’introduiraient dans ma vie. Ils me rongeraient comme on ronge un os » La volonté de Montherlant dira Pierre Sipriot 1990 : 339 « C’est d’avoir des amies femmes mais pour lesquelles il n’éprouve aucun désir. Ainsi peut s’établir entre un homme et une femme une vraie amitié. » Andrée Hacquebaut, fille romanesque entretenant des liens avec Costals semble soutenir ce point de vue en lui donnant une dimension plus spirituelle à travers la lettre du 19 mai 1927 parue dans Les jeunes filles 1936 : 185 : « L’amitié homme-femme est une musique parfaitement immatérielle et céleste parfaitement différente de la sensualité mais qui n’existe que par elle. » Cependant à regarder de près, l’attitude de Montherlant apparaît aussi ici comme un rejet des écrits bibliques. I.3 Rejet des Saintes Ecritures « Il n’est pas bon que l’homme soit seul » dit Jéhovah dans la Bible. La misogynie de Montherlant se traduit aussi par le rejet des recommandations bibliques. Dans Genèse 2 (22-24) il est écrit : « L’homme quittera son père et sa mère et s’attachera à sa femme et ils deviendront une seule chair. Dans Lettre à Alice Poirier 23 avril 1935 (inédite) Montherlant écrit : « Le grand bonheur de ma vie est de savoir d’une conscience permanente que je ne suis pas marié. En outre, son roman Les Jeunes Filles, l’auteur a voulu l’intituler « Au bord de l’abîme. L’abîme étant le mariage. » Tout en reconnaissant comme le souligne Pierre Sipriot 1990 : 340 « Que l’accomplissement de l’homme c’est de posséder son âme en lui-même solitaire et profonde et d’aimer sans besoin d’être aimé ». Montherlant à son tour dans Carnets (1930-1944) XX Essais 1950 :1001 s’interroge : « Comment avoir cette vie riche sous les yeux de sa secrétaire et de ses domestiques, sous les yeux de l’épouse et de ses enfants ! Comment les autres y parviennent-ils ? Je leur tire mon chapeau. Si la misogynie de l’artiste trouve son explication dans le souci de préserver la création artistique, il n’en demeure pas moins vrai que chaque écrivain a subi une influence qui a déterminé et sa vision du problème. Bref, cette misogynie est vécue par chaque écrivain avec des nuances et des colorations particulières. 183 ANALYSES II LES DIMENSIONS DE CETTE MISOGYNIE CHEZ MONTHERLANT Certains écrivains condamnent sans appel la femme. D’autres à l’image de Tolstoï dans La sonate à Kreutzer assimilent la femme au mal et considèrent l’acte sexuel comme synonyme de saleté. Dans sa quête de pureté, Tolstoï en arrive à dénoncer la complicité de la société notamment les médecins qui contribuent à cette débauche généralisée « Transformant le monde en une immense maison de tolérance. » L’écrivain russe Gogol cité par Montherlant dans Les Démons du bien 1937 : 185 y ajoute un peu du sien en s’écriant : « Seigneur ; il y avait déjà dans le monde assez d’ordures de toutes espèces ! Qu’aviez-vous besoin d’y ajouter la femme ? » . Montherlant tout en s’éloignant de cet extrémisme en tant qu’écrivain qui veut sauvegarder sa création littéraire, est plutôt beaucoup plus gêné par cette cohabitation avec la femme qui se fait au détriment de l’écrivain. Le mépris de la femme ne signifie pas sa diabolisation, sa condamnation à mort. Montherlant reconnaît par moments l’apport de cette dernière dans sa vie d’écrivain. Il soutient par ailleurs qu’il a deux passions : la création des œuvres et la recherche du plaisir ; lequel il le trouve soit dans l’acte sexuel mais (il n’a pas besoin d’une épouse pour cela) soit dans l‘enseignement des grands sages. Bref il ne rejette pas la femme comme une calamité, il retrouve parfois auprès d’elle une certaine élévation dont il précise ici les contours dans Les jeunes filles 1936 : 206 « Il y a des élévations religieuses ou d’autres qui naissent du jeûn…Chez Costals, il était fréquent que ces élévations prissent forme aussitôt accompli l’acte charnel…soit que s’étant vidé par l’acte toute sa sensualité, il ne restât plus en lui que sa part spirituelle…Presque tout ce qu’il y avait d’inspiré dans son œuvre avait été conçu durant les minutes qui suivaient la possession. Mais cette possession doit générer un plaisir enrobé d’indifférence et d’absence ». II.1 La dimension psychique de la misogynie La cohabitation avec la femme provoque chez Montherlant un bouleversement psychique considérable. L’écrivain a l’impression d’être vidé, d’avoir perdu sa personnalité, d’être dépossédé de quelque chose. Costals avoue se sentir diminué chaque fois qu’il se représente auprès d’un être féminin. Dans Le démon du bien 1937 : 129, Costals déclare : « cette « possession » de son corps et de son esprit c’était 184 LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT Solange qui lui buvait son âme , puis se glissait en lui à la place de son âme ». Il a l’impression en compagnie de Solange d’être en cage, il étouffe, son esprit est malade, il ne retrouve ses esprits qu’une fois débarrassé de sa présence : « Je suis envoûté par cette cohabitation, exilé du monde en vain j’essaie de lire et d’écrire : ma tête est ailleurs, elle est de plus en plus à l’envers. Solange me « pompe » comme font les hystériques qui se chargent de la force nerveuse dont ils ont vidé ceux qu’ils touchent. Elle me possède, au sens argotique du mot, elle m’a eu, elle m’a vidé. » Ibid. 190-197. Aux heures où Costals n’était pas avec Solange, « Il se jetait dans son œuvre comme d’autres se jettent dans l’alcool ou la drogue. Il avait faim de son œuvre et elle le sauvait. » Les Lépreuses 1939 : 63. Il a lu à ce sujet Tolstoï qui a vécu aussi à sa manière le même drame et qu’il a résumé en termes suivants : « Pendant les premiers temps de son mariage, il se croit heureux, en fait il est hébété, Il a reçu un coup sur la tête. » II.2 La dimension physique de cette misogynie Cette gêne, l’écrivain le ressent aussi à travers cette présence physique. Ainsi Costals ne peut déguiser son soulagement, la joie de sa libération, de sa sortie de prison quand il est débarrassé de la présence encombrante et gênante de Solange « Qui lui dérobe le monde et met un écran entre le monde et lui. Ainsi après leur séparation à Gênes, « Costals dormit jusqu’à deux heures de l’après-midi le lendemain. Et de trois heures jusqu’au soir il resta étendu sur le lit, les yeux fermés essayant de récupérer sa force, de faire revenir en lui son âme que la femme avait bu. Et lendemain, au réveil, sans même se laver… Il était oppressé de sa création qui tapait à l’intérieur de lui pour sortir car sa force était revenue et il était de nouveau lui-même. Il était de nouveau un homme. » Le démon du bien 1937 : 227. Par souci d’honnêteté, Costals le fait savoir à Madame Dandillot : « Si j’épousais Solange… Elle dériverait une partie de ma force et me déroberait à ma concentration »ibid.60 . Plus loin il ajoute : « Dans la vie à deux, il y a endosmose, si l’un s’ennuie, il force l’autre à s’ennuyer. Si l’un souffre d’une incommodité quelconque, il force l’autre à en souffrir » ibid.199-200. III LA SIGNIFICATION REELLE DE CETTE MISOGYNIE A TRAVERS UNE RELECTURE DU CYCLE DES JEUNES FILLES 185 ANALYSES Montherlant tout en se démarquant des extrémistes comme Tolstoï, Gogol et autres semblent plutôt se rapprocher dans une certaine mesure de Kafka qui voit désormais la femme à travers un halo mystique. Les romans de Kafka s’attachent à cette vision dénonciatrice et pessimiste de la femme suite à l‘influence de Tolstoï notamment à travers La sonate à Kreutzer. Cependant, le dénominateur commun à Montherlant et Kafka c’est la femme conçue comme un catalyseur de la création littéraire. En fait les jeunes filles exercent sur Kafka un certain attrait (pouvoir aimanté), elles créent en lui une certaine sensation de féerie. Elles allument son sang, son génie qui lui permettra d’écrire et de produire des œuvres littéraires de qualité. Desmarquest dans Kafka et Les jeunes filles 2002 : 12 reconnaît que « C’est dans ces jeunes filles qu’il puise la substance pour écrire…Sa rencontre avec Félice Bauer sa future fiancée lui inspire Le Verdict…La jeune fille rêvée de Kafka est vouée à une autre possession (littéraire celle-là). Il demande à la femme de l’aider à accéder à la terre promise de l’écriture, de lui donner la force d’écrire. Du désir qu’elle éveille, il fait le sésame de l’écriture ». Montherlant à son tour ayant fui Solange Dandillot se réfugie Gênes (Italie) pour écrire. Mais « Dans le roman qu’il écrivait, il avait ajouté le personnage de Solange. L’intrigue n’avait aucun rapport avec celle qu’il menait avec Solange. Mais, le personnage était copié aussi fidèlement qu’il le pouvait » Le démon du bien 1937 : 141-142. On constate donc que c’est à distance que la femme est plus utile à la création de l’écrivain. Cependant parmi les défenseurs de la misogynie, Montherlant est loin de faire piètre figure. Bien au contraire s’éloignant des autres écrivains, il fait d’elle son cheval de bataille, il s’en sert aussi comme point de départ de dénonciation de certaines hypocrisies humaines. III.1 La misogynie comme dénonciation des conventions sociales Dans Le démon du bien 1937 : 54, Costals dénonce d’abord le mariage : « Il y a des fortes raisons que la femme se marie. Pour que l’homme se marie, il n’y en a aucune : il y va par grégarisme. (Et il est donc assez naturel que la loi fasse à l’homme dans le mariage une situation plus belle qu’à la femme) ». L’Abbé Mugnier dans cette œuvre apportera à Montherlant d’autres éclairages de nature à satisfaire ses interrogations. 186 LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT « Les hommes se marient « par goût de la catastrophe » oui c’est vraiment par amour du risque, du péril, le sombre et malsain attrait des embêtements qui poussent les mâles à se fourrer dans ce guêpier. S’ils y renâclent un peu, le monde parle de « leur lâcheté. On appelle lâcheté dans ce cas cette forme de l’intelligence qui est l’instinct de conservation. Il faut faire comme tout le monde ». Ibid.154. Costals s’en prend à cette complicité tacite des adultes dans la société : « L’inconscience des jeunes qui se marient est excusable. Mais que penser de l’inconscience de ceux qui les marient et qui, eux, savent ou devraient le savoir ? On croirait vraiment que la tarentule de marié est donnée aux gens par le génie de l’espèce, comme il leur donne la tarentule de s’accoupler. » ibid.171. III.2 La misogynie comme dénonciation du commerce des sentiments Pierre Sipriot 1990 : 348 reconnaît « Que les mariages tiennent par inertie. Notre force d’inertie nous enchaîne à des états pénibles. A cette inertie se mêle dans l’acquiescement du mariage des habitudes prises, ce qu’on appelle accoutumance ». Au nom des conventions sociales, l’individu doit se marier mais on se rend à l’évidence que ce mariage comme résultante d’un amour profond n’est qu’un vulgaire « marché » passé entre deux personnes ayant accepté de « jouer le jeu social ». Montherlant s’insurge par exemple contre la revue mensuelle des mariages octobre 1926 intitulé ‘’Le plus beau jour’’ où les potentiels candidats classés par ordre et fichés étalent leur richesse, leur classe, leur religion, leur caractère comme autant d’atouts susceptibles d’appâter d’éventuels partenaires qui les aideront à lutter contre l’ennui de l’existence. Les nouvelles technologies de la communication ont banalisé ce sentiment appelé amour et surtout à travers des mariages qui se contractent aujourd’hui à distance. Le mariage tout comme l’amour s’exporte aujourd’hui comme des denrées. Dénonçant cette situation à son temps, Montherlant a voulu lever l’équivoque sur le mot amour et s’inspire au passage de la Bible dans Le Démon du bien 1937 : 55 « En ne vous épousant pas, je sauvegarde notre amour, le mariage est la fin de l’amour, cela est connu depuis Jéroboam, je me lasserai de vous, vous me gêneriez, je vous apparaîtrais avec mes petits côtés, finish l’extase ». Même le mariage chrétien à ses yeux est une abomination : « Le mariage chrétien est pour l’homme une monstruosité, la contre nature même. Le génie de l’homme est de se lasser par habitude : on 187 ANALYSES veut qu’il reste fidèle à une femme qui chaque mois perd un peu plus d’attrait »ibid.21. Dans une lettre à Solange Dandillot le 28 juillet 1927, Les démons du bien 1937 : 32 « Il avoue qu’il respecte trop l’église pour la mêler à une parodie de mariage et propose pour la circonstance avec cette demoiselle une union provisoire, bref sans engagements. Plus loin dans Les jeunes filles 1936 : 43, il en arrive à nier l’existence de l’amour que les filles avides de mariage ne voient que sous l’angle charnel : « Je connais bien l’amour, c’est un sentiment pour lequel je n’ai pas d’estime. D’ailleurs il n’existe pas dans la nature. C’est une invention des femmes ; mais il y a l’affection mêlée de désir ». L’amour tel que conçu par Costals est une véritable alchimie il s’agit d’un composé d’affection et de désirs qui n’est pas l’amour. III.3 La misogynie : solution contre l’égoïsme et la médiocrité féminine Beaucoup de femmes luttent pour s’arracher un mari. Aussitôt installées dans le confort du mariage, elles déroulent leur tapis d’égoïsme et de médiocrité, ce qui assurément suscite des réactions négatives chez Montherlant. Ces femmes vivant dans les chimères, demi-intellectuelles passent des heures dans le salon à rêver du bonheur, à encombrer la vie de leur conjoint d’inutilités et poussent ce dernier en s’engouffrer dans des dépenses futiles. . Dans Les lépreuses 1939 : 60. Montherlant traduit son indignation en « songeant avec désespoir que tout l’argent qu’il ferait sortir de son intelligence, de son art et de son effort s’écoulerait dans les intestins d’une femme. Peut-on à la fois être digne d’estime et être gourmand ? Ainsi des heures passées, ainsi s’anéantissait le bien inestimable du temps…Ce côté grue qu’ont en puissance toutes les femmes, même les meilleures…Manger, toujours manger, être vautrée dans le fauteuil des heures durant. » S’agissant de cette médiocrité féminine, Andrée Hacquebaut, intellectuelle s’insurge à son tour contre la médiocrité féminine dans sa lettre du 10 janvier 1928 parue dans Les lépreuses 1939 : 35. « Telle femme, telle jeune fille qui aime un homme, n’aime en lui au fond que les enfants qu’il lui donnera. Dans Les jeunes filles 1936 : 35, elle s’en prend à la médiocrité en général et dégage ici les exigences que doit s’imposer toute femme qui épouse un artiste, un écrivain, bref un créateur d’esprit : « Sentez-vous ce qu’il y a de dramatique à être une femme seulement un tout petit peu supérieur ? C’est tout mon drame. Cela se paie le 188 LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT bonheur de ne pas aimer les médiocres. Et aimer les médiocres se paie par la médiocrité du bonheur qu’on y goutte. Ah ! Comme j’aurai bien fait l’épouse d’un artiste ! Car pour être la femme d’un artiste, il faut aimer l’artiste encore beaucoup plus que l’homme, faire que le premier soit plus grand et le second soit heureux. Et puis entre soi se comprendre à demi mot. » Montherlant pense que l’écrivain doit prendre de la hauteur, de la distance afin d’éviter l’enlisement dans cette vie « Où les gens se donnent beaucoup de mal pour tuer leur vie d’heure en heure. Il doit aussi éviter ces journées perdues, abrutissantes, désâmantes. Il doit aussi mettre fin à ces journées dévorées par le verbiage, l’insignifiance et la stérilité. » Les Lépreuses 1939 : 61. André Gide a soutenu qu’il faut suivre la pente de sa vie, pourvu que ce soit en la remontant. Et qu’il faut savoir sacrifier certains désirs et certaines tentations à la loi profonde de l’être. Ainsi donc la misogynie de Montherlant apparaît aussi comme un tremplin pour la créativité. III.4 Misogynie comme tremplin de la créativité littéraire Montherlant à l’image d’autres écrivains soucieux de préserver le génie créateur n’hésite pas à paraître désagréable. Il en vient à sacrifier la vie conjugale et à vitupérer ces écrivains qui se réfugient derrière les mariages pour justifier leur médiocrité témoin ces déclarations d’un écrivain français parues dans Les Lépreuses 1939 : 22 : « J’ai publié quatorze livres. Et bien ! Si j’étais célibataire ; je n’en aurais publié que sept. Autrement dit un livre sur deux pour le budget… Et bien ! C’est que j’ai trois enfants... Cependant, le grand romancier français est riche ». Très rigoureux, Montherlant n’admet rien qui puisse entraver la vie de l’artiste qui doit contribuer au progrès de l’humanité par des œuvres à dimensions universelles, et à valeur atemporelle. Il vitupère ainsi ces écrivains qui pour excuser leur médiocrité se réfugient derrière la famille « Tout ce qu’ils font de vil ou de médiocre, ils s’en excusent sur leur famille. On dirait qu’ils se sont mariés pour avoir ce prétexte » Ibid.22. Un sacrifice s’impose pour atteindre les sommets de la création. Montherlant dans Les Lépreuses 1939 : 26-27 précise : « Il y a deux catégories d’hommes : ceux qui dirigent et ceux qui sont dirigés. Les premiers sont les créateurs littéraires, artistiques, scientifiques, politiques. En somme les conquistadores : conquête de la pensée par l’écrivain, de la beauté par l’artiste, de la vérité par les savants et le philosophe, du pouvoir par le politique. Il faut aux conquistadores la quiétude de l’esprit que chasse le mariage. Que les 189 ANALYSES autres hommes se marient, qu’ils aient des enfants pour compenser tout qui n’ajoute pas au patrimoine de l’humanité mais que les conquistadores ne prennent du couple et de la paternité que ce qui peut être utile à leur économie » Vigny a précédé Montherlant dans cet hymne au progrès de l’humanité à travers son poème : « L’Esprit Pur » où il exprime sa foi enthousiaste dans le progrès conçu comme le triomphe de l’esprit pur. Ce vrai Dieu d’après Vigny est le Dieu des idées l’esprit indépendant de la matière dont les interprètes terrestres sont les poètes et les philosophes. Pour adhérer à cette « misogynie positive », il faut faire preuve d’abnégation, de foi et d’endurance car la lutte entre l’esprit et la chair est sans merci. Dans Le démon du bien 1937 : 24-25, Costals le fait savoir à mademoiselle Dandillot : « La vie est mon épouse et les livres que je tire d’elle sont mes enfants. Dans un esprit identique, Barrès a dit de Napoléon : « Ses filles étaient ses victoires. Et plût au ciel que Napoléon n’ait eu d’autre famille que celle là… Je me repose dans ma création, c’est ma création qui est ma santé, c’est elle qui me délivre et me délasse » . Cette vie d’écrivain nécessite concentration et calme et seule l’option célibat peut permettre l’accomplissement d’une telle forme de vie. La misogynie de l’écrivain lui impose le célibat qui est vu par Montherlant dans Le Démon du bien 1937 : 72 plutôt comme source d’épanouissement et d’affirmation de soi et de fécondité intérieure, de vitalité, des tourments actifs. Il existe en fait deux types de célibataire : « Il y a cependant célibataire et célibataire et il est amusant d’entendre parler de la « solitude » de certains d’entre eux quand cette solitude est peuplée de créatures ravissantes comme jamais parfois le mariage ne pourra contenir. Il y a une façon d’être marié dans le célibat comme d’être célibataire dans le mariage. »ibid.72 Ce célibat permet d’échapper aux obligations morales véritables entraves à toute concentration précédant toute création intellectuelle : « Si j’épousais Solange dès les premiers jours les obligations morales que me créeraient sa tendresse et son dévouement anéantiraient le plaisir que j’aurais de cette tendresse…Je serai obligé de compter avec elle or un artiste ne doit compter qu’avec son œuvre. Elle me serait une gêne et un affaiblissement de ma valeur. Je serai malheureux alors que dans la solitude je n’ai jamais été qu’heureux. » Ibid.60. 190 LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT En prenant ses distances vis-à-vis de la femme, Montherlant trouve là un tremplin pour mieux affronter l’existence et lui donner un sens, une certaine valeur et échapper ainsi à cette comédie humaine que jouent les couples mariés, qui, fatigués de se supporter n’ayant plus rien à ce dire sont incapables de se défaire de la situation. Par conséquent, ils sombrent dans la médiocrité et la monotonie de l’existence. Costals le fait savoir à Solange Dandillot : Le démon du bien 1937 : 24-26 : « Les faibles de caractère et les simples d’esprit auront toujours à se louer du mariage. Songer encore à ceci ; ceux qui défendent le plus le mariage en paroles sont ceux qui en souffrent le plus. Ils feignent le grand bonheur, crainte d’être percés et plaints… Je n’ai que mépris pour le mariage conçu comme un acte de garantie entre pauvres gens incapables chacun de se mesurer seul avec « les difficultés de l’existence ». Taxé d’égoïste, Costals ne s’en défend pas moins et il trouve que la vie conjugale génère inévitablement la pitié pour l’épouse qu’il faut absolument satisfaire pour éviter les chagrins et les douleurs. Cette pitié est aussi un danger qui guette l’écrivain. Dans Les jeunes filles 1936 : 7. Costals écrit : « Vous ne savez pas ce que c’est que la pitié, c’est un sentiment qui suffirait à ruiner une vie… J’ai une discipline d’égoïsme très exacte, si je n’avais pas d’égoïsme, je n’aurai pas d’œuvre il a fallu choisir. III.5 La misogynie de Montherlant : une philosophie de la vie Le cycle des jeunes filles apparaît en définitive comme le lieu privilégié pour Costals de dégager la philosophie de sa vie car il voudrait par son attitude et à travers ses correspondances désillusionner les jeunes filles sur leur attitude et leur comportement qui faussent les données réelles du mariage et même du bonheur. La confusion sur ces notions est telle que par souci d’honnêteté il voudrait clarifier certaines choses afin que les jeunes filles ne transforment pas inconsciemment leur vie en enfer. Voici l’éclairage de Montherlant sur le bonheur : mot auquel hommes et femmes semblent s’accrocher désespérément. Dans Les jeunes filles 1936 : 121-124, il écrit : « Il y a, d’Alain un livre intitulé : ‘’Propos sur le bonheur’’ mais à aucun endroit de ce livre il est question du bonheur. Cela est tout à fait significatif. La plupart des hommes n’ont pas de conception du bonheur… Et c’est ainsi que bonheur- satisfaction- de- la- vanité entre dans le bonheur qui s’obtient sans qu’on y pense : la femme se fait au contraire une idée positive du bonheur… Le bonheur est pour la 191 ANALYSES femme un état nettement défini pourvu d’une personnalité et d’une particularité et d’une réalité substantielle. Dans Le démon du bien 1937 : 182, il conclut que : « Le bonheur est comme l’été, il n’irradie pas… Le bonheur écrit blanc. Cette misogynie de Montherlant conçue comme philosophie de la vie débouche sur une forme de stoïcisme à la Vigny qui consiste à ne jamais baisser les bras et affronter l’existence avec dignité et sans faillir : « Vous vous faites une idée bourgeoise du monde selon laquelle il est indispensable que les hommes aient des heures de « découragement. Croyez qu’il y a des hommes qui non seulement ne savent pas ce qu’est le « découragement », mais n’ont même aucun repère pour imaginer ce qu’il peut être. Moi, par exemple, je n’ai jamais le moindre besoin d’être étayé (sauf si je suis atteint dans mon corps, bien entendu), je me repose dans ma création ; c’est ma création qui est ma santé, c’est elle qui me délivre et me délasse » ibid.25. La création d’œuvres de l’esprit met Montherlant devant un dilemme, un cas de conscience dans la mesure où l’écrivain a le choix douloureux entre l’éducation de son enfant et la construction de l’œuvre littéraire. On n’en arrive à se demander si Montherlant ne devient pas odieux au point de sacrifier ce qu’il y a de plus précieux dans le monde ? Une vie humaine. Montherlant pourtant froidement se justifie dans Les lépreuses 1939 : 127-128 : « J’avais à construire un homme ou à construire une œuvre ; j’ai choisi l’œuvre ; Rousseau abandonne ses enfants pour pouvoir écrire un livre sur l’enfant. Les pères ordinaires, c’est gagner de l’argent… Ou la belote qui les vole à leurs enfants. Moi c’est mon oeuvre qui m’a volé à l’amour et à l’éducation de mon enfant, qui m’a fait trahir mon enfant, qui m’a fait le remettre à demain. Quant à l’antinomie de l’art et de l’amour, elle n’est sans doute un cas particulier d’une antinomie universelle. » Montherlant est convaincu qu’il faut trancher sans émotions afin de lever toute équivoque. Raison pour laquelle il apporte des précisions dans Les lépreuses 1939 :128 « Si on veut faire les choses profondément on ne peut pas à la fois par exemple en ce qui me concerne créer, se cultiver, chasser l’aventure, chasser la gloire et aimer : il y a toujours une de ces activités qui est trahie. ». III.6 La misogynie comme gage d’honnêteté Une cohabitation véritable et souhaitée ne peut devenir un calvaire pour le couple. Costals une fois de plus fait ressortir son souci d’honnêteté en refusant la comédie humaine. Il le signifie dans Le démon du bien 1939 : 193 en notant dans son journal personnel : 192 LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT « Je ne fais pas le procès de la vie en commun liaison ou mariage. Je fais le procès de la charité qui vous force à vous conduire avec un être comme si on l’aimait alors qu’on ne l’aime pas (du moins alors qu’on ne l’aime pas à fond.) Dans ce même journal il ajoute plus loin : « La vie à deux dit-on est une thérapeutique en vue de se protéger de l’autre : « Moi près de toi je reprendrai ma solitude » »ibid.192. Il conclut son journal en disant : « Moi je finis par prendre en horreur ces caresses mensonges qui déshonorent l’affection vraie, dont elles sont le simulacre comme la charité déshonore l’amour »ibid.198. Costals influencé à son tour par Tolstoï est conscient que la cohabitation avec Solange Dandillot sera un échec. Il annote toutes les conséquences qui pourraient en suivre et invite Solange tout comme les autres filles qu’il rencontre à lire La sonate à Kreutzer de Tolstoï afin d’éviter des errements. Faisant preuve de franchise et fidèle à ses principes, il reconnaît la mobilité de ses sentiments et ne voudrait pas faire souffrir inutilement mademoiselle Solange Dandillot et jouer par la suite la comédie comme les autres : « Je suis quelqu’un de mobile, j’aime les êtres, j’aime leur possession et je les ai dans le sang. Il est inévitable qu’à un moment je désire d’autres femmes que la mienne. Alors quoi? Les cachotteries, le mensonge quotidien, les misérables ruses avec ce qu’on aime et qui vous aime ? Jamais… Je sentirai qu’elle se donne toute à moi et je ne pourrai pas me donner tout à elle et je ne serai pas heureux alors que dans la solitude je n’ai jamais été qu’heureux »ibid.60-61. Il se rappelle aussi de cet adage : « En mariage, trompe qui peut. « Il n’est pas d’exemple d’un mariage où l’un des conjoints n’ait été plus ou moins trompé par l’autre. En cette matière le pire est possible et sans jamais sortir de la parfaite honorabilité » Ibid.96. Costals à l’image de Jean Valjean dans Les misérables connaît une véritable tempête sous un crâne. Il doit libérer sa conscience d’un poids à savoir refuser les fiançailles avec mademoiselle Dandillot pour ne pas s’enfermer dans une prison à vie que constitue la vie conjugale. « De surcroît il taxe l’acte sexuel de ridicule victoire de l’homme sur les femmes et exprime sa honte d’avoir pu être humilié par cela, d’avoir mis sa vanité et ses ébriétés dans ces sortes d’exploits. Il reconnaît ensuite que la simulation de la jouissance est une triste comédie de chaque nuit et qui dure des années. » ibid. 122. Dans sa lettre du 7 septembre 1927, Costals résume ici sa décision : 193 ANALYSES « Si je vous avais épousée, vous aurez longuement et beaucoup souffert. Dieu seul sait de quoi je suis capable quand je me sens enchaîné. Je suis quelqu’un qui rompt et prend du champ pour respirer. Je suis prêt à vous donner tout ce que vous souhaiterez de moi hors mis celle du mariage » Ibid133-134 CONCLUSION La misogynie loin d’être une panacée apportant des solutions à la vie de l’écrivain, n’en demeure pas moins un catalyseur pour l’écrivain condamné ici à « accoucher dans la douleur » les œuvres de l’esprit. Comme le souligne un critique avec les écrivains de la trempe de Montherlant ayant un mépris pour la femme, c’est l’opposition à la fondation d’une famille avec pour conséquence le dépeuplement de la surface terrestre. Il n’envisage nulle part supporter la responsabilité d’avoir des enfants encore moins de les élever. Par cette attitude Montherlant semble reprendre en échos peut-être pas dans le même contexte cette phrase d’André Gide « Famille je vous hais. Cependant toute création artistique n’est-elle pas source de sacrifice, de renonciation et de douleur ? Le mérite de Montherlant aura été de transformer la misogynie en une attitude positive dès lors qu’elle devient source de dénonciation des hypocrisies sociales et féminines et en même temps tremplin de création littéraire. Il se démarque ainsi des autres écrivains notamment Kafka et Tolstoï qui dans leur « soif de pureté » considèrent la femme et l’acte sexuel comme synonymes de saleté. Par cette attitude il s’éloigne de ce fait de Montherlant qui dans sa quête de création littéraire et de plaisir se rapproche parfois de la femme. Cet écrivain à travers Le Cycle des Jeunes filles aura su démontrer avec ténacité que le célibat n’est pas un drame social encore moins une calamité individuelle. Il est plutôt un levier indispensable à toute création littéraire dans la mesure où la solitude en est le garant. Montherlant remet ainsi en question les déclarations de Léon Pierre Quint dans ‘’André Gide : L’homme sa vie et son œuvre’’ 1952 : 341 déclare que : « Le célibat est un défi et presque inhumain. Rares sont ceux dans l’histoire de la pensée, qui l’ont tenu, qui ont trouvé dans leur œuvre ou dans l’action des sentiments total d’obligation que la plupart des hommes connaissent avant tout par l’engagement du mariage. Si dans la Bible, Jéhovah dans la Genèse dit: « Il n’est pas bon que l’homme soit seul », Pierre Sipriot 1990 : 371 reconnaît que : 194 LA MISOGYNIE CHEZ HENRY DE MONTHERLANT « Montherlant est une sorte de célibataire d’honneur qui n’a pas été le premier homme qui n’épouse pas mais le premier qui n’épousant pas décrit comme personne avant lui les maladies du couple ». Ce célibat et cette misogynie ont permis à Montherlant de se découvrir et de faire éclore son génie qui gratifie aujourd’hui la société d’œuvres de grande envergure qui participent au patrimoine de l’humanité par la force d’introspection de l’auteur. Frédéric TCHOUANKAM Université de Dschang / Cameroun [email protected] REFERENCES BIBLIOGRAPH Baudelaire, Charles (1961) : Les Fleurs du Mal, Paris, Garnier (Classiques Garnier) Bonnet, Gérard (1983) : Les Perversions sexuelles, Paris, Presse Universitaire Française Corraze, Jacques (1982) : L’homosexualité, Paris, Puf, Que sais-je ? 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