La constitution du tribunal arbitral et le statut de l`arbitre dans l`acte

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DOCTRINE
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LA CONSTITUTION DU TRffiUNAL
ARBITRAL ET LE STATUT DE L'ARBITRE
DANS L~CTE UNIFORME OHAnA
par Me Antoine DELABRIÈRE
et M" Alain FÉNÉON,
Cabinet Fénéon
Avocats au barreau de Paris
INTRODUCTION
Chacun des modes de règlement des litiges a son domaine
d'action privilégié; ainsi, l'arbitrage est une forme de justice
contractuelle, qui a pour fondement la seule volonté des contractants.
Cette volonté est libre d'instituer, par une convention de procédure soumise à un régime juridique particulier, un juge compétent
pour régler le litige relatif à la relation contractuelle: c'est le Tribunal arbitral.
Cette donnée fondamentale doit cependant être protégée par un
texte: c'est l'objet même de l'Acte Uniforme, dont la primauté de la
convention des parties inspire toutes les dispositions, notamment
celles applicables à la constitution du Tribunal arbitral et au déroulement de l'instance (1), mais aussi au statut de l'arbitre (II).
1 - LA CONSTITUTION DU TRIBUNAL ARBITRAL
Il convient d'examiner cette constitution successivement au
regard des règles gouvernant la désignation des arbitres, et notamment des articles 5 et 8 de l'Acte Uniforme, en examinant les difficultés de constitution du Tribunal arbitral.
A- La désignation des arbitres
L'article 5, alinéa 1er, de l'Acte Uniforme affirme très clairement
que c'est à la convention d'arbitrage signée par les parties, et elle
seule, qu'il incombe de désigner les arbitres, ou tout au moins de
fixer les modalités de leur désignation.
Ainsi, selon l'article 5, alinéa 1, de l'Acte Uniforme, «les arbitres
sont nommés, révoqués ou remplacés, conformément à la conven-
tion des parties».
L'article 4 de l'Acte Uniforme précise, pour sa part, que les parties ont la liberté de fixer les modalités de la procédure arbitrale, qui
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comprend nécessairement la constitution du Tribunal arbitral, et ce,
soit directement, ou par référence à un règlement institutionnel, ou
encore, dans leur silence, par l'application de l'Acte Uniforme.
Les parties sont ainsi maîtres d'organiser librement leur procédure et donc de s'entendre sur les modalités de constitution du Tribunal arbitral.
En effet, l'irrégularité de la composition de la juridiction ou de la
désignation de l'arbitre unique constitue, selon l'article 26 de l~cte
Uniforme, un motif d'annulation de la sentence.
.
La convention des parties doit ainsi octroyer des droits identiques
à chaque partie, pour la désignation, et encore la récusation des
arbitres.
• La primauté de la volonté des parties a pour conséquence
directe le caractère subsidiaire des dispositions de l'Acte Uniforme.
L'Acte Uniforme s'inscrit ici dans un courant doctrinal et législatif bien établi.
Les différentes législations africaines consacraient déjà la primauté de la convention des parties.
Au Mali, l'article 880 du décret du 28 juin 1994 portant Code de
Procédure Civile, Commerciale et Sociale prévoyait que «la clause
compromissoire doit, soit désigner le ou les arbitres, soit prévoir les
modalités de leur désignation».
En Côte-d'Ivoire, l'article 2, alinéa 2, de la loi n° 93-671 du 9 août
1993 relative à l'arbitrage, contenait une disposition identique.
Au Tchad, l'article 372 de l'ordonnance du 28 juillet 1967 portant
Code de Procédure Civile disposait que «le compromis désigne... le
nom de l'arbitre, à peine de nullité, ainsi que le délai qui lui est
imparti».
L'article 276, alinéa 2, du décret togolais du 15 mars 1982 portant
Code de Procédure Civile, ainsi que l'article 578 de la loi camerounaise n° 75/18 du 8 décembre 1975 portant Code de Procédure contenaient une disposition similaire.
Enfin, le Code de Procédure Civile gabonais' énonçait le principe
de la primauté de la convention des parties en son article 974.
Si on élargit notre examen du Droit comparé, on peut observer
que la loi-type de la CNUDCI de 1985 reconnaît la liberté des parties quant au nombre des arbitres et à leur procédure de nomination
des arbitres (articles 19, paragraphe 1, et 11, paragraphe 2).
La loi fédérale suisse de 1987 affirme en son article 179 que les
arbitres sont nommés... «conformément à la convention des parties».
Des 'dispositions semblables se retrouvent notamment en droit
français (art. 1493, al. 1, NCPC) , en droit belge (C. Jud., art. 1682),
néerlandais (CPC, art. 1026), italien (CPC, art. 809).
B- Les difficultés de constitution du Tribunal arbitral
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• Si les parties sont libres d'organiser la procédure comme elles
l'entendent, leur liberté n'est toutefois pas sans limite.
La liberté des parties est contrôlée puisque le principe d'égalité
des parties, affirmé par l'article 9 de l'Acte Uniforme, s'applique à la
constitution du Tribunal arbitral.
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• Les dispositions de l~cte Uniforme ne s'appliquent, en raison
de leur caractère subsidiaire, qu'à défaut ou en cas d'insuffisance de
la Convention d'arbitrage (article 5, alinéa 2, de l~cte Uniforme).
Ainsi que certains membres des Commissions nationales
devaient l'o,bserver, l'avant-projet d'Acte Uniforme n'avait pas distingué sur ce point entre l'arbitrage ad hoc et l'arbitrage institutionnel.
, ~'uni~é de régime a été maintenue dans le texte définitif, ce qui
etaIt logIque, compte tenu du caractère subsidiaire de l'Acte Uniforme.
En effet, si dans le cas d'un arbitrage institutionnel, les règlements d'arbitrage prévoient très précisément la procédure de désignation des arbitres, il n'en demeure pas moins que la référence
ainsi faite à cette procédure n'exclut pas qu'à titre subsidiaire, les
dispositions des articles 5 à 8 de l'Acte Uniforme aient à s'appliquer.
Cette observation vaut également pour les dispositions du Traité
OHADA, qui fixent la compétence de la Cour Commune de Justice
et d'arbitrage (CCJA) en matière d'arbitrage.
• En cas de difficulté de constitution du Tribunal arbitral l'artiçle 5 de l'Acte Uniforme prévoit le recours au juge compét~nt de
1';Etat partie pour procéder à la désignation de l'arbitre unique ou du
troisième arbitre.
Selon l'article 8, alinéas 2 et 3, et l'article 12, alinéa 2, «si les parties désignent les arbitres en nombre pair, le Tribunal arbitral est
. complété par un arbitre choisi, soit conformément aux prévisions
des parties, soit, en l'absence de telles prévisions, par les arbitres
d~signés, soit, ~ défaut d'accord entre ces derniers, par le juge competent dans l'Etat partie.
Il en est de même en cas de récusation, d'incapacité, de décès de
'
démission ou de révocation d'un arbitre.
Le délai légal ou conventionnel peut être prorogé, soit par accord
des parties, soit à la demande de l'une d'elles ou du Tribunal arbitral, par le juge compétent dans l'État partie.»
L'Acte Uniforme ne se prononce pas sur l'éventualité et la possibilité d'un recours de la décision du juge compétent. Ce silence n'est
pas }Ine lacune; il est justifié par les limites du mandat donné par
les Etats à l'OHADA, celles-ci n'ayant pas le pOl.\.voir d'étendre le
champ d'application des Actes Uniformes au-delà des matières
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1) L'arbitre doit avoir le plein exercice de ses droits civils.
Se~on l'article 6, alinéa 2, de l'Acte Uniforme, «l'arbitre doit avoir
expressément prévues par le Traité et; en l'esp~ce, dans le domaine
de la procédure civile de chacun des Etats parties.
Ce n'est que dans le domaine de la récus~t~0.n que l.'articl~ 7,
alinéa 3 de l'Acte Uniforme dispose que la declSlon du Juge n est
susceptible d'aucun recours: «En cas de litige, et si les parties n'9nt
pas réglé la procédure de récusation, le juge compétent dans l'Etat
partie statue sur la récusation.
le plem exercice de ses droits civils... »
Il convient dès lors ?~ se demander si la capacité de compromettre suppose la capacite de contracter, ou celle d'ester en justice.
En Droit français, cette même disposition figurant dans l'article
2059 du Code Civil est analysée comme n'exigeant que la capacité de
contracter.
Le fait de recourir à l'arbitrage est, au moins en matière commerciale, considéré comme un acte de gestion courante.
Il est dès lors po~sible d'en déduire que la capacité requise pour
compromettre doit etre celle de conclure les contrats nécessaires à
la gestion du patrimoine commercial, et non celle de disposer.
Par a~alogie, il convient de considérer que la capacité exigée par
l~cte Umforme pour compromettre est la capacité de contracter est
donc seule visée par l'Acte Uniforme.
Sa décision n'est susceptible d'aucun recours.»
• Les articles 5 à 8 font référence, en cas de difficulté, à l'intervention du «juge compétent dans chaque État partie», en tant que
juge d'appui.
Ce renvoie à l~organisation judiciaire et au droit proc,es.suel
interne de chaque Etat partie suppose naturelle~entque les }e~Isla­
tions nationales africaines prennent des dispOSItions pour deSIgner,
par référence à l'Acte Uniforme, la juridiction compétente et la
procédure applicable.
L'entrée en vigueur des Actes Uniformes supposait que chaque
État partie rédige et publie une loi d'adaptation, ce qui n'a été le cas
à ce jour que de la République du Sénégal.
Aussi faute de texte visant expressément l'Acte Uniforme, il
conviendra de rechercher au travers de chaque droit national le
"juge compétent" qui sera vraisemblableme~t le juge du siège du
Tribunal arbitral, ainsi que la procédure apphcable.
Nous pouvons don~ suggérer qu'~ l'o~c~~ion ~e la. réd~ction
d'une convention d'arbitrage, les partIes verifIent SI lalOl natlOnale
du siège de l'arbitrage a prévu de telles dispositions et, d~ns le
silence de celle-ci, de désigner ce "juge compéte~t" et de préCIser la
référence à la procédure qui devrait alors être mIse en œuvre (procédure de référé ou procédure sur requête).
2) L'arbitre doit présenter des qualités morales et professionnelles irréprochables.
~ette condition, qui n'est pas expressément exprimée par l'Acte
Umforme, apparaît néanmoins implicite.
Certaines conventions internationales et de nombreux règlements d'arbitrage le précisent.
Ainsi, par exemple, la Convention de Washington du 18 mars
1965, en son article 14, dispose que les personnes désignées pour
figurer sur les listes d'arbitres «doivent jouir d'une haute considéra-
tion morale, être d'une compétence reconnue en matière juridique
'
commerciale, industrielle ou financière».
II - LE. STATUT DE L'ARBITRE
. L'arbitre est investi par les parties du pouvoir de trancher la
contestation qui les oppose.
Parce qu'il dispose de pouvoirs juridicti~nnels, l' arbitr~ doit présenter certaines qualités' morales et professlOnnelles constltuant son
statut d'arbitre (section A).
L'arbitre dans l'exercice de sa fonction arbitrale, dispose par
ailleurs de droits, mais également est soumis à des obligations (sections B et C).
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.
De même, dans les arbitrages corporatistes, il est fréquent que le
,règlement de l'association qui les administre exige que les arbitres
soient des professionnels de la branche.
Enfin, les parties peuvent choisir un arbitre en raison de son
e~périence professi?nnelle dans tel secteur économique ou techmque, de sa connaIssance de tel système juridique et/ou de telle
branche de droit, de ses aptitudes linguistiques, ...
De la même ma?ière, l'~r:ticle 10-2 du ?écret du 15 mars 1982 portant Code de Procedure CIvIle au Togo dIsposait que «les personnes
figurant sur la liste d'arbitres sont choisies sans considération de
nationalité, parmi les magistrats, les avocats, les professeurs de
droitetautresjur~~s
A- La capacité d'être arbitre
- ayant une compétence reconnue, en raison de leur qualification
et de leur expérience, en matière judicaire ou arbitrale'
'
- et qui offrent toute garantie de moralité, ... »
Parce qu'il est investi du pouvoir juridictionnel, l'arbitre doit
avoir le plein exercice de ses droits civils.
-Il doit également présenter des qualités morales et professionnelles indiscutables.
Ces exigences sont légitimes, puisque les parties en choisisant la
voie de l'arbitrage, s'en remettent à la décision d'~e justice privée
adaptée à leurs exigences et leurs besoins.
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(Paris, 9 avril 1992, Annahold BV cl D. Frydman et autres, D. 1992.
I.R. 173),
.
- qUI est embauché par une partie dès le lendemain du prononcé
de la sentence (Paris, 2 juillet 1992, Société Raoul Duval clSociété
Merkuria Sucden).
B- L'engagement d'indépendance et d'impartialité
S'agissant des États africains, l'article 10-2 du décret du 5 mars
1982 portant Code de Procédure Civile au Togo dispose par exemple
que «les personnes figurant sur la liste des arbitres sont choisies
sans considération de nationalité, parmi les magistrats, les avocats,
les professeurs de droit et autres juristes... qui offrent toute garantie de moralité, d'indépendance et d'impartialité».
Dans l'affaire Philip Brothers, le Tribunal de Grande Instance de
Paris avait à connaître d'un arbitrage corporatif dans lequel les parties et les arbitres étaient tous professionnels de la même spécialité.
Il a été jugé que ceux-ci «sont nécessairement en relation
d'affaires les uns avec les autres, les uns contre les autres selon les
circonstances, sans que l'existence de telles relations d'affaires doi-
En France, la Cour de Cassation, dans son arrêt Ury clGaleries
Lafayette du 13 avril 1972, affirme que «l'indépendance d'esprit est
in~ispensable à l'exercice du pouvoir juridictionnel, quelle qu'en
vent, par principe, mettre en doute et même en cause leurs indépendance à l'égard de la partie les ayant désignés et leur impartialité
pour statuer sur le litige, comme arbitre, et par voie de conséquence
nécessaire comme "juge"» (v. TGI, Paris, Réf. 28 octobre 1988, et 29
juin 1989) Rev. Arb. 1990.497).
SOIt la source, quelle est l'une des qualités essentielles des arbitres»
(v. Casso 2" Civ., 13 avril 1972, JCP 1972, Ed. G; 11.17189, note P.
Level; 1973.11, note J. Robert; Rev. Arb. 1975.235, note E. Loquin).
La loi-type de la CNUDCI rappelle également que l'arbitre doit
être indépendant et impartial (article 12, alinéa 2).
L'indépendance de l'arbitre peut également s'entendre de son
indépendance, non pas avec une partie, mais avec son conseil.
Les arbitres, qui ont souvent parallèlement une activité
d'avocats, risquent en effet de se trouver en conflit d'intérêt avec les
avocats des parties.
La Cour d'appel de Paris a dû ainsi se prononcer dans une affaire
concernant deux avocats ("Barristers'j anglais appartenant au
même cabinet ("Chambers'').
L'un était conseil d'une partie à un arbitrage, et l'autre président
du Tribunal.
La Cour d'appel a considéré que «l'appartenance à une même
Chambre de Barristers se caractérise, pour l'essentiel, par la mise en
commun de locaux et de collaborateurs, sans création de liens professionnels impliquant, telle, par exemple, l'association de droit
français, des intérêts communs ou une quelconque dépendance économique ou intellectuelle, des raisons de la spécialisation des
-------- à plaider les uns contre les autres, ou à participer à des Tribunaux arbitraux devant lesquels d'autres membres de la même
Chambers interviennent en qualité de conseil» (v. Paris, 28 juin 1991,
Rev. Arb. 1992.568, note P. Bellet).
Quant au règlement de la CCI, il exige seulement que l'arbitre
soit indépendant des parties en cause (article 2, paragraphe 7).
Les qualités d'indépendance et d'impartialité sont difficiles à
définir.
Ainsi, si l'indépendance apparaît comme une situation de droit
ou de fait, l'impartialité serait plutôt une disposition d'esprit un état
psychologique.
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Ainsi, si l'indépendance pourrait relever d'une appréciation
objective, l'impartialité serait par nature subjective.
Il ne peut y avoir d'indépendance dès lors que l'arbitre partage
avec une partie des intérêts communs; c'est ainsi que les tribunaux
français ont défini la notion d'indépendance: «L'indépendance de
l'arbitre est de l'essence de sa fonction juridictionnelle, en ce sens
que, d'une part, il accède dès sa désignation au statut de juge exclusi,ve de tout lien d~ dépendance, notamment avec les parties,' et que,
d autre part, les Cl1'constances invoquées pour contester cette indépendancedoivent caractériser, par l'existence de liens matériels et
intellectuels, une situation de nature à affecter le jugement de l'arbitre, en constituant un risque certain de prévention à l'égard de
l'une des parties de l'arbitrage» (v. Paris, 2 juin 1989, deux arrêts,
Rev. Arb. 1991.87; Paris, 28 juin 1991, Rev. Arb. 1992.568, note
P. Bellet; Paris, 9 avril 1992, Annahold BV cID. Frydman et autres,
D. 1992, I.R. 173).
N'a pas été par exemple comme suffisamment indépendant l'arbitre :
- qui, parallèlement aux opérations d'arbitrage, poursuivait une
mission personnelle et rémunéré de conseil et d'assistance technique
auprès de l'une des parties à l'arbitrage (TGI, Paris, 15 janvier 1988,
Rev. Arb. 1988.316, note J. Robert),
- qui, au moment du compromis le désignant comme arbitre remplaçant, était encore le consultant rémunéré d'une société dépendant du groupe auquel appartenait l'une des parties à l'arbitrage
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.
• La notion d'impartialité est encore plus difficile à appréhender.
Le Tribunal fédéral suisse a ainsi rejeté les accusations ou les
suspicions ne reposant que «sur le seul sentiment subjectif d'une
partie (et non) sur des faits concrets propres à justifier objectivement et raisonnablement (la méfiance) chez une personne réagissant normalement» (v. 11 mai 1992, D. c. A. Bull. ASA, 1992.381,
spéc. p. 392. Rev. Suisse Dr Inter. et Et. Eur. 1994, p. 117 et s., note
Ph. Schweizer).
En premier lieu, l'impartialité de l'arbitre peut être contestée
parce qu'il aurait déjà connu du litige, ou d'un litige connexe dans
un arbitrage antérieur.
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Il est vraisemblable toutefois que dans un tel cas, l'arbitre n'aurait pas manqué de faire connaître ce motif éventuel de récusation
afin d'éviter toute difficulté à ce sujet.
En second lieu, et le plus souvent, l'impartialité d~J'arbitre est
contestée en raison d'tille situation, d'un comportement ou d'une
attitude de l'arbitre, antérieurement à la procédure arbitrale.
Il peut s'agir d'une position prise par l'arbitre dans un débat
général d'ordre juridique ou professionnel, qui serait contraire aux
intérêts de l'une des parties; il peut s'agir également d'un lien ou
d'une relation qu'aurait entretenu l'arbitre avec l'une des parties
dans un cadre personnel ou professionnel.
L'arbitre doit en effet demeurer impartial tout au long de la
procédure, c'est-à-dire jusqu'au moment où la sentence finale est
rendue.
• L'indépendance de l'arbitre, comme sa neutralité, peut être
favorisée par sa nationalité.
Il peut en effet être légitime de considérer qu'avec une nationalité distincte de celle des parties, l'arbitre disposera d'une plus
grande liberté de jugement.
C'est pour cette raison qu'un certain nombre de règlements d'arbitrage exige que le troisième arbitre, ou l'arbitre unique, soit de
nationalité différente de celle des parties, voire de l'un et l'autre des
arbitres précédemment désignés.
Les Tribunaux considèrent généralement que l'appréciation de
l'indépendance et de l'impartialité de l'arbitre relève du juge de la
régularité de la sentence arbitrale.
Lorsque l'impartialité d'un arbitre est mise en cause, «il appartient à la Cour d'appel saisie du litige de rechercher les circonstances de nature à affecter le jugement de cet arbitre, et à provoquer
dans l'esprit des parties un doute raisonnable sur l'existence des
qualités d'indépendance et d'impartialité requises pour exercer la
fonction arbitrale» (v. Casso 1re Civ., 16 mars 1999, n° Q. 96-12.748, n0
547 P, État du Quatar c/Société Creighton Limited).
Nous avons vu qu'aux termes de l'article 7 de l'Acte Uniforme,
cette compétence appartient .au juge compétent dans l'État partie,
ou juge d'appui.
Il appartiendra là encore à la loi nationale de ce juge d'appui de
préciser les conditions de saisine et de procédure applicables à cette
juridiction.
Aux termes de l'article 9 de l'Acte Uniforme, «les parties doivent
être traitées sur un pied d'égalité, et chaque partie doit avoir toute
possibilité de faire valoir ses droits».
En conséquence, l'arbitre doit traiter les parties sur un pied
d'égalité tout au long de la procédure.
Il doit également veiller à ce que les parties aient toute possibilité de faire valoir leurs moyens.
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163
Ces devoirs constituent des obligations contractuelles, qui résultent directement de l'acceptation par l'arbitre de sa mission.
C- Les obligations de l'arbitre
• L'arbitre doit accomplir sa mission dans les délais légaux ou
contractuels qui lui sont fixés.
L'article 12 de l'Acte Uniforme dispose ainsi que «si ~a convention
d'arbitrage ne fixe pas de délai,. la m~ssion de~ arb!tres ne pe~t
excéder six mois à compter du JOur ou le der;,mer d entr,e e~ 1 a
acceptée. Le délai légal ou conventionnel peut etre proroge, S~It par
accord des parties, soit à la demande dl} l'une d:elles ou du TrIbunal
arbitral, par le juge compétent dans l'Etat partIe.»
Cette règle est universellem~nt ~econ~u~, ~ans être touj~urs
exprimée sou::; la forme d'une oblIgatIOn preCIse a la charge de l arbitre.
L'arbitre doit procéder à toutes les exigences nécessaires pour
répondre à l'exigence de «délai raisonnable», p\,sée par les co.nventions et les déclarations internationales relatIves aux DrOIts de
l'Homme en matière de justice.
Manquerait ainsi à son devoir ~e diligen~~ l'arbitre qui~ membre
d'un collège arbitral, s'abstiendraIt de partICIper aux audIences ou
au délibéré.
• L'arbitre doit informer les parties de l'acceptation de sa mission.
L'arbitre doit avertir les parties de son acceptation de la missi~n ;
en effet, l'article 7, alinéa 1, de l'Acte Uniforme l?rév~:>it que «l'~rbItre
qui accepte la mission doit por:ter cette acc:pt~tlOn a la connaIssance
des parties par tout moyen laIssant trace eCrIte».
Il n'est pas inutile de rapp~~er.que ~ors des !ravaux pré:parat?i;es,
le~ Commissions nationales s etaIent mterrogees sur la necessite de
faire prêter serment à l'arbitre.
Cette proposition fut finalement écartée par la Comm.ission plénière, qui a considéré, avec juste raison, que ~ette prestat~on d?e serment offrait plus d'inconvénients (devant qUI ? sur quel lIvre . sous
'quelles sanctions ?) que d'avantages.
À cette formule, a donc été préférée l'obligati0I?- fa.it~ ~ l'arbi~~e
de confirmer par écrit qu'il accep.tait la mi~sion qUI lUI etaIt confIee
et qu'implicitement il ne supposaIt .en consequence, en sa personne,
aucune cause ultérieure de récusatIOn.
• L'arbitre doit mener sa mission jusqu'à son terme; c'est-à-dire
jusqu'au prononcé de la sentence.
Dès l'instant où l'arbitre a accepté sa mission, il ne peut plus, du
moins en principe, démissionner sans juste motif.
La règle selon laquelle l'arbitre doit mener sa, missi.on)~squ'à son
terme est commune à un grand nombre de systemes Jundiques.
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DOCTRINE
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On la trouver, par exemple, en Droit français (article 1642 du
NCPC), italien (article 813 CPC), belge (article 1689 CJ), néerlandais
(article 1029, alinéa 2, CPC).
Cette règle a pour but de lutter contre l'attitude dilatoire d'un
arbitre qui pourrait démissionner afin d'empêcher le Tribunal arbitral de prendre une sentence défavorable à la partie qui l'a désigné,
ou même contraire à son opinion.
• L'arbitre doit conserver à l'arbitrage son caractère confidentiel.
L'article 18 de l'Acte Uniforme dispose ainsi que «les délibérations du Tribunal arbitral sont secrètes».
Toutefois, cette obligation de confidentialité n'est que rarement
affirmée de manière générale et expresse.
D- Les sanctions: récusation et révocation de l'arbitre
La récusation ou la révocation de l'arbitre sont des sanctions universellement reconnues. Lorsque l'arbitre fait preuve de négligences
avérées, ou de «misconduct», le contrat qui le lie aux parties peut
en effet être résilié comme tout mandat.
Il conyient de distinguer la révocation de la récusation.
La récusation visée aux articles 7 et 8 de l'Acte Uniforme sanctionne un arbitre qui ne satisfait pas aux qualités requises d'un
organe juridictionnel.
Un arbitre ne peut être récusé que pour une cause révélée après
sa nomination (article 7, alinéa 4, de l'Acte Uniforme).
S'agissant de la récusation des arbitres, l'Acte Uniforme ne bouleverse pas les règles qui existaient dans les différentes législations
des États parties au Traité.
En effet, on trouvait des dispositions similaires notamment au
Cameroun, en Côte-d'Ivoire, au Tchad.
Ainsi, par exemple, l'article 21 de la loi ivoirienne n° 93-671 du 9
. août 1993 relative à l'arbitrage disposait «qu'un arbitre ne peut
s'abstenir ou être récusé quepour une cause de récusation qui se
serait révélée ou serait survenue depuis sa désignation».
La demande de récusation doit être soulevée sans délai par la
partie qui entend s'en prévaloir.
Cette disposition a été introduite lors des débats en Assemblée
plénière, sur la suggestion du représentant d'une Institution internationale, lequel a fait très justement observer que l'exception de
récusation pouvait, dans certains cas, revêtir un caractère dilatoire,
notamment lorsqu'elle était soulevée à la fin des débats, voire à
l'occasion de la lecture d'une sentence arbitrale défavorable aux
intérêts de la partie invoquant cette récusation.
Aussi, l'Assemblée plénière des, Commissions nationales a introduit dans l'avant-projet cette disposition ainsi rédigée : «ToJ.te
, .
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cause de récusation doit être soulevée sans délai par la partie qui
entend s'en prévaloir.»
L'introduction de cette règle étant ainsi de nature à éviter, ou
tout au moins à surmonter ce genre de difficultés.
Par ailleurs, l'arbitre qui suppose en sa personne une cause de
récusation doit en informer les parties avant sa nomination.
Cette règle a été introduite afin, là encore, de pallier à un risque
de paralysie de la procédure arbitrale.
Cette obligation faite à l'arbitre de soulever, préalablement à un
engagement de la procédure, toute cause de récusation qu'il pourrait suspecter en sa personne, doit en effet conduire à vider cette
difficulté avant de commencer la procédure.
On peut donc se féliciter de la rédaction de cet article 7, alinéa 2,
de l'Acte Uniforme, ainsi que de la règle posée par le troisième
alinéa: «En cas de litige, et si les parties n'qnt pas réglé la procédure de récusation, le juge compétent dans l'Etat partie statue sur la
récusation. Sa décision n'est susceptible d'aucun recours.»
La révocation, au contraire, est d'une nature différente en ce
qu'elle doit émaner d'une volonté commune des parties.
Un certain nombre d'États africains connaissaient déjà cette exigence.
Ainsi, au Cameroun, la loi n° 75/18 du 8 décembre 1975 portant
Code de Procédure prévoyait dans son article 581 que «pendant le
délai de l'arbitrage, les arbitres ne pourront être révoqués que du
consentement unanime des parties».
Seul l'article 8, alinéa 3, de l'Acte Uniforme dispose que «le Tribunal arbitral est complété par un arbitre choisi, soit conformément
aux prévisions des parties, soit, en l'absence de telles prévisions, par
les arbitres désignés, soit, à défaut d'accord entre ces derniers, par
'le juge compétent dans l'État partie en cas de récusation, d'incapacité, de décès, de démission ou de révocation d'un arbitre» .
Enfin, la révocation de l'arbitre défaillant peut s'accompagner
éventuellement de la mise en cause de sa responsabilité civile.
En effet, si l'arbitre bénéficie d'une immunité de principe, qui
interdit notamment de le poursuivre pour les erreurs qu'il aurait pu
commettre lors du prononcé de sa sentence, il n'en est pas de même
lorsqu'il commet des fautes dans la conduite de l'instance arbitrale,
qui s'analysent dès lors en manquement contractuel.
En deuxième lieu, la responsabilité du Tribunal arbitral pourrait
être recherchée pour les fautes personnelles de l'arbitre. Mais il faudrait alors prouver que le Tribunal a lui-même commis une faute
dans le choix de l'arbitre ou une négligence dans l'exercice de ses
pouvoirs de surveillance de l'instance arbitrale.