EXTRAIT: «La vallée perdue d`Iskander» Gordon se dégagea de la
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EXTRAIT: «La vallée perdue d`Iskander» Gordon se dégagea de la
EXTRAIT: «La vallée perdue d’Iskander» Gordon se dégagea de la paroi qui l’avait protégé. Il se trouvait avec de la terre et des pierres disloquées jusqu’aux genoux. Un éclat de pierre l’avait heurté au visage, lui tailladant la joue. Au grondement du glissement de terrain avait succédé un silence surnaturel. Il regarda derrière lui, vers le plateau, et aperçut un amas désordonné de terre, d’argile et de morceaux de pierre. Ici et là, un bras ou une jambe dépassait, ensanglantés et tordus, indiquant l’endroit où une victime humaine avait été rattrapée et ensevelie par le torrent. Il n’y repéra aucune trace de Hunyadi ou des autres survivants. Mais Gordon était devenu fataliste lorsqu’il s’agissait du Hongrois satanique. Il était absolument certain que Hunyadi avait survécu; celui-ci se lancerait à sa poursuite de nouveau, dès qu’il aurait fini de rassembler ses hommes démoralisés. Selon toute vraisemblance, il recruterait à son service les indigènes vivant dans ces collines. L’ascendant de cet homme sur les fidèles de l’Islam tenait presque du miracle. Gordon se dirigea rapidement vers le fond du défilé. Fusil, sac de vivres, tout cela était perdu. Il n’avait plus que les vêtements sur son corps, et le revolver fixé à sa hanche. Mourir de faim dans ces montagnes arides était une menace obsédante... s’il n’était pas capturé et massacré par les tribus farouches vivant dans cette région. Il avait à peu près une chance sur dix mille de s’en tirer vivant. Mais il savait que c’était une entreprise désespérée depuis le début, et un rapport de forces inégal n’avait jamais fait hésiter Francis Xavier Gordon, originaire d’El Paso - Texas, maintenant soldat de fortune, depuis des années, dans les endroits les plus reculés du monde. La gorge serpentait et faisait des coudes entre les parois tortueuses. Ici le bras de l’avalanche avait rapidement perdu de sa violence, mais Gordon voyait toujours le sol en pente jonché de rochers qui avaient dévalé des niveaux supérieurs. Soudain il s’immobilisa et dégaina vivement son revolver. Sur le sol devant lui gisait un homme comme il n’en avait jamais vu dans les montagnes afghanes ou nulle part ailleurs. Il était jeune, grand et vigoureux, portant de courtes braies en soie, une tunique, des sandales, un large ceinturon soutenant une épée incurvée enserrait sa taille . Ce fut sa chevelure qui retint l’attention de Gordon. Des yeux bleus, comme ceux du jeune homme, n’étaient pas rares dans ces collines. Mais ses cheveux étaient blonds, retenus autour de ses tempes par un bandeau de tissu rouge, et tombaient sur ses épaules. Il était clair que ce n’était pas un Afghan. Gordon se souvint de certaines histoires qu’il avait entendu raconter, concernant une tribu vivant quelque part dans ces montagnes, dont les membres n’étaient ni des Afghans ni des musulmans. Avait-il en face de lui un représentant de cette race légendaire? Le jeune homme essaya vivement de dégainer son épée malgré son immobilisation au sol par un rocher qui, de toute évidence, l’avait heurté alors qu’il courait vers le refuge de la paroi. - Tue-moi et que ce soit fini, chien de musulman! fit-il d’une voix rauque, en pashto. - Je ne te veux aucun mal, répondit Gordon. Je ne suis pas un musulman. Reste tranquille. Je vais t’aider si cela m’est possible. Aucune querelle ne m’oppose à toi. La lourde pierre pesait sur la jambe du jeune homme, d’une façon telle qu’il ne pouvait dégager son membre. «Ta jambe est-elle cassée?» demanda Gordon . - Je ne le pense pas. Mais si tu déplaces la pierre, elle la réduira en morceaux. Gordon vit qu’il disait vrai. Une dépression sur la surface inférieure de la pierre avait sauvé la jambe du jeune homme, tout en l’emprisonnant. S’il faisait rouler le rocher dans un sens ou dans l’autre, sa jambe serait écrasée et broyée. - Je dois soulever ce rocher à la verticale, grogna-t-il. - Tu n ‘y arriveras jamais, dit le jeune homme avec désespoir. Ptolémée lui-même aurait du mal à la soulever, et tu es loin d’être aussi grand que lui. Gordon ne perdit pas de temps à demander qui était Ptolémée, ou à expliquer à l’adolescent que la force n’est pas seulement une question de taille. Ses muscles ressemblaient à des grappes de fils métalliques soigneusement tressés. Pourtant il n’était pas du tout certain d’être capable de soulever ce rocher; celui-ci, bien que moins gros que beaucoup de ceux qui avaient dévalé au bas de la gorge, était cependant assez volumineux pour rendre très improbable le succès de cette entreprise. Se tenant les jambes écartées au-dessus du corps de l’homme cloué à terre, il planta solidement ses pieds dans le sol, écarta les bras et empoigna le gros rocher. Plaçant dans cet effort tous ses muscles noués comme des câbles et sa connaissance scientifique de l’haltérophilie, il mit à contribution toutes ses forces dans cette dépense d’énergie, en un mouvement uni et puissant. Ses talons s’enfoncèrent dans le sol, les veines de ses tempes se gonflèrent, et des nœuds de muscles inattendus saillirent sur ses bras bandés. La grosse pierre se souleva en un mouvement régulier, sans secousse ni flottement; l’homme à terre dégagea vivement sa jambe et roula sur le côté. Gordon laissa retomber le rocher et recula, secouant la sueur de son visage. L’autre massait doucement sa jambe écorchée et contusionnée. Puis il se redressa et tendit sa main en un geste étrange qui n’avait rien d’Oriental. - Je suis Bardylis d’Attalus , dit-il. Ma vie t’appartient! - On m’appelle El Borak, répondit Gordon en lui serrant la main. Les deux hommes formaient un contraste saisissant : le jeune homme de grande taille et bien bâti, avec ses vêtements insolites, sa peau blanche et ses cheveux blonds, et l’Américain, plus petit, plus massivement bâti, avec ses vêtements afghans en lambeaux et sa peau basanée par le soleil. Les cheveux de Gordon étaient raides et aussi noirs que ceux d’un Hindou; ses yeux étaient aussi noirs que sa chevelure. J’étais parti à la chasse sur les falaises, dit Bardylis. J’ai entendu des coups de feu; je m’approchais pour voir ce qui se passait, lorsque le rugissement de l’avalanche a retenti et la gorge a été emplie de rochers volant dans tous les sens. Tu n’es pas un Afghan, en dépit de ton nom. Accompagne-moi jusqu’à mon village. Tu ressembles à un homme qui est épuisé et qui a perdu son chemin. - Où est ton village? - Là-bas, au fond du défilé, au-delà des falaises, répondit Bardylis en désignant le sud. Puis , regardant par-dessus l’épaule de Gordon, il poussa un cri. Gordon pivota vivement sur ses talons. Tout en haut de la paroi de la gorge en surplomb, une tête coiffée d’un turban venait d’apparaître de derrière une saillie. Une face sombre leur lança un regard flamboyant. Gordon dégaina son revolver avec un grognement, mais le visage disparut et il entendit une voix pousser des cris frénétiques en un turc guttural. D’autres voix lui répondirent, parmi lesquelles l’Américain reconnut les accents stridents de Gustav Hunyadi. La meute était de nouveau à ses trousses. Sans aucun doute ils avaient vu Gordon se réfugier dans la gorge; aussitôt que les rochers avaient cessé de dévaler la pente, ils avaient traversé le plateau dévasté et suivi les falaises d’où ils auraient une position supérieure sur l’homme en contrebas. Gordon ne prit pas le temps de réfléchir à la question. Alors même que la tête au turban disparaissait, il se retourna et, lançant un mot à son compagnon, s’élança à toute allure vers le prochain coude du défilé. Bardylis le suivit sans poser de questions, boitant avec sa jambe meurtrie, mais se déplaçant à une vitesse suffisante. Gordon entendit ses poursuivants crier sur la falaise au-dessus et derrière lui. Il les entendait courir avec impétuosité - et bruyamment - parmi les buissons rabougris, délogeant des cailloux dans leur course, ne se préoccupant que d’un chose : rattraper leur proie. Certes, les poursuivants avaient un avantage, mais les fugitifs en possédaient un, également. Ils pouvaient suivre le sol légèrement en pente de la gorge beaucoup plus rapidement que les autres, obligés de courir sur la ligne de crête inégale, avec des rebords brisés et des saillies à contourner. Ils devaient grimper, en s’aidant des pieds et des mains, redescendre; Gordon entendit leurs malédictions décroître au loin derrière lui. Lorsqu’ils émer gèrent de l’entrée de la gorge en aval, ils avaient largement distancé les tueurs de Hunyadi. Gordon savait que ce répit serait de courte durée. Il regarda autour de lui. La gorge étroite donnait sur une piste qui s’éloignait en ligne droite le long du faîte d’une falaise; celleci tombait à pic vers une vallée encaissée, trois cents pieds plus bas, cernée de tous côtés par de gigantesques précipices. Gordon regarda vers la vallée et aperçut un cours d’eau serpentant parmi les arbres denses, loin en dessous, et encore plus loin, ce qui ressemblait à des bâtiments en pierre au sein des bosquets. Bardylis désigna ces constructions. - Voici mon village! dit-il avec excitation. Si nous réussissons à descendre dans la vallée, nous serons en sécurité! Ce sentier conduit à la passe, à l’extrémité sud de notre vallée, mais elle est distante de cinq miles! Gordon secoua la tête. La piste s’étendait en ligne droite le long de la crête et n’offrait aucun abri. - Si nous restons sur ce sentier, nous formerons des cibles faciles et ils nous tireront comme des lapins ! - Il y a un autre chemin! s’écria Bardylis. En descendant le long de la falaise, juste à cet endroit! C’est un chemin secret, et personne - sinon les hommes de mon peuple - ne l’a jamais emprunté... et seulement lorsqu’ils étaient serrés de près! Des prises pour les mains ont été taillées dans la roche. Pourras-tu descendre ainsi? - J’essaierai, répondit Gordon, en rengainant son revolver. Tenter de descendre le long de cette paroi abrupte ressemble fort à un suicide, mais ce serait une mort certaine de vouloir échapper aux fusils de Hunyadi en suivant la piste. Il s’attendait à chaque instant à voir apparaître le Magyar et ses hommes. - Je descendrai le premier et te guiderai, dit rapidement Bardylis, ôtant ses sandales et se laissant glisser par-dessus le bord de la falaise. Gordon fit de même et le suivit. Se cramponnant au bord du précipice, il aperçut une série de petites cavités piquetant la roche et entreprit de descendre lentement, se collant à la paroi comme une mouche à un mur. C’était une tâche à faire se dresser les cheveux sur la tête, mais elle était facilitée - en partie, du moins - par l’inclinaison légèrement convexe de la falaise à cet endroit. Gordon avait pratiqué bien des escalades désespérées au cours de sa vie aventureuse, mais aucune d’elles ne lui avait jamais demandé un tel effort musculaire et une telle dépense d’énergie. À maintes reprises, un doigt seulement le séparait de la mort. En dessous de lui, Bardylis continuait de descendre lentement, le guidant et l’encourageant. Bientôt le jeune homme rejoignait le sol; il leva les yeux avec anxiété vers l’homme cramponné à la paroi, au-dessus de lui. Soudain il poussa un cri, avec une note de peur stridente dans sa voix. Gordon était encore à une vingtaine de pieds du bas de la paroi. Il tendit le cou pour regarder vers le haut. Il aperçut au faîte de la falaise un visage barbu qui lorgnait dans sa direction, déformé par une joie triomphale. Le Turc visa soigneusement vers le bas avec un revolver, puis il le posa sur le côté et s’empara d’une lourde pierre, se penchant dans le vide pour la lancer avec plus de précision. S’agrippant à la paroi par les doigts de pied et les ongles, Gordon dégaina son arme et tira vers le haut dans le même mouvement. Puis il se colla désespérément à la falaise et s’y accrocha de toutes ses forces. L’homme au-dessus de lui poussa un cri et tomba dans le vide, la tête la première. Le rocher s’abattit et heurta légèrement Gordon à l’épaule; puis le corps se tordant dans tous les sens le frôla rapidement, tomba comme du plomb et s’écrasa sur le sol en contrebas avec un choc mou écœurant. Une voix furieuse en haut de la falaise annonça l’arrivée de Hunyadi. Gordon parcourut la distance restante en se laissant glisser et en dégringolant témérairement. Puis, accompagné de Bardylis, il courut vers l’abri des arbres. Un regard par-dessus son épaule et vers le haut lui montra Hunyadi en train de s’accroupir sur la falaise et de viser avec son fusil; un instant plus tard, Gordon et Bardylis étaient hors de vue. Hunyadi, craignant apparemment un tir de riposte depuis les arbres, battit précipitamment en retraite avec les quatre autres Turcs, les seuls rescapés de sa bande.