Untitled - Arts et Sciences, Hommes et Dieux

Transcription

Untitled - Arts et Sciences, Hommes et Dieux
1
2
TABLE DES MATIERES
Première partie - Les sources de l’ésotérisme
occidenta
12
24
47
70
91
112
129
138
158
176
197
INTRODUCTION - Les appels de la
Lumière
CHAPITRE 1 - Réminiscence et
réincarnation selon Platon
CHAPITRE 2 -Les dieux grecs
CHAPITRE 3 - Les enseignements
d’Hermès
Trismégiste
CHAPITRE 4- Les antiques religions à
Mystères
CHAPITRE 5 - La religion des Romains
CHAPITRE 6- La Divine Comédie de Dante
CHAPITRE 7 - Origine des Rose-Croix.
CHAPITRE 8 - Le mythe de la Quête du
Graal
CHAPITRE 9 - DE la Gnose aaux Cathares
CHAPITRE 10- La Foi des Cathares
CHAPITRE 11- Le Mythe de l’Arche de Noé
Seconde partie – Spiritualités
exotiques
211
229
242
260
281
292
303
316
327
CHAPITRE 12 - Les Derviches Tourneurs soufis
CHAPITRE 13 - Zoroastre et les Pârsîs
CHAPITRE 14 - Le Bardo Thodol tibétain
CHAPITRE 15 - La Bagavad Gita indoue
CHAPITRE 16 - Le Tao të King en Chine
CHAPITRE 17 - Le Cao Dai Indochinois
CHAPITRE 18 - Le Jaïnisme
CHAPITRE 19 - Le Shintô japonais
CHAPITRE 20 - Le Vaudou
3
Troisième partie - Spiritualités
contemporaines
CHAPITRE 21 - L'Homme triple
CHAPITRE 22- L'Univers est-il vivant ?
CHAPITRE 23- La vie mystérieuse
CHAPITRE 24 - Amour et Désir chez les Théosophes
4
L’appel de la Lumière
Nous allons parler dans cet ouvrage de l'Homme et de la
Lumière. Pourquoi l'homme de matière que nous sommes
a-t-il toujours recherché la Lumière ? Qu'est-ce que La
lumière ? Peux-t-on, d'homme de matière, devenir
Homme Lumière ? C'est à ces questions que nous
tenterons de répondre en tentant de présenter les visions
de divers mouvements spirituels dans différents temps et
lieux du Monde.
L'homme naturel vit et dépend de la lumière, tant dans
son être propre pour permettre le maintien de son
développement que pour assurer sa subsistance. La vie ne
peut être sans la lumière du Soleil. Mais nous allons ici
évoquer non seulement ses besoins de lumière naturelle
mais surtout ceux de la lumière du soleil spirituel, source
et principe de toute connaissance et de toute sagesse.
Il y a bien des façons de chercher la clarté et d'essayer de
répondre aux multiples questions posées par l'origine, la
nature, et le sens de la vie humaine. Beaucoup d'hommes
ont consacré leurs vies, leurs intelligences et leurs
imaginations pour tenter de répondre à ces grands
mystères. Ils ont utilisé diverses voies de recherches.
Elles ne sont pas antagonistes car, en partant de leurs
propres personnalités, les différents chercheurs ouvrent
des fenêtres différentes sur le même et unique profond
mystère des origines. Il est donc inutile, par exemple,
5
d'opposer la voie de la raison à celle de l'intuition, et
donc d'opposer ainsi la science à la foi.
Actuellement, les sciences nous enseignent que l'univers
naquit un jour d'une source inconnue dans une explosion
de lumière et d'énergie. Elles font naître les mondes dans
le flamboiement des étoiles et racontent une histoire
plausible de l'aventure des vivants, de l'apparition des
hommes et de leur ouverture progressive à la
connaissance. Mais les Sciences parlent du "comment",
jamais du "pourquoi". Elles réduisent l'être à sa
dimension matérielle et ne considèrent dans l'homme,
tout au moins jusqu'ici, que les seules mécaniques
biologique et psychologique. Elles proposent une
approche des origines des êtres et des choses qui en
escamote les causes et ne considèrent que les effets.
Leurs limites sont posées par les connaissances et les
possibilités techniques et conceptuelles de l'époque. Les
théories contemporaines, nombreuses, et complexes sont
parfois contradictoires, mais elles présentent une image
de plus en plus représentative et crédible du déroulement
de la naissance énergétique et lumineuse de l'univers
matériel.
Les religions tentent d'accéder aux origines par d'autres
voies que celle de l'analyse et de la raison. Elles
découvrent l'action d'un être tout puissant extérieur à
l'Homme. Ainsi, dans leur recherche de connaissance, les
peuples antiques se sont souvent tournés vers le ciel et le
Soleil, cette grande source de lumière et de chaleur qui
rayonne sur la vie. Ainsi naquirent les premières religions
antiques fondées pour appeler sur les hommes les rayons
6
vivifiants du Soleil. La plupart des religions s'établirent
ensuite dans un aspect exotérique. A l'origine, on y
trouve des mythes fondateurs légitimant des doctrines
fondamentales auxquelles les fidèles doivent adhérer. La
bonne conduite mènerait à la vie éternelle. Les cultes
ritualisés sont accomplis dans des temples matériels, avec
l'aide de prêtres qui servent de médiateurs entre les
hommes et le dieu, source de puissance, de vie, de
connaissance et de lumière.
Cependant, quelques religions n'ont pas séparé l'Homme
et Dieu. Elles considèrent que l'Homme contient une
partie divine, spirituelle et lumineuse, emprisonnée dans
son corps de chair. Elles ont donc essentiellement un
aspect ésotérique qui est enseigné aux hommes par des
prêtres initiateurs qui les aident à construire dans leur
corps un temple spirituel intérieur où l'Esprit pourra
répandre la connaissance et la lumière.
Ils nous disent qu'il existe en chacun de nous un soleil
intérieur spirituel qui est la source cachée et le fondement
des divers aspects de l'être humain originel, l'Homme de
Lumière, et qu'il existe en réalité deux plans de vie, dont
l'un est ordinaire ou matériel, où se tiennent les vivants et
les morts, les hommes de matière, et l'autre est le plan de
vie divin originel, où vivent les hommes de lumière. Ils
énoncent que le monde matériel dans lequel vivent
aujourd'hui les hommes, est le reflet dégradé et inversé
du monde originel véritable. Et ils pensent aussi que la
lumière ordinaire qui éclaire les jours et les passions des
hommes joue, ici-bas et imparfaitement, le rôle que la
7
vraie lumière de la connaissance joue dans le monde
impérissable du royaume originel.
Mais comme disait Platon, comment peut-on chercher ce
que l'on ne connaît pas ? Á ce paradoxe dit "de Menon",
la réponse de Platon est claire. Tout ce que connaît notre
âme ne peut provenir de cette vie présente mais de la
réminiscence d'une existence antérieure où, séparée du
corps, elle a pu contempler la réalité idéale. Notre âme
est immortelle et a eu commerce avec ce monde mais,
jointe accidentellement au corps, elle a oublié ce qu'elle
savait depuis toujours. Connaître, c'est donc arriver à
reconnaître, à se ressouvenir afin de se réapproprier ce
savoir passé que l'âme a toujours eu en elle mais qu'elle
ignore posséder.
Le philosophe distinguait bien les deux aspects du
monde. D'une part celui des apparences, sensible,
visible, changeant, insaisissable, et d'autre part le monde
intelligible des Idées éternelles et immuables, invisible, le
lieu du Vrai en soi, du Bien ou de l'Être d'où procèdent
toutes choses. La condition première de l'humanité est
l'ignorance. Connaître, accéder à la lumière, c'est
s'arracher de la fascination des ombres et des images
d'illusion et d'ignorance, pour s'élever vers le savoir afin
de comprendre la véritable place des éléments qui
constituent le monde et jouir enfin de la contemplation
des pures Idées.
Mais Platon enseignait également que la Terre est au
centre de l'Univers, (théorie du géocentrisme) et qu'elle
est entourée de douze sphères concentriques sur
8
lesquelles circulent tous les astres qui sont les corps des
dieux. Son disciple le plus connu Aristote (le Stagirite),
reprit malencontreusement la vision géocentrique de
Platon, (la Terre est centre du Monde), idée
ultérieurement érigée en "vérité révélée" ou dogme par St
Thomas d'Aquin ; et ce concept entrava le
développement de la science, jusqu'au 17è siècle.
Mais il n’y a pas que Platon pour exprimer cette quête
universelle..D’autres chercheurs, ont bien perçu que la
principale difficulté dans cette recherche de lumière et de
connaissance est généralement posée par la nature
essentiellement temporelle de l'Homme. Dans
l'inconscient collectif, la lumière côtoie toujours la
connaissance et l'origine. L'homme ordinaire place cette
lumière à l'origine ou à la fin des temps mais très
rarement dans le présent.
Tant que l'homme est dans la matière, il demeure
prisonnier du temps et ne peut accéder aux lumières de la
connaissance totale. On voit bien que toutes les tentatives
d'explication des profonds mystères de l'existence
prennent toujours en compte les différents aspects de
l'écoulement du temps. Quelles soient-elles, elles ne
peuvent contourner le problème. Les doctrines et théories
racontent le passé ou impliquent l'avenir. Nous savons
que l’Esprit souffle où il veut, quand il veut et comme il
veut. Il a donc inspiré des chercheurs en d’autres temps et
d’autres lieux. C’est pourquoi, nous avons construit cet
ouvrage en trois parties.Dans la première nous
évoquerons les sources traditionnelles de la spiritualité
occidentale et en particulier celles du Gnoscisme. Nous
9
rapporterons ensuite quelques illuminations orientales ou
exotiques, et nous évoquerons enfin quelques ouvertures
contemporaines dans ce domaine de la descente de la
lumière dans l’âme.
Car une certaine clarté peut pénétrer dans l'obscurité de la
conscience humaine dès que l'on commence enfin à
admettre que le passé et l'avenir n'existent que dans le
mental des hommes. Le passé n'existe plus. L'avenir
n'existe pas. Le seul réel est le présent. Seul le présent
nous est donné, renouvelé à chaque instant. Mais, en
isolant dans sa conscience sa propre image particulière de
celle du reste du monde cyclique qu'il habite, l'Homme a
fait naître en lui-même une entité nouvelle, l'ego.
Conscient de la mortelle nature du corps physiologique,
l'ego s'efforce de perdurer dans le torrent du temps. Il
appelle sans cesse dans la conscience la mémoire du
passé ou la tentation de maîtriser l'avenir.
L'ego occupe la conscience, l'asservit et l'obscurcit, y
faisant constamment miroiter les illusions passées et à
venir du monde naturel qu'il présente comme la seule
réalité. Absorbé par la contemplation et la jouissance de
ces images trompeuses, l'Homme oublie que sa véritable
place originelle est hors du temps, dans l'éternel présent.
On voit ici combien il est important de travailler à
détacher les chaînes que toutes les sortes d'habitudes
comportementales ont installées dans la personnalité.
Elles ne sont qu'illusions qui nous amarrent au temps,
nous aveuglent et nous ferment l'accès à la lumière et à la
connaissance. Il y a si longtemps que l'être humain est
10
asservi par l'illusion que l'âme peut à peine se manifester
et se faire entendre dans sa prison corporelle.
Nous sommes, en cet ouvrage, associés dans une
recherche commune de la lumière donc de clarté et de
connaissance. Comme l’ont fait tous les chercheurs dont
nous tenterons d’approcher les visions, nous cherchons la
lumière véritable, la clarté donnée par l'Esprit, et dans ces
conditions, nous ne sommes jamais seuls. Et c'est pour
cela que nous pouvons ouvrir cet ouvrage, avec une
grande humilité, par les mots suivants.
"FIAT LUX"
"Que soit la Lumière véritable"
Et qu'elle ouvre aujourd'hui, en nos cœurs, la voie de la
connaissance !
11
12
Première partie – Les sources de
l’ésotérisme occidental
CHAPITRE 1 -La réminiscence et la
réincarnation selon Platon
CHAPITRE 2 -Les dieux grecs
CHAPITRE 3 - Les enseignements d’Hermès
Trismégiste
CHAPITRE 4- Les antiques religions à Mystères
CHAPITRE 5 - La religion des Romains
CHAPITRE 6- La Divine Comédie de Dante
CHAPITRE 7 - Origine des Rose-Croix.
CHAPITRE 8 – Le mythe de la Quête du Graal
CHAPITRE 9 - De la Gnose aux Cathares
CHAPITRE 10- La Foi des Cathares
CHAPITRE 11 - Le Mythe de l’Arche de Noé
13
CHAPITRE 1 – La réincarnation selon Platon
Selon Diogène Laërce, Platon serait né à Athènes, (ou peutêtre à Égine), le sept mai de la quatre-vingt-huitième
olympiade, ce qui dans le calendrier grec, place sa naissance
dans les années ~428 ou ~427 avant notre ère. Il serait mort,
au cours d'un banquet de noces, à l'âge de quatre-vingt-un
ans. On sait peu de choses de cet énigmatique Diogène
Laërce qui décrivit avec minutie la vie et les doctrines des
philosophes antiques, et l'on pense qu'il vécut au début du 3e
siècle. Laërce nous dit que le vrai nom de Platon était
Aristoclès comme celui de son grand père. Il était le fils
d'Ariston et de Périctioné, issus de deux illustres familles
athéniennes, et il avait deux frères, Adimante et Glaucon, et
une sœur, Potoné. Comme tous les jeunes Athéniens,
Aristoclès pratiquait les trois disciplines obligatoires, lettres,
musique et gymnastique. C'est son moniteur gymnaste, un
lutteur argien, qui le surnomma Platôn (le large) pour une
raison mal définie. À l'âge de vingt ans, il devint le disciple de
Socrate, et après la mort du philosophe, il voyagea, allant
même jusqu'en Égypte, mais les voyages ne lui étaient guère
favorables. En Sicile, il fâcha le tyran Denys qui le fit vendre
comme esclave. Racheté par ses amis, il revint vivre à
Athènes et s'établit à l'Académie, (du grec "Akademeia", dans
les jardins d’un riche citoyen nommé Akademos). C'était un
beau et grand domaine garni d'arbres et de fontaines, près du
bourg de Colone sur la route d'Athènes. Platon y donna son
enseignement et il y eut de nombreux disciples dont Aristote
qui le quitta et fut précepteur du prince Alexandre de
Macédoine, celui-là même qui devait devenir le fameux
conquérant. Contrairement à Socrate qui n'écrivait rien, Platon
écrivait beaucoup. Il usait d'un mode fort populaire à l'époque,
le dialogue imaginaire, et il exposait ses idées à travers des
conversations d'interlocuteurs fictifs. Laërce lui attribue
14
cinquante-six de ces dialogues. Platon interrompait parfois ces
longs discours pour exposer différemment sa pensée en usant
de mythes plus suggestifs que didactiques. On en compte au
moins une quinzaine dans toute son œuvre. Certains
permettent de percevoir comment le philosophe concevait la
vie au delà de la mort, et ce sont ces mythes bien particuliers
qui constituent la matière de cette étude.
Quelques mythes platoniciens choisis
Les mythes platoniciens les plus connus sont probablement ceux de
l'Atlantide et de la Caverne. Platon évoque la légende de l'Atlantide
dans les dialogues de Timée puis de Critias. D'antiques propos sont
rapportés à Socrate, évoquant l'existence d'une île très grande et très
puissante, au delà des colonnes d'Hercule, (détroit de Gibraltar), neuf
mille ans auparavant. Son peuple voulait asservir les populations
méditerranéennes, mais les Athéniens résistèrent et après de terribles
cataclysmes, l'Atlantide fut submergée par la mer et disparut à
jamais. Cette histoire, peut-être inspirée par l'explosion du Santorin,
enflamma l'imagination de nombreux romanciers, et des aventuriers
en cherchent encore aujourd'hui les vestiges jusqu'au fond des mers.
On trouve aussi, dans "la République", un dialogue entre Socrate et
Glaucon, rapportant l'histoire dite, "allégorie de la caverne". Dans un
lieu souterrain, des hommes sont enchaînés et ne voient que la
lumière d'un feu lointain. Derrière eux est un muret au long duquel
d'autres hommes portent des objets de toutes sortes qui dépassent ce
mur. Certains porteurs parlent et d'autres se taisent. Les prisonniers
ne connaissent de ces choses que les ombres projetées sur les murs,
et ils n'entendent que les échos des sons. Que l’un d’eux soit libéré, il
sera d’abord blessé par la lumière et souffrira des changements. En
un premier temps, il ne percevra pas ce qu'on lui montre, puis il
s’accoutumera et en verra la réalité. Prenant conscience de sa
condition antérieure, il s'efforcera de retourner pour en informer ses
semblables. Mais ceux-ci, incapables d’imaginer ce qui est arrivé,
refuseront de le croire, le repousseront et le tueront peut-être
15
Voyons maintenant un mythe tiré du "Protagoras" dans lequel ce
philosophe évoque les travaux d'Épiméthée et de Prométhée lors de
la création du Monde. Remarquons d'abord l'extraordinaire
transformation que Platon fait subir au traditionnel récit d'Hésiode
racontant le partage truqué du bœuf lors du banquet des hommes et
des dieux. Ici, Prométhée ne trompe plus Zeus qui va même l'aider.
Quand le temps fut venu de la naissance des races mortelles, dit
Protagoras, les dieux les façonnèrent de terre et de feu et autres
matières, et ordonnèrent aux deux titans jumeaux de leur attribuer les
qualités convenables. Épiméthée obtint de procéder seul au partage
et l'effectua selon sa fantaisie. Aux uns, il donna la force, aux autres
la vitesse, ou les ailes, ou les habitats souterrains, ou la grande taille.
Ils en revêtit certains de toisons ou de cuirs épais, ou de plumes, ou
les chaussa de sabots ou de peau durcie. Il se préoccupa de leurs
nourritures. Mais la sagesse d'Épiméthée était imparfaite et, quand
l'Homme se présenta, plus rien n'était disponible. Prométhée fut donc
appelé pour équiper l'Homme et assurer sa survie. Fort embarrassé,
Prométhée se résolut à dérober le feu et les habiletés pratiques et
artistiques d'Héphæstos et d'Athéna pour les donner à l'Homme. Seul
parmi les animaux, ainsi pourvu d'un don divin, les hommes se
mirent à honorer les dieux, à construire des temples et des
habitations, à se vêtir et à parler. Mais vivant dispersés, ils étaient
détruits par les animaux. Alors, Zeus inquiet envoya Hermès porter
aux hommes la pudeur, la justice, et le sens politique, répartis en son
nom de façon que chacun en ait sa juste part, afin que l'harmonie et
l'amitié s'établissent dans les cités, sous peine de mort.
Les mythes platoniciens de réincarnation
La théorie de la renaissance (ou réincarnation) remonte à l'Orphisme
qui la considérait comme une connaissance secrète réservée aux
initiés des religions à Mystères. Platon ne la présentait pas comme
une hypothèse mythique, mais comme une conviction philosophique.
16
Dans le dialogue de Phédon, il dit que chaque âme use plusieurs
corps, surtout si sa vie dure de longues années. Pour le philosophe,
cette conviction a pour conséquence logique la mémoire de ces
expériences qu'il appelle réminiscence. Insistant sur cette idée, il fait
dire à Socrate, dans le dialogue de "Menon", que l’âme de l’homme
est immortelle, que tantôt elle s’échappe, ce qu’on appelle mourir, et
tantôt reparaît, mais ne périt jamais, et que, pour cette raison, il faut
mener une vie la plus sainte possible. Quand Perséphone, dit Socrate,
a reçu des morts la rançon d’une ancienne faute, elle renvoie leurs
âmes vers le soleil d’en haut, à la neuvième année. Et concernant la
connaissance, puisque l’âme est immortelle et qu’elle a vécu
plusieurs vies, elle a vu tout ce qui se passe tant ici que dans l’Hadès,
et il n’est rien qu’elle n’ait appris. Comme tout se tient dans la nature
et que l’âme a tout appris, rien d’empêche qu’en se rappelant une
seule chose, (ce que les hommes appellent faussement apprendre),
elle retrouve d’elle-même toutes les autres, pourvu qu’elle soit
courageuse et ne se lasse point de chercher, car chercher c’est bien
autre chose que se ressouvenir. "Et je ne puis donc, dit Socrate,
t'enseigner aucune chose puisque je soutiens qu'il n'y a pas
d'enseignements mais seulement des réminiscences".
Plus loin, Socrate insiste. Si l’âme est immortelle, il faut en prendre
soin, non seulement pour le temps que nous appelons vivre, mais
pour tout le temps à venir, et l'on s’expose à un terrible danger si on
la néglige. Si la mort nous délivrait de tout, quelle aubaine pour les
méchants d’être débarrassés à la fois de leur corps et de leur
méchanceté. Mais pour l’âme immortelle, il n’y a d’autre moyen de
se sauver que de devenir la meilleure et la plus sage possible. En
quittant le corps, elle ne garde que l’instruction et l’éducation, qui
sont ce qui sert ou nuit le plus au mort, quand il part pour l’autre
monde. En effet après la mort, le génie que le sort a attaché à chaque
homme le conduit en un lieu où les morts sont rassemblés pour qu'ils
se rendent chez Hadès. Lorsqu’ils y ont reçu le sort qu’ils méritaient
et qu’ils y sont restés le temps prescrit, un autre guide les ramène ici,
après de longues périodes de temps. Mais la route de l'Hadès n’est ni
simple, ni unique puisqu'on y a besoin de guides .Il y a beaucoup de
bifurcations et de détours. L’âme réglée et sage suit son guide et
n’ignore pas ce qui l’attend, mais celle qui est passionnément
attachée au corps, reste longtemps éprise de ce corps et du monde
17
visible. Ce n’est qu’après une longue résistance et beaucoup de
souffrances, qu’elle est entraînée de force par le génie qui en est
chargé. Rejoignant les autres, l’âme qui a fait le mal, ou commis des
meurtres ou d’autres crimes, voit tout le monde se détourner d’elle et
erre longtemps seule jusqu’à ce que la nécessité l’entraîne dans le
séjour qui lui convient. Mais celle qui a vécu toute sa vie dans la
pureté et la tempérance et qui a eu le bonheur d’être guidée par les
dieux trouve tout de suite la résidence qui lui est réservée.
18
Voici ce qu'énonce Socrate dans le "Georgias". Écoute donc ce que
je crois être une vérité. Après l'avoir reçu des mains de leur père,
Zeus, Poséidon et Hadès se partagèrent le Monde. La loi de Cronos
était que le mortel qui avait mené une vie juste allât après sa mort
dans les îles Fortunées, et qu'au contraire celui qui avait vécu dans
l'injustice allât dans le lieu de punition appelé Tartare. Les hommes
étaient alors jugés vivants par des juges vivants, qui fixaient leur sort
juste avant leur mort. Hadès et les gouverneurs des îles Fortunées
dirent à Zeus qu'on leur envoyait des hommes qui ne méritaient pas
le sort assigné. Les jugements, dit Zeus, sont mauvais parce qu'on
juge les hommes tout vêtus et lorsqu'ils sont en vie. Certains ont
l'âme corrompue mais sont revêtus de beaux corps et de richesses et
l'on atteste qu'ils ont bien vécu. Les juges eux mêmes, jugent vêtus,
ayant devant leur âme leurs yeux, leurs oreilles et leur corps qui les
enveloppe. Leurs vêtements et ceux des personnes qu'ils jugent sont
autant d'obstacles. Prométhée ôtera aux hommes la prescience de
leur dernière heure. Ils seront jugés après leur mort, dans une nudité
entière de ce qui les environne. Le juge lui-même sera nu, mort, et
examinera immédiatement, dans son âme, celle de chacun, aussitôt
mort, et nu, afin que le jugement soit juste. J'établit donc pour juges
trois de mes fils, deux d'Asie, Minos et Rhadamanthe, et un
d'Europe, Eaque. Après leur mort, ils rendront les jugements là où
aboutissent trois chemins, dont celui des îles Fortunées et celui du
Tartare. Rhadamanthe jugera les hommes d'Asie, Eaque ceux
d'Europe, et Minos décidera en dernier ressort dans les cas litigieux,
afin que la sentence soit parfaitement équitable.
Voici ce qu'énonce Socrate dans le "Georgias". Écoute donc ce que
je crois être une vérité. Après l'avoir reçu des mains de leur père,
Zeus, Poséidon et Hadès se partagèrent le Monde. La loi de Cronos
était que le mortel qui avait mené une vie juste allât après sa mort
dans les îles Fortunées, et qu'au contraire celui qui avait vécu dans
l'injustice allât dans le lieu de punition appelé Tartare. Les hommes
19
étaient alors jugés vivants par des juges vivants, qui fixaient leur sort
juste avant leur mort. Hadès et les gouverneurs des îles Fortunées
dirent à Zeus qu'on leur envoyait des hommes qui ne méritaient pas
le sort assigné. Les jugements, dit Zeus, sont mauvais parce qu'on
juge les hommes tout vêtus et lorsqu'ils sont en vie. Certains ont
l'âme corrompue mais sont revêtus de beaux corps et de richesses et
l'on atteste qu'ils ont bien vécu. Les juges eux mêmes, jugent vêtus,
ayant devant leur âme leurs yeux, leurs oreilles et leur corps qui les
enveloppe. Leurs vêtements et ceux des personnes qu'ils jugent sont
autant d'obstacles. Prométhée ôtera aux hommes la prescience de
leur dernière heure. Ils seront jugés après leur mort, dans une nudité
entière de ce qui les environne. Le juge lui-même sera nu, mort, et
examinera immédiatement, dans son âme, celle de chacun, aussitôt
mort, et nu, afin que le jugement soit juste. J'établit donc pour juges
trois de mes fils, deux d'Asie, Minos et Rhadamanthe, et un
d'Europe, Eaque. Après leur mort, ils rendront les jugements là où
aboutissent trois chemins, dont celui des îles Fortunées et celui du
Tartare. Rhadamanthe jugera les hommes d'Asie, Eaque ceux
d'Europe, et Minos décidera en dernier ressort dans les cas litigieux,
afin que la sentence soit parfaitement équitable.
Dans ses divers dialogues, Platon fait référence aux croyances
grecques traditionnelles acceptées depuis Homère, lesquelles
incluent un jugement posthume des âmes envoyant au gouffre du
Tartare celles des méchants et conduisant aux "Champs Elyséens" ou
"Îles Fortunées" celles des justes à commencer par celles des
philosophes, qu'à son habitude, il place au pinacle de la société
humaine, même après la mort. IL inaugure ainsi la propension
constante des philosophes de tous les temps, à une autoévaluation
fort optimiste de leurs propres mérites, attitude qui reste commune
de nos jours comme en attestent les échos médiatiques quotidiens.
Platon donc, dans sa proche approche d'une justice, impartiale en soi,
s'émeut des excès manichéens de ces jugements radicaux, et
entreprend d'amender le mythe en modulant les échelles des peines et
des récompenses en juste proportion de la responsabilité personnelle
effective des intéressés. Ces concepts seront ultérieurement repris
par l'Église Catholique dans l'enseignement médiéval de l'existence
d'un Purgatoire pour la purification des âmes pécheresses. Platon a
20
repris l'ensemble de sa théorie à la fin du 10e livre de "La
République", dans l'histoire d'Er le Pamphyllien, qui suit.
21
Le mythe d'Er le Pamphylien
Á la fin du 10e livre de "la République" qui est le récit fait par
Socrate à un ou plusieurs interlocuteurs mal identifiés, d'une
conversation qu'il a eue la veille au soir dans la maison de Céphale,
au Pirée avec une bande de jeunes menés par Polémarque, le fils de
Céphale, dans le cadre de la première fête organisée par Athènes en
l'honneur de la déesse thrace Bendis. Dans la dernière partie de la
discussion, l'interlocuteur de Socrate est l'un des frères de Platon,
Glaucon, à qui Socrate conte l'histoire mythique d'ER, un guerrier
natif du Sud de la Turquie actuelle, qui fut tué au combat et se
retrouva en vie douze jours plus tard sur le bûcher funéraire élevé sur
le champs de bataille. IL aurait été renvoyé parmi les vivants pour
témoigner du destin de âme engagées dans le royaume d'Hadès pour
y être jugées puis engagés dans un processus de purification passant
éventuellement par des épisodes de réincarnations voire de
métempsychoses. Elles sont d'abord, raconte-t-il rassemblées par
leurs génies personnels dans une vaste prairie où la mécanique des
mondes leur est révélée et passent devant les Juges qui siègent entre
deux vastes ouvertures qui mènent dans la terre surmontées de deux
autres ouvrant vers le ciel. Les Juges marquent les âmes selon leurs
œuvres et les envoient vers les portes qui conviennent et elles y
pénètrent pour un temps donné de purification avant d'en ressortir
plus tard, si bien que des flots continus d'âme entrent et sortent
continuellement de ces ouvertures, revenant de ces parcours
cycliques soit encore impures et sales après leur parcours terrestre,
ou descendant purifiées du ciel, mais parfois la porte mugit et ne
laisse pas sortir les plus méchants que des monstres de feu renvoient
au gouffre du Tartare
hommes. Les génies personnels mènent ensuite les âmes devant les
trois Moires (ou Parques), ces déesses qui produisent le tissu du
destin des vivants en filant le fil de leur vie. Un Hiérophante tire
alors au sort l'ordre dans lequel les âmes seront appelées à choisir le
22
modèle de leur prochaine vie, ce qui permet à Platon d'établir la
liberté et le responsabilité personnelle de chacun su la détermination
de son destin en dégageant la volonté divine. Pour cela, de nombreux
modèles de vies sont proposés et chacun est invité à choisir ce qui lui
convient. Hélas, la plupart des âmes choisissent hâtivement et sans
fondement philosophique ni sagesse, des vies faciles, pleines de
plaisirs et de tentations, et même parfois des vies animales libérant
des passions primitives. Tous ces choix, aussi fâcheux soient-ils, sont
alors définitivement entérinés par les Moires qui leur attribuent un
nouveau Génie qui les accompagnera pour l'accomplissement du
destin ainsi fixé. Et puis, par une chaleur torride, toutes les âmes sont
conduites au bord du fleuve Amélès dont les eux amères donnent
l'oubli tout à la fois des vies antérieures et des évènements liés au
jugement actuel, mais on interdit à ER de boire de cette eau. Un
tremblement de terre survient alors, et les âmes s'élancent soudain
vers le monde supérieur où elles doivent renaître, tandis qu'ER
rejoint son corps et se voit couché sur le bûcher.
Platon enseignait qu'à l'origine, une divinité bienveillante
suscita hors d'elle même un chaos matériel qu'un démiurge(
artisan mais non créateur) entreprit ensuite d'organiser en le
transformant continuellement de l'actuel vers le meilleur, tirant
ainsi le cosmos du chaos par les vertus de la géométrie, puis
rendant ensuite cet univers vivant, à l'image de lui même, qui
est "le vivant en soi" puis y formant le Monde et ses habitants
par le moyen des quatre éléments, puis des des âmes dans
les corps et l'intellect dans les âmes, car le vouloir absolu de
Dieu est aussi qu'à l'image de lui même, "parfait en soi", toute
chose soit a plus belle et la meilleure qui puisse être, et pour
cela l'intellect est nécessaire. Dans ce dialogue entre Socrate
et Timée, Platon enseignait également que la Terre est au
centre de l'Univers, (théorie du géocentrisme) et qu'elle est
entourée de douze sphères concentriques sur lesquelles
circulent tous les astres qui sont les corps des dieux. Le
disciple le plus connu de Platon fut Aristote (le Stagirite), né à
Sragire en Macédoine en ~322 qui demeura son élève
pendant vingt ans, puis prit une certaine distance avec le
Maître, fondant à Athènes dans l'enceinte du Gymnase sa
23
propre école, dite péripatéticienne (du grec péripatein =
promener) car ce il enseignait tout en marchant. Située au
Lykeion, colline des loups, établissement d'entraînement des
athlètes, l'école d'Aristote a donné le mot lycée. Diogène
Laerce dit qu'il se suicida à l'âge de soixante-dix ans, en
buvant de la cigüe comme Socrate. L'œuvre d'Aristote fut
considérable et s'étendit à l'ensemble des domaines de la
connaissance. Il opposa à la méthode platonicienne du
dialogue et au concept théorique du "monde des idées", un
empirisme qui réhabilitait les données de l'expérience.
Influences de Platon et d’Aristote
Aristote accepta certaines idées platoniciennes, comme
celles de l’immortalité de l’âme et de la nature divine des
corps célestes, mais il remit en cause certaines idées du
maître. Pour lui le plus haut degré de réalité n’est pas ce qui
apparaît par le raisonnement, mais ce qui est perçu par les
sens. Il affirma que la raison est vide tant que les sens
n'entrent pas en action, et il posa les lois du raisonnement,
fondant la logique comme instrument de précision
fondamental du discours philosophique. Il reprit aussi, et très
malencontreusement, la vision géocentrique de Platon, (la
Terre est centre du Monde), idée ultérieurement érigée en
"vérité révélée" ou dogme par St Thomas d'Aquin. Ce concept
entrava le développement de la science, jusqu'au 17è siècle,
causant par ailleurs de nombreuses et graves condamnations
telles celles de G.Bruno, brûlé vif, ou de Galilée, enfermé à vie
dans sa propre maison.. Aristote établit aussi une
classification des êtres vivants, en partant du principe qu'ils
ont tous une âme, mais de nature différente (âme nutritive,
âme sensitive, âme appétitive et locomotrice). Seul l’homme a
une âme rationnelle. Il édifia une échelle de la Nature, de
24
complexité croissante de "l’âme", partant de la matière
inanimée et s’élevant par degrés vers les plantes, les
éponges, les méduses, les mollusques et ainsi de suite
jusqu’au sommet où figurent les mammifères et l’homme. On
voit que malgré l'intérêt suscité par ces grandes idées et le
succès qu'elles ont rencontré, les certitudes excessives des
philosophes et autres idéologues détenteurs autoproclamés
de vérité peuvent avoir de grandes conséquences sur le
fonctionnement des sociétés humaines, et qu'il convient donc
de les accueillir avec suffisamment de recul et une prudence
certaine.
25
CHAPITRE 2 – Les dieux grecs
Les religions des Grecs et des Romains nous apparaissent
souvent très analogues, au point que nous pouvons penser la
seconde comme un décalque de la première. Il n'en est rien.
En fait, les peuples grecs et romains ont une origine indoeuropéenne commune qui implique un fond culturel partagé.
Lorsque, au début du 2ème millénaire avant J. C., ils ont
migré vers des territoires voisins mais différents, ils ont amené
avec eux les mêmes antiques fondements religieux. Mais ils
les ont ensuite développés dans des contextes locaux
distincts, et dans des synthèses plus ou moins réussies avec
les croyances indigènes locales. On retrouve donc dans les
deux cultures, à la fois des traits communs et d'autres
différents. Lorsque les peuples se sont rencontrés, ils ont pu
reconnaître les symboles homologues de leurs panthéons
respectifs, et ils ont procédé aux rapprochements qui leur
semblaient déjà évidents. C'est ainsi qu'aujourd'hui, nous
reconnaissons aisément leurs principales doubles figures
divines. Ces dieux des Grecs et des Romains n'étaient pas
transcendants. Ils habitaient le Monde, comme les Hommes
dont ils régentaient la vie. Ils en partageaient les vices et les
vertus, mais ils étaient immortels et le plus souvent invisibles.
Les deux peuples avaient aussi une approche partagée,
beaucoup moins évidente à nos yeux, du concept de divinité.
Il faut savoir que, des deux cotés, les dieux secondaires
étaient innombrables, peut-être cinquante mille pour les Grecs
et vingt à tente mille pour les Romains, selon leurs propres
évaluations. Les attributions et fonctions de ces divinités
secondes étaient floues et changeantes, évoluant
constamment selon les époques et les transformations
sociales. Cette flexibilité peut expliquer la tolérance dont ces
anciens on pu faire preuve à l'égard des dieux et religions des
26
pays conquis, ainsi que la facilité relative avec laquelle les
étranges Cultes à Mystères furent accueillis à Rome, comme
ceux d'Isis, de Cybèle, ou de Mithra, et même le Christianisme
primitif. Cela facilita également des décisions politiques
étonnantes comme la divinisation de la ville de Rome ou celle
de certains empereurs. Un autre aspect fort important des
religions grecque et romaine est celui de la totale intégration
des pratiques religieuses à la vie quotidienne et civile.
L'athéisme n'y avait aucune place, et il n'y avait aucune
séparation entre des champs d'activités qui nous sont
aujourd'hui perçus comme évidemment distincts. Le
comportement des citoyens en était donc empreint. Il faut
enfin noter l'attention marquée accordée à la divination, à
l'haruspicine, et aux présages. Ils guidaient alors de façon
assez importante la conduite des affaires de l'état, et même
les comportements des armées.
La Crète et Mycènes
Il n'est pas possible de parler de la civilisation grecque au singulier
parce qu'il y a eu plusieurs transformations profondes dans les
peuplements et les croyances des peuples qui se sont établis dans
cette péninsule et ses îles depuis 50 000 ans, bien avant la dernière
glaciation. Après celle-ci, on distingue, dans le monde grec antique,
sept périodes successives de civilisations caractérisées. La période
"préhellénique", (civilisations crétoise, minoenne, ou égéenne),
s'étend du 19e au 14e siècle avant notre ère. La période "achéenne",
(civilisation mycénienne, Guerre de Troie et arrivée des Doriens), va
jusqu'au 12e siècle. La période "homérique", celle du Moyen Âge
hellénique, de l'Iliade et de l'Odyssée remonte jusqu'au 8e siècle. Elle
est suivie, jusqu'au 6e siècle, par la période "archaïque", qui a vu
l'expansion des Grecs dans tout le Bassin méditerranéen, l'Asie
Mineure et la "Grande Grèce" d'Italie. La période "classique" se
poursuit jusqu'au 4e siècle avec l'âge d'or des grands philosophes.
Les temps "hellénistiques" suivirent, jusqu'au 1er siècle avant J. C.
(domination macédonienne et empire d'Alexandre). Puis c'est la
27
période "romaine" qui commence en ~ 86 par la prise d'Athènes par
Sylla et qui répand ensuite la culture grecque dans tout le monde
romain pendant le millénaire suivant. Beaucoup d'autres acteurs ont
partagé le Monde méditerranéen et influencé les cultures grecque et
romaine, tels les Phéniciens qui fondèrent Carthage, le Étrusques,
les Sardes, les Ombriens, les Samnites et tant d'autres dont nous
évoquerons évidemment les actions
Il y a donc un grand décalage temporel entre les mouvements
civilisateurs grecs successifs et l'expansion de la domination
romaine. L'occupation des environs de la mer Égée débute six mille
ans avant notre ère, au néolithique. La civilisation est d'abord
repérable en Crête, où l'on trouve les traces d'un culte de la Terre
Mère. Il y a quatre mille ans, c'est la civilisation dite des Cyclades et
de la Crète, marquée par des relations avec Troie, Chypre et l'Égypte.
Á l'âge du bronze ancien, 25 siècles avant notre ère, l'île de Crète
voit s'épanouir une société évoluée, avec une urbanisation structurée
et une technologie qui produit des objets élaborés et de beaux bijoux
de bronze ou d'or. C'est là que le roi Minos aurait fait construite par
Dédale le célèbre labyrinthe du Minotaure, et c'est là aussi
qu'apparaissent les premiers alphabets grecs appelées linéaires A et
B, d'origine indo-européenne, qui s'écrivaient de gauche à droite
comme les nôtres. La Crète minoenne développe aussi une puissance
maritime débouchant sur des échanges commerciaux avec les pays
d'Orient. Cinq siècles plus tard, les villes s'organisent autour de
palais somptueux comme ceux de Mallia, Archanès, Zakros,
Phaïstos, et Cnossos où l'on a découvert des restes de sacrifices
d'enfants. L'archéologie a trouvé des symboles cornus, des haches
bifaces d'ornement, et d'autres trésors. Puis, 15 ou 16 siècles avant
JC, l'énorme éruption volcanique du Santorin engendra de
gigantesques tsunamis qui dévastèrent la Crète et détruisirent sa
flotte. La ville de Cnossos fut cependant épargnée, mais la
civilisation minoenne ne s'en remit jamais.
D'autres peuples indo-européens avaient migré vers la Grèce, à la fin
de l'âge du bronze, tels les Eoliens les Ioniens et surtout les Achéens
28
qui en chassèrent les Pélasges. Les Achéens sont des conquérants qui
usent de chevaux et d'armes de bronze. Ils s'installent dans le
Péloponnèse vers ~1600, et y fondent de nombreuses cités-états
telles Argos, Tirynthe, Pylos, Sicyone, Corinthe, Athènes, Thèbes,
Orchomène, et surtout Mycènes dont l'influence devient dominante.
Il nous en reste les enceintes cyclopéennes. Sur les bases de la
civilisation minoenne, ils améliorent l’alphabet. Ils pratiquent le
commerce lointain et lancent des expéditions maritimes jusqu’en
Grande Bretagne. Leurs nombreux petits royaumes sont souvent en
lutte les uns contre les autres ou contre un ennemi commun comme
dans l’épisode homérique de la guerre de Troie contre les Hittites.
Homère était un poète, non pas un historien. Écrits cinq cent ans plus
tard, ses récits sont imaginaires. La religion mycénienne préparait
celle de la Grèce classique mais privilégiait les divinités chtoniennes,
tout particulièrement à Cnossos, Poséidon, lié aux tremblements de
terre. De nombreux lieux de culte étaient dédiés à des déesses,
comme la "Dame du Labyrinthe" en Crète, ou "Diwia", la Déesse
Mère. Quelques divinités ont été identifiées à Zeus, Héra, Arès,
Hermès, Athéna, Artémis et même Dionysos. Après l'invasion
Dorienne, la domination Achéenne faiblit. L'unité mycénienne
rompue, le pays se dépeuple. La civilisation s'effondre
progressivement et les Grecs entrent dans l'oubli pendant les quatre
siècles dits "obscurs" du Moyen Âge grec.
Les Phéniciens, les Hittites, les Étrusques
Le monde mycénien se désagrège alors lentement pour des causes
mal connues. La population diminue fortement et les habitants
quittent les villes et se réfugient dans les campagnes écartées. On a
accusé les migrations Doriennes, mais la région est le siège
permanent de fortes turbulences et d'incessantes guerres de conquête.
Les attaques des énigmatiques "Peuples de la Mer" (qui ne furent mis
en échec que par les Égyptiens), ravagent alors la Phénicie (Liban) et
beaucoup d'autres nations méditerranéennes, dont évidemment
Mycènes. Inventeurs de l'alphabet, les Phéniciens sont avantagés par
29
l'affaiblissement de leur rivale. Ce sont d'habiles navigateurs et des
colonisateurs actifs qui ont fondé de nombreux comptoirs à Chypre,
à Malte, en Sicile, en Sardaigne, et des cités commerciales comme
Arvad, Berytos (Beyrouth), Byblos (Jbei), Ougarit (Lattaquié), Tyr
(Sour), Sidon (Saïda), et même Gadès et Lisbonne en Espagne. En
Tunisie, on leur doit surtout Carthage qui entrera plus tard en rivalité
avec Rome. Les dieux phéniciens, d'origine orientale, sont
mystérieux, féroces et redoutés. On y retrouve Baal (El) et Astarté
(Tanit), Melgart, Eshmoun, etc.. Les Grecs puis les Romains ont
relaté leurs cultes cruels comprenant des sacrifices humains (dont
ceux d'enfants). La Phénicie décline au ~5ème siècle sous la pression
des Assyriens et des Babyloniens mais ses puissantes colonies
prospèrent tout autour de la Méditerranée, particulièrement Carthage
dont l'influence puissante s'étend rapidement sur toute l'Ouest de la
Méditerranée.
30
Les Grecs ont beaucoup d'autres voisins qui sont aussi des rivaux.
Parmi eux, on compte les Hittites que la guerre légendaire de Troie
opposa aux Achéens. Á l'époque du déclin mycénien, ce peuple
provenant probablement des plaines de la Volga est installé en
Anatolie depuis longtemps et il a fusionné avec les anciens habitants,
les Hattis, dont il a absorbé la civilisation avancée. L'influence des
Hittites est fort importante et se manifeste par des conflits répétés
avec les Égyptiens et les Assyriens. Ils maîtrisent la production et le
forgeage du fer dont ils gardent les techniques secrètes pendant trois
siècles. Ils utilisent de puissants chars de guerre montés par trois
guerriers. Ils disposent d'une l'écriture cunéiforme mais ils utilisent
aussi des hiéroglyphes. Leurs dieux sont nombreux car ils adoptent
les divinités des peuples voisins et les associent aux anciens dieux
Hattis ou aux dieux protecteurs locaux. Il existe des analogies avec
les dieux grecs primordiaux d'Hésiode, mais on a aussi identifié des
divinités solaires (UTU), mâles et femelle, des gardiens de la nature
(LAMMA ou KAL), et des dieux de l'orage parfois représentés par
un taureau. Les Hittites pratiquent la magie et la divination. Leur
empire est constitué de royaumes distincts dont les classes
dirigeantes sont subordonnées à l'autorité d'un Roi des rois de droit
divin. Ce prince dirige les armées mais son rôle de Grand Prêtre est
prédominant. L'empire Hittite souffre aussi des attaques menées par
les "Peuples de la Mer". Il en est fort affaibli et est finalement
assimilé par l'Empire Assyrien.
En Italie, à l'époque mycénienne, Rome n'existe pas. La péninsule
accueille divers peuples dont les Étrusques, ou Toscans. Les
Étrusques ont établi une civilisation remarquable, urbaine, assez
épicurienne, marquée par l'importance donnée aux femmes. Les
Étrusques ont fondé de nombreuses villes dont Rome, Cerveteri, les
ports d’Alsio et de Pyrgi, Véies, Tarquinia, Arezzo, Cortone, Chiusi,
Volterra, (Velathri), Pérouse, Todi, Orvieto. La religion étrusque est
essentiellement divinatoire. Influencée par l’Orient archaïque, elle
diffère des religions gréco romaines, avec un panthéon organisé en
triades divines. C’est une religion révélée par des génies tel Tagés, et
des devineresses comme Vegoia, chargés de porter un message divin
aux hommes. Elle est fondée sur trois groupes de livres sacrés dont
le premier concerne l’extipicine, (techniques divinatoires liées aux
sacrifices). Le second groupe enseigne la divination par
31
l’observation des éclairs. Onze sortes de foudres sont associées aux
dieux toscans. Le troisième groupe règle la répartition des terres
selon un code très précis, et régit la disposition et l’orientation des
édifices. La mort et l’au-delà constituent des préoccupations
majeures des populations étrusques. Le sang des sacrifices et
l’observance des rites permettent d’accéder à une forme
d’immortalité, paradisiaque ou infernale, selon les cas. En réponse
aux inquiétudes face au destin, la religion étrusque vise à maîtriser la
connaissance de l’avenir et de la volonté divine. Elle veut influencer
le cours des choses, en apaisant les dieux par des sacrifices, et en
organisant soigneusement la vie civile.
Cosmogonie classique et généalogie des dieux
Au ~8e siècle, quatre cents ans après les invasions doriennes, la
Grèce se repeuple. Les cités s'organisent et se dotent de structures
militaires redoutables, les phalanges. L'essor démographique
provoque un élan colonisateur et la fondation de nombreuses villes
dans tout le bassin méditerranéen. Entre autres, les Grecs fondent
alors Massalia, (Marseille), et Byzance. Ils colonisent la Sicile et une
partie de l'Italie qu'ils appellent la Grande Grèce. Ces actions
engendrent des conflits tant avec les autochtones qu'avec les
Phéniciens, autres colonisateurs. Les échanges amènent l'usage de la
monnaie. L'alphabet grec reçoit enfin des voyelles et la littérature
apparaît. Bien des textes ont été perdus car les livres étaient copiés à
la main en très peu d'exemplaires, et les grandes bibliothèques qui les
rassemblaient ont, hélas, brûlé. Il nous reste ceux d'Homère qui
raconte la légendaire Guerre de Troie dans "l'Iliade", et le retour
d'Ulysse à Ithaque dans l'Odyssée" (qui aurait eu plusieurs auteurs).
L'Iliade évoque un panthéon régi par Zeus et Héra, avec des dieux
très impliquées dans les affaires humaines. L'épopée oppose les
partisans des Grecs, Poséidon, Athéna, Héra, Hermès, Héphaïstos à
ceux des Troyens, Apollon, Arès, Aphrodite, Artémis, et le dieu du
fleuve Scamandre. D'autres divinités y sont également citées telles
Thétis. Curieusement, la religion grecque n'avait ni église ni
doctrine, cependant Hésiode nous a laissé une grande "Théogonie"
32
qui décrit les débuts du Monde et l'origine des générations
successives de dieux dans une version qui semble bien refléter la
tradition la plus communément établie.
Dans la Grèce antique, aucun texte sacré n'exposait l'origine du
Monde, des hommes et des dieux. Diverses théogonies ont pu y
prétendre dans une simple littérature sans réelle valeur doctrinale. Le
Théogonie d'Hésiode débute par une invocation aux Muses bien plus
longue que l'exposé sur l'origine du Monde qui la suit. Les postérités
décrites par Homère en diffèrent un peu, (et celles des Orphistes,
beaucoup plus). Cette diversité littéraire n'engendrait pas de conflits
doctrinaux. "Á l'origine, dit Hésiode, était le Chaos, puis Géa (la
Terre) et le ténébreux Tartare, puis Éros, l'Amour. De Gaia et de
l'Érèbe naquit la Nuit qui produisit l'Ether et le Jour. Et Géa
engendra Ouranos, le Ciel à la voûte étoilée. D'Ouranos et de Géa
naquirent les douze Titans, Océan, Coeus, Crios, Hypérion, Japet,
Théa, Rhéa, Thémis, Mnémosyne, Phébé, Téthys, et le terrible
Cronos. Géa enfanta encore les Cyclopes Brontès, Stéropès, Argès,
qui n'avaient qu'un œil et forgèrent la foudre pour Zeus. Ouranos et
Géa eurent encore trois effroyables enfant, Cottos, Briarée, Gyas,
géants aux cent bras et cinquante têtes qu'ils cachèrent dans les
profondeurs de la terre. Ce livre conte aussi la légende de Prométhée,
la lutte de Zeus contre les Titans et bien d'autres épisodes qui ne
peuvent être résumés ici. Les Grecs acceptaient ces descriptions
littéraires variées des origines. Ainsi, dans un autre texte, faisaient-ils
naître du Chaos béant, les jumeaux Érèbe et Nuit, celle-ci s’ouvrant
comme un œuf cosmique pour donner naissance au Ciel, Ouranos, et
à la Terre, Gaïa, unis par l’Amour primordial, Éros, source de toute
vie terrestre.
On voit, qu'à cette époque, les dieux grecs sont déjà innombrables, et
leurs légendes le sont aussi. La création de l'homme est attribuée soit
aux dieux, soit à Prométhée, fil du Titan Japet, qui façonne la race
humaine avec de l'argile. Mais ces dieux et déesses ont aussi des
aventures amoureuses avec des humains. Il en résulte des héros
hybrides, mortels aux pouvoirs surhumains comme Héraclès, Jason,
Thésée, ou Achille fils de Thétis. On a même l'histoire d'un déluge
de neuf jours et neufs nuits provoqué par Zeus pour punir les
33
hommes de leur impiété et de leurs guerres incessantes. De la terre
déserte n'émerge que le mont Parnasse. Dans leur barque, seront
épargnés Deucalion, fils de Prométhée, et Pyrrha, fille d'Epiméthée
et de Pandore. Une voix leur ordonne de jeter les os de leur mère
par-dessus leurs épaules. Il s'agit de pierres, les os de la Terre, la
Mère universelle. Les pierres de Deucalion deviennent des hommes,
celles de Pyrrha, des femmes. La Terre est alors repeuplée.
Succédant aux Titans pour régner sur le Monde, trois Olympiens se
sont partagé l'univers par tirage au sort. Zeus obtint le ciel, Poséidon
la mer, et Hadès le monde des Enfers. Le panthéon des Grecs
comporte quatorze grands dieux. Ils eux séjournent avec Zeus sur le
Mont Olympe, gardé par les Saisons, et ils y connaissent un bonheur
parfait, se délectant de nectar et d'ambroisie. Cependant, certains
sont toujours cités comme Zeus, Héra, Poséidon, Arès, Hermès,
Héphaïstos, Athéna, Apollon, et Artémis, tandis que d'autres sont
interchangeables selon les auteurs, par exemple Hestia, Déméter,
Aphrodite, Dionysos et Hadès.
Zeus est le dieu souverain, Père des dieux et des hommes. Il a épousé
sa sœur Héra, déesse du mariage et des femmes. Poséidon, dieu de
l'océan règne sur les eaux, les tremblements de terre et les tempêtes,
et fait jaillir les sources. Hadès est maître du royaume des morts et
des richesses souterraines Il donne aussi la fécondité de la terre, ce
qui est démontré par le mythe de Déméter, dont la fille, Korê,
enlevée par Hadès, devient la reine des morts (Perséphone). Chaque
printemps elle retrouve sa mère qui donne les récoltes. Hestia est la
déesse du foyer. On lui présente tout enfant nouveau né. Athéna, fille
de Métis (la Sagesse) est sortie toute armée de la tête de son père
Zeus. Elle protège les arts et à la littérature, la paix et à la raison.
Artémis, sœur jumelle d'Apollon, est la déesse des animaux sauvages
et de la chasse. Vierge, comme Athéna, elle est associée à la vie des
femmes et à la lune. Apollon est le dieu de la musique et de la poésie
et l'inventeur de la médecine. Ses prophéties sont transmises par la
Pythie de Delphes. Hermès, messager des dieux, porte des sandales
ailées pour se déplacer dans les airs. il guide les voyageurs et
accompagne les âmes des morts aux Enfers. Arès, fils de Zeus et
d'Héra, est le dieu de la Guerre, assoiffé de sang. Aphrodite, fille de
Zeus et de Dioné, est la déesse de la beauté. Héphaïstos est le dieu
des volcans et du feu, maître du travail des métaux. Dionysos, fils de
34
Zeus et de Sémélé, a été porté dans la cuisse de Zeus jusqu'à sa
naissance. Frappé de folie par Héra, il est le dieu du vin et de la
fertilité et sera associé plus tard aux doctrines de l'orphisme.
35
Toute la littérature concernant la mythologie grecque montre bien,
qu'à cette époque tout au moins, la religion grecque n'est ni révélée
ni doctrinale. Elle a une fonction essentiellement sociale et ne
distingue absolument pas les activités civiles et religieuses. Les
fidèles entrent en religion à la naissance et doivent continument
observer scrupuleusement les célébrations et les rites. De grands
festivals publics, à la fois politiques et religieux sont des évènements
obligatoires. Ils sont l'occasion de sacrifices, de concours
d'athlétisme, de processions et de représentations théâtrales. D'autres
actes cultuels se pratiquent en privé, dans le cadre familial, tels des
offrandes et libations. Il existe de multiples interdits. De nombreux
petits actes rituel doivent être pratiqués pour attirer la bienveillance
des dieux, et des petits sanctuaires sont élevés un peu partout à cet
usage. Les grandes fautes sont le meurtre et l'offense aux dieux qui
risquent de provoquer leur colère. La vengeance divine concerne la
société toute entière et la réparation est donc l'affaire du peuple
entier qui punit très sévèrement les coupables. La religion grecque a
des temples mais pas de clergé. Elle permet cependant des fonctions
particulières comme celles de la Pythie à Delphes ou de les
Eumolpides à Eleusis. Les Grecs s'attendent à être bien traités des
dieux s'ils remplissent correctement leurs devoirs religieux, et ils
pratiquent des rites magiques simplifiés. Les présages et les
prophéties ont grande importante. Á l'époque archaïque, la religion
grecque s'intéresse peu à la vie après la mort, ne laissant prévoir
aucune immortalité.
36
Le mythe du Prométhée et le sacrifice sanglant
Chez les Grecs, le sacrifice sanglant est lié à la légende de
Prométhée. À l’âge d’or mythique, les dieux et les hommes
décidèrent de se séparer. Prométhée fut chargé de partager le
monde et d'organiser un repas commun. Le Titan abattit un bœuf,
fondant ainsi le sacrifice sanglant comme mode relationnel entre
les hommes et les dieux. Il en fit deux parts, toutes deux truquées,
l’une agréablement apprêtée camouflant les os dénudés, l’autre
cachant la chair comestible sous un aspect repoussant. Zeus feignit
de se tromper, choisissant les os et laissant la viande aux hommes.
Et ceux-ci demeureront toujours des créatures mortelles, affamées
de cadavres, tandis que les dieux, nourris de fumées, resteront à
jamais, immortels et incorruptibles.
Le sacrifice grec est un acte sacramentel. Accomplir ces rites, c’est
établir un contact avec les dieux par une double commémoration,
celle de la tâche accomplie par le Titan protecteur, et celle de la
leçon donnée par Zeus, que les hommes affirment avoir comprise.
En l’accomplissant, les hommes signifient qu’ils acceptent la place
allouée par Zeus, entre les bêtes et les dieux. Le rite rappelle que
les hommes et les dieux sont aujourd’hui séparés, qu’ils ne vivent
ni ne mangent plus ensemble. On ne peut tromper Zeus ni tenter de
s’égaler aux dieux sans devoir en payer le prix qui est
l’éloignement du divin et l’obligation de vivre sur cette terre où
rien ne s’obtient sans effort et où se mêlent toujours la joie et la
peine, le Bien et le Mal.
Prométhée est la connaissance universelle. Il prévoit tout. Il en sait
plus que tout dieu ou tout homme mortel et son intelligence est
nécessaire à Zeus. Pour favoriser les hommes, le Titan offense
Zeus qui décide alors de définir plus clairement les rôles respectifs
des hommes et des dieux. Les rites sacrificiels grecs rappellent
l'erreur du Titan protecteur et la punition conséquente. Le
sacrifice sanglant prométhéen est donc l'acte rituel obligatoire le
plus important de la religion grecque (et romaine), et il est
intéressant d'en voir les détails. Il commence par la consécration,
dite immolation, de la victime animale qui est accomplie à
37
proximité de l'autel. Ainsi devient-elle sacrée et intouchable,
nourriture irrévocable des dieux.
La victime est ensuite abattue et découpée par un sacrificateur
habilité. On prépare tout d'abord la part des dieux. Le sang,
symbole habituel de vie, est versé sur le brasier de l'autel et l'on y
ajoute les autres viscères sanglants préalablement bouillies,
essentiellement la fressure, (cœur, poumons, foie, rate). Cette part
des dieux est entièrement consumée sur le feu. Ensuite seulement,
et en un second temps, on s'occupe de la part des hommes qui ne
peuvent partager la nourriture des dieux. La chair restante est
profanée par un attouchement de l'officiant. Devenue dorénavant
impure, elle est partagée entre les assistants, ou vendue en
boucherie, et elle doit être obligatoirement consommée avec un
rituel spécial de préparation.
La consommation obligatoire de cette viande dite de sacrifice, la
part laissée aux hommes, est rituellement rôtie puis bouillie, (à
l'inverse de la part des dieux), en rappel de l'histoire humaine
originelle. Cette consommation parachève le sacrifice. Ce rituel de
partage a une signification douloureuse consacrant la séparation
définitive des hommes et des dieux. Elle établit la supériorité des
immortels en même temps que l'infériorité et la sujétion des
mortels. Plus tard, les Orphiques refuseront les sacrifices sanglants
et la consommation de chair animale Ils rejetteront aussi tout ce
système politico-religieux symbolisant l'établissement d'un ordre
définitif du Monde, et ils seront généralement considérés comme
des marginaux asociaux.
Plus tard, le Christianisme s'établit dans le monde gréco-romain, et
propose un nouveau rituel évoquant la mort du Christ qui rétablit
l'alliance entre les hommes et Dieu. Elle est gagée par la mort de
son Fils, également fils de l’Homme, immolé par ses pères dans la
nature terrestre. "Prenez et mangez, dit le rituel, car ceci est mon
corps, livré pour vous. Prenez et buvez, car ceci est mon sang, le
sang de la nouvelle et éternelle alliance, qui sera versé pour vous
en rémission des péchés". Le pain, part des hommes est partagé en
premier, puis en second le vin, (sang), la part des dieux. Ce
38
renversement bouleverse les Grecs, signifiant la fin de la
malédiction millénaire car les hommes sont de nouveau invités à
manger avec les dieux.
39
L'époque classique ou Siècle de Périclès
Après le sixième siècle, la Grèce connaît de grands bouleversements,
tant politiques que religieux. La période est propice aux invasions.
Les Perses de Cyrus soumettent la Grèce d’Asie mineure. Il y a
encore d’autres invasions comme celle de Darios. (Marathon), puis
de Xerxès. Sparte est vaincue aux Thermopyles. Athènes est
également conquise et détruite, puis Thémistocle vainc enfin les
Perses à Salamine. Les Carthaginois et les Étrusques rendent la
Sicile. Athènes monte à son apogée, et reconstruit l’Acropole et le
Parthénon. Elle devient un modèle démocratique puis entre en guerre
avec Sparte. C'est l’époque dite "Siècle de Périclès", le début de la
pensée et de la civilisation grecques classiques, avec le renouveau
des sciences et des arts. (Philosophie, éthique, législation, science
politique, poésie, tragédie, histoire, sculpture, architecture).
Beaucoup d’hommes célèbres nous ont laissés leurs noms et
quelques traces de leurs travaux, tels Hésiode, Thalès, l'astronome
philosophe qui aurait énoncé le connais-toi toi-même, Anaximandre,
savant philosophe qui affirmait que le principe matériel unique était
l’Illimité, Pisistrate, Ésope et ses fables, Sappho, Héraclite d’Éphèse
qui fit du Logos, le principe du devenir, Pythagore qui donna à la
philosophie un objectif, celui de libérer l’âme humaine du corpstombeau, éleva les mathématiques au rang d’une mystique, et appela
le monde Cosmos, Anacréon, poète inspiré par Dionysos,
Xénophane, Parménide qui opposait la vérité à l'opinion.
Pendant cette période, les penseurs grecs spéculent sur la nature de
l'homme et de l'univers dans une grande liberté intellectuelle, et l'on
peut considérer qu'ils ignorent les dieux ou rejettent leur
anthropomorphisme. La science et la philosophie apparaissent avec
bien des noms connus. Xénophane de Colophon dit que Dieu est le
Monde et qu'il est un être vivant. Anaxagore affirme que l’Esprit ou
Intellect est le principe organisateur de la matière, Pindare, Zénon
d’Élée inventeur de la dialectique, Empédocle établit la théorie des
quatre éléments, imagine les atomes, et conçoit un Univers régi par
40
l’amour et la haine, Sophocle, Euripide le tragédien, Protagoras
considère que l’homme est la mesure de toute chose, Critias dit que
les religions étaient inventées pour effrayer les hommes, Démocrite
pense que la nature, née du hasard et de la nécessité, est éternelle,
incréée, et sans finalité, et appelle l’homme Microcosme, Anaximène
de Millet croit que l'air est la substance primordiale composant tous
les corps, Héraclite d'Ephèse s'oppose aux sacrifices animaux,
Cratinos, Hérodote le père de l'Histoire, Xénophon, guerrier et auteur
de "l'Anabase". On peut aussi évoquer Aristophane et ses comédies
satiriques, Arcésilas, Callimaque, Démosthène l'orateur bègue,
Thucydide, Isocrate, Diogène le Cynique, Épicure qui disait l'âme
faite d'atomes, Euclide à qui l’on doit probablement les bases de la
géométrie, Apollonios de Rhodes, Archimède de Syracuse, inventeur
de génie, Zénon de Cittium, le père du stoïcisme.
Les philosophes grecs poussent donc les dieux hors de la Terre vers
un Monde purement conceptuel. Zeus devient la cause première de
toute chose dont les compagnons divins manifestent les diverses
qualités. Mais cela peut être dangereux. Socrate, fondateur de
l’Éthique, veut libérer l’esprit humain. Il croit en un "daimôn"
personnel, une voix intérieure, guidant ses comportements. Accusé
de ne pas reconnaitre les dieux de la cité, et condamné à mort, il doit
finalement boire la cigüe. Il faut absolument citer ici Platon, né à
Athènes, en ~428. Ses concepts basent encore aujourd’hui beaucoup
de théories. Il rencontre Socrate et se lance dans la philosophie.
Platon croit à la transmigration et à l’éternité des âmes. Il fonde
l'Académie et écrit au moins trente-cinq dialogues pour exposer son
système qui synthétise les doctrines de Socrate, d’Héraclite, de
Parménide, et de Pythagore. Les êtres impermanents et changeants,
qui peuplent notre monde visible seraient des copies impermanentes
de modèles universels et immuables situés dans un autre Monde,
celui des Formes ou des Idées existantes pour et par elles-mêmes. Au
sommet de ces Essences, Platon place le Bien, le Beau, le Juste. Les
pures Idées ont été aperçues par l’âme, à l’origine. Grâce au vague
souvenir, à la réminiscence, qu’elle en a gardé, l’âme éternelle peut
reconnaître les pures Idées, même lorsqu’elle est prisonnière d’un
corps impur. Et elle désire escalader le ciel pour retourner les
contempler
41
Les travaux du médecin Aristote ont également marqué fortement les
suites de la philosophie classique et la théologie, y compris lors de
l'expansion du Christianisme. Né en Macédoine, Aristote fréquenta
l'Académie de Platon pendant vingt ans, mais il exprima son
désaccord avec sa "Théorie des Idées" et finit par s'en éloigner. Il fut
précepteur du jeune Alexandre (le grand) . Revenu à Athènes après
sa conquête, il y fonda le Lycée. Il y écrivit de nombreux ouvrages
puis s'en fut mourir dans l'île d'Elbée. D'abord adepte des idées
platoniciennes, il en devint critique affirmé puis développa un
système de pensée dit "Aristotélisme". La philosophie d'Aristote
s'intéresse aux causes des choses et à la logique, et, sur ces plans, son
travail est considérable. Sur le plan scientifique, Aristote nie
l'évolution et affirme l'existence éternelle des genres et des espèce.
C'est la théorie du "fixisme". Il affirme que la Terre est le centre de
l'univers alors qu'Aristarque de Samos sait déjà que la Terre tourne
sur elle-même et qu’elle décrit une orbite autour du Soleil. Aristote
professe donc le "géocentrisme". Ses œuvres furent redécouvertes et
traduites au Moyen Âge, puis Thomas d'Aquin transforma cette
philosophie en doctrine officielle de l'Église Catholique, donnant
ainsi naissance à la Scolastique et au Thomisme. Giordano Bruno
mourut sur le bûcher en combattant les idées d'Aristote. Galilée renia
ses convictions et sauva sa vie, mais il finit prisonnier dans sa propre
maison.
Dionysos et l'Orphisme
D'autres courants se font jour en Grèce à cette époque, dont
l'Orphisme et le culte de Déméter, le plus ancien des cultes à
mystère. Les Éleusinies, les fêtes les plus connues, auraient été
institués à l'instigation de Triptolème, fils de Céréos, qui avait reçu
de Déméter la mission de répandre le blé partout dans le Monde.
Elles semblent provenir de cultes agraires primitifs modifiés en
syncrétisme avec des cultes dionysiaques et l’Orphisme. Elles sont
annuellement célébrés dans le Télestrérion d’Éleusis et font
participer le fidèle à la résurrection de l’enfant divin revenu de
l’empire de la mort. A Éleusis, en Septembre, des cérémonies
42
extérieures traditionnelles préparent la célébration des Mystères.
Ces préliminaires ont été souvent décrits et nous sont relativement
connus. Des reliques mystérieuses, (les hiéra sacrées), sont
transportées en procession jusqu’à Athènes et déposées dans un
sanctuaire particulier, l’Eleusinion. Une excommunication
solennelle est prononcée contre les infidèles et les impurs, puis les
mystes, (les candidats jugés dignes), entrent dans la mer pour se
purifier. Après quelques jours de retraite et de jeûne, la procession
immense des fidèles et des mystes retourne à Éleusis, précédée de
l’effigie de Iacchos, des hiéra, et des autorités. Les cérémonies
secrètes commencent alors, et nous devons ici avouer notre très
grande ignorance car leurs secrets n'ont jamais été révélés.
En raison de la concordance des mythes orphistes et éleusiniens,
l'Orphisme s’infiltre dans la religion athénienne, et y annonce les
cultes à des Mystères. C’est une religion initiatique à tendance
monothéiste marquée. Elle repose sur les philosophies
pythagoricienne, platonicienne (puis néo-platonicienne) et rassemble
diverses doctrines professant l’immortalité de l’âme et la succession
de cycles de réincarnations jusqu’à la purification définitive. Elle a
produit de des cosmogonies diverses s'inspirant d'une idée de base
commune. Le mythe central de l'Orphisme est celui de la mise à mort
de Dionysos par les Titans. On y rencontre les figures connues de la
mythologie d'Hésiode, mais les Orphistes ont savamment détourné
ces images. La Perséphone orphique est toujours la reine des Enfers,
mais elle est ici la mère de Dionysos qui est au centre du mythe. De
même l'Orphée d'Eurydice n'est pas l'Orphée des Orphistes qui se
placent sous sa protection parce qu'il est revenu des Enfers. La
cosmogonie hésiodique partait de la béance primitive (Chaos) pour
aboutir à un ordre divin éternel dirigé par Zeus. Les cosmogonies
orphiques postulent une unité originelle, d'abord brisée, ensuite
virtuellement restaurée sous le règne de Dionysos. Ce thème central
de réunification, de reconstitution, ou de réconciliation, relie ces
diverses cosmogonies au mythe orphique fondamental de Dionysos.
Dans l'une des cosmogonies, la mère de Dionysos, Sémélé, était
mortelle. Aimée de Zeus, elle meurt d’effroi pendant sa grossesse, à
la vue de la gloire du dieu. Zeus porte alors l’enfant dans sa cuisse
jusqu’à sa naissance. Plus tard, Éros offre l'empire du monde à
43
Zagreus, première incarnation de Dionysos. Jaloux et révoltés, les
Titans s'emparent de lui et le dévorent. Zeus les foudroie, et de leurs
cendres naissent les hommes, gardant en eux une parcelle du dieu
dévoré. Dans une autre version, c'est Perséphone qui conçoit
Zagréus. Poursuivi par la jalousie de Héra, Zagréus revêt plusieurs
apparences. Sous la forme d'un taureau, il est dévoré par les Titans,
mais la déesse Pallas réussit à préserver son cœur. Zeus foudroie les
Titans et absorbe le cœur de son fils qui, régénéré, devient Iacchos,
identifié à Dionysos. Perséphone interdit alors que l'homme gagne
un jour le monde divin, le condamnant à errer sur Terre de vie en
vie, en oubliant son origine divine. Une partie des cendres des Titans
a donné aux hommes la capacité de faire le mal, mais l'autre moitié,
porteuse de la divinité de Dionysos, leur confère une étincelle
d'amour. L'Orphisme professe donc que l'homme a deux parts en lui,
l'une proprement divine, dont le souvenir permet d'accéder de
nouveau au monde divin, et l'autre d'audace, de révolte et de liberté,
héritée des Titans, qui lui permet de braver l'ordre établi.
L'Orphisme propose aux fidèles des rites mystiques, des suites
d’initiations, et des règles ascétiques de vie. Les adeptes sont
opposés à toute violence. Végétariens, ils ne consomment aucune
chair. Á travers sa double naissance, mortelle par sa mère et divine
par son père, Dionysos apporte l’énergie sacrée à la nature
ordinaire. Chaque année, il entre en cortège dans la cité grecque qui
l’accueille avec des fêtes bruyantes et colorées. Il se manifeste
différemment dans les Mystères extatiques accessibles aux seuls
initiés. Les diverses légendes concordent. Dionysos ressuscité est
ainsi né deux fois, ce qui est aussi son nom. Les hommes naissent des
cendres des Titans foudroyés. Leur nature est donc animale et
matérielle, mais ils recèlent en leur âme une parcelle du Dieu
dévoré. Dans le système théogonique des adeptes d’Orphée, six
générations divines se succèdent en bouclant sur elles-mêmes.
Phanés, (la Lumière originelle), Fils de Zeus et de Métis, est le
premier roi des Dieux, suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de
Zeus, (prononcé Deus par les Romains et par nous-mêmes). Celui-ci
remet enfin son pouvoir au fils, deux fois né, Dionysos, lequel est
aussi le retour eschatologique de Phanés, le Lumineux des origines.
Au delà de ses aspects cycliques, l'Orphisme propose un mythe
44
universel de salut permettant au fidèle de sauver son âme divine. En
cela, il annonce le Gnosticisme.
Alexandre et la Grèce hellénistique
Les guerres entre Athènes et Sparte donnent finalement la victoire à
Sparte, mais elles affaiblissent la puissance grecque. Á l'Ouest, les
colonies lointaines tentent de se révolter au profit des Carthaginois.
Á l'Est, les Perses essayent de conquérir la Grèce et en ravagent les
provinces. Ce sont finalement les Athéniens qui sauvent la situation,
mais les Grecs restent fort divisés et très affaiblis. Un semi-barbare,
riche et ambitieux, Philippe II, règne sur la Macédoine, un royaume
puissant aux frontières de la Grèce. Il intrigue et intervient dans ses
affaires, entreprend sa conquête et en est finalement vainqueur à
Chéronée. Maître de la Grèce, Philippe tente de la réorganiser et de
la réunifier en la fédérant dans la "Ligue de Corinthe". Le monde
grec est profondément transformé mais il reste sujet à de profondes
dissensions . Le véritable projet de Philippe est très ambitieux. Il
projette d'utilises les forces des Grecs et leur flotte pour mener une
grande guerre contre les Perses, mais il est assassiné en ~336. Son
fils va reprendre ce grand projet. Alexandre dit le Grand, établit un
immense empire comprenant la Grèce, l’Égypte, et l’Asie
occidentale jusqu’à l’Indus. Il fonde Alexandrie, Antioche, Pergame
et 70 autres villes. Après sa mort, son empire est partagé entre ses
lieutenants. Cela entraîne la formation de divers royaumes, l’Égypte
des Lagides, la Syrie des Séleucides, la Macédoine, la Grèce des
Antigonides, le Royaume du Pont, le Royaume de Pergame des
Attalides. La culture grecque est fortement modifiée. Les influences
des philosophes et celle des savants deviennent encore plus
importantes. L’Hellénisme naît alors de la rencontre du classicisme
grec et des civilisations orientales.
Les divisions qui ont tant affaibli la Grèce perdurent après la mort
d'Alexandre, et la tutelle macédonienne se maintient donc. Pourtant,
le prestige de la civilisation grecque diffuse dans les pays de
Méditerranée orientale, partagés entre ses généraux. Mais la Grèce
45
n'est plus le centre principal des expressions de sa culture. Les
influences macédoniennes et surtout égyptiennes s'y sont substituées
dans ce que l'on appelle la période hellénistique. Le centre de
l'hellénisme se déplace vers l'Alexandrie des Ptolémée qui devient
l'animatrice de cette unité culturelle. Les philosophes répandent leurs
idées, et les artistes, leurs créations. Au contact des peuples
orientaux, la religion grecque évolue énormément. Les vieux dieux
grecs sont "fossilisés" et leurs mythes se figent dans une forme
littéraire. Á l'âge hellénistique, le seul Asclépios reste vénéré en tant
que dieu de la médecine et de la guérison. Le vide laissé par la
disparition des dieux fait place à de nouvelles divinités importées de
l'Orient. L’Orphisme, le Néoplatonisme, le Gnosticisme et les Cultes
à Mystères apparaissent. En ~200, les Romains arrivent et
Flamininus (Titus Quinctius Flamininus) vainc Philippe V de
Macédoine en ~197. La Grèce devient romaine en ~146. Athènes est
prise par Sylla, et l’Égypte ptolémaïque, soumise par Octave. Les
civilisations hellénistique et romaine s’influencent fortement jusqu’à
se confondre. Le poète latin Ennius (vers 185 av. J.-C.) assimile les
douze divinités olympiennes à douze dieux latins sans que le culte
retrouve la vigueur des débuts de la religion grecque. Les pratiques
religieuses grecques avaient une forte dimension collective et surtout
civique. Elles vont devenir un comportement privé.
46
Alexandre était un grand stratège qui ambitionnait de conquérir
l'ensemble du Monde connu. Ses victoires ont souvent été associées
à la mise en œuvre de la Phalange, formation groupée et très serrée
de fantassins, établie sur plusieurs rangs. Les guerriers étaient munis
de lances de longueur croissante de façon à former un hérisson
opérationnel, véritable char d'assaut qui enfonçait sans difficulté les
lignes ennemies. Il organisait soigneusement ses campagnes qu'il
menait avec une grande dureté, souvent même avec cruauté. Il
prévoyait l'approvisionnement de ses troupes et aménageait aussi
l'aspect politique en nommant des satrapes pour gouverner les
territoires conquis et en faisant montre de générosité. Un légende le
disait fils de Zeus, et non pas de Philippe. Appelé Fils d'Amon
(assimilé à Zeus), lors de la conquête de l'Égypte, il y fut accueilli en
libérateur et se fit proclamer Pharaon à Memphis en ~332. Il fonda
alors la grande Alexandrie avant de reprendre ses conquêtes. Après
sa mort, ses principaux généraux, les "Diadoques", se partagèrent
son empire. Ptolémée Lagos, avec l'aide de son frère Pausanias,
s'empara de l'Égypte, en devint pharaon et fonda la dynastie des
Lagides sous le nom de Ptolémée 1er Sôter. Les contacts entre les
deux civilisations étaient traditionnellement soutenus. Les Lagides
ont effectué une synthèse progressive entre les panthéons grecs et
égyptiens en assimilant leurs dieux respectifs à partir de leurs
attributions approchées. On vit alors apparaître des divinités hybrides
combinant les deux aspects, parfois même des divinités nouvelles.
Les dieux des Grecs ont disparu, mais ces hommes des
temps anciens nous ont laissé de précieux biens. Notre
société est fondée sur les héritages de leurs philosophies, en
particulier sur la pensée de Platon et celle d'Aristote. Mais
nous devons aussi retenir que les Grecs ont également posé
les bases de toute démocratie, à savoir les idées de l'égalité
entre tous les hommes, (encore un peu hiérarchisée chez
eux), celle de la justice égalitaire, celle du gouvernement par
le peuple et pour le bien commun, et celle d'un universalisme
conceptuel qui étend au monde entier, la "cosmopolis", les
frontières de la cité humaine, partagée par tous, les esclaves
comme les hommes libres.
47
48
CHAPITRE 3 – Les enseignements d’Hermès
Trismégiste
Au 4ème siècle avant J. C. en ~338, un semi-barbare,
Philippe II de Macédoine, développa un puissant appareil
militaire et se rendit maître de la Grèce. Son fils, Alexandre dit
le Grand, conquit un immense empire allant jusqu'à l'Indus.
Accueilli comme un libérateur en Égypte, Alexandre se fit
reconnaître fils d'Amon, devint Pharaon et y fonda la ville
d'Alexandrie. Le pouvoir passa ensuite à l'un de ses généraux,
Ptolémée 1er, fondateur de la dynastie des Lagides. Deux des
plus anciennes civilisations du Monde mêlèrent alors leurs
cultures, leurs mœurs et même leurs cultes. L'Hermès grec,
messager des dieux, fut alors identifié à Thot, le dieu égyptien
du savoir. Cette divine figure syncrétique nous est parvenue
sous l'appellation plus tardive d'Hermès Trismégiste, "Hermès,
le trois fois grand". De nombreux textes lui ont été attribués
dont les fameux "Écrits Hermétiques". Ils émanent
manifestement de plusieurs auteurs et leurs contenus peuvent
donc différer. Aucune synthèse n'est ici tentée entre ceux que
nous préférons présenter avec leurs différences.
Hermès, Thot, et le Caducée
Alexandre dit le Grand établit un immense empire comprenant la
Grèce, l’Égypte, et l’Asie occidentale jusqu’à l’Indus. Il fonda
Alexandrie, Antioche, Pergame et 70 autres villes comptoirs. Après
sa mort, son empire fut démantelé et partagé entre ses généraux.
Divers royaumes furent alors formés dont la Syrie des Séleucides, la
Macédoine et la Grèce des Antigonides, le royaume du Pont, le
royaume de Pergame des Attalides et, en particulier, l’Égypte des
Lagides. Pendant les périodes grecques et romaine, ces Lagides
étrangers au tragique destin ont intelligemment gouverné l’Égypte.
Ils ont fait apparaître des cultes syncrétiques tendant à réaliser des
49
synthèses entre les dieux grecs et les équivalents égyptiens, ainsi que
des Cultes à Mystères importés de Grèce. Ptolémée 1er introduisit le
culte de Sérapis qui fut lié à ceux d’Apis, le Taureau solaire, et de
Ptah, puis fusionna avec celui d’Osiris. On en fit même un Dieu
suprême sous le nom de Zeus-Sérapis. Et Thot, l’Ibis, le Babouin, le
dieu intellectuel, fut identifié au dieu grec Hermès puis au dieu
romain Mercure, sous le nom d’Hermès Trismégiste. (Il fut aussi
associé à Anubis et s’appela alors Hermanubis).
Le dieu égyptien Thot, ou Djéhuti, était qualifié d'inventeur de
l’écriture, seigneur des sages, maître du culte de la magie et des
savoirs cachés. C'est de lui que les hommes auraient reçu les
hiéroglyphes donnant accès à la sagesse. Patron des scribes, gardien
des rituels, des savoirs magiques ou sacrés, et maître des paroles
divines, Thot était une figure majeure du panthéon égyptien. Son
sanctuaire principal se situait à Hermopolis, en Haute Egypte, mais
on le révérait aussi à Thèbes et à Héliopolis. Il fut souvent représenté
sous la forme d'un babouin, d'un ibis noir ou blanc, ou d'un humain
avec une tête d'ibis. Ce dieu lunaire personnifiait la lune elle-même.
Seigneur du temps et des calculs, il était en charge des
mathématiques, du calendrier, de la médecine et de l'astronomie. Il
était aidé par Seshat, son épouse, la maîtresse des livres, qui gérait
les archives et rédigeait les chroniques des rois du temple
d'Héliopolis. Thot conduisait aussi les âmes des défunts vers le
tribunal infernal et vérifiait la justesse de la balance du tribunal
d'Osiris, lors de la pesée des âmes. Et, à la Basse Epoque, Thot
devint un symbole cosmique universel, Hermès Trismégiste.
Le dieu égyptien Thot, ou Djéhuti, était qualifié d'inventeur de
l’écriture, seigneur des sages, maître du culte de la magie et des
savoirs cachés. C'est de lui que les hommes auraient reçu les
hiéroglyphes donnant accès à la sagesse. Patron des scribes, gardien
des rituels, des savoirs magiques ou sacrés, et maître des paroles
divines, Thot était une figure majeure du panthéon égyptien. Son
sanctuaire principal se situait à Hermopolis, en Haute Egypte, mais
on le révérait aussi à Thèbes et à Héliopolis. Il fut souvent représenté
sous la forme d'un babouin, d'un ibis noir ou blanc, ou d'un humain
avec une tête d'ibis. Ce dieu lunaire personnifiait la lune elle-même.
Seigneur du temps et des calculs, il était en charge des
50
mathématiques, du calendrier, de la médecine et de l'astronomie. Il
était aidé par Seshat, son épouse, la maîtresse des livres, qui gérait
les archives et rédigeait les chroniques des rois du temple
d'Héliopolis. Thot conduisait aussi les âmes des défunts vers le
tribunal infernal et vérifiait la justesse de la balance du tribunal
d'Osiris, lors de la pesée des âmes. Et, à la Basse Epoque, Thot
devint un symbole cosmique universel, Hermès Trismégiste.
51
Hermès Trismégiste, personnalité religieuse remarquable, naquit de
la synthèse des deux symboles divins. L’Hermès grec, inventeur de
l'alphabet, messager des dieux, est le "psychopompe", guidant les
âmes dans l’autre monde, et le Thot égyptien, inventeur de
l’écriture, maître des cultes et de la magie, conduit aussi l’âme des
défunts vers le tribunal infernal. L'attribut "Trismégiste" évoque les
trois manifestations successives d''Hermès. Il aurait d'abord vécu
pour inventer l'astronomie et la cosmogonie. Il se serait réincarné
pour patronner la philosophie et la médecine, puis encore pour
révéler l'idée du macrocosme microcosme, la similitude du cosmos et
de l'homme. La théorie débouche sur le grand œuvre des
Alchimistes, la transformation physique et mentale personnelle
préludant à la connaissance universelle. Elle est la base de
"l'hermétisme" en général, ainsi que de "l'herméneutique" (recherche
de compréhension profonde des textes religieux et théorie générale
de la connaissance). Plusieurs recueils sont attribués au Trismégiste,
dont le célèbre et ésotérique Corpus Herméticum dont on aurait
retrouvé des fragments à Nag Hammani.
Le caducée est un symbole très ancien. Le mot proviendrait du
sanskrit Kàrù (chanteur ou poète) repris en grec avec la signification
héraut ou envoyé, d'où cette attribution à Hermès. Dans les antiques
représentations, les serpents du caducée ne se croisent qu'une fois, et
les ailettes sont en bas. Apollon aurait donné un autre caducée à son
fils Esculape (Asclépios), un encombrant accessoire enroulé d'un seul
serpent. Avec le temps, les Hermétistes et autres Ésotéristes ont
approprié le symbole, comme support pratique. Car le caducée
d'Hermès comporte un axe vertical autour duquel s'enroulent deux
spirales entrelacées. Il peut ainsi imager la structure occulte du corps
humain. L'axe figurerait le canal vertébral contenant la moelle
épinière jusqu'au cerveau. L'énergie mentale, dite kundalini, s'y
élèverait directement de bas en haut en traversant une série de
nœuds vitaux appelés chakras. Les serpents enroulés représenteraient
deux canaux énergétiques complémentaires, positifs et négatifs,
masculin ou féminin, ou liés au Soleil et à la Lune. À chaque
croisement, s'opèrerait le passage de l'un à l'autre, et inversement.
Beaucoup d'interprétations ont été proposées.
52
Les écrits hermétiques 1 - Korê Kosmou - Le
Livre sacré
(la Vierge du Monde ou l'Œil du Monde)
Depuis le 2ème siècle, de très nombreux écrits ont été attribués à
Hermès Trismégiste. Leur véritable origine est inconnue. Ils nous
sont surtout parvenus en grec, mais aussi en latin, en copte, en
syriaque, et même en arabe. Tous se présentent comme de
prétendues traductions depuis la langue sacrée (et secrète)
égyptienne, sans qu'aucun original n'ait été découvert. Les auteurs
sont manifestement multiples, et il s'agit toujours de révélations
prétendument d'origine divine, d'Hermès en particulier, d'où
l'appellation courante d'écrits hermétiques. Il est généralement admis
qu'un milieu déterminé les a produit en grande quantité pendant une
longue période. Ce pourrait être l'œuvre de la classe sacerdotale
égyptienne, gardienne des traditions, répondant aux acculturations
répétées, grecque, romaine, chrétienne, puis musulmane. Ces écrits
diversifiés contiennent des traités astrologiques ou magiques, des
exposés philosophiques et cosmogoniques, des enseignements et des
instructions à caractère religieux ou médical. On y trouve aussi les
fondements de l'alchimie.
La variété des sujets traités peut surprendre un occidental actuel. Á
l'époque, ces différentes disciplines étaient généralement confondues
dans une commune approche culturelle. Même habitant l'Olympe, les
dieux grecs naissaient et vivaient sur Terre, et ils intervenaient
souvent dans les affaires humaines. Hermès apparaissait logiquement
comme un intercesseur divin. Les chercheurs antiques ne
distinguaient pas clairement la matière inerte de la vivante, et ils
attribuaient des qualités analogues aux deux natures. Dans sa
dimension matérielle, le travail alchimique pouvait alors paraître
raisonnable. Les idées platoniciennes et les connotations iraniennes
et bibliques ont également marqué ces écrits. Dans leur actuelle
présentation, on les sépare commodément en deux groupes pour en
faciliter l'étude. Un premier ensemble réunit tous les textes
ésotériques, philosophiques ou religieux. C'est ici que l'on trouvera
les dix-huit traités du "Corpus Hermeticum", et "Asclépius". Un
53
second objet d'étude rassemble les textes alchimiques comme la très
célèbre "Table d'Émeraude".
Nous évoquerons d'abord un premier traité dont les fragments en
grec sont essentiellement issus de la collection constituée au 5e
siècle. Comme la plupart des écrits hermétiques reconstitués, il n'est
pas complet. Le début et la fin du texte manquent. D'inspiration
égyptienne, il réunit plusieurs parties assez hétérogènes. Ce texte
capital est habituellement connu sous l'appellation de "Korê
Kosmou", (ou Minerva Mundi en latin), dont la meilleure traduction
paraît être la "Vierge du Monde". Dans cette cosmogonie, la déesse
égyptienne Isis révèle à son fils Horus ce qu'a été le rôle d'Hermès
dans la genèse du Monde et des dieux, la création des âmes, la
naissance du Zodiaque et des astres, l'origine des êtres vivants, la
faute des âmes et leur incorporation dans le corps des hommes, la
formation de la Terre, les crimes des humains et la promesse d'un
renouveau. Plusieurs rédacteurs ont manifestement ouvré à la
constitution de ce traité métaphysique dont le sujet demeure
néanmoins globalement cohérent malgré l'insertion de plusieurs
importantes digressions
Voici un court extrait de la genèse du
Monde dans Koré Kosmou
../.. Dieu sourit et dit "Que la Nature
soit !",
et un objet féminin de toute beauté
jaillit de sa voix,
ce qu'ayant vu, les dieux furent saisis
de stupeur.
Le Dieu Premier Père, l'honora du
nom de Nature,
et lui ordonna d'être féconde.
Voici encore les mots qu'il prononça
en fixant du regard l'espace
54
environnant.
"Que le ciel soit rempli de toutes
choses,
et l'air ainsi que l'éther !".
Dieu dit, et cela fut.
Or, s'étant consultée elle-même,
Nature connut qu'elle ne devait pas
désobéir
au commandement de son père,
et, s'étant unie à Labeur,
elle enfanta une fille belle
qu'elle nomma "Invention"../..
Au commencement, dit Isis, l'Ignorance régnait sur le Monde.
L'Artisan de l'Univers décida de se révéler tel qu'il est. Il inspira aux
dieux un élan d'amour et déversa généreusement sa lumière dans
leurs intelligences. Le dieu Hermès, ayant compris ces choses, les
grava et cacha la gravure, puis il remonta vers les astres, laissant
pour successeurs Thot et Asclépios. Cédant à la prière des dieux, le
Dieu Roi créa la Nature et lui ordonna d'être féconde. Puis il prit de
son propre fond suffisamment de souffle qu'il unit à du feu et à
d'autres substances inconnues. Le mélange entra en ébullition, et de
sa vapeur invisible, Dieu fit naître des myriades d'âmes éternelles, et
leur ordonna de lui être soumises. De la mousse du mélange, il forma
les signes du Zodiaque (et les astres), puis il abandonna le reste du
mélange aux âmes pour qu'elles en créent le peuplement du Monde.
De la croûte légère, elles modelèrent la race des oiseaux, puis de la
pâte épaissie, les poissons et quadrupèdes, et du fond refroidi, les
reptiles. Puis elles s'enhardirent, transgressant audacieusement les
commandements.
Pour punir les âmes, Dieu décida de créer l'humanité. Il demanda aux
dieux célestes de doter la race nouvelle. Le Soleil promit de
resplendir davantage. la Lune proposa Terreur, Silence, Sommeil et
Mémoire. Kronos apporta Justice et Nécessité. Zeus donna Fortune,
55
Espérance et Paix. Arès disposait de Lutte, Colère et Querelle.
Aphrodite offrit Désir, Rire et Volupté. Hermès y joignit Sagesse,
Tempérance, Persuasion et Vérité. Il promit d'ajuster l'influence des
astres aux forces de chacun. Le Maître s'en réjouit, ordonnant que la
race humaine vint au jour. Hermès ajouta beaucoup d'eau au reste
desséché de la mixture pour en affaiblir la puissance, et le Monarque
ordonna que les âmes fussent incorporées dans l'ouvrage. Au
moment d'entrer dans la prison des corps, elles pleuraient et
suppliaient. Et le Maître dit. "C'est l'Amour, ô Âmes, et la Nécessité
qui régneront sur vous. Si vous me servez sans péché, vous habiterez
le ciel, si vous méritez le blâme, vous retournerez en la vie humaine,
et si vous commettez de grandes fautes, vous errerez sans fin dans
des corps animaux".
56
Le ciel égyptien aux nombreux cercles, dit Isis, domine sur toutes les
choses du monde inférieur, et l'harmonie du bas doit répondre à
l'éternelle beauté du haut. (Ce qui est en bas doit s'accorder à qui est
en haut). Dans leur châtiment, les âmes incarnées demeuraient
turbulentes, perturbant l'ordre universel. Leurs comportements
provoquèrent la colère des "Éléments" qui se plaignirent au
"Monarque". Le Feu demanda que des lois soient conférées à la race
humaine car il ne pouvait plus tolérer tous ses crimes. l'Air se
plaignit d'avoir à supporter ces funestes spectacles et d'être empuanti
par l'odeur de la mort. L'Eau ne voulait plus être à ce point souillée.
La Terre n'en pouvait plus de digérer les cadavres des guerres
innombrables. "Allez votre chemin sans abandonner mon univers",
répondit le divin Maître, "Voici que parmi vous, j'épands un second
effluve qui paiera son salaire à chaque homme". Il convenait donc
que nous mettions en œuvre les médiateurs et moyens de salut
nécessaires. Lorsque cela sera accompli, cher enfant, Osiris et moi
retournerons vers les habitants du ciel../..
Les écrits hermétiques 2 - Poïmandrès - (le
Pimandre ou Pymandre)
Poïmandrès, (le Pimandre ou Pymandre) est le premier traité du
Corpus Hermeticum. Ce titre grec paraît intraduisible. Poïmandrès
semble personnifier la révélation religieuse. Dans ce long dialogue, il
révèle à Hermès tous les secrets de la création. Hermès méditait
lorsque Poïmandrès apparut et déclara être le Noûs, l'archétype de la
Souveraineté absolue. Le Noûs, dit-il, est le Dieu Père, et ce qui
regarde et entend en toi, c'est le Verbe. C'est leur union qui est la
Vie. Le Volonté divine, ayant reçu en elle le Verbe et ayant vu
l'Archétype du Monde, façonna les éléments du Monde. Le Noûs,
étant Mâle et Femelle, existant comme Vie et Lumière, enfanta un
Démiurge, (Noûs Second), qui façonna les sept Gouverneurs, (les
planètes astrologiques), régisseurs du Destin. Et le Verbe de Dieu,
57
s'unissant au Démiurge, les mit en rotation. Puis, selon le vouloir du
Noûs, le mouvement des Éléments produisit tous les animaux sans
raison, les oiseaux sortant de l'Air, les poissons issus de l'Eau, les
quadrupèdes et les reptiles provenant de la Terre.
Or le Noûs, Père de tous, étant Vie et Lumière, enfanta un Homme
semblable à lui, dont il s’éprit comme de son propre enfant. Car
l’Homme était très beau, reproduisant l’image de son Père. Dieu
l'aimant, lui livra toutes ses œuvres, et l'Homme qui avait plein
pouvoir sur le monde des mortels et les animaux sans raison, voulut
réaliser sa propre création. Il se pencha à travers l’armature des
sphères, et il fit montre à la Nature d’en bas de la belle forme de
Dieu. La Nature sourit d’amour car elle avait vu les traits de cette
forme merveilleusement belle de l’Homme se refléter dans l’eau, et
son ombre sur la terre. Pour lui, ayant perçu cette forme à lui
semblable présente dans la nature et reflétée dans l’eau, il l’aima et
voulut habiter là. Ce qu’il voulut dans son destin, il l’accomplit, et il
vint habiter la forme sans raison. Alors la Nature, ayant reçu en elle
son aimé, l’enlaça toute et ils s’unirent car ils brûlaient d’amour.
Voilà pourquoi, seul de tous les êtres, l’Homme est double, mortel de
par le corps, immortel de par l’Homme essentiel.
Et Poïmandrès livra à Hermès le mystère caché jusqu'alors. Lorsqu'il
s'unit à Nature, l'Homme originel avait en lui la force des
Gouverneurs, issus du feu et du souffle divins. Et la Nature enfanta
sur l'heure sept hommes androgynes se tenant debout. La terre en fut
l'élément femelle et l'eau l'élément générateur, le feu conduisit la
maturation et l'éther procura le souffle vital. Á la fin de la période, de
Vie et Lumière qu'il était, l'Homme se changea en Âme et en
Intellect. Et tous les vivants, à la fois mâles et femelles, tout comme
l'Homme, furent séparés, les mâles d'une part et les femelles de
l'autre. Dieu dit, " Croissez et multipliez-vous tous. Que celui qui a
l'intellect se reconnaisse lui même comme immortel, et qu'il sache
que la cause de la mort est l'amour. Car celui qui chérit le corps issu
de l'amour demeure dans l'Obscurité de sa nature humide, là où
s'abreuve la mort. Lumière et Vie, voilà ce qu'est le Dieu et Père de
qui naquit l'Homme. Si donc, tu te reconnais comme étant fait de Vie
et de Lumière, tu retourneras à la vie.
58
Moi, le Noûs, je me tiens auprès de ceux qui sont saints, bons, purs
et miséricordieux, car avant d'abandonner leurs corps à la mort qui
leur est propre, ils ont détestation de leurs sens. Et pour les mauvais,
les cupides, les meurtriers, je laisse la place au démon vengeur qui
excitera sans fin leurs désirs sans les satisfaire. Quant à la remontée,
sache que le corps matériel et le moi habituel sont livrés à
l'altération. Les sens corporels remontent à leurs sources, et les
colères et les compulsions retournent à la nature privée de raison.
L'Homme s'élève alors à travers l'armature des sphères, abandonnant
les ambitions, la malice, les illusions des désirs, l'impiété et la
présomption, l'appétit de richesse et les mensonges. Libre, et avec sa
seule puissance, il entre dans la nature de "Ogdoade" qui est dans la
huitième sphère, celle des étoiles fixes, où règne le Noûs, par dessus
les sept sens. Devenu Puissance, l'Homme entre en Dieu avec toutes
les autres Puissances. Car la fin bienheureuse de ceux qui possèdent
la connaissance, c'est devenir Dieu.
Les écrits hermétiques 3 - Asclépius - (Esculape Imhotep)
Asclépius est un écrit hermétique dont on a trouvé des fragments à
Nag-ammadi. C'est la traduction latine du Telios logos, le traité
parfait, texte en grec qui semble perdu. Ce recueil rassemble
plusieurs sections conceptuellement distinctes. Hermès s'y adresse à
Asclépius, devant Tat et Ammon, (mal identifiés). L'introduction
traite de l'Unicité de Dieu. Toutes choses dépendent d'un seul, et ce
UN est Tout puisque toute chose existait dans le Créateur avant sa
création. La divinité est un fleuve impétueux se déversant de haut en
bas. Le "Ciel" gouverne tous les corps, mais il est gouverné par Dieu,
comme l'âme. Chez les Néoplatoniciens, les configurations
astrologiques déterminent les destins terrestres. Toutes les âmes sont
immortelles mais elles ne reçoivent pas l'effluve divin de la même
façon. La Nature détermine différemment les propriétés des genres
au moyen des quatre éléments. Les genres soit immortels, tous les
59
individus ne le sont pas. Ainsi le genre des dieux produit des
immortels, et le genre des hommes produit des mortels.
L'homme est une grande merveille. Privilégié dans sa nature, il est
uni aux dieux par sa partie divine, et il peut mépriser la partie
terrestre de son être. Il peut aimer les inférieurs et être aimé de ceux
qui le dominent. Parmi tous les genres d'êtres qui sont pourvus d'une
âme, certains ont des racines qui poussent vers le haut, et d'autres,
vers le bas. Certains se nourrissent d'aliments d'une seule sorte, et
d'autres, de deux sortes. Car il y a des aliments pour l'âme et d'autres
pour le corps, les deux parties qui composent les vivants. Le souffle
divin les anime tous. Seul l'homme reçoit en plus l'Intellect venant de
l'Éther, afin qu'il ait connaissance du plan divin, mais tous les
hommes ne l'atteignent pas. Seul parmi les vivants, l'homme est
double. Sa partie essentielle est simple, formée à la ressemblance de
Dieu. Sa part terrestre matérielle est quadruple. D'elle que provient le
corps qui enveloppe la partie essentielle. Il est comme un abri où
repose, seule avec soi même et avec ses sens d'esprit, la pure divinité
intérieure.
Quand le Créateur eut fait le Dieu sensible et visible, second après
lui, (désigne tantôt le Soleil, tantôt le Monde), il le trouva beau et
l'aima comme son enfant. Il voulut qu'il existât un autre être pour le
contempler, et créa l'Homme essentiel à cette fin. Il lui donna ensuite
un corps pour domicile, le composant convenablement des deux
natures, éternelle et mortelle. Ainsi l'homme peut prendre soin de
toutes choses, adorer les célestes et gouverner les terrestres. Parmi
tous les vivants, divins et mortels, seul l'Homme admire et révère les
êtres célestes. Dans la hiérarchie des vivants, Dieu est le premier, le
Monde est le second, et l'Homme est le troisième. Quand l'homme se
connaît, il connait aussi le Monde et révère Dieu, car Dieu a deux
images, la première est le Monde, et la seconde est l'Homme. La
première règle de la vie de l'homme, c'est la piété, ce qui implique la
bonté. La seconde règle est le mépris des objets étrangers au divin.
Ils ne sont que réponses aux appétits du corps, impliquant donc
grand dédain pour leur source mortelle.
60
Á l'origine, il y a Dieu et Hylé (la matière). Le Souffle (Pneumal'Esprit) était dans la matière, mais non pas comme étaient en Dieu
les principes du Monde. Dieu éternel ne peut être engendré, ni n'a pu
l'être. La nature de Dieu est toute entière issue d'elle même. Quant à
Hylé et au Souffle, bien qu'ils soient inengendrés, ils ont le pouvoir
de naître et d'engendrer. La nature même de la matière inengendrée
est d'être capable d'engendrer. Et si la matière peut enfanter, elle peut
aussi enfanter le Mal. Le Dieu suprême s'est prémuni contre le Mal
en gratifiant les âmes humaines d'intellect, de science, et
d'entendement. Par ces facultés, nous pouvons échapper aux ruses et
aux corruptions du mal, car toute science humaine a son fondement
dans la souveraine bonté de Dieu. Quant au Souffle, il procure et
entretient la vie dans tous les êtres du monde lequel obéit comme un
instrument à la volonté du Dieu suprême. C'est du Souffle que Dieu
remplit toutes choses, l'insufflant en chacune d'entre elles selon la
mesure de sa capacité naturelle.
La substance de toutes les formes sensibles du Monde, c'est la
matière. Mais l'intellect est un don céleste fait aux seuls hommes
dont l'âme est apte à le recevoir. L'intellect illumine l'âme humaine
comme le Soleil éclaire les jours, et se mêlant à elle, il la défait de
l'erreur. Hermès veut révéler de grands secrets, disant qu'il y a de
nombreux dieux dont certains sont accessibles aux sens, et d'autres à
la seule intelligence. Ces dieux seulement intelligibles sont les
maîtres des espèces. Ils dominent sur les dieux visibles (les planètes)
qui régissent les êtres naturels. Le grand maître du Ciel est le Soleil,
(appelé ici Juppiter), qui dispense la lumière. Les trente-six astres
fixes, (Horoscopes ou Décans), dépendent du dieu Pantomorphe qui
impose leurs formes aux individus, et les Sept Sphères obéissent à
l'Heimarménè, qui est le destin. Les choses mortelles sont liées aux
immortelles, et les visibles aux invisibles. Mais tous les êtres
dépendent et découlent de la volonté du UN suprême. Et donc, en
lui, ils sont unifiés en un seul couple.
Dieu n'a pas de nom, ou les a tous, étant à lui seul toutes choses. Il
est infiniment rempli de la fécondité des deux sexes, enfantant tout
ce qu'il veut créer, et sa volonté toute entière est bonté. C'est la
nature des êtres de sentir et d'engendrer, car le Monde doit conserver
toutes les races venues à l'être. Le mystère éternel de reproduction a
61
donc été accordé à tous, avec ce qu'il comporte de joie, de désir et
d'amour, don de Dieu, union de la vigueur virile à la douceur
féminine. Les êtres se succèdent dans les espèces et le Monde
demeure lui-même toujours en vie, dans le passé, dans le présent,
dans l'avenir. Chacune des parties du Monde est donc toujours en
vie, selon son être, dans l'éternité, et il ne reste aucune place pour la
mort. Dès lors, le Soleil gouverne éternellement les choses capables
de vivre, et Dieu leur dispense éternellement la vie même. L'éternité
immobile de la vie est le lieu où se meut le Monde dans le cours
éternel du temps. Ainsi, Dieu et l'Eternité sont les causes premières
de tout ce qui existe dans la mobilité du Monde.
Voici un court extrait de la fin du recueil
d'Asclépius
Étant sortis du sanctuaire, nous
commençâmes à prier Dieu
en nous tournant, comme il convient, dans la
direction du Soleil,
et je proposai d'accompagner d'encens notre
prière.
Mais Hermès intervint. Silence, Asclépius !
C’est une sorte de sacrilège, quand on prie
Dieu,
de brûler de l’encens et tout le reste.
Car rien ne manque à celui qui est lui-même
toutes choses, ou en qui sont toutes choses.
Nous rendîmes alors grâce pour la lumière
reçue,
pour l'intellect, la raison et la connaissance,
et priâmes Dieu qu'il nous
62
maintienne toujours en cet état.
Et avec ces vœux, nous prîmes un repas très
pur
que ne souillait nul aliment ayant eut vie
sous le Soleil.
(Hermès Trismegiste - Asclépios - Imouthès).
63
L'intellect divin total, à l'image de la divinité, est incorruptible et
saint. Il est l'éternité du Dieu suprême qui se tient dans la vérité
absolue, infiniment rempli de toutes les formes sensibles et de l'ordre
universel. L'intellect second, plus limité, du Monde, contient toutes
les formes et tous les ordres particuliers. L'intellect tiers de l'Homme
découle de son pouvoir de garder en mémoire le souvenir des
expériences passées. La descente de l'intellect dans la création
s'arrête à l'animal humain. Par la mémoire, l'Homme acquiert la
connaissance des choses observées et monte ainsi vers l'intellect
second, mais le caractère de l'intellect divin véritable lui demeure à
jamais mystérieux. Cependant, l'intellect du Monde s'élève à la
connaissance de l'éternité de Dieu. C'est par ce moyen que les
hommes peuvent entrevoir les choses du ciel. Ainsi pouvons-nous
comprendre qu'il n'y a pas d'espace vide, car toutes les parties du
Monde sont absolument pleines de formes variées, sensibles ou
intelligibles, toujours changeantes dans la révolution du cercle du
temps.
Dieu a créé les dieux du Ciel, et l'Homme est l'auteur des dieux des
temples. Ayant reçu la lumière de vie, il a désiré en doter des dieux
terrestres. Mais les images de dieux façonnées par l'Homme sont
formées des deux natures distinctes, matérielle et divine. Incapable
de créer des âmes, l'Homme a rituellement capturé celles d'anges ou
de démons qu'il a introduites dans ces images. Il en résulte que ces
idoles peuvent faire le Bien ou le Mal. Elles sont facilement irritées,
mais peuvent être secourables. Car l'Homme redoute la mort et la
souffrance. La mort est le résultat de la dissolution du corps quand il
cesse de pouvoir supporter les charges de l'âme humaine. Quand
l'âme se retire du corps, elle passe sous la domination de Génie
suprême qui la met en jugement. Si elle s'est montrée pieuse et juste,
elle peut gagner le séjour qui lui revient. Si elle est marquée par le
péché et souillée par les vices, elle est précipitée dans les lieux
inférieurs où elle subira un châtiment en proportion de ses mérites,
car la divinité connaît tous nos actes.
Les écrits hermétiques 4 - Discours d'Asclépius
au Roi Ammon
(Du Soleil et des Démons)
64
Condensé inspiré par
"ÉTUDE SUR L'ORIGINE DES LIVRES HERMÉTIQUES"
PAR LOUIS MÉNARD
Je t'adresse, ô roi, un grand discours qui résume tous les autres.
Hermès mon maître, disait que l'on croit trouver en mes livres une
doctrine simple et claire, tandis que, au contraire, elle est obscure et
contient un sens caché. Elle est devenue plus obscure encore depuis
que les Grecs ont voulu la traduire dans leur langue. Ô roi, fais que
ce discours ne soit point traduit, de peur que ces mystères ne
pénètrent chez les Grecs, et que leurs phrases surchargées
d'ornements n'en amoindrissent la gravité. Leur philosophie, ô roi,
est un bruit de paroles, tandis que nous employons la grande voix des
choses. J'invoquerai d'abord le Dieu maître de l'univers, créateur et
père, qui enveloppe tout, qui est tout dans un et un dans tout.
(Remarquez la conviction délibérément panthéiste exprimée dans ce
propos, Dieu est tout et dans tout). La plénitude de toutes choses est
l'unité. On distingue donc vainement le Tout et l'Unité en appelant
"Tout" la seule multitude des choses et non leur plénitude. Le "Tout"
n'existe plus si on le sépare de "l’Unité". Si l'unité existe, elle est
dans la totalité. Or, elle existe et ne cesse jamais d'être une dans la
plénitude. Conserve cette pensée, ô roi, pendant tout l'exposé de mon
discours.
Ainsi voit-t-on dans l'intérieur des terres des sources jaillissantes
d'eau et de feu, ces trois natures (du feu, de l'eau et de la terre)
partant d'une commune racine. Cela montre que la matière fournit
tout en abondance en recevant l'existence d'en haut. Car le ciel et la
terre sont menés par leur gouverneur, le Soleil, qui fait descendre
l'essence et monter la matière. Attirant le Monde à lui, il donne tout à
tous et prodigue les bienfaits de sa lumière. Il répand ses
bienfaisantes énergies dans le ciel et dans l'air, sur la terre et jusque
dans les profondeurs de l'abîme. Si il y a une Essence Intelligible
(accessible à la compréhension), c'est bien la substance du Soleil
englobée dans sa lumière. Nous ignorons quelles en sont la
constitution et la source. Pour les comprendre, il faudrait être
65
analogue à sa nature. Mais ce que nous voyons n'est pas imaginaire,
c'est la vision splendide de ce qui illumine tout le monde supérieur.
Le Soleil est établi au centre de l'univers comme un grand roi qui
porte la couronne. Il est le conducteur qui dirige et maintient le char
du monde en l'empêchant de s'égarer. Il tient les rênes qui sont la vie,
l'âme, l'esprit, l'immortalité, la génération, et le mène près de lui, et
avec lui.
Le Soleil forme toutes choses. Il donne aux immortels la permanence
éternelle. La lumière pure monte vers le ciel pour nourrir la part
immortelle du Monde. La lumière dense illumine l'eau, la terre, et
l'air. C'est la matrice où germe la vie dans ses naissances et ses
métamorphoses. Le Soleil active les corps animaux en les faisant
passer d'un genre à l'autre, d'une apparence à l'autre, en équilibrant
leurs transformations. La permanence des corps animaux nécessite
leur rénovation. Les corps immortels sont indissolubles mais les
corps mortels doivent se renouveler. La création de la vie par le
soleil est continue comme sa lumière, et rien ne l'arrête ou ne la
limite. De nombreux chœurs de Démons se tiennent autour du Soleil,
surveillant les choses humaines. Sur les ordres des Dieux, ils
punissent l'impiété par les tempêtes et les ouragans, les incendies, les
séismes, les famines et les guerres. Le grand crime des hommes, c'est
l'impiété. La fonction des Dieux est de faire le bien, celle des
Hommes d'être pieux, celle des Démons de châtier. Mais les Dieux
ne punissent pas les fautes commises par l'erreur ou la témérité, par
la destinée ou l'ignorance. Leur justice s'abat seulement sur l'impiété.
Le Soleil prend soin de tous les êtres. Le monde des idées enveloppe
le monde sensible y répandant la plénitude et la variété des formes.
De même, le Soleil enveloppe tout de sa lumière, réalisant partout les
naissances et les mutations des êtres, et accueillant leurs fins. Le
Soleil régente aussi les chœurs des Démons, chaque astre ayant les
siens, bons, neutres ou méchants, de par leur nature. L'action des
démons préposés aux choses de la terre bouleverse la condition des
êtres et façonne les âmes à leur ressemblance. Á la naissance, chacun
est saisi par des démons déterminés par la position des astres. Ce ne
sont donc pas toujours les mêmes. Ils pénètrent dans l'âme de désir
qu'ils façonnent selon leur nature propre. La partie raisonnable de
l'âme ne leur est pas soumise. Elle est disposée pour recevoir Dieu,
66
qui peut l'éclairer d'un rayon singulier. Les démons n'ont aucun
pouvoir contre ce rayon du Soleil. Mais ceux qui sont ainsi éclairés
sont peu nombreux. Tous les autres, âmes et corps, sont dirigés par
les démons. Ils s'y attachent et en aiment les œuvres. Ainsi, les
démons dirigent les choses terrestres, et nos corps leur servent
d'instruments. C'est ce pouvoir qu'Hermès appelle la Destinée.
Le monde intelligible se rattache à Dieu et le monde sensible au
monde intelligible. Á travers ces deux mondes, le Soleil conduit
l'effluve de Dieu qui est la création. Autour de lui s'étendant les huit
sphères, celle des étoiles fixes, les six sphères des planètes et celle
entourant la terre. Les démons sont attachés aux sphères et les
hommes aux démons. Ainsi, d'une certaine façon, tous les êtres sont
rattachés à Dieu qui est le père universel. Le créateur, c'est le Soleil,
et le Monde est l'instrument de la création. L'essence intelligible
dirige le ciel, et le ciel dirige les Dieux. Ceux-ci commandent aux
démons qui gouvernent les hommes. Telle est la hiérarchie des
Dieux et des démons, et telle est l'œuvre que Dieu accomplit par eux
et pour lui-même. Toute chose est une partie de Dieu, ainsi Dieu est
tout. En créant tout, il se crée lui-même sans jamais s'arrêter, car son
activité n'a pas de terme, et, de même que Dieu est sans bornes, sa
création n'a ni commencement ni fin. Les formes incorporelles
peuvent se manifester dans les corps, et il y a donc une réflexion du
monde sensible sur le monde idéal, et du monde idéal sur le monde
sensible. Ô roi, adore donc les statues qui tirent leurs formes du
monde sensible.
Les écrits hermétiques 5 - La Table d'Emeraude
-(la pierre d'Hermès)
Cet exposé traite de la légende de la "Tabula
Smaragdina",
(et non pas de l'art de l'Alchimie)
67
C'est dans un ouvrage attribué à Apollonios de Tyane, que l'on
trouve la première trace de la fameuse "Table d'Emeraude".
Apollonius était un étonnant personnage du 1e siècle. Ce
Néoplatonicien grec est entré dans la tradition arabe comme
philosophe, mage, prophète et théologien. De nombreux ouvrages
ont été propagés sous son nom. Une traduction arabe du "Livre du
secret de la création" faite par un prêtre chrétien de Naplouse,
Sâgijûs, au 6e siècle, se présente comme un récit fait par Balînûs
(arabisation d'Apollonius). Il raconte la découverte de la "Table
d'Émeraude et se termine par le premier texte connu de son
contenu. Balînûs aurait connu dans jeunesse à Tyane une
intrigante statue d'Hermès. Devenant plus âgé, il creusa dessous et
découvrit un long souterrain menant à une chambre funéraire
dans laquelle se tenait un vieillard, (Hermès), assis sur un trône
d'or, devant un livre. Il tenait entre ses mains la fameuse "Table
d'Émeraude". Balînûs s'empara hardiment du livre, et découvrit
sur la tablette le texte qui suit.
Dans le livre de Balînûs, la partie relative à la Table d'Émeraude
semble être accessoire. Il commence par se présenter comme un
sage, maître des talismans et des choses merveilleuses. Il aurait reçu
du Maître de l'Univers une science toute particulière, supérieure à la
nature. Il aurait découvert par les sens intérieurs tout ce qui est
imperceptible aux sens extérieurs ordinaires. Ainsi est-il capable
d'expliquer la nature du Monde. Toutes les choses sont composées de
quatre principes élémentaires, le chaud, le froid, l'humide, et le sec.
Ils se sont combinés ensemble dans un même mouvement de
rotation, formant une seule sphère, jusqu'à ce que des incidents en
séparassent certaines parties. De ces séparations sont issus tous les
êtres dont la nature est identique mais dont les formes diffèrent selon
les proportions relatives des principes élémentaires qui les
composent. Ces combinaisons variées génèrent des rapports de
sympathie ou d'antipathies entre la substance des différents êtres qui
s'attirent donc ou se repoussent, ce qui est le fondement de la
science.
Le texte classique de la Table d'Emeraude
68
Ceci est la traduction française de la "vulgate" latine,
la "Tabula Smaragdina", ci-dessus, publiée au 14e
siècle.
1. Il est vrai sans mensonge, certain et très véritable.
2. Ce qui est en bas, est comme ce qui est en haut:
et ce qui est en haut, est comme ce qui est en bas,
pour faire les miracles d'une seule chose.
3. Et comme toutes les choses ont été, et sont venues d'un,
par la méditation d'un:
ainsi toutes les choses ont été nées
de cette chose unique, par adaptation.
4. Le soleil en est le père, la lune est sa mère,
le vent l'a porté dans son ventre;
la terre est sa nourrice.
5. Le père de tout le telesme de tout le monde est ici.
Sa force ou puissance est entière,
6. si elle est convertie en terre.
7. Tu sépareras la terre du feu,
le subtil de l'épais doucement, avec grande industrie.
8. Il monte de la terre au ciel, et derechef il descend en terre,
et il reçoit la force des choses supérieures et inférieures.
Tu auras par ce moyen la gloire de tout le monde;
et pour cela toute obscurité s'enfuira de toi.
9. C'est la force forte de toute force:
car elle vaincra toute chose subtile,
et pénétrera toute chose solide.
10. Ainsi le monde a été créé.
11. De ceci seront et sortiront d'admirables adaptations,
desquelles le moyen en est ici.
12. C'est pourquoi j'ai été appelé Hermès Trismégiste,
ayant les trois parties de la philosophie de tout le monde.
Ce que j'ai dit de l'opération du soleil est accompli, et parachevé.
69
Le terme "telesme" serait dérivé d'un vocable grec
signifiant perfection ou accomplissement.
Le texte de la découverte de la Table
d'Emeraude par Balînûs
Je suis le sage Belînûs, qui possède l'art des talismans et
des choses merveilleuses../..J'étais orphelin du peuple de
Tyane, indigent et dénué de tout. Il y avait dans ces lieux
une statue de pierre sur une colonne où l'on pouvait lire
ces mots : "Je suis Hermès à qui la science a été donnée
../.. Si quelqu'un désire connaître le secret de la création
des êtres, qu'il regarde sous mes pieds". Mais sous les
pieds, il n'y avait rien. Devenu plus âgé, je compris le
sens de ces paroles et j'entrepris de creuser sous la
colonne. Je découvris un souterrain où régnait une
profonde obscurité et un vent violent. Plus tard, dans
mon sommeil, un vieillard m'apparût, me disant : "Lèvetoi, Bélînûs, place ta lampe sous un vase transparent, et
va dans le lieu ténébreux." J'abritai ma lumière comme il
avait dit, et j'entrai dans le souterrain. J'y vis un vieillard
70
assis sur un trône d'or. Il tenait d'une main une tablette
d'émeraude sur laquelle était écrit : "C'est ici la
formation de la nature". Devant lui était un livre sur
lequel on lisait : "C'est ici le secret de la création des
êtres, et la science des causes de toutes choses". Je pris
ce livre hardiment et sans crainte, et je sortis de ce
lieu. J'appris ce qui était écrit dans ce livre du secret de
la création des êtres, Je compris comment la nature
avait été formée et j'acquis la connaissance des causes de
toutes choses.
("Le Livre du secret de la création", de Balînûs)
. La doctrine des rapports de sympathie ou d'antipathie présentée par
Balînûs semble dériver des idées énoncées par Aristote cinq siècles
plus tôt. Celui-ci proposait déjà le couplage des principes pour
aboutir à la constitution des quatre éléments apparemment simples :
le feu, l’air, l’eau et la terre. Comme celle des quatre éléments, celle
des quatre principes n’a plus actuellement de valeur scientifique,
mais elle demeure une clé symbolique fondamentale pour
comprendre comment l'alchimie propose de maîtriser l’énergie et les
composantes de la nature. Une autre partie du "Livre du secret de la
création" attire l'attention. Le récit de la découverte de la Table
d'Émeraude dans une chambre funéraire au fond d'un tombeau
souterrain avec le corps d'Hermès sur son trône d'or, présente des
analogies évidentes avec la découverte du tombeau de Christian
Rosenkreutz avec le petit livre d'or, telle que la raconte Valentin
Andreae. Or, les Rose Croix ont constitué l'un des vecteurs majeurs
de la diffusion des idées alchimiques en Europe, en leur temps.
71
CHAPITRE 4 – Les antiques religions à Mystères
Introduction
Entre les années ~300 et +400, l'empire de Rome est à
son apogée. Il a intégré le grand Empire d’Alexandre et
s’étend de la Manche à la Mer Rouge et à l’Atlantique,
incluant la Grande Bretagne, la Gaule, une partie de la
Germanie, l'Ibérie, l'Italie, la Grèce et les Balkans, l'Afrique
du Nord, l'Egypte, la Perse, la Turquie et tous les petits
états riverains de la Méditerranée, (la Mare internum, ou
Mare nostrum, la Mer Romaine privée). Malgré les grandes
difficultés liées à la dimension de l’empire et aux
ambitions humaines, les empereurs romains ont su
mettre en place les structures politiques, administratives,
économiques, commerciales, juridiques, militaires, (et
même religieuses), nécessaires pour faire fonctionner cet
immense ensemble et assurer sa sécurité. Jamais dans
l’Histoire, les échanges n’ont été plus faciles et plus sûrs,
au sein de l’ensemble méditerranéen unifié, qu’au temps
des Romains. Les cités et les campagnes reçoivent l’eau
distribuée par des aqueducs. Des réseaux de voies de
communication, terrestres et maritimes, permettent de
voyager et de commercer facilement dans tout l’Empire.
ème
ème
et le ~14
siècle,
Cette situation a débuté entre le ~16
et elle s'est poursuivie pendant plus de mille ans. La Bible
ème
ème
hébraïque a été rédigée entre le ~11
et le ~3
siècle
avant J.C. Á la fin de cette époque, l'influence grecque et
les idées platoniciennes ont profondément marqué la
société romaine, et elles ont gagné tout l’Empire. Rome et
Alexandrie sont devenues des foyers d’illumination
spirituelle et des creusets de transmutation, marqués par
72
une grande tolérance. Dans les quelques siècles qui
encadrent la naissance du Christianisme, de nombreux
courants de pensée circulent dans le monde antique. Des
temples aux divers dieux sont construits partout. Il y a
même à Rome un temple au "Dieu inconnu". Les
différentes écoles cohabitent et envoient des missions un
peu partout pour répandre leurs cultes et leurs idées, (et
cela concerne aussi la Palestine et le Judaïsme). Cette
importante turbulence amène des confrontations qui
opposent les anciens cultes agraires traditionnels aux
religions spiritualistes nouvelles et aux idées des
penseurs néo-platoniciens, hermétistes, gnostiques et
chrétiens.
Les religions à Mystères
Les cultes à mystères apparaissent progressivement dans le Monde
romain entre les années ~300 et +400, et ils introduisent dans les
croyances et pratiques religieuses antiques des concepts
d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection et des rituels
initiatiques originaux. Sous l’influence de l’hellénisme plus ou
moins platonicien qui les tolère, et au contact des très nombreux
immigrants qui s’installent dans l’empire, les Romains accentuent
encore leur grande facilité d’assimilation. Ils adoptent les nouveautés
doctrinales des croyances étrangères et transforment les cultes
orientaux dont les pratiques inhabituelles viennent secouer la morne
monotonie de leurs habitudes. La plupart des nouvelles liturgies, (et
ultérieurement le Christianisme), s’adressent à des dieux souffrants
dont les cultes évoquent la passion. Les fidèles reproduisent sur euxmêmes les tribulations du dieu. Ces pratiques entraînent des
privations pénibles et des souffrances occasionnellement sanglantes.
Elles provoquent aussi de frénétiques comportements de
défoulement et des émotions violentes qui fascinent les citoyens
romains blasés et fatigués par la décomposition politique et les
traditions vieillissantes. Les nouveaux initiés pratiquent même
73
parfois de graves automutilations et des rites pénitentiels de
flagellation. Le plus souvent, des paroxysmes extatiques
accompagnent la révélation progressive du dieu.
La religion romaine traditionnelle avait essentiellement une fonction
de cohésion civique. Les nombreux dieux romains habitaient la
Terre, intervenant souvent dans les affaires humaines. Les cultes à
mystères s'adressent à des divinités abstraites. Les plus connus sont
les Mystères d’Éleusis, qui célébraient les deux déesses, Déméter
(Cérès à Rome), et Perséphone, mais d’autres vénérations
concernaient Apollon, Dionysos, Cybèle et Attis, Mithra, Astarté,
Pan, Adonis (et Atargatis, déesse syrienne proche du précédent). Il
faut aussi citer des cultes égyptiens tardifs très cotés à l'époque
ptolémaïque et romaine tels ceux d’Isis, Osiris, Sérapis, ou Anubis.
On rencontrait aussi l'Orphisme, l'Hermétisme (Hermés
Trismégiste), et divers Ba’al, (sauveurs), dont ceux connus en Syrie
sous les noms de Jupiter Héliopolitain (ou Dolichénien), auxquels
s'ajoutaient les divers courants gnostiques et le Christianisme
primitif. Les liturgies, prenantes et colorées, s’appuient sur des
initiations successives qui expliquent les significations cachées des
Mystères. Elles sont accompagnées de baptêmes exaltants dont les
rites de mort et de résurrection ponctuent la progression des initiés
vers le salut dans un autre monde. Dans chaque niveau initiatique,
des cérémonies marquent l’entrée dans une fraternité accueillante, et
les rituels comportent souvent des repas en commun qui soudent la
communauté.
On distingue les cultes qui dérivent des mythes agraires, attachés au
cycle des saisons, de ceux qui visent à relier les âmes humaines au
domaine divin. Mais les doctrines intègrent souvent les concepts
platoniciens ou mélangent les deux aspects. Un culte ancien est
l'Orphisme, dont le héros, Orphée, bien connu par la légende
d'Eurydice, serait apparu 1300 ans avant J. C. Fils d'Apollon (ou du
roi Œgrus), et de la muse Callipyge, mi-homme, mi-dieu, il serait à
l'origine des Mystères d'Eleusis. Á la fois religion initiatique et
philosophie, l'Orphisme postule que l'âme humaine réside dans la
prison du corps pour expier un crime originel. Elle s'en purifiera,
74
après de nombreuses incarnations, par l'ascétisme et l'initiation
spirituelle. Les Orphistes étaient végétariens. L'Orphisme, religion de
salut, serait un prélude au Christianisme. Dionysos est aussi un dieu
particulier. Fils de Zeus et de Sémélé, qui mourut enceinte en
contemplant la gloire du dieu. Zeus porta l'enfant dans sa cuisse
jusqu'à sa naissance. Deux fois né, Dionysos est le dieu du vin et de
la vie exubérante. Il visita les Enfers, et poursuivi par la jalousie
d'Héra, il fut démembré par les Titans avant de devenir immortel. On
le célébrait aux fêtes des Dionysies. Il était l'objet d'un Culte à
Mystère dont le Cortège Dionysiaque de Satyres et de Ménades,
conduit par Silène, aurait déchiré Orphée.
Les Mystères d’Éleusis célébraient le culte de Déméter (l’antique
Terre-Mère préhellénique) et de Perséphone ou Coré, la fille qu’elle
conçut de Zeus. C'est une déesse agraire qui occupe une place
importante dans la religion grecque. Associée à l’abondance, elle est
identifiée à Cérès par les Romains. Dans la légende éleusinienne,
Hadès, dieu des enfers, enleva la jeune Coré. Brisée de chagrin,
Déméter abandonna sa fonction et la Terre devint stérile. Devant le
désastre, Zeus chargea Hermès de libérer Coré. Le rusé Hadès offrit
à la jeune femme une grenade dont elle mangea un seul grain. Ayant
goûté à la nourriture des morts, elle devrait rester aux enfers. Mais
Zeus intervint, décidant que Coré Perséphone passera chaque hiver
trois mois chez les morts, et reviendra sur la Terre des vivants le
reste de l’année. Fécondée par Zeus, Perséphone conçut un fils,
Zagréus, dont l’histoire ressemble à celle de Dionysos. Poursuivi par
la jalousie de Héra, (ou Junon), Zagréus revêtit plusieurs apparences.
Transformé en taureau, il fut dévoré par les Titans mais la déesse
Pallas, (Athéna), préserva son cœur. Zeus foudroya les Titans et
absorba le cœur de son fils qui, régénéré, devint Iacchos, assimilé à
Bacchus, lui-même identifié à Dionysos. Ces mythes conjoints
semblent provenir de cultes agraires primitifs associant en
syncrétisme les cultes dionysiaques et l’Orphisme.
Les Eleusinies sont les fêtes les plus connues de ce culte antique.
Elles auraient été institués à l'instigation de Triptolème, fils de
Céréos, qui avait reçu de Déméter la mission de répandre le blé dans
le Monde. Célébrées dans le Télestrérion chaque année, elles
faisaient participer les fidèles à la résurrection de l’enfant divin
75
revenu de l’empire de la mort. Á Éleusis, avant l'automne, des
cérémonies extérieures préparaient la célébration des Mystères. Ces
préliminaires ont été bien décrites et nous sont relativement connues.
Des reliques mystérieuses, (les hiéra sacrées), étaient transportées en
procession jusqu'à Athènes et déposées dans le sanctuaire
"Éleusinion". Une excommunication solennelle était prononcée
contre les impurs, puis les mystes, (candidats admis), entraient dans
la mer pour se purifier. Après quelques jours de retraite et de jeûne,
la procession immense des fidèles et des mystes retournait à Éleusis,
précédée de l'effigie de Iacchos, des hiéra, et des autorités. Les
cérémonies secrètes commençaient dont les rites sont restés
mystérieux. La divulgation en était rigoureusement interdite. Les
Mystères d'Éleusis étaient extrêmement populaires au-delà même de
la Grèce, au point que la salle d'initiation, le Télestrérion, atteignit
finalement une surface de 2600 m2. Malgré le nombre immense des
fidèles, aucun n'a jamais commis le sacrilège de rompre cet interdit.
76
Les rites séparaient les initiés, appelés à la vraie vie éternelle, des
non-initiés, destinés au bourbier infernal. Après avoir rompu le
jeûne, les mystes recevaient une révélation bouleversante :
Bienheureux qui a reçu cette vision, avant de descendre sous la
terre. Il connaît ce qu’est la fin de la vie. Il sait ce qu’est le principe
donné par Zeus. (Pindare, Hymne, vers ~480). L’initiation assurait
par elle-même le salut et la future survie personnelle du myste.
Définitivement sauvé par cette entremise extérieure, il n’était tenu à
aucun comportement moral particulier. En cela, au moins autant que
par la foi en une vie future et l'orientation monothéiste héritée de
l’Orphisme, les Mystères Éleusiniens préparaient le passage du
Paganisme au Christianisme. Toutes ces légendes concordent.
Dionysos-Bacchus, fils de Zeus et de Perséphone, jalousé par Héra,
est tué et dévoré par les Titans primordiaux. Zeus les foudroie.
Dionysos ressuscité, nait ainsi deux fois. Les hommes naissent des
cendres des Titans avec leur nature animale et matérielle, mais leur
âme recèle une parcelle du Dieu dévoré. Et dans la théogonie des
Orphistes, six générations divines bouclent sur elles-mêmes. Phanés,
(la Lumière originelle), fils de Zeus, est le premier roi des Dieux,
suivi de Nuit, d’Ouranos, de Kronos, et de Zeus qui remet enfin son
pouvoir au fils, deux fois né, Dionysos, lequel est aussi le retour
eschatologique de Phanés, le Lumineux des origines.
Adonis, Cybèle et Attis
Adonis était le dieu syrio-phénicien des arbres, des fleurs et des
fruits. Son culte évoque la mort et la renaissance de la végétation.
Aphrodite s'éprit d’Adonis dés sa naissance. Elle confia l’enfant à
Perséphone qui s’en éprit à son tour. Zeus partagea le temps
d'Adonis entre les deux déesses. Mais Adonis fut tué à la chasse par
un sanglier furieux, et de son sang naquit une anémone. Les Adonies
(Mystères) évoquent la mort et la renaissance de la végétation. Leurs
célébrations avait lieu l'été, à Athènes, Alexandrie, et Byblos où la
fête mobilisait toute la population. Les jeunes filles pleuraient la
mort de l'adolescent et étendaient sa statue sur un lit de fleurs. Le
lendemain, la statue du dieu était redressée et il était proclamé
ressuscité. D'autres rites portaient les femmes à se prostituer aux
étrangers et d’en verser le prix au temple d’Aphrodite. Á Athènes,
77
les femmes la célébraient dans les maisons. Elles cultivaient des
plantes et des aromates dans des terrines, les célèbres jardins
d’Adonis. Les cérémonies et les pleurs se déroulaient autour des
jardinets. La fête s’achevait par la cueillette des aromates et des
graines, promesses de renouveau. Á Alexandrie, la commémoration
était un spectacle. "Aphrodite Isis" et "Adonis Osiris"
s’attendrissaient d'abord dans un décor champêtre, avec banquets,
chants, et danses. Suivait la procession des femmes en pleurs portant
la statue d’Adonis vers la mer. Enfin, Aphrodite descendait aux
Enfers et ramenait Adonis ressuscité dans l’allégresse générale.
Le culte de Cybèle (Kubele) provient de Phrygie, (Turquie actuelle).
C'est la Grande Mère de tous comme des dieux. Souveraine du ciel et
symbole de la Terre Mère originelle, elle était honorée en Asie
Mineure sous les appellations de Kubile, Misa, Hipta. Cybèle fut la
première divinité étrangère admise à Rome. Elle fut assimilée à
Déméter et à Cérès. Un culte analogue était rendu à Ma (ou
Sabazios), importé de Syrie. Puis, des dieux syriens ou égyptiens
s’installèrent sobrement puis des temples furent consacrés à Isis,
Astarté, puis Mithra. Mère des dieux, Cybèle était vénérée comme
mère de Zeus ou de Jupiter. A l'origine, le culte de la Magna Mater,
était célébré au sommet des montagnes, ou dans les grottes. Dans le
légende, Cybèle devint amoureuse d’Attis qu’elle avait découvert
endormi sur la rive du fleuve Gallos. Elle le coiffa d’un bonnet
étoilé, et le garda auprès d’elle. Attis était fils de la déesse vierge
Dana qui le conçut en mangeant une amande. Il abandonna Cybèle
pour épouser "la fille du fleuve" Sagaritis, une nymphe dont il était
amoureux. Cybèle, folle de colère, provoqua la mort de Sagaritis.
Désespéré, Attis voulut s’autodétruire par émasculation. Emue par sa
douleur, la déesse primordiale ranima le dieu repentant qui revint
alors vivre près elle. D'autre texte disent que Cybèle le changea en
pin. En rappel de la passion d'Attis, les galles, les serviteurs de
Cybèle, s'auto castraient et promenaient un pin au travers des villes.
Le culte de Kubila, (la Grande mère ou Mère des Dieux que les
Grecs et les Romains nommèrent Cybèle ou Agdistis), était le plus
célèbre en Phrygie. Personnifiant la nature féconde, elle était adorée
sur le mont Dindymon sous le nom "Mère Montagne". Elle portait
une coiffe en forme de tour. Abandonnée à sa naissance, elle fut
78
recueillie par un félin qui l'initia aux Mystères, et c'est pourquoi son
trône était gardé par deux léopards (ou deux lions). Cybèle disposait
de toutes les richesses de la terre et elle exigeait que son époux resta
vierge. C'était le jeune berger Attis (ou Atys), fils de Nana ou Nada,
la fille du Dieu fleuve Sangarios (ou Sangarius ou Sakarya). Il était
coiffé d'un bonnet phrygien typique (repris par les révolutionnaires
français en 1789). Les Phrygiens vénéraient aussi Sabazios, dieu
représenté à cheval, ayant pour attribut un serpent. Les Grecs
associèrent Sabazios à Zeus ou à Dionysos, et l'opposèrent à la
Déesse d'Éleusis, la Magna Mater, autre Grande Mère, dont la
créature était le taureau. Quand les Carthaginois d'Hannibal
envahirent l'Italie, un oracle de la Sibylle de Cumes énonça que les
ennemis seraient vaincus si le culte de Cybèle était introduit à Rome.
En ~204, lors de la seconde guerre punique, le Sénat romain fit venir
du "Métrôon" de Pergame, en Phrygie, la "Pierre Noire" cubique de
Cybèle et le culte asiatique en fut alors importé. Cette "Pierre Noire"
sacrée était probablement un aérolithe comme celle qui représentait
le dieu syrien "Elagabal".
Plusieurs empereurs romains favorisèrent les cultes de Cybèle et
Attis. Un temple fut construit au mont Palatin où le clergé phrygien
en accomplissait les rites dont la cérémonie du "Lavatio". Á l'origine,
début avril, un char menait l'idole et la Pierre Noire jusqu'au fleuve
Almo pour la baigner avant de la ramener au temple, couverte de
fleurs. Puis, un magistrat romain ouvrait les fêtes dites "Megalensia"
et leurs festins. Plus tard, les solennités des "Attideia" furent
autorisées avant le "Lavatio". Commémorant la passion d'Attis, elles
commençaient par une neuvaine d'abstinences alimentaires et
sexuelles. Fin mars, on célébrait "l'entrée de l'arbre". Les porteurs
apportaient au temple un pin coupé et décoré qui représentait le
cadavre d'Attis. Il était longuement adoré et pleuré puis mis au
tombeau le 24 mars, "Jour du Sang", avec un cérémonial sanglant.
Les fidèles et les "galles" dansaient frénétiquement au son des
tambourins et des trompes, en se lacérant pour éclabousser de sang le
pin sacré et ses abords. Des fanatiques se castraient alors avec des
éclats de silex mis à leur disposition. Marqués au fer rouge, ils s'en
allaient en ville jeter cette "moisson du dieu Gallos" en une
quelconque maison dont les habitants devaient alors les nourrir et les
vêtir d'habits féminins. La nuit suivante (Hilaries) préparait la
79
résurrection d'Attis. Cette fête joyeuse avait un éclat particulier. Elle
était conduite par l'empereur et le Sénat jusqu'au temple où Attis était
proclamé ressuscité.
La castration étant interdite aux citoyens romains, un sacrifice de
substitution, le Taurobole, (taureau de Ba’al ?), fut institué. Le sang
d'un taureau mutilé se déversait sur le myste alors réputé purifié,
revigoré, et rené, (au sens d’une nouvelle naissance), pour vingt ans,
la cérémonie étant ensuite répétée. Ultérieurement, ce baptême
sanglant assura, par lui-même et par transfert, la résurrection et le
salut éternel de l’initié, comme celui d’Attis après son sacrifice
volontaire. Ces rites de mutilation ont pu être induits par les
circoncisions sémitiques. Associant la sexualité et le péché, elles
annonçaient les traditions de célibat et les futures castrations de
pureté de mystiques comme Origène. Dans son traité "Des dieux et
du monde", le néo-platonicien Sallustius nous donne une
interprétation théologique de ce mythe. Cybèle est la grande déesse
primordiale qui donne la vie, et Attis est, en ce monde, l’artisan du
changement. C’est pourquoi il est trouvé au bord du fleuve. Comme
les puissances primordiales perfectionnent continûment les
puissances secondaires, la Mère s’éprend d’Attis et lui donne la
puissance céleste symbolisée par la coiffure étoilée. Cependant Attis
à son tour s’éprend d’une nymphe, symbole de la génération. Mais
Attis prend conscience que toute génération est destinée à périr.
Craignant donc que du mauvais ne sorte le pire, il jette sa puissance
génératrice dans le monde du devenir et revient vivre avec les dieux.
On retrouve ici la doctrine d’Hermès concernant le
destin de l’âme, la chute dans la matière et le retour
aux dieux au prix du sacrifice de la personnalité
terrestre. Le sacrifice d’Attis préparait sa
résurrection. "Attis est ressuscité ! Evohé !"
chantaient les mystes. Dans la légende égyptienne,
Osiris aussi ne devint immortel qu’avec la perte de
son phallus. Mais, fin mars, c'était aussi la fête du
printemps et du retour du Soleil, comme celle de
Pâques pour les Chrétiens.
80
Sérapis, Isis et Osiris
Á l'époque romaine, la religion égyptienne n'a plus qu'un rapport
lointain avec les cultes archaïques. Les Lagides ont jumelé les
panthéons, et les statues des nouveaux dieux nilotiques respectaient
les canons grecs. Sérapis fut l'une des plus remarquables de ces
figurations nouvelles. Le nom viendrait du mot "oserapis", ou
Osiris-Apis, le "taureau mort", assimilé à Osiris. Les Grecs le
comparaient à Pluton ou à Dionysos le ressuscité. En arrière plan de
ces cultes dits "isiaques" on retrouve les vieux mythes agraires reliés
au retour cyclique des saisons. La mort du héros ou du souverain, ici
Osiris, est suivie de sa résurrection. Les Romains étaient fascinés par
l'exotisme des cultes initiatiques égyptiens. Cependant, après le
suicide de Cléopâtre, incarnation pharaonique d’Isis tuée par un
aspic, la ferveur fut très éprouvée, et la religion temporairement
persécutée. La plupart des empereurs romains l'ont cependant
soutenue. Caligula, Claude, Néron, Vespasien, Domitien, Hadrien, et
Marc Aurèle favorisèrent successivement le rétablissement des cultes
alexandrins qui gênaient pourtant l’expansion chrétienne dans
l’empire. Le cruel Commode, autoritairement déifié, poursuivit cette
politique jusqu’à la caricature (et jusqu’à son assassinat). Au 2ème
siècle, la religion égyptienne revitalisée gagna même les provinces
extérieures de l’Empire, la Gaule, l’Espagne, les plaines du Danube,
et elle se répandit dans tout le Nord de l’Afrique, y compris
Carthage.
Ce culte de Sérapis fut à l’origine de la diffusion des cultes égyptiens
dans le monde gréco-romain. Sérapis synthétisait Zeus, Osiris et
Apis. Ptolémée Sôter lui fit bâtir le Serapeum, un temple immense et
somptueux. Au début de l'ère, le culte de Sérapis était installé à
Rome avec celui d'Isis. Comme les autres cultes à mystère,
l’initiation isiaque comportait une mort fictive. Elle faisait du myste
un nouvel Osiris qui mourrait et ressuscitait chaque année. Les
cérémonies secrètes sont restées assez mystérieuses. Le nom d’Osiris
ne devait jamais y être énoncé. Hérodote lui-même avait été initié et
resta très attentif à ne jamais citer le nom sacré dans la relation de
son voyage en Égypte, vers ~450. Voici comment il en parle. "Dans
81
le temple de Minerve, à Saïs, on peut voir la sépulture du dieu dont il
serait sacrilège de prononcer le nom (...). On donne de nuit, sur le
lac de la Roue, à Délos, des représentations de sa passion que les
Égyptiens appellent des Mystères. J’en sais beaucoup plus sur ces
Mystères, mais je me garderai bien d’en parler, ainsi que des
Mystères de Cérès que les Égyptiens appellent la fête des Rites (...).
A Saïs, la nuit de la fête d’Isis, tout le monde allume des lampes
dehors, autour des maisons. On appelle cela la Fête des
Illuminations. Ceux qui n’assistent pas à la cérémonie veillent quand
même chez eux toute la nuit et allument leurs lampes, si bien que,
cette nuit-là, toute l’Égypte est illuminée.
La culture originaire d'Alexandrie rayonnait tout autour de la
Méditerranée ce qui favorisa l'extension des cultes nilotiques dans
tout l'Empire. Au ~2e siècle, Isis, la grande déesse de vie et de
résurrection eut un autel au Capitole. Elle fut bientôt adorée partout
et son culte revêtit des aspects curieux et une importance
considérable. En dépit des réactions et des destructions
périodiquement ordonnées par le Sénat, les cultes égyptiens restèrent
très populaires à Rome, tout particulièrement celui de la déesse Isis.
Il apparaît aujourd’hui que certaines des statues chrétiennes,
miraculeusement trouvées, seraient en fait des idoles antiques
consacrées à la très païenne déesse égyptienne. Quelques vierges
noires pourraient être des statues d’Isis. Les cultes isiaques
célébraient quotidiennement des rites qui évoquaient le rôle solaire
d’Osiris. Il y avait un office du matin, avec ouverture des portes du
temple, allumage des feux, présentation aux fidèles de l’eau du Nil,
(symbole d’Osiris), toilette et vêture des statues, chants et prières.
Un autre office commençait l'après-midi vers quatorze heures, avec
hymnes et longue adoration extatique. Il durait jusqu’à l’adieu du
soir à la déesse et la fermeture du temple. Les dévots pouvaient louer
des cellules pour la nuit, et une organisation conventuelle hôtelière
permettait même aux fidèles de faire retraite à l’intérieur du temple.
L’organisation des cultes et du clergé était remarquablement
efficace.
La légende d’Isis et d’Osiris était commémorée à Rome par deux
grandes fêtes, celle du Navigium ou du Vaisseau d’Isis, au
printemps, et celle de l’Invention d’Osiris, à l’automne. Les fidèles
82
parcouraient la ville, frappant aux portes de maisons et agitant leurs
sistres pour inviter les habitants aux célébrations. La fête du
Vaisseau d’Isis débutait par un véritable carnaval, avec costumes
divers ou même déguisements cocasses. Une grande procession
rigoureusement ordonnancée commençait ensuite. En tête venaient
les femmes couronnées de fleurs, suivies de la foule, portant des
cierges et des flambeaux, puis le groupe des mystes, vêtus de lin
blanc et agitant des sistres sonores. Les prêtres terminaient le
cortège. Ils avançaient, le crâne rasé et tout de blanc vêtus, avec les
divers instruments de leurs fonction, lampes et caducées. Ils
précédaient les porteurs des représentations des dieux, les statues
d’Anubis, d’Isis Hathor, des vases d’or contenant de l’eau Osirienne
du Nil. Le Grand Prêtre fermait la marche, portant une couronne de
roses et un sistre d’or. Au bord de la mer un vaisseau attendait,
décoré à l’égyptienne. On disposait autour de lui toutes les figures
des dieux, et les prêtres le purifiaient avec du feu, des œufs et du
souffre. Puis ils le consacraient à Isis et on le chargeait des diverses
offrandes apportées par la foule. Enfin, on le libérait et on le laissait
s’en aller en mer, au gré des courants.
La grande fête initiatique de l’Invention d’Osiris avait lieu fin
Octobre. Elle commençait par trois jours de plaintes, de simulacres et
de deuil en évocation de la mort d’Osiris et de la désespérance d’Isis
recherchant les morceaux du corps démembré par Seth. Au matin du
troisième jour, la foule s’assemblait pour la cérémonie spectaculaire
de la fin des retrouvailles. Les fidèles criaient " Nous l’avons
retrouvé ! " et la joie explosait. Les mystes étaient ensuite baptisés
avec de l’eau lustrale, et le prêtre appelait sur eux la bénédiction des
dieux. Il ordonnait leur purification et donnait des instructions
secrètes relatives au déroulement des Mystères qui devient être
célébrés dix jours plus tard. Au soir de l’initiation, le candidat vêtu
de blanc entrait au fond du sanctuaire, et le vrai mystère
commençait. Sur celui-ci, nous ne savons pas grand chose, si ce n’est
que le myste passait alors "le seuil de Proserpine" et subissait une
mort symbolique. Au cours de la nuit, il semble que, nouvel Osiris, il
suivait symboliquement la course du soleil dans le séjour des morts.
A l’aube, avec le soleil du matin, il réapparaissait vêtu de douze
robes qui symbolisaient les constellations. Il était couronné des
"palmes d’Horus" et revêtait "la robe olympienne", attribut des
83
dieux. Dans cette splendeur, il était alors présenté à la foule, sur une
estrade, face à la statue d’Isis. Ces nouvelles naissances étaient
suivies de banquets, ce jour là et le lendemain.
La présence d'un important clergé permanent et la célébration
d'offices quotidiens constituaient une grande nouveauté dans le
monde romain. Ils l'ont préparé à l'arrivée des imposants ministères
chrétiens. Le culte isiaque accordait une grande importance à la
femme. Isis était tout à la fois la mère universelle, la reine du ciel, et
l'image renouvelée de toutes les grandes déesses gréco-latines,
Déméter, Vénus, Artémis, Héra, Cybèle et d'autres. Son culte
plaisant er même joyeux n'était entaché d'aucun rite sanglant. Il
répondait tout autant aux besoins individuels de retraite spirituelle
des dévots solitaires qu'aux aspirations festives collectives
auxquelles répondaient les grandes célébrations saisonnières. Aussi
fut-il très populaire. Les statues de la déesse étaient souvent parées
de bijoux précieux et les cérémonies spectaculaires réjouissaient
autant le peuple que les esthètes. Le pouvoir s'en émut parfois
jusqu'à vouloir limiter son influence. Plusieurs empereurs, tels
Auguste ou Tibère, s'y employèrent. Ses temples furent plusieurs fois
détruits puis reconstruits. Le culte fut parfois temporairement interdit
dans la Cité et la statue d'Isis fut même jetée au Tibre, mais d'autres
empereurs s'employèrent à le soutenir. Les cultes nilotiques de
Sérapis et d'Isis prospérèrent en Gaule, en Espagne, en Afrique du
Nord, et dans tout le Bassin méditerranéen jusque dans les lointaines
provinces danubiennes, et certaines monnaies romaines portèrent les
empreintes des dieux isiaques
Mithra et le Soleil
Mithra était un dieu solaire, mais aussi un sauveur des hommes. Il
vint d'Iran par le canal des Phrygiens, et trouva probablement son
origine plus lointaine dans le dieu indien védique Mitra, " l'Ami ".
Son culte est apparu vers le ~5ème siècle et a donc précédé le mythe
chrétien de plus de 600 ans. Il fut tardivement célébré dans le monde
hellénistique qui tendit à l'assimiler à Hermès. Mithra joua d'abord
84
un simple rôle de médiateur entre Ahriman, le Mal, et le Dieu
suprême, Ahura Mazdä, la Lumière du Soleil. Il grandit ensuite et en
vint presque à l'égaler. "Je le créai aussi digne de sacrifices, aussi
digne de prières que Moi-même, ‘Ahura Mazdä. (Avesta, Yasht 10,
strophe 1). Mithra était une lumineuse image du Soleil, violent et
guerrier, impossible à vaincre. Il fut même assimilé tardivement au
Sol Invictus d'Aurélien. Son culte ne se répandit dans l'Empire qu'à
partir de 90, mais son importance devint ensuite très grande, surtout
chez les militaires. Voyons donc le mythe. Sur l'ordre du Soleil,
apporté par un corbeau, Mithra est associé au salut du monde en
mettant à mort un taureau qu'Ahriman vient d'infecter pour vicier la
source universelle de la vie. En sacrifiant l'animal, il répand son sang
éternel avant qu'il soit corrompu. De cet épanchement, Mithra fait
naître les plantes et les autres créatures. Il arrache ses proies à
l'Esprit du Mal et monte ensuite sur le char du Soleil. Il est donc à la
fois démiurge et sauveur, et par ce baptême de sang, ses fidèles
obtiendront l'éternité.
85
Le culte à Mystère de Mithra,(Mithriacisme ou Mithraïsme), ne se
reliait pas aux antiques religions agraires. Il était associé à un dieu
solaire transcendant qui intervenait dans les affaires du Monde. Le
mythe se retrouve sous diverses formes dans d'autres religions, car il
s'agit d'une divinité très ancienne. Á l'origine, c'était un dieu iranien
bienveillant qui protégeait les justes, et on l'identifie dans
l'Hindouisme à coté d'Indra, dans le Zoroastrisme d'Ahura Mazda et,
peut-être, dans le Manichéisme. Le culte procédait d'un syncrétisme
associant diverses croyances moyen-orientales. Mithra était toujours
représenté portant un bonnet phrygien et tuant un taureau. Á partir de
la Grèce, le culte fut importé à Rome par les légions, et au premier
siècle, le Mithra grec devint le "Mithras" romain, identifié dés le 1er
siècle. Son culte avait lieu dans un temple appelé "mithraeum". Les
premiers temples de "Mithras" furent des cavernes arrosées de
sources. Puis on les construisit en pierre sur ce modèle intérieur.
Dans une longues salle, on trouvait à droite et à gauche, deux
banquettes sur lesquelles les fidèles s'allongeaient à la Romaine pour
prendre les repas sacramentels. Un couloir central reliait l'entrée, où
étaient placées des vasques, à l'autel où était disposée l'image de
Mithra éclairée de lampes. La voûte était très souvent décorée
d'étoiles, et les murs ornés de peintures. Le culte était quotidien et
l'on sanctifiait tout particulièrement le dimanche, dédié au Soleil.
De très nombreux temples consacrés à "Mithra ou Mithras" ont été
édifiés du 2ème au 6ème siècle dans tout l'empire romain. Ils étaient
toujours de taille réduite, impliquant de petites confréries,
exclusivement masculines. L’acte cultuel de base était le sacrifice
d'un poulet, parfois d'un mouton, rarement d'un taureau. La victime
était consommée au cours d'un repas en commun commémorant le
banquet fait par Mithra et le Soleil après la mort du taureau. Dans les
initiations, on offrait du pain et, semble-t-il, du vin, avec des
invocations secrètes. Le rituel quotidien du Mystère est resté
relativement secret. Nous savons cependant qu'il comportait sept
degrés hiérarchiques d’initiation associés à des symboles astraux
ainsi qu'à des fonctions précises et des positions bien définies dans le
temple. Il semble que le premier degré, les Corbeaux, associés à
Mercure, assuraient le service des repas, le second, les Époux à
Vénus, les Soldats à Mars, les Lions, à Jupiter, brûlaient l'encens et
fournissaient le sacrifice, les Perses à la Lune, les Courriers du Soleil
86
portaient probablement les torches, et le Père lié à Saturne, coiffé
d'un bonnet phrygien, portait une baguette et un anneau comme un
évêque. Il était à Rome le chef suprême de l’église mithriaque. Les
initiations étaient complexes. Leurs cérémonials comportaient divers
renoncements, un baptême d’eau, un marquage au fer rouge sur le
front, un simulacre de mise à mort et des rituels propres à chaque
degré.
Selon la légende, Mithra naquit adulte, sous un arbre sacré, près
d'une source également sacrée, d'une pierre, (d'autres disent d'une
vierge). Il portait un bonnet phrygien, une torche et un couteau, (ce
qui dut grandement compliquer la parturition). Immédiatement
adoré, il but à la source, coupa des fruits sacrés et s'en nourrit, puis il
se confectionna des vêtements de feuilles. Dans la montagne, il
rencontra le taureau primordial, le saisit par les cornes et le
chevaucha. L'animal l'entraina dans un galop sauvage et le fit
tomber, mais Mithra s'accrocha à ses cornes jusqu'à l'épuiser. Puis le
dieu attacha le taureau, le chargea sur ses épaules et poursuivit son
chemin. Arrivé à la grotte, un corbeau envoyé par le Soleil lui
demanda de faire un sacrifice. L'immolation du taureau caractérise la
statuaire rituelle. Mithra appuie le genou sur le garrot de l'animal
dont il relève la tête. Il le poignarde de la main droite tandis qu'un
chien et un serpent en boivent le sang et qu'un scorpion lui pince les
testicules. Le Soleil et Mithra partagèrent ensuite un repas. On ignore
la véritable signification de l'allégorie. Il semblerait que la scène tend
à représenter la victoire de la vie sur le mal. De nombreux symboles
astrologiques lui sont associés, le serpent (hydra), le chien (canis), le
scorpion (scorpio), le taureau (taurus). Associé à la lune, le taureau
symboliserait la source de la vie viciée par le scorpion d'Arhiman. En
tuant le taureau, Mithra purifie la source de vie et d'incarnation des
âmes.
Les mithraïstes envisageaient la fin du monde comme une
conflagration universelle, et à la fin des temps, la tauroctonie se
renouvellera, purifiant l'univers. Le culte de Mithra impliquait un
système cosmogonique complexe, qui donnait à l’astrologie une
place importante dont on retrouve les traces dans les ruines des
sanctuaires. Ce culte n'a jamais réussi à pénétrer les couches
populaires et est toujours resté le fait d'une certaine élite en
87
particulier militaire. Il est entré en concurrence avec le
développement du Christianisme, tout particulièrement au moment
de la promotion par l’empereur Aurélien du culte solaire dit "Sol
invictis". Ces cultes étaient de dangereux rivaux pour le
Christianisme qui prenait de l'expansion. Julien l'apostat essaya donc
de l'affaiblir par la promotion du culte de Mithra et du Soleil. Les
connaissances que nous avons des croyances mithriaques sont
incomplètes. Les informations proviennent surtout d'observateurs
chrétiens qui n'étaient pas fort objectifs, et l'archéologie demeure la
principale source d'informations. Le Mithriacisme ne survécut pas à
l'essor du Christianisme qui effaçait ses symboles et bâtissait ses
églises au dessus des vieux temples. Un élément subsista cependant
jusqu'à nos jours. La fête de Mithra avait lieu le 25 décembre. Le
Christianisme la perpétua dans la fête de Noël. Le 25 décembre
célébrait la naissance d'un nouveau soleil et cette date fut conservée
par les chrétiens pour célébrer la naissance de Jésus.
Sol Invictus et le Paléochristianisme
Les empereurs romains ont longtemps essayé de fonder une religion
universelle établissant la légitimité de leur fonction. Ils ont d’abord
magnifié le culte de Quirinus, dieu fondateur de Rome, puis ils ont
établi le culte de la ville même, "la Rome Eternelle", en s'appuyant
sur le rôle traditionnellement sacerdotal du prince. Ils essayèrent
ensuite de capter des divinités parmi les plus populaires, telle Cybèle
par Marius, Mä par Sylla, Hercule Invictus par Pompée. César
prétendit prouver son ascendance avec Vénus et lui fit élever un
temple dans son nouveau Forum, (Vénus Génitrix). Cela permit
d'ailleurs au Sénat de diviniser l'empereur de son vivant, et de lui
consacrer un temple particulier sous le nom de Jupiter Julius. Après
la mort de César, son culte fut institué comme Diuus Julius, et
pérennisé. Le fils adoptif de César, Octavien, prit ensuite le titre de
Diui Filius, fils du divinisé, et le culte impérial fut ainsi fondé. Le
culte solaire "Sol Invictis" fut lancé au 3ème siècle par l'empereur
88
Aurélien qui fit élever un temple magnifique au champ de Mars, en
l'an 274. L'empereur considérait le Soleil comme son protecteur
personnel, et il le proclama "Dieu Souverain de l'Empire Romain".
Ce culte nouveau semble avoir été partiellement confondu avec celui
de Mithra ou lui avoir été pour le moins associé. Aurélien tentait
alors de réunir dans un même culte solaire, les Chrétiens, les
Mithriastes, les Syriens et les Isiastes, et il fixa la fête de la
renaissance du Soleil au 25 décembre.
Les traditions romaines montraient une grande tolérance vis-à-vis de
tous les cultes. Par contraste, la maison de l’empereur avait
transformé le respect des exigences du culte impérial en preuve de
loyalisme envers Rome et son empereur. Cette politique despotique
créait de sérieuses difficultés car les mentalités avaient beaucoup
évolué. Les multiples divinités étaient de plus en plus considérées
comme les manifestations diversifiées, les avatars, d’une même
unique et grande divinité universelle. Les antiques sumériens
croyaient que l’humanité progressait par vagues successives vers son
accomplissement éternel. Nous dirons qu'au début de notre ère, la
vague humaine franchissait un seuil d'évolution spirituelle. On
comprend mieux alors les tentatives visant à établir un culte national
devenu politiquement indispensable. L'une des divinités pressenties
avait d'ailleurs été Isis, la Suprême Souveraine, la Mère Universelle,
dont le culte avait été encouragé. D'autres étaient sur les rangs, mais
le succès d’un culte unique imposé par l’appareil d’État était
aléatoire face aux "Mystères mystiques" des religions émergentes. Le
" Pansolarisme " d'Aurélien, associé au culte de Mithra, subsista
cependant assez longtemps, jusqu'au tout début du 5ème siècle. Il
semble avoir été, avant le Christianisme, la dernière tentative
impériale pour adapter les structures religieuses d'État à cet
"hénothéisme", cette recherche d’une déité souveraine et universelle,
qui progressait rapidement dans les mentalités.
Après ce relatif échec d’un culte bâti sur la religion romaine
traditionnelle et imposé par l’État, il ne restait aux empereurs qu'une
seule possibilité pour reprendre la main sur l'évolution des peuples. Il
leur fallait promouvoir l'un de ces cultes mystiques si appréciés, et
l'associer aux pouvoirs d'état, politique, civil et militaire.
Logiquement, ils devaient choisir la populaire religion d'amour, de
89
joie, et d'éternité des pacifiques adorateurs d'Isis, ou bien le culte
viril de Mithra, si voisin du culte solaire universel qu'ils prônaient.
Cependant, étonnamment, pour des motifs tout à fait mineurs, ils
firent le choix d'un autre culte à Mystère venu de la Palestine qui
était alors la zone d'influence romaine la plus active dans le Moyen
Orient. Ils choisirent le Christianisme naissant, et la face du Monde
en fut changée. En 325, pour régler des querelles intestines aux
églises chrétiennes, Constantin convoqua le concile œcuménique de
Nicée. Appropriant de façon autoritaire le pouvoir doctrinal et les
structures sacerdotales, et punissant sévèrement les évêques
contestataires, il déclara le Christianisme comme la religion
officielle de l'État. Le véritable instaurateur du Christianisme
autoritaire fut cependant l'empereur Théodose (bientôt excommunié
d'ailleurs). La conversion des empereurs puis leur totale soumission à
l'autorité religieuse croissante livra à l'intransigeance chrétienne tout
l'appareil du pouvoir impérial et ses terribles moyens de coercition.
Elle s'en servit durement.
Issus d’Israël dont ils venaient de se séparer, les Paléochrétiens
avaient conservé l'intransigeante tradition hébraïque. Ils voulaient
être un peuple élu parmi tous les autres et ils attendaient la fin
prochaine du Monde. Et, comme les Esséniens, ils se croyaient,
hélas, chargés d’une mission sacrée, faire de leur propre Dieu le seul
Dieu universel. Ils s'y employèrent activement, et en 382, l’autel de
la Victoire, symbole de l'antique religion romaine, fut enlevé du
Sénat malgré les protestations de Symmaque, le Préfet de Rome.
"Nous réclamons le respect pour les dieux de nos pères, les dieux de
notre patrie. Il est juste de croire que tous les hommes adorent le
même Un. Car nous regardons les mêmes étoiles, le même ciel nous
recouvre, le même univers nous entoure. Qu’importe le moyen par
lequel chacun de nous atteint la vérité. On ne peut parvenir par une
seule voie à un si grand mystère". Le doux prophète galiléen prêchait
la liberté, la tolérance, le salut par la grâce gratuitement donnée, et
l’amour de Dieu et des hommes. Le dessein de la religion fondée en
son nom fut d’établir impitoyablement sur les structures romaines,
l’empire d’un Dieu jaloux, à l’image du vieux Dieu biblique, forçant
la conversion, par le fer et le feu, le viol des consciences et la torture,
la prison et les bûchers. En 391, les académies et tous les cultes
traditionnels furent interdits dans tout l’Empire, les flambeaux des
90
vieux autels s’éteignirent, les anciens dieux tombèrent et leurs
temples magnifiques furent détruits.
Issus d’Israël dont ils venaient de se séparer, les Paléochrétiens
avaient conservé l'intransigeante tradition hébraïque. Ils voulaient
être un peuple élu parmi tous les autres et ils attendaient la fin
prochaine du Monde. Et, comme les Esséniens, ils se croyaient,
hélas, chargés d’une mission sacrée, faire de leur propre Dieu le seul
Dieu universel. Ils s'y employèrent activement, et en 382, l’autel de
la Victoire, symbole de l'antique religion romaine, fut enlevé du
Sénat malgré les protestations de Symmaque, le Préfet de Rome.
"Nous réclamons le respect pour les dieux de nos pères, les dieux de
notre patrie. Il est juste de croire que tous les hommes adorent le
même Un. Car nous regardons les mêmes étoiles, le même ciel nous
recouvre, le même univers nous entoure. Qu’importe le moyen par
lequel chacun de nous atteint la vérité. On ne peut parvenir par une
seule voie à un si grand mystère". Le doux prophète galiléen prêchait
la liberté, la tolérance, le salut par la grâce gratuitement donnée, et
l’amour de Dieu et des hommes. Le dessein de la religion fondée en
son nom fut d’établir impitoyablement sur les structures romaines,
l’empire d’un Dieu jaloux, à l’image du vieux Dieu biblique, forçant
la conversion, par le fer et le feu, le viol des consciences et la torture,
la prison et les bûchers. En 391, les académies et tous les cultes
traditionnels furent interdits dans tout l’Empire, les flambeaux des
vieux autels s’éteignirent, les anciens dieux tombèrent et leurs
temples magnifiques furent détruits.
Les peuples de l'Antiquité romaine considéraient qu'aucune tradition
religieuse ne pouvait prétendre posséder seule la vérité lentement
révélée. "Celle-ci est révélée par les dieux. Elle se répand dans
l'humanité sous différentes formes. Chaque peuple, chaque culte,
porte une part des secrets divins.". Cette attitude permit la
coexistence pacifique avec les cultes à Mystères. Tout au contraire,
les Paléochrétiens se révélèrent particulièrement intransigeants ce
qui déclencha l'hostilité de leurs opposants. Elle est déjà manifeste
au 2ème siècle dans la Polémique anti chrétienne de Celse. Nous
sommes ceux à qui Dieu révèle et prédit tout. C'est pour nous seuls
qu'il gouverne.. négligeant l'univers et le cours des astres.. C'est
pour nous seuls que tout a été fait et est organisé pour nous servir.".
91
Il faut admettre, aussi douloureux que cela soit pour un Chrétien
d'aujourd'hui, (et ce l'est aussi pour moi-même), qu'à l'époque,
l'expansion du Christianisme fut imposée par l'appareil d'État avec
les rigueurs de la loi, en coopération avec l'activité des hiérarchies
religieuses. La situation empira encore dramatiquement avec un
terrible renforcement juridique, et il me semble, qu'à ce moment,
l'Eglise céda à la tentation du pouvoir et quitta la voie évangélique.
Dès lors, il suffit à l'autorité religieuse d'excommunier quiconque ou
de le déclarer hérétique pour le renvoyer devant un tribunal civil, ce
qui le vouait automatiquement à la prison et la torture, au gibet ou au
bûcher. D'innombrables personnes furent, hélas, concernées.
Car, en 435, il devint obligatoire d'être chrétien, sous peine de
mort.
Et cette situation dura plus de mille ans.
92
CHAPITRE 5 – La religion des Romains
Introduction
Les dieux des Romains apparaissent analogues à ceux
des Grecs, mais leurs religions sont très différentes. Les
peuples grecs et romains ont une origine indoeuropéenne commune et, lorsque ils ont migré vers des
territoires différents, ils ont amené avec eux les mêmes
antiques fondements religieux. Ils les ont ensuite
développés dans des contextes distincts. Quand ils se
sont rencontrés, ils ont procédé aux rapprochements qui
leur semblaient possibles. Les dieux des Grecs et des
Romains n'étaient pas transcendants. Ils habitaient le
Monde, comme les Hommes, ils étaient immortels et le
plus souvent invisibles. Mais les Grecs se souvient
beaucoup des origines du Monde, des dieux et des
hommes, tandis que les Romains s'intéressaient bien plus
à l'histoire de leur cité. On trouve chez les premiers des
cosmogonies complexes, parfois diversifiées, et une
ouverture métaphysique qui est inexistante chez les
seconds. Pour les Romains, l'histoire du Monde
commence avec la fondation de Rome, et leur religion
constitue une sorte de pacte avec les dieux fondée sur le
respect rigoureux des rites établis. Les Grecs n'ont pas
de clergé, les Romains en ont plusieurs. Á terme
cependant, les deux peuples se détacheront pourtant de
leurs dieux innombrables, et ils accueilleront avec une
relative facilité les étranges Cultes à Mystères importés
d'Orient, ceux d'Isis, de Cybèle, ou de Mithra, et même le
Christianisme primitif. Si les Grecs nous ont laissé la
démocratie et la philosophie en héritage, les Romains ont
mis en place, malgré leur grande cruauté, les fondements
du droit et de la loi écrite, ce qui demeure au autre bien
93
précieux. En ce sens, ces anciens méritent notre respect
car leurs travaux encadrent encore notre vie quotidienne.
La religion étrusque
L'antique religion étrusque pratique l’art antique de la mantique
comme les Égyptiens et les Chaldéens. Elle est fondée sur trois
groupes de livres sacrés. Le premier concerne l’aruspicine,
observation du ciel et des oiseaux, et l’extispicine, l'ensemble des
techniques divinatoires liées aux sacrifices, (Examen des
comportements des victimes, disposition des viscères, couleurs des
flammes et fumées des bûchers, etc..). Ces pratiques inspirées
ressemblent à celles des devins babyloniens. Les haruspices utilisent
des maquettes précises de viscères d’animaux. Les pratiques qui
permettent de modifier éventuellement un destin défavorable ou
funeste sont précisément codifiées. Les livres du second groupe
enseignent la divination par l’observation de l’aspect des éclairs. Le
ciel est partagé en seize parties déterminées par les quatre points
cardinaux et l’axe Nord/Sud. L’observateur fait face au Sud. Les
indices sont favorables à l’Orient, et défavorables à l’Occident. La
signification des éclairs et du tonnerre est définie pour chaque jour
de l’année. Onze sortes de foudres sont associées aux différents
dieux toscans concernés, (dont les maladroites approximations
romaines seront Jupiter, Junon, Mars, Saturne, et Minerve). Ces
livres expliquent la signification des prodiges et des phénomènes
extraordinaires rencontrés dans la nature. Tout est soigneusement
réparti et catalogué, plantes, animaux, ou événements insolites. Les
livres du troisième groupe règlent la répartition des terres et
propriétés entre les membres des communautés, selon un code
précis. Ils régissent également la disposition et l’orientation des
différents édifices.
La religion des Romains n'intègre aucune cosmogonie ou hypothèse
sur les origines de l'Univers, des dieux ou des hommes. Elle est bâtie
sur la seule immanence de l'existence et de l'histoire de Rome.
94
Quand Romulus et Remus consultent les présages, ils observent le
vol des oiseaux. Remus observe six vautours. Romulus prétend en
avoir vu douze et s'arroge le droit de choisir l'emplacement. Rendu
furieux, Remus en franchit la marque et se fait tuer. La légende de sa
fondation place d'emblée la ville sous les signes du sang et de la
violence, et son destin en restera marqué. L'observation du vol des
oiseaux est une pratique divinatoire relevant de la religion étrusque.
La présence des Étrusques, (ou Toscans), dans la péninsule est
constatée dès le ~13ème siècle. Ils y établissent une civilisation
urbaine, épicurienne, spécifiquement marquée par la place
importante tenue par les femmes. Outre Rome, ils fondent de
nombreuses villes et ports dans le Latium, en Toscane et en Ombrie,
mais peu d’édifices en ont subsisté. Il semble que les temples étaient
construits par groupes de trois, correspondant aux triades honorées,
disposés aux points cardinaux où étaient placées les quatre portes des
cités géométriques. Les objets de pierre sculptée, de céramique, ou
de terre cuite, ainsi que les bijoux d’or, d’argent, ou d’ivoire,
témoignent d’une bonne habileté technique et d’une grande richesse
artistique. Vaincus par les Grecs à Cumes en ~474, les Étrusques
sont ensuite chassés de Rome. Prédécesseurs des Romains qui les
battent définitivement en ~350, ils influencent cependant très
largement leurs arts, leur architecture, et surtout leur urbanisme.
L'importance des nécropoles et des rites funéraires montrent que
l’au-delà est au centre des préoccupations des Étrusques. Leurs livres
sacrés enseignent que l’observance des rites permet d’accéder à une
forme d’immortalité, paradisiaque ou infernale, selon les cas. Leur
religion tente d’influencer le cours des choses en apaisant les dieux
et en organisant soigneusement la vie civile. Après la disparition de
Romulus, le second roi de Rome, Numa Pompilius, fonde les cultes
sur la base (de tradition étrusque) d'une triade fonctionnelle dite
"précapitoline", dans laquelle, Jupiter, (Dyos Piter, Dieu le Père, en
sanscrit), représente la souveraineté, Mars, la fonction guerrière, et
Quirinus (Romulus), le dieu du peuple, les fonctions de production et
de fécondité. Plus tard, une nouvelle triade s'y substitue associant
Jupiter, Junon, son épouse, et Minerve, la protectrice de Rome. La
religion devient civique, ritualisée et officielle. Elle est organisée par
et pour l'État, et ses cultes sont légalement autorisés ou interdits. Elle
concerne essentiellement les citoyens romains et se montre
95
relativement tolérante envers les cultes des étrangers. Elle a pour
mission de préserver la "pax deorum", la paix des dieux, condition
qui assure la prospérité de la Cité, la victoire dans les guerres et la
cohésion de la société. L'efficacité des cultes dépend de la bonne
réalisation des rites, soigneusement exécutés. Les Romains ne
craignent pas leurs dieux qu'ils révèrent comme des entités
supérieures très puissantes, particulièrement honorables, qui
entretiennent avec les humains des rapports de réciprocité et
garantissent leur bienveillance en réponse aux marques de piété.
Sur la fondation de Rome, des légendes incertaines sont confondues
dans la tradition littéraire qui situe son origine à la fin de la Guerre
de Troie. Enée, un chef troyen, fils d'Anchise et de Vénus, fuit en
bateau, débarque au Latium et épouse Lavinia, fille du roi Latinus.
Son fils Ascagne fonde la ville d'Albe. L'un de ses descendants,
Numitor est dépossédé par son frère Amulius. Sa fille Rhéa Sylvia,
pourtant vestale, devient mère de deux jumeaux, engendrés par Mars.
Amulius fait noyer Rhéa et dépose les deux enfants dans une
corbeille sur le Tibre. Échoués au pied du Palatin et nourris par une
louve, ils sont recueillis par deux bergers qui les nomment Romulus
et Remus. Les enfants grandissent puis font rendre sa couronne à
Numitor. Ils en reçoivent une vaste terre près du Tibre, et décident
d'y fonder une ville. Les présages donnent la primauté à Romulus qui
trace à la charrue les futurs contours de sa ville. Remus en ayant
franchi le sillon par bravade, Romulus le tue, fondant Rome par le
sang de son frère. Le peuple Samnite était établi dans l’Italie centrale
au ~5ème siècle. Après trois guerres dont la seconde est perdue par les
Romains, (qui doivent passer sous le joug humiliant des fourches
caudines), un traité mit fin au conflit, unissant définitivement les
deux peuples. Les Samnites nous sont connus par l’épisode de
l’enlèvement des Sabines, (des Samnites), par les compagnons de
Romulus qui organisent de grands jeux en l'honneur du dieu Consus,
puis s'emparent des filles de leurs invités. Une guerre féroce éclate.
Les Sabines qui ont épousé leurs ravisseurs, séparent les combattants
et les réconcilient.
L'organisation des cultes à Rome
96
Après la mort du roi sabin Tatius, Romulus règne seul. Il disparait un
jour pendant un orage. On en conclut que son père, Mars, l'avait
enlevé, et il est adoré depuis comme un dieu sous le nom de
Quirinus, l'un des trois principaux dieux du panthéon Romain. Les
activités civiles et religieuses sont confondues à Rome. Elles sont
régies par un calendrier cyclique mal connu, (qui change au cours du
temps en demeurant assez différent du nôtre). Le plus ancien ne
dénombre que 55 jours ouvrables, le reste de l'année étant réservé
aux fêtes et aux dieux. Sous la République, il y a 45 jours de fêtes
religieuses et 60 jours de jeux publics (qui furent portés à 175 sous
l'Empire), environ un jour sur deux. L'année romaine est calée sur le
cycle lunaire. Elle commence en Mars et ne compte initialement que
304 jours répartis sur dix mois (numérotés de un à dix). On attend
ensuite environ 60 jours jusqu'à ce que le grand Pontife déclare
ouverte l'année nouvelle. Le roi Numa Pompilus ajoute deux mois de
25 jours à ce calendrier en les consacrant à Janus et Fébruus, (la
correction nécessaire a lieu tous les quatre ans). Jusqu'au 1er siècle,
les Romains ignorent également la semaine. Trois jours marquent la
division du mois, les "Calendes", (premiers jours), où l'on proclame
les cultes du mois, les "Ides" qui en marquent le milieu, et les
"Nones", neuvièmes avant les Ides. Les dates sont calculées en
reculant par rapport au repère suivant. Jules César reforme ce
calendrier en ~46 en le calant sur un cycle solaire de 365 jours, et
Constantin introduit officiellement la semaine de sept jours en 321
après J.C.
Calendrier romain
Durée
MARTIUS
31
APRILIS
30
MAIUS
31
97
IUNIUS
30
QUINTILIS
31
SEXTILIS
30
SEPTEMBER
30
OCTOBER
31
NOVEMBER
30
DECEMBER
30
TOTAL
304
Nom français Nom romain
samedi
saturnus
dies
dimanche
solis dies
lundi
lunuae dies
ardi
martis dies
mercredi
mercurii dies
jeudi
jovis dies
vendredi
veneris dies
98
Il y a à Rome, de nombreux prêtres répartis en deux groupes, les
Collèges et les Sodalités. Mais la notion de laïcité n'existe pas et tout
citoyen peut se transformer en célébrant puisque la religion n'est
qu'un rituel destiné à maintenir la bienveillance générale des dieux.
On comptait trois puis quatre Collèges dont les Pontifes, avec un rôle
est très important car ils dirigent toute la religion romaine, les
Augures, chargés d'interpréter les désirs des dieux par l'observation
des signes divinatoires, les Quindecemviri qui consultent les Livres
Sibyllins dans le même but, et enfin les Septemviri qui supervisent
les jeux publics, le culte rendu à Jupiter Capitolin et les banquets
sacrés. Il y a 16 Pontifes majeurs, issus des sénateurs et 3 Pontifes
mineurs, issus des chevaliers. Nommés par cooptation, ils sont sous
l'autorité du (Pontifex Maximus), le Grand Pontife (ultérieurement
l'empereur), qui désigne parmi eux le Rex Sacrorum, le roi des
choses sacrées, un patricien indissolublement marié qui a un rôle
sacerdotal particulier. Les Pontifes sont en charge de l'important
calendrier. Ils président toutes les fêtes traditionnelles, conservent les
archives religieuses, jugent certaines affaires privées (deuils,
mariages, testaments), Ils examinent les prodiges retenus par les
Augures, et consacrent les lieux et monuments publiques. Á
l'origine, ils entretenaient un pont sacré, d'où leur nom. Dans le
même collège, on trouve aussi les Vestales et les quinze Flamines
dont trois majeurs, le Flamine de Jupiter, Flamen Dialis, le Flamine
de Mars,Flamen Martialis, et le Flamine de Quirinus, Flamen
Quirinalis
Les Vestales sont les prêtresses de la déesse du feu Vespa,
personnification divine des foyers. Vénérées par tous les Romains,
elles entretiennent le feu perpétuel qui brûle dans le temple pour
symboliser l'âme des ancêtres, feu qu'on ne peut rallumer qu’aux
rayons du soleil, avec des miroirs, si jamais il s'éteint. Les Vestales
sont des jeunes filles choisies dans les familles patriciennes, dès l'âge
de six à dix ans. Parfaites et sans défaut physique, elles doivent rester
vierges et demeurent en service pour trente ans. Elles sont au nombre
de dix-huit, six en exercice, six novices et six anciennes. Pendant les
dix premières années, elles sont instruites par les aînées, pendant les
dix années, elles exercent effectivement leur ministère, et pendant les
dix dernières, elles instruisent les novices. Elles rentrent ensuite dans
99
la société et peuvent se marier. Le Grand Pontife les nomme par
tirage au sort, et c'est aussi lui qui les punit très sévèrement quand
elles laissent le feu s'éteindre. Astreintes à la virginité, les vestales
doivent avoir une absolue pureté de mœurs. Celle qui manquerait au
vœu de chasteté serait emmurée vivante dans un caveau avec
quelques provisions et une lampe à huile. Comme tous les hauts
dignitaires, elles sont précédées d'un licteur et suivies de nombreuses
femmes et d'esclaves lorsqu'elles se déplacent. Elles peuvent faire
gracier un condamné à mort rencontré sur leur Elles ne dépendent
que du collège des pontifes, et sont souvent appelées pour apaiser les
petits conflits familiaux. Vêtues de blanc avec un voile orangé, elles
peuvent porter un manteau pourpre et garder toute leur chevelure.
Placés sous l'autorité du Pontifex Maximus, les Flamines sont
attachés au culte d'un seul dieu. Trois flamines majeurs sont issus
des patriciens, celui de Jupiter, Flamen Dialis, le Flamine de
Mars,Flamen Martialis, et celui de Quirinus, Flamen Quirinalis. Les
douze autres, issus des plébéiens, regroupent les Flamen Carmentalis
(Carmentis), Flamen Cerialis (Ceres), Flamen Falacer (Falacer),
Flamen Floralis (Flora), Flamen Furrinalis (Furrina), Flamen
Palatualis (Palatua), Flamen Pomonalis (Pomona), Flamen Portunalis
(Portunus), Flamen Volcanalis (Vulcain), et Flamen Volturnalis
(Volturnus). Certains dieux nous sont inconnus, l'institution semble
remonter à Romulus ou Numa. Les Flamines conservent chez eux le
feu sacré, symbole de leur fonction. La charge prestigieuse est
contraignante. L'impétrant est solennellement marié (par
confarreatio, forme réservée aux patriciens). Il porte l'apex, coiffe de
cuir blanc surmontée d'une touffe de laine. Il est soumis à de
nombreuses obligations, ne pouvant monter à cheval ni dormir trois
nuits hors de chez lui, ni passer sous une vigne, ni voir l'armée. Les
pieds de son lit sont enduits de glaise. Le flamine de Jupiter ne
touche pas les animaux impurs, ni un cadavre ou rien évoquant la
mort. Il ne porte aucun nœud ou agrafe, ne se tient pas nu sous le
ciel. En contrepartie, il siège au Sénat et dispose d'un licteur et d'une
chaise curule, comme les hauts magistrats. Son épouse, la flaminica
est vêtue de robes aux couleurs vives et participe aux rites. Elle ne
peut montrer ses chevilles ni se coiffer avec un peigne en bois ou
utiliser des ciseaux de fer, etc..
100
Les Augures forment le second collège religieux romain. Lors de la
fondation de Rome, c'est un augure étrusque du nom de Vettius qui
départage Romulus et Remus par l'observation des vautours. Leur
rôle est de faire connaître l'avis des dieux. Dans la Rome antique, les
décisions politiques sérieuses exigent la consultation des augures, en
charge de l’interprétation des signes divins. L'avis des dieux peut
être obtenu par un présage lié à la survenance d'un évènement
étrange dont le sens est donné par le collège des augures et la
consultation d'archives spéciales ou des "Livres Sybillins". S'il n'y a
aucun présage, l'augure observe l'appétit des poulets sacrés ou épie
ce qui se passe dan un Templum, (non pas un temple), un lieu céleste
dédié aux dieux. Il délimite cet espace avec le lituus augural, un
bâton sans nœud terminé par une crosse courbe (qu'on retrouve dans
la crosse des évêques et dans le mot liturgie). Si des oiseaux y
passent, c'est un signe, favorable ou défavorable selon la direction de
leur vol. Le lituus est utilisé dans d'autres rites "d'inauguration",
comme lors de la fondation des édifices ou des villes. Quand l’armée
part en campagne, elle est accompagnée d'augures et emporte des
poulets dans des cages pour avoir des indications sur les combats
prochains. Les Haruspices, autres spécialistes des signes divins,
utilisent les pratiques divinatoires étrusques. Ils prédisent surtout
l’avenir en observant les entrailles d’animaux sacrifiés,
particulièrement leur foie. Contrairement aux Augures de fonction
publique, les Haruspices sont des voyants plutôt consultés pour des
questions d'ordre privé.
Deux autres collèges existent à Rome. Quinze prêtres dont la moitié
de plébéiens constituent le Collège des Quindecemviri sacris
faciundis. Placés sous l'autorité du Pontifex Maximus, ils sont
chargés de consulter les Livres Sibyllins. Il s'agit de trois recueils
d'oracles probablement acquis à la Sybille de Cumes, au ~6e siècle,
par le roi Tarquin le Superbe qui les plaça dans le temple de Jupiter.
Ils sont consultés dans les circonstances graves, ou lors de
l'apparition d'un prodige manifestant une colère divine, afin de savoir
quel dieu est irrité et comment l'apaiser. Ils provoquèrent
l'introduction de plusieurs dieux grecs dans le Panthéon romain et
l'instauration des banquets sacrés donnés en l'honneur des dieux, et
ils conclurent parfois à la nécessité de sacrifices humains. Les
Quindecemviri lisent l'interprétation des oracles devant le Sénat qui
101
décide de la suite à donner. Ces Livres Sybillins furent brûlés par les
Chrétiens lorsque le Christianisme devint religion d'État. Á leur
fondation, au ~2e siècle, les Septemviri Epulone groupent sept
plébéiens qui constituent le septième Collège. Ils assistent les
Pontifes et sont autorisés à porter la robe prétexte, une toge blanche
bordée de pourpre marquant la dignité patricienne. Ils procèdent aux
libations avec la "Patera", et ils supervisent les jeux publics, le culte
rendu à Jupiter Capitolin, les repas publics donnés par l'empereur et
les "lectisternes" des banquets sacrés donnés pour Jupiter et les
autres dieux, à l'occasion d'une réjouissance ou d'une calamité
publique. Les statues des divinités sont couchées devant des tables
couvertes de victuailles que mangent ensuite les Epulones.
Il existes d'autres confréries, les Sodalités (sodalitas), qui
comprennent au moins les Fétiaux, les Saliens, les Frères Arvales et
les Luperques. Les Féciaux interviennent lors des déclarations de
guerre et des traités de paix. Les Saliens gardent un don divin, le
bouclier sacré de Numa qui serait tombé du ciel. Le roi le plaça en
un endroit réservé (la Curia Saliorum) et en fit faire onze copies
pour que nul ne puisse reconnaître le vrai. Ces boucliers (ancilia) se
mettraient en mouvement en cas de danger. Les frères Arvales
commémorent Acca Larentia, la nourrice des jumeaux Romulus et
Remus. Ses fils furent les premiers Arvales. Ces Frères doivent
curieusement invoquer le dieu Mars pour qu'il accorde la prospérité
des champs. Il est étonnant de trouver le dieu de la guerre dans un
rite agraire, mais l'été est la saison de la guerre comme des travaux
des champs. Les Luperques sont les prêtres du dieu Faunus
Lupercus. Au mois de février, en mémoire de la Louve mythique
(lupa), ils immolent des chèvres et des chiens dans la grotte du
Lupercal. Nus et tachés de sang, ils font le tour du Palatin en
flagellant les femmes sur leur chemin pour les rendre fécondes. Cette
fête licencieuse serait l'origine de la St Valentin. Il y a encore à
Rome d'autres groupes religieux, tels les trente Curions, les
prêtresses de Cérès, ou les Galles de Cybèle. Les Curions sont les
sacrificateurs des Curies, (Romulus ayant divisé le peuple en trois
tribus et trente curies). Á Rome, l'exercice d'une fonction religieuse
laisse les prêtres mener une vie normale, et ils peuvent cumuler
102
magistrature religieuse et magistrature civile, ou passer de l'une à
l'autre.
103
Les Dieux Italiques
Les dieux des Romains ne sont pas des personnes comme les dieux
grecs. Ce sont plutôt des énergies issues de la nature, du destin, ou
même des abstractions divinisées. Le Romains n'ont pas ni
cosmogonie ni mythologie, hors l'histoire de la fondation de Rome.
Les dieux sont des entités exigeantes qu'il convient de traiter selon
les rites et avec la pureté de mœurs nécessaire. Certains dieux sont
indigènes (indigetes) et d'autres sont importés (novensides) .Certains
reçoivent un culte public, et d'autres un culte domestique pratiqué à
domicile devant un autel (lararium) construit ou peint dans chaque
maison. Ces cultes privés honorent les dieux les plus anciens, venant
des Étrusques, à commencer par le Génie associé à chaque vivant
(genius). Celui du père de famille est souvent représenté par un
serpent. Associée à Junon, la femme n'a pas de génie propre. Le père
dirige le rituel particulier à chaque foyer. Le Grand Pontife s'assure
seulement que sa bonne observation garantit le société contre la
venue des Larves, (âmes damnées venant hanter la demeure des
vivants). Le père de famille jette des fèves noires par dessus son
épaule gauche en prononçant des conjurations. Les Lémuries sont
célébrées dans chaque foyer début mai, dans le même but. Au milieu
de la nuit, le père se lève, pieds nus, suivi de toute la maisonnée. Il
fait la fica avec le pouce au milieu de ses doigts joints pour s'assurer
une protection magique. Il se lave les main puis prend neuf fois de
suite des fèves noires qu'il mâche et crache derrière lui en
prononçant une formule de conjuration rituelle. Il se purifie dans
l'eau de nouveau et l'on fait tinter des vases de bronze toute la nuit
pour effrayer les ombres qui, sans ce rite, pourraient emporter dans
la mort l'un des membres de la famille.
Les Mânes, les esprits des ancêtres d'où provient le Génius du père
de famille, peuvent donc être des puissances maléfiques dont il
convient de se concilier les bonnes grâces. D'autres Lémures, par
contre, les Lares, sont toujours bénéfiques. Ces sont des divinités
104
protectrices originellement agraires, publiques ou privées, attachées
à un lieu fixe. Elles protègent les carrefours (lares compitales), la
maison (lares familiares), et aussi l'État (lares praestites). Des stèles
dédiées aux Lares publics sont édifiées aux carrefours et au long des
chemins (où les Romains enterrent les morts). Dans les laraires
domestiques, les Lares familiers sont généralement représentés sous
forme d'adolescents tenant une corne d'abondance. On leur porte une
grande attention en les entourant de fleurs et en leur adressant des
prières fréquentes. Les esclaves et les affranchis sont activement
associés aux cultes domestiques, et l'un d'entre eux entretient le
lararium. Chaque jour, on prie aussi les Pénates, divinités du foyer.
Elles veillent sur le feu de la cuisine et gardent sains les aliments. Le
mot "pénates" vient en effet de penus, qui signifie garde manger.
Liés à la famille qu'ils protègent, les Pénates se déplacent avec elle.
L'expression française "transporter ses pénates" vient de cette
coutume. Ce culte est associé à celui de Vesta, la déesse de ce feu
domestique sacré qui ne doit jamais s'éteindre, pas plus que le feu
sacré de la Cité. Au coté des Lares sur le Lararium, on trouve de
nombreuses statuettes offertes en ex-voto aux divinités les plus
diverses. Le jour de leur mariage, les jeunes filles offrent d'abord
leurs poupées d'enfance aux Lares de leur père, puis elles placent une
statuette de Vénus, symbole d'amour et fécondité, dans le Laraire de
leur nouvel époux.
Chaque partie de la maison romaine est placée sous la protection
d'une divinité domestique particulière, comme Forculus qui en garde
la porte, Limentinus, la pierre du seuil, et Cardea, les gonds. D'autres
divinités nombreuses aident l'enfant à grandir. Vaticanus aide le
nouveau-né quand il pousse son premier cri, Cunina le protège au
berceau, Rumina l'aide à téter, Statulinus ou Statinus lui apprennent à
se tenir debout. Plus tard, Educa l'assiste pour manger seul et Potina
pour boire. Fabulinus l'apprend à parler, et lorsqu'il commence à
marcher, Abeona protège ses allers et Adeona ses retours. D'autres
divinités protègent le bétail et les récoltes. Bubona s'occupe des
boeufs, Epona, des chevaux, Pales, des moutons. Flora fait fleurir le
blé, Matula le fait mûrir et Robigo le protège de la rouille. De façon
très particulière, l'on célèbre aussi à Rome, des entités fort abstraites
comme Fors et Fortuna, les deux déesses du hasard, Fides, la bonne
foi, Honor et Virtus, la gloire et la valeur, Concordia, la force de
105
cohésion des citoyens, Febris, la fièvre, etc.. Pour éviter de
mécontenter quiconque, on prie même le "dieu inconnu", et on lui
élève un temple (qui fut un temps offert aux Chrétiens). Les Romains
honorent encore un grand nombre de "volontés divines aléatoires"
(numina) qu'il faut absolument se rendre favorables dans des
circonstances bien précises de l'existence. Par exemple, dans la
succession saisonnière des travaux agricoles et en fonction de son
activité, le cultivateur doit s'adresser à Sterculinus (pour l'engrais du
sol), à Vervactor (pour le premier labour), à Redarator (pour le
second), ou à Sator (pour l'ensemencement) etc.. Pendant longtemps,
les Romains ne représentent pas ces "numina", ce qui démontre leur
très grande ancienneté.
Les principaux dieux italiques (indigetes) semblent être Carmenta
(déesse des sources, puis de la prédiction), Cérès (déesse des fruits
de la terre), Faunus (dieu du bétail), Flora (déesse des fleurs),
Janus (dieu de la lumière), Junon (déesse de la femme et de la
maternité), Jupiter (grand dieu du ciel et du tonnerre), Mars (dieu
de la végétation et de la guerre), Minerve (déesse de l'intelligence),
Palès (dieu puis déesse des pâturages et des bergers), Pomona
(déesse des fruits et des arbres), Quirinus (confondu avec Romulus),
Saturne (dieu des semailles et de la culture), Tellus (déesse de la
terre et des moissons), Vertumne (dieu des saisons et du commerce),
Vesta (déesse du foyer), Vulcain (dieu du feu). On trouve aussi
Flora (protectrice des jardins), Silvanus (dieu des bois), Feronia
(dieu de la nature sauvage), Lupercus (dieu des loups), Consus (lié
au monde souterrain et protecteur du blé). Les dieux de la fertilité
ont un double aspect mâle et femelle comme Liber/Liberia (dieux de
la vigne et de la fertilité en général). Les Latins considèrent alors que
les numina sont des manifestations impersonnelles de la volonté
divine et qu'elles ne doivent donc pas avoir de forme. Parmi ces
"volontés ou intentions divines", certaines numina sont
particulièrement importantes parce qu'elles patronnent une activité
globale. Saturne préside aux semailles, Janus à la lumière, Mars à la
végétation et la guerre, Jupiter aux éclairs et phénomènes
atmosphériques. Á l'origine, ils sont représentés par des symboles
comme l'épée du dieu Mars. À partir du ~6e siècle, sous l'influence
des Étrusques, une assimilation se produit avec des dieux grecs, et
106
les dieux commencent à apparaître avec un caractère personnel et
sous une forme anthropomorphique.
Les Romains observent rigoureusement les rites car toute négligence
oblige à les recommencer. Les pratiques ordinaires comportent des
prières, des vœux et des sacrifices. Pour prier, le fidèle se tient à
genoux, tête couverte, tourné vers l'est. Il touche l'autel ou les
genoux de la statue. Il répète à haute voix les formules lues par le
prêtre et il termine par l'adoratio (baiser envoyé de la main gauche)
ou la supplicatio (prosternation). Il peut aussi faire des vœux ou
promesses, comme bâtir un temple, célébrer des jeux, offrir des
sacrifices ou des dons, etc.. Pour offrir un sacrifice, il doit se baigner
et revêtir une robe blanche. Les animaux à immoler doivent être sans
tache. Ils sont garnis de bandelettes et leurs cornes sont dorées. Des
serviteurs sacrés les amènent en donnant l'impression qu'ils vont
d'eux-mêmes au sacrifice. On place sur leur tête un gâteau fabriqué
par les Vestales, et on l'arrose de vin en faisant une libation. Puis, un
serviteur spécialisé, le victimaire, questionne «agone?». Et le prêtre,
la tête couverte d'un pan de sa toge, répond «hoc age». La victime
est alors immolée d'un coup de maillet, de hache ou de couteau.
L'animal est dépecé et sa chair partagées entre le prêtre, le donataire
et l'assistance, tandis que les haruspices examinent les entrailles. Si
elles ont bon aspect, on les brûle sur l'autel, sinon le sacrifice n'est
pas agréé des dieux et doit être recommencé. Une forme élaborée de
sacrifice (suovetaurile) peut clôturer une cérémonie de purification
commencée par une procession. D'autres pratiques consistent en un
festin offert à la statue d'un dieu couchée sur un lit (lectisterne) ou
assise sur un siège (sellisterne)... Les Romains invitent aussi les
dieux des adversaires vaincus à venir à Rome pour être bien honorés.
L'influence grecque et les dieux Étrangers
La jeune Rome entre vite en conflit avec Albe qui dirige la région.
Le combat légendaire des Horace contre les Curiace marque la fin de
cette prédominance, au profit de Rome. Historiquement, au ~8e
siècle, les Grecs, les Carthaginois et les Étrusques régentent à tour de
107
rôle cette Méditerranée occidentale. Dans le Latium, Rome reste
conduite par les Étrusques, (les Tarquin). Cette situation dure
jusqu'au ~6e siècle, puis les patriciens romains chassent Tarquin le
superbe, leur dernier roi étrusque. Rome s'émancipe et nomme deux
"rois annuels", les consuls. Divers conflits l'opposent aux Étrusques,
aux Sabins, et autres peuples latins. Au ~4e siècle les Celtes
(Gaulois), conduits par Le Brenn, investissent Rome , la rançonnent
(Vae Victis), et puis s'en vont. Rome se renforce alors et engage
plusieurs guerres dites "Samnites" qui lui permettent de s'emparer de
l'Italie centrale puis de l'Italie du Nord. Cependant, les Grecs très
affaiblis sont encore présentes dans leur ancienne colonie de la
Grande Grèce (Italie du Sud et Sicile). Rome tente plusieurs fois de
s'en emparer, mais les éléphants du macédonien Pyrrhus contiennent
les légions qui finissent pourtant par vaincre en ~272, et Rome
s'empare de toute l'Italie du Sud. Quoique la péninsule soit alors
entièrement soumise, le territoire proprement romain reste limité au
Latium, à l'Ombrie et à la Campanie, les autres régions payant
simplement tribut. La Sicile demeure encore aux mains des
Carthaginois. La puissance importante et croissante de Carthage dans
la région est un souci constant pour les Romains. Leurs concurrents
dominent déjà la plupart des cotes de l'Afrique du Nord, le détroit, la
moitié orientale de la péninsule hispanique et les trois grandes îles
aux portes de Rome.
La confrontation avec les Carthaginois est inévitable. Elle prend la
forme des trois guerres (dites puniques) successives, entre ~264 et
~146. Pour l'époque, les moyens mis en œuvre sont absolument
considérables. La première guerre fut menée par les Carthaginois
Hamilcar Barca puis Hasdrubal et son fils Hannibal. Elle dure
environ vingt ans, et Carthage envahit l'Espagne mais perd la Sicile.
La seconde guerre est la plus connue, et Carthage y engage des
moyens énormes. Son armée compte soixante mille fantassins, onze
mille cavaliers numides, et trente-sept éléphants. Le général
Hannibal réalise un exploit militaire extraordinaire. Son immense
armée traverse toute l'Espagne et les Pyrénées. Elle remonte ensuite
le Rhône qu'elle passe sur des radeaux, puis elle traverse les hauts
cols des Alpes avec ses cavaliers et éléphants, et entre en Italie. Allié
aux Gaulois et aux Macédoniens, Hannibal, d'abord victorieux,
obtient le ralliement de la Sicile, de la Sardaigne, de Tarente et de
108
Capoue, ville dans laquelle il s'attarde longuement au lieu de
marcher sur Rome. Pendant ce temps, les Romains fort affaiblis
réussissent à rassembler deux cent mille guerriers. Sous le
commandement de Scipion (l'Africain), ils s'emparent de l'Espagne
et débarquent en Afrique. Ils retournent les alliés numides, et avec
cette nombreuse cavalerie, ils gagnent la bataille décisive de Zama
qui marque la défaite de Carthage. Cette guerre marque cependant
profondément les Romains qui décident de détruire complètement
Carthage. La troisième guerre amène le terrible siège de Carthage,
qui dure trois ans (de ~149 à ~146). Finalement les Romains
détruisent complètement la ville qui est rasée, et la population est
exterminée dans l'un des grands génocides de l'Histoire.
Sans la défaite de Carthage, la condition actuelle de l'Occident serait
très différente. Leurs dieux phéniciens étaient mystérieux et féroces
et s'appelaient Baal (El), Astarté (Tanit), Melgart, Eshmoun, etc..
Leurs cultes cruels comportaient des sacrifices humains (peut être
aussi d'enfants). L'écrasement de Rome par Hannibal aurait
probablement signifié la diffusion de ces cultes dans toute l'Europe
occidentale. Les Romains accueillaient facilement les dieux des
nations vaincues, mais il ne semble pas qu'ils aient jamais adopté
ceux des Carthaginois. Au ~3e siècle, ils vénéraient déjà Esculape,
une romanisation du dieu grec Asclépios. Pourtant, la première
divinité orientale officiellement introduite en ~202 à Rome fut
Cybèle, une déesse anatolienne au culte sanglant dont les fidèles, les
Galles, se castraient parfois aux mêmes avec des éclats de silex. On
lui éleva d'ailleurs un temple. Sur le plan politique, les Romains sont
maîtres de l'occident européen mais ils n'en restent pas là. Ils
engagent la conquête de toute la Méditerranée orientale. Cela leur
demande beaucoup de temps, un siècle et demi environ, et la religion
romaine évolue beaucoup au contact des civilisations étrangères. La
rencontre des dieux grecs transforme les concepts religieux romains
et provoque d'étranges assimilations. Jupiter est assimilé à Zeus, et
des petites divinités romaines secondaires sont identifiées aux grands
dieux grecs, comme Neptune à Poséidon, Diane à Artémis, et bien
d'autres. Des dieux grecs comme Dionysos, inconnus à Rome, y sont
importés avec tous leurs attributs. Et comme la religion grecque
avait beaucoup évolué en relation avec la constitution de l'immense
109
empire d'Alexandre, les conséquences de l'évolution sont intégrées
par les Romains.
110
orrespondance des noms des dieux grecs et latins
Grec
Latin
Dieu ou déesse
Grec
Latin
Dieu ou d
Gaïa
Terra
Déesse-mère,
personnifie la
Terre
Arès
Mars
Dieu de la
Athéna
Minerve
Déesse de
Science
Ouranos
Cronos
Rhéa
Uranus
Dieu-père,
Héphaïstos Vulcain
personnification
du Ciel
Apollon
Apollon
Saturne Titan, père de
Zeus
Artémis
Diane
Cybèle
Dieu du F
Dieu de la
Prophétie
Déesse de
la Nature
Titanide,
épouse de
Cronos/Saturne
Hermès
Mercure
Messager
Dionysos
Bacchus
Dieu de la
Zeus
Jupiter
Roi des dieux
Eros
Cupidon
Dieu de l'A
Héra
Junon
Déesse du
Mariage,
épouse de
Zeus/Jupiter
Hélios
Sol
Dieu du S
Perséphone Proserpine
Déesse de
Fertilité
Dieu des Enfers
Asclépios
Dieu de la
La Santé
Hadès
Pluton
Poséidon Neptune Dieu de la Mer
Déméter
Cérès
Déesse de la
Terre et de
l'Agriculture
Hestia
Vesta
Déesse du
Foyer
Aphrodite Vénus
Déesse de
l'Amour et de la
Beauté
Esculape
111
L’influence grecque et les idées platoniciennes marquent
profondément la société romaine et s'étendent progressivement dans
tout l’Empire. Depuis l'épopée d'Alexandre, le phare culturel
d’Alexandrie rayonne sur la Méditerranée. Dans les quelques siècles
qui encadrent la naissance du Christianisme, de nombreux courants
de pensée agitent le monde antique. Les différentes écoles envoient
des missions un peu partout pour répandre leurs cultes et leurs idées,
et cela concerne aussi la Palestine et le Judaïsme. Cette importante
turbulence amène des confrontations qui opposent les vieux cultes
traditionnels aux religions nouvelles et aux idées des penseurs néoplatoniciens, hermétistes, gnostiques et chrétiens. Les Cultes à
Mystères alexandrins apparus en Grèce se diffusent dans tout
l’Empire Romain. Les plus connus sont les Mystères d’Éleusis, qui
célébraient le culte des deux déesses, Déméter (Cérès à Rome), et
Perséphone, mais d’autres cultes étaient rendus à Apollon, Dionysos,
Cybèle et Attis, Mithra, Astarté, Pan, Adonis etc... Il faut ajouter les
cultes égyptiens d’Isis, Sérapis, ou Anubis, et ceux de divers
sauveurs comme Jupiter Héliopolitain Dolichénien. Ces cultes
introduisent dans les religions antiques les concepts nouveaux
d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection. Sous l’influence
de l’hellénisme qui les tolère, les Romains accentuent leur facultés
d'assimilation et adoptent avec enthousiasme ces doctrines dont les
pratiques inhabituelles viennent secouer la terne monotonie de leurs
habitudes. La plupart des nouvelles liturgies, (et ultérieurement le
Christianisme), s’adressent à des dieux souffrants dont les cultes
évoquent la passion, et les fidèles reproduisent sur eux-mêmes les
tribulations du dieu.
Les pratiques entraînent des privations pénibles et des souffrances
occasionnellement sanglantes, mais les Romains adaptent parfois les
rites à leurs lois, remplaçant la castration des galles de Cybèle par
une douche de sang dans le taurobole. La célébration des Mystères
provoque de frénétiques comportements de défoulement et des
émotions violentes qui fascinent les citoyens romains blasés et
fatigués par la décomposition politique et les traditions
vieillissantes. Des paroxysmes extatiques accompagnent la
révélation progressive du dieu. Les liturgies, prenantes et colorées,
s’appuient sur des initiations successives qui expliquent les
significations cachées des Mystères. Elles sont accompagnées de
112
baptêmes exaltants dont les rites de mort et de résurrection marquent
la progression des initiés vers le salut dans un autre monde. Dans
chaque niveau initiatique, des cérémonies marquent l’entrée dans
une fraternité accueillante, et les rituels comportent souvent des
repas en commun qui soudent la communauté. Le culte de la Déesse
Mère Isis prend une importance considérable et elle devient la déesse
universelle qui engendra l'univers et les astres. Un temple d'Isis
existe encore à Pompéi. Un autre dieu connait un succès
considérable à Rome, le dieu iranien Mithra dont le culte viril lié au
taureau attirait les militaires. Il est évident qu'à cette époque la
religion traditionnelle ne satisfait plus les citoyens. Quoique les
lettrés réaffirment leur attachement aux traditions ancestrales, les
esprits s'ouvrent au monothéisme. L'empereur Aurélien tente
d'instaurer le culte du Soleil invaincu (Sol invictus), puis en 380,
l'empereur Théodose fait du Christianisme la religion officielle de
Rome et tous les temples anciens sont détruits.
113
CHAPITRE 6 - La Divine Comédie de Dante
Introduction
La "Commedia" a été écrite par le florentin Dante Alighieri,
vers 1307. On la décrit souvent comme une grande oeuvre
lyrique et ésotérique. C'est surtout un roman d'amour,
celui d'un amour immense et désespéré. Dante a déçu la
femme qu'il aimait éperdument et elle est morte avant qu'il
ait pu la reconquérir. Son dernier espoir est de rejoindre
son âme au Paradis pour obtenir son pardon et retrouver
son amour. Dante raconte donc ce rêve d'un voyage
imaginaire au travers du monde des morts. Guidé d'abord
par Virgile qui représente sa raison puis par Béatrice qui
est son âme divine, Dante va passer de l'enfer au
purgatoire puis au paradis. Ces trois sections
partitionnent une œuvre importante où l'on rencontre de
nombreux personnages symbolisant les divers vices ou
vertus. Le texte détaille les châtiments ou les
récompenses reçues. On voit que le livre peut admettre
des interprétations variées. Il illustre bien les climats
philosophiques, scientifiques, religieux et politiques de la
fin du 13e siècle.
Dante en son temps
Dante était un écrivain italien qui naquit à Florence en 1265 et
mourut à Ravenne en 1321. Il fut le premier à écrire en italien et non
plus en latin. Ce n'était pas un contemplatif mais bien un politicien
114
convaincu, ardemment engagé dans la guerre civile successorale et
dynastique qui opposait les Guelfes, partisans du Pape Alexandre III,
aux Gibelins qui soutenaient l'Empereur Frédéric II (Barberousse). Il
participa même personnellement aux combats. Á Florence, il parvint
à la magistrature suprême en 1300. En 1301 Dante fut envoyé à
Rome en ambassade auprès du Pape Boniface VIII. Mais les Guelfes,
politiquement dominants, étaient alors divisés en deux clans
férocement rivaux, Blancs, (modérés) et Noirs, (extrémistes).
Dans l'ordre chronologique, Dante produisit les livres suivants : Vita
Nova (Vie renouvelée), Rime (Rimes), Convivio (Banquet), De
Vulgari Eloquentia (De l'éloquence en langue vulgaire), Monarchia
(Monarchie), Epistole (Épîtres), Egloge (Églogues), Questio de Aqua
et Terra (Querelle de l'Eau et de la Terre). Son dernier ouvrage est le
plus célèbre, La Commedia, ( Introduzione, l'Inferno, Il Purgatorio,
Il Paradiso. L'immense poème qu'est "la Divine Comédie" comporte
une introduction suivie de 99 chants versifiés (tercets), constituant
une séquence de trois parties complémentaires, l'Enfer, le Purgatoire
et le Paradis, (cent chants au total). On attribue aussi à Dante Il Fiore
e Il Detto d'Amore. (La Fleur et le discours d'Amour).
Avec l'aide de Boniface VIII, les Noirs prirent le dessus et abusèrent
cruellement de leur victoire. Lourdement condamné et incapable de
payer l'amende imposée, Dante, qui était Guelfe blanc, était
formellement menacé du bûcher s'il revenait à Florence. Il demeura
donc prudemment à Rome puis se réfugia à Vérone et enfin à
Ravenne où il mourut en 1321 de la malaria. Il se considéra toujours
comme un exilé car il ne revint jamais en sa ville. Il se consacra
d'abord à l'écriture puis changea d'option politique, soutenant
dorénavant les Gibelins. Comme les autres ouvrages écrits pendant
cette période difficile de sa vie, la "Commedia" reflète partiellement
les mortelles rivalités et la terrible violence des conflits politiques de
l'époque.
115
Les premiers livres de Dante
Vous lirez partout que Dante, (Durante degli Aligheriri), le fils aîné
d'Alighiero di Bellincione et de Gabriella degli Abati, était un très
grand poète. Vous n'éprouverez cependant aucun plaisir à la lecture
de ses ouvrages originaux. Car Dante écrivait en toscan, un ancien
langage obsolète depuis bien longtemps. Vous n'aurez donc accès
qu'à des traductions qui dégradent l'oeuvre originale. Par ailleurs,
une grande partie des textes de Dante est versifiée dans une forme
très formelle et très concise qu'aucune traduction ne peut fidèlement
reproduire. Et surtout, le contexte culturel et politique qui a inspiré
les textes nous est devenu parfaitement étranger. On y trouve en effet
de très nombreuses références mythologiques, historiques et
religieuses complètement oubliées et même beaucoup de règlements
de comptes politiques. Aujourd'hui ces livres nous tomberaient des
mains. Je crois qu'il est indispensable, pour les reconnaître, de
recourir humblement aux analyses des commentateurs. C'est
maintenant ce que je vous propose d’essayer de faire ensemble.
En 1292, Dante écrit son premier ouvrage, la Vita nuova. C'est une
petite autobiographie comprenant 35 poèmes et 42 chapitres en
prose. Écrit en toscan ancien (langue dite vulgaire, au sens de
populaire, par rapport au latin traditionnel), le livre apparaît
novateur. Dès les premières lignes, Dante évoque l'étonnant
personnage de Béatrice, (Bice di Folco Portinari), qui va inspirer tout
le livre. Alors qu'il n'avait que neuf ans, il a croisé par hasard une
petite fille. Vêtue de rouge et parée comme tous les Florentins de
qualité en ces temps, elle n'avait que huit ans. Dante a cru voir un
ange. Neuf années passent avant qu'il la rencontre pour la seconde
fois. Jeune fille toute vêtue de blanc, elle lui adresse "un doux salut".
Ébloui, Dante met à écrire de nombreux sonnets au point d'intriguer
ses amis. Pour tromper leur curiosité, il feint de s'intéresser à d'autres
dames. Dorénavant, Béatrice refusera son salut. Elle épousera
116
Simone de Bardi et mourra jeune. Et Dante écrira Vita nuova, cette
grande poésie lyrique qui fait de Béatrice un ange descendu du ciel.
Dante produisit la Vita nuova deux ans après la mort énoncée de
Béatrice. Mais les commentateurs ne semblent pas certains que la
réalité fut celle que Dante décrivit. On ne sait pas vraiment si cette
Béatrice fut l'objet d'un amour éperdu, d'un rêve ou d'un délire ou
bien qu'elle ait été un moyen littéraire génial, imaginé pour émouvoir
le lecteur. Réel ou fictif, ce personnage a inspiré de nombreux
peintres, de Giotto à Dali. D'innombrables tableaux représentent la
relation de Dante avec Béatrice, tout autant dans la Vita nuova que
dans la Divine Comédie. Elle a aussi inspiré un opéra de Godard et
beaucoup de compositeurs de musique et autres artistes divers. La
composition de l'ouvrage est assez curieuse, faisant alterner des
poèmes et des parties en prose. Il semble qu'originellement, cette
prose exposait l'histoire des amours déçues de Dante. La frustration
liée à la mort de Béatrice stimula l'imagination de l'auteur. Il intégra
à l'ouvrage tous les longs poèmes sublimant ses souvenirs, en y
ajoutant des explications quant à leurs structures et leurs contenus.
Le second livre en toscan de Dante, "Le Banquet", (Convivio), est
très important. L'auteur a pris conscience du désir de connaissance
qu'ont tous les hommes. Il se propose de satisfaire cette faim et
construit son ouvrage comme un banquet de savoir offert aux
chercheurs. On y trouve une succession de mets philosophiques à
thèmes, sous forme de longs poèmes suivis d'explications en prose
bien plus longues encore. Dante aimait expliquer systématiquement
la signification précise de chaque détail de son travail. Ce qui paraît
précieux dans ce Banquet, ce sont justement ces explications qui
exposent l'essentiel du contexte culturel, moral, religieux, politique
et scientifique de l'époque. Le premier chant est cosmogonique.
Comme chez Aristote, la Terre est le centre de l'Univers. Elle est
entourée de neuf cieux, de la Lune, de Mercure, de Vénus (contenant
l'épicycle cause des écarts orbitaux), du Soleil, de Mars, de Jupiter,
de Saturne, des Étoiles, puis du ciel Cristallin de Ptolémée. Au
dessus est l'Empyrée, lieu de séjour divin, le ciel de lumière des
Catholiques.
117
Dante décrit ensuite les moteurs animant ces cieux, ces innombrables
ensembles d'intelligences que les païens appelaient dieux et que
Platon nommaient Idées. Plus ils sont proches de Dieu et plus ils sont
puissants. Ils se répartissent en trois hiérarchies, chacune de trois
ordres, d'abord les Anges, les Archanges, et les Trônes, puis les
Dominations, les Vertus et les Principautés, et enfin les Puissances,
les Chérubins, et au sommet les Séraphins. Cette organisation
reflèterait celle de la Majesté divine en ses trois aspects doctrinaux
du Père, du Fils et du Saint-Esprit. Et Dante poursuit ses exposés
dans la même veine, assimilant aux sept premiers cieux les sept
sciences raisonnables classiques, au premier la Grammaire, puis la
Dialectique, la Rhétorique, l'Arithmétique, la Musique, la Géométrie
et l'Astrologie. Au ciel des Étoiles, il place la Physique et la
Métaphysique, et enfin, tout en haut, la Théologie. Tout cela est
justifié dans le détail par de longs discours et de multiples références
aux traditions mythologiques et aux travaux des plus grands
philosophes.
Les doctrines et les sciences
Les doctrines métaphysiques et religieuses s'appuient bien souvent
sur des éléments fournis par la science à l'époque de leur
élaboration.
Mais les doctrines prétendent aux vérités définitives concernant les
origines et le destin du Monde, tandis que les théories des sciences
demeurent éphémères, se succédant continûment pour en exposer les
seuls aspects actuels.
Les convictions immuables sont alors bâties sur du sable car les
sciences changeantes qui les fondent ne reflètent que les
connaissances du moment.
C'est pour exprimer cela que le Théosophe Rudolf Steiner disait :
"On peut être à la fois homme de science moderne et investigateur
118
spirituel, mais dans ce cas,
il faut être authentiquement l’un et l’autre."
Ainsi vont les chants dans ce banquet de thèmes, traitant, entre autres
et par exemple, des mouvements circulaires du Soleil et de la Terre
d'après les philosophes, des inclinations du corps et de l'âme en
fonction de leur nature minérale, animales ou spirituelle, ou des
attraits des bonnes et mauvaises actions. Dante traitera aussi des
structures de la société politique et civile médiévale, du rôle de la
Noblesse, de la légitimité du pouvoir impérial et des interventions de
l'Église et du Pape. Il évoquera des sujets abstraits, tantôt positifs
tels la raison, le discernement, ou l'éthique, tantôt négatifs comme
l'arrogance, l'irrespect, ou l'incivisme. Il parlera aussi du Droit et de
la Logique, des Arts, des richesses et de la cupidité, de la vérité et
autres vertus. Mais Dante n'oublie pas Béatrice qui revient souvent
dans le texte pour conforter les arguments relatifs à l'amour, à la
beauté, à la noblesse, ou la vertu. On voit se mettre en place au fil
des pages le personnage de la Dame sainte, envoyée de Dieu dans la
future Commédia sur laquelle Dante travailla si longtemps.
En 1304, Dante commençait le "Banquet", important traité en toscan
qui devait compter quinze chapitres. Mais il n'en écrivit que quatre et
laissa l'ouvrage inachevé. Á la même époque, il travaillait aussi sur
un grand traité en latin, "De vulgari eloquentia", une étude des
dialectes vulgaires qui semblait porter ses espoirs de contribuer à
l'unification de la future langue italienne. Il abandonna aussi cette
oeuvre avant de l'avoir achevée. Peut-être travaillait-il déjà sur la
"Commédia" dont on date la mise en route vers 1307. Un peu après
1313, il fait paraître un autre traité en latin, "De Monarchia", qui
propose la monarchie universelle comme le parangon des systèmes
politiques, seul capable, à son avis, de réaliser la sécurité et le
bonheur des hommes. Ce livre qualifié d'hérétique sépare l'autorité
temporelle de l'empereur et l'autorité spirituelle du pape. Sa mise à
l'index durera jusque 1881. On peut encore évoquer "Questio de
aqua et terra", autre court traité en latin, et deux "églogues" qui sont
des florilèges de poèmes bucoliques. On a aussi ultérieurement
recueilli des poèmes dans "Rime" et des lettres dans "Epistole",
publiés de façon posthume.
119
Dans le début des années 1300, Dante entreprend la Commedia (qui
devient la Divine Comédie en 1555) qui est dédiée à Virgile. C'est
son chef-d'oeuvre et il y travaillera jusqu'en 1321. L'ouvrage est
rédigé en toscan, la madre lingua, ce langage local qui deviendra
"l'italien". L'oeuvre comporte trois parties divisées chacune en
trente-trois chants. Elle compte au total quatorze mille deux cents
vers. La versification utilise la terza rima. Dans ces tercets de trois
vers, le premier rime avec le troisième, et le second appelle les
première et troisième rimes du tercet suivant. Dante écrit d'abord
"l'Enfer", vers 1307. Il y place tous ses ennemis dans des situations
horribles. Il ajoute "le Purgatoire" vers 1316 et achève enfin le livre
avec "le Paradis" en 1321, juste avant sa mort. La "Commédia" relate
le voyage imaginaire que Dante entreprend pour rejoindre Béatrice,
la femme qu'il aimait et qui est morte et qu'il a idéalisée comme un
ange de Dieu. Le livre commence de façon abrupte. Le poète se met
en route le 8 avril de l'an 1300, jour du Vendredi Saint, et il se trouve
égaré dans une vallée profonde où il est menacé par trois bêtes
féroces. Alors paraît Virgile qui vient l'aider.
Á l'image d'Ulysse et d'Orphée mais en compagnie d'un guide, Dante
va passer les portes du séjour des morts, et traverser les neuf cercles
du puits de l'Enfer, puis les neuf niveaux de la montagne du
Purgatoire. Il retrouvera enfin Béatrice qui le mènera jusqu'aux
sommets des neuf domaines du Paradis. Dans l'univers de Dante, il y
a trois mondes. La terres est en bas, dans le monde matériel. Elle est
entourée des neuf cieux décrits dans le "Banquet", conformément
aux théories de l'époque. Le trône de Satan est situé en son centre.
Juste en dessous commence le puits de l'Enfer. C'est une immense et
horrible cavité conique, de plus en plus large avec un orifice au fond.
C'est par là que Dante et Virgile sortiront pour revenir vers la
montagne du Purgatoire dans une île inconnue de l'Océan. Lorsqu'ils
seront au sommet, ils pourront percevoir les autres mondes et
l'Empyrée. Au delà, c'est le flamboyant domaine de Dieu et des neuf
groupes de puissances spirituelles animant les cieux. (Déjà décrites
dans le Banquet, ce sont les anges chrétiens ou les dieux antiques).
Et, au voisinage de Dieu, est la blanche Rose Mystique, le coeur du
Paradis, le magnifique domaine des Élus.
120
On ne peut pas aborder l'ouvrage sans avoir intégré cette conception
triplement ternaire de l'Univers "dantesque". Sachez qu'il est parfois
représenté sous une forme humaine dont l'Empyrée est la tête et le
Purgatoire, l'orifice inférieur (voir). Complexe et lyrique, la Divine
Comédie est une véritable "somme" des connaissances et des
concepts issus du Moyen-Âge. Elle éclaire l'époque sur bien des
plans, philosophique, politique, sociétal, théologique et scientifique,
en particulier cosmogonique. C'est aussi une révélation du rôle
particulièrement pesant tenu par la religion avec les contestations
violentes que cela appelle. On y rencontre de nombreux personnages
inspirés par la mythologie antique et l'histoire classique mais aussi
par la société contemporaine et les amitiés et inimitiés du poète. Ils
personnifient les vices et les vertus des hommes et reçoivent
récompense ou châtiment. Le livre est une allégorie de la voie
salutaire qui passe par la purification des âmes. Il a inspiré beaucoup
d'artistes tels Botticelli, Michel-Ange, Blake, Delacroix, Doré, et
même Dali et Claudel, (ce que j'essaierai d'illustrer), ou encore des
musiciens comme Rossini, Schumann et Liszt.
Le puits de l'Enfer de Dante
L'Enfer de Dante a la forme d'un entonnoir composé de neuf zones
concentriques. Plus on s'enfonce, plus grande est la souffrance des
damnés. Chaque cercle est régi par un Démon mythologique. Il y a
un haut enfer pour ceux qui on cédé aux passions et un bas enfer
destiné aux vrais méchants. Au seuil de l'Enfer, on trouve le
vestibule effrayant des lâches et des esprits neutres que des taons et
des guêpes tourmentent cruellement. Là coule l'Achéron, fleuve grec
mythique qui borde le noir empire. Prié par Virgile, le nautonier
Charon accepte de faire traverser Dante. Les deux pèlerins entrent
dans le premier cercle, les Limbes, qui sont un lieu paisible mais de
grande tristesse. On n'y trouve que des personnes sans espérance car
elles n'ont pas été baptisées. Dante y rencontre les patriarches
bibliques tels Adam, Noé, Moïse, Abraham et le roi David, il croise
aussi les héros mythiques antiques comme Orphée, Hector, Énée,
César et même Saladin, ainsi que les philosophes célèbres, Socrate,
Platon, Démocrite, Hippocrate, ou des savants, Ptolémée, Galien,
121
Averroès, et bien d'autres. Sans s'attarder longtemps en ces lieux,
Virgile conduit Dante au second cercle gardé par Minos.
Dans le second cercle les luxurieux sont emportés et secoués sans
trêve dans les tourbillons d'un violent ouragan. Dante y voit
Sémiramis et Cléopâtre, Hélène et Pâris, le bouillant Achille et le
tendre Tristan, et tant d'autres fervents de plaisirs sensuels. Il voit
aussi passer des membres de sa famille, Francesca Malatesta qui fit
son amant de Paul, son beau-frère. Chagriné par le sort pénible de
ses parents, Dante perd connaissance et se laisse glisser dans le
troisième cercle. Ce lieu est gardé par Cerbère, une monstrueuse bête
à quatre bras et trois têtes qui déchire les esprits des gourmands sur
qui s'abattent des pluies, des neiges et grêles perpétuelles. Ayant
évité les terribles crocs, Virgile et Dante descendent dans le
quatrième cercle, domaine régi par le terrible Pluton. Deux troupes
s'y affrontent sans cesse, s'y heurtant avec une extrême violence. Ce
sont avares et prodigues, toujours en quête de plus d'or à amasser ou
à dépenser. Les plus avides sont les clercs, les papes et les cardinaux,
mais les politiques les approchent de bien des façons. Ainsi une
nation domine quand une autre languit, quoiqu'il leur fut donné
même espoir. Mais il faut poursuivre et passer les marais du Styx.
Je ne citerai pas tous les concitoyens que Dante a rencontré dans le
bas enfer. Sachons seulement qu'il descendit dans le huitième cercle
sur le dos d'un monstre horrible, Géryon. Ce cercle complexe
comprend dix Malebolges, de grands gouffres concentriques où sont
précipités les fraudeurs et trompeurs de toute nature. La première
bolge contient les séducteurs nus fouettés par des démons. Dans la
seconde, les flatteurs et adulateurs baignent dans la fiente humaine.
La suivante est réservée aux simoniaques qui ont vendu les services
de l'Église. Plantés à l'envers dans des trous, des flammes brûlent
leurs pieds. On y voit les papes Boniface VIII et Nicolas III, et
l'Empereur Constantin. Dans la quatrième bolge, les devins marchent
la tête en arrière sans voir où leurs pas les mènent. Les
prévaricateurs et les trafiquants sont jetés dans la poix bouillante de
la cinquième bolge et piqués de crocs. Fuyant les démons menaçants,
Dante rencontre les hypocrites de la sixième qui portent de lourds
chapes de plomb doré. Il reconnaît parmi eux des Chevaliers de
122
Bologne qui se laissèrent corrompre. Et sur le sol, Caïphe et ceux qui
condamnèrent le Christ sont crucifiés, liés à trois pieux.
La fosse suivante est celle des voleurs, remplie de serpents. Leur
morsure réduit en cendres la victime qui renaît aussitôt tel un Phénix,
et leur étreinte retourne le corps comme un gant. Dans la huitième
bolge, des flammes dévorent les conseillers perfides dont Ulysse qui
proposa le grand cheval de la perte de Troie. Et dans le neuvième
gouffre, ceux qui apportent les schismes et les discordes sont à leur
tour coupés et divisés. C'est la vision catholique intégriste de
Mahomet ouvert du ventre au menton et du visage d'Ali fendu au
sabre. Dante y trouve quelques familiers dont Bertrand de Born
portant en main sa tête coupée. La dernière bolge contient les
alchimistes et les falsificateurs de tous ordres. Reste le Puits des
Géants avec Antée déposant Dante dans le Cocyte, le cercle glacé
des traîtres. C'est le fond de l'enfer. Ce dernier cercle comprend
quatre parts. Les lacs gelés enserrent ceux qui ont trahi, dans la
Caïnie, leurs parents, dans l'Anténore, leur cité, dans la Ptolemaïe,
leurs hôtes ou leurs partis, et dans la Judaïe, leurs bienfaiteurs. Dante
y rencontre Lucifer (Dité) qui pleure. Ses trois têtes dévorent Judas,
Brutus et Cassius. Enfin, Virgile et Dante sortent aux antipodes.
La montagne du Purgatoire
Sortis de l'Enfer, Dante et Virgile abordent une plage escarpée, au
pied du Mont du Purgatoire, à l'antipode de Jérusalem. Le concept de
ce lieu intermédiaire est apparu au cours du Moyen-Âge, surtout
après le Xe siècle. Les âmes des pécheurs repentis doivent y souffrir
pour expier leurs fautes et se purifier avant de monter
progressivement vers le Paradis. Dans la Divine Comédie, le Mont
du Purgatoire comporte un parvis, "l'Antépurgatoire", suivi des sept
corniches des sept péchés capitaux. L'entrée est gardée par Caton
d'Utique qui préféra la mort à la servitude. Plusieurs groupes d'âmes
demeurent indéfiniment au pied de la montagne. Ce sont celles des
Chrétiens qui n'ont pas reçu le pardon sacramentel de l'Église, tels
les excommuniés repentants, les insouciants morts sans confession,
123
ceux qui connurent une mort violente, et les princes qui négligèrent
la religion en raison de leur charge. Dante reconnaît beaucoup
d'ombres célèbres dont des Guelfes florentins assassinés. Il n'y a ni
cri ni gémissement dans le Purgatoire. L'atmosphère est chargée de
chants et de musique, et l'aspect est agréablement coloré. Cependant,
le Mont est protégé par un mur gardé par des Anges.
Dante s'endort. Á son réveil, il entend des cantiques et se présente à
la porte du Purgatoire. Un ange la garde et marque sept fois Dante
au front avec son épée puis il ouvre la porte avec deux clefs, d'argent
puis d'or. Dante et Virgile traversent un chaos rocheux et entrent sur
la première corniche où les orgueilleux travaillent à leur purification.
Ils marchent courbés vers la terre avec de lourdes charges sur les
reins. Les murs sont sculptés d'incitations à l'humilité et l'on entend
chanter. (Il y a beaucoup de chants dans la traversée du Purgatoire).
Un ange efface une première marque sur le front de Dante et le guide
vers l'escalier menant à la corniche de Caïn. Ce sont ici les envieux
qui se tiennent contre la montagne car ils ont les paupières cousues.
Rien ne tentant plus leur vision, ils n'aspirent qu'à la lumière. Ils
pleurent et l'ange chante pendant qu'ils récitent les litanies des
saints. Un autre ange lumineux ouvre la voie vers la troisième
corniche obscurcie de fumée. Dans cette nuit se dénouent les noeuds
de la colère. Ce chant XVII évoque bien des conflits dont celui du
Pape avec l'Empereur. Et Dante et Virgile philosophent et théorisent
sur le libre arbitre et l'amour.
124
Alors que le soir descend, Virgile et Dante atteignent la quatrième
corniche, celle des négligents et des paresseux méprisables. Menés
par des récitants, leurs ombres en grand nombre courent sans cesse
pour apprendre le zèle et la diligence. Dante s'endort là et rêve d'une
impudique sirène. Au réveil, ils gagnent la corniche suivante où les
avares et les prodigues gisent liés, face contre terre, étant ainsi punis
de la cupidité qui les empêchait de regarder le ciel. Se trouvait là
Midas qui changeait tout en or et en mourut d'inanition, et Crassus
dont la bouche goûta l'or fondu, et aussi Charles de Valois qui pilla
les Florentins en feignant d'aider Boniface. Puis voici que le sol
tremble lorsque des âmes pardonnées passent du Purgatoire au
Paradis en chantant Gloria in excelcis Deo. S'avance alors l'ombre du
poète Stace qui vivait sous Titus. Il vient d'être libéré et désire les
accompagner. L'ange efface la sixième marque sur le front de Virgile
et ouvre la porte de la sixième corniche. En ce chant XXIII, sur ce
chemin, les arbres portent des fruits savoureux rendus inaccessibles
pour la punition des gourmands, pâles et décharnés, souffrant la soif
et la faim sous leurs branches.
Un escalier mène à l'étroite et dernière corniche. De la roche
jaillissent des flammes et l'on entend chanter des hymnes. Les âmes
des luxurieux purgent leurs débordements dans cette ardeur qui
toujours brûle et jamais ne consume, et l'ange impose ce chemin
brûlant. Dante, Virgile et Stace souffrent donc la morsure du feu et
gagnent le sommet du Mont. En compagnie de Dame Mathelda, ils
remontent le cours du Léthé et contemplent la procession mythique
de l'Église accueillant les pécheurs repentis. Virgile s'en va et Dante
aperçoit Béatrice sur l'autre rive. Il a souvent trahi son souvenir, ce
dont témoigne le rêve de la sirène. Tandis qu'il pleure et que chantent
les anges, elle exige qu'il s'en accuse solennellement. Vaincu, Dante
se repent, s'évanouit puis se réveille dans les eaux du Léthé dont
Mathelda le tire. Elle lui donne cette eau qui efface le souvenir des
péchés commis. Menée par un Griffon, la procession l'entoure mais
le char de l'Église devient monstre pour symboliser sa dérive due à la
cupidité du pape et des des prélats. Et Béatrice fait boire à Dante
l'eau de l'Eunoé qui fait souvenir des bonnes actions, puis elle le
mène purifié vers le Paradis.
La Rose blanche du Paradis
125
Purifié par le feu et l'eau, Dante a enfin retrouvé Béatrice et s'en va
en sa compagnie vers le Paradis. Ce pourrait être la fin heureuse du
rêve et du roman. Dante a autre chose à dire. Il a conçu un ouvrage
composé de cent chants répartis en trois parties. Dans la troisième, il
va nous décrire le séjour divin et nous en donner la vision des
Chrétiens de son époque. Les concepts utilisés ne nous étant plus
familiers, ils nécessitent quelques explications. Comme l'Enfer et le
Purgatoire, le Paradis est conçu sur neuf niveaux concentriques,
(comme les sephiroths). La Terre est au centre de l'univers
dantesque. Le gouffre de l'enfer est à l'intérieur et le mont du
purgatoire à sa surface. Autour de la Terre, s'étagent les différents
ciels du Cosmos dans lesquels sont placés les hommes sans péchés
en fonction de leurs mérites. Le dixième ciel est l'Empyrée. Il ouvre
vers le domaine de Dieu qui règne en son centre. Autour de lui
siègent les puissances qui animent et régissent hiérarchiquement
l'univers. Au coeur du Paradis, dans l'intimité de l'amour divin, il y a
un lieu circulaire resplendissant, semblable à une immense fleur
mystique, la Rose Blanche, ou Rose Céleste éternelle, le séjour béni
des Élus.
Le premier Ciel est celui de la Lune, géré par les Anges. Il accueille
les âmes des hommes qui n'ont pas réussi à accomplir leurs voeux.
La lumière divine faiblissant à chaque ciel traversé, elle arrive
atténuée à ce niveau. Et pourtant, les âmes qui s'y tiennent sont
tellement illuminées que les yeux mortels de Dante peinent à les
voir. Piccarda que son frère sortit par la force du cloître chante pour
lui l'Ave Maria. C'est l'intellect, dit Béatrice, qui donne des formes
humaines à Dieu et aux Anges qui n'en ont point, et c'est la volonté
qui pousse des hommes comme Jephté ou Agamemnon à accomplir
des voeux stupides malgré qu'ils aient reçu de Dieu le libre arbitre.
Puis elle guide Dante vers le Ciel de Mercure. Mené par les
Archanges, c'est le lieu d'accueil des âmes des hommes qui ont fait
leur devoir et celles des valeureux combattants dont des Guelfes qui
furent de braves compagnons de Dante. Ils ressemblent à des ombres
claires dans un vêtement de lumière. Dante comprend les raisons du
bannissement d'Adam et apprend que l'âme de l'homme vit
126
éternellement parce qu'elle a été directement crée par Dieu. Puis, la
lumière grandit encore, et Béatrice et Dante s'élèvent jusqu'au Ciel
de Vénus.
127
Les archontes du troisième Ciel sont les Principautés. La lumière
s'accroît mais les ombres humaines sont ici enveloppées d'une
lumière colorée plus vive encore, au point qu'on ne les distingue plus
guère. Ce Ciel est peuplé par les âmes des hommes qui ont beaucoup
aimé et dont la vertu d'amour s'est finalement tournée vers Dieu, (Il
peut s'agir de la fraternité des Fedeli d'Amore, Dante et Cavalcanti
en étant initiés). Il est le dernier, (selon Ptolémée), où se perçoit
encore l'ombre de la Terre. Le Ciel du Soleil attire ensuite Dante
jusqu'à lui. Ses régents sont les Puissances de la 2ème hiérarchie
angélique. En ce chant Xe, les esprits sont sans ombre. Ils sont
répartis en deux rondes de douze étincelles dansantes de pure
lumière, l'une de Dominicains, l'autre, de Franciscains, conduites par
Thomas et Bonaventure qui blâment les dérives de leurs ordres. Le
Ciel de Mars est celui des Vertus. Les esprits bienheureux y forment
une rouge croix lumineuse avec au coeur l'image fugitive du Christ.
Les Dominations harmonisent le Ciel de Jupiter qui accueille les
esprits des princes et des rois justes et sages. Devant Béatrice et
Dante, (pour Barberousse), leurs flammes s'ordonnent en forme
d'aigle impérial.
Au chant XXI, Dante atteint le 7e Ciel, celui de Saturne, conduit par
les Trônes. Il est comme un cristal d'où s'élève un escalier d'or dont
on ne voit pas la fin. Les saintes lumières des esprits contemplatifs
trouvent ici le silence qu'elles recherchent. Á travers divers dialogues
imaginaires, Dante s'exprime sur la prédestination et critique
l'avilissement des hommes d'église. Voici alors que s'ouvre le Ciel
des Étoiles dont le Chérubins règlent la marche. Dante en fait le lieu
triomphal de l'imagerie médiévale du Christ et le la Vierge. Les
anges chantent l'antienne "Regina Coeli" et toutes les étoiles
déversent leur lumière sur la vision de Marie et de Jésus qui
s'élèvent dans le ciel. Dante doit prouver qu'il est bon chrétien. Il
répond à Pierre, Jacques et Jean par les paroles du Credo catholique,
(et c'est l'occasion d'invectiver les papes). Béatrice lui présente alors
la première âme, celle d'Adam qui pécha par orgueil. La lumière
augmente encore. Dans le Ciel du Premier Mobile, celui des
Séraphins, toutes les hiérarchies angéliques tournent comme des
roues lumineuses autour de l'éblouissante image de Dieu, et le pur
rayonnement divin parvient directement en ce seuil de l'Empyrée.
128
Fait de lumière pure, l'Empyrée est le domaine de Dieu, des anges et
des saints. Dante découvre ici l'éblouissante Rose Céleste. "En la
forme d'une rose blanche se montrait à moi la sainte milice que dans
son sang le Christ épousa. L'ange qui volant voit et chante la gloire
de celui qui l'enamoure, et la bonté qui la créa si excellente, comme
un essaim d'abeilles qui tantôt se plonge dans les fleurs, tantôt
retourne là où son travail prend de la saveur, descendait dans la
grande fleur qui s'orne de tant de feuilles, et de là remontait où son
amour toujours séjourne. Leurs faces étaient de flamme vive, leurs
ailes d'or, et le reste, d'une telle blancheur qu'il n'est point de neige
qui l'égale. Lorsque dans la fleur de siège en siège ils descendaient,
ils y versaient de la paix et de l'ardeur qu'ils produisent en eux en
agitant leurs ailes". Béatrice regagne sa place, auprès de Rachel, et
Bernard qui fonda Clairvaux explique la Rose Mystique. Adam, à
droite, est le père spirituel de ceux qui crurent que le Christ viendrait.
Pierre, à gauche, est le père spirituel de ceux qui croient qu'il est
venu. Dante ne désire plus que ce que Dieu veut, et la Vierge Marie
intercède pour qu'il obtienne la Suprême Béatitude. Dante aura donc
sa place au sein de la Rose.
E finita la comedia
Ainsi finit La Divine Comédie de Dante Alighieri
Et ici, commence notre réflexion, car le second aspect de
l'oeuvre,
son message ésotérique, ne se révèle que lorsqu'on en a
terminé la lecture.
En effet, c'est en homme vivant et à partir de ce Monde
que Dante effectue son voyage. Dans l'Enfer et le
Purgatoire, il prend conscience des altérations de l'âme
causées par les actes accomplis ici-bas. Puis, lavé par le
Feu et par l'Eau, il est admis à prendre un chemin
salutaire dont les étapes successives l'amèneront jusqu'à
la Rose dans un abandon total à la seule volonté divine.
129
130
CHAPITRE 7 - Origine des Rose-Croix.
La Rose-Croix des 16ème et 17ème siècles.
Les symboles de la rose et de la croix - L'association des
symboles est très ancienne. Déjà en 1265, Jean de Meung
reprend le Roman de la Rose commencé par Guillaume de
Lorris. Le livre devient une encyclopédie traitant des origines
du monde, de la nature, de l'art, de l'astronomie, de la religion
et de la morale. Il préconise aussi le retour à la simple vie
chrétienne. Au delà des symboles, la source peut être à
rechercher auprès du Graal, le secret le plus mystérieux du
Moyen-Âge. Il s'est imposé à la conscience intérieure d'une
époque éprise de spiritualité et d'élévation car il évoquait
pureté et révélation, sacrifice et guérison parfaite. Les plus
anciennes versions de la légende datent 1150 à 1220. Dans la
Divine Comédie de Dante, vers 1320, le huitième ciel du
paradis est décrit comme le ciel étoilé des Rose-Croix.
Certains auteurs placent l'origine des Rose-Croix chez les
Amis de Dieu de l'Île Verte à Strasbourg. Au 14ème siècle,
Rulman Merswin, issu d’une famille de banquiers
strasbourgeois, y acquiert un ancien couvent bénédictin. L’Île
Verte de Strasbourg devient un centre spirituel où se
développe la spiritualité des "Gottesfreunde", Amis de Dieu ou
Chevaliers johannites, (La présence ecclésiale dans le couvent
de l’Ile Verte est confiée à l’Ordre des Chevaliers hospitaliers
de Saint Jean de Jérusalem). C'est une maison de refuge où
peuvent se retirer tous les hommes honnêtes et pieux, laïcs ou
ecclésiastiques, chevaliers, écuyers et bourgeois, qui désirent
fuir le monde et se consacrer à Dieu sans entrer dans un ordre
monastique. Puis, Rulman Merswin et les Amis de Dieu se
trouvent en relation avec un personnage mystérieux qui va les
guider dans la voie spirituelle par une série d'écrits, parmi
lesquels on peut citer Le Livre du maître de la Sainte Ecriture,
131
Le Livre des Cinq hommes qui décrit la société idyllique du
"Haut Pays". Ce Maître intérieur guide les initiés, non plus en
ce monde-ci, mais dans les contrées de l'au-delà du monde. Il
se pourrait aussi que la fondation de l’Ordre des Rose-Croix
implique Paracelse, médecin et alchimiste, né en Suisse vers
1493. Dés 1536, il utilise les symboles de la rose et de la
double croix lorraine, et il prédit la venue d’Elias-Artista,
l’Esprit radiant, ambassadeur du Paraclet et personnification
future de l’Ordre. L'origine effective de la Fraternité
prestigieuse des Rose-Croix reste cependant assez
mystérieuse.
Les traditions ésotériques - En Occident, au 16ème siècle,
époque de la manifestation publique des Rose-Croix, les
sources de l’ésotérisme rassemblent diverses traditions,
gnostiques, hermétistes et néoplatoniciennes, alchimistes,
kabbalistes, mazdéistes, cathares ou même manichéennes,
autochtones comme celle du Graal, issues de l'Essénisme
comme celles des premiers docteurs de l’Eglise, ainsi qu'un
courant transmis par les Druzes. Les Rose-Croix semblent
alors avoir enfin réussi à réaliser une large synthèse de ces
multiples traditions inspirées. Puisant à leurs immenses
richesses spirituelles, la philosophie de la Fraternité s'en est
grandement enrichie et elle s'est élevée au dessus des dogmes
contraignants des diverses religions extérieures. Il demeure
cependant important de situer la première et principale
manifestation publique du mouvement dans son arrière plan
historique qui est alors clairement l'époque de la Réforme, et
dans le contexte de la Guerre de Trente Ans et des Guerres de
Religion. Au 16ème siècle, les armes de Luther portent une rose
percée d'une croix. Valentin Andreae s'en inspire pour créer
ses propres armes, une croix encadrée de quatre roses. Pour
nous, ce siècle-là est celui de la Renaissance et des débuts de
la Science moderne. C'est pourtant la crise religieuse, la
132
Réforme et toutes ces terribles guerres qui marquent
profondément les cœurs et les esprits de l'époque.
La permanence du mouvement de protestation - La
"Réforme" est le mouvement religieux d’où est né le
protestantisme. Il était annoncé par les Vaudois, cruellement
persécutés, par les idées de Wyclif, ou par le sort de Jean Hus,
condamné et brûlé par traîtrise. Il faut comprendre que, dès le
début du Christianisme, la transformation progressive et
autoritaire des dogmes a continuellement suscité des
protestations des divers mouvements réformateurs. On en
trouve la trace dans le premier concile, celui de Nicée, dont le
"canon" montre déjà de la méfiance à l'égard des "Cathares, les
purs", qui appellent les fidèles au respect des enseignements
évangéliques. Tout au long de son histoire, oubliant ses
propres martyrs, l'Eglise combat cruellement tous ceux qui
contestent l'évolution contraignante et continue de sa
conception du Christianisme, et elle les accuse d'hérésie, tels
les Gnostiques, les Ariens, les Manichéens, les anéantissant
par le martyre et par le feu comme, au 13ème siècle, les
nouveaux Cathares. Au 16ème siècle, cette impulsion
protestataire amène une partie de la chrétienté à se détacher de
l’Église romaine, en rejetant ses dogmes et l’autorité du pape.
Les réformateurs et Luther espéraient que l’Eglise rétablirait le
christianisme des origines, en le débarrassant des multiples
adjonctions qui l’avaient altéré. Mais Luther est excommunié
en 1520. La rupture consommée, le luthéranisme séparé se
répand en Allemagne, malgré l’opposition de Charles Quint. Il
prévaut au Brandebourg, en Hesse, en Saxe, au Wurtemberg et
dans la plupart des villes libres. Les luthériens présentent leur
Confession de foi à la diète et l'on admet alors que chaque
prince peut imposer sa religion à ses sujets, à la Paix
d’Augsbourg, en 1555.
Le Calvinisme - Le Lutherianisme s'était répandu dans les
133
pays baltes et scandinaves. Avec Zwingli, un mouvement
analogue mais indépendant naît en Suisse. Calvin en fixe les
principes et le calvinisme se répand en France malgré
l’opposition royale. En 1559, deux mille églises adoptent la
Confession de foi de la Rochelle, rédigée par Calvin. La fin du
16ème siècle est marquée par les terribles "Guerres de
Religion", et la Saint-Barthélemy. En 1599, l’édit de Nantes
d'Henri IV accorde provisoirement aux protestants le droit de
célébrer leur culte. La Réforme calviniste se répand alors en
Hongrie, au Palatinat, aux Pays-Bas et en Écosse. En 1534, un
autre protestantisme apparaît en Grande-Bretagne. Henri VIII
détache l’Eglise d’Angleterre de Rome et l’Acte de Suprématie
la soumet à l'autorité royale. Depuis l’Angleterre, une Réforme
"puritaine" se répand ensuite jusque dans le Nouveau Monde.
Les Manifestes de la Rose-Croix - En 1614, la paix religieuse
étant provisoirement rétablie, deux manifestes sont publiés. Ce
sont la Gloire de la Fraternité, (la fameuse Fama
Fraternitatis, et de la Confession des Frères Rose-Croix). Ils
exposent la doctrine de la Fraternité des Rose-Croix qui
préconise une réforme générale de l’Humanité. On suppose
d'abord qu'ils sont l'œuvre du pasteur protestant de Strasbourg,
Valentin Andreae, qui publie ensuite de nombreuses autres
œuvres dont les plus importantes sont les Noces Chymiques de
Christian Rosencreutz et Christianopolis. Plus tard, les
manifestes seront considérés comme une œuvre collective.
Sédir nous dit que "Jean-Valentin Andrea (1586-1654), fut un
des hommes les plus savants de son temps. Son grand-père
Jacob était ami proche de Luther. Il avait été un illustre
théologien, l'un des auteurs de la Formule de Concorde. On le
surnomma d'ailleurs le second Luther." Andrea étudia au
séminaire de Tubingen. Il acquit une rare culture dans les
langues anciennes et modernes, les mathématiques, les
sciences naturelles, l'histoire, la géographie, la généalogie et la
134
théologie, et laissa une œuvre considérable. Il subit l'influence
de Jean Arndt (1555-1621), grand prédicateur mystique, et de
ses amis, Christophe Besold et Wilhelm Wense, dont la vie
voulait être une imitation de Jésus-Christ. Ils prêchaient,
contre le dogmatisme et le ritualisme de l'Église, la nécessité
d'une vie toute d'esprit et d'amour, la droiture, la lutte contre
les tendances mauvaises, l'intégrité de l'esprit, l'austérité des
mœurs, la charité, la justice, affirmant que seule une vie sainte
permet l'entrée dans le cœur humain du Saint-Esprit qui unit
l'homme à Dieu et lui confère ses dons. Ils reprenaient dans
leur prédication l'enseignement de saint Paul sur le vieil
homme qui doit être crucifié avec le Christ pour ressusciter
avec le Christ".
Les Ouvrages R+C originaux - Sur ces principes, JeanValentin Andrea établit un remarquable programme de
renouvellement et de conversion pour son Eglise. Quand
parurent les manifestes de la Rose-Croix, il publia "Les Noces
Chymiques de Christian Rosencreutz". On ne sait pas vraiment
qui a composé la Fama et la Confessio. Ces écrits ne sont pas
l'oeuvre d'un seul auteur et ils expriment les idées et les
espérances d'une collectivité. La Reformation, la Fama, la
Confessio, ainsi que les Noces Chymiques de Christian
Rosencreutz sont les seules manifestations écrites originales
des Rose-Croix. Ce sont les premiers ouvrages où l'on trouve
le nom de la Fraternité et ils furent souvent réimprimés et
traduits. Le frontispice de la Fama Fraternitatis proclame
«Allgemeine und general Reformation, der ganzen weiten
Welt» (Réformation universelle et générale du vaste monde
entier). Les trois livres s'inscrivent évidemment dans un
prolongement de l'œuvre de Martin Luther qui n'avait jamais
caché son accord avec les thèses pré-rosicruciennes
(l'explication qu'il donne de son sceau le prouve). Il s'agit donc
d'une mission évangélisatrice répétant celle du Christ. Elle fait
suite à la tentative de Luther et de ses prédécesseurs
135
catholiques pour réformer le christianisme par l'intérieur. La
Confessio s'affirme résolument protestante et les Noces
chymiques condamnent symboliquement Rome avant
l'affirmation de la nouvelle ère et l'instauration d'un nouveau
royaume.
La Guerre de Trente Ans - Deux ans après l'appel de la R+C,
un conflit de pouvoir amène les protestants de Bohème à
projeter deux gouverneurs catholiques à travers la fenêtre de la
Salle du Conseil de Prague. Une terrible guerre commence. La
"guerre de Trente Ans" ravage l'Allemagne et la Bohême. Les
populations protestantes sont impitoyablement massacrées par
les troupes impériales. Un tiers des habitants disparaît. Les
états luthériens échappent à l'anéantissement grâce à
l'intervention tardive de la France catholique de Richelieu,
secourant politiquement les protestants pour freiner l'extension
autrichienne. Les bourgs sont en cendres, les campagnes sont
ravagées, la soldatesque rançonne les villes, et les épidémies
déciment les derniers survivants affamés.
La relance de la Rose-Croix - Après la paix de 1648, l'appel
R+C de 1615 est repris par les populations meurtries et
désemparées. Il est relayé et démultiplié dans l'espoir de
dépasser les haines aveugles et les grands malheurs nés de la
guerre, en réunifiant la Chrétienté comme l’avaient voulu les
premiers réformateurs. Les livres Rose-Croix sont interdits par
les Catholiques, et leur détention est parfois punie de mort.
Néanmoins, la publication hollandaise des trois manifestes
alimente une énorme floraison mystique surtout en Allemagne
où neuf cents opuscules les reprennent jusqu'au 18ème siècle.
Avec les Pays-Bas, c'est toujours le pays dans lequel l'activité
rosicrucienne est la plus marquée. Jean-Valentin Andreae,
indigné par les abus que les enthousiastes faisaient des
principes de
la Rose-Croix, décida de se retirer du
mouvement, mais il déclara dans "Turris Babel" «Je quitte
136
maintenant la Fraternité, mais je ne quitterai jamais la
véritable fraternité chrétienne qui sous la croix perçoit les
roses et évite les souillures du monde ». Il publia Invitation à
la Fraternité du Christ en 1617, puis Description de la
République de Christianopolis, en 1619, un programme d'une
Union chrétienne où il reprenait les thèses de la Fama et de la
Confessio.
Les Noces Chymiques de Christian Rosencreutz - Cet
ouvrage paru sans nom d'auteur, en 1616. Jean-Valentin
Andreae, dans son Autobiographie, déclare qu'il composa ce
livre vers 1601, alors qu'il avait quinze ans. Voici ce que Sédir
dit du livre:
"Dans sa lettre, ce traité est un exposé de l'œuvre
métallique (alchimique), assez détaillé ; dans son esprit,
il décrit la montée de l'âme, de degrés en degrés, vers
l'illumination. Ce livre est attribué à Christian
Rosencreutz qui l'aurait écrit en 1459. Il raconte, en
sept journées, le mariage du roi, puis sa décollation et
enfin sa résurrection. C'est sur une invitation que le roi
lui adresse d'assister à ses noces que Rosencreutz se
met en route, dans le sentiment profond de son
indignité. En souvenir du Christ, il noue en croix un
ruban rouge sur sa robe de bure ; il pique quatre roses
à son chapeau et prend comme viatique du pain, du sel
et de l'eau.
A l'entrée de la forêt il distingue trois voies : une courte,
mais dangereuse ; la seconde qui est la voie royale
réservée aux élus et la troisième, agréable mais très
longue. Il est prévenu qu'une fois choisi le chemin, il ne
pourra plus revenir en arrière. Il demande à Dieu, qui
lui fait prendre le second chemin. Celui-ci le mène au
château royal construit sur une montagne. Un
137
personnage lui demande son nom, et il répond : Frère
de la Rose-Croix rouge. Les nombreux candidats aux
noces du roi sont pesés. Rosencreutz est le plus pur. Il
est reçu avec tous les honneurs, et on lui remet la
Toison d'Or ornée d'un Lion volant. Quant aux intrus,
une coupe leur est donnée, remplie du breuvage d'oubli
avant qu'ils soient chassés, avec l'ordre de ne plus
revenir au château du roi pendant leur vie.
Suivent d'autres épreuves symboliques ; et la
représentation d'une comédie en sept actes. Devant la
reine est un gros livre renfermant toute la science
réunie dans le château. Les élus sont au nombre de neuf
et ils tiennent chacun une bannière portant une croix
rouge. Enfin le devoir est notifié aux élus de penser à
Dieu et de travailler pour sa gloire et pour le bien des
hommes. Ensuite le couple royal est décapité, ainsi que
quatre rois et reines présents. Les six personnes sont
ensevelies et leur sang est recueilli dans un vase d'or.
Le Maure qui a procédé à l'exécution est décapité à son
tour et sa tête rapportée dans un linge. Il est dit aux élus
que : « la vie de tous ces êtres est entre leurs mains et
qu'ils doivent garder une fidélité plus forte que la mort
». La nuit, les six cercueils sont emportés par des
navires. Les élus assistent aux funérailles symboliques
des souverains et sont invités à chercher le médicament
qui rendra la vie aux rois et aux reines décapités. De
longues opérations alchimiques sont décrites.
Le roi et la reine ressuscitent. Ils travailleront avec les
élus au triomphe de Dieu. Le roi nomme ceux-ci «
chevaliers de la Pierre d'Or », avec le pouvoir d'agir sur
l'ignorance, la pauvreté et la maladie. Quant à
Rosencreutz, il aura encore d'autres épreuves à
surmonter avant d'arriver au terme. Il lui a été dit : Tu as
138
reçu plus que les autres ; efforce-toi donc de donner
davantage également. La signature de chacun est
demandée, et notre héros écrit : La plus haute science
est de ne rien savoir. Frère Christian Rosencreutz Chevalier de la Pierre d'Or. "Fin de citation"
Dans le récit des Noces Chymique, le fondateur légendaire de
la Rose-Croix, Christian, invité aux noces de Sponsus et de
Sponsa, (l’époux et l’épouse), rêve également qu’il est
enfermé au fond d’un puits ou d’une tour dont il sort à l’aide
d’une corde lancée de l’extérieur. Il se met ensuite en route et
traverse la forêt. C'est en cherchant à aider une colombe
combattue par un corbeau, qu'il trouve son chemin et il est
alors guidé vers le château royal.
Le sens des Noces Alchymiques - Les descriptions contenues
dans le récit ont pu être interprétées comme des indications
précieuses pour la réalisation du Grand œuvre alchimique.
Nous savons cependant que les alchimistes étaient
fondamentalement des métaphysiciens ésotéristes. La
poursuite du Grand œuvre était seulement pour eux le symbole
du chemin nécessaire à la réalisation de l’indispensable
transfiguration de l’âme, prélude à la résurrection de l’Homme
véritable, la figure divine originelle. Là est le sens caché et
véritable des Noces Alchymiques de Christian Rose-Croix,
ouvrage qui répète sous une forme différente le message
médiéval de la Quête du Graal par Perceval le Gallois. Les
véritables écoles spiritualistes rosicruciennes poursuivent
aujourd’hui encore dans le Monde l’œuvre initiatique qui
conduit à cette connaissance. Leur enseignement témoigne
toujours d’une inspiration rosicrucienne authentique et
vivante. Elles adaptent leur message ésotérique permanent aux
temps et aux lieux où il est prononcé. Dans notre civilisation,
139
elle vont s’appuyer sur les traditions chrétiennes tout en
expliquant le sens caché des mythes et des écritures.
Les Rose-Croix en France - A Paris, en 1622, une affiche est
placardée qui proclame: "Nous, Deputez du Collège principal
des Frères de la Roze-Croix, faisons séjour visible et invisible
en ceste ville, par la grâce du Très Haut vers qui se tourne le
coeur des justes. Nous monstrons et enseignons sans liures ny
marques à parler toutes sortes de langues des païs où voulons
estre, pour tirer les hommes nos semblables d'erreur et de
mort.» Une autre affiche suit: « S'il prend envie à quelqu'un de
nous voir par curiosité seulement, il ne communiquera jamais
avec nous mais, si la volonté le porte réellement et de fait à
s'inscrire sur le registre de nostre confraternité, nous, qui
jugeons les pensées, luy ferons voir la verité de nos promesses,
tellement que nous ne mettons point le lieu de nostre demeure,
puisque les pensées, iointes à la volonté reelle du lecteur,
seront capables de nous faire cognoistre à luy et luy à nous. ».
Les affiches eurent un retentissement considérable mais leurs
auteurs sont inconnus. En 1624, le Père François Garasse
demande pour les Rose-Croix "la roue et le gibet".
CHAPITRE 8 – Le mythe de la Quête du Graal
Étrange mystère de ce
mythe
naissant
progressivement dans des
récits "bretons" qui en
content la quête, puis
passant au fil du temps de
la fantaisie littéraire à
l'ésotérisme initiatique, et
enfin
de
l'intuition
spiritualiste
à
la
140
révélation sacrée. Il n'y a
pas vraiment d'histoire du
Graal,
mais
un
foisonnement de récits
romancés de diverses
aventures humaines de
violence, de sexe et de
sang. De cette tourbière
émerge finalement la
véritable Quête du Graal.
Et le mythe devient, au
delà même de l'objet
"Graal", celui de la
naissance d'une pure
recherche spirituelle.
Introduction
La Quête du Graal est une démarche spirituelle mythique. Les
mythes sont des récits ésotériques expliquant le destin des hommes.
Ils s'enracinent souvent sur des faits relativement historiques qui
fournissent une base plausible sur laquelle s'édifie le corps
essentiellement imaginaire du mythe. Le mythe s'installe
progressivement dans l'espace de la pensée collective. Son contenu
est généralement crypté et le chercheur l'interprète à son propre
niveau. Le mythe de la Quête du Graal existe depuis le 13e siècle.
Son fondement historique est très antérieur. Il fait référence aux
antiques mythologies celtiques ou galloises ainsi qu'aux épisodes du
règne de l'hypothétique roi Arthur, au cinquième siècle. Les récits
imaginaires constitutifs du mythe sont beaucoup plus récents. Les
plus anciens datent du douzième siècle et les développements se
situent plutôt au treizième. Sept ou huit cents ans séparent donc les
deux fondements du mythe qui ont été rapprochés par le génie des
différents auteurs de la "Geste du Graal". Et huit cents ans de plus
141
nous ont éloignés du sens qu'ils ont alors caché dans les récits qui
nous sont parvenus.
Le roi Arthur aurait existé à la fin du 5e siècle. La Bretagne,
l'Angleterre actuelle, avait été conquise par les Romains au début de
l'ère chrétienne. Sauf au nord, sa population était très romanisée. Le
pays était périodiquement envahi par des tribus barbares. Les
Angles, Les Jutes, les Saxons et les Frisons l'attaquaient par l'Est.
Les Pictes, les Irlandais et les Scots l'assaillaient par le Nord et
l'Ouest. Au 2e siècle, pour contenir les envahisseurs, les romains
construisirent le mur d'Hadrien puis celui d'Antonin. Ces barrages,
haut de six mètres, épais de trois, garnis de fortins et longs de cent
vingt kilomètres, allaient d'une mer à l'autre. Ils ne continrent
cependant pas des raids de plus en plus fréquents. Les légions
romaines furent débordées et, en 410, l'empereur Honorius décida
d'abandonner la "Bretagne". Rendus à la vie civile, les occupants
durent s'organiser pour se défendre seuls. Des chefs de guerre
constituèrent alors les bases de la future classe féodale. Parmi ces
chefs, un certain Artus ou Artorius (Arthur) qui semble avoir existé
vers la fin du 5e siècle ou au début du 6e, serait parvenu à unifier
provisoirement les population du Sud.
Le second volet du mythe apparaît au 12e siècle sous la pression des
interrogations spirituelles de l'époque. Il se manifeste dans divers
écrits romancés liés à la littérature courtoise diffusée en Occitanie
puis en France et en Grande Bretagne. Ces romans élitistes sont
essentiellement destinés à un public aristocratique cultivé et averti.
Les seigneurs sont à la guerre ou aux croisades et les dames
s'ennuient derrière les murs des châteaux. Elles y ont développé une
culture délicate et raffinée. Les ménestrels et les troubadours
chantent des chansons et narrent des "lais" et des romans courtois
dont ils content les épisodes successifs comme nos actuels romans
feuilletons. Le roi d'Angleterre Henri I Plantagenêt utilise alors la
légende arthurienne pour promouvoir ses projets politiques. Il fait
ajouter l'épopée aux nombreux lais des troubadours. Cette littérature
"arthurienne" connaît un très grand succès, au point que l'Église
s'inquiète de l'intérêt qu'y portent les moines. La légende arthurienne
voudrait conter toute l'histoire de la "Bretagne" jusqu'à la mort
142
d'Arthur. Le Graal est ensuite christianisé et devient le récipient qui a
recueilli le sang du Christ.
Le second volet du mythe apparaît au 12e siècle sous la pression des
interrogations spirituelles de l'époque. Il se manifeste dans divers
écrits romancés liés à la littérature courtoise diffusée en Occitanie
puis en France et en Grande Bretagne. Ces romans élitistes sont
essentiellement destinés à un public aristocratique cultivé et averti.
Les seigneurs sont à la guerre ou aux croisades et les dames
s'ennuient derrière les murs des châteaux. Elles y ont développé une
culture délicate et raffinée. Les ménestrels et les troubadours
chantent des chansons et narrent des "lais" et des romans courtois
dont ils content les épisodes successifs comme nos actuels romans
feuilletons. Le roi d'Angleterre Henri I Plantagenêt utilise alors la
légende arthurienne pour promouvoir ses projets politiques. Il fait
ajouter l'épopée aux nombreux lais des troubadours. Cette littérature
"arthurienne" connaît un très grand succès, au point que l'Église
s'inquiète de l'intérêt qu'y portent les moines. La légende arthurienne
voudrait conter toute l'histoire de la "Bretagne" jusqu'à la mort
d'Arthur. Le Graal est ensuite christianisé et devient le récipient qui a
recueilli
le
sang
du
Christ
La Légende du Roi Arthur
Les premiers romans courtois apparaissent au début du 12e siècle.
Tous les sujets sont tirés de l'Antiquité, (Romans d'Alexandre, de
Thèbes, d'Énée, de Troie, etc..). Les personnages sont placés dans
des situations romanesques, ce qui est une façon nouvelle. La prose
est souvent très descriptive et agrémentée de poèmes. Par opposition
aux récits antiques ou historiques traditionnels, le genre évolue
ensuite pour constituer ce qui a été appelé "la matière de Bretagne".
Elle est caractérisée par la fantaisie et la variabilité des personnages
mais elle respecte une unité de lieu, le royaume mythique des deux
143
Bretagne, (la Continentale, l'Insulaire, et le Pays de Galles), et une
époque de référence, le 6e siècle, après le départ des Romains. Les
thèmes "bretons" sont variés. Celui de Tristan et Iseult est très
populaire. Puis, en 1138, Geoffroy de Monmouth publie l'Historia
Regum Britanniae. Cette œuvre de propagande est reliée aux romans
antiques. Elle veut établir la légitimité surnaturelle de la dynastie des
Plantagenêts dans l’histoire de l’Île de Bretagne en la reliant au
mythique Brutus de Troie. C'est aussi le début des récits impliquant
le roi Arthur.
Arthur, roi des trois Bretagne, (insulaire, continentale et galloise),
représente l'unité bretonne. Quoique la civilisation celtique n'ait
jamais connu de roi unique, l'imaginaire populaire produisit un roi
idéal, fort et brave, sage et fédérateur, pourvu de conseillers avisés.
Au delà de la mort, il porte toujours les espoirs des Bretons et sa
"dormition" est temporaire. Il reviendra un jour réunir les deux
Bretagne. Arthur est le fils d'Uther Pendragon, roi des Bretons, et
d'Ygraine (Ygerne). Le surnom Pendragon proviendrait d'une
comète en forme de dragon. Uther s'en serait inspiré pour créer ses
étendards aux dragons blanc et rouge. Selon Geoffroy, Uther aurait
fécondé Ygraine en prenant par la magie de Merlin, la forme de son
mari, le duc de Cornouailles. Arthur naquit de cette union au château
de Tintagel. Confié à Merlin, le bébé fut élevé par le père de Kay.
Lors d'un tournoi, Kay demanda à Arthur d'apporter son épée,
oubliée sous sa tente. Arthur ne la trouva pas mais il en vit une autre,
plantée dans une enclume, et il l'enleva. C'était pourtant une épée
magique que seul le futur roi pouvait ôter. Personne n'avait jamais
réussi et le jeune Arthur fut donc déclaré Roi.
Les détails de ces romans courtois varient, mais ils racontent déjà des
histoires d'hommes et de femmes, de féeries et de maléfices, de
douceur et de violence, d'amour et de haine. Arthur est un enfant
adultérin né des amours d'Ygraine et d'Uther qui a tué le duc, son
époux. Le duc de Cornouailles avait déjà une fille qui devint la fée
Morgane, prêtresse de la Mère-Lune sur l'île d'Avalon. Elle sera
élevée par Viviane, Fée et Dame du Lac. Durant la nuit des
festivités de Beltane, Morgane masquée s'offre au chasseur masqué
qui a tué le roi des cerfs. Puis elle découvre qu'il était Arthur. De
cette union naît Mordret qui sera confié à une tante ambitieuse,
144
Morgause. Ses sortilèges empêcheront Guenièvre, femme d'Arthur,
d'enfanter afin de permettre à Mordret d'hériter du trône. Apprenant
qu'il a un fils, Arthur fait exécuter tous les nouveaux nés du pays.
Guenièvre reste stérile et se console avec Lancelot. Les amants
doivent fuir en tuant plusieurs chevaliers de la Table Ronde. Dans
une grande bataille contre les Saxons, Arthur affronte et tue son fils,
mais il est lui même blessé à mort et ordonne que l'on rende
Excalibur à la Dame du Lac.
Dans ces sources galloises, les décors sont en place. Le roi Arthur a
fondé la ville et le château de Camelot. Il a épousé Dame Guenièvre
qui aimait Lancelot. Il a instauré un royaume de justice et de paix.
Son conseiller est l'enchanteur Merlin. C'est l'écrivain Wayce qui a
imaginé l'immense table ronde permettant d'accueillir tous les
chevaliers en position d'égalité. Arthur doit établir sa qualité en
affrontant les nobles du royaume. Pour l'aider, l'épée magique,
Excalibur, lui sera confiée par une main mystérieuse sortant du lac.
Avant de mourir, Arthur demanda que l'on rende l'épée au lac. La
Dame du Lac (la fée Viviane) s'en saisit et disparut. La légende dit
qu'Arthur n'est pas mort mais seulement endormi. Son corps fut
transporté en bateau sur l'Île d'Avalon où il est veillé par des fées. Et
si la "Bretagne" est à nouveau menacée, il s'éveillera de sa
"dormition" pour la défendre et restaurer le royaume idéal de
Camelot. Geoffroy de Monmouth et Robert Wayce ont été les
premiers à évoquer les chevaliers de la Table ronde mais aucun n'a
jamais parlé du Graal. En cette phase galloise de la naissance du
mythe, le mystère du "Graal" n'existe pas encore.
Le roman initiatique inachevé de Chrétien de
Troyes
Le Normand Robert Wayce, ou Wace, a donc traduit en vers français
l’antique épopée galloise arthurienne. Sous sa plume, Arthur devint
un valeureux combattant conquérant l’Irlande puis le Danemark et la
145
Norvège, et même Paris. Son épée magique exterminait les géants et
les monstres. Arthur tenait sa cour ordinaire en son château de
Camelot où l’on trouvait la Table Ronde de nulle préséance.
D’autres auteurs gallois ont écrit en prose, faisant d’Uther Pendragon
un personnage mythique dont le bouclier était un arc en ciel. Le
prestige du Père magnifiait le fils. Puis, au 12e siècle, des poètes
armoricains comme Marie de France ont popularisé les lais bretons,
des oeuvres littéraires extrêmement soignées, écrites en vers. Elles
étaient destinées aux conteurs qui les enjolivaient à plaisir. Parmi les
thèmes, on trouvait souvent Tristan et Iseult et les exploits d’Arthur,
mais aussi beaucoup d’autres aventures moins connues. Dans la
matière de Bretagne initiale, la Table Ronde est surtout la table
ouverte du Roi, la merveilleuse table des festins offerts et partagés
entre nobles et pairs. Plus tard, elle deviendra une Table nourricière
et mystique, réservée aux élus les plus purs, image symbolique du
Monde, illuminée par la lumière du Graal qui rayonne en son centre.
thèmes traditionnels. On peut citer Guillaume d’Angleterre, Érec et
Énéide, Cligés ou la Fausse Morte, Yvain le Chevalier au lion,
Lancelot le Chevalier à la charrette, qui sont des romans d’aventures.
Un Tristan, (le premier en français), a été perdu. Ensuite, peut être
devenu prêtre, l’écrivain commença un récit d’aventure mystique, le
célèbre Perceval, dans lequel apparaît enfin le Graal. Chrétien de
Troyes fréquentait les cours de Champagne et de Flandres plutôt que
la célèbre cour d’Aliénor d’Aquitaine. Il y exprimait toute la
perfection de son art de l’écriture lorsqu’il mourut vers 1190,
laissant deux œuvres inachevées, Lancelot et, hélas, Perceval. Les
romans de Chrétien ne devaient pas être contés mais lus à voix haute
devant une assistance, comme cela se pratiquait habituellement à
l’époque. Pour soutenir l’attention des auditeurs, Chrétien associait
donc avec beaucoup de soin la richesse de l’ornement, la forme
narrative et le rythme de la diction. Sa façon littéraire achevée est
caractérisée par la fantaisie des descriptions, la dynamique des
dialogues et l’expression poétique des vers octosyllabiques, hélas
intraduisibles en français moderne.
146
Voici une courte traduction ancienne du "Lai du Chèvrefeuille",
de Marie de France, où Tristan dit aimer Iseult
Belle amie, ainsi est de nous:
De nous deux, il en est ainsi
Comme du chèvrefeuille était
Qui au coudrier se prenait.
Quand il s’est enlacé et pris
Et tout atour le fût s’est mis,
Ensemble ils peuvent bien durer.
Qui les veut après désunir
Fait bientôt coudrier mourir
Et le chèvrefeuille aven lui.
Belle amie, ainsi est de nous:
Ni vous sans moi, ni moi sans vous.
Au début de l’histoire, le personnage Perceval est un jeune homme
très naïf, presque idiot qui ne connaît même pas son nom. Il habite
avec sa mère qui l’élève à l’abri des tentations. Dans la forêt, il
rencontre un jour des chevaliers du roi Arthur et veut le devenir. Il
quitte sa mère, la voit tomber à terre mais ne revient pas en arrière. Il
parvient sans encombre à la cour du roi Arthur qui vient d’être
bafoué par un inconnu. Il y pénètre à cheval, défie le félon, le tue,
prend ses armes et son cheval, puis quitte le château. Perceval
rencontre Gornemant de Goort, (un prud’homme, un preux), qui lui
apprend l’art du combat et l’arme chevalier. Il est reçu dans le
château de Blanchefleur qui le prie de combattre ses ennemis et
l’initie aux choses de l’amour. Après avoir vaincu Clamadeu,
Perceval envoie ses prisonniers au roi Arthur. Poursuivant son
errance, il rencontre le Roi Pêcheur, un infirme qui l’invite en son
château. Perceval ne s’en étonne point, et non plus quand ce roi lui
remet une épée extraordinaire. Et il ne pose aucune question devant
le défilé fantastique du cortège du Graal. Il s’endort mais le
lendemain, le château est vide. Par manque de questions, Perceval a
147
manqué le Graal et le roi n’a pas été guéri. Ayant perdu sa mère,
Perceval devra reprendre sa quête.
Autre superbe dialogue amoureux
trouvé dans le "lai breton", Yvain, le Chevalier au Lion.
Dans ce roman arthurien, de Chrétien de Troyes, le Graal n'est
jamais évoqué.
Les interlocuteurs sont ici Yvain et la Dame de Landuc
En ce vouloir m’a mon cœur mis.
- Et qui le cœur, beau doux ami ?
- Dame, mes yeux - Et les yeux, qui ?
- La grand beauté qu’en vous je vis
C’est dans ce roman de Chrétien de Troyes que le Graal apparaît
pour la première fois. « Tandis qu’ils causent à loisir, paraît un valet
qui sort d’une chambre voisine, tenant par le milieu de la hampe une
lance éclatante de blancheur. Entre le feu et le lit où siègent les
causeurs, il passe. Et tous voient la lance et le fer dans leur
blancheur. Une goutte de sang perlait à la pointe du fer de la lance et
coulait jusqu’à la main du valet qui la portait. Alors viennent deux
autres valets, deux fort beaux hommes, chacun en sa main un lustre
d’or niellé. Dans chaque lustre brûlaient dix cierges pour le moins.
Puis apparaissait un graal que tenait entre ses deux mains une belle
et gente demoiselle, noblement parée, qui suivait les valets. Quand
elle fut entrée avec le graal, une si grande clarté s’épandit dans la
salle que les cierges pâlirent comme les étoiles ou la lune quand le
soleil se lève. Après cette demoiselle en venait une autre, portant un
tailloir d’argent. Le graal qui allait devant était de l’or le plus pur.
Des pierres précieuses y étaient serties, des plus riches et des plus
variées qui soient en terre ou en mer, et nulle gemme ne pourrait se
comparer à celles du graal. Tout ainsi que passa la lance devant le
lit, passèrent les demoiselles pour disparaître dans une autre
chambre. »
Les suites et les variantes du Roman du Graal
148
Le roman de Chrétien de Troyes a donc reçu à l’époque plusieurs
suites déclarée, (ou continuations dites Pseudo-Wauchier 1et 2,
Manessier, Gerber de Montreuil, l’Élucidation). Ce sont aussi des
romans courtois avec bien des féeries et des aventures amoureuses et
guerrières. Ces diverses suites n’ont pas la qualité littéraire des
œuvres qu’elles s’efforcent de suivre. Elles la complètent néanmoins
et commencent une évolution vers la christianisation du mythe.
L’auteur de la « Première continuation » est inconnu. Le texte
reprend le récit au point où Chrétien l’a interrompu. Repartant à
l’aventure, Gauvain est reçu dans le château d’un preux blessé.
Pendant le repas, il voit passer le cortège du Graal, avec la lance qui
saigne, le tailloir d’argent, puis le Graal porté par une jeune fille qui
pleure suivie du cercueil d’un chevalier mort portant une épée brisée
sur la poitrine. Les questions de Gauvain auront des réponses s’il
peut réparer l’épée brisée. Il faut ici les mériter. Gauvain ne répare
pas l’épée et s’endort. Puis il reprend sa quête et retrouve le château
du Graal. Au cours du repas, le cortège apparaît de nouveau. La table
se couvre alors magiquement de mets savoureux de par la fonction
nourricière du Graal. Mais, de nouveau, Gauvain ne peut réparer
l’épée.
149
Mais ici, le roi veut bien répondre aux questions. Gauvain reçoit
quelques réponses qui amorcent la christianisation du mythe. La
lance n'appelle plus la vengeance. Elle serait celle de Longin qui a
frappé le Christ en croix. Elle saignera jusqu’à la fin des temps.
L’épée brisée a tué le roi du cercueil et causé le dépérissement de
son royaume. Hélas, Gauvain s’endort encore avant de savoir ce
qu’est le Graal, et se retrouve le matin sur une falaise en bord de
mer. Le récit s’interrompt là, sans conclusion, comme celui de
Chrétien de Troyes. L’auteur de la « Seconde continuation »
abandonne Gauvain. Son héros, c’est Perceval qui entre aussi dans
un château et y trouve un jeu d’échec qui joue seul et si bien qu'il le
bat. Furieux, Perceval le jette par la fenêtre au grand déplaisir d’une
jeune fille qui l’avait reçu de la Fée Morgane. L’aventure magique et
romanesque continue, et Perceval retrouve le château du Roi
Pêcheur. Il y voit la lance et le Graal, puis l’épée rompue portée par
un valet. Le roi répondra aux questions si l’épée est réparée. Perceval
la ressoude mais l’écrivain facétieux interrompt son récit. On dit que
le mystère du Graal s’accroît lorsque l’on approfondit son étude. Je
crois que l’objet Graal importe peu. C’est la Quête qui est
importante.
Manessier, le troisième continuateur, christianise encore plus
l’histoire. Après la réparation de l’épée, le Roi confirme que la lance
est bien celle dont le soldat Longin a percé le flanc du Christ. Le
Graal est le vase qui a recueilli le sang qui a coulé hors de la plaie.
C'est Joseph d’Arimathie qui l’a apporté en Bretagne. L’épée brisée
est celle d’un félon, Partinal, qui a tué Goon et blessé le Roi Pêcheur.
Perceval tue Partinal et apporte sa tête au Roi Pêcheur qui en guérit.
Et Perceval vainc même le Diable monté des enfers. Honoré par
Arthur, il retrouve Blanchefleur mais ne l'épouse pas. Après la mort
du Roi Pêcheur, il lui succédera pendant sept ans puis il finira ses
jours au fond d'un monastère, nourri par le Graal. Le "Roman du
150
Graal" peut aussi mis en parallèle avec plusieurs œuvres d’autres
auteurs qui ont traité du même sujet en puisant probablement aux
mêmes sources. Ces récits concurrents restent reliés aux mythologies
celtiques et galloises traditionnelles. On y retrouve les décors et les
personnages des légendes arthuriennes de la Cour de Bretagne, mais
ils intègrent occasionnellement certains thèmes venus du
Christianisme. Des ouvrages comme Peredur ou Perlesvaux peuvent
apporter des éclairages complémentaires sur le mythe.
Les aventures de Peredur sont inspirées par le même récit gallois
inconnu que celui de Perceval. Le personnage est un jeune garçon
naïf qui a rencontré des chevaliers dans la forêt. En allant les
retrouver à la cour du Roi Arthur, il subit une initiation sanglante et
compliquée, et finit par apercevoir le cortège du Graal. Deux
hommes entrent dans la chambre, portant une énorme lance dont
trois ruisseaux de sang coulent jusqu'à terre. Deux jeunes filles
suivent soutenant un grand plat sur lequel est une tête d'homme
baignant dans son sang. Il n'y a pas de connotation chrétienne dans
ce roman qui relève de la pure tradition vengeresse celtique avec les
symboles du Chaudron de Dagha et de la Lance d'Assal. On est
certainement très près du récit originel. C'est aussi par une nécessité
de vengeance que commence le roman de Perlesvaux qui reprend les
épisodes du Roman du Graal et le personnage de Gauvain. L'histoire
intègre Joseph d'Arimathie. Dans la salle à manger, deux pucelles
paraissent, l'une tenant la Lance, l'autre le Graal. Deux anges les
suivent avec des candélabres. Le cortège revient avec une forme
d'enfant puis du Christ sur le Graal qu'on verra encore sous cinq
aspects secrets, le dernier étant décrit comme celui d'un calice.
151
Les romans du Graal christianisé
L'auteur de Peredur met occasionnellement en scène des éléments
tirés de la mythologie celtique. Son héros visite un château où
arrivent des chevaux portant des cadavre. Des femmes baignent les
corps dans un cuveau puis les enduisent d'onguent magique. Et les
morts ressuscitent. C'est le "chaudron de résurrection", le "Chaudron
de Bran" de la tradition celtique. Peredur découvre une vallée où
coule une rivière. Sur une rive, il y a des moutons blancs, sur l'autre,
des moutons noirs. Chaque fois que bêle un mouton blanc, un noir
traverse l'eau et devient blanc, et vice versa. Peredur est à la frontière
qui sépara les vivants des morts. Il comprend alors que les âmes sont
immortelles, passant alternativement de ce Monde à l'Autre. Le
roman de Perlesvaux est encore plus proche de la source galloise
primitive. Le récit est très vengeur et sanguinaire. On y trouve plus
de deux cents têtes coupées et même un dragon. Et Perlesvaux fait
décapiter douze ennemis dont il recueille le sang dans un chaudron
pour y noyer leur chef. C'est bien un rituel celte vengeur typique. Le
personnage est cependant le premier Chevalier du Graal que la
présence de Joseph d'Arimathie relie à la christianisation du mythe.
Quant à la violence, il faut se souvenir que l'on est alors au 12e
siècle, vers la fin du temps des Croisades.
Un romancier franc-contois reprend ce thème dans le récit "Joseph".
Après la crucifixion, écrit Robert de Boron, Joseph d'Arimathie
voulut ensevelir le corps et en demanda l'autorisation à Pilate qui lui
remit aussi le "vaissel", l'écuelle de Jésus, (celle de la Cène). En
descendant le corps, Joseph vit que la blessure de lance saignait
encore, et il recueillit le sang du Christ dans ce "vaissel". Plus tard, il
fut emprisonné et laissé sans nourriture, et reçut alors
miraculeusement ce "vaissel" qui le nourrissait comme le chaudron
des traditions celtiques. Vespasien sortit Joseph de sa prison, lui
donnant le bateau qui l'amena en Bretagne. D'autres chrétiens
l'accompagnaient dont le roi Bron. Chaque jour, la fraternité prenait
un repas rituel sur une table où était placé le "Saint Vaissel". Seuls
ceux qui avaient été touchés par la grâce de Dieu étaient admis à ce
"Service du Graal" qui annonçait le nouveau rituel de la Messe
catholique. (Á l'époque, l'Église énonçait le dogme de la
152
"Transubstanciation", Présence réelle dans l'Eucharistie, (Latran 4 802). Il fallait croire ou mourir, et les Cathares moururent). Le
"vaissel" sanglant et nourricier de Robert de Boron devint "l'Objet de
la plus haute Vertu". Sa quête cessa d'être la poursuite d'une
vengeance pour devenir une ascèse visant à acquérir la
"Connaissance parfaite".
Joseph d'Arimathie confia le Graal à Bron, le Roi Pêcheur, et s'en
retourna en Orient. Le roman suivant est bâti autour du Graal
réceptacle du Saint Sang. Perceval doit un jour en devenir le gardien
car il est le petit fils du Roi Pêcheur. Perceval tente sa chance sur le
"siège périlleux" mais il n'en est pas encore digne et la pierre se fend.
On retrouve ici tous les personnages arthuriens dont ce roi
douloureusement blessé d'un coup de lance. Son royaume est en
détresse. Après de nombreuses aventures, Perceval arrive au Château
du Graal, assiste au défilé mystérieux et demande à quoi sert cette
vision. Cette question suffit à guérir le roi qui lui révèle les secrets
du Graal avant de mourir. Le "Vaissel" est saint car il a reçu le sang
du Christ, et la Lance est celle de Longin, le soldat qui l'a percé sur
la Croix. Le siège périlleux se ressoude et Perceval devient "Roi du
Graal". Puis, Robert de Boron reprend encore le thème dans son
"Lancelot". Ce chevalier aurait pu être "l'Élu" s'il n'avait été l'amant
adultérin de Guenièvre qu'il aime éperdument. On lui fait cependant
féconder Élaine, la fille du roi pêcheur, qui a pris magiquement
l'aspect de la reine. Le même sortilège avait permis la naissance
d'Arthur. L'enfant né de cet amour est appelé Galaad. Il sera élevé
dans un monastère près de Camelot.
Galaad est un personnage très particulier. Dans "La Quête du Saint
Graal", indûment attribué à Gautier Map, un autre écrivain conte
quelques épisodes de son histoire. Nouveau dans la quête, Galaad
n'est pas contaminé par l'antique contenu païen de la "Matière de
Bretagne". Sa destinée est d'être le prêtre du Graal car il est pur
chrétien. Cela signifie qu'il n'est pas sujet aux pulsions qui gênent les
autres chevaliers dans leur quête. Comme Arthur, Galaad retire
aisément une épée fichée dans un roc. Il reçoit un bouclier magique
et arrive au Château des Pucelles où sept chevaliers abusent de
jeunes femmes et libère ces prisonnières. Avec ses amis et "Celle qui
jamais ne mentit", il voyage dans une nef merveilleuse et y reçoit
153
une épée fabriquée par Salomon pour laquelle la dame confectionne
d'étranges attaches, (les renges), avec ses propres cheveux. Ses amis
échouent dans leur démarche, mais Galaad surmonte toutes les
épreuves. Il guérit le roi blessé et lève les malédictions du royaume.
Il est donc couronné Roi du Graal et, face à la vision céleste, il
s'agenouille et rend l'esprit. Une main mystérieuse apparaît, s'empare
du Vaissel et de la Lance et les emporte au ciel. Le Graal devient à
jamais inaccessible en tant qu'objet. Don de Dieu, il est devenu pur
symbole de la Grâce offerte par l'Esprit Saint.
154
Le Graal de Montsalvage
Il y eut d'autres prolongements à cette maturation de la légende du
Graal. Au Moyen Âge, sous la domination de l'Église romaine et le
vécu des Croisades, la pensée européenne pouvait paraître
relativement homogène. Les différents princes influençaient
néanmoins les cultures locales. Les légendes médiévales, y compris
celle du Graal, revêtirent donc, outre Rhin, des caractères
spécifiques. Le thème de la Quête fut repris et adapté par Wolfram
von Eschenbach, un écrivain bavarois qui publia son propre Parzival.
Mettant en doute l'originalité de l'inspiration de Chrétien de Troyes,
il en utilisa pourtant partiellement la matière. Wolfram déclarait
s'inspirer lui même d'une oeuvre en français de "Kyôt le Provençal",
un Occitan inconnu, et il assurait que l'origine de la légende était
orientale. En fait, l'étude de Parzival montre que l'écrivain allemand
puisait au moins à deux autres sources, l'une classiquement celtique,
le Perceval de Chrétien, et l'autre orientale, probablement iranienne.
Il est à noter que ce texte contient des connotations dualistes qui
n'existent dans aucune version celtique. Elles peuvent avoir été
inventées par Wolfram sous l'influence de la proximité des
Bogomiles européens, ou provenir de la source provençale proche
des Cathares d'Occitanie.
Dans le récit de Wolfram, le père de Parzival a combattu en Orient et
y est mort. Parzival a un frère demi-blanc demi-noir, Vairefils, un
oriental qui l'accompagne dans la Quête. Parzival a aussi un fils
nommé Lohengrin. Et le Château du Graal s'appelle Munsalvsche,
c'est à dire Monsalvage. Wolfram décrit un extraordinaire cortège du
Graal. "Un écuyer entra, dit-il, portant une lance dont jaillissait du
sang coulant le long du bois jusqu'à la main et se perdant dans la
manche. Des sanglots et des pleurs emplirent la salle dont l'écuyer fit
le tour avant de sortir. Une porte d'acier s'ouvrit et deux blanches
vierges entrèrent, portant chacune un chandelier d'or avec un cierge
allumé, puis deux duchesses avec des chevalets d'ivoire. Suivaient
huit autres dames dont quatre portaient de grands flambeaux. Les
quatre autres soutenaient une pierre précieuse illuminée par les
155
rayons du soleil, et qui tirait son nom de son éclat. Deux princesses
richement parées les suivaient, portant deux couteaux d'argent d'un
blanc brillant. Puis apparut la Reine au visage couleur d'aurore. Sur
un coussin d'émeraude verte, elle portait la racine et le couronnement
de ce que l'on souhaite en Paradis, le Graal qui surpasse tout idéal
terrestre. Le nom de la porteuse du Graal était "Repense de Joie".
Wolfram von Eschenbach a beaucoup enrichi les récits dont il s'est
inspiré, même quand il confond les tailloirs de Chrétien avec des
couteaux d'argent. Le Graal qu'il décrit transcende toute
appartenance terrestre. Ici, la Quête est essentiellement une
démarche alchimique. Le Graal de Wolfram contient une puissance
secrète venue d'ailleurs. Sa révélation a été apportée sur terre par des
anges qui l'ont laissée à la garde d'hommes aussi purs qu'eux mêmes.
La Quête est un cheminement purificateur qui transmute la nature
pécheresse des humaine pour leur permettre d'approcher ce
mystère. L'histoire des parents de Parzival prépare le roman.
Gahmuret est le père d'un fils métis en Orient, Vairefils. Revenu en
Anjou, il y rencontre les personnages arthuriens et il épouse
Herzéloïde. Il retourne ensuite à Bagdad où il est tué. La Reine
veuve donne le jour à Parzival qui grandit sous sa protection. Un
nommé "Le Hellin" s'est emparé de son héritage, que le jeune
homme doit reconquérir. La suite est assez analogue au récit de
Chrétien de Troyes. Après maintes aventures, Parzival arrive au
château d'Anfortas, le Roi Pêcheur blessé, et il assiste au cortège du
Graal. Parzival ne pose aucune question. Il demeure donc dans
l'ignorance, et manque cette première occasion
Parzival reprend son chemin. Il rejoint la cour du Roi Arthur où la
hideuse fille renvoie tous les chevaliers à la quête. Puis il rencontre
son oncle, l'ermite Trévrisent, qui lui expose quelques secrets du
Graal. La virginité de la Terre Mère été souillée quand Caïn tua
Abel. Elle est depuis plongée dans les ténèbres de la pensée. Dans le
Château de Montsalvage, les Templiers gardent le Graal qui les
nourrit et leur conserve force et jeunesse. Le Graal est une pierre
précieuse merveilleuse. Chaque Vendredi Saint, une colombe
descend conforter ses pouvoirs. Nul n'entre dans son sanctuaire sans
avoir été choisi et s'il n'est vraiment pur. Chez Wolfram, la pureté du
coeur signifie l'abstinence sexuelle. Tous ses couples sont mariés,
156
toutes les femmes sont chastes et toutes les filles sont vierges, y
compris les "Filles Fleurs" du Château des Demoiselles. Anfortas
cherchait l'amour. Son manque de chasteté l'a rendu infirme. Parzival
connaît maintenant son destin et retourne à Montsalvage. Il demande
à Anfortas, "Bel oncle, de quoi souffres-tu ?". Cette seule parole
guérit le roi de sa honte. Il survivra mais ne régnera plus. Parzival
devient roi du Graal et rend la prospérité au royaume. Et Vairefils
épouse Repense de Joie et retourne en Orient où il aura un fils, le
fameux Prêtre Jean.
157
Ce roman complexe accumulait les aventures de Parzival, l'épée trois
fois rompue, le mariage avec Condwiramur, et le fils Lohengrin, le
Chevalier au Cygne, futur gardien du Graal. Albrech de
Scharpfenberg adapta dangereusement l'histoire dans un long poème
intitulé "Titurel" qui voulait clore le roman. Après le règne de
Parzival, écrit-il, le péché envahit la Terre et Dieu transporta
Monsalvage en Inde où l'on retrouve le Prêtre Jean. Le Graal est ici
un talisman divin, le Château est son Temple, et les Templiers sont
des guerriers élus, armés pour la Guerre Sainte. Dans cet avatar, le
mythe change de nature. Son évolution va s'arrêter. Les mythes
naissent, s'animent et se chargent de sens avec le temps. Dans
l'espace mystérieux de la pensée collective, ils constituent des
assemblages autonomes de "formes pensées". La Quête du Graal
contient les illuminations de nombreux chercheurs de spiritualité.
Ces "nourritures" restent disponibles dans l'inconscient collectif de
l'humanité et s'interprètent au niveau du lecteur. Au premier degré,
les questions naïves reçoivent des réponses simplistes. Au degré
suivant, les réponses reflètent les questions vers l'intérieur, comme
des miroirs, car elles viennent de l'intuition, et au dernier degré, il n'y
a pas vraiment de questions ni de réponses.
Le mythe du Graal apparaît d'abord comme
une
histoire
celtique
de
vengeance
sanguinaire et parfaitement païenne. Il évolue
ensuite au fil du temps dans des récits
successifs d'auteurs divers en passant de la
féerie anecdotique à l'ésotérisme initiatique.
Avec sa christianisation, il se spiritualise et se
charge d'une révélation sacrée. Il n'y a jamais
eu de véritable fondement historique de la
légende du Graal. On trouve seulement alors
un foisonnement de récits romancés de
diverses aventures humaines mêlant la
violence, l'amour, le sexe et le sang, décrivant
cyniquement la nature du Monde et la vie des
hommes. C'est pourtant dans cette nature
158
ordinaire que se préparait lentement la
révélation puis l'émergence de la Quête
purement spirituelle du Graal. L'histoire de la
naissance
du
mythe
préfigure
donc
étonnamment son contenu qui est lui-même
l'illustration ésotérique du chemin de la Quête
Spirituelle..
159
CHAPITRE 9 – De la Gnose aux Cathares
Introduction
La Gnose n’est pas une hérésie née du Christianisme mais un
système de pensée indépendant partiellement issu du Vêdânta indoiranien antique. Au début de l'ère, il cohabitait avec le Christianisme
puis avec l’Hermétisme et le Néo-Platonisme. Malgré la proximité
des sources irano esséniennes du Christianisme et des racines
indiennes de la Gnose, les deux courants professaient des idées
différentes. La Gnose n'était initialement qu'une vision métaphysique
et intellectuelle du Monde tolérant tous les cultes. Les Gnostiques
disaient que le Monde divin et le Monde où nous vivons
appartiennent à deux natures parfaitement distinctes. Ce thème
fondamental des deux natures suffit à caractériser une pensée de type
gnostique. Interdits d'existence puis menacés de mort par les arrêts
de l'empereur chrétien Théodose II, les métaphysiciens prégnostiques informels constituèrent des communautés autonomes et
distinctes.
Dés son apparition, la dualité professée par la Gnose s'éloignait
cependant du polythéisme antique et des mythes indo-iraniens. Elle
était une démarche personnelle vers la connaissance totale (en fait
salvatrice), la découverte de l’Esprit, et la compréhension de la
nature réelle du monde. Elle y tendait par l’illumination intérieure.
Dans la mesure où elle était une attitude mentale sans être religieuse,
elle se développait sur un plan intérieur, ésotérique, en préconisant
une liaison directe avec le plan divin. La Gnose pouvait accepter que
les néophytes puissent connaître des initiations, mais elle se passait
de prêtres médiateurs et d'intercesseurs intervenant entre l'homme et
la divinité. Le système entra donc en concurrence avec les
organisations chrétiennes structurées et les cultes et mythes
spécifiquement chrétiens. La puissante Église décida de détruire la
160
Gnose qui, pour survivre, s'organisa en diverses chapelles
clandestines.
La coexistence forcée provoqua cependant quelques influences
mutuelles et quelques tentatives de mise en commun tendant à
rapprocher les deux doctrines. Le gnosticisme du début du
Christianisme n'est qu'un aspect de l'ensemble de la pensée
gnostique. Il y a aussi une gnose juive, une gnose islamique et même
une gnose bouddhique. Au 2e siècle, les Gnostiques désiraient
intégrer le paléo-christianisme ésotérique dans leur démarche globale
car il leur paraissait enraciné dans les autres cultes à Mystères. Ils
tentèrent donc une synthèse entre la foi des Chrétiens en un dieu
unique et leurs idées gnostiques et néo-platoniciennes. Pour la
distinguer de la Gnose païenne dualiste et indo iranienne, l'Église
appela "orthodoxe" cette nouvelle gnose christianisante qu'ils
tentaient d'élaborer. Néanmoins, elle la condamna et elle en fit une
hérésie majeure promise aux feux des bûchers en ce monde et aux
flammes de l'enfer dans l'autre.
Les évolution de la pensée gnostique ont été multiples. Certaines ont
suivi le courant dualiste d'origine indo iranienne s'exprimant dans le
Néoplatonisme de Plotin et l'Hermétisme, ou aboutissant
ultérieurement au Manichéisme. D'autres ont essayé d'intégrer les
apports du Christianisme naissant à l'antique ésotérisme. Contraints
de se cacher, les différents groupes gnostiques ont été isolés et ont
formé des communautés secrètes de pensée ou de culte, des
assemblées fraternelles et fermées, (ecclesia ou églises), qui ont
élaboré des doctrines variées. On a donc vu apparaître plusieurs
écoles gnostiques relativement christiques sous les impulsions de
Carpocrate, Basilide, Marcion ou Valentin, à Rome ou à Alexandrie,
et d'autres résolument païennes. Toutes préservaient cependant leurs
fondements métaphysiques communs en proposant le même objectif,
inciter chaque homme à retrouver son âme spirituelle au sein de sa
nature corporelle.
De nos jours, la Gnose adapte son message à la culture occidentale
traditionnellement chrétienne. Elle se déclare souvent christique et
voudrait alors montrer toute la richesse des mythes du Christianisme
originel en dévoilant leur véritable signification cachée. Se
161
dégageant de toute discussion concernant l’historicité des
fondements chrétiens, elle présente les personnages et les
événements évangéliques comme des représentations mythiques du
chemin qui conduit l’Homme à son salut. Ce décryptage des mythes
relie le Christianisme originel aux antiques Cultes à Mystères dont il
est contemporain. On y retrouve leurs principales caractéristiques
tels les concepts d’immortalité de l’âme, de salut et de résurrection.
Le culte évoque toujours la passion, la mort et la résurrection d’un
dieu. Les pratiques comportent des prières, des sacrifices, des
émotions violentes et des rites pénitentiels, et les liturgies conduisent
au salut dans un autre monde.
162
Les 'Pères' du Gnosticisme christique
Le premier reconnu aurait été Simon le Magicien, un contemporain
des apôtres dont l'existence paraît plus légendaire que réelle. Son
disciple Ménandre voulait sauver les âmes captives ici bas et
proclamait l'absolue transcendance de la divinité. Saturnin enseignait
que sept anges avaient créé le Monde et tenté de façonner l'Homme à
l'image de Dieu. Saisi de pitié pour l'ouvrage manqué, Dieu l'anima
d'une étincelle d'esprit qui remonte à lui à la mort. L'oeuvre du
gnostique égyptien Carpocrate aurait aussi été brûlée. Il semble qu'il
pensait que Jésus n'était pas un "Sauveur" mais simplement un
homme qui avait réalisé son idéal de justice. Puis il avait rejeté les
créateurs inférieurs de la matière avant de remonter vers le Père
inengendré. Les carpocratiens honoraient Jésus à l'égal de Platon. Ils
enseignaient que l'âme devait passer par une série de transmigrations
avant de s'affranchir des illusions du Monde et de regagner
finalement son lieu originel divin.
Basilide naquit à Alexandrie dans le 1er siècle de notre ère. Il
rédigea un évangile qui a été brûlé comme tous les textes gnostiques
accessibles à l'époque. Il concevait 365 cieux imbriqués les uns dans
les autres. Tous seraient hiérarchiquement peuplés d'intelligences
variées dont la moins élevée aurait créé notre propre Monde. Dieu
serait donc infiniment distant de ce Monde qui est la dernière de ses
émanations. Pêcheur par nature, l'Homme est justement condamné. Il
possède deux âmes qui entrent perpétuellement en conflit et peuvent
se réincarner. La résurrection est impossible car les corps sont
totalement corrompus. Les âmes d'un petit nombre d'élus pourraient
rejoindre leur source divine en trompant magiquement les Archontes
créateurs du Monde. Basilide ne croyait pas à l'incarnation du Christ.
Il pensait que l'homme mort sur la croix n'était pas Jésus mais Simon
de Cyrène. Il eut de nombreux disciples. Le plus connu de ces
Basilidiens fut Marcion.
Basilide naquit à Alexandrie dans le 1er siècle de notre ère. Il
rédigea un évangile qui a été brûlé comme tous les textes gnostiques
163
accessibles à l'époque. Il concevait 365 cieux imbriqués les uns dans
les autres. Tous seraient hiérarchiquement peuplés d'intelligences
variées dont la moins élevée aurait créé notre propre Monde. Dieu
serait donc infiniment distant de ce Monde qui est la dernière de ses
émanations. Pêcheur par nature, l'Homme est justement condamné. Il
possède deux âmes qui entrent perpétuellement en conflit et peuvent
se réincarner. La résurrection est impossible car les corps sont
totalement corrompus. Les âmes d'un petit nombre d'élus pourraient
rejoindre leur source divine en trompant magiquement les Archontes
créateurs du Monde. Basilide ne croyait pas à l'incarnation du Christ.
Il pensait que l'homme mort sur la croix n'était pas Jésus mais Simon
de Cyrène. Il eut de nombreux disciples. Le plus connu de ces
Basilidiens fut Marcion.
Né vers l'an 100, Valentin influença fortement le Gnosticisme. Á
l'origine, il y a un principe parfait et transcendant. Par réflexion, il en
émane un éon, Barbélo, formant un premier couple. Trente
émanations successives constituent le Plérôme. Voulant utiliser seule
la puissance du Père, le dernier éon, Sophia, provoqua la chute pré
cosmique, engendrant l'ignorant Yaldabaoth, le démiurge biblique.
Chassé du Plérôme, il créa l'impotent "Homme Psychique". L'éon
"Christ" le lui fit animer d'un souffle, faisant naître "l'Homme
Pneumatique". Privé de sa puissance, Yaldabaoth précipita l'Homme
dans la matière. Les hommes n'ont aucune part dans leur salut.
L'humanité est séparée en trois classes prédéterminées. De nature
spirituelle, les pneumatiques seront individuellement sauvés. Les
psychiques n'ont qu'une âme mais peuvent être instruits du salut. Les
hyliques en resteront exclus jusqu'à une eschatologie générale qui
détruira l'univers matériel
Évangile de Thomas
Qu'il cherche, le chercheur jusqu'à ce qu'il trouve,
et quand il aura trouvé, il sera bouleversé,
et étant bouleversé, il sera émerveillé, et il régnera sur le Tout.
Let him who seeks, not cease seeking until he finds,
and when he finds, he will be troubled,
164
and when he has been troubled,
he will marvel and he will reign over the All.
165
Les Néoplatoniciens
La plupart des textes antiques, y compris gnostiques, ont été
systématiquement détruits. Les livres étaient alors copiés à la main
en très petit nombre, et la Bibliothèque d'Alexandrie réunissait
l'essentiel du savoir. Elle fut incendiée par les Romains, puis par les
Chrétiens coptes. Il en fut de même de celle d'Antioche. Plus tard, ce
qui demeurait fut même jeté en mer par les Musulmans. Tous les
temples et objets cultuels ont été détruits sur ordre impérial. Les
témoins essentiels de la culture européenne originelle ont ainsi
disparu. Les "Pères de l'Église" ont cependant commenté
abondamment les formes de pensée qu'ils qualifiaient d'hérésie. Leur
objectif étant la réfutation des idées combattues, leurs écrits sont à
considérer avec prudence. Ils peuvent apporter quelques
informations. Une autre source récente, d'extrême intérêt parce que
directe et authentique, réside dans les divers et précieux manuscrits
coptes découverts prés de Nag Hammadi, en Égypte.
Avant le 4e siècle, les diverses formes de la pensée antique
coexistaient dans une relative tolérance. La philosophie se mêlait aux
nouvelles religions qu'elle concurrençait souvent. Au 3e siècle, le
Néo Platonisme se fondait sur les théories de Plotin. Le monde
intelligible serait formé de trois substances, (hypostases divines), le
UN, L'Intelligence, et l'Âme. Le UN est le Dieu de Plotin. Ce n'est
pas l'Être mais la source de l'être, et toutes les choses émanent de lui.
Il est plénitude et on ne peut rien en dire. L'intelligence, ou Esprit,
c'est l'unité manifestée dans la multiplicité des idées qui se
rassemblent dans un même principe d'harmonie. L'âme procède des
deux autres hypostases. Elle est mouvement et raison et se divise en
parcelles individuelles en chaque vivant y compris dans chaque
homme. Chaque âme humaine est une parcelle divine engendrée par
l'Intelligence dans sa contemplation extatique de l'UN qu'il doit
comprendre afin de s'y fondre.
Les Néoplatoniciens égyptiens Plotin et Porphyre ont ouvertement
critiqué la Gnose. Les écrits de leur ami, le Syrien Jamblique
s'approchaient cependant de pensée gnostique. Il disait qu'avant les
166
êtres véritables et les principes universels, il y a un Dieu qui est l'Un,
le tout premier, demeurant immobile dans sa singularité. Il est à soimême un père et un fils, et l'origine unique du vrai Bien. Il est la
source de tout et la base des êtres que sont les premières idées
intelligibles. Á partir de ce Dieu Un, se diffuse le Dieu Roi, auteur
du devenir, de la nature entière et de ses puissances. L'Homme aurait
deux âmes. La première voit Dieu, car elle est issue du Premier
Intelligible. L'autre est introduite en lui à partir de la révolution des
astres, corps célestes des dieux, dont elle accompagne le destin. En
elle se glisse l'âme qui voit Dieu et qui est supérieure au cycle des
naissances. Par elle, délivrés de la fatalité, nous remontons vers le
Dieu intelligible.
Les Hermétistes et l'Alchimie
Au début de l'ère, l'Hermétisme concurrençait aussi la Gnose.
Ultérieurement, les deux courants se sont rapprochés. Au
commencement, nous dit un texte attribué à Hermès Trismégiste, il y
eut Dieu et Hylé (la matière). Le Souffle, (l'Esprit), était dans la
matière mais pas de la même façon (...) qu'étaient en Dieu les
principes dont le Monde a tiré son origine. (...) Dieu qui est toujours,
Dieu éternel, ne peut être engendré, ni n'a pu l'être. Telle est donc la
nature de Dieu, qui toute entière est issue d'elle même. (...). Quant à
Hylé, (la nature matérielle), et au Souffle de Vie, bien qu'ils soient
manifestement inengendrés, ils ont en eux le pouvoir et la faculté
naturelle de naître et d'engendrer. (...). Voici donc en quoi se résume
toute la qualité de Hylé (la matière), elle est capable d'engendrer bien
qu'elle soit elle-même inengendrée. Or, s'il est de sa nature d'être
capable d'enfanter, il en résulte qu'elle est tout aussi capable
d'enfanter le Mal.
Or le Noûs, étant Vie et Lumière, engendra un Homme semblable à
lui et s'en s'éprit comme de son propre enfant. Car l'Homme était très
beau, à l'image du Père, et le Noûs lui livra toutes ses oeuvres. Et cet
Homme nouveau qui avait plein pouvoir sur le monde des animaux
mortels et sans raison, se pencha au travers de l'armature des sphères,
et fit montre à l'autre Nature d'en bas, de la belle forme de Dieu. La
167
Nature sourit d'amour car elle avait vu les traits de cette forme
merveilleusement belle se refléter dans l'eau. Et lui, ayant perçu cette
forme semblable, en bas, dans la nature, et reflétée dans l'eau, il
l'aima et voulut habiter là. Ce qu'il voulut, il l'accomplit et s'en vint
habiter la forme irresponsable. Ayant reçu en elle son aimé, la
Nature l'enlaça toute et ils s'unirent car ils brûlaient tous deux
d'amour. C'est pourquoi, seul de tous les êtres, l'Homme est double,
mortel de par le corps, mais toujours immortel de par l'Homme
essentiel.
168
De nature divine, engendré non pas créé, l'homme originel est et
demeure immortel même après la chute, quelle que soit ce qu'on
imagine, orgueil ou narcissisme. Il peut cependant retrouver ses
pouvoirs perdus dans la vie naturelle s'il accepte la transfiguration du
corruptible en incorruptible, symbolisée par la transmutation
alchimique du plomb vil en or pur.
C'est cette possible
transformation que découvraient les disciples d'Hermès, non pas
dans les cornues des anciens Alchimistes mais en eux-mêmes, dans
l'inlassable poursuite de la pierre philosophale. Celle-ci n'opérait
qu'en présence d'un peu d'or, symbole de la présence occulte de
l'Esprit divin, préalable nécessaire à la transmutation. Par amour,
nous disaient ces ésotéristes, la Divinité descend sacramentellement
depuis l'Esprit pur vers chaque homme, en revêtant la matière. Et,
par amour aussi, l'Homme s'élève depuis sa corporéité vers Dieu, en
libérant son propre Esprit.
Mais, en l'an 390, un édit de l'empereur Théodose interdit la
philosophie et tous les anciens cultes dans tout l'empire romain
occidental. Le Christianisme, religion d'état, devint obligatoire sous
peine de mort, et les martyrs se firent bourreaux. Hélas, avec la
civilisation chrétienne et pour plus de mille ans, le fanatisme
s'installa. Il détruisit les bases de l'ancienne civilisation et la ville de
Rome fut dépeuplée. Puis l'empire oriental fut conquis par l'Islam.
Les guerres des religions firent des millions de morts. Plus tard, la
civilisation méso-américaine disparut à son tour. Car le fanatisme ne
produit que la douleur et les cris, gémissements de désespoir dans
les prisons, ou hurlements dans les tortures et l'agonie des supplices.
Née dans une tyrannie oubliée, cette civilisation est maintenant la
nôtre. Nous espérions toute cette barbarie révolue, mais l'intégrisme
religieux renaît, manifestant de nouveau sa violence dans le sang et
les larmes.
La tolérance commence par le doute
en la vérité de nos propres certitudes
Manichéens et Bogomiles
169
Mani (216-274), est un Parsi gnostique qui se déclara successeur du
Bouddha. Il professait une religion dont la doctrine synthétisait celles
de Zoroastre, de Bouddha et de Jésus. L'homme primitif serait né de
la confrontation du Bien et du Mal. L'homme actuel est uniquement
l'œuvre du Mal qui a triomphé. L’homme n’est pas fils de Dieu mais
enfant du Diable. L'existence du Mal est inacceptable et la matière
n'est qu'illusion. Il faut donc s'abstenir de toute œuvre pérennisant
son emprise, ne pas bâtir, ne pas semer, ne pas récolter, et ne pas
procréer. Entendre l'appel des fils de lumière est la seule chance de
salut des hommes. Cette vision pessimiste du Monde engendrait des
troubles dans l’ordre établi. Condamné et chargé de lourdes chaînes,
Mani mourut d'épuisement dans un cachot. Les missionnaires et les
fidèles manichéens ont subi de terribles persécutions. Malgré tout, et
pendant plus de mille ans, le manichéisme se répandit très largement
partout, en Orient comme en Occident.
Le Manichéisme était une grande religion. Pendant dix siècles, il
s'étendit donc depuis l'Iran jusqu'à la Mer du Nord, la Chine où l'on
en trouve encore quelques traces, et en Afrique. Il a même fourni à
l’Islam quelques éléments de son rituel comme les cinq piliers de la
sagesse. Vers la fin du 4e siècle, inspirés par le Manichéisme, divers
courants ascétiques plus ou moins dualistes, se sont faits jour au sein
de l’Église occidentale qui les condamna et les combattit férocement.
Les Messaliens ou Euchites, étaient des errants vivant de prières et
de mendicité. Les Priscillianistes séparaient l'âme divine du corps
matériel et maléfique. Ils croyaient au déterminisme astrologique et
confondaient les trois personnes divines en une seule entité. L'évêque
Priscillien fut le premier mis à mort pour hérésie en 395. Les
Pauliciens condamnaient le culte marial car ils niaient l'incarnation
de Jésus dans un corps matériel. Ils rejetaient le clergé, et les rites. Ils
communiaient par la prière, et refusaient l'eucharistie.
La disparition du Manichéisme a été lente. Il a longtemps persisté à
travers divers prolongements, les Mazkadites iraniens, les Zandaqa
(contestataires) musulmans, les Pauliciens byzantins, les Bogomiles
bulgares et bosniaques, les Patarins rhénans, ou les Cathares italiens
et français. Les Bogomiles sont apparus vers l'an Mil, en Asie
170
Mineure. Ils avaient adapté le dualisme manichéen en reconnaissant
deux dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et ténébreux. Le
second a fait le corps de l’Homme en y emprisonnant un ange de
lumière. Le procréation est condamnable car elle perpétue la
démoniaque race humaine. Le Christ n'est qu'un ange, et le corps de
Jésus était un fantasme immatériel. Jésus n’a pas souffert, n’est pas
mort ni ressuscité. Le jugement dernier a déjà eu lieu et ce monde-ci
est l’enfer de punition. Les Bogomiles vivaient pauvrement,
travaillant de leurs mains. Ils baptisaient par l'esprit, refusaient le
mariage et s'abstenaient de viande et de vin.
Sévèrement persécutés, les Bogomiles gagnèrent la Lombardie où
ils donnèrent naissance aux Patarins que l'on repère aussi en Bosnie
et à Byzance, où leur chef Basile fut capturé et brûlé au 11e siècle.
Ces successeurs des Bogomiles sont les précurseurs italiens du
mouvement cathare. Les Cathares (du grec kataros « pur »)
adhéraient globalement au système dualiste manichéen. Ils rejetaient
le mariage et le baptême des enfants. Ils niaient l'humanité du Christ
et sa présence dans l'Eucharistie ainsi que l'existence du purgatoire.
Ils considéraient que les prières pour les âmes des défunts sont
inutiles. Ils condamnaient la messe et les sacrements et n'acceptaient
que le baptême de feu des adultes par l'Esprit Saint. Ils disaient que
la procréation est diabolique. Ils enseignaient que l'âme humaine est
un esprit rejeté du Royaume céleste. Enfermée dans un corps
d'homme, elle ne peut trouver le salut que par le mérite de ses actes.
Les Cathares évitent aussi de consommer toute nourriture carnée.
Les Cathares
Á la fin des Croisades, la Chrétienté laissa le Moyen Orient aux
mains des Musulmans. Le coût de cette guerre insensée fut terrible,
tant qu'en vies humaines qu'aux plans économiques et politiques. Les
moeurs des gens d'église se relâchèrent fortement. En réaction contre
le laxisme du clergé catholique, et bien avant le mouvement de la
Réforme Protestante du 16e siècle, divers courants désiraient revenir
171
à plus de pureté comportementale. C'est dans cet esprit que les
Cathares apparaissent au 11e siècle, en Italie du Nord, dans le Midi
de la France, en Flandre, en Angleterre, et en Allemagne. Les
Bogomiles et les Patarins semblent être à l’origine de chacun des
deux courants du Catharisme. Ils comptaient alors trois grandes
églises en Italie, et quatre mille parfaits pour l’ensemble de l’Europe
dont deux mille pour l'Italie, (et deux cents seulement dans le Midi).
La persécution multipliant les exécutions sur le bûcher dans le Nord,
le Catharisme se réfugia dans le Midi plus accueillant.
Les Cathares bogomiles de l’Est de l’Europe ont adapté les
enseignements manichéens à leur propre culture. Il y aurait deux
dieux, l’un bon et lumineux, l’autre mauvais et ténébreux. Le second
fit le corps de l’Homme en y emprisonnant de force un ange de
lumière. Le procréation est un acte condamnable car il en résulte la
perpétuation de la démoniaque race humaine. Le Christ est un ange
de Dieu. Le corps de Jésus était un fantasme immatériel. Jésus n’a
pas souffert, n’est pas mort ni ressuscité. Le jugement dernier a déjà
eu lieu. Ce monde-ci est l’enfer de punition et il n’y en a pas d’autre.
La doctrine des Cathares patarins du Sud, les Albanenses, les
Albigenses ou Albigeois, dérive de celle d’Origène. Ils croient en un
seul Dieu créateur de la matière, des éléments et des anges. Le fils
des Ténèbres est l’intendant du Monde et il y créée toutes choses. Le
libre arbitre a causé la déchéance de Lucifer qui a séduit d’autres
anges. Il est le Dieu de la Bible et l’artisan du monde visible.
Les Cathares étaient recrutés dans toutes les classes de la population
y compris dans le clergé. En 1167, à la suite d'une assemblée
générale tenue aux environs de Toulouse et présidée par le Patriarche
byzantin Nicétas, chef de l'Église bogomile de Dragovitchia, venu de
Constantinople, les communautés s'organisèrent pour former
finalement une vingtaines d'églises territoriales couvrant la France,
l'Italie, les Balkans et les pays rhénans. Chaque église était constituée
en évêché placé sous l'autorité d'un évêque. Les fidèles cathares
étaient hiérarchisés en trois degrés, les auditeurs, les croyants, et les
élus. Pour la plupart, les auditeurs étaient des paysans et des pauvres
attirés par le contenu pacifique des sermons cathares. Ils continuaient
cependant à mener leur existence laborieuse habituelle. Les croyants
devaient respecter diverses règles morales et disciplinaires, et
172
accepter une réelle ascèse avant d'envisager d'accéder au rang d'élus,
de devenir "Parfait".
173
La dernière catégorie est celle des "Élus" ou "Parfaits". Ils se
disaient simplement "Chrétiens". Ayant fait voeu de célibat, ils
pouvaient être des hommes ou des femmes. Les fidèles les appelaient
"Bons Chrétiens" ou "Bons Hommes" ou "Bonnes Chrétiennes" ou
"Bonnes Dames". Le passage au degré de "Parfaits", s'opérait par le
rite du "Consolamentum", ou "Saint baptême de Jésus-Christ" qui
était un baptême de "Feu", le baptême de l'Esprit. Ce sacrement
unique se pratiquait par imposition des mains, en filiation
apostolique. Les Cathares considéraient que cette pratique leur venait
directement des apôtres. Les Parfaits prêchaient l'Évangile,
annonçaient l'amour de Dieu, et conféraient le sacrement du
Consolamentum aux mourants pour remettre leurs péchés et sauver
leurs âmes en les rendant à Dieu. Ils étaient connus par leur charité
et par l'exemplarité de leur vie. Ayant renoncé à tout bien et vivant
en collectivité, ils étaient des religieux pour qui le travail apostolique
était primordial.
Aux yeux des Catholiques, le Catharisme est une hérésie
caractérisée. Le Christ n'aurait que l'apparence de l'homme et sa
nature serait purement spirituelle. Il aurait été envoyé sur Terre par le
Dieu d'Amour pour y répandre la bonne nouvelle évangélique et faire
oublier l'ancienne loi de Yahweh, le Dieu cruel des Hébreux. Les
Cathares n'acceptent que le Nouveau Testament et rejettent l'Ancien.
La nature du Christ ne pouvant être corporelle mais uniquement
spirituelle, ils refusent l'Eucharistie. Ils bénissent cependant le pain
et récitent le "Pater". Pour eux, il y a deux mondes, le Royaume de
Dieu dont l'Évangile dit qu'il n'est pas de ce Monde, et ce monde
mauvais, voué à la destruction et à la mort, qu'il faut se garder de
perpétuer par la chair. Et il y a deux églises, celle du mauvais monde,
l'Église Romaine, et celle du vrai Dieu, héritée des Apôtres, celle des
Cathares. La reprise de ces anciennes thèses hérétiques provoqua la
fureur de Rome et déclencha des persécutions effroyables.
Les Croisades et l'Inquisition
174
Entre le 12e et le 13e siècle, les souverains chrétiens européens
entreprirent de rétablir militairement le libre accès aux lieux saints
du Christianisme, tombés aux mains des musulmans. Outre ces
objectifs, des raisons plus politiques jouèrent alors, telle la volonté
du Pape d'affirmer son autorité affaiblie par le schisme d'Orient. Par
ailleurs, depuis la chute de Byzance, les musulmans prélevaient sur
les pèlerins un coûteux droit de passage qui gênait le commerce
vénitien. En novembre 1095, le pape Urbain II prêcha la première de
ces huit Croisades dirigées contre les nations du Moyen Orient. Elles
prirent fin deux siècles plus tard, avec la perte de la ville d'Acre en
mai 1291. Á leur début, elles avaient permis l'établissement d'états
francs en Palestine puis d'un empire latin en Orient. Ces créations
artificielles ne se maintenaient qu'avec l'aide de renforts constants
multipliant les expéditions. Elles aggravèrent un douloureux conflit
de civilisations qui envenime encore aujourd'hui les relations entre
l'Occident et le Monde musulman.
Á partir du 8e siècle, les musulmans conquirent l'Afrique du Nord
puis l'Espagne à l'exception des provinces du Nord. Progressant
ensuite en France, ils furent stoppés à Poitiers et contenus en deçà
des Pyrénées. Ils établirent, à Cordoue, un califat qui en fit une ville
prestigieuse. On y trouvait une brillante culture et une tolérance très
relative envers les autres religions du Livre. Au nord de cet puissant
état, les souverains chrétiens se maintenaient dans une méfiante
défensive. Au 11e siècle, profitant d'un affaiblissement du califat, ils
entreprirent la reconquête du pays, la"Reconquista", une croisade
hispanique appuyée ultérieurement sur les tribunaux de l'Inquisition.
Les musulmans se maintinrent cependant dans le sud du pays jusqu'à
la chute de Grenade en 1492. Les débuts du millénaire furent un
temps de conquêtes impitoyables et de rivalités religieuses à l'échelle
mondiale. L'intolérance fut mutuelle et féroce. C'est dans ce climat
général d'ambition et de violence guerrière qu'apparurent alors les
Bogomiles et les Cathares.
Devenu religion d'état au 4e siècle, le Christianisme fixa son dogme
puis s'efforça d'éliminer toutes les opinions différentes qualifiées
d'hérésie. Rejetés par l'Église, les hérétiques (ou païens) étaient remis
au pouvoir civil qui les exécutait obligatoirement en application de la
loi. Le système fonctionna jusqu'à l'an Mil où naquirent de nouvelles
175
contestations. Les bûchers réapparurent aussitôt, et douze chanoines
d'Orléans furent brûlés vifs. L'Église imposait un implacable pouvoir
mais les contestataires dénonçaient sa richesse et le mode de vie de
ses dirigeants. Cette opposition gagna autant les paysans du Nord
que la noblesse du Sud. Au 12e siècle, les opposants dits "cathares"
adoptèrent les croyances des Bogomiles. En 1163, de nombreux
Cathares furent brûlés à Cologne. Le pape Innocent III ne supporta
pas que la noblesse occitane protègeât les cathares. Il fomenta une
première expédition militaire contre le comté de Toulouse. Elle se
livra à d'effroyables massacres dont le terrible sac de la ville de
Béziers.
Après la destruction de Béziers, le légat osa écrire au Pape : "Les
nôtres n'épargnant ni le rang, ni le sexe, ni l'âge, ont fait périr par
l'épée environ 20.000 personnes. Toute la cité a été pillée et brûlée.
La vengeance divine a fait merveille". En 1226, Le roi de France
reprit la croisade, levant une immense armée. Le comte de Toulouse
se soumit mais la guerre poursuivit ses incroyables exactions. Elle
détruisit le clergé cathare. Sans évêques, plus d'ordinations. Deux
mille "Parfaits" périrent sur les bûchers. Puis l'Église installa
l'Inquisition, obtenant la délation par la torture. La terreur régna et le
Midi fut détruit. Le symbole du martyre reste le château de
Montségur où le reste de la hiérarchie se réfugia. Assiégé pendant un
an, Monségur se rendit le 16 mars 1244. On brûla vifs 225 bons
hommes et bonnes femmes au pied de la forteresse. En l'an 1300, on
brûla les derniers Cathares. Malgré l’Inquisition, le Catharisme
survécut encore quelque peu, très difficilement en Languedoc, un
peu mieux en Italie, jusqu’au 15e siècle.
On démolit les maisons des parfaits, on exhuma et brûla leurs
cadavres. On brûla aussi tous leurs livres. La destruction des oeuvres
et archives cathares fut tellement complète que rien ne nous en est
parvenu. Nous ne disposons que de trois courts documents
authentiquement cathares et nous devons utiliser les nombreux
procès des accusations portées par leurs juges. Aujourd'hui, les
connaissances rassemblées montrent que la religion cathare reposait
essentiellement sur l’étude et la proclamation de l’Évangile, et donc
sur la parole du Christ contenue dans le nouveau testament. Elle était
authentiquement et profondément chrétienne. Le dualisme des
176
Cathares, leur volonté de pureté, leur encratisme, c’est-à-dire leur
refus d’engendrer, leur végétarisme, leur rejet de la Bible, de
l’Eucharistie et de la Croix provoquèrent cependant la colère de
l’Église catholique. Déjà en 323, à Nicée, dans son article 8, le tout
premier concile oecuménique critiquait ceux qui se disaient purs, et
il les appelait "cathares".
Au début du 13e siècle, pour des raisons à la fois politiques et
religieuses, et par cupidité, la papauté, les rois et les princes
décidèrent de détruire les Bogomiles et les Cathares. Plusieurs
croisades furent lancées sur les instructions du pape Innocent III,
d'abord dans les Balkans puis en Occitanie. La terrible guerre dura
150 ans, faisant d'innombrables victimes. Les persécutions
ordonnées par les papes dépeuplèrent les villes méridionales qui
passèrent aux mains du roi de France. Le pape Grégoire IX institua
l’Inquisition en 1233, en la confiant aux Dominicains et aux
Franciscains. Le pape Alexandre IV préconisa ensuite l’usage de la
torture. L'évêque de Pamiers, futur pape Benoît XII, fut lui-même
inquisiteur et fit torturer et exécuter de nombreux Cathares et
Vaudois. Le pape Sixte IV étendit l’Inquisition à l’Espagne puis à
l'Amérique du Sud. D'abord créée pour détruire les "hérétiques",
l'institution n'a jamais été totalement supprimée. Réformée, elle
s'appelle actuellement "Congrégation pour la doctrine de la Foi".
177
Gnôsis
Le mot "gnose" désigne communément les différents modes de
connaissance permettant de porter un jugement éclairé sur la nature
véritable du Monde. Les visions résultantes diffèrent selon la variété
et la précision des outils de recherche utilisés. Elles varient aussi
avec la personnalité et les intentions du chercheur ainsi qu'avec
l'acuité et l'indépendance du regard porté sur les phénomènes pris en
compte. On peut considérer des gnoses historiques en les associant
aux théoriciens qui en ont élaboré les fondements. Mais la Gnose
n'est pas un hypothétique évènement de l'Histoire. On peut
différencier diverses gnoses religieuses par leurs doctrines ou leurs
pratiques. On a aussi parlé de gnoses métaphysiques issues des
écoles de pensée du 2e siècle, et même de gnoses scientifiques telle
celle de Princeton. Ces démarches ne sont cependant pas
véritablement gnostiques et s'écartent de la pure spiritualité de la
Gnose.
On distingue facilement la Gnose de la recherche scientifique qui
tend à construire une image synthétique du monde extérieur.
Écartons aussi les reconstitutions des antiques écoles gnostiques
faites par des historiens ou des métaphysiciens. Ce sont des
reconstructions intellectuelles parfaitement extérieures à la Gnose.
Des religions se disent gnostiques parce que dualistes, mais leurs
doctrines sont élaborées sur des émotions entretenues par les rites.
La Gnose, c'est d'abord "Connais-toi toi même et tu connaîtras
l'Univers et les Dieux". Ce retournement vers soi peut générer une
grande erreur car le mental recèle essentiellement le Moi.
L'isolement dans les pulsions du Moi, c'est un paradis. L'Hermétisme
décrit cette chute dans la nature de l'homme originel amoureux de
l'image qu'il se créée de lui même dans le miroir de son mental. La
véritable Gnose est une démarche totalement spirituelle, et c'est donc
tout autre chose.
On distingue facilement la Gnose de la recherche scientifique qui
tend à construire une image synthétique du monde extérieur.
178
Écartons aussi les reconstitutions des antiques écoles gnostiques
faites par des historiens ou des métaphysiciens. Ce sont des
reconstructions intellectuelles parfaitement extérieures à la Gnose.
Des religions se disent gnostiques parce que dualistes, mais leurs
doctrines sont élaborées sur des émotions entretenues par les rites.
La Gnose, c'est d'abord "Connais-toi toi même et tu connaîtras
l'Univers et les Dieux". Ce retournement vers soi peut générer une
grande erreur car le mental recèle essentiellement le Moi.
L'isolement dans les pulsions du Moi, c'est un paradis. L'Hermétisme
décrit cette chute dans la nature de l'homme originel amoureux de
l'image qu'il se créée de lui même dans le miroir de son mental. La
véritable Gnose est une démarche totalement spirituelle, et c'est donc
tout autre chose.
La Gnose est donc essentiellement une vision, une lumière
intérieure. Elle révèle au gnostique qu'il est un étranger captif en ce
monde. Il doit travailler ardemment à sa propre libération afin de
réintégrer le Monde lumineux des origines. Mais sa mission est aussi
d'oeuvrer à la libération des autres captifs, car l'humanité entière est
prisonnière de l'obscurité. Les Gnostiques pensent qu'il en est ainsi
depuis le début de ce monde d'épreuve. La tâche est donc très
difficile et nécessite une aide en provenance du monde originel. La
Gnose serait l'illumination qui permet de retrouver tout au fond de
soi-même les qualités primordiales nécessaires à la mutation
spirituelle de l'humain ordinaire, des vertus qui transcendent
l'existence même de la matière et de la vie. Elles ne seront pas
conquises mais désirées, et seulement concédées, par grâce. Les
voici dans l'ordre où il m'a semblé les percevoir. Elles seraient Force,
Amour, et Liberté.
Esprit enfanté par l'Esprit,
Non pas créée mais engendrée,
L'Âme dans l'Homme ne peut mourir.
179
CHAPITRE 10- La Foi des Cathares
Le Christianisme devint religion d'état au 4e siècle. L'Église
Romaine fixa alors son dogme, s'efforçant d'éliminer toutes les
opinions différentes qu'elle qualifia d'hérésies. Elle imposa un
pouvoir implacable. En Languedoc comme ailleurs, des
contestataires hétérodoxes dénonçaient sa richesse et la vie
dissolue de ses dirigeants. Au 12e siècle, le pape Innocent III
fomenta une expédition militaire contre le comté de Toulouse
où elle se livra à d'effroyables massacres dont celui des
habitants de Béziers. En 1226, le roi de France reprit la
croisade, levant une immense armée. Le comte de Toulouse
se soumit mais la guerre poursuivit ses exactions. En 1233, le
pape Grégoire IX institua l’Inquisition en la confiant aux
Dominicains et aux Franciscains, puis le pape Alexandre IV
préconisa l’usage de la torture. L'évêque de Pamiers, futur
Benoît XII, fit exécuter de nombreux Cathares et l'Inquisition
détruisit leur clergé. On démolit les maisons des "Parfaits", on
exhuma et brûla leurs cadavres. Sans évêques, plus
d'ordinations. On brûla aussi tous leurs livres. La destruction
des œuvres et archives cathares fut tellement complète que
rien ne nous en était pratiquement parvenu. On ne pouvait
utiliser que les enregistrements rapportés par les "accusateurs
juges". Aujourd'hui, des textes cathares incontestables ont été
redécouverts, et les connaissances rassemblées montrent que
la religion cathare reposait essentiellement sur l’étude et la
proclamation de l’Évangile, et sur la parole du Christ. Elle était
donc authentiquement et profondément chrétienne.
Prolégomènes tragiques
Les grandes religions occidentales, issues des antiques traditions
sémitiques, professent toutes le monothéisme. Elles sont fondées sur
180
la foi, ce qui implique des postulats invérifiables. Le premier dote la
divinité de la toute puissance. Le second définit un créateur
absolument bon, attentif et bienveillant. D'autres lui attribuent la
parfaite connaissance de l'état du Monde, transcendant les limites du
temps et de l'espace, etc... Mais l'observation raisonnable de la réalité
amène les chercheurs à douter de ces certitudes. Ils élaborent alors
d'autres hypothèses, devenant des hétérodoxes porteurs d'une pensée
différente. Cette démarche intellectuelle ou métaphysique est
parfaitement admise chez les juifs et les musulmans. Dans le
contexte chrétien, elle parait mettre en danger un dogme
fondamental, celui de l'unicité de l'Église en tant que corps vivant du
Christ, ce qui est sacrilège. Les penseurs contestataires deviennent
des hérétiques. Au Moyen Âge, ce "crime" était sévèrement puni,
souvent de mort. En ce temps, les Cathares n'admettaient pas qu'un
dieu omniscient et omnipotent, parfaitement juste et bon, ait pu créer
ou permettre tout le mal qu'ils constataient sur Terre. Ils ont prêché
l'existence d'autres causes à ce désordre. Ils pensaient que l'âme
humaine pouvait se purifier progressivement dans des incarnations
successives pour retrouver un jour le royaume du Dieu de Bonté
véritable.
Aux yeux de l'Église, les Chrétiens qui adoptaient les hypothèses
cathares devenaient dangereux. Ils devaient être punis et les
enseignements reçus devaient être détruits. L'Église mit donc en
œuvre ces punitions et ces destructions, avec difficulté mais avec
efficacité. Au 12e siècle, elle répandit beaucoup de sang et causa de
grandes souffrances dans les régions concernées. En France, la
pensée cathare était surtout présente en Languedoc. Une croisade
entreprit de l'en extirper. La lutte dura un demi siècle. Elle fit
d'innombrables victimes pendues ou brûlées dans des exécutions
souvent collectives. Et finalement le Catharisme fut vaincu. Les
récits de cette tragédie tâchent de sang les pages de l'histoire du
catholicisme, même édulcorées, et nous ne reviendrons pas sur ces
tristes évènements. L'Église décida également de détruire totalement
les enseignements du Catharisme. Tous leurs écrits furent donc
systématiquement recherchés et brûlés, à tel point qu'au début du 20e
siècle, on ne connaissait guère la pensée cathare que par les rapports
des interrogatoires des pauvres suspects mis à la question. Quelques
documents avaient cependant échappé à cette furie de destruction. Ils
181
ont été retrouvées dans des bibliothèques anglaises ou autrichiennes.
Ils sont,maintenant, traduits et publiés. Cette page voudrait proposer
le partage des contenus authentiquement cathares qu'apportent ces
nouveaux documents.
182
Avant d'accéder à ces textes, il faut rappeler le contexte dans lequel
ce mouvement de la pensée religieuse déclencha un demi-siècle de
luttes meurtrières. La société médiévale évoluait rapidement avec
une aspiration hétérodoxe assez générale. Le servage avait
pratiquement disparu et les vilains comme les bourgeois disposaient
d'une liberté croissante y compris dans le domaine de la pensée. De
nombreuses factions apparaissaient partout, férocement combattues
par l'Église. En Languedoc, la rivalité des doctrines s'appuyait sur
des positions politiques tripartites qui servaient chacune ses propres
intérêts. L'anticléricalisme était général, contraignant souvent les
clercs catholiques à une prudence extrême. Les Cathares
condamnaient toute propriété et tout pouvoir, ecclésiastique ou
féodal. Les féodaux stimulaient l'expansion de la nouvelle religion,
qui affaiblissant l'Église, autorisait leurs confiscations des ses biens.
Et les gens d'Église imputaient les spoliations aux enseignements
cathares. Un autre phénomène est à prendre en compte, qui est celui
de l'apparition d'une sorte de nationalisme languedocien, un
communautarisme local, appuyé sur la survenue, au 11e siècle,
autour de Toulouse, d'une langue véhiculaire dérivée du bas latin, "la
koinè occitane", empruntée aux troubadours. Les gens avaient leur
territoire, leurs coutumes, leur langage, pourquoi pas aussi leur
propre religion
Les transformations politico-économiques en cours ne constituaient
qu'un facteur mineur dans le foisonnement des hétérodoxies
médiévales. La corruption du clergé catholique conduisait également
à l'affaiblissement de ses pouvoirs. Cependant, l'émergence de
multiples hétérodoxies variées en de nombreuses régions montrait
bien le besoin d'un renouveau de la spiritualité en cette époque de
transformation sociétale. En Languedoc, le Catharisme, détaché du
Monde mauvais, répondait à ces aspirations. Il constitua rapidement
l'idéologie de la majorité de la population. Plusieurs courants
coexistaient sans s'opposer dans la pensée cathare. Le dualisme
absolu pourrait dériver d'une filiation des Bogomiles et des
Pauliciens. Le dualisme mitigé, d'inspiration gnostique, conserverait
cependant l'idée d'une origine unique de la création. Ces subtilités ne
concernent pas les fidèles. On ne leur demande qu'une morale et un
183
comportement adapté. Les débats théologiques entre les Cathares et
l'Église se déroulaient dans le champ clos des Écritures. Les premiers
imputaient l'Ancien Testament au Dieu jaloux et vindicatif des
Hébreux, lui préférant le nouvel Évangile du Dieu d'amour et de
vérité. Les Catholiques rassemblaient les deux sources dans un
même corpus déclaré de sainte origine. Et finalement, Innocent 111
déclara la guerre sainte aux tenants de l'irréductible hétérodoxie
cathare.
Commencée en 1209, la guerre dura jusqu'au Traité de Paris en
1229, qui établissait la victoire politique du roi de France, mais le
Catharisme perdurait. En 1215, au Concile de Latran, l'Eglise obtint
l'exclusivité du jugement du caractère d'hérésie, l'Etat s'en réservant
la punition dont la peine capitale. En 1229, le Concile de Toulouse
introduisit en Occitanie l'Officialité romaine dite Inquisition du Saint
Office. Le nouveau système judiciaire fonctionna à partir de 1234,
L'Inquisition ne s'embarrassa pas de discussions doctrinales. Elle
chassait des hommes. Méticuleusement et férocement, elle s'employa
à détruire chaque Cathare et chacun de ses livres. Elle accomplit
parfaitement sa tâche. Les prêtres cathares ordonnaient
sacramentellement les postulants. En 1321, lorsque brûla Guillaume
Belibaste, le dernier "Parfait", le Consolamentum fut perdu. Les
Cathares et leurs enseignements semblèrent à jamais détruits. Mais
les voies de l'Esprit sont impénétrables et la pensée ne meurt jamais.
Quelques livres doctrinaux avaient échappé à l'acharnement
inquisitorial. Ils demeurèrent ignorés ou cachés dans des rayons
oubliés de bibliothèques étrangères. Au 20e siècle, des chercheurs
les découvrirent et s'attachèrent à les traduire et à les publier.
Aujourd'hui, la foi des Cathares revient en lumière. Je vais essayer
de vous en donner quelques aperçus.
Après que l'Inquisition eut envoyé au bûcher Guillaume Belibaste, le
dernier "Parfait", elle s'attacha à la destruction des derniers Cathares
et de leurs livres. On ne retrouva de leurs écrits que trois fragments
très courts sans aucun texte cohérent. L'Église fit du Catharisme le
symbole même de l'hérésie. Son histoire ne nous parvint qu'au
travers des registres judiciaires rapportant les interrogatoires menés à
charge et forcément partiaux. Au 20e siècle, quelques documents
incontestables furent retrouvés. Ils ne représentent ensemble que la
184
matière d'un seul livre, mais l'importance des contenus contraste
avec le néant précédent. Dans cette courte liste, on trouve deux
apocryphes chrétiens, "l'Ascension d'Isaïe" et "l'Interrogatio Ioannis
ou Cène secrète", une traduction du Nouveau Testament en langue
occitane, deux traités dogmatiques partiellement reconstitués, "le
Livre des deux principes et le Traité anonyme", et trois rituels, "le
Rituel occitan de Lyon, le Rituel latin de Florence, et le Rituel
occitan de Dublin". On peut regrouper ces documents en trois
catégories. Il y a dans la première quelques textes connus par
ailleurs, dont on sait maintenant que les Cathares les utilisaient
habituellement dans leurs prêches. La seconde regroupe les deux
traités doctrinaux ou polémiques mettant en évidence les spécificités
de la religion cathare, et la dernière enfin rassemble les trois rituels.
L'Ascension d'Isaïe est un apocryphe chrétien daté du 2e siècle que
l'on croyait perdu. Au début du 19e, il réapparut en divers endroits et
en différentes langues et versions. En France, René Nelli publia plus
récemment de larges extraits de la version éthiopienne avec des
commentaires de Déodat Roché. Le lien ci-dessus vous conduira à
une autre traduction de synthèse. L'ouvrage fait partie des textes
utilisés par les Cathares quoiqu'ils ne les aient pas écrits. Le première
partie conte le martyre du prophète scié en deux sur l'ordre de
Manassé. La seconde partie, dont usaient les Cathares dans leurs
prédications, la "Vision d'Isaïe", décrit une cosmogonie théologique
septuple. C'est aux prophètes hébreux Ezéchias et Michée, ainsi qu'à
son fils Iosheb, qu'Isaïe aurait conté la vision de sa propre montée à
travers les sept cieux. Il assista d'abord aux violents et éternels
combats auxquels se livrent les "anges" de "Sathan". Puis l'ascension
se poursuivit dans chaque ciel organisé semblablement au précédent
mais avec une magnificence croissante. Au milieu s'y trouve un trône
magnifique environné d'anges qui chantent la gloire de celui qui
règne. Parvenu au faîte de l'ascension, Isaïe eut la révélation de la
mission de Jésus Christ, non pas homme mais esprit subordonné au
Père comme aussi l'Esprit Saint. Pour l'Église, cette hétérodoxie
s'apparenterait au docétisme.
Les Cathares utilisaient aussi un autre texte, "l'Interrogatio Ioannis"
ou "La Cène secrète". Ce "Questionnement de Jean" est un
apocryphe d'origine probablement bogomile, daté de la fin du 11e
185
siècle. Dans ce dialogue, Jean pose à Jésus des questions
théologiques auxquelles répond le texte. Il en existe deux versions
latines. L'une provient des archives de l'Inquisition de Carcassonne,
(Fond Doat). Elle a été traduite par le P. Benoist en 1691 puis par
Doellinger en 1890 et par Ivanof en 1925. La seconde est à la
Bibliothèque Nationale de Vienne, et elle a été aussi éditée par
Doelinger puis par Reitzenstein en 1929. J'utilise ici la version
française publiée par René Nelli dans "Ecritures Cathares" en 1959.
"Lorsque Jean demanda ce qu'était Satan avant la chute, Jésus
répondit qu'il était le splendide ordonnateur de toutes choses mais
qu'il voulut se faire égal au Très Haut. Il séduisit de nombreux anges
qu'il entraina dans sa condamnation. Lorsqu'il fut tombé, il invoqua
le Père qui en eut pitié et lui accorda tous pouvoirs pendant sept
jours". Le texte établit que ces sept jours sont ceux de la Genèse
biblique. Il décrit la création de l'Homme et de la Femme auxquels
Satan fit des corps de limon puis y enferma deux grands anges qui en
éprouvèrent beaucoup de chagrin. Il leur enjoignit ensuite de faire
œuvre de chair dans ces corps de boue, mais, dit le texte, "ils ne
savaient pas faire le péché".
Satan fit alors pour eux un Paradis avec des fruits interdis. Il planta
un roseau et y cacha un serpent qui les poussait à manger du fruit du
Bien et du Mal. Et Satan entra dans le serpent mauvais et versa sur la
femme une concupiscence ardente qu'il assouvit "avec la queue du
serpent" (liber dixit). C'est pourquoi les hommes ne sont plus appelés
Fils de Dieu mais bien Fils du Serpent et ils feront sa volonté
diabolique jusqu'à la fin des siècles../.. Et comment Adam et Eve
formés par Dieu pour garder ses commandements peuvent-ils être
livrés à la mort ? "En réalité, le Père n'a créé par l'Esprit Saint que
toutes les vertus de Cieux. Mais c'est par leur désobéissance que les
hommes ont reçu ces corps de boue et ont donc été livrés à la mort".
Comment un esprit peut-il naître dans un corps de boue. "Issus des
anges tombés des cieux, les hommes reçoivent dans le corps de la
femme la chair issue de la concupiscence de la chair. L'esprit naît de
l'esprit, et la chair de la chair". Et jusqu'à quand Satan règnera-t-il
sur les hommes ? "Mon Père lui a donné sept jours, mais il m'envoya
pour que j'enseigne aux hommes à distinguer le vrai Dieu du démon.
Et Satan confia alors à Moïse trois bois pour me crucifier, et il lui fit
enseigner sa loi aux fils d'Israël et conserver ces bois pour moi.
186
Avant que je descende, le Père envoya un ange appelé Marie afin
qu'elle soit ma mère, J'entrais en elle par l'oreille et ressortit de
même".
187
Pour les Cathares, il n'était absolument pas
concevable que le Fils de Dieu ait pu s'incarner
dans un corps de chair, œuvre du mauvais
principe. Ils croyaient donc que le Christ s'était
seulement "adombré" en Marie, ne recevant rien
d'elle. Par contre, dans l'Évangile de Luc, on lit
que l'Esprit de Dieu viendra sur elle et que la
puissance de Dieu "l'obombrera", (la couvrira de
son ombre). Or, le verbe latin "obumbrare"
signifie bien "couvrir de son ombre", mais le
verbe utilisé par les Cathares, "adumbrare",
signifie
"ébaucher,
esquisser,
dessiner
vaguement comme une ombre". Par conséquent,
pour les Cathares, le Fils de Dieu ne s'est pas
incarné
réellement
mais
seulement
en
apparence, qu'il n'a pas en réalité pris un corps
de chair mais seulement cette apparence, cela et
tout ce qui s'ensuivit jusqu'à sa mort sur la croix.
Les deux traités authentiques
Le Livre des deux principes et le Traité Cathare anonyme
Le "Livre de deux principes" (Liber de duobus principiis) est
parvenu jusqu'à nous dans un seul manuscrit daté de la fin du 13e
siècle. Il a probablement été écrit par Jean de Luigo de Bergame,
vicaire de l'évêque cathare des Albanenses de Desenzano (dualistes
absolus). Conservé à la Bibliothèque nationale de Florence, il a été
publié en 1939 par le Père Dondaine. C'est le seul exposé
théologique authentiquement cathare qui a été retrouvé. Il contient
des fragments, des résumés et des développements polémiques que
188
j'exposerai dans l'ordre du manuscrit. L'ouvrage comprend sept
traités intitulés : De liberio arbitrio, de creatione, de signis
universalibus, compendium ad intructionem rudium, contra
Garatenses, de arbitrio, de persecutionibus. Les trois premiers, (du
libre arbitre, de la création, et des signes universels) constituent la
controverse sur les deux principes. Le Compendium, (Abrégé pour
l'instruction des ignorants), expose brièvement la portée de la
doctrine des deux principes sur la Création. Le Traité contre les
Garatenses, contra Garatenses, réunit quelques fragments dévoilant
les divergences doctrinales entre les deux courants cathares
(dualistes absolus et relatifs). Le court traité de arbitrio reprend le
thème des deux principes dans des fragments disparates, et le recueil
de persecutionibus rassemble diverses citations préparant les fidèles
cathares aux persécutions qui les attendent.
Le premier traité expose qu'il n'y a pas de "libre arbitre" dans
l'Homme. L'auteur réfute plusieurs propositions imputées à des
adversaires supposés. Un être, quel soit-il, dit-il, est né pour le Bien,
ou pour le Mal. Si un homme n'a pas été fondé pour le Bien, n'en
ayant donc pas la volonté et n'étant pas capable de le distinguer du
Mal, il n'a pas la capacité de faire son salut. Car, si un être pouvait
faire autre chose que le fruit de son essence, rien n'empêcherait que
le Diable ne devint Christ et le Christ, Satan, l'impossible devenant
possible. Si l'Homme peut faire le Mal, c'est qu'il fut, à l'origine,
voulu et pensé par le Dieu bon, tout puissant et omniscient, comme
capable de le faire, tout au moins dans le temps. Et donc, (du moins
pour les Albanenses), le Mal n'est qu'une épreuve temporaire, tolérée
par ce Dieu bon. Elle est temporellement vécue dans la succession
des incarnations, mais elle épuise, progressivement et par elle-même,
son contenu dans l'éternité, et finalement tous les anges perdus
reviendront en Dieu. Puisque le Dieu bon ne peut être la cause ni le
principe de tout mal, il faut reconnaître l'existence de deux principes,
celui du Bien et celui du Mal. Toutes les actions individuelles sont
inspirées par l'un de ces principes, du Bien ou du Mal. Seul le vrai
Dieu peut sauver les âmes qui ne sont, en elles-mêmes, ni
responsables, ni punies, ni récompensées. Et l'âme qui est sauvée l'a
toujours été.
189
Le traité suivant se propose également de réfuter d'éventuelles
propositions adverses. Il s'agit des différentes acceptions possibles
des mentions scripturaires de l'acte de Création. Pour l'auteur, ces
mentions n'ont jamais le sens d'une création à partir du néant. Elles
impliquent toujours la transformation d'essences préexistantes, toutes
issues du vrai Dieu, lequel a créé et fait l'univers entier, en lui et de
sa propre substance. "Créer" ou "Faire" ont donc trois acceptions
dont le premier genre est d'ajouter quelque chose aux essences
d'êtres déjà très bons. Ainsi l'Écriture dit-elle "Dieu forma l'homme
du limon de la Terre, il répandit sur son visage su souffle de vie, et
l'homme devint vivant et animé". De même, le second genre est
d'ajouter aux essences d'entités mauvaises, ce qui permet de les
améliorer. "Si quelqu'un est à Jésus-Christ, il est devenu une
nouvelle créature". Le troisième genre permet à un être entièrement
mauvais, (comme le Démon ou ses ministres), d'accomplir
temporairement ce qu'il désire mais ne saurait réaliser par ses propres
forces. Le vrai Dieu tolère alors un temps cette malice. "Sur toutes
les nations et sur tous les hommes, Dieu fait régner l'hypocrite à
cause des péchés du peuple". Par ces trois modes, l'auteur prétend
donc, en définissant le sens qui s'attache dans les Écritures aux
termes universels, montrer que le vrai Dieu a créé et fait l'univers
entier, et qu'il a tout fondé en Jésus-Christ.
L'appellation "signes universels", objets du troisième traité, concerne
les termes généraux qui désignent un ensemble de choses, (des mots
tels que "tout", "toutes choses", ou des expressions analogues). Dans
les Écritures, ces signes ont plusieurs acceptions. Ils peuvent
désigner l'ensemble des choses ou êtres purs et bons, ou celui des
impurs, pécheurs ou méchants. L'auteur cite les Écritures pour
mettre en garde contre de possibles confusions. Le quatrième traité,
"Abrégé pour servir à l'instruction des ignorants", condense la
doctrine de Albanenses appuyée sur les Écritures pour la mettre à la
portée des "Croyants". Le vrai Dieu tout puissant ne peut faire le Mal
car il ne le veut pas. Il ne peut pas créer un autre Dieu, et puisqu'il ne
peut faire le Mal, il existe donc une autre puissance qui est le Mal.
Les Écritures disent que Dieu détruira un jour le Mal pour toujours.
Il faut absolument croire qu'il existe un autre principe très puissant
dans le Mal, dont Sathanas tire sa puissance. Les Écritures disent
aussi qu'il existe d'autres dieux et une éternité mauvaise distincte de
190
celle du Dieu bon. Le Dieu mauvais est celui qui a fait le Ciel et la
Terre et tout les êtres visibles de ce Monde mais il n'est pas le
véritable Créateur. Et ce mauvais Dieu a ordonné de prendre par la
force le bien d'autrui et de commettre des homicides. Il a maudit le
Christ, n'a pas tenu ses promesses et s'est laissé voir dans le monde
temporel.
Le cinquième traité, "Contre les Garatenses", présente beaucoup
d'intérêt car il permet d'approcher la principale divergence doctrinale
avec le second courant cathare, les "dualistes mitigés". L'auteur
combat leur idée qu'il n'existe qu'un seul Créateur très saint dont le
mauvais Prince de ce monde fut d'abord une créature. Par la suite,
celui-ci corrompit les quatre éléments et en format l'homme et la
femme et tous les corps visibles. S'ils croient, dit-il, qu'il n'y a qu'un
seul vrai créateur du visible comme de l'invisible, ils ne devraient pas
rejeter sa sainte création en condamnant l'œuvre de chair ni en
demeurant végétariens. Ils disent que cette corruption s'est opérée
contre la volonté de Dieu, et ils doivent donc admettre qu'il existe un
autre principe, capable de corrompre les quatre saints éléments,
contre sa volonté ou avec sa permission. Car ils enseignent aussi que
cette permission donnée fut mauvaise et vaine, et l'on voit qu'elle le
fut. Alors, ce Dieu qui aurait donné cette permission maligne serait
lui-même la cause première du Mal, et ceci est la contradiction de la
doctrine des Garatenses. Le sixième traité revient sur l'affirmation de
l'absence du libre arbitre avec quelques arguments supplémentaires.
Le dernier traité, "de persecutionibus", prépare les fidèles aux
persécutions attendues en rappelant celles que subirent les prophètes,
le Christ, les apôtres et tous ceux qui les suivirent.
Quoique incomplet, le "Traité cathare anonyme" est le second
ouvrage cathare qui nous soit parvenu. Le Père Dondaine en a
retrouvé un court fragment dans le "Liber contra Manichéos" à la
Bibliothèque Nationale. Un fragment plus important se trouve à la
cathédrale de Prague. Il contient dix-neuf chapitres sur les trentecinq de l'original. Ces extraits ont été publiés en 1961 par Christine
Thouzellier. Les citations cathares sont insérées dans une réfutation
prononcée par Durand de Huesca. On y retrouve la vision cathare du
Monde et de la Création, avec deux "époques", la nôtre tirée du
néant, et qui y retournera, et l'autre peuplée de créatures
191
incorruptibles et éternelles. Notre monde est tout entier mauvais. Il
ne vient pas du Père ni du Christ. C'est le royaume de Satan. Nous
résidons sur une terre étrangère. C'est dans l'autre royaume que sont
le Ciel nouveau, la Terre nouvelle et la nouvelle Jérusalem. En
s'appuyant sur les textes relatifs à la venue du Christ, les Cathares,
dit l'auteur, en arrivent à poser deux créations, l'une bonne et l'autre
mauvaise. Ce qui est ici bas n'est rien, "nihil", et ce n'est donc pas
l'œuvre du vrai Dieu. C'est ce que prouverait le prologue de Jean :
"sine ipso factum est nihil", (le rien a été fait sans lui). La suite du
verset, "quod factum est in ipso vita erat", (ce qui a été fait (les
créatures), en Lui (le Verbe) était vie), prouve que la bonne création
est spirituelle.
192
Les trois rituels
Le dernier groupe de document cathares retrouvés au 20e siècle
comporte trois rituels, "le Rituel occitan de Lyon, le Rituel latin de
Florence, et le Rituel occitan de Dublin". Le Rituel de Lyon est
contenu dans un manuscrit en occitan, donné à l'Académie des
Sciences, Belles lettres et Arts de la ville de Lyon par le
bibliothécaire protestant de Nîmes en 1815. Il date des environs de
1250. Il contient un Nouveau Testament et un texte de 13 pages
identifié depuis comme un rituel cathare par le théologien Reuss. Le
texte en fut édité à Iéna par Cunitz puis traduit en français par Léon
Clédat qui en publia également une reproduction lithographique en
1887. Vingt ans plus tard, un chercheur dominicain, le Père
Dondaine, publia deux textes latins découverts à la Bibliothèque de
Florence. Il s'agissait du traité théologique dit "Livre des deux
principes" et d'un rituel cathare partiel, "le Rituel de Florence". Le
troisième document est inclus dans un manuscrit occitan daté du 14
siècle. Il fut retrouvé parmi des écrits vaudois conservés à la
Bibliothèque vaudoise du Trinity College de Dublin. Il se compose
d'un sermon préparatoire au Consolamentum et d'un commentaire du
Pater. Il a d'abord été publié par Théo Venckeleer, puis par Deodat
Roché en 1970, puis encore revu par Anne Brenon et ajouté à la
dernière édition des "Écritures Cathares de René Nelli.
Il a été dit du Catharisme que c'était une religion sans temples ni
sacrements. Le culte public ne consistait qu'en rares assemblées de
prières dans des lieux ordinaires (servicium). Les fidèles s'y
rassemblaient en petit nombre pour y entendre les sermons et
enseignements, confesser collectivement leurs fautes et s'en faire
absoudre, prier et participer au repas rituel. Deux rituels
sacramentels initiatiques étaient parfois intégrés à ces assemblées.
Par la "Tradition", la transmission de l'Oraison dominicale (Pater
Noster), les "auditeurs ordinaires devenaient des "Croyants", et par
le "Baptême spirituel" ou "Consolation", (Consolamentum), ils
devenaient des "Parfaits Chrétiens". Les rituels de Lyon et de
Florence sont assez cohérents dans leurs présentations de ces
193
liturgies qui semblaient donc bien fixées. Au cours de la cérémonie
de Tradition, le récipiendaire, parrainé par un ancien de la
communauté, était présenté à "l'Ordonné", un Parfait établi, qui lui
expliquait la signification du rite. Puis il en recevait le livre des
Évangiles. Le fidèle devenu "Croyant" devait faire son
"melioramentum", une demande du pardon de ses fautes et de la
bénédiction de l'officiant, et prendre l'engagement de réciter le Pater
dans toutes les circonstances prévues par le rituel, mais ces
obligations ne bouleversaient pas sa vie.
Le Pater Noster (Notre Père) des Cathares - (Rituel de
Dublin)
Notre Père qui êtes aux cieux
Pater noster qui es in celis
Sanctificetur nomen tuum
Que votre nom soit sanctifié
Que votre règne arrive
Adveniat regnum tuum
Fiat voluntas tua sicut in celo et in Que votre volonté soit faite sur
terra
terre comme dans le ciel
Panem nostrum supersustancialem Donnez-nous aujourd’hui notre
da nobis hodie
pain suprasubstantiel
Et dimitte nobis debita nostra sicut Et remettez-nous nos dettes
et nos dimittimus debitoribus
comme nous les remettons à nos
nostris
débiteurs
Et ne nos inducas in temptationem
Et ne nous induisez pas en
sed libera nos a malo
tentation
Quoniam tuum est regnum
Mais délivrez-nous du mal
Et virtus
Car à vous appartiennent le règne
Et gloria
Et la puissance
Dans les siècles,
Et la gloire
Amen
Dans les siècles,
Amen
194
Le pain suprasubstanciel - Le texte originel du Pater a été
transmis par les évangiles en grec de Matthieu et de Luc qui
utilisaient un terme particulier, le mot "epiousion". La
souplesse de la langue grecque permet la création de
néologismes à partir des nombreux radicaux disponibles. En
l'occurrence, ce mot semblait formé du préfixe "epi" (sur, au
dessus) et du radical "ousia" (essence, substance). De façon
surprenante, les rédacteurs de la première version latine
(Vetus latina) l'ont traduit par "quotidianum" (quotidien).
Lorsqu'il révisa la "Vetus latina", en 380, pour en tirer la
"Vulgate", Saint Jérome usa habilement d'un étrange artifice. Il
utilisa "supersubstancialem" dans Matthieu et "quotidianum"
dans Luc. La demande cathare d'une "nourriture spirituelle"
semble bien plus proche du sens originel que le "pain
quotidien"
de
la
prière
catholique. Par
le
pain
suprasubstanciel, les Cathares entendaient : La loi de Christ
qui a été donnée à tous les peuples. "Le pain de Dieu est celui
qui vient du ciel et qui donne la vie au Monde. (Jean VI, 3233)".
Une autre traduction, en Occitan
Paire nôstre que sés dins lo cél,
que ton om se santifique,
que ton renhe nos avenga,
que ta volonta se faga
sus la térra coma dins lo cel.
Dona-nos uéi nôstre pan supra subtancial,
perdona-nos nôstres deutes
coma nosautres perdonam a nôstres debitors,
e fai que tombem pas dins la temptacion,
mas deliura-nos del mal
Dans la société médiévale du 12e siècle, les femmes étaient assez
libres avec un statut en général inférieur à celui des hommes. Dans la
tradition cathare, il n'y avait aucune différence entre les âmes des
hommes et celles des femmes, toutes "bonnes et égales entre elles.
Le diable n'avait que temporellement, et au hasard des incarnations,
195
différencié leurs corps. En principe, les hommes et les femmes y
étaient donc égaux. Dans l'Église cathare, les femmes pouvaient
obtenir le consolamentum et devenir "Parfaite" ou "Bonne Femme",
et dans ce clergé, elles occupaient une place égale à celle des
hommes. Elles pouvaient prêcher, donner le Baptême et la
Consolation. Dans la pratique cependant, leurs activités se limitaient
souvent au tissage, à l'éducation des enfants, à l'assistance aux
malades, et elles n'avaient pas accès à la hiérarchie. Elles vivaient
souvent ensemble dans des "Maisons de Parfaites" sans
considération d'origine sociale. Elles étaient écoutées, respectées et
honorées et ne vivaient pas coupées du monde. Souvenons-nous que,
pour les Cathares, tout acte de chair était un péché même consommé
dans le mariage. La procréation était tolérée car elle permettait la
réincarnation indispensable à la purification des âmes. Mais les
hommes restaient réservés à l'égard des femmes, prenant leurs repas
à l'écart et évitant même de s'assoir sur le même banc.
Le "Consolamentum" (Consolation) était la cérémonie centrale du
Catharisme. Il n'était donné qu'en deux occasions, lorsqu'un
"Croyant" décidait d'entrer en religion en devenant "Parfait", ou
quand il se sentait au seuil de la mort. C'était donc une sorte
d'ordination qui marquait la ferme volonté d'un véritable changement
de vie. Une longue période de probation était exigée des postulants
qui devaient faire preuve de volonté. Elle comportait en particulier
de longs jeûnes très sévères. Le consolamentum ne pouvait être
donné que par un ministre (ou Parfait) en état de grâce. Il remettait
les péchés passés et rendait au Croyant sa liberté véritable en lui
donnant le pouvoir de reconnaître le Mal et de lui résister. Le
nouveau "Parfait" ou "Bonhomme" promettait de ne pas commettre
d'homicide même d'auto défense. Il s'engageait à un encratisme total,
renonçant à toute œuvre de chair, et à un végétarisme rigoureux,
s'interdisant toute nourriture d'origine animale. Il devait résister à la
faim, à la soif, au scandale, à la persécution jusqu'à la mort plutôt
que le parjure. Lorsque le Bonhomme retombait dans le péché, il
revenait à la période probatoire avant d'être à nouveau "consolé".
C'est pourquoi de nombreux Croyants préféraient attendre les
derniers instants pour demander le sacrement salvateur. Et s'ils
survivaient, tout était alors à recommencer.
196
Lors de la cérémonie du Consolamentum, le Croyant se
présentait devant l'Ordonné pour recevoir le Livre, demander
le pardon de ses fautes et affirmer sa volonté d'obtenir le
baptême spirituel du Christ par l'imposition des mains. - "C'est
là, lui disait l'ordonné, le baptême du Saint Esprit, comme l'a
dit Jean Baptiste, (Pour moi, je vous baptise dans l'eau, mais
celui qui vient après moi est plus puissant que moi et je ne
suis pas digne de porter ses souliers : C'est lui qui vous
baptisera dans le Saint esprit et dans le feu). - D'où il faut
comprendre que le Christ n'est pas venu pour laver les
souillures de la chair, mais pour purifier de leurs ordures les
âmes de Dieu créées par Dieu. - Et le Seigneur dit à ses
disciples, " Comme le Père m'a envoyé, je vous envoie de
même, et il souffla sur eux en disant : Recevez le Saint Esprit !
- Les péchés seront remis à qui vous les remettrez et ils
seront retenus à qui vous les retiendrez". - L'ordonné disait
aussi : "Vous devez comprendre que vous êtes venu devant
l'Eglise de Jésus Christ pour recevoir le saint baptême par
l'imposition des mains en prenant l'engagement d'observer la
Loi du Christ dans les œuvres de votre âme et pour l'observer
tout le temps de votre vie". Finalement, il plaçait le Livre sur la
tête du Croyant et tous les autres Parfaits présents imposaient
sur lui leurs mains droites pendant la bénédiction, "Au nom du
Père, du Fils et du Saint Esprit, Amen". Suivaient ensuite
plusieurs oraisons puis un service traditionnel.
.
197
Anciens et nouveaux textes cathares
Les Cathares étaient donc des Chrétiens hétérodoxes. Cela
veut simplement dire qu'ils n'adhéraient pas aux dogmes de
l'Eglise Catholique Romaine, et qu'ils manifestaient, par
rapport à elle, un besoin de transformation spirituelle et
sociale. Ils dénonçaient les mœurs dissolues et l'immoralité
des clercs et préconisaient le retour aux enseignements de
l'Église primitive. La pensée cathare semble cependant avoir
été influencée par par les croyances bogomiles et des
philosophies dualistes venues du Moyen Orient. Les Cathares
professaient que le monde où nous vivons n'est pas la
création directe de Dieu. C'est l'œuvre de Satan, son
organisateur cruel. L'âme de l'Homme fut crée à l'origine par le
Dieu bon véritable, mais elle demeure indéfiniment prisonnière
des corps matériels créés par Satan. Les envoyés de Dieu
proposent aux hommes une voie de salut permettant
d'échapper à ce cycle de pénibles réincarnations
perpétuelles. Le Christ est venu enseigner cette doctrine de
salut, non pas en tant qu'homme mais seulement en esprit. Le
clergé cathare poursuit son œuvre dans l'Eglise véritable des
"Croyants", dans l'action des "Parfaits", ou "Bonshommes",
rituellement ordonnés par le sacrement du "Consolamentum".
L'Eglise romaine est une fausse église. Tous ses dogmes et
sacrements sont à rejeter tout autant que l'Ancien Testament.
198
CHAPITRE 11 - Le Mythe de l’Arche de Noé
Introduction
"La vocation de l'homme est de laisser croître en lui l'arbre de la
connaissance. A la fin de sa vie, il en devient le fruit. Le drame
actuel c'est d'essayer de saisir la connaissance par l'extérieur et non
par l'intérieur. Lorsque le noyau profond de l'être est lié au nom de
Dieu, c'est le début de la construction d'un nouvel être. Un champs
de conscience se construit et l'on acquiert la possibilité de faire
monter de l'intérieur de nous-mêmes des énergies nouvelles. C'est le
sens caché du mythe de l'arche traversant la destruction du Monde."
"Ce que Noé fait monter dans l'arche de lui-même, ce ne sont pas des
animaux. Ce sont ces énergies nouvelles qu'il est allé chercher dans
les profondeurs de son être, dans cette immense réserve qu'est la vie.
Finalement, c'est dans un monde nouveau qu'il aborde, enrichi de
cette connaissance nouvelle. La colombe et le corbeau en apportent
les signes extérieurs qui témoignent que l'arche vient d'émerger dans
un nouvel état du monde. Ils signifient qu'en son être intérieur, Noé a
accompli la totalité de son oeuvre sur lui-même."
Cette citation de Madame Annick de Souzenelle invite à revoir en
profondeur certains thèmes de nos écrits fondamentaux qui sont
souvent lus et transmis à un niveau trop primaire ou trop littéral. Ils
apparaissent alors comme des fictions doctrinales ou des contes pour
enfants. Ils seraient en réalité des mythes sciemment construits pour
passer à travers les siècles et les civilisations. Ils ne raconteraient pas
une histoire du passé mais porteraient un enseignement ésotérique
présent expliquant le sens de la vie des hommes.
L'étude concernera les divers aspects de l'histoire de Noé, de l'Arche
traversant le "Déluge" dans les différentes cultures qui en font
mention. Divers éclairages seront également dirigés vers l'historicité
éventuelle de ces évènements telle que les différentes disciplines
scientifiques peuvent les envisager. Mais un regard différent sera
également porté en reprenant plus précisément l'aspect mythique et
199
les éventuelles significations cachées des personnages et des
épisodes rapportés, tant par le récit biblique que par les autres
légendes.
L'Arche de Noé dans la Bible
Cette histoire d'une immense inondation destructrice traversée par
un vaisseau salvateur se retrouve dans plusieurs cultures, tout
particulièrement au Moyen Orient. La plus connue et la plus détaillée
est racontée par la "Bible" des Juifs et des Chrétiens. On trouve
cependant des récits apparentés et parfois très antérieurs, comme
ceux des tablettes sumériennes, ou des inscriptions babyloniennes,
mais aussi en Grèce, en Inde et même chez les Romains. Il semble
qu'un même évènement météorologique ou qu'une même source
puisse être à l'origine de la multiplicité des récits qui n'en seraient
donc que des reformulations variées. Plus ou moins divergentes dans
les détails, elles reprendraient cependant l'essentiel de l'imagerie
thématique originelle sans trop en altérer le contenu. Avant de nous
pencher sur les éventuelles significations ésotériques, nous allons
comparer les différentes sources disponibles.
Selon la Bible des Juifs et des Chrétiens, pour punir la méchanceté
des hommes, Dieu décida de les noyer tous avec tous les animaux.
Mais, sur l'ordre de Dieu, Noé construisit une sorte de coffre étrange
et gigantesque que la Bible appelle arche (du latin "arca", boîte). Il y
mit à l'abri sa famille ainsi qu'un couple de chaque espèce animale.
La Bible donne des renseignements précis sur les divers
protagonistes et sur l'Arche elle même. Elle devait être faite de bois
de "gopher", une sorte de cèdre, enduit de bitume. Elle devait avoir
140 mètres de long (300 coudées), 23 m de large et 14 m de haut,
avec trois niveaux, un toit à pignon, une seule fenêtre, en haut, et une
seule porte sur le coté. Pour l'époque, cela paraissait gigantesque. La
Bible dit que sa construction a duré plus de cent ans. Noé était âgé
de 500 ans quand se mit au travail, ce qui fait de lui le champion des
charpentiers. Il n'eut que trois fils, ce qui n'en fait pas celui de la
fertilité.
200
Et donc, en l'an 600 de la vie de Noé, au 2ème mois, au 17ème jour,
tous les réservoirs du grand abîme furent rompus. La pluie se déversa
sur la terre pendant 40 jours et 40 nuits. En ce même jour, Noé entra
dans l'arche avec ses fils, Sem, Cham et Japhet, la femme de Noé, les
trois femmes de ses fils, ainsi que toutes les espèces d'animaux
terrestres et toutes les espèces d'oiseaux, de chacune un mâle et une
femelle. Ils entrèrent dans l'arche et Dieu ferma la porte sur eux. Les
eaux s’accrurent et soulevèrent l’arche au-dessus de la terre. La crue
des eaux devint de plus en plus forte et toutes les montagnes furent
recouvertes par une hauteur de quinze coudées. Avec la crue des
eaux expira toute chair respirant l'air et se mouvant sur terre et tout
homme. Tous ceux qui respiraient et vivaient sur la terre ferme
moururent. Il ne resta que Noé et ceux qui étaient avec lui dans
l'arche. La crue des eaux dura cent cinquante jours sur la terre.
Alors Dieu se souvint de Noé et de tous les animaux qui étaient avec
lui dans l'arche. Il fit passer un vent sur la terre, et les eaux
s'apaisèrent. Les sources de l'abîme furent fermées et la pluie ne
tomba plus du ciel. Les eaux se retirèrent de dessus la terre au bout
de 150 jours. Le 7ème mois, le 17ème jour, l'arche s'arrêta sur les
montagnes d'Ararat. Les eaux diminuèrent jusqu'au 10ème mois et,
le 1er jour du mois, apparurent les sommets des montagnes. Au bout
de 40 jours, Noé ouvrit la fenêtre qu'il avait faite et lâcha le corbeau,
qui sortit, partant et revenant. Il lâcha aussi la colombe mais elle ne
trouva aucun lieu sec pour poser son pied, et revint à lui dans l'arche.
Il attendit encore sept autres jours et lâcha de nouveau la colombe
pour voir si les eaux avaient diminué sur la surface de la terre. Elle
revint à lui sur le soir et une feuille d'olivier était dans son bec. Noé
connut ainsi que les eaux avaient enfin diminué sur la terre.
Il attendit encore 7 autres jours et lâcha la colombe qui ne revint plus
à lui. L'an 601, le 1er jour du 1er mois, Noé vit que la surface avait
séché. Et le 27ème jour du 2ème mois, la terre fut sèche. Alors Dieu
parla à Noé, disant - Sors de l'arche, toi et ta femme, tes fils et les
femmes de tes fils et fais sortir les animaux afin qu'ils se répandent et
se multiplient. Et Noé sortit, avec ses fils, sa femme et les femmes de
ses fils. Et tous les animaux, chaque mâle avec sa femelle, sortirent
de l'arche. Noé bâtit un autel à l'Éternel et offrit des holocaustes. Et
201
l'Éternel dit en son coeur - Je ne maudirai plus la terre à cause de
l'homme parce que ses pensées sont mauvaises dès sa jeunesse, et je
ne frapperai plus tout ce qui est vivant. Tant que la terre subsistera,
les semailles et la moisson, le froid et la chaleur, l'été et l'hiver, le
jour et la nuit ne cesseront point. Et Dieu bénit Noé et ses fils, et leur
dit - Soyez féconds, multipliez-vous, et remplissez la terre.
Dieu dit encore à Noé - Sachez-le aussi, je redemanderai le sang de
vos âmes à tout animal, et je redemanderai l'âme de l'homme à
l'homme qui est son frère. Si quelqu'un verse le sang de l'homme, par
l'homme son sang sera versé, car Dieu a fait l'homme à son image.
J'établis mon alliance avec vous et avec votre postérité et avec tous
les êtres vivants de la terre, et il n'y aura plus de déluge pour détruire
la terre. J'ai placé mon arc dans la nue, et il servira de signe
d'alliance entre moi et la terre. Quand j'aurai rassemblé des nuages
au-dessus de la terre, l'arc paraîtra dans la nue et je me souviendrai
de mon alliance entre moi et vous et les eaux ne deviendront plus un
déluge pour détruire toute chair. L'arc sera dans la nue et je le
regarderai, pour me souvenir de l'alliance perpétuelle entre Dieu et
tout être vivant sur la terre. Tel est le signe de l'alliance que j'établis
entre moi et toute chair sur la terre.
Autres légendes et récits apparentés
Les sources du récit biblique semblent se trouver dans des
traditions mésopotamiennes plus anciennes comme l'épopée de
Gilgamesh, un récit assyrien apparu 1200 ans avant JC. à Babylone.
Une partie raconte comment l'envie prit aux plus grands dieux de
provoquer le déluge. "O roi de Shurupak, démolis ta maison pour te
faire un bateau ! Renonce à tes richesses pour te sauver la vie ! Mais
embarque avec toi des spécimens de tous les animaux ! Le bateau
que tu dois fabriquer sera une construction carrée (…) Six jours et
sept nuits durant, bourrasques, pluies battantes, ouragans et déluge
continuèrent de saccager la terre. Le septième jour arrivé, tempête
déluge et hécatombe cessèrent (…) A l'horizon, une langue de terre
émergeait : c'était le mont Niçir où accosta le bateau (…) Je pris une
202
colombe et la lâchait ; elle s'en fut puis revint. Je pris une hirondelle ;
elle s'en fut puis revint. Je pris un corbeau ; il s'en fut, mais ayant vu
les eaux se retirer, il ne revint plus. ( traduction de J.Bottéro,
Gallimard 2003)
Mais on a retrouvé à Babylone un récit akkadien provenant de l'an
~1600 montrant que cette tradition était déjà établie à cette époque. Il
existe aussi un récit sumérien encore plus ancien, l'épopée d'AtraHasis daté de 1700 avant JC. On y trouve l'histoire du roi Ziusudra.
Les dieux du ciel et de la terre, An et Enlil, ne pouvaient plus
supporter le vacarme fait par les hommes. Il décident d'envoyer un
déluge sur la Terre pour les détruire. Ziusudra en est informé par Ea,
le dieu de la sagesse, qui lui conseille de construire un grand navire
pour sauver sa famille. Les dieux envoient le déluge et pendant sept
jours et sept nuits, une gigantesque tempête inonde la terre. Le
bateau est ballotté par les eaux puis le calme revient. Enfin apparaît
le dieu-Soleil Utu. Ziusudra ouvre une fenêtre et envoie une colombe
puis une hirondelle qui reviennent l'une et l'autre. Il envoie alors un
corbeau qui ne revient pas. Le roi se prosterne et fait un sacrifice
puis il s'installe dans une île paradisiaque pendant que ses
descendants repeuplent la Terre.
La légende est présente chez les Grecs (Lycaon). Empli de colère par
la perversité humaine, Zeus choisit le déluge pour laver la surface de
la terre. Poséidon appelle les fleuves à submerger les villes et celui
qui n'est pas englouti meurt de faim. Seul le Mont Parnasse s'élève
au-dessus de l'eau. Deucalion, fils de Prométhée, et Pyrrha, sa
femme, se sont réfugiés dans un petit bateau. Lorsque Zeus voit que
ces rescapés sont honnêtes et pieux, il disperse les nuages. Les eaux
refluent et la mer revient à ses anciens rivages. Arrivé au Mont
Parnasse, Deucalion et Pyrrha remercient les dieux, et ne voient
autour d'eux qu'un désert. Implorant Zeus de les aider à rendre la vie
à la terre, ils reçoivent le conseil de voiler leurs têtes et de jeter
derrière eux les ossements de leur grand-mère. Deucalion comprend
que cette grand-mère est la Terre. Aidé de Pyrrha, il ramasse des
pierres qu'il jette par-dessus son épaule. Les pierres que jette
203
Deucalion se transforment en hommes. Celles que jette Pyrrha se
transforment en femmes.
Après que l’inondation eut balayé les terres, pendant sept jours et
sept nuits,
et que le bateau géant eut été secoué par les tornades et les grands
flots,
Outou, le dieu qui épand la lumière dans le ciel et sur la terre,
apparut.
Il fit pénétrer ses rayons dans le grand bateau.
Ziusudra se prosterna devant Utu et lui immola un boeuf et un
mouton
(Tablette akkadienne en terre cuite)
Ovide, dans ses 'Métamorphoses' donne une très belle et très
poétique version littéraire de ce déluge grec. Un mythe similaire est
d'ailleurs connu en Inde qui fut jadis partiellement sous influence
culturelle grecque. Le mythe du Déluge apparaît pour la première
fois dans le Satapatha Brahmana, un rituel probablement daté du
VIIe siècle avant notre ère. Ici, c'est un poisson doué de parole qui
avertit Manu de l’imminence du Déluge. Il lui conseille fermement
de construire un bateau. Lorsque la catastrophe éclate, c'est ce
poisson qui tire le bateau vers le nord et l’arrête près d’une
montagne. Manu y attend patiemment le reflux des eaux. Puis il offre
un sacrifice et obtient des dieux une fille. Il s'unit à elle, engendrant
tout le genre humain. Dans le Mahabharata, Manu est un ascète.
Dans le Bhagavata Purana, c'est le roi-ascète Satyavrata qui est averti
de l’ approche du Déluge par Hari (Vishnu) qui a pris la forme d’un
poisson. Mais, dans le mythe hindou, rien ne semble relier le déluge
avec un ressentiment quelconque des Dieux vis à vis des hommes.
Le Coran aussi reprend l'histoire de l'Arche, et raconte qu'Allah
aurait décidé de noyer le peuple de Noé pour le punir d'avoir rejeté la
foi. Il aurait averti son messager, lui demandant de construire une
arche pour être sauvé avec les autres croyants et un couple de chaque
être vivant. « Et en effet Nous avons envoyé Noé vers son peuple. Il
204
demeura parmi eux mille ans moins cinquante années. Puis le Déluge
les emporta alors qu'ils étaient dans un état d'injustice » (Coran
sourate al-Ankabut:14). « Et il se mit à construire l'Arche. Et chaque
fois que des notables de son peuple passaient près de lui, ils se
moquaient de lui. Il dit: 'Si vous vous moquez de nous, eh bien, nous
nous moquerons de vous comme vous vous moquez de nous' »
(Coran sourate Houd:38). « Puis, lorsque Notre commandement vint
et que le four se mit à bouillonner [d'eau], Nous dîmes : "Charge
[dans l'arche] un couple de chaque espèce ainsi que ta famille - sauf
ceux contre qui le décret est déjà prononcé - et ceux qui croient. »
(sourate Houd :40).
Les habitants de ces territoires très voisins puisaient dans le même
fonds culturel.<
Ils croyaient ce récit important et se sont efforcés de nous le
transmettre.
« Parce qu'il était vertueux, et par la grâce de Dieu, un
homme a traversé le désastre
de la mort universelle permettant ainsi à l'humanité
d'aborder un nouveau Monde »
205
La vision de la Science
Tous ces récits proviennent de l’Est de la Méditerranée. Ses abords
ont été longtemps fertiles et accueillants. Depuis la haute antiquité,
de nombreux peuples les ont habités. Leurs traditions voisines
procèdent d'un fonds culturel commun. Avant d'envisager leur
possible signification mythique, il est raisonnable d'étudier leur
historicité.L'interrogation fondamentale concerne l'inondation du
Monde par les eaux. Un Déluge est-il scientifiquement imaginable, à
quelle époque et dans quelles circonstances ? Concernait-il la Terre
entière ou s'agissait-il un phénomène local ? Les réponses dépendent
en fait de la formulation des problèmes. La science fonctionne sur
des bases définies. Elle fournit alors des informations que l'on peut
estimer fiables à l'intérieur du cadre donné. Les sources attribuant le
Déluge à la volonté de dieux, quels soient-ils, on ne peut
métaphysiquement envisager qu'ils aient violé leurs propres lois
physiques. C'est donc dans l'histoire de la Terre qu'il faut rechercher
la source des eaux d'un quelconque Déluge.
En se basant sur les traces laissées au fond des mers, la science nous
dit que le niveau des océans s'est élevé de cent vingt mètres au cours
des dix derniers millénaires. La Glaciation de Würm s'est alors
achevée et les immenses glaciers ont fondu. Dans le lointain passé et
pendant des millions d'années, il n'y avait parfois aucune glace sur
les pôles. Mais dans l'histoire plus récente de la Terre, le climat a
souvent fraîchi. Des calottes glacées se sont alors formées, au Nord
comme au Sud, s'étendant et se résorbant plus ou moins largement
avec un rythme approchant soixante mille ans. Il y a dix mille ans,
nos véritables ancêtres ont vécu la fin de la Glaciation de Würm. Ils
ont donc subi la montée progressive des eaux et le recul des rivages,
mais peut-on imaginer qu'ils en aient gardé aussi longtemps la
mémoire. De nos jours, la montée des eaux n'est pas encore achevée.
Même si elle a pu être irrégulière, sur la période totale, cela ne
représente qu'un peu plus d'un centimètre par an. Ce n'est pas un
désastre brutal.
Cependant, la montée des eaux océaniques a pu avoir des
conséquences catastrophiques localisées. Une thèse développée en
1997 par Ryan et Pitman envisage qu'il y a 7500 ans, le "Lac Noir"
206
devint une mer. Avant que cède la barrière du Bosphore, la Mer
Noire était le plus grand lac du Monde. Son niveau était 100 mètres
au-dessous du niveau actuel. C'était un lac d'eau douce très profond,
et ses rives étaient évidemment habitées. Le niveau de la mer Égée
montait régulièrement et la Méditerranée vint un jour, soudainement,
envahir la Mer Noire. Aujourd'hui, sa taille approche celle de la
France. Les chercheurs d'Ifremer ont trouvé sous l'eau la trace de
l'ancien rivage ainsi que des fossiles d'animaux d'eau douce. La
rapidité de la montée des eaux est controversée. Certains proposent
quinze centimètres par jour. Cela aurait engendré une grande
panique, peut être inscrite dans la tradition orale. D'autres parlent
d'un maximum d'un mètre par an, recul moins effrayant. Noter que la
Mer Noire n'est qu'à mille kilomètres de la Mésopotamie.
On a aussi envisagé des crues cataclysmiques des deux grands
fleuves de Mésopotamie où l'on situe l'origine de l'Épopée de
Gilgamesh et la source des récits du Déluge. Cette région très plate
est située entre le Tigre et l'Euphrate. Dans l'Antiquité, on l'appelait
le "Pays des marais", et l'on y naviguait sur des embarcations faites
de roseaux liés. Les marais ont été récemment asséchés avec de très
graves conséquences écologiques. Un programme international
travaille actuellement à leur restauration. D'importantes crues
simultanées des deux fleuves pouvaient inonder rapidement des
surfaces immenses. Cette hypothèse peut être associée à celle de la
remontée généralisée du niveau de la mer consécutive à la fonte des
grands glaciers. On peut alors imaginer l'envahissement progressif
des rives du golfe Persique dont la pente est extrêmement faible.
Cette avancée continue de la mer a pu provoquer de massifs exodes
de populations côtières et donner ainsi naissance à des légendes de
cités englouties dans de dramatiques inondations.
On peut aussi impliquer d'énormes éruptions volcaniques telle celle
du Santorin, dans les Cyclades en mer Égée, dont l'explosion
soudaine 1600 ans avant J.C. anéantit l'île de Théra et la ville
d'Akrotiri, ensevelissant ses habitants. Le tsunami qui s'ensuivit
détruisit beaucoup d'autres villes dont Cnossos, sur la côte de la
Crête. La civilisation minoenne ne s'en remit jamais. Le panache de
l'éruption devait être visible de très loin et pourrait être la véritable
nuée ardente qui guidait les Hébreux lors de la sortie d'Égypte.
207
L'éruption du Santorin a peut-être inspiré Platon dans l'histoire de la
destruction de l'Atlantide. Mais il y a d'autres volcans en
Méditerranée, d'autres raz-de-marée et d'autres légendes possibles.
On voit que la Science peut présenter diverses hypothèses proposant
la survenue de catastrophes locales plus ou moins soudaines.
Cependant, rien ne correspond strictement aux évènements relatés
dans les différents textes. Il semble donc qu'ils aient été remaniés
pour être le support d'un mythe intentionnellement construit.
Faire émerger le sens du Mythe
Un mythe est un récit composé pour expliquer les origines ou les
destins des hommes et de la Terre. Il y a des mythes banals, liés à
l'histoire des peuples ou des nations, comme celui des Gaulois pour
les Français, ou celui du May Flower pour les Américains. Il y a
aussi des mythes sacrés intemporels qui relatent les évènements
fabuleux du commencement des temps. L'histoire de Noé dans le
Déluge est l'un des plus anciens de ces mythes sacrés. Le mythe
s'enracine souvent sur un fait réel auquel il est faiblement relié, et
cette liaison lui donne sa légitimité. Sur cette base 'crédible', le corps
plus ou moins fabuleux du mythe se constitue, se chargeant de sens
et de contenu au fil du temps. Le mythe se met à vivre et à se
développer dans cet espace humain mystérieux qui est celui de la
pensée collective. Certains diront qu'il devient une 'forme pensée'.
Les Gnostiques parleront d'un 'éon' apparu dans l'astral de la Terre, et
les Ésotéristes diront qu'il s'est lié à un 'égrégore', c'est à dire un
agrégat progressivement constitué en assemblant l'énergie de
multiples pensées.
Un égrégore n'est ni bon ni mauvais. Il est simplement nourricier. Le
mythe de Noé et du Déluge existe depuis près de 4000 ans. Depuis
lors, l'égrégore rassemble les réflexions, les méditations, les
émotions ou les illuminations d'innombrables chercheurs de
208
spiritualité travaillant sur ce thème. Ces nourritures demeurent dans
l'inconscient collectif de l'humanité et l'on peut toujours y accéder à
travers les récits qui s'y référent. Le plus récent, la Bible judéochrétienne, fut écrite 700 ans avant notre ère, mille ans après les
tablettes sumériennes dont elle dérive. Le récit du Déluge est
contenu dans le premier livre, la 'Genèse' qui semble avoir été
composé assez tardivement. Il décrit la re-création du Monde après
sa destruction par les eaux. Seuls les passagers de l'Arche furent
sauvés, comme à Sumer. L'explication de la création du Monde par
les dieux sumériens ne satisfaisait pas la monolâtrie juive. La
cosmogonie en sept jours telle que nous la connaissons, Adam, Ève,
le Serpent, l'arbre et la découverte du Bien et du Mal, apparurent
peut être à ce moment là.
Un mythe s'interprète toujours à plusieurs niveaux en fonction du
lecteur. Au premier degré, il donne une réponse naïve à une question
simpliste. La légende biblique de Noé raconte alors simplement la
construction de l'Arche et l'inondation générale du Monde. Au
second niveau, on trouve déjà l'image en miroir d'une seconde
création corrigeant la première altérée par le Mal. Il s'y associe aussi
l'importante notion d'une alliance entre Dieu et les hommes. Elle est
conclue sur la base du comportement de Noé qui fut celui d'un 'juste'
(au sens de justesse), s'écartant du péché. Il faut creuser. Au niveau
suivant, on comprend le sens de la destruction de toute vie terrestre
par le Déluge. Elle signifie que la mort de tout vivant est inéluctable
sur le plan terrestre car tous sont mortels par nature. Mais celui qui
construit son 'Arche' peut survivre. Notons que Dieu pourrait détruire
la vie tout en sauvant Noé. Il violerait alors ses propres lois. Ce sont
les eaux de la nature qui détruisent le Monde, et Noé et ses fils
construisent de leurs mains leur vaisseau salutaire.
Comme le Monde ou l'homme, le mythe vient du mystère et y
renvoie. Il donne des réponses à travers les questions qu'il soulève et
sa richesse se mesure par leur nombre. Nous savons maintenant
qu'en hébreu les racines des mots sont corrélées à des significations
implicites. Noé est ainsi relié à la consolation et à la repentance. Les
noms de ses fils, Shem, Ham, et Yaphet évoquent la jouissance, la
puissance, et la possession qui sont les énergies vitales déployées
dans la vie terrestre. Sanctifiées par Noé, elles deviennent les vertus
209
qu'il va utiliser pour traverser la mort. En les maîtrisant, il transforme
son corps en Arche de salut. Ce processus est lent. La Bible dit qu'il
dure cent ans. Noé emmène aussi des animaux. Ils symbolisent les
énergies qui émergent des profondeurs de son inconscient. Enrichi
par cette nouvelle connaissance, il entreprend dans l'arche de luimême, le voyage vers le Monde purifié et renouvelé. Et Noé n'entre
pas seul dans l'Arche. Il y entre avec sa femme, ses fils et les femmes
de ses fils, ce qui, dans un mythe, porte un sens.
Dans toute la Genèse on trouve cet aspect bipolaire et sexué.
Ultérieurement, la Kabbale donnera une portée extrême à cette
particularité, en séparant dans l'arbre des Sephiroth, les deux
manifestations divines, Yachin masculin, et Boaz féminine, dont
l'équilibre assure la création du Monde. A. de Souzenelle attire
également l'attention sur ce point particulier. Noé entre donc dans
l'Arche de lui-même avec ses deux natures, à la fois Homme et
Femme, Ish et Isha, mais aussi Yachin et Boaz, sa vie spirituelle et sa
vie naturelle. Á ce moment, elles sont encore séparées. Cette
séparation concerne d'ailleurs tous les aspects couverts par le mythe
de l'Arche, tels les fils de Noé et leurs femmes et les animaux
sélectionnés par leurs sexes. La Bible ne nous dit rien de ce qui se
passe dans l'Arche pendant les neuf mois de réclusion, mais ses
passagers en sortent unis par couples pour être bénis et repeupler le
Monde. La nécessité de l'unification des deux natures est
probablement le message essentiel du mythe antique de l'Arche de
Noé.
Nous sommes une partie de la Terre, et elle fait partie de nous.
Les fleurs parfumées sont nos soeurs.
Le cerf, le cheval, le grand aigle, ce sont nos frères.
Les crêtes rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et
l'homme,
tous appartiennent à la même famille.
Nous savons au moins ceci :
La Terre n'appartient pas à l'homme, c'est l'homme qui appartient à la
Terre.
Toutes le choses se tiennent..
(Chef Seattle - tribu Duwamish).
210
On peut développer d'autres aspects du mythe, la recherche n'est pas
close. Mais je voudrais élargir la réflexion à la dimension cosmique.
Comprenons que nous n'habitons pas la Terre. Elle n'est pas notre
maison, ni notre mère, ni notre vaisseau spatial, car elle n'est en
aucune façon séparée de nous. Chacun de nous est la Terre, non pas
toute la Terre mais un aspect personnel de la Terre. La planète vit et
meurt dans la vie et la mort de chaque homme. Elle rit et pleure dans
ses rires et ses pleurs. Elle aime dans chaque amour, elle est
consciente dans chaque conscience. Dans sa nature ordinaire,
l'humanité remplit ces fonctions dans la Terre vivante. Dans sa
nature céleste, nous ignorons encore où va son Arche cosmique à
travers le Déluge universel. Le mystère touche aux limites de la
compréhension humaine, non pas à celles de la rencontre de Dieu.
L'élévation des capacités d'amour ou de conscience d'un seul homme
élève celles de l'humanité entière, donc celles de la Terre, et peut
être celles de la Monade universelle.
L'unification des deux natures est probablement le message essentiel
du mythe antique de l'Arche de Noé.
211
Seconde partie – Quelques
spiritualités exotiques
CHAPITRE 12 - Les Derviches Tourneurs Soufis
CHAPITRE 13 - Zoroastre et les Pârsîs
CHAPITRE 14 – Le Bardo Thodol tibétain
CHAPITRE 15 – La Bagavad Gitaî indoue
CHAPITRE 16 - Le Tao të King en Chine
CHAPITRE 17 - Le Cao Dai Indochinois
CHAPITRE 18 - Le Jaïnisme
CHAPITRE 19 - Le Shintô japonais
CHAPITRE 20 - Le Vaudou
212
CHAPITRE 12 - Les Derviches Tourneurs Soufis
La danse sacrée des derviches tourneurs ou
SEMA
(d'après Oguz UNAT dans EPIGNOSIS N° 20 - Juillet
1989)
Les Derviches Tourneurs sont les participants actuels du
mouvement musulman Soufi, issu de la Gnose originelle
dont ils ont gardé la philosophie et les symboles
La salle
Voici comment se présente géométriquement la piste de
danse
ovale qui équivaut symboliquement à la création.
Le tapis rouge
(l’Esprit divin)
L’arc de descente ---- L’arc de remontée
L’âme humaine
213
Le tapis rouge symbolise le Cœur, et désigne un espace sacré
tout comme le tapis de prière des musulmans, orienté vers La
Mecque, le centre du monde musulman. C’est l’endroit où
l’homme, par la prière, entre en contact avec le divin, où le
ciel et la terre, l’homme et Dieu " communiquent " entre eux.
C’est l’image " matérialisée du véritable centre qu’est le
Cœur. Il faut remarquer que le tapis rouge se trouve à
l’intersection des deux arcs descendant, (l'involution), et
ascendant, (l'évolution), de la danse en rond qui va
commencer.
L’arc de descente symbolise la descente des âmes dans le
monde terrestre. C’est la courbe de l'involution. L'arc de
remontée, c’est la remontée des âmes vers Dieu, la courbe de
l’évolution, la réintégration de la matière dans l’Esprit. Cette
voie indique la Rédemption, dont la condition est l’amour, la
soumission (ISLAM), le sacrifice. Il faut que la vie se mette au
service de l’Esprit. Tandis que l’arc descendant signifie la
chute, la révolte, qui fut la cause de la sortie du paradis.
214
Les préludes à la cérémonie.
Les derviches entrent dans la salle, habillés d’un ample
manteau noir qui représente la mort, la tombe, la lourdeur
terrestre et l’enveloppe charnelle. Ils sont coiffés d’une
haute toque de feutre, qui est à l’image de la pierre
tombale. Leur habit blanc, symbole du linceul et de la
résurrection, dépasse légèrement le bas de leur manteau.
Cette discrète présence de la couleur blanche symbolise
également la vie, la renaissance attendue.
Le maître, le shaykh, entre le dernier derrière les
derviches. Son ordre d’entrée signifie que la quête de
l’UN est toujours précédée par une recherche dans le
multiple. Donc, respectivement, le maître incarne l'unité,
et les danseurs la multiplicité. Mais en tant que maître, le
shaykh est aussi le premier, dont dépend la multitude.
Ayant réalisé l’UN, il contient en lui toutes les vertus en
perfection, dont la plus importante et la plus difficile à
réaliser est l’humilité. Son entrée derrière les danseurs
indique qu’il a vaincu son ego et pacifié son âme. Il suit
donc humblement les derviches qui sont ses disciples,
donnant ainsi l’exemple de l’humilité. Le haut bonnet du
maître est enroulé d’une écharpe noire (turban) indiquant
sa dignité. L’enroulement du turban renvoie à l’image du
cercle symbole de la totalité, de la perfection. Cela
signifie que le shaykh a déjà parcouru la voie initiatique,
l’arc de la remontée et a réintégré sa nature primordiale,
exempte de toute imperfection. Ainsi, il a bouclé le cycle
d'involution et d’évolution.
215
Le maître, après avoir salué les derviches, s’assied devant
le tapis rouge en peau de mouton, dont la couleur évoque
le soleil couchant, qui incendiait le ciel de Konya le soir
du jour où mourut Mawlânâ, le 17 décembre 1273. Le
maître se trouve donc au point d’intersection du temporel
et de l’intemporel, lieu où les oppositions sont dépassées,
lieu où l’Unité est réalisée.
A ce moment, un chanteur chante les louanges du
Prophète, dont Rûmî a écrit les paroles :
" C’est toi le bien-aimé de Dieu, l’envoyé du
Créateur unique..."
Ce chant est une mélopée imprégnée d’une profonde
solennité. Son chant terminé, le chanteur se rassoit. Un
joueur de flûte improvise un prélude. Puis le shaykh lève
les mains de dessus ses genoux et frappe la terre. Ce
geste signale que le SEMA va commencer. Mais son sens
symbolique est très profond. Ce geste fait penser à un
acte magique, créateur. Par là il évoque l’acte créateur
démiurgique "Kun = Sois". Ce symbolisme est
indissociable de la notion fondamentale de "Mithaq", le
pacte primordial, qui renvoie à la préexistence des âmes.
Le tour du Sultan Valad.
Le shaykh se lève ensuite ainsi que les derviches. Alors
commence le tour appelé le "tour du sultan Valad", le fils
de Rûmî.
216
Les derviches avancent lentement et font trois fois le tour
de la piste. Chacun à un endroit donné se retourne vers
celui qui le suit et tous deux s’inclinent profondément,
puis reprennent leur tour. Cette circumambulation est
l’image des âmes errantes, s’agitant, cherchant à la
périphérie de l’existence. Le premier tour symbolise
l’exotérisme, le deuxième l’ésotérisme, le troisième la
Vérité. Mais la périphérie de l’existence contient déjà
cette dernière dans la révélation de la Loi. Leur salutation
mutuelle est le symbole de la solidarité spirituelle, où les
âmes se reconnaissent mutuellement comme étant d’une
même origine. C’est aussi la réciprocité des consciences,
chacun des derviches servant de miroir à l’autre.
A la fin du 3ème tour, le maître s’assoit sur son tapis et
les danseurs se mettent dans un coin. Pendant quelques
instants les chanteurs chantent en chœur. Le chant
terminé, les derviches, en un geste triomphal, laissent
tomber leur manteau noir, montrant leur habit blanc.
L’œuvre au blanc commence. La chute du manteau est
l’illusion qui disparaît. Les ténèbres sont éclairées par la
lumière qui va à présent guider le voyageur. Le manteau
noir, qui tombe, préfigure la mort, laquelle sera vaincue à
la fin de l’œuvre. La voie ésotérique c’est aussi le
dépouillement.
Quand le manteau noir, l’enveloppe charnelle,
l’attachement terrestre est quitté, c’est une seconde
naissance, c’est-à-dire la résurrection, l’image même du
jour du jugement dernier. De même que l’homme
ressuscitera ce jour-là pour s’exhausser à un niveau
217
d’existence spirituelle plus élevé, de même qui désire
parvenir à l’unité doit mourir et ressusciter dès ici-bas.
C’est là le sens simple du "hadith" du Prophète : "
Mourez avant de mourir ".
Lorsque les danseurs apparaissent dans leur habit blanc,
c’est le corps de lumière qui naît. En outre, ce geste
hautement significatif indique que tout changement d’état
est précédé d’une phase d’obscurité et d’enveloppement.
La danse symbolique des derviches.
Le shaykh est assis sur le tapis rouge, signifiant par là
que l’Unité est toujours là, accomplie, mais en attente.
Voyant les derviches animés du désir sincère d’accomplir
le Grand Œuvre, il se lève et répond, pour ainsi dire, par
une affirmation à la demande des derviches qui
s’avancent vers lui, s’inclinent, et lui baisent la main, un
par un. Ils demandent, ce faisant, la permission de danser.
Mais en même temps, ils prennent l’attachement à la voie
initiatique, la "baraka", qui est la transmission de
l’influence spirituelle donnée par le maître qui, ensuite,
baise la coiffe du derviche. Ainsi celui-ci bénéficiera de
la force spirituelle qui le protégera des épines de la voie
et qui favorisera l’éclosion de la rose, symbole suprême
de l’Unité. En fait, la demande de permission de danser,
et l’accord par le Maître de cette permission qu’est
l’initiation, signifient tout simplement le renouvellement
du pacte primordial, dont nous avons parlé.
218
Ensuite les derviches, les bras croisés, les mains sur les
épaules, se mettent à tourner lentement, puis étendent les
bras, la main droite tournée vers le ciel et la main gauche
tournée vers la terre. Ces deux positions des bras d’abord
pliés, ensuite étendus, correspondent respectivement à
deux états (ahval) initiatiques sur la voie. La position des
bras croisés les mains posées sur les épaules est l’état de
contraction (qabd). L’ouverture de la danse est un état de
resserrement, car l’impureté fait encore obstacle à la
croissance. Ainsi les bras ouverts, la main droite tournée
vers le ciel et la main gauche vers la terre le derviche
symbolisera l’Axe de l’Univers, qui n’est autre que
l’Arbre de Vie. La main droite recueillera la grâce du ciel
et la répandra sur la terre par la main gauche tournée vers
celle-ci. L’expansion des bras symbolise la pureté
atteinte, Il n’y a plus d’impureté qui empêche la juste
circulation des énergies dans les deux sens. A travers
l’organe central qu’est le cœur, le chaos du début se
transformera en une énergie cohérente, aptitude à
recevoir et à donner, qui est l’Amour. Tout en tournant
autour d’eux-mêmes, ils tournent autour de la salle. Ce
double tour figure la loi de l’univers à l’échelle
macrocosmique et microcosmique. C’est l’homme qui
tourne autour de son centre, qui est son Cœur, et ce sont
les astres qui gravitent autour du soleil. Ce double
symbolisme cosmique recèle le véritable sens du SEMÂ :
c’est la création entière qui tourne autour d’un centre
unique et invisible.
Les deux premières danses sont effectuées en commun, la
troisième se fait individuellement, car ici le temps est
dépassé. Le nombre 3 exprime que la dualité, la chute
219
dans le temps sont vaincues. Donc ce nombre 3 signifiera
la " restitution de l’état primordial ", l’état où l’homme
recouvre le sens de l’éternité. C’est le troisième œil de la
tradition hindoue, et par là il obtient l’immortalité
virtuelle, car jusque-là il est encore dans l’état humain.
Les Derviches Tourneurs reproduisent ainsi dans un
seul geste la bénédiction des premiers prêtres
gnostiques qui élevaient les deux mains vers le ciel
pour demander la nourriture spirituelle puis les
étendaient paume en-dessous pour répandre cette
grâce sur leurs frères et sur toute l’humanité.
La danse finale du Maître.
La quatrième danse, faite par le maître tout seul, est la
dernière phase du SEMÂ, dont le sens se rapporte à " la
conquête effective des états supérieurs de l’être".
Le shaykh danse en tournant sur la ligne droite au centre
du cercle. Jusque-là il était resté immobile, veillant
scrupuleusement sur les derviches. Cette nonparticipation à la danse se rapporte à la transcendance
divine, et son entrée dans la danse symbolisera
l’immanence divine. Avec cette danse du shaykh, l’unité
viendra couronner l’effort de l’homme. La ligne droite
est la voie la plus courte, qui mène à l’Union. Mais les
derviches n’ont pas le droit d’y marcher, seul le maître
peut se le permettre. Cette ligne symbolise également les
deux mondes exotérique et ésotérique qui, tout en se
touchant, sont séparés par elle. Seul le maître, en qui
220
l’Unité est réalisée, ou le Grand Œuvre, peut marcher sur
elle. Ce qui signifie qu’il a atteint à la parfaite maîtrise
des deux mondes il se place au centre du cercle, il donne
l’image réalisée d’un des noms d’ALLAH : "Maître des
mondes", dans la sourate d’Al-Fâtihâ.
Après Sa danse, le maître revient à sa place et le SEMA "
s’arrête " un chanteur psalmodie le Coran. La récitation
coranique est une réponse de Dieu, signe que le Grand
Œuvre est accompli ; la matière a atteint Sa perfection.
Le retour du maître à sa place symbolisera la subsistance
(al-baka), après l’extinction de l’ego (al-jânb) dans le
Divin. Mais une fois l’Union totale, la Transmutation
alchimique réalisées, l’homme atteint l’état de "soufi", et
dès lors, ayant fait l’expérience suprême, le soufi sera
"celui pour qui l’or et la boue ont la même valeur". La fin
de la danse, le retour au monde dans l’état de
"subsistance",
correspondent
à
la
réalisation
"ascendante". Jusque-là la Création était une illusion ;
l’homme véritable comprend après la "réalisation" que le
monde, la création, participent du Divin. Lumière sur
Lumière.
Nous sommes la flûte, dit MawlAnà, et notre
musique vient de Toi.
Ainsi se termine le SEMA ; il sera suivi de quelques
autres salutations et d’une séance de "dhikr mawlawî (Hû
— Lui)". Ensuite, le maître, en qui se réalise la
communion de tous, se dirige lentement vers la sortie,
suivi des derviches et de l’orchestre. L’image du cercle,
symbole de la totalité et de la perfection, sera ainsi
221
manifestée. Désormais, c’est la multitude qui dépend de
l’Unité.
222
Notes et compléments.
Note-a
- C’est aussi l’endroit médian, le monde de l’entre-deux,
l’isthme. Le maître est ainsi identifié à l’arbre du monde,
reliant les mondes terrestre et céleste. Quant à la couleur
rouge, image sensible du Cœur, elle indique la finalité de
l’œuvre, de la quête spirituelle. Parallèlement à l'image du
soleil couchant, le rouge indique l’œuvre parvenue à sa
maturité.
En termes alchimiques, on dira "l’œuvre au rouge" dont les
deux étapes précédentes sont indiquées par le manteau noir,
"l’œuvre au noir", et par l’habit blanc caché sous la cape,
"l’œuvre au blanc". La couleur rouge renvoie aussi à la rose,
autre symbole alchimique, de laquelle un maître éminent dit :
"Que celui qui désire contempler la gloire divine, regarde une
rose rouge." Fulcanelli nous parle aussi des roses ornant le
transept et le grand porche des cathédrales : "L’une n’est
jamais éclairée par le soleil c’est la rose septentrionale... La
seconde flamboie au soleil de midi c’est la rose méridionale...
La dernière s’illumine aux rayons colorés du couchant ; c’est
la grande rose, celle du portail, qui surpasse en surface et en
éclat ses sœurs latérales. Ainsi se développent, au fronton des
cathédrales gothiques, les couleurs de l’œuvre, selon un
processus circulaire, allant des ténèbres, figurées par l’absence
de lumière et la couleur noire, à la perfection de la lumière
rubiconde, en passant par la couleur blanche, considérée
comme étant moyenne entre le noir et le rouge".
On peut étendre l’analogie pour constater que l’œuvre au noir,
début du travail alchimique, correspond à la voie exotérique
destinée aux gens du commun et qui contient toute la vérité.
L’œuvre au blanc sera le SEMÂ proprement dit où l'on verra
les derviches danser en habits blancs. Elle symbolisera la voie
223
ésotérique menant à l’union. Enfin l’œuvre au rouge
symbolisera la Vérité, l’union qui sera atteinte au terme du
voyage initiatique de la danse alchimique. Mais la danse n’est
pas encore commencée, le travail alchimique qu’est le SEMÂ
n’est pas encore entrepris. Ce qui est donné, c'est le début et la
fin, l’alpha et l’oméga, ou aussi l’extérieur et l’intérieur,
comme le déclare un verset coranique "Il est le Premier et le
Dernier, l’Apparent et le Caché". Tout le SEMÂ sera
justement la recherche de ce paradoxe seul compréhensible et
réalisable dans l’Union. Pour y arriver il faut entreprendre un
voyage initiatique. La voie initiatique, la quête alchimique,
seront ce moyen d’accès, cette lutte.
Note-b
- Le SEMÂ sera donc considéré comme un éveil des âmes,
pour se ressouvenir de ce jour où Dieu questionna l’humanité
encore incréée et contenue dans les reins d’Adam "Ne suis-je
pas votre Seigneur ?", et les âmes répondirent : "Oui, nous
l’attestons." Le grand maître Junayd, qui voyait dans l’oratorio
spirituel la préfigure du retour des âmes à leur état "de pensée
de Dieu", dit qu’à cette question une douceur s’insinua dans
les âmes. Le SEMA sera le moyen par lequel les âmes
rechercheront cette douceur primordiale, ce germe d’amour
divin déposé dans les cœurs.
Note-c
- On peut y voir également l’interdépendance de toutes choses
dans l’existence, leur accord et leur harmonie. Le SEMÂ sera
donc l’exploration, la découverte et la réalisation pleine et
effective de cette harmonie. La dualité exprimée par la
présence des deux danseurs est virtuellement dépassée, unifiée
par le geste commun à tous deux qui est la salutation.
224
L’inclination est le symbole de la soumission, de la mort de
l’ego. Cette salutation est le signe du partage intérieur. Mais
tout ceci n’est que la préfiguration de l’accomplissement,
lequel se fera dans le SEMA.
Note-d
- " C’est parce que les canaux menant au cœur et en
provenance de lui sont obstrués "
On peut très bien considérer le danseur comme un arbre, dont
les branches sont coupées, émondées en vue d’un meilleur
accroissement, qui dépassera de beaucoup l’état d’avant, où le
derviche se sacrifie pour l’amour. " Celui qui fera un beau prêt
à Dieu, il le doublera en sa faveur, et il y a pour lui une
récompense généreuse ", dit le Coran. L’état de contraction,
de sacrifice, est donc nécessaire, si l’on veut avancer en
direction de la lumière.
Le deuxième état est l’état d’expansion spirituelle (bast). C’est
cet état qui est le signe de la maturité spirituelle, par
opposition à l’état de contraction dont le jeûne et la retraite
spirituelle sont deux aspects. L’expansion spirituelle
symbolisera l’ouverture au monde.
Au début de la cérémonie, l’invocation de bénédictions sur le
Prophète et la "baraka" donnée par le shaykh constituent aussi
des moyens d’expansion, qui protégeront les voyageurs des
rechutes, des oublis, et des autres aléas de la quête, car le
retour au monde suppose toujours ce risque d’oubli au contact
du multiple et de l’éphémère.
Note-e
- Lorsque le shaykh commence sa danse, le "nay", la flûte,
improvise une deuxième fois : c’est le moment où s’accomplit
le "tawhîd", l’Union Suprême. Nous avons vu que le shaykh
effectuait la danse, alors que les trois premières étaient
225
exécutées par les derviches. Nous retrouvons ici le symbole de
la tri-unité. Si " le nombre 3 exprime l’Unité en langage de
pluralité ", le nombre 4 symbolisera l’accomplissement et la
consécration totale de cette unité. Le chiffre 4 en tant qu’il
exprime la stabilité symbolise le cube et renvoie à la Kaaba, le
centre vers lequel les musulmans se tournent pour faire la
prière, et qui est l’image terrestre du centre suprême. La
quaternité exprime certes la stabilité, mais, dynamiquement, "
la quaternité rayonne, et c’est Mâyâ dans Sa fonction de
communiquer Atmâ et de déployer ses potentialités ; dans ce
cas, elle établit le cosmos selon les principes de totalité et de
stabilité. On voit que la croix, avec ses quatre directions (les
quatre fleuves du paradis), est présente, son centre étant
occupé par le maître. C’est le point d’où tout part et où tout
revient, le premier et le dernier le commencement et la fin.
Note-f
- Les deux instruments principaux de la danse sacrée sont la
flûte et le tambour. Les battements sourds de celui-ci durant le
SEMÂ évoquent sans doute les trompettes du jour du
jugement. Mais ils symbolisent également les grondements et
les tremblements de la terre. Si le symbolisme des tambours
semble lié à la terre, en revanche, par son axialité, la flûte sera
symboliquement liée au ciel. D’ailleurs la plainte du roseau
renvoie à la séparation de l’homme d’avec sa partie céleste.
Les deux aspects complémentaires à la fois vertical et
horizontal, céleste et terrestre, évoquent parfaitement la croix
dans l’ordre musical, alors que le derviche la symboliserait
pour ainsi dire dans l’ordre chorégraphique. La flûte et le
tambour nous font penser également à l’aspect féminin et
masculin de l’œuvre alchimique dont la réalisation en or
alchimique donne l’androgyne. Le SEMA sera donc fa
réalisation de cet état " androgyne ". Cet état de parfait
accomplissement sera d’ailleurs symbolisé par la danse du
shaykh.
226
Signalons également un autre sens du nombre 4 dans la
perspective de l’ésotérisme musulman. Dans le récit du
"Mîraj", l’assomption céleste du Prophète MUHAMMAD,
donné par Ibn Arabî, le quatrième ciel est occupé par le
prophète Idris, identifié à Hénoch, ce qui marque sa position
centrale dans la hiérarchie des sphères célestes, qui sont au
nombre de sept. Cette sphère correspond à celle du soleil
qui correspond lui-même au " lieu éminent ", jusqu’où
Dieu éleva le Prophète en son corps, sans lui faire subir
la mort physique. "Il était véridique et prophète. Nous
l’avons élevé à une place sublime" (Coran, XIX, 57-58).
On se souviendra que le prophète Élie fut aussi élevé au
ciel dans un char de feu. La danse du shaykh,
l’expression de l‘Union réalisée de toutes les oppositions,
évoque les deux notions fondamentales du "Haqq" (la
Vérité) et du "Khalq" (la Manifestation). Il établit ainsi le
lien entre l’Atmâ et la MAyA, dont le nombre 4,
cosmique et hypostatique, est l’expression symbolique.
Note-g
- L’origine du SEMA remonte à la lecture psalmodiée du
Coran basée sur le souffle et une voix rythmée dont on
sait qu’elle est un art à part entière car tout le monde ne
peut faire cette lecture très particulière du Livre Sacré.
Aussi existe-t-il des spécialistes appelés "hâIiz", dont la
voix mélodique fait ressortir dans toute sa subtilité
l’inimitable beauté poétique de la parole sacrée. Comme
dans toutes les traditions authentiques, la liturgie fait
partie intégrante de la Révélation, au même titre que les
prières, et la musicalité est inséparable du texte sacre.
D’après une tradition, le prophète MUIZIAMMAD luimême aurait encouragé cette pratique liturgique en disant
"Ornez le Coran par votre voix".
227
L’intérêt porté à la musique et à la danse dans l’Islam est
très ancien : le SEMA, qui signifie "ciel", était étudié
conjointement à la physique, laquelle était une branche
du savoir toujours en rapport avec l’astronomie et
l’astrologie. Rien de surprenant donc que le mot SEMA
en vienne à désigner la ronde des astres. " Ô jour lève-toi.
Les atomes dansent. les âmes éperdues d’extase dansent.
La voûte céleste, à cause de cet Être, danse ", s’écrie
Rûmî. Le SEMA exprime ainsi le tournoiement, le
devenir incessant des atomes, des astres et des âmes
Note-h
- Quelle fut l’origine du SEMÂ ? Les réponses à cette
question ne font pas l’unanimité. On pense tout
naturellement au grand maître soufi Nadjm-ad-KubrA,
maître du père de Mawlânâ, Bahâ ud-Din Walad, et du
célèbre soufi Attâr. Mais avant Kubrâ un autre maître,
très ancien, lui, Dhu-l’Nûn l’Égyptien, aurait été le
premier instaurateur du SEMÂ en 859h. Junayd de
Bagdad est lui aussi considéré comme un des plus grands
théoriciens et pratiquants de la danse spirituelle.
- Quoi qu’il en soit, jusqu’à sa rencontre avec Shamsî
Tâbrizî (c’est-à-dire " le soleil de Tabriz "), Rûmi ne
semble pas avoir pratiqué le SEMA. Ses deux biographes
les plus anciens Sipehsâlâr et Aflâki sont formels làdessus - Ils écrivent tous deux explicitement : "C’est
Shamsi Tabrizî qui enseigna à Rûmî la danse rituelle ou
qui l’y incita". C’est finalement le fils de Rûmî, sultan
Walad, qui fera du SEMA une pratique régulière,
devenant ainsi la marque distinctive de l’ordre.
228
Trois citations de Djalal al-Din Rûmi
Ta beauté, ô mon aimée, m'empêche de contempler la Beauté.
Dès l'instant où tu vins dans ce monde de l'existence,
Une échelle fut placée devant toi pour te permettre de t'enfuir.
Car d'abord tu fus minéral, et puis tu devins plante;
Puis tu devins animal : comment l'ignorerais-tu?
Puis tu fus fait homme, doué de connaissance, de raison, et de
foi.
Considère donc la perfection de ce corps tiré de la poussière.
Quand tu auras transcendé la condition de l'homme,
Sache que tu deviendras certainement un ange.
Alors tu en auras fini avec la Terre et ta demeure sera le ciel.
Dépasse même la condition angélique et pénètre dans cet
océan,
Afin que ta goutte d'eau puisse devenir une mer.(.../...)
Recherche continuellement le royaume de l'Amour
Car ce royaume te fera échapper à l'ange de la mort.
Car je suis l'atome et je suis le globe du Soleil,
A l'atome, je dis "demeure", et au Soleil "arrête-toi".
Je suis la lueur de l'aube et je suis l'haleine du soir,
Je suis le murmure du bocage et la masse ondoyante de la mer.
Je suis l'étincelle de la pierre et l'oeil d'or du métal...
Je suis tout à la fois le nuage et la pluie et j'ai arrosé la prairie.
229
Purifie-toi du moi afin de voir et distinguer ta propre et pure
essence.
Et contemple dans ton seul coeur toutes les sciences des
prophètes,
Sans nul livre ni professeur, et surtout sans maître.
230
CHAPITRE 13 - Zoroastre et les Pârsîs
Introduction
Les Pârsîs, ou Farsis, sont les héritiers spirituels des fidèles de
Zoroastre qui émigrèrent d'Iran vers les provinces du nord-ouest de
l'Inde au 8ème siècle. Persécutés par les musulmans, ils ne pouvaient
plus pratiquer leur culte. La plupart des Perses se convertirent à
l'Islam mais le culte zoroastrien persista chez les Guèbres, au centre
du plateau iranien, à Yazd et Kerman. Cependant, de nombreux
Persans s'installèrent en Inde, tout particulièrement à Bombay
(Mumbai). Ils contribuèrent à développer la ville qui devint leur
centre religieux. Ces Persans y furent appelés Pârsîs. Il existe
d'autres petites communautés parsi aux États Unis et dans le monde
anglo-saxon. Leur population décroît cependant régulièrement
partout car les Pârsîs refusent les conversions et pratiquent un
mariage obligatoire strictement endogamique. Les hommes ont du
jadis porter la mitre et les femmes drapent encore le sari sur l'épaule
gauche.
L’Iran antique du second millénaire avant J.C était pastoral,
culturellement beaucoup plus proche de l’Inde que de la
Mésopotamie urbanisée. Vers ~700, l'Ayryana Vaejö, l'Iran actuel,
fut envahie par des peuples indo-européens nomades ou seminomades, les Parsu, apparentés aux Scythes. Les Indo-ariens
apportent le sanscrit, une cosmogonie différente et une nouvelle
vision du Monde. L’histoire de la Parsua bascule alors et sa
philosophie aussi. Elles seront ensuite marquées par la figure de
Zoroastre, Zartust ou Zarathustra, qui semble avoir vécu en
Afghanistan avant la formation de l’empire achéménide. L’Iran préachéménide connaissait un vaste panthéon composite inspiré par la
proximité sumérienne, les traditions des Scythes et des Mèdes, et
l’influence du dualisme indien, (Varuna et Mithra). On y trouvait
alors un conflit latent entre les deva, du jour et du ciel, et les asura,
de l’enfer et de la nuit.
231
La doctrine de Zoroastre détruit l'antique construction naturaliste
assez hétéroclite. Elle coupe radicalement l’univers en deux sur le
plan métaphysique, tout en réunissant synthétiquement ses parties
dans Ahura Māzdā, l’unique créateur, le Boeuf, ou le Seigneur Sage.
Il a engendré un Esprit double qui se manifeste sous deux formes
jumelles librement choisies, Asa le lumineux, la Justesse, (ou Justice,
ou Vérité), et Druj l’obscur, l’Erreur, (ou Mensonge, ou Tromperie).
Ils deviendront ultérieurement les jumeaux Ohrmazd et Ahriman, la
lumière d’en haut et les ténèbres d’en bas. Dans le dualisme iranien
naissant, on distingue déjà radicalement les bons, les "asavan", et les
méchants, les "dregvan". L’homme bon doit donc travailler à la
reconstruction de son unité originelle pour retourner dans l’unique
Ahura Māzdā. Le culte comporte aussi d'étonnantes pratiques
funéraires très particulières que l'exposé tentera d'expliquer.
Le Mazdéisme et Zoroastre
Le zoroastrisme doit être comparé avec la religion indienne pour en
comprendre la genèse. Ces deux religions avaient un Dieu Soleil
originel commun, Mitra pour les Indiens et Mithra pour les Iraniens.
Le Mitra originel indien a ensuite éclaté en trois dieux, Mitra,
Aryaman et Varuna. Le dieu solaire iranien a gardé son unité. Il était
le fils d'Ahura Māzdā qui semble avoir été originellement un dieu
cosmique. Mithra était alors étroitement apparenté au Soleil et, dans
la Perse antique, il était vénéré tout autant qu'Ahura Mazdā. Les
Zoroastriens ont substitué le culte d'Ahura Māzdā en tant qu'Être
Suprême à celui de Mithra, le Dieu Souverain. Pour cela leur religion
est appelée "Mazdéisme". Zartust ou Zarathustra ou Zoroastre
semble avoir vécu en Afghanistan avant la formation de l’empire
achéménide. Dans les Gātā, des hymnes sacrés qu'il aurait composés,
il apparaît comme un prêtre rénovateur inspiré par Ahura Māzdā.*
Dans la religion mazdéenne, l'origine des entités rivales, Ohrmazd,
(Ahura Mazda),et Ahriman, (Angra Mainyu), est passée sous silence.
L’homme est un enjeu dans leur duel éternel. Pour vaincre
définitivement Ahriman, la Ténèbre d’en bas, Ohrmazd, la Lumière
d’en haut, crée le monde terrestre dans le temps et l’espace. Dans
son essence, cette création est spirituelle. La matière n’est qu’un état
232
second. Après la création des Bienfaisants immortels, le monde
matériel est créé en six périodes ou saisons, le Ciel, l’Eau, la Terre,
les Plantes, le Boeuf premier-né, et le premier Homme Gayömart. La
Fravasis de chaque homme, c'est à dire son âme spirituelle, peut
choisir de demeurer éternellement à l’état spirituel ou de s’incarner
pour participer au combat. A chaque acte créateur d’Ohrmazd
correspond une création opposée d’Ahriman avec laquelle il attaque
toute la création et la dégrade. Et c’est ainsi que l’homme devient
mortel.
Zarathushtra postule qu'Ahura Māzdā est immortel par essence, le
seul dieu du Bien, l'incarnation de la Lumière, de la Vie et de la
Vérité. Il condamne les anciennes pratiques telles le culte du Haoma,
(le suc d'ephédra qu'on retrouve dans le Soma indien), ou le sacrifice
du Taureau, animal réputé sacré, et tous les autres sacrifices
sanglants. Le Feu devient simplement un symbole concret de la
Lumière divine. Il n'est plus divinisé mais vénéré comme l'aspect
éminent d'Ahura Māzdā. La voie que prêche Zoroastre est celle de
l’adhésion à la Justesse et à la Vérité, manifestée en pensées, en
paroles, et en actes. En choisissant la Justesse, on refuse l’Erreur. A
la Bonne pensée s’oppose la Mauvaise, à l’Esprit Saint s’oppose le
Destructeur, et ainsi de suite. L’existence actuelle est régie par des
couples opposés d’entités qui se sont substitués à l'harmonieuse
hiérarchie divine originelle qu'il faut continûment s'attacher à
restaurer.
Le destin complet du monde s’accomplit en quatre périodes de trois
mille ans chacune, soit douze millénaires au total. La première
période, celle de Zartust (Zarathustra), commence avec l’histoire
telle que que nous la connaissons. La seconde est celle d’Usetar, son
premier fils. Elle finira par l’hiver de Malkus, un mythe analogue à
celui du déluge. La période suivante est celle d’Usetarmah, second
fils. Elle se terminera en catastrophe. La dernière période, celle de
Sösyans, troisième fils, sera celle du sauvetage des hommes et de
leur retour aux origines. Zartust (Zoroastre) réapparaîtra comme le
sauveur du genre humain. Gayomart ressuscitera le premier suivi de
tous les autres hommes qui seront jugés par Isatvastar, un fils de
Zartust. Ils subiront éternellement sur eux-mêmes toutes les
conséquences de leurs actes. Ce sera le début du règne d'Ahura
233
Māzdā, tandis qu’Ahriman, vaincu, retournera éternellement dans sa
Ténèbre.
Ormazd et Ahriman
Au sommet du panthéon zoroastrien décrit dans les Gāthā, on trouve
donc Ahura Māzdā, l'Être Suprême. Il est manifesté par deux formes
jumelles et opposées, Spenta Mainyu, Ohrmazd, l'Esprit Bénéfique,
(ultérieurement identifié à Ahura Māzdā), et Angra Mainyu,
Ahriman, l'Esprit Mauvais, incarnation du mal, des ténèbres et de la
mort. Spenta Mainyu est accompagné de six groupes de créatures
divines, les Amesha Spenta, (Bienfaisants Immortels), ou yazata, qui
sont Vohu Manō, (la Bonne Pensée), Asha Vahishta, (la Meilleure
Rectitude), Xshathra Varya, (l'Empire Désirable), Spenta Armaiti, (la
Pensée Parfaite), Haurvatāt, (l'Intégrité), Ameretāt, (la Non-Mort).
Pour sa part, Angra Mainyu est aidé par des démons faux et
malfaisants, les daēva, dont le nom évoque les antiques dieux indoeuropéens, les deva du Rig-Veda et du monde indien où ils ont
conservé tous leurs caractères de déités bienfaisantes.
Dans la pensée de Zoroastre, on voit déjà apparaître la structure
doctrinale qui prépare le Manichéisme tout autant que le récit du
combat de l'Apocalypse, dans la plaine d'Armageddon. Ohrmazd est
assisté des Bienfaisants Immortels qui deviendront les Anges et les
Archanges du Bien et de la Lumière. Ahriman, le prince infernal des
démons, est le modèle des Satan, Lucifer ou Belzébuth du futur.
Après la mort, les âmes attendent trois jours près du corps défunt,
puis elles vont vers le jugement rendu par Mithra, Sraosha et
Rashnou, guidées par une femme symbolisant leur conscience. Elles
franchissent le pont Cinvat reliant la Terre au Ciel. Il est large voie
pour les âmes justes qui accèdent à la Maison des Chants. Il est étroit
comme la lame d'un sabre pour les méchantes âmes jetées pour mille
ans dans l'abîme. Et toutes attendent en ces lieux la victoire finale
d'Ahura Māzdā pour accéder au Paradis.
Les prêtres mazdéens traditionnels, les Mages, n'ont pas accepté
facilement le zoroastrisme. Ils ont voulu l'influencer à leur avantage.
234
Depuis des siècles, ils formaient une caste héréditaire aux fonctions
bien établies. Naturellement, ces mages conservateurs constituent le
clergé de la nouvelle religion. Ils refusent la réforme en maintenant
les sacrifices d'animaux et la consommation euphorisante du
"haoma" sacré. Ils font réapparaître les cultes d'anciens dieux comme
celui d'Anâhita, déesse de l'eau, et surtout celui de Mithra, dieu
solaire et guerrier qui présidait aux sacrifices de taureaux et aux rites
du "haoma". Transporté ultérieurement hors de la Perse, le culte de
Mithra devint une religion monothéiste initiatique et austère, fort
populaire parmi les soldats. Son symbole était le Soleil, brillant et
invincible. Appelé à Rome, le Sol invictus, le Mithriacisme faillit y
évincer le Christianisme débutant.
Comme dans bien des religions issues de l'antiquité, une caste
sacerdotale héréditaire est aujourd'hui chargée de la célébration des
cultes et rituels. Cette hiérarchie complexe est placée sous l'autorité
du zarathushtrotema, un chef religieux. Originellement, il n'était
soumis qu'au roi. Le grand prêtre est l'invocateur, le zoatar. Il
célèbre collectivement l'office avec sept autres officiants. Les
prêtres, les athravan, sont issus de familles déterminées. Le feu sacré
est le symbole d'Ormazd, dieu de la Lumière. Abrité dans un vase de
bronze posé sur une pierre, il doit brûler constamment dans les
temples. Dans certains lieux, il brûlerait depuis plus de mille ans.
Cinq fois par jour, le prêtre entre dans l'adarân, la chambre du feu. Il
y célèbre un rite spécifique et récite des passages de l'Avesta. Pour
que son haleine ne souille pas la flamme, le bas de son visage est
masquée d'une étoffe blanche (paitidana).
Le Parsisme et les rites
Depuis l'islamisation de l'Iran, le zoroastrisme s'est diffusé en Inde
où il maintenant connu sous l'appellation de parsisme. Ses fidèles
sont des Pârsîs ou Farsis. Quoique peu nombreux, ils occupent
souvent des positions éminentes dans la société, surtout à Bombay.
Le parsisme comporte des obligations éthiques personnelles et des
rites sociaux qui concernent la vie de la collectivité. Chaque Parsi,
235
homme ou femme, doit choisir entre le bien et le mal, en aidant au
développement de la création positive d'Ormazd et en luttant contre
l'oeuvre d'Ahriman. Il a un devoir absolu de pureté dans la pensée, la
parole et l'action. Son engagement est marqué par le port d'une
tunique blanche, le sudreh, et d'une ceinture de laine, le kûshi, qu'il
reçoit lors de la cérémonie d'initiation appelée naojote, au plus tard à
15 ans. En principe, il ne peut quitter sa tunique salie ou usagée que
pour en changer (avec les prières et rituels appropriés).
La naissance ne paraît marquée par aucun rite particulier, mais
l'enfant peut être présenté au temple lorsqu'il a un an pour être béni
par le prêtre et marqué au front avec de la cendre du Feu sacré. Le
mariage est obligatoire et la stérilité est une malédiction. Certains
rites anciens peuvent être repris comme le bain de la mariée. En
principe, les Parsis ne se marient qu'entre eux. Dans la Perse
antique, il était absolument interdit d'épouser un infidèle. Leur seul
contact reste une source de souillures. Si l'on a mangé de la
nourriture étrangère ou si l'on a voyagé, il est faut effectuer des rites
purificateurs. La transgression des valeurs traditionnelles est un
péché qui doit être confessé à un prêtre et puni. Certains péchés ne
peuvent être rachetés ni dans ce monde ni au delà, notamment la
contamination de la terre, de l'eau, du feu ou de l'air, y compris par
l'ensevelissement ou la crémation des défunts.
Le zoroastrisme issu de l'antique religion indo-iranienne n'est pas
monothéiste même si les divers dieux sont conçus comme des
expressions d'Ahura Māzdā, le Seigneur Sage. Les quatre éléments
ont ainsi conservé une grande part de leurs caractères divins
originels. Au delà du sacré, ils sont perçus sur divers plans
ésotériques complexes. Il y a trois sortes de feux rituels, cinq sortes
de feux de la nature, et même une acception particulière du feu qui
manifesterait la nature ardente du fluide vital, mâle et solaire,
fondamental. C'est aussi par le Feu divin que les offrandes
parviennent à l'Être Suprême. Avant Zoroastre, il s'agissait de
sacrifices d'animaux dont une partie était brûlée, le reste étant
consommé par les fidèles. En ces temps, on sacrifiait un boeuf, plus
souvent un mouton (qu'on appelait boeuf sacré). Et c'est face au Feu
ardent sacré que l'on pratique maintenant le sacrifice salvateur du
Haoma.
236
Le Haoma en Iran, appelé Soma en Inde, est extrait de la plante
Ephedra, (Ephèdre, ou Raisin de mer). Cet arbuste à fleurs jaunes et
baies rouges contient naturellement des alcaloïdes dont l'adrénaline
et l'éphédrine. La médecine chinoise l'utilise encore aujourd'hui.
Avant Zoroastre, on faisait fermenter le suc pour ajouter l'ivresse aux
effets euphorisants. Le dieu Haoma réside dans chaque plant comme
la déesse des eaux réside dans chaque source. Il faut broyer la plante
pour en extraire le jus, et c'est alors le dieu qui meut supplicié pour
fournir le breuvage sacré ouvrant la voie d'immortalité. La cérémonie
du Haoma est donc un sacrifice rituel impliquant la mise à mort
effective du dieu. Son sang est offert au Feu divin, témoin d'Ahura
Māzdā, puis consommé au bénéfice des hommes. D'abord réservé
aux hautes castes puis aux initiations, il est maintenant accessible à
tous les fidèles.
237
Influences du Mithraïsme
Nous avons vu l'importance prise par le culte de Mithra, dieu solaire
et sauveur des hommes. Le monde hellénistique tendit à l’assimiler à
Hermès. Il était la lumineuse image du Soleil, violent et guerrier,
impossible à vaincre. Assimilé tardivement au Sol Invictus
d’Aurélien, son importance devint considérable, surtout chez les
militaires. Selon ce mythe, et sur l’ordre du Soleil apporté par un
corbeau, Mithra met à mort un taureau qu’Ahriman vient d’infecter
pour vicier la source de la vie dans le monde. Avant qu’il soit
corrompu, il répand le sang de l'animal. De cet épanchement, Mithra
fait naître les plantes et les autres créatures. Il arrache ses proies à
l’Esprit du Mal et monte sur le char du Soleil. Il est donc à la fois
démiurge et sauveur. Le culte solaire fut lancé à Rome par Aurélien
qui fit élever un temple magnifique en 274. La fête de la renaissance
du Soleil fut fixée au 25 Décembre.
L'initiation de Mithra comportait sept degrés. La communauté est
dirigée par le Père qui porte une mitre, une baguette et un anneau. Á
Rome, le Père des Pères était le chef suprême de l’église. Les
initiation comportaient un baptême d’eau, un marquage au fer rouge,
et un simulacre de mise à mort. Les premiers temples sont des
grottes naturelles où coulent des sources. Ils furent ensuite construits
en pierres. Les fidèles s’allongent sur deux banquettes pour prendre
les repas sacramentels. Un couloir central va des vasques de l’entrée
jusqu’à l’autel de Mithra. La voûte est décorée d’étoiles et les murs
ornés de peintures. Le culte est quotidien, mais l'on sanctifie surtout
le Dimanche, jour du Soleil. Le sacrifice cultuel est suivi d'un repas
commémorant le banquet de Mithra et du Soleil après la mort du
taureau. On y partage aussi du pain, de l'eau et du vin (La vigne
locale remplaçant l'éphédra du haoma perse
Bien avant que le culte de Mithra gagne Rome, le zoroastrisme
influençait déjà les cultures grecques et romaines implantées dans
l'Est méditerranéen. On en retrouve la marque chez les Esséniens de
Judée qui méritent un peu d’attention. Leur importance a été
238
confirmée par la découverte des Manuscrits de la Mer Morte, en
1947 dans le désert, à proximité de Khirbet Qumrän, près des ruines
d’un grand monastère essénien. Les manuscrits et les ruines de
Qumrän authentifient divers textes qu'on croyaitt apocryphes et
permettent d’identifier un groupe bien séparé du reste la société
judaïque du ~1er siècle. L’ordre essénien était une communauté
pratiquant le noviciat, le célibat, la mise en commun des biens, la
charité fraternelle, une discipline austère, et le strict respect de la Loi
de Moïse. Les Esséniens se disent détenteurs de révélations secrètes
ésotériques et de la connaissance du temps.
La pensée essénienne semble avoir été influencée par les Iraniens
dualistes. Ils croient que le monde est l’objet de l’affrontement de
deux puissances invisibles, les Esprits de Lumière de l’armée de
Dieu, et les Esprits des Ténèbres commandés par Bélial. Ils seraient
la communauté mère autour de laquelle le Peuple préparera la
victoire de la lumière sur les ténèbres et l’établissement du
Royaume. Une guerre apocalyptique opposera Israël aux fils de
perdition promis à la destruction. Ils attentent un messie-roi suivi
d’un messie-prêtre avant les temps eschatologiques de la fin du
Monde. La doctrine du Christianisme originel est fondamentalement
eschatologique. Les nouveaux Chrétiens croient en la fin du Monde
imminente. Le Salut approche, le Mal sera vaincu et le royaume de
Dieu fondé. Un nouveau ciel et une nouvelle terre seront créés, et la
nouvelle Jérusalem apparaîtra descendant des cieux.
Le Mazdéïsme a influencé d'autres formes de pensée. On a voulu y
rattacher la Gnose qui était un système de pensée partiellement issu
du Vêdânta indo-iranien. C'était initialement une vision
métaphysique considérant que le Monde divin et le Monde où nous
vivons appartiennent à deux natures distinctes. La dualité professée
par la Gnose diffère sensiblement du système indo-iranien. Le
Manichéisme en est beaucoup plus proche. Mani était un Parsi qui
professait une religion synthétisant celles de Zoroastre, de Bouddha
et de Jésus. L'homme primitif serait né de la confrontation du Bien et
du Mal. Le mal ayant triomphé, l'homme actuel n’est pas le fils de
Dieu mais l'enfant du Diable. Malgré la fin tragique de Mani, le
manichéisme se répandit très largement en Orient comme en
Occident, pendant plus de mille ans. Il a engendré divers
239
prolongements dont les Mazkadites iraniens, les Zandaqa
musulmans, les Pauliciens byzantins, les Bogomiles bulgares, les
Patarins rhénans, et les Cathares italiens et français.
240
Les Tours du Silence
Chez les Zoroastriens, les quatre éléments fondamentaux
sont sacrés ainsi que la vie qui est un don divin d'Ahura
Māzdā, Dieu père et lumineux. La mort et la
décomposition des corps sont l'oeuvre d'Ahriman, Démon
et Prince des ténèbres. L'inhumation et la crémation des
morts souilleraient la Terre ou le Feu, et elles sont donc
interdites. Cela conduit à des pratiques très spécifiques.
Traditionnellement, en Iran et en Inde, les corps dénudés
des Farsis devaient être exposés sur des dalles de pierre
au sommet des Tours du Silence, les dakhmâ, pour y être
rituellement consumés par les rayons du soleil, puis leurs
ossements devaient être déposés dans la fosse centrale.
Les Nasālāsar, un groupe de Pârsîs spécialisés, prenaient
en charge les corps de défunts pour les mener du
domicile jusqu'à la Tour. Leurs parents pouvaient les
accompagner mais n'y entraient pas. Ils priaient dans une
petite chapelle voisine.
Ceci fut longtemps la sombre réalité
cachée au sommet des Tours du Silence.
C'était la face obscure des Pârsîs.
Mais les vautours sont déjà partis,
Et les tours s'effondrent lentement dans le passé.
La face lumineuse d'Ahura Māzdā demeure encore,
comme l'antique dieu indo-iranien de vie et de vérité
Au 19ème siècle, les occidentaux découvrirent les
pratiques funéraires des Pârsîs. Ils en firent des récits
terrifiants. Il est probable qu'à l'origine les cadavres
étaient simplement exposés au soleil. En fait, ils étaient
inévitablement décharnés par les oiseaux et les vols des
vautours furent bientôt associés aux funérailles. Lorsque
les Pârsîs étaient très nombreux, il y avait beaucoup de
cadavres et plus encore de rapaces. La situation a
beaucoup changé. La modernité s'est installée et les
241
activités des vautours horrifiaient et dérangeaient
énormément le voisinage. Puis le nombre des Pârsîs a
diminué et l'urbanisation a définitivement chassé les
vautours. Les autorités sanitaires ont été forcées d'agir.
En Iran, les Tours du Silence ont été autoritairement
murées et l'exposition des cadavres est absolument
interdite depuis 1978. Les corps sont maintenant coulés
dans des blocs de béton et ces lourds sarcophages sont
inhumés.
En Inde, en raison de l'importance et de l'influence de la
communauté, la situation est politiquement beaucoup
plus délicate. Il resterait encore cinq tours à Bombay, qui
semblent être cachées au milieu d'un cimetière jardin
boisé de 22 hectares, le doongerwadi, dans le quartier
huppé de Malabar Hill. Ces anciens réservoirs de béton
de 30m de diamètre placés sur de haut piliers poseraient
aujourd'hui un grave problème d'hygiène publique. Il
reste 60 000 Pârsîs à Bombay et il y a donc plusieurs
décès par semaine. Au temps des vautours, les cadavres
étaient décharnés dans la journée. Malgré l'utilisation de
produits chimiques, leur dégradation nécessiterait
maintenant six mois. La communauté doit donc engager
une adaptation qui ne se fait pas sans conflits. La
question ne sera réglée que par une forte évolution des
usages. Celle-ci est en cours mais la résistance des grands
responsables religieux est importante.
La tradition de l'exposition des cadavres au soleil est en
effet très ancienne. On en trouve déjà la trace dans les
récits d'Hérodote. Il semble pourtant que la doctrine
laissée par Zoroastre ne prescrive rien d'obligatoire en ce
domaine. Une association prône activement le
renoncement radical à la tradition, laissant chacun choisir
entre crémation ou inhumation. On a aussi essayé des
miroirs solaires pour dessécher les corps. Des élevages de
vautours ont même été proposés. Le Zoroastrisme est
fondamentalement tout autre chose. C'est d'abord un culte
rendu à la lumière divinisée. Il fut longtemps la religion
242
d'état de l'Iran antique. La cosmogonie qui le fonde a
marqué les civilisations anciennes dans leurs histoires
comme dans leurs cultures. Même en Occident, les
religions traditionnelles en conservent encore aujourd'hui
la marque indélébile dans leurs doctrines, leurs rites,
leurs ornements et objets sacerdotaux..
243
CHAPITRE 14 - Le Bardö Thodol, (ou livre des
morts),
dans le Bouddhisme tibétain.
Introduction
Le Bardo Thödol tibétain a été comparé au Livre des Morts égyptien.
On peut trouver certaines analogies entre les deux recueils qui ont
également pour objet d'assister les défunts après la mort du corps
physique. Leurs âmes entreraient alors dans un "monde
intermédiaire" avant de se fondre dans le mystère originel. Mais il y
a cependant énormément de dissemblances dans les formes, les
époques, et surtout les desseins. Le Bardo Thödol, (le livre tibétain
des morts), est récité en présence du corps défunt mais il est aussi
destiné à aider les vivants. Il présente les étapes de la traversée du
monde intermédiaire à la lumière des enseignements du
Bouddhisme. Il décrit le chemin qui peut mener de la fin de la vie
biologique du corps à une vie éternelle purement spirituelle, le
Nirvana.
Le Livre des morts égyptien est intégré à un environnement magique
et technique centré sur la fin de la vie terrestre et la mise au tombeau.
Il est déposé dans le sarcophage et il est associé à une pratique de
momification et à des offrandes destinées à retarder le processus de
la mort totale. Ses formules veulent aider l'âme à affronter
efficacement le jugement. Elles apportent aussi les connaissances
nécessaires à la survie dans un monde intermédiaire différend et
parfois dangereux, peuplé de dieux et de démons multiples et réels,
avant la fusion dans l'au-delà ultime. L'Égyptien désire toujours
demeurer en deçà de la mort véritable. Mais dans l'univers ésotérique
244
assez sinistre des Égyptiens, Isis, mère de tous vivants, est une
veuve éternelle, et Osiris est un dieu mort, à jamais immobile.
Le "livre des morts" tibétain se propose d'accompagner l'âme égarée
en l'aidant à se détacher des attraits de l'incarnation dans la matière.
Il l'incite à les reconnaître comme des illusions fomentées par le
mental, comme le sont aussi les dieux et les démons multiples. Dans
le monde intermédiaire, cette prise de conscience pourrait permettre
d'échapper aux perpétuelles réincarnations. Positionné dans une
démarche essentiellement métaphysique, le Tibétain voudrait
dépasser toutes les illusions du monde qui sont la cause du cycle des
renaissances, afin de se fondre un jour dans l'au delà de la réalité
divine. Le Bardo Thödol tend à sublimer la mort physique et les
épreuves du passage pour faire accéder l'âme à cette vie spirituelle
ultime, la fusion dans l'éternel Nirvana de la vie divine.
Le Bouddhisme.
C'est Siddhartha Gautama qui fonda le Bouddhisme, il y a environ
2500 ans. Il était de la lignée princière des Shâkya. Siddharta
Gautama renonça aux avantages procurés par sa famille et, après
plusieurs années d'ascèse inutile, s'orienta vers la méditation. Après
quarante-neuf jours de réflexion profonde sous l'arbre "Bodhi", il
perça le mystère de la souffrance et atteignit l'illumination.
Siddhartha devint alors un "Bouddha", ce qui signifie un "éveillé", et
il commença à enseigner. Sa doctrine se présentait seulement comme
une solution philosophique au problème de la douleur. Elle ne
postulait rien sur l'existence ou la non-existence d'un Dieu. Elle est
cependant maintenant perçue comme une véritable religion et elle est
diffusée comme telle dans le monde entier.
En se basant sur sa propre expérience de l'illumination,
Gautama formula sa théorie des "Quatre Nobles Vérités":
245
•
•
•
•
La vérité de la douleur, comme synonyme de l'attachement
à l'existence terrestre, et la captivité de la chaîne des
renaissances.
La vérité sur l'origine de la douleur, notamment l'aspiration
et la recherche de joie, désir et possession.
La vérité sur la cessation de la douleur: la destruction de la
soif existentielle.
La vérité sur le chemin qui mène à la cessation de la
douleur. Cette voie s'appelle le "Noble Sentier Octuple"
dont les huit étapes sont les suivantes: La compréhension
juste. La pensée ou l'intention juste. La parole juste.
L'action juste. Les moyens d'existence justes. L'effort juste.
L'attention juste. La concentration juste.
hacun peut parvenir à l'illumination en suivant ce "noble sentier
octuple". En ce chemin, il trouvera l'aide nécessaire auprès des
"Trois Joyaux" traditionnels qui sont les trois éléments
fondamentaux du bouddhisme.
•
•
•
Le premier joyau est le Bouddha, la figure historique et
sacrée de "l'Éveillé".
Le second joyau est le Dharma, la doctrine ou vérité révélée
par Gautama Bouddah. Elle est également la loi cosmique
universelle, "le Grand ordre" auquel le monde est soumis.
Le troisième joyau est la Sangha, la communauté des
adeptes vivant conformément à cette vérité révélée.
Le contexte bouddhique du Bardo Thödol.
Le Bardo Thödol, le Livre des Morts tibétain, est un ouvrage
composé à la lumière des enseignements du Bouddhisme Mahayana,
dans son expression tibétaine particulière appelée Vajrayana. Il
existe en effet trois courants dans la pratique du Bouddhisme.
246
Le Hinayana, ou Petit Véhicule. Il s'inscrit dans la tradition des
Theravada, la pure doctrine enseignée par Gautama. Il ne
concerne que les moines qui apprennent individuellement à
éviter la souffrance et à se libérer du cycle perpétuel des
réincarnation afin d'accéder au Nirvana.
Le Mahayana, ou Grand Véhicule, (ou voie du milieu). En plus
des moines, ce courant propose de délivrer tous les hommes en
recourrant à l'aide des bouddhas et des bodhisattvas. Aidé dans
sa recherche d'absolu, l'adepte doit aussi oeuvrer pour le bien
général de l'humanité.
Le Vajrayana, ou Véhicule de Diamant, est surtout pratiqué au
Tibet et au Népal. Issu du Mahayana, il est très ritualisé. Chaque
être doit prendre conscience qu'il est un bouddha en puissance et
travailler à sa réalisation. Les textes "tantra" décrivent le chemin
permettant d'atteindre ce but en une seule vie. L'initiation
nécessaire est donnée par un maître, le Guru. On y pratique des
contemplations, des récitations de mantra, et divers rites ou
mudra. L'objet de culte le plus caractéristique est le "Vajra", qui
a donné son nom au courant tibétain du Vajrayâna. C'est un
objet liturgique formé de deux couronnes accolées à la base. Le
Vajra est le diamant indestructible, la foudre ou l'éclair. Il
symbolise le dynamisme masculin. La "Ghantâ", la
cloche, symbole féminin, lui est associé dans les rites du
bouddhisme tantrique.
Origine et vocation du Bardo Thödol
Dans la tradition bouddhique tibétaine des réincarnations, il y a
six mondes et six époques de la vie. Il y a aussi six passages à
franchir pour se libérer du cycle perpétuel des réincarnations et
247
atteindre l'état de bouddha afin d'accéder au Nirvana. Trois se
situent entre la naissance et la mort, les trois autres entre l'agonie
et la nouvelle naissance. Le Bardo Thödol contient une partie
des instructions nécessaires à ce chemin, et il insiste
particulièrement sur la seconde série. Il fut dicté par un adepte,
Padmasambhava, à sa femme, Yeshe Tsogya, qui écrivit les
textes. Pendant les violents conflits religieux avec les Taoïstes,
Padmasambhava les enterra dans les collines de Gampo au Tibet
central, pour les protéger. A cette époque troublée, de nombreux
"termas", ou trésors cachés, furent ainsi enterrés dans tout le
Tibet. Plus tard, Karma Lingpa, la réincarnation de l'un de ses
disciples, retrouva le texte du bardo prés du monastère du grand
maître Gampopa.
Les six Bardo
Pour aborder le Bardo Thödol, il faut d'abord bien comprendre l'idée
de base sous tendue par le mot "bardo": bar, signifie "entre", et do
"île", ou "marque". C'est donc un espace entre les choses, comme
une île au milieu d'un lac. Une situation vient d'avoir lieu et une
autre situation n'est pas encore en place. Il y a un intervalle entre les
deux. Tel est le bardo. Les Tibétains distinguent six états du Monde.
Il y aurait donc, dans l'existence, divers bardo ou situations de
passage. Dans la philosophie bouddhiste de la réincarnation
perpétuelle, il ne peut y avoir de mort sans naissance. On peut donc
appliquer ce concept à l'espace expérimenté entre la mort actuelle et
la nouvelle naissance.
Les enseignements du Bardo Thödol considèrent six " bardo" ou
périodes intermédiaires:
248
La vie entre la conception et la mort. Le premier bardo concerne
l'intervalle entre le moment de l'entrée de l'âme dans la
matrice maternelle et le moment de l'extinction de l'existence
physique. Dans la tradition tibétaine, l'âme réincarnée n'est
pas vierge à la conception mais marquée par les empreintes
karmiques laissées par les actes commis dans les existences
passées. Ce karma détermine la durée de la nouvelle
incarnation. Les actes et les hasards de la vie actuelle vont y
ajouter leurs propres empreintes.
Le rêve. Le deuxième Bardo est, sur un plan plus subtil,
l'expression actualisée de toutes ces empreintes karmiques
dans le corps mental. À partir de la naissance, l'âme incarnée
prend conscience du monde extérieur au moyen des sens.
Lorsque l'on s'endort, ces parcelles de conscience rejoignent
la conscience basale (alaya vijnâna). Pendant le sommeil,
elles s'éveillent et déterminent les types et le décours des
rêves. Elles marquent la conscience de base puis se résorbent
en elle.
La concentration. Le troisième Bardo est l'espace dans lequel
agit le processus purificateur volontaire de concentration et
de méditation qui pourra permettre à la qualité divine de
l'âme de s'exprimer.
L'agonie. Le quatrième Bardo, le Tchika Bardo ou Bardo de
l'agonie, est celui des moments entourant la mort. C'est le
karma provenant des vies passées qui détermine la durée de
la vie. Le moment de la mort survient quand il est épuisé.
L'âme et le corps mental se séparent du corps physique et il
n'y a plus de réveil. Le processus de mort dure environ trois
jours et demi. C'est la période des dissolutions que nous
allons approfondir un peu plus tard.
La luminosité. Le cinquième Bardo est dit de la Dharmatä. C'est
celui de la nature intrinsèque de la réalité absolue ou divine.
Après la dernière dissolution, l'âme expérimente la lumière,
l'ineffable clarté de la divinité ultime. Pour les mystiques,
cette période peut durer très longtemps, mais pour les êtres
249
ordinaires, elle s'efface aussitôt pour faire place au dernier
Bardo.
Le devenir. Le sixième Bardo est le Bardo de l'orientation. C'est
un passage dramatique qui détermine l'avenir prochain de
l'âme du défunt. Son corps mental va s'orienter dans des états
infernaux purificateurs ou paradisiaques. En fonction de
l'évolution des charges karmiques réalisée dans la vie
achevée, la nouvelle naissance va se faire, soit dans un corps
physique éventuellement encore plus grossier, soit dans un
corps mental plus subtil.
Le quatrième passage, le Tchika Bardo.
Les trois premiers Bardo sont des passages entre différents états de
l'incarnation de l'âme dans un corps vivant de sa vie quotidienne. Les
trois Bardo suivants sont ceux du passage à travers la mort jusqu'à la
réincarnation suivante. Puisque j'expose ici les conceptions
tibétaines du passage de l'âme à travers la mort, c'est donc à partir du
quatrième intervalle, le Tchika Bardo que je vous propose
d'approfondir cette étude. Cette période délicate constitue le Bardo
de l'agonie. C'est pendant ce temps, selon la tradition bouddhiste, que
le phénomène des dissolutions externes et internes se produit.
Les dissolutions externes sont des transformations visibles ou des
séparations progressives intéressant successivement les cinq
éléments constitutifs du monde ésotérique tibétain, la terre, (principe
de cohésion), l'eau, (principe de fluidité), le feu, (principe de
chaleur), l'air, (principe de mobilité), et l'éther qui est l'espace ouvert
pour les quatre autres. Elles sont accompagnées de signes
biologiques évidents. La force physique s'amenuise, les humeurs
250
liquides se tarissent, la chaleur corporelle diminue, la respiration
s'affaiblit puis cesse et la raideur de la mort survient.
Les dissolutions internes (ou subtiles) succèdent aux dissolutions
internes. Elles concernent les pensées et les émotions telles la colère,
l'envie et l'ignorance. Par exemple, trente-trois énergies liées à la
colère se dissolvent, puis quarante autres liées à l'envie, puis sept
liées à l'ignorance, etc.. Toutes ces dissolutions subtiles se produisent
dans le corps mental. L'agonisant perçoit les signes des dissolutions
externes et internes. Elles se traduisent par des visions parfois
effrayantes. Il appartient aux personnes présentes d'intervenir pour
adoucir et harmoniser cette transition de l'agonie qu'on appelle
Tchika Bardo.
Le livre expose les interventions et les prières possibles ainsi que les
méthodes de méditation praticables pendant le processus de l'agonie.
Il conseille aux vivants d'éviter de retenir le mourant par une
sollicitude excessive. Il propose aussi des exercices à mener pendant
la vie pour se préparer à contrôler consciemment le processus de sa
propre mort. Ces exercices spirituels sont cependant transmis
prudemment par le maître à ses disciples pour éviter de perturber
trop profondément leurs esprits.
Après la fin des dissolutions subtiles, commence le cinquième
Bardo, celui de la lumière. L'âme y expérimente la véritable réalité
du Monde avec la clarté de sa conscience divine. L'agonie est une
situation d'incertitude pendant laquelle l'agonisant peut pas savoir s'il
est en train de mourir ou s'il pourra survivre. Cette situation procure
un certain recul qui lui permet de voir l'existence d'un point de vue
différent. Dans les six mondes des vivants, il a expérimenté l'action
de principes opposés, le bien et le mal, le plaisir et la souffrance. Il
se détache maintenant de ses expériences passées et porte sur ces six
mondes un nouveau regard basé sur les différents types d'instincts.
Les descriptions des six mondes matériels et subtils sont à l'origine
des concepts de "samsãra", (la notion d'existence phénoménale) et
de "dharmakãya", (le passage dans la condition de "l'éveil"). Nous
le retrouverons donc dans le passage par la conscience claire, le
Bardo de la Dharmatã accompagné de toutes ses visions.
251
Le cinquième passage, le Bardo de la Dharmatä.
Dans la pensée tibétaine, le processus de la mort biologique dure
environ trois jours et demi. Pendant cette période, on peut chuchoter
des passages du Bardo Thodöl à l'oreille du défunt qui est supposé
pouvoir encore les entendre. Il peut alors être guidé à travers le
passage du bardo de la dharmatã qui est le passage par l'expérience
de la luminosité divine. Le terme Dharmatã concerne la nature
intrinsèque véritable des choses, leur pure qualité d'être. Le Bardo de
la Dharmãta est donc l'intervalle de la conscience claire, de la vérité
et de la disparition des illusions. Le dharmakãya, le corps de vérité
permettra d'accéder à la base fondamentale et neutre de l'être.
Dans ce cinquième bardo, le défunt voit apparaître ce qu'il a fait, ou
pensé, dans son corps terrestre. Il perçoit aussi tout ce qu'il aurait pu
faire et n'a pas réalisé durant sa vie, et tout ce qu'il a laissé s'épanouir
ou pas. La traversée de ce bardo conduit au dharma, à la vérité, mais
elle est encore reçue en termes de samsãra, (l'existence
phénoménale). Cet espace à franchir entre le samsãra et la vérité, ce
bardo de la dharmatä, est celui qui permet la manifestation des cinq
énergies, (les cinq tathãgatas), et la vision des divinités paisibles et
terribles. Mais l'âme du défunt ne supporte pas toujours cette clarté.
Elle passe alors directement au bardo de l'orientation.
252
Dans la dharmata, la véritable nature de la réalité se manifeste par
une communion avec des énergies qui ont des analogies avec les
éléments constitutifs de l'existence phénoménale, terre, feu, eau, air
et espace, mais qui ont maintenant les qualités d'éléments subtils. La
manifestation peut prendre diverses formes, sons, forces, ou
lumières, par exemple. Ensuite, des divinités apparaissent, les
tathãgatas. Elles sont les formes personnifiées des impulsions
intellectuelles ou sensibles du vivant qui mobilisent ces énergies.
Les divinités paisibles sont les premières à se manifester. Ce sont les
personnifications de tous les sentiments humains positifs, altruistes,
esthétiques et pacifiques, contenus dans le cœur. Elles se manifestent
cependant dans une autre dimension, celle d'une paix immuable et
absolue qui peut effrayer car elles ne réagissent à aucune tentative de
communication. Elles sont seulement le contenu énergétique de la
conscience. Si le défunt comprend que ces visions sont ses propres
créations, il fusionne avec elles et se libère. Il se dissous dans la
non-dualité et devient un bouddha.
Sinon, il doit faire l'expérience des divinités féroces, les Hérukas.
Les mêmes archétypes génèrent alors une expression nouvelle.
L'énergie étant ici activée par la crainte, la passion, ou l'intellect, les
divinités paraissent irritées et hostiles. Car l'unité n'est pas qu'énergie
paisible et harmonieuse. Ces visions expriment le contenu
énergétique de la conscience appréhendé sous la pression de la peur.
Si le défunt comprend qu'elles ne sont que ses créations, il fusionne
avec elles, se libère et devient un bouddha. Dans la conception
tibétaine, aucun être humain n'a d'existence individuelle réelle, et
aucune de ces divinités non plus. Les expériences du bardo seront
différentes selon les convictions de chacun. La traversée de la mort
est toujours le reflet de l'existence actuelle et des existences passées.
En fonction de la façon dont elles ont été vécues, en bien ou en mal,
avec générosité ou égoïsme, l'agonie, la mort, puis le devenir de
l'âme dans la renaissance ou la transcendance adviennent
conformément aux orientations karmiques correspondantes. "C'est
l'instant du souffle dernier où le défunt, dans une plénitude de paix et
de bonheur, se prépare soit à quitter définitivement le monde, soit à
253
parcourir à nouveau tout le cycle, de la naissance à la mort, riche
d'une sagesse nouvelle: la connaissance de la nature illusoire de la
vie". C'est pourquoi surviendra un sixième passage, le dramatique
Bardo du devenir. Et si la sortie transcende du cycle perpétuel des
réincarnation n'est pas enfin réalisée, une nouvelle naissance suivra
dans un corps physique éventuellement encore plus grossier ou dans
un corps mental plus subtil.
254
Le sixième passage, le Bardo de l'orientation.
Toutes les âmes sont soumises à l'implacable loi du "Samsara", la
migration. Le cycle des existences est une suite de renaissances
successives dans des milieux existentiels différents. Nul ne peut y
échapper tant qu'il ne s'est pas délivré de la haine, du désir et de
l'ignorance. L'âme qui n'a pas encore atteint l'état de Bouddha
explore alors les différents domaines subtils possibles. Elle s'oriente
obligatoirement vers celui qui correspond à sa propre situation
karmique actuelle. C'est dans ce domaine, ou royaume, que la
nouvelle naissance va se réaliser et qu'un nouveau cycle existentiel
sera expérimenté.
Le premier domaine exploré par l'esprit est celui d'un monde
infernal. Il est la contrepartie des actes accomplis sous la
pulsion de sentiments haineux. C'est la haine instinctive
fondamentale qui construit l'enfer dans le mental. Les
bouddhistes en ont imaginé de brûlants et de glacés, avec
d'horribles supplices de broyage ou de découpe en morceaux.
Afin que cesse cette situation épouvantable, l'agonisant doit
prendre conscience que ce monde provient du retournement
contre soi-même d'une lutte dont l'objet extérieur n'est plus.
Le second domaine est le royaume des pretas. Ces entités
faméliques ne seraient pas des esprits incarnés mais des êtres
subtils avides toujours affamés de désirs d'absorption et de
possession, des goules insatiables. C'est cette avidité
instinctive fondamentale qui crée ce royaume dans le mental.
Elles sont régies par YAMA, le Seigneur de la Mort. Le
mourant doit comprendre qu'il le suscite lui-même à partir de
ses frustrations liées aux faims insatisfaites de sa vie
physique.Le domaine suivant, le troisième, est celui du
monde animal. C'est un royaume d'ignorance et
d'inconscience. Dans leur concept de la réincarnation
cyclique, les bouddhistes pensent que les animaux ont aussi
une âme. Ils souffrent et sont engagés dans un chemin qui
255
doit un jour les mener à l'illumination. Pour cela, ils peuvent
nécessiter l'aide qu'un "éveillé" peut apporter.
Le quatrième domaine est le royaume intelligent des hommes.
La passion y demeure, sous toutes ses formes, positives et
négatives. Beaucoup d'appétits s'y incarnent sans toutefois
atteindre généralement les excès des mondes inférieurs.
Leurs contraires s'y manifestent aussi, comme la sensibilité et
la générosité envers les autres, la tolérance et le désir
d'autonomie et de progrès. On y trouve une très précieuse
énergie d'élévation qui, devenue consciente, peut ouvrir la
voie vers la libération.
Le domaine des "asuras", des anti-dieux ou dieux jaloux est le
cinquième monde des instincts fondamentaux. C'est le
royaume des princes de pouvoir. Leurs passions s'y
manifestent dans des luttes ardentes et des rivalités jalouses.
L'intelligence élevée s'y déploie pour conquérir le succès et
la gloire. Ces combattants mentaux ressemblent à des titans
cherchant à s'emparer des cieux. Ces tentations recréent
l'obscurité de la haine et peuvent renvoyer les glorieux dans
les mondes infernaux.
Le sixième domaine est le "devo-loka", le royaume d'orgueil, le
monde peuplé d'êtres qui se sont élevés au dessus de la
condition humaine. La fierté de leur réussite les maintient
dans un état paisible permanent, le" samãdhi", qui leur
apporte du plaisir mais les éloigne de la véritable libération.
Il y a trois régions dans ce royaume divin. Celle du désir
comporte six paradis plus ou moins édéniques. Celle de la
forme pure en comprend seize essentiellement faits de
lumière. Au delà, il y aurait encore quatre paradis sans
forme. C'est en ce domaine que se situeraient les illusions les
plus asservissantes et dangereuses de l'ego.
Cependant, à ce moment, certaines âmes parviennent à l'état
"Bodhi", état de conscience que le Bouddhisme appelle "
Éveil". C'est le stade ultime de la connaissance de la véritable
256
nature du Monde et donc la révélation de la nature propre de
l'âme qui est la nature de Bouddha. L'âme qui transcende
cette suprême révélation atteint l'état Bodhi et sort du cycle
des réincarnations. La Bouddhéité est à la fois un état de
connaissance parfaite, de liberté totale et d'amour illimité.
Cette capacité d'amour et d'immense compassion va pousser
certaines de ces âmes à devenir Boddhisattvas.
257
Dans le Theravada, le terme Bodhisattva désigne le Bouddha
historique avant qu'il n'atteigne l'Éveil. Dans le Mahayana,"La
Noble Sagesse Suprême", le Grand Véhicule du Bouddhisme, les
Boddhisattvas sont des êtres parvenus au bout du chemin de
l'illumination. "Bodhi" signifie "esprit illuminé" et "sattva" "être".
Ces entités spirituelles d'un très grand mérite sont considérés comme
des divinités. Elles ont renoncé temporairement à entrer dans le
"nirvana " afin de pouvoir mener tous les êtres du monde sensible
jusques aux portes de l'illumination. Elles n'y entreront elles mêmes
qu'après l'entrée du dernier.
Rappelons ici que le Mahayana est le Grand Véhicule du
Bouddhisme, le fondement de l'idée de l'unicité de l'être total.
Dans ce concept, toute division est illusion et l'ultime vérité est
la révélation de la non-dualité intrinsèque de l'être. Nous
rencontrons ici la particularité de la pensée orientale par rapport
à nos habitudes d'Occident. Nous opposons généralement les
contraires, le blanc et le noir, le bien et le mal, etc.. Les
orientaux les autorisent à cohabiter. C'est pourquoi, dans le
symbole du yin yang, l'on trouve toujours du blanc dans le noir
et l'inverse.
Le Bouddhiste peut ainsi concevoir qu'un être spirituel
ayant intégré l'essence du non-dualisme puisse se consacrer
à libérer des êtres phénoménaux qui, dans sa révélation, sont
déjà libres et inséparables puisque, sans le savoir, nous
sommes tous déjà des Bouddhas. On peut ainsi concevoir
que les boddhisattvas sont des sortes de ponts de diamant
qui n'apparaissent et ne vivent que par le passage étincelant
de l'illumination, laquelle pourtant confond les deux rives
dans l'unicité de l'être véritable. Par conséquent et en ce
sens, les boddhisattvas sont et ne sont pas et ils ont et ils
n'ont pas de signification en dehors de cela. Au stade
suprême du Bodhi, l'être éveillé réalise qu'il est un Bouddha
et il atteint le "Nirvana". Mais nous sommes ici au coeur de
la pensée orientale. Nous allons y découvrir une précision
détaillée et une hiérarchie subtile, même dans cet situation
de bouddhéité. Ces Bouddhas sont des hommes qui ont
atteint la samyak sambohdi, c'est à dire la connaissance
258
parfaite. Ils ont maintenant transcendé la condition
humaine et ont acquis des qualités nouvelles.
La première qualité est l'état de "Vue Pénétrante", de
"Connaissance parfaite" de soi-même et des autres, de
"Sagesse" et de "Conscience" en ce qui concerne les êtres
et le choses, la nature et l'univers tant subtil que
phénoménal. La réalité apparaît avec ses caractères
véritables, éternelle et absolue mais toujours changeante
et transitoire.
La seconde est l'état de "Liberté" et d'autonomie. La
libération des chaînes du Karma, du cycle des
renaissances et des souillures existentielles provoque un
état de pureté sublime et entraîne une immense créativité
spirituelle.
La dernière capacité acquise est la qualité d'émotion
universelle. Elle se manifeste par un amour extrême et
une compassion illimitée étendus à tous les vivants. Et
c'est aussi un état permanent de joie et de bien être et
d'extatique.
Un Bouddha est un être humain ayant réalisé l’état de samyak
sambodhi. Il est donc une incarnation vivante de la Vue
Pénétrante, de la Liberté, du Bonheur et de l’Amour. Au début
de la tradition bouddhique il n’y avait que le seul Bouddha
historique, le Sakyamuni humain historique. Durant sa vie
même, il semble que ce Bouddha originel ait spirituellement
distingué deux aspects de sa propre nature. Il considérait d’une
part l’individu historique, "L'Éveillé" et d’autre part le principe
abstrait de "l’Éveil". Il séparait donc le Bouddha et la
Bouddhéité. Ultérieurement, la personnalité historique fut
appelée rupakaya, ou « Corps de Forme » (rupa signifie
« forme », kaya « corps » ou « personnalité »). Le principe de
l’Éveil, indépendant de la personne qui le réalise, fut appelé
dharmakaya, « Corps de la Vérité » ou « Corps de la Réalité ».
Cependant, le Corps de Forme et le Corps de Dharma sont tous
deux des corps du Bouddha.
259
Après la mort du Bouddha historique, le Mahayana introduisit
un troisième corps entre les deux autres. On l'appela
"sambhogakya", le corps de Bonheur Mutuel, qu'on peut
interpréter comme l'archétype personnel de Bouddha,
intermédiaire en dessous du niveau de l’Absolu mais au-dessus et
au-delà de l’histoire. Conceptuellement, il y avait donc trois
kayas, trois « corps » alignés verticalement, de haut en bas, le
Corps de Dharma, puis le Corps de Ravissement Mutuel, et enfin
le Corps Créé, le nirmanakaya. Cela devint la doctrine du
trikaya, la doctrine des Trois Corps du Bouddha, qui est très
importante dans le Mahayana et le Vajrayana.
260
Le Bouddha de compassion
Tchenrézi est le nom tibétain du bodhisattva de la compassion (en
sanscrit : Avalokiteshvara). Il est la divinité la plus populaire du
Bouddhisme tibétain. Comme tous les bodhisattvas, il a fait le vœu
de se consacrer à soulager la souffrance et à aider tous les êtres à
atteindre la bouddhéité. Sa compassion est universelle. Elle s’étend à
tous les vivants, aux amis comme aux ennemis, aux proches comme
aux inconnus. Tchenrezi est l'expression d'un idéal personnifiant
l’élan vers l’autre, amour, compassion, altruisme, bienveillance. Il
exprime donc la perfection de la compassion sans limite. C'est
pourquoi il est appelé le Bouddha de la Compassion.
Tchenrézi est à la fois une manifestation divine et une réalité
intérieure. Dans le Bouddhisme, les deux aspects doivent être
finalement confondus car l'amour et la compassion existent de façon
primordiale dans le "Corps de Vérité", Dharmakâya, et par
conséquent dans chaque être.La compassion et l’amour du prochain
sont évidemment les valeurs fondamentales du bouddhisme.
Tchenrezi est généralement représenté avec quatre bras, ou même
mille, et parfois avec onze visages. En Chine et au Japon, il peut
prendre la forme féminine. Les mille bras illustrent la volonté de
venir en aide à la multitude.
Dans le Monde existentiel, Tchenrézi est
présent dans toutes les actions et tous les mots
qui témoignent de l'amour et de la compassion
universelle. Là où est l'amour, là est Tchenrézi.
La formulation de son nom transmettrait au
récitant les qualités de son esprit. C'est ce qui
explique le pouvoir bénéfique la récitation de
son mantra, qui est le plus usité. Le mantra
"OM MANI PÉMÉ HOUNG" est utilisé
261
couramment pour désigner Tchenrèzi.
La symbolique de TCHENREZI
Les 4 bras ( parfois 1000) sont Amour,
Compassion, Joie, Équanimité sans mesure
Les 2 Jambes dans la posture du Vajra unissent
compassion et vacuité.
Le joyau tenu dans les deux mains jointes
réalise le bien pour tous les êtres.
La couleur blanche est totalement pure et libre
de tout voile.
Le rosaire dans la main droite attire tous les
êtres vers la libération.
Le lotus dans la main gauche dispense la
compassion pour tous les êtres.
Le disque de lune derrière le dos symbolise la
plénitude de l'amour et de la compassion.
La peau de biche représente l'esprit d'éveil et la
bonté envers tous ainsi que l'impermanence.
Les différents bijoux symbolisent la richesse
des qualités de l'esprit d'éveil.
Les soieries de 5 couleurs sont une image des 5
sagesses.
262
Le Bouddha de Médecine.
Le Bouddha de Médecine Bhaisajyaguru occupe une place
importante au Tibet. C'est sur lui que s'appuie la médecine
traditionnelle. De nombreuses pratiques tantriques (sadhana) lui sont
consacrées. Il est généralement représenté en posture de méditation.
Il tient de la main gauche un bol médicinal et de la main droite, une
tige de myrobolan en fleurs. Son corps est généralement coloré en
bleu comme son aura. Ce Bouddha guérit les maux du corps par la
médecine tibétaine traditionnelle. Il soigne aussi les maladies de
l'âme comme la haine et la colère. Il est le symbole même de la
compassion indéfectible à la racine du Bouddhisme. Dans le
vajrayâna tibétain, il représente l’énergie thérapeutique de la sagesse
primordiale.
Ayant considéré les souffrances et maladies innombrables des
êtres, le bodhisattva « maître des remèdes », Bhaishajyaguru,
développa un très grand amour et un très grand désir de les
secourir tous. Il progressa sur la voie spirituelle, formula douze
grands souhaits et atteignit enfin l’état de Bouddha médecin.
Voici les douze voeux de Bhaishajyaguru.
1 - Répandre sa lumière dans d’innombrables mondes et rendre
les autres égaux à lui.
2 - Illuminer tous les êtres plongés dans les ténèbres.
3 - Combler les besoins de chacun avec équanimité.
4 - Ramener les égarés dans la voie du Mahâyâna.
5 - Amener ceux qui ont foi en lui à suivre sa discipline.
6 - Guérir tout être souffrant d’infériorités physiques ou
d’afflictions mentales.
263
7 - Guérir tout malade du corps ou de l’âme, et pourvoir en amis,
famille et foyer tous ceux qui en sont privés et les guider vers
l’Éveil.
8 - Faire que les femmes défavorisées et celles qui le
souhaiteraient renaissent hommes jusqu’à l’Éveil.
9 - Protéger les êtres de l’illusion, leur montrer la vue juste et la
voie des bodhisattvas vers l’Éveil.
10 - Sauver ceux qui sont en détresse, emprisonnés ou condamnés
à mort.
11 - Nourrir les affamés, abreuver les assoiffés.
12 - Procurer des vêtements aux êtres nus ou indigents.
Le Bouddhisme Tantrique.
Le Tantrisme est une pratique religieuse particulière que l'on trouve
dans le bouddhisme tibétain comme dans l'hindouisme. Elle
comporte des exercices rituels et des pratiques, (mantras, mudras,
visualisations mentales, postures corporelles, yoga, etc..), qui
produisent des transformations physiologiques, psychiques et
spirituelles. Elles sont destinées à favoriser l'accès des pratiquants à
"l'Éveil". Leur but est réveiller la force cosmique profonde endormie
à la base de la colonne vertébrale, le serpent de la kundalini. Cette
force cosmique, réveillée par l'initiation, permettrait à l'être de
fusionner avec sa source divine.
264
Le Bouddhisme tibétain à trouvé sa source dans l'expansion du
Mahayana (Grand Véhicule), qui prône une large diffusion des
enseignements du Bouddha et l'application de l'esprit de compassion.
Née aux Indes, la" voie des tantra" est un prolongement régional de
ce Mahayana. Elle est devenue une religion qui s'est propagée au
Cachemire, au Bengale et au Tibet. Le terme "tantra" désigne les
méthodes méditatives et les multiples pratiques yogi permettant de
parvenir plus rapidement à la bouddhéité. Alors que les écoles du
Hinayana (Petit Véhicule) prônent le renoncement aux désirs et aux
passions, les tantra préconisent l'utilisation de tout le potentiel de ces
passions humaines, pour ceux qui en sont capables. L'énergie
contenue dans les désirs pourrait être mise au service de l'Éveil. Car
si l'on reconnaît que les passions et les émotions sont aussi des
qualités de la nature de Bouddha, il est possible de les transformer en
sagesse par divers "moyens habiles". La voie des tantra est donc
celle qui veut transmuter les poisons en remèdes.
Dans le Bouddhisme tibétain, pour atteindre le nirvana, (l'Éveil), il
n'est plus tout à fait nécessaire de rejeter le samsara (la vie dans le
monde phénoménal). Car samsara et nirvana sont des modes de
perception opposés d'une même réalité. Le samsarâ n'est qu'une
perception karmique impure engendrée par notre ignorance. Les
concepts métaphysiques spiritualistes sont très difficiles à
transmettre au plus grand nombre. Devenu religion, le Bouddhisme
tibétain a donc fait ce que font toutes les religions du Monde. Il a
transformé les concepts complexes en représentations simplifiées
plus abordables. Il a utilisé des images, des légendes, des musiques,
des objets rituels, des instruments cultuels, des cérémonies et des
rites précis qui parlent subtilement à l'intelligence à travers les
attitudes, le comportement, la sensibilité et l'émotion.
Les "moyens habiles" utilisés dans le Vajrayana, reposent sur
d'innombrables récitations de mantra et des visualisations
symboliques des passions ainsi que sur des exercices réalisés sous le
contrôle d'un maître. Tout cela permettrait de transformer les
émotions en sagesse et d'atteindre ainsi plus facilement l'Éveil.
265
Comprenons que les multiples images ou statues de déités paisibles
ou effrayantes, masculines ou féminines, ne représentent pas des
divinités réelles. Elles concernent des concepts métaphysiques
complexes qu'elles permettent d'appréhender par la voie des sens. Et
elles peuplent les temples tibétains d'extraordinaires oeuvres d'art
absolument magnifiques. Cette première voie tibétaine est dite la
voie des moines. Pratiquée dans les monastères, elle semble réservée
à une élite car elle reste à la fois compliquée et exigeante. Des
formes plus simples sont pratiquées par les fidèles ordinaires. Même
si le rôle des tantra varie beaucoup en importance, tous les lamas et
les fidèles tibétains pratiquent au minimum les rites attachés aux
mantra les plus connus, comme celui concernant Tchenrezi, le
boddhisattva de la Compassion.
Il faut cependant distinguer le bouddhisme tibétain (influencé par le
tantrisme) du bouddhisme purement tantrique tel qu'il est pratiqué
par les adeptes du yoga, tout particulièrement en Inde. Car il existe
un tantrisme hindou qui cherche à faire émerger l'énergie divine de la
kundalini humaine à travers le culte de la Grande Déesse Chakti,
l'Énergie créatrice. Il peut accorder une certaine importance à l'union
des principes masculin et féminin. Au Tibet, le bouddhisme se
présente comme un parcours initiatique progressif. Une partie de ses
pratiques tantriques reste secrète. Par ailleurs, les véritables
significations du symbolisme sexuel utilisé partiellement dans les
textes et l'iconographie tantrique bouddhique ou hindoue ne sont
généralement pas clairement perçues par les occidentaux. Les très
précieuses représentations artistiques des nombreuses déités
masculines ou féminines les montrent parfois en union sexuelle, ce
qui est en réalité un symbole de l'union avec l'Énergie créatrice (chez
les hindous) ou de la réalisation de la Sagesse (chez les bouddhistes
tibétains).
Le décryptage de cette image tantrique d'un couple enlacé, permet de
dépasser assez facilement la symbolique de la simple union des
principes masculins et féminins. Il découvre en effet celle de la
complémentarité des contraires comme dans le symbole spiralé du
Ying et du Yang. On y trouve à l'évidence le noir et le blanc,
l'activité et la passivité, simultanément opposés et complémentaires.
Ainsi l'élément masculin, ici représenté passif, a forcément une face
266
cachée, active par nature. Il en est de même de l'élément féminin, ici
actif, et pourtant passif par nature. Cependant, si vous allez voir
l'image hindoue au verso de cette page, vous constaterez aisément
que la symbolique hindoue semble plus miser sur l'épanouissement
de l'énergie des passions humaines que sur la réalisation
contemplative de la sagesse.
267
CHAPITRE 15 – La Bhagavad Gita
dans l’Hindouisme.
Introduction
La Bhagavad Gita, "le Chant de Dieu", en sanscrit, est actuellement
considérée comme l'un des textes les plus importants de
l'Hindouisme. En Occident, c'est probablement le plus connu et le
plus diffusé. Il constitue la partie centrale du grand poème épique
"Mahabharat", homologue à la Bible des Hébreux. La littérature
sacrée hindoue est extrêmement abondante et compte au moins 250
000 vers. Quant au Mahabharat, il compte 100 000 vers qui
rapportent une histoire guerrière datant de 1500 ans avant l'ère
chrétienne. Il aurait été écrit par Ganesh, le dieu du savoir et de la
vertu. Plus récente, la Bhagavad Gita compte plus de 700 vers et
semble dater d'environ 2000 ans.
Pour étudier les écrits sacrés hindous, on les a répartis en plusieurs
corpus. Les plus anciens sont les "Védas", parmi lesquels on
distingue le "Rig-Veda", le "Samaveda", le "Yajurveda", et le
"Atharvana". Les vedas comportent aussi les "Upanishad" qui sont à
la base de l'une des six grandes philosophies hindouistes, la
"Vedanta, (la connaissance finale)". Cette importante métaphysique
nous invite à découvrir la réalité suprême, le Brahman, absolu et
indifférencié, manifesté en chaque existence par deux réalités
fondamentales, la matière et la conscience individuelle, l'Atmân, le
Soi, ou l'Âme. Il y a plus de cent Upanishad, tous composés à partir
de l'an 700 avant notre ère.
Le Mahabharat est le second de ces corpus. Il compte dix-huit
grands livres. C'est le récit d'une guerre entre les "Kaurava", les
forces du Mal, et les "Pandava", les forces du Bien, une lutte épique
qui dure dix-huit jours mais qui comporte bien des préliminaires.
C'est une sorte d'Armaguédon qui ne se situe pas à la fin des temps
268
comme dans le Christianisme. Dans le mythe hindou, il a déjà eu
lieu. La Bhagavad Gita se situe au début du combat, et le récit
commence avant la bataille. Arjuna se rend compte qu'il pourrait tuer
ses cousins dans le camp adverse. Il reçoit alors les avis de Krishna
qui sert de cocher divin. Ce corpus comprend aussi la "Ramaya", la
grande geste de Rama.
Le dernier corpus est le plus récent. C'est celui des Purana, "les
temps primitifs", en sanscrit. Ils ont été écrits à partir du quatrième
siècle après J.C. A l'origine, ces textes étaient destinés aux fidèles
peu lettrés. Ils contiennent des contes et légendes qui permettent de
propager facilement les thèmes et pratiques de l'Hindouisme dans les
castes populaires. On y trouve aussi des cosmogonies et un rappel
de la théorie des Âges cycliques de Manu, les quatre Yuga, le KritaYuga, le Tetra-Yuga, Le Dwarpara-Yuga, et le Kali-Yuga, l'Âge de
Fer de la destruction totale par "Kâli la noire", dans lequel toutes les
valeurs morales s'inversent. C'est cet âge de fer qui serait, hélas, le
nôtre.
Il existe plusieurs cosmogonies védiques mêlant la création du
Monde et celle des hommes à partir d'un couple primordial composé
du Ciel et de la Terre. A l'origine, dit l'une, était le Chaos. Les
ténèbres s'étendaient sur les eaux illimitées. Puis apparut l'oeuf
cosmique, l'Être flottant à la surface. Comme chez les Grecs, la
coquille se brise formant le Ciel et la Terre, "Prajapati" apparait,
l'Être Unique, le Père Originel. Prajapati crée la Lumière et les
Dieux. Il crée aussi Yama et Yami, le premier couple humain, source
d'une première race. Hélas, tout se gâte et un déluge survient. Les
hommes sont détruits sauf un seul. Comme Noé, Manu, sauvé des
eaux, devra repeupler la Terre.
En vérité, tout est Brahman.
C'est lui que l'on appelle "ni ceci", "ni cela !"
269
Le contexte religieux Hindou.
A l'arrière plan de la plus ancienne religion hindoue, le védisme, on
trouve une entité cosmique originelle appelée en sanscrit Dyaus.
Franchissant les siècles, ce mot antique est venu jusqu'à nous. Les
Grecs le prononçaient "Zeus", les Latins, "Deus", et nous mêmes
disons "Dieu". Il était le père, "Pati" ou "Pitar" en sanscrit, Dyaus
Pitar, le "Jupiter" romain, le "Dieu le Père" chrétien. Nous trouvons
dans le Veda, connaissance des choses divines, la racine du nom
français de Dieu. Le panthéon hindou est complexe. Il décrit en
chaque être la manifestation de nombreux dieux et déesse, héros et
démons qui sont les objets vénérés de cultes innombrables.
La religion devient lentement brahmanique après les invasions
aryennes, 1000 ans avant notre ère. La société est divisée en quatre
castes, brahmanes, guerriers, producteurs, serviteurs. Les hors-castes
sont impurs, (intouchables). Un couple de dieux souverains, (Varuna
et Mitra, opposés et complémentaires), régit les brahmanes. Indra,
dieu de la foudre et des combats, répond aux guerriers. Deux dieux
jumeaux, (les Nasatya, en conflit avec les autres), patronnent les
producteurs. Une autre rivalité existe entre ces jeunes Asura, et les
Deva primordiaux. Deux divinités liturgiques règlent la vie
sacramentelle, Agni, le Feu, et Soma, boisson sacrée et Force Vitale.
Le Védisme utilise divers thèmes pour expliquer la création avec ses
mécanismes changeants et destructeurs. L'existence est "Maya",
l'illusion. On y trouve aussi l'idée d'un "Sacrifice primordial"
impliquant l'Homme. Le devenir des défunts dépend de leurs
comportements terrestres et débouche généralement sur une
réincarnation. Le foyer familial est le lieu cultuel où se déroulent les
sacrements et sacrifices des rites d'Agni, le Feu ou le Soleil, dont le
chef de famille est le prêtre. Les rites associés au Soma, le breuvage
d'immortalité, sont plus complexes. Le Feu Universel brille aussi
270
dans le coeur. Symbole de l'intelligence et de la vérité, il y est alors
"l'Atman".
L'Hindouisme est le fruit de l'évolution progressive du Védisme puis
du Brahmanisme. Il devient une sorte de métaphysique construite
autour de la croyance générale en une entité éternelle, primordiale
mais inconnaissable, qui régit l'ensemble de l'univers. Elle est
perceptible sous d'innombrables aspects. Avec les Upanishad,
apparaît l'idée du Brahman. C'est le "Souffle fondamental", à la fois
force cosmique et âme universelle. Il se manifeste dans chaque être
sous deux aspects, "le Prana", ou souffle vital personnel, et
"l'Atman", le Soi, l'âme particulière. L'Hindouiste qui parvient à
identifier son Atman individuel au Brahman cosmique réalise son
salut.
Dans l'Hindouisme, le temps est conçu de façon cyclique. A chaque
phase de création succède une phase de destruction. L'univers suit les
mêmes lois. Il ne se crée ni ne se détruit, mais se matérialise et se
résorbe à chaque tour de la roue du Dharma. Pour imager cette
cosmogonie, on fait ultérieurement appel à un double concept en
juxtaposant le Brahman, l'Essence, l'Esprit, Purusha au masculin, et
la Pradhana, l'Existence, la Matière, Prakriti au féminin. Le Principe
Créateur prend alors un aspect sexué. Purusha est appelé Prajapati,
"le Père", et l'épouse est Shakti, "l'Énergie créatrice". Ce couplage
tantrique des dieux est fréquent dans le panthéon hindou.
271
Avatars, Héros, et demi-dieux.
L'image du Brahman primordial a évolué en concept trinitaire
cyclique, la "Trimurti", avec Brahmâ (créateur), Visnu
(stabilisateur), et Shiva (destructeur). Visnu est un dieu bienveillant
qui s'incarne dans des "avatars" pour rétablir les équilibres terrestres
menacés. Le septième est le très populaire "Rama", le huitième, le
séduisant "Krishna", le suivant est (politiquement) "Bouddha".
Kalkin, le prochain reste à venir. Shiva est nécessaire à l'ordre
cyclique. Il est le ravisseur et la mort. Il est aussi le maître des forces
vitales et son symbole est le "lingua" signe phallique de l'infinitude.
Laksmi est la compagne de Visnu. Devi, Durga et Kâli comptent
parmi les shakti de Shiva.
A l'origine, le védisme était seulement une philosophie fondée sur
l'idée de la nécessité du dépassement du Soi personnel, l'Atman, pour
arriver à la véritable connaissance de la divinité, le Brahman. Cette
position lui a permis d'intégrer sans conflit les divers cultes
rencontrés lors de l'invasion aryenne. Ils ont été incorporés dans le
concept général sous la forme de multiples contes et légendes qui
sont à l'origine des innombrables figures mythiques racontées dans
les écrits sacrés. Lorsque l'aspect religieux a remplacé l'approche
métaphysique, les nécessités cultuelles ont imposé des choix plus
stricts. Cela explique le grand nombre des sectes et pratiques existant
en Inde.
L'Hindouisme, le "Sanatanadharma" ou "loi éternelle", est une
religion de salut. Les fidèles oeuvrent pour obtenir l'immortalité en
échappant au samsara, au cycle perpétuel des réincarnations
provoqué par leur Karma, le poids de leurs actions présentes et
passées. Quatre moteurs passionnels déterminent leurs actions. Ce
sont la quête de la justice, (dharma), la recherche de la richesse,
(artha), celle du plaisir, (kama), et la volonté de libération
spirituelle, (moksha), qui aboutit à la fusion de l'Atman avec le
Brahman. C'est l'ignorance, la (avydia), qui charge le karma
272
individuel. Et c'est la gnose, la (vydia), la vraie connaissance, tant
métaphysique que spirituelle, qui le libère.
Il y a différentes voies pour aller vers cette délivrance, le Yoga, la
Samkhya, la Dévotion. Les plus récentes sont teintées de
Bouddhisme mais restent reliées aux traditions anciennes. La
Samkhya est une philosophie libertaire axée sur la connaissance. Le
Yoga impose des règles éthiques de comportement. La Dévotion
donne de l'importance aux sacrifices, offrandes, processions et
méditations. Souvent tantrique, elle peut comporter d'inlassables
récitations de mantra devant des images substituts des divinités. Les
nombreux groupes religieux sont organisés en sectes caractérisées
par le choix des textes sacrés de référence et des dieux d'élection
auxquels leurs cultes s'adressent.
Les sectes shivaïtes sont les plus anciennes et les plus nombreuses.
Shiva y est la plus haute manifestation du Brahman car ses deux
aspects sont nécessaires aux formations et destructions successives
du monde. Les caractères positifs sont privilégiés mais le coté
négatif existe avec les cultes de Kâli la noire. Le mouvement
tantriste Saktiste est plus récent. Issu du shivaïsme, il met en avant
Durga, guerrière et Mère universelle. Il renforce le rôle des gourous,
figure les chakras par des lotus et la kundalini par un serpent lové.
Les sectes Visnouïstes recherchent l'amour et la connaissance de la
divinité. Devenues prestigieuses, elles ont engendré le culte
pratiquement exclusif de Krishna.
« Conduis-moi du non-être à l'être, conduis-moi de l'obscurité à la
lumière,
et conduis-moi de la mort à l'immortalité »
(Brihad-âranyaka-upanishad 1.3.28)
273
Krishna et Arjuna.
Comme toutes les divinités de l'hindouisme, Krishna est un
symbole. Il est le "Guide", le "Maître", le "Gourou" qui enseigne la
vérité spirituelle. Il personnifie l'Intelligence originelle qui se tient
au delà de l'intellect. Il est aussi l'acte accompli dans la conscience
pure qui permet d'éveiller Buddhi, cette nouvelle conscience
supérieure qui ouvre la voie vers la libération des chaînes karmiques
et la renaissance dans la sublime sagesse. Krishna est un "Héros", un
demi-dieu, car il est né, dit la légende, d'un cheveu de Visnou et de
Devaki, sa mère, dont le nom complet, (Daivi prakriti), signifie
"nature intelligente". La vérité sur Krishna est dévoilée par le mythe
de sa naissance. Il est d'origine divine, incarné dans la corporéité
humaine.
Traditionnellement, Krishna a échappé au massacre systématique des
nouveaux- nés perpétré par le Râja Kamsa, son oncle, alarmé par un
oracle. L'enfant Krishna fût confié à des éleveurs de boeufs et grandit
auprès des "gôpi, les jeunes gardiennes de troupeaux. Il les charmait
de bien des façons, au point d'en devenir également un symbole
érotique. Il en épousa plusieurs dont Râdhâ, "Srimati Râdhâ", ou
Madame Râdha, dont le nom signifie "Réussite", sa préférée, et
Rukminî, "Ornée d'Or". Les succès amoureux de Krishna auprès des
gôpi, ces femmes qu'il aurait toutes séduites, ont un sens caché. Ils
symbolisent l'attrait du principe divin qui attire à lui les âmes
individuelles de tous les chercheurs en quête de libération.
Axées sur l'éthique comportementale personnelle, les doctrines du
salut, les "sotériologies" orientales , (du grec "sôter, sauveur" et
"logos, discours"), peuvent désorienter notre pensée Le Bouddhisme
enseigne les voies d'illumination permettant de quitter les
insuffisances du Monde, et l'Hindouisme propose une "intelligence
de l'être" associée à des pratiques ascétiques et méditatives ou bien à
l'amour et à la confiance en Dieu. C'est là qu'intervient Krishna,
parfois comparé à Jésus. Mais Krishna est un symbole tantrique de
274
l'union du divin et de la nature dans le couple qu'il forme avec
Râhda. Il est polygame et agit dans un arrière plan érotique et
polythéiste. Ce n'est pas très comparable à l'environnement où
évoluait Jésus.
Il y a d'autres différences dans l'enseignement du rédempteur
Krishna. Elles apparaîtront dans les conseils donnés à Arjuna au
cours de la bataille de Kurukshetra. Le prince Arjuna, "le Lumineux",
est le personnage central de la Gītā. Le roi Pandu était maudit et ne
pouvait engendrer, mais les dieux pouvaient féconder ses deux
épouses, ce qu'ils firent. Parmi ses cinq nobles frères, Arjuna est le
fils d'Indra, dieu de l'Esprit. Il fut choisi pour hériter du royaume des
Pandava. Son oncle, Dhritarashtra, écarté du trône parce qu'il était
aveugle, trompa Arjuna, qui joua son pouvoir aux dés et le perdit
pour douze ans. La treizième année, Arjuna revint avec ses frères et
tout son peuple mais son oncle lui dénia ses droits. Ce fut la guerre,
(et la Gītā).
Les combattants sollicitèrent tous deux le soutien de Krishna, mais le
Dieu voulait rester neutre. Les Kaurava choisirent l'aide de l'armée
de Krishna, et les Pandava l'assistance de Krishna sans arme. Krishna
conduisit donc le char de guerre du prince Arjuna qui combattait
avec un arc. Les naissances miraculeuses, les préliminaires,
l'omniprésence des dieux, les armes fantastiques et les six cents
millions de morts montrent bien le caractère assurément mythique du
combat. Les symboles sont évidents. Le char d'Arjuna est le corps du
chercheur, les chevaux sont les cinq sens. Krishna, le conducteur est
l'intelligence, et le combattant, c'est le chercheur de vérité lui même.
Le champ de bataille, c'est la clarification de la conscience.
Laisse là toute autre forme de religion, et abandonne-toi tout
simplement à moi.
Toutes les suites de tes fautes, Je t'en affranchirai.
N'aie nulle crainte !
(Bhagavad Gita - Ch.17/66)
275
Enseignement de Krishna avant le combat.
Quand la conque du général kuru annonce le défi au combat, Arjuna
prie Krishna de le conduire entre les deux armées. Il aperçoit alors de
nombreux parents chez les kuru et réalise qu'il devra les tuer pendant
la bataille. Horrifié, il jette ses armes, préférant perdre son royaume
que nuire à ceux qu'il aime. On est ici, bien sûr, au coeur du récit
mythique, et les combattants, les Kuru comme les Pandava sont des
symboles des différents aspects de la nature humaine. Les Kuru
représentent sa part matérielle et actuelle. C'est pourquoi, dans un
premier temps, ils détiennent le pouvoir. Les Pandava, tendant à la
spiritualité, en sont temporairement écartés. Arjuna représente tous
ceux qui tentent de développer leur nature supérieure. Il va devoir
combattre ses instincts héréditaires, ses habitudes, tout ce que sa
nature propose pour ses plaisirs. Ses parents dans les rangs ennemis,
ce sont ses propres passions qu'il va devoir détruire. Il ne se sens pas
la force pour le faire. Krishna va convaincre Arjuna qu'il se trompe.
Ô, Arunja ! Lève-toi car le sage ne se lamente ni pour les vivants ni
pour les morts. L'Esprit, "Atma", ne peut tuer ni être tué. Il ne
commence pas d'être et ne cesse pas d'exister. L'Esprit ne naît jamais,
ne meurt jamais, en aucun temps. Tous les êtres sont invisibles avant
la naissance et après la mort. Ils prennent de nouveaux corps et ne se
manifestent qu'entre la naissance et la mort. Ton devoir de guerrier
est de mener une guerre juste. Tu dois l'accomplir sans désir et sans
revendiquer de résultat. Accomplis ton devoir sans souci d'intérêt, ni
de succès ou d'échec, et tu seras sans péché. L'équanimité du mental
dans l'action est la voie suprême du Karma-Yoga. Le Yogi se
détache alors de tout lien, de toute souffrance ou aversion. Il entre
en Nirvana et s'unit à l'absolu. Le Samnyāsa, la voie de la
connaissance transcendantale de Soi est un autre chemin pour
réaliser le salut. Mais l'état qu'atteint le pratiquant, le Samnyāsī, n'est
pas distinct de celui du Yogi. La conscience est la même et les deux
états sont indissociablement liés.
276
Ô, Arjuna ! Nous sommes nés bien des fois, Toi et Moi. Tu ne t'en
souviens pas mais Moi, je m'en souviens. Lorsque s'affaiblit la
justice, je rétablis l'ordre du Monde. Tout à la fois, Je crée, Je
maintiens, Je dissous, Celui qui comprend cela ne renaît plus après
sa mort. Je veux maintenant exprimer ce que sont l'action et
l'inaction car leurs vraies natures sont incomprises. Le Yogi
comprend qu'il y a de l'inaction dans l'action et de l'action dans
l'inaction. Qui agit librement et de façon désintéressée est un
Karma-Yogi. Il ne gène pas la loi d'opposition des contraires. En
réalité, quoi qu'il fasse, il ne fait rien et ne charge pas son Karma.
L’Éternel Être est à la fois le sacrifice et l'offrande. C'est Brahman
qui la verse dans le feu de Brahman. Le Yogi qui voit en tout la
manifestation de Brahman peut comprendre. Beaucoup offrent en
sacrifice leurs biens et les ascètes prononcent des voeux sévères. Le
plus grand pécheur qui accomplit le sacrifice désintéressé traverse
l'océan du péché. Il obtient la connaissance et atteint l’Éternel Être,
le Brahman.
Ô, Arjuna ! Dans sa fonction mentale, l'homme doit s'élever, non pas
se dégrader. Le mental est son ami mais aussi son ennemi. Il est l'ami
quant il est sous contrôle, et sinon il est l'ennemi. L'homme qui
contrôle son son mental et ses sens est un Yogi. Il reste égal en toute
circonstance, dans le plaisir ou la douleur, pour ses amis ou ses
ennemis. Il demeure par le seul intellect dans la contemplation du
Brahman, l'Être éternel de la Réalité absolue. Ayant ainsi
complètement réalisé son Soi, il n'a rien de plus à attendre. Le Yogi
n'est plus relié à la souffrance car il a abandonné tous les désirs.
Ayant maîtrisé intellectuellement ses sens, ils a gardé son mental
entièrement tourné vers le Brahman. Il est libéré de toute faute, et il
atteint la félicité dans le contact du Brahman. Il voit alors tous les
êtres d'un oeil égal. Il Me voit en tout et voit tout en Moi. Il n'est plus
séparé de Moi et Je ne suis plus séparé de lui. Et le meilleur Yogi
voit tous les êtres à sa propre image, et leurs plaisirs ou leurs
douleurs comme étant les siens même.
Ô, Arjuna ! Je vais te révéler la connaissance du Soi et
l’illumination. Qui la connaît n'a plus rien n'est à connaître. Le
277
mental, l’intellect, l’ego, l’éther, l’air, le feu, l’eau et la terre sont les
manifestations de mon énergie matérielle, (Prakriti). Je te montrerai
ma nature supérieure, (Purusha), qui soutient l'univers entier. Je suis
la saveur dans l’eau, la lumière dans la lune et le soleil. Je suis le
son dans l’éther et la virilité dans l'homme. Je suis le parfum dans la
terre, la chaleur dans le feu, la vie dans les vivants. Je suis le germe
éternel des créatures, l’intelligence des intelligents et l’éclat des
diamants. Je suis la force du fort détaché du succès et de la
convoitise. Je suis le désir dans les hommes qui agissent avec justice.
Ceux qui n’ont pas de foi en cette connaissance ne m'atteignent pas
et suivent le cycle des naissances et des morts. Je suis les sept
déesses régissant la gloire, la prospérité, la parole, la mémoire,
l’intelligence, la fermeté et le pardon. Je suis aussi toi-même. Je suis
la mort qui saisit tout et Je suis l’origine de tous les êtres à venir.
Krishna révèle son omniprésence
"Ayant imprégné l'univers entier d'une parcelle de Moi-même, je
demeure".
Les mille visages de Krishna.
Ô Arjuna ! L'univers entier provient de moi-même avec tous les
êtres qu'il contient, mais Je ne dépends d'aucun d’eux. Voici la force
de mon mystère. Je ne dépends pas d’eux car Je suis leur créateur et
leur protecteur mais ils ne dépendent pas de moi, car ils sont en moi,
comme le vent souffle partout et demeure pourtant dans l’espace. Je
suis le rituel, le sacrifice et l’offrande. Je suis la prière et le feu de
l’oblation. Je suis le soutien de l’univers, le père, la mère, et le
grand-père. Je suis l’objet de la connaissance, le OM, le Reg, le
Yajur, et le Sāma Véda. Je suis le but, le soutien, le Seigneur, le
Témoin, la Demeure, le Refuge, l’Ami, l’Origine, la Fondation et la
Dissolution. Je dispense la chaleur, J’envoie et retiens la pluie. Je
suis la mort et l’immortalité. Je suis l’Absolu et le temporel. Je suis
278
l’origine de tout, et tout émane de Moi. Je suis le commencement, le
milieu, et la fin de la création. Je suis le jeu des tricheurs, l’éclat de
ce qui brille, la victoire des victorieux, la bonté des hommes bons. Je
suis le silence des secrets, et la connaissance des savants.
Ô Arjuna ! Je vais maintenant t’expliquer mes plus hautes
manifestations divines, car elles sont sans fin. Je suis l’Esprit à
l'intérieur des êtres. Je suis leur commencement, leur milieu, et leur
fin. Je suis l'origine et le temps infini. Je suis VişĦu parmi les fils
d’Aditi. Je suis le soleil resplendissant et la lune parmi les étoiles. Je
suis Sāmaveda parmi les Védas. Je suis Indra parmi les dieux. Je suis
le mental parmi les sens et la conscience des vivants. Je suis Siva
parmi les Rudras et Kubera parmi les Yakşas et les démons. Je suis
le feu parmi les Vasus, l’Himālaya et le mont Meru parmi les
montagnes. Je suis le prêtre pour les dévots et le combat pour les
guerriers. Je suis l’océan pour les eaux. Je suis le grand sage au
dessus des sages. Je suis l’arbre banyan parmi les arbres. Je suis le
Roi et l'Amour. Je suis le foudre parmi les armes et le printemps
parmi les saisons. Je suis le crocodile parmi les poissons et le saint
Gange parmi les rivières. Je suis l’origine et la semence de tous les
êtres, et il n’y a rien d’animé ou d’inanimé qui puisse exister sans
Moi.
Ô Arjuna ! J’ai de multiples faces dans toutes les directions.
Contemple mes milliers de formes de toutes formes et couleurs et ces
multiples merveilles. Je suis la mort et le destructeur, et Je suis venu
détruire ces guerriers. Pour Moi, tous sont déjà morts. Lève-toi donc
et combats, car tu es seulement l'instrument. Tu vas vaincre et tu
jouiras de ton royaume. Je vais te décrire l’objet de la connaissance
qui procure l’immortalité. L'Être Suprême, (Para-Brahman) est sans
commencement ni fin. Il n'est ni éternel ni temporel. Il est
omniprésent et omniscient. Il perçoit tout sans les organes des sens.
Dépourvu des trois modes de la Nature matérielle, Il en jouit en
devenant une entité vivante. Il est intérieur et extérieur des tous les
êtres, animés et inanimés. Il est à la fois très proche car il réside dans
l'intérieur de l’homme, et pourtant très loin dans sa Demeure
Suprême. Il est indivis et semble pourtant divisé entre les êtres. Para-
279
Brahman est la source de toutes les lumières. Il se trouve au-delà les
ténèbres de Māyā. Il est la connaissance du Soi et son objet.
Ô Arjuna ! Sache que la Nature matérielle et l’Être Spirituel sont
tous deux sans commencement. Toutes les manifestations et les trois
dispositions du mental et de la matière sont nées de Prakriti qui est
la cause du corps physique, tandis que Purusha, la conscience, est la
cause du plaisir et de la douleur. Sache que l'Être Spirituel jouit des
trois modes, Gunas, de la nature matérielle en s’associant avec
Prakriti. L’attachement humain aux trois modes est due à
l’ignorance causée par le Karma, des incarnations précédentes. Il est
la cause de la naissance en de bonnes ou mauvaises matrices. Ceux
qui comprennent vraiment l'union de la Nature matérielle et de l’Être
Spirituel dans ses trois modes n’ont plus à renaître. Ma Prakriti est la
matrice de la création. En elle Je place la Purusha, la semence de la
Conscience. De là provient la naissance des êtres. Quelles que soient
les diverses formes produites dans les matrices, la Nature matérielle
est leur mère car c'est elle qui donne les corps, et Je suis le père, moi
Krishna, l'Être Spirituel qui donne la semence et la vie.
Ô Arjuna ! Nos nourritures préférées sont aussi de trois sortes. Les
aliments qui accroissent la vertu, la force, le bonheur, et la joie, sont
goûteux, substantiels et nutritifs. Ils conviennent aux personnes du
mode bonté. Les aliments amers, aigres, secs ou brûlants causent
douleur et maladies. Ce sont ceux du mode passion. Ceux préférés
par les ignorants sont gâtés, fades ou impurs, tels les rebuts, la
viande et l’alcool. Le devoir, la charité, et l’austérité doivent être
accomplis sans rechercher leurs fruits. La connaissance qui perçoit la
Réalité immuable, indivise dans le divisé, est du mode bonté. La
connaissance qui montre les réalités multiples dans les êtres distincts
appartient au mode passion. La connaissance irrationnelle qui
s’attache au seul singulier, le confondant avec le tout, relève du
mode ténébreux de l’ignorance. Fixe ton mental sur Moi, adore Moi
et mets de côté toute recherche de mérite. Abandonne-toi
complètement à Ma volonté dans une foi sincère, et Je te libérerai
des chaînes du Karma. Je te le promets, mon ami, car je t'aime. N’aie
pas de peine !
280
Ô Arjuna ! C'est là !
L’enseignement précieux de la Gîta
.
Jagannâtha, le Seigneur de l’Univers.
La Bhagavad-Gîtâ est le sixième livre du Mahâbhârata qui en compte
dix-huit. C'est un poème symbolique, également de dix-huit chants,
écrit par le poète Vyâsa dont on ignore où et quand il vécut. La
Bhagavad-Gîtâ s'achève avant le combat. La bataille de Kurukshetra
reprend ensuite jusqu'à la victoire totale des Pandavas, et Krishna
quitta alors la région de Dvârakâ. Entré en méditation dans la forêt, Il
fut frappé au talon par la flèche de Jâras, un chasseur qui l'avait pris
pour un daim. Son esprit se sépara de son corps terrestre qui resta
longtemps sans sépulture. Ses ossements furent retrouvés et
recueillis plus tard, et ces reliques sont vénérées à Puri. Le sculpteur
divin Vishvakarma représenta alors Krishna sous la forme de
Jagannâtha ce qui signifie "Le Seigneur de l'Univers".
La légende dit que le sculpteur fut dérangé dans son travail qui
demeura une ébauche grossière. C'est ainsi que les images les plus
sacrées de l'hindouisme sont aussi les plus étranges, les plus simples
et les moins figuratives du symbolisme hindou. Or, nous savons
combien l'art de cette culture est précieux, délicat et raffiné. La
simplicité de cette représentation est donc évidemment voulue et
chargée de sens. Il est probable qu'en réalité, les Hindous ne veulent
donner à leur divinité suprême aucune figuration anthropomorphe.
Dans une mythologie très polythéiste, cela est tout à fait étonnant.
C'est que le mythe de Krishna ne s'aborde pas vraiment avec
l'intellect mais surtout avec le coeur. Ceci nous ouvre un large et
281
nouveau champ de méditation sur la signification profonde du
mythe.
282
CHAPITRE 16 – Le Tao të King et le Taoïsme
en Chine.
Avant les Cieux et la Terre, il y avait une substance primordiale.
Elle était sereine et sans forme.
Elle existant de par Soi, homogène,
omniprésente, sans aucune limitation.
C'était la Mère Universelle, Volonté.
Je ne sais pas son nom mais je l'appelle Tao.
Si je suis forcé de la qualifier, je l'appelle :
sans bornes, illimitée, immense, infinie.
Sans bornes, je la dis Inconcevable.
Inscrutable, je la dis Inaccessible.
Inaccessible, je la dis Omniprésente.
Tao est l'Unique, le Principe et la Fin.
Elle embrasse Tout et Tout retourne à Elle.
Il est un être confus qui existait avant le ciel et la terre.
Ô qu'il est calme ! Ô qu'il est immatériel !
Il subsiste seul et ne change point.
Il circule partout et ne périclite point.
Il peut être regardé comme la mère de l'univers.
Moi, je ne sais pas son nom.
Pour lui donner un titre, je l'appelle Voie (Tao).
En m'efforçant de lui faire un nom, je l'appelle grand.
De grand, je l'appelle fugace.
De fugace, je l'appelle éloigné.
D'éloigné, je l'appelle (l'être) qui revient.
C'est pourquoi le Tao est grand, le ciel est grand,
la terre est grande, le roi aussi est grand.
283
Le Tao të King ou "Livre de la Voie et de la
Vertu"
Avant d'attaquer cette étude, il convient de préciser qu'il faut bien
distinguer la pensée taoïste qui est une philosophie antique, et la
religion taoïste. Toutes deux, en Occident, sont couramment
appelées 'taoïsme' ce qui est évidemment ambigu. Nous
commencerons donc par le commencement, à savoir par l'origine et
les bases de la pensée taoïste. On dit que la philosophie taoïste aurait
été fondée, il y a deux mille six cents ans, par Lao Tseu qui a exposé
cette pensée dans un ouvrage universellement connu, le Tao të King,
(qu'on prononce 'Dao'). Ce n'est pas tout à fait exact. Il en a établi
les bases dans les propositions contenues dans son ouvrage. Leur
interprétation est cependant délicate comme on peut s'en rendre
compte en comparant les deux traductions suivantes.
On traduit le surnom Lao-Tseu par "Le vieil enfant" car il serait né
avec des cheveux blancs. Il aurait été archiviste à la Cour impériale
de Chine, six cents ans avant notre ère. Puis il aurait quitté la cour, et
au lieu dit 'passe de Han Kou', il aurait transmis au garde de la
frontière, le Tao të King, un texte qui comporte plus de cinq mille
caractères chinois. Ensuite, Lao Tseu disparaît. Quatre cents ans plus
tard, le personnage est devenu une légende tout autant qu'un saint
homme. Son ouvrage est magnifié et un mouvement philosophique
se constitue alors autour de sa pensée. Á ce moment naît tardivement
le Taoïsme philosophique. Il pose essentiellement des principes
métaphysiques primordiaux et n'aborde pas les notions de Yin et de
Yang qui apparurent ultérieurement.
284
La pensée taoïste originelle
L'homme qui connaît (le Tao) ne parle pas.
Celui qui parle ne le connaît pas.
Je voudrais cependant tenter de vous en rapprocher et je vais donc
devoir vous en parler. J'en dirai d'abord que le Dao serait la source
d’où sortent toutes les choses déterminées. Et par opposition, il est
donc l’indéterminé. C’est pourquoi il est si difficile à définir. Cette
indétermination même le rend insaisissable. Si on le nomme, on le
détermine ou on le qualifie et il perd alors tout son sens. Mais il est
cependant possible de comprendre sa nature. Car il est cela même au
cœur de tout qui donne naissance à tout. C'est en ce sens, qu'il peut
être expérimenté par l'esprit, de l'intérieur, mais qu'il ne peut jamais
être rationalisé, de l'extérieur, par l'intellect.
Le Dao qu’on tente de saisir
n’est pas le Dao lui-même,
Et le nom qu’on veut lui donner
n’est pas son nom adéquat.
On nomme souvent cette indétermination "le vide absolu ou le nonêtre". Et, puisque toute chose particulière et déterminée émerge de
cette source mystérieuse, nous pouvons considérer que nous sommes
une partie de ce qu'elle est en son tout. Donc, comme toute chose,
nous sommes nous mêmes en liaison avec l’indéterminé, ce qui
permet peut-être de comprendre au moins ce qu’il n’est pas. Le Tao
serait le lien reliant l'indéterminé au déterminé, le plein au vide,
l’être au non-être. Car le déterminé ne peut provenir que de
l’indéterminé. Toutes les choses et les êtres proviennent du
déterminé et sont donc en liaison avec l'indéterminé primordial.
285
Á l'encontre du Taoïsme religieux qui propose des pratiques bien
spécifiques, la philosophie taoïste n'impose aucune discipline de vie
ni méthode particulière pour accéder au bonheur. Elle conseille
simplement de se libérer de toutes les questions métaphysiques qui
encombrent la pensée. Elles resteront de toute façon sans réponse
parce que elles ne peuvent essentiellement en recevoir. Il est dit que
le Tao ne peut être décrit mais toute perception intuitive du Tao ne
peut être absolument fausse puisque le Tao englobe aussi toute
activité mentale indéterminée. Il est dit aussi que le Tao pourrait
être approché par la "non-pensée" et la "non-action", ou "wei-wuwei".
Tous les êtres sont issus de l’Être
et l’Être est issu du Non-Être.
Par le non-être saisissons son secret
et par l’être abordons son accès.
La philosophie taoïste affirme que tout chercheur dispose des
fondements de la connaissance à l'intérieur de son être puisqu'il est
en liaison avec la Réalité primordiale. Pour la retrouver, il doit donc
chercher à s'associer au cours naturel de l'univers. Le mouvement qui
va de l'indéterminé au déterminé est à la base de toute chose. Dans la
nature, les transformations s'accomplissent d'elles mêmes. S'opposer
à la marche des évènements est une erreur et il ne convient pas d'agir
en ce sens. Il faut aussi laisser s'établir intérieurement la liaison avec
le vide originel et abandonner la particularité de l'être individuel pour
retrouver la vérité et la simplicité premières.
286
Les principes du Tao philosophique.
Le Wei wu wei, (ou non-agir), et le non-être.
En Occident, le principe taoïste du "non-agir" semble généralement
assez mal compris. Le comportement proposé par Lao-Tseu
n'implique absolument pas la passivité. Bien au contraire, il incite au
rejet des passions et des désirs qui visent à satisfaire la personnalité
actuelle et sont en contradiction avec la loi naturelle fondamentale de
l'évolution. Non agir, c'est cesser de s'opposer à force naturelle
d'émergence procédant du Tao. Non agir, c'est donc libérer la
puissance intérieure vivante qui transformera notre nature matérielle
et animale en un mystère à venir, celui qu'en ce temps nous sommes
généralement convenus d'appeler la dimension spirituelle.
Nous faisons tous partie de la nature qui est perpétuellement en
transformation. C'est son essence même que d'être en mouvement.
Dans sa vie terrestre, l'objectif de l'homme est de se mettre en
harmonie avec ses lois essentielles, c'est à dire de suivre ses 'voies'.
Cette notion de voies de la nature a pu faire assimiler le Tao à un
chemin à suivre pour accéder à la connaissance ultime. Mais le Tao
n'est pas un chemin. Il est ce mystère insaisissable mais réel qui relie
le plein et le vide, l'être et le non être. Le vide n'est en aucune façon
le néant puisqu'il engendre toute chose. Le plein est contraire au vide
mais ils sont complémentaires et n'existent pas l'un sans l'autre.
Nous ne pouvons concevoir le Tao parce qu'il est la Réalité absolue
et que notre intelligence est limitée. De ce fait, il ne peut être
appréhendé par l'esprit, d'aucune manière. Pour nous, il n'a donc
aucun sens sens et parait être le néant. Tout ce que nous pouvons
concevoir comme appartenant au réel n'est que l'apparence
intelligible des choses. En réalité, elles sont engendrées par la Réalité
287
absolue et finalement elles retournent toutes en elle. Notre illusion
est immense. Tout ce que nous concevons comme "réel" ne l'est pas,
mais ces aspects de la réalité émanent cependant de la Réalité
absolue. La réalité véritable est l'unique totalité de la Réalité absolue.
Le Tao étant inconcevable, on ne peut cheminer vers lui par ni la
pensée ni par l'action. En effet, le Tao étant perçu comme vide
absolu ou néant, nous ne pouvons pas nous orienter consciemment
vers cet indéterminé. Cependant, sans penser ce néant, nous pouvons
nous laisser intuitivement attirer par la Réalité absolue. Nous n'irons
pas vers elle mais nous laisserons son courant, son mouvement, venir
à nous. Pour que cette réunion sacramentelle soit possible, il faut
que notre être privé, notre personnalité, se libère de ses attaches
terrestres et se retire. C'est ce retrait que Lao Tseu suggère par l'idée
de 'non être' qui complète la pratique du Wei wu wei.
« L'œuvre une fois accomplie, retire-toi...
Telle est la loi du Ciel ! »
288
La religion taoïste et le syncrétisme
Le Taoïsme antique s'était enraciné sur un fonds de croyances
populaires, la recherche d'une forme d'immortalité, et plus
tardivement, sur la notion de complémentarité du Yin et du Yang.
Au coeur de cette antique pensée philosophique, il faut replacer
l'Homme. Car c'est bien le rôle de la philosophie d'aider chacun à
trouver sa juste place et son équilibre au sein de l'immense et
insaisissable mystère de son origine et de son destin. Dans le
Taoïsme, celui qui parvient à réaliser la fusion de son énergie vitale
(le gi) avec l'énergie universelle devient un homme accompli, un
"homme du Dao", un "zhenren". Mais, petit à petit, la spiritualité
céda la place aux rites et la philosophie taoïste se transforma en une
religion qui semble définitivement établie vers la fin du deuxième
siècle de notre ère.
Imaginons en Occident un édifice exposant simultanément
les symboles des trois religions du Livre
devant lesquels les fidèles pourraient librement et pacifiquement
pratiquer leurs différents cultes respectifs.
On voit que cela est actuellement devenu possible en Chine.
Cette religion taoïste s'est diversifiée en de nombreuses écoles
faisant référence à deux principaux courants. Le "daojia" est un dao
mystique, religieux et élitiste qui recherche l'état zhenren par la
méditation mystique, l'étude des textes taoïstes classiques, l'ascèse
ou l'érémitisme. Par contraste, le "daojiao est un dao populaire qui
utilise plutôt la magie, l'alchimie, la médecine chinoise
traditionnelle, la maîtrise sexuelle et la diététique. Le daojiao a du
affronter le confucianisme et le bouddhisme dont les clergés étaient
très organisés. S'influençant mutuellement, les trois religions ont
alors partagé certains concepts. Dans la Chine moderne, elles se
confondent la plus souvent en une religion syncrétique sans prêtres
dont les diverses pratiques utilisent parfois les même s temples.
Les écoles religieuses taoïstes
289
Dans la croyance taoïste, le corps physique est mortel dans la mesure
où il s’éloigne du Tao. En conséquence, la préservation et le
développement de l’énergie vitale, (le qi), par des exercices de
respiration et d’autres techniques y compris alchimiques pourraient
permettre d'amener le corps en harmonie avec le Tao et d’atteindre
ainsi l’immortalité. Cette quête taoïste demeura longtemps au coeur
de la culture chinoise Sous l’influence ultérieure du bouddhisme, on
y ajouta la pratique des bonnes actions. Au 2ème siècle après J.-C.,
Zhang Ling se proclama "Maître céleste" au nom de Lao Tseu.
Celui-ci devint alors l'homme qui avait donné vie à la terre. Ainsi
naquit l'école patrilinéaire des "Maîtres Célestes" qui fleurit en Chine
jusqu'à l'instauration du régime communiste. Son siège est
maintenant à Taiwan.
Parmi les autres écoles du taoïsme religieux, la seule qui ait
actuellement survécu est celle de la "Perfection Totale", une école
monastique fondée sous les Yuan. Les taoïsmes religieux et
philosophique ont aussi exercé une influence sur la diaspora
chinoise. Ils ont été diffusés en Corée et au Japon où ils influencèrent
le Shinto originel. Le zen japonais et le bouddhisme Chan en sont
très proches. Par ailleurs, les techniques militaires décrites par Lao
Tseu ont fait évoluer les méthodes individuelles. Les hommes de
l’époque ont différencié philosophiquement deux pratiques de
combat, l’une cherchant à les doter d’une arme de mort, l’autre à les
élever spirituellement. On trouve là les origines de la dangereuse
boxe de Shaolin, source du Karaté, et l'art de l'esquive caractérisant
le Jiu- jitsu.
L'actuel syncrétisme religieux chinois a produit des comportements
cultuels qui sont à la fois des philosophies et des religions. De façon
étonnante, aucun ne fait cependant appel à la notion d'un créateur du
Monde ou d'un souverain Maître de l'univers. Ils révèrent des forces
naturelles, des principes cosmogoniques, des personnages historiques
ou légendaires déifiés. Ils y ajoutent le culte des ancêtres, la pratique
de vertus cardinales ou morales traditionnelles ainsi que la recherche
d'une certaine forme d'immortalité. Las actes des hommes ne doivent
pas marquer la nature. Des offrandes peuvent être faites dans les
290
temples. Elles sont même parfois carnées chez les Confucéens. Les
autres fidèles tiennent les idéaux végétariens en haute estime comme
en témoigne la forte progression actuelle du végétarisme.
291
Le Yin-Yang ou Taijitu
Le concept central du Taoïsme, le Dao, est partagé par le
Confucianisme et même par une partie des Bouddhistes, mais les uns
et les autres l'interprètent cependant différemment. Aux yeux des
Occidentaux, l'aspect le plus caractéristique du Taoïsme est celui
développé par l'école du Yin Yang dont les symboles entrelacés
signifieraient la structure de la nature manifestée. Ils feraient
référence aux cotés ombrés d'une colline ou d'une vallée dont les
aspects contrastés auraient attiré l'attention des Maîtres. Pour cette
école, le Yin est l'énergie femelle et son reflet lunaire, la froideur,
l'obscurité et la passivité, et le Yang est l'énergie solaire, la force
mâle, la lumière et la chaleur. Le Yin et le Yang sont des principes
totalement indépendants, sans aucune notion de valeur relative, de
bien ni de mal. Elles ne peuvent jamais exister l'une sans l'autre et se
complètent mutuellement, assurant l'équilibre de toute existence.
L'utilisation du Taï Ji peut prendre un sens implicite en fonction de
son orientation. Dans le tableau ci-dessus, ce sens est YIN pour le
symbole bleu et le restera si on le remet à l'endroit. Il est Yang pour
le rouge. Le sens est renforcé par l'association avec une couleur. Ici,
les couleurs renforcent les polarités des symboles. Autour des
spirales du Taï Ji des groupes de trois bâtonnets sont disposés en
octogone. Certains sont rompus, d'autres ne le sont pas. Il s'agit d'une
autre forme symbolique du développement de la théorie taoïste des
deux Yi, (les deux principes fondamentaux résidant au sein du Dao).
Le tiret interrompu symbolise le Yin et le tiret continu représente le
Yang. Les deux Yi, le Yin et le Yang, pris deux à deux, produisent
quatre combinaisons particulières, les quatre formes, (les quatre
Xiang), qui engendrent eux-mêmes les huit trigrammes spécifiques
du Ba Gua, la couronne entourant le Taï Ji.
Le Yi-Jing, ou Livre des Mutations, n'est pas un
livre taoïste
292
Le Yi-Jing (ou Yi King) est un ouvrage majeur de la Chine antique.
Il a été élaboré plus de mille ans avant notre ère, et les parties les
plus anciennes remonteraient à la première dynastie des Zhou
occidentaux. La tradition chinoise en attribue la composition à quatre
sages, Fo Hi, le roi Wen, le duc de Zhou, et Confucius. Le système
complexifie les trigrammes inventés par le légendaire Fuxi, en les
combinant et en ajoutant les points cardinaux. Le Yi King n'est donc
pas vraiment un livre. C'est plutôt un traité technique dont la finalité
est de systématiser l'interprétation d'hexagrammes oraculaires en les
reliant aux états du Monde et à leurs évolutions. Il est destiné à
faciliter la prise de décisions et la résolution des problèmes par la
divination. Le Yi King ne paraît pas être constitutif du Taoïsme mais
semble demeurer son compagnon constant. Il l'a précédé, l'a côtoyé,
et survivra probablement à son affaiblissement actuel.
293
CHAPITRE 17– Le Cao Daï indochinois
Introduction
Le Cao Dai est la troisième religion du Vietnam. Elle a été fondée
dans les années vingt à Tây Ninh, près de Saigon, par un adepte
taoïste nommé Ngô Van Chiêun. C'est une religion syncrétique qui
tente d'unifier les concepts du bouddhisme, du confucianisme, du
taoïsme, du christianisme, de l'islam, du judaïsme, et même de
quelques formes locales d'animisme. Le nombre actuel des fidèles est
mal connu en raison de la situation politique du pays. Il se situe entre
deux et quatre millions dont les deux tiers étaient originellement
bouddhistes. Le Caodaïsme admet fraternellement tous les hommes
de bonne volonté sans distinction de croyance, de race, ni de rang
social. C'est sur la ferveur et les mérites des fidèles que se bâtit la
hiérarchie. Les Caodaïstes sont monothéistes. Ils croient en un seul
dieu dont le même esprit s'est manifesté chez divers grands sages et
prophètes tels Lao-tseu, Confucius, Bouddha, Moïse, Jésus ou
Mahomet. On trouve aussi au Vietnam une autre religion syncrétique
assez analogue, issue du Bouddhisme, le Hoa Hao. Elle compte au
moins deux millions de fidèles et réunit bouddhisme, taoïsme,
confucianisme et culte des ancêtres, mais elle exclut les autres
confessions.
Ngô Van Chiêun, le fondateur taoïste de la religion caodaïste en
1919, était un fonctionnaire annamite, délégué administratif dans
l’île de Phu Quôc au Siam. Il pratiquait le spiritisme et découvrit
l'existence d'un monde occulte. Il travaillait avec des médiums qui le
mirent un jour en contact avec un "Esprit Supérieur" répondant à
l'étrange appellation de "Cao Dai", Le Palais suprême. En 1926, Ngô
Van Chiêun rencontra d'autres spirites qui utilisaient des tables
frappantes qu'ils remplacèrent bientôt par un accessoire préconisé par
Allan Kardec, la «corbeille à bec», dont la tête écrit directement les
messages reçus. Les communications devinrent alors plus rapides,
294
plus abondantes et moins fatigantes. Le 24 Décembre 1925, jour de
Noël, l'Esprit connu sous le nom de Cao Dai se révéla comme étant
l'Être Suprême et conseilla de le représenter sous la forme
symbolique d'un oeil toujours ouvert signifiant l'omniprésence de
Dieu. Usant de la voie spirite, la manifestation divine évitait de
soumettre la nouvelle religion à l'autorité morale d'un Père fondateur
qui aurait faire preuve d'intolérance. Favorisant ses propres
croyances et refusant les vérités proclamées par d'autres religions, il
en eut altéré l'universalité.
Le Cao Dai étonne par l'étendue de son syncrétisme et de sa
tolérance. Il surprend encore, et doublement, par l'utilisation du
symbole maçonnique de l'oeil ouvert dans un triangle, puis par
l'utilisation du canal spirite dans sa révélation fondatrice. Ce n'est
pourtant pas, en soi, plus scandaleux, (au sens étymologique), que
l'illumination reçue par de nombreux fondateurs. Les voies de Dieu
ne sont elles pas impénétrables? Après la révélation de la divinité de
l'Esprit invoqué, Ngô Van Chiêun recruta plus de vingt mille fidèles
en deux mois. La nouvelle religion d'étendit rapidement et il en
devint rapidement le grand prêtre. Il fit construire près de Saigon la
cathédrale de Tay Ninh avec dôme et clochers. C'est un temple
immense et merveilleux qui comprend une longue et haute nef très
décorée appuyée sur des rangées de colonnes enroulées de dragons.
Au fond se dresse un autel sur lequel repose une énorme sphère
lumineuse représentant l'univers. C'est le "Globe du Très-Haut", fait
d'une ossature de bambou tendue d’étoffe transparente. Il est
illuminé de l'intérieur par une lampe perpétuelle qui figure l'âme de
tous les vivants. L’œil rayonnant de Cao Daï y est représenté sur un
fond de nuages et d’étoiles.
Le Cao-Dai et le Hoa Hao ont parfois des attitudes surprenantes.
Issues du Bouddhisme, ces groupes sont végétariens et s'interdisent
le meurtre et la violence. Cependant, à partir de 1940, ils se
politisèrent et constituèrent des milices armées qui intervinrent dans
les conflits régionaux. L'armée privée du Cao Dai soutint ainsi les
envahisseurs lors de l'invasion japonaise. Associée à de nombreuses
dissensions internes, cette attitude amena l'autorité coloniale
française à fermer les temples et à en déporter les dirigeants à
Madagascar en 1941. Après la guerre, la situation s'améliora
295
progressivement et la liberté des cultes fit rétablie. Pendant le conflit
indochinois, le Coa-Dai joignit d'abord le front du Viêt Minh puis
appuya l'armée française. En 1954, les accords de paix signés à
Genève mirent fin à cette situation ambiguë, mais les groupes armés
religieux restèrent en activité. Le Président du nouveau Vietnam,
Ngö Dinh Diêm, décida alors de briser la puissance de ces milices
privées en les intégrant de force dans l'armée nationale. En 1956, les
hauts dignitaires s'engagèrent enfin à revenir à des activités
strictement religieuses, rendant au Cao-Dai sa traditionnelle sérénité.
La religion du Cao Daï
Le Caodaïsme est une doctrine visant essentiellement à la fusion des
trois principales religions de l'Orient, le Bouddhisme, le Taoïsme, et
le Confucianisme, dont elle recommande de vénérer les fondateurs
comme l'on vénère le Christ en Occident. Pour réaliser l'unité
fraternelle des religions, le Caodaïsme pratique une très large
tolérance envers toutes les formes de foi religieuse, acceptant même
les adeptes de l'antique "Culte des Génies" et ceux du Christianisme.
L'appellation Cao-Dai est le nom symbolique choisi par l'Être
Suprême qui s'est révélé au fondateur de la nouvelle religion par la
voie de la médiumnité. Le Caodaïsme tend à concilier toutes les
convictions religieuses tout en s'adaptant à tous les degrés de
l'évolution spirituelle. Le Caodaïsme croit en un seul Dieu, c'est à
dire à un grand Être dont l'Esprit s'est manifesté aux grands sages et
aux prophètes tels Moïse, Jésus, Mahomet, Bouddha, Confucius et
Lao-tseu. L’Être suprême, s’était déjà manifesté dans Bouddha et
Jésus-Christ au cours des deux grandes périodes antérieures. C'est
pourquoi le nom complet du caodaïsme est "Daï dao tam ky phô do"
qui signifie "la grande voie de la troisième période qui délivre les
âmes captives aux enfers". Les caodaïstes nomment cette délivrance
« amnistie ».
Inspirée pour une grande part des doctrines des anciennes
religions orientales, le Caodaïsme en reconnaît les principes comme
étant des vérités éternelles, exprimant la Loi Divine essentielle.
296
Cependant, lorsqu'elle considère que certaines de ces vérités ont été
altérées ou déformées par la superstition ou l'ignorance, la nouvelle
religion se propose de rétablir leur véritable sens. L'enseignement
général du Cao-Dai est résumé dans les formules suivantes. Au plan
moral, il rappelle les devoirs de l'homme envers lui-même, sa
famille, la société et l'Humanité. Au plan philosophique, il enseigne
le mépris des honneurs, de la richesse, du luxe et des servitudes liées
à la matière et préconise la recherche de la tranquillité de l'âme. Au
plan cultuel, il prône l'adoration de Dieu, Père de tous, et la
vénération des Esprits Supérieurs. Le Cao-Dai admet le culte des
ancêtres mais proscrit les offrandes carnées et les papiers votifs. Au
plan spiritualiste, il croit en la survivance de l'âme et à son évolution
par les réincarnations, ainsi qu'aux conséquences posthumes des
actions humaines réglées par la loi du karma. Au plan vue initiatique,
il révèle aux adeptes qui s'en montrent dignes, les vérités permettant
d'engager le processus d'évolution spirituelle menant à la béatitude.
Le nombre des fidèles caodaïstes exige un important clergé. Il
comporterait 3.115 membres élus et hiérarchisés dont un Pape, (Duc
Giao Tông), 3 Cardinaux Censeurs, (Chuong Phap), 3 Cardinaux
régulateurs du culte, (Dâu Su), 36 Archevêques, 72 Évêques et 3000
Prêtres. Le fondateur avait prévu un Bouddha, deux ou trois
Immortels, trente six Saints, soixante douze Sages, et trois mille
Prêtres. Les tenues sacerdotales sont distinctives. Le Pape porte une
robe blanche brodée du "Bat Quai", (les 8 trigrammes) et il est coiffé
de la Mitre pontificale. Les 3114 autres dignitaires sont répartis en
trois branches portant des tenues de couleurs différentes. Les "Thai
Thanh" représentent la branche du Bouddhisme et portent des
vêtements jaunes. Les "Thuong Thanh", les Taoistes, sont vêtus de
bleu, et les "Ngoc Thanh" confucianistes sont en rouge. Dans les
trois branches, il y a un nombre illimité d'élèves-prêtres. Comme les
fidèles, ils sont vêtus de blanc. Un collège féminin a ses propres
dignitaires avec une "femme cardinal" à sa tête. Cette Vénérable a
les mêmes devoirs et les mêmes pouvoirs que ses homologues
masculins. Elle a donc autorité sur les prêtres masculins. Cependant,
le collège féminin n’est pas éligible pour occuper les titres de Pape ni
de Censeur
297
La structure hiérarchisée du clergé reflète le schéma de la conception
du Monde selon le Cao Dai. On retrouve le même concept trinitaire
dans l'architecture du grand temple de Tay Ninh. Au fond se situe le
"bát-quái-Çài", le Temple Octogonal de la Direction Divine. Il
figure l’âme de la religion. On y trouve l’autel consacré à Dieu et
aux esprits supérieurs, tels les bouddhas, les immortels, les saints et
les génies. C'est la partie très sacrée du sanctuaire, réservée au divin.
Plus bas, on trouve le "hiŒp-thiên-Çài", le Temple de l’Alliance
Divine. Il représente l’organe de la communication entre le monde
invisible et le nôtre. C'est également un lieu sacré qui est réservé au
pouvoir spirituel. Les plus hauts dignitaires s'y mettent en liaison
spirite et spirituelle avec la divinité et ses émanations, et ils y
élaborent les lois religieuses. Enfin, plus éloigné de l'autel, s'étend la
grande nef du "cºu-trùng-Çài", le Temple des Neuf Degrés de
l’Évolution, qui représente le corps de la religion, la partie physique
du Monde. Cette partie du temple est accessible à tout le clergé, des
plus hauts dignitaires jusqu'au reste de la hiérarchie. On y célèbre les
offices et les divers actes du culte. Les hommes s'y tiennent à droite
et les femmes à gauche, et ils gagnent les étages par des escaliers
différents.
Les adeptes du Caodaïsme se répartissent en deux degrés, le "thuong
thua", le degré supérieur, et le "ha thua", le degré inférieur. Tous les
religieux proprement dits, des dignitaires aux simples moines,
constituent le premier degré. Ils s'alimentent de façon exclusivement
végétarienne et respectent certaines obligations rituelles et cultuelles.
Ils s'interdisent tout luxe et toute relation sexuelle, et leur vie est
entièrement vouée au service de la religion. Les autres fidèles
constituent la masse des croyants. Ce sont des adeptes du second
degré qui vivent de façon ordinaire. Leurs obligations religieuses
consistent à pratiquer le culte quotidien et à observer les règles de
conduite prescrites par le nouveau code religieux, le Tân luat. Tous
les fidèles sont astreints aux "Ngu gioi cam", les 5 interdictions tirées
de la morale bouddhique, ne pas tuer, ne pas être cupide, ne pas
commettre d'acte de luxure, ne pas faire grande chère, ne pas pécher
en paroles. Les adeptes du second degré doivent arriver
progressivement à l'alimentation végétarienne. Ils commencent par
s'abstenir d'aliments carnés un nombre déterminé de jours par mois.
Ils débutent par le "soc vong", un régime temporaire de deux jours
298
par mois, passent au "luc trai", (six jours), puis au "thap trai", (dix
jours), et enfin au mois complet.
Les objets sacrés sur l’autel Cao Daï
Au centre, en dessous de l’Oeil divin, la "Lampe du Premier
Principe ou de la Monade" brille jour et nuit. Elle symbolise le TAO
qui illumine tout l'Univers, et elle est aussi "La Lampe de la
Conscience" qui illumine chaque homme. Un vase de fleurs de cinq
couleurs est placé sur la gauche. Un plateau de fruits est placé sur la
droite. Une tasse d'eau pure est disposée du côté des fleurs et une
tasse de thé du côté des fruits. Elles représentent respectivement le
"Principe Positif ou Yang et le Principe Négatif ou Yin". Entre les
deux tasses sont posés trois verres d'alcool. Ensemble, les fleurs,
l'alcool et le thé représentent les "Trois Précieux Éléments"
constitutifs de l'être humain. Dans cette symbolique ternaire, les
fleurs représentent le "Sperme ou l'Essence" de la matière, l'alcool
représente le "Souffle ou l'Énergie vitale", et le thé représente
"l'Esprit Divin ou le Principe Intelligent".
En avant et au milieu de l'autel, il y a un brûle-parfum. On y brûle
cinq baguettes d'encens à chaque séance de prière. Ces cinq
baguettes d'encens représentent les cinq organes internes de
l'homme, le coeur, le foie, l'estomac, les poumons et les reins. Ils
correspondent respectivement aux cinq éléments composant l'univers
dans la tradition chinoise, le Feu, le Bois, la Terre, le Métal, et l'Eau.
Le nombre cinq est aussi celui des cinq degrés croissants de
l’initiation. Enfin, à droite et à gauche du brûle-parfums, se trouvent
deux chandeliers avec deux bougies blanches qui représentent
encore la dyade du Yin et du Yang. L'ensemble veut signifier que le
pratiquant qui unifie en lui les Trois Précieux Éléments, l'Essence de
la matière, le Souffle vital et l'Esprit divin, en s'aidant des méthodes
et techniques de la méditation caodaïste parvient à l'Illumination et
se crée un deuxième corps d'éther invisible avec lequel, au moment
299
de la mort de son corps physique, son esprit regagnera le Séjour des
Bienheureux.
Les cinq baguettes sur l'autel du Cao Dai symbolisent les cinq degrés
de l’initiation bouddhique, la pureté, la méditation, la sagesse, la
connaissance supérieure, la libération karmique. L'adepte initié doit
pratiquer la méditation. Cet exercice l'aide à se détacher du Monde
pour arriver à une intimité avec le Soi Supérieur, cet Être qui réside
secrètement à l'intérieur de chaque homme. Dans ce recueillement de
l'âme recherchant l'identification avec l'Âme universelle, l'adepte
dissipe les illusions du monde et découvre les vérités essentielles.
300
Aspects du Culte
Même si des religions comme le Christianisme occidental ont été
secondairement intégrées au projet, l'unification des trois grandes
religions orientales, Bouddhisme, Taoïsme et Confucianisme,
constitue l'objectif majeur du Caodaïsme. Le concept essentiel est
celui du Tao qui désigne la force, le souffle de l'infini immense et
sans forme préexistant à l'Univers. En "Cela" existent deux principes
opposés et complémentaires, le Yang positif, et le Yin négatif. Il
s'unissent pour donner naissance à la Grande Source de Lumière
Divine et à l'Être Suprême appelé Dieu, source de toutes choses. Sur
le plan terrestre, le Tao est à la fois l'énergie et la voie mystique que
suivent les âmes incarnées par erreur dans le monde terrestre pour
revenir vers leur nature et leur demeure premières. Pour les aider
dans cette démarche, Dieu est intervenu au cours de deux périodes
dans le passé, en s'incarnant dans des êtres humains. Cela permit la
fondation de nombreuses religions, mais elles n'ont pas atteint
complètement leurs buts. Dans une humanité aujourd'hui plus
évoluée, le mot "Cao Dai" a été donné par Dieu pour désigner son
intervention par la voie du spiritisme, en cette troisième période
d'amnistie, c'est à dire de pardon ou de rachat des âmes.
Il y aurait eu deux périodes de manifestations divines avant cette
troisième période actuelle du Coa Dai. La première période date de
plus de 2500 ans avant J.-C. Les religions suivantes furent alors
créées, l'Humanisme par l'Empereur Fou-Hy (4477-4363 avant J.-C.)
en Chine, le Culte des Saints en Chine par l'Empereur de la
Littérature (Van Xuong Dê Quân), le Judaïsme en Asie Mineure par
Moïse, le Taoïsme en Chine par le Maître Suprême du Tao (Thai
Thuong Dao Tô), le Bouddhisme par le Très Ancien Bouddha
Dîpankara (Nhiên Dang Cô Phât) et l'ancien Bouddha Amitabha
(A Di Dà Phât) en Inde, et le Védisme ou Brahmanisme primitif en
Inde également. Le seconde période commence au 5e siècle avant J.-
301
C. et se termine vars l'an 1500. De nouvelles religions apparurent, le
Confucianisme fondé par Confucius en Chine, le Culte des Génies
par Khuong Thai Công en Chine, le Christianisme par Jésus Christ
en Judée, l'Islam par Mahomet en Arabie, le Taoïsme par Lao Tseu
en Chine, ou le Bouddhisme par Cakyamuni en Inde. En cette
Troisième Période, pour le salut de l'humanité, Dieu lui même aurait
fondé le Caodaïsme sous le nom "Cao ñài Tiên Ông ñåi BÒ Tát MaHa-Tát" (L'Immortel Bodhisattva-Mahâsattva Cao Dai).
Dans le temple de Tây Ninh, on vénère les statues ou images de
Confucius, de Laozi, du Bouddha, du Christ, de Quan Vo, (général
chinois divinisé), de Li Taibo, (grand poète taoïste), ou de la déesse
bouddhique Quan Am. De façon plus surprenante, on invoque aussi
Jeanne d’Arc, Shakespeare, Pasteur, Lénine, Churchill, Camille
Flammarion, le spirite Allan Kardec, Sun Yat-sen et surtout
Victor Hugo (auteur des "Misérables"), quoique le poète ne soit pas
en France un modèle de vertu. Face à la lampe sphérique figurant la
Monade universelle, on fait chaque jour des offrandes et l’on dit des
prières à six heures, midi, dix-huit heures et minuit. Puis on chante
un hymne en l’honneur de Dieu et des Trois Grands Saints. Lors des
grandes cérémonies, un prêtre conduit les prières et les hymnes. Des
fleurs, de l’alcool, du thé et cinq baguettes d’encens sont offerts sur
l'autel durant le culte. Les fleurs symbolisent le sperme, Tinh,
l'essence de la matière, l’alcool, le souffle vital, Khi, et le thé,
l’esprit, Than, les trois composantes essentielles de l’homme. Dans
la pureté du coeur, on travaille à transformer l’énergie vitale en
énergie mentale, puis en énergie spirituelle. Et les cinq baguettes
d'encens symbolisent les cinq degrés de l’initiation bouddhique.
302
Être Caodaïste
Le Cao Dai est une religion austère qui demande à ses adeptes un
engagement important. Les candidats doivent être parrainés par deux
adeptes qui initient le catéchumène à la doctrine aux lois de la
religion. Le jour de son adhésion, le néophyte fait acte de foi devant
l'autel. Un dignitaire vient alors installer "l'autel divin" chez le
nouveau converti. Le culte caodaïste est un acte d'adoration. La
prière altruiste doit être journellement pratiquée par les fidèles, et
elle est considérée comme nécessaire au salut des âmes. Pour être
admis à l'Initiation, la première condition est une totale pureté, du
corps, des actes, du langage, et de la pensée. La conversion confère
le titre d'adepte. Il y a deux catégories d'adeptes. Ceux du degré
inférieur, (Ha Thua), ont encore des attaches avec le monde et
suivent un régime végétarien partiel. Ils doivent observer les "cinq
interdictions" et les autres lois religieuses applicables à leur
catégorie. Ceux du degré supérieur, (Thuong Thua), suivent un
régime exclusivement végétarien. En plus des "cinq interdictions",
ils se conforment aux "quatre principales observances". Les adeptes
du degré inférieur qui respectent les obligations peuvent être admis à
recevoir un début d'initiation dans des cellules de méditation.
Les cinq interdictions s'imposent à tous les fidèles. 1 - Ne pas tuer
les êtres vivants. 2 - Ne pas être cupide, ne pas voler ni garder un
objet trouvé, ni se livrer aux jeux d'agent. 3 - Ne pas commettre
d'acte de luxure, ne pas prendre la femme d'un autre ni exciter à
l'amour par des paroles flatteuses. 4 - Ne pas faire grande chère,
éviter tout excés de table et se garder de l'ivresse, ne pas user de
boissons enivrantes ni de mets recherchés. 5 - Ne pas pécher en
parole ni mentir, ne pas tromper ni altérer la vérité, ne pas se vanter,
ni juger ou se moquer des autres, ne pas pousser à la haine ni
prononcer d'injures, ni blasphémer, ni manquer à sa parole. Les
adeptes du degré supérieur doivent aussi suivre les quatre
303
observances. 1 - Obéir aux ordres des supérieurs, accepter les
suggestions des inférieurs, se montrer poli envers tout le monde,
reconnaître ses torts et s'en repentir. 2 - Ne pas tirer vanité de ses
talents, s'oublier pour les autres et les aider dans la religion, se garder
des rancunes personnelles. 3 - Être d'une honnêteté absolue en
matière d'argent. Enseigner sans hauteur et sans morgue. Conseiller
sans irrévérence. 4 - Conserver une attitude respectueuse vis à vis
des supérieurs, présents ou absents. Placer l'intérêt général avant
l'intérêt personnel.
Le Cao Dai pourrait être comparé à la religion syncrétique chinoise.
Cependant, le Cao Dai respecte toutes les croyances d'autrui quand
elles ne conduisent pas au fanatisme et à l'hérésie. En dehors de
l'adoration fondamentale du Dieu Suprême, ses adeptes peuvent
librement vénérer d'autres dieux s'ils ont conquis leur cœur. Les
Caodaïstes considèrent que les autres religions émanent aussi de la
divinité. Ils admettent toute religion fondée sur les révélations de la
conscience et du cœur ou sur la nature psychique de l'individu et sur
les sentiments d'amour et de solidarité de la société humaine. Dans
une attitude de très grande tolérance, ils tendent donc à synthétiser
tous les systèmes religieux et philosophiques pour essayer de
satisfaire au besoin de certitude métaphysique des âmes
contemporaines. Ils ignorent également l'esprit de race et les patries
terrestres et les confondent toutes dans l'Unité divine embrassant tout
l'univers. Ils témoignent de fraternité envers tous les hommes et de
bonté envers les animaux, et même envers les végétaux. Les
Caodaïstes doivent se vouer en toute circonstance au service du
prochain. Ils doivent être prêts à aider leurs semblables et à tendre
une main secourable à tous ceux qui ont besoin de son aide.
304
CHAITRE 18 – Le Jaïnisme
La svastika dans le Jaïnisme
Étrange rencontre que celle de l'antique symbole de la
non violence la plus absolue avec celui du brutal et récent
mouvement nazi. La svastika est une image habituelle de
la destinée cyclique de l'univers dans diverses religions
orientales. Pointant vers la droite, elle symbolise sa
construction ou son évolution tandis que vers la gauche,
elle représente son involution ou sa destruction. La
svastika est encore plus importante dans le Jaïnisme où,
avec le cobra à sept têtes, elle figure aussi le septième
saint, Thîthankara Suparshvanâtha. Les Thîthankara sont
les 720 maîtres jaïns divinisés après avoir atteint la
libération de l'âme par la résolution de leur karma. Mais
les Jaïns utilisent aussi d'autres symboles.
Origine du Jaïnisme
Le Jaïnisme est un mouvement religieux indien indépendant du
Bouddhisme. Cependant, comme lui, c'est à la fois une religion et
une philosophie. Le Jaïnisme aurait été fondé par le réformateur
Pärshvanatha, fils d’un roi de Bénarès. Parvenu à la connaissance
suprême par la méditation et l’ascèse, ce prophète aurait unifié
différentes chapelles et fait connaître la Loi jaïna à ses nombreux
disciples, avant de se laisser mourir de faim. D'autres sources
considèrent que le véritable fondateur du Jaïnisme fut son
successeur, Mahâvira, le 24e et dernier des grands guides spirituels
de la tradition jaina. Il réforma la religion des Jaïns au 6e siècle avant
J.C. et en durcit la discipline. Le Jaïnisme semble être antérieur à
305
l’hindouisme. Les Védas, écritures sacrées hindouistes très
anciennes, indiquent que les Jaïns sont les premiers Tirthankara, (les
Maîtres divinisés). La différence essentielle entre la spiritualité
jaïniste et l’hindouiste, c'est que le Jaïnisme est une religion sans
dieu. Pour les Jaïns, le divin réside dans tous les êtres vivants mais
pas dans l'inanimé. C'est un concept dualiste qui différencie JIVA,
l'âme, et AJIVA, la matière. La Jiva est l’énergie sensible de la
conscience, de la connaissance et de l’intuition. L’Ajiva est ce qui ne
contient pas cette énergie sensible. Il y aurait actuellement 5 millions
de Jaïns en Inde et dans d'autres pays.
Le Jaïnisme est une philosophie basée sur le principe de la non
violence. C'est l'AHIMSA, la règle éthique suprême. La règle va bien
au-delà de l’abstention de toute violence. Elle requiert la sollicitude
et l’amour dans le comportement quotidien. Pour les jaïns, l'Ahimsa
signifie la non violence assumée en permanence dans la pensée, dans
les paroles et dans les actes. Ce principe fondamental n’admet
aucune dérogation ni incitation active ou passive à la violence. Il
exige une considération attentive des relations établies avec tous les
êtres vivants. L’engagement jaïna influence la vie de tous les jours.
Les Jaïns sont végétariens mais la pratique du végétarisme n'est
qu'un principe parmi d’autres. Les Jaïns doivent être vertueux et sont
tenus d'exercer une profession accordée à leur philosophie. En effet,
dans le Jaïnisme, chaque pensée, chaque mot, chaque acte, est une
cause qui entraîne une conséquence, un karma, une charge qui lie
l'âme à la matière. La violence, l’avidité et la haine alourdissent cette
charge et renforcent ce lien, tandis que la quête de connaissance et
les bonnes actions, l’affaiblissent. Le but de la vie est de se libérer du
lien karmique. L’âme doit se détacher de la matière et mourir en état
de liberté pour sortir du cycle des réincarnations. Les saints
Tirthankaras dont les statues sont honorées dans les temples auraient
réalisé cette libération.
La seconde règle éthique de la philosophie jaïna est
l’ANEKANTAVADA. Elle incite à comprendre la relativité de ce qui
est perçu de la réalité qui est trop complexe pour être envisagée d'un
seul point de vue. Il faut donc l'appréhender sous divers aspects pour
en prendre une certaine connaissance. Ceci implique une grande
tolérance à l'égard de l'avis des autres, et les Jaïns n'imposent pas
306
leurs opinions par la violence verbale. Les Jaïns appliquent le
principe de non violence, (ou de non nuisance), de la façon la plus
large possible. Ils ne consomment aucune chair animale, n'acceptant
que les végétaux et des produits laitiers. Les plus stricts s'abstiennent
aussi de racines pour ne pas blesser de petits animaux en les
extrayant du sol. De nombreux moines et nones, et même les laïcs,
prononcent des voeux d'ascétisme plus ou moins contraignants selon
leur état. Cette attitude devrait les amener à une plus grande pureté et
les détacher de l'avidité pour les biens matériels. Les religieux
portent généralement sur eux un petit balai ou un plumeau
caractéristique avec lequel ils nettoient le sol de la poussière et des
insectes avant de s'asseoir. Les moines sont répartis en deux écoles
qui travaillent ensemble. Les "Shvetambaras" sont simplement
habillés d'un tissu blanc. Les "Digambaras" sont "habillés par le ciel"
et vivent complètement nus, même en public.
La doctrine et la cosmogonie jaïna
La doctrine Jaïna comporte trois fondements, les trois joyaux de la
connaissance, de la foi, et de la conduite. La connaissance est
l’attribut essentiel de l’âme. Elle repose sur les perceptions
sensorielles qui permettent de comprendre les véritables natures de
l’espace et du temps. Les âmes, éternellement vivantes, existent en
nombre infini. Ces entités spirituelles habitent les organismes
corporels auxquels elles sont liées. Les organismes possèdent
plusieurs corps plus ou moins subtils, le corps physique des hommes
et des animaux, le corps de transformation des dieux et des démons,
le corps de transfert qui permet à certains hommes d’agir à distance,
le corps ardent qui donne l’énergie, et le corps karmique qui contient
le poids du passé. L’âme peut s’incarner dans les êtres mobiles
d’espèces différentes mais aussi dans des être immobiles. C’est le
corps karmique, construit par les actes, qui cause la servitude de
l’âme, (pure de nature), tant qu’elle est attachée à un organisme
corporel, (impur de nature). Les liens de l’âme sont les passions
engendrées par le karma. Pour libérer l’âme, il faut se détacher des
passions, ce que permet la seule religion. A la mort, l’âme libérée de
la matière karmique rejoint le sommet de l’univers. Dans le cas
307
contraire, elle reste dans le corps karmique puis se réincarne dans
une nouvelle existence, humaine, divine, animale, ou infernale.
L'ancienneté de la religion jaïna a laissé tout le temps nécessaire à
l'élaboration d'une cosmogonie extraordinairement complexe et
structurée. Ici, l'espace est intemporel et composé de deux régions
concentriques. Comme une immense enveloppe indéfinie, un non
monde ultra cosmique vide et illimité entoure le cosmos où sont
localisés tous les êtres matériels ou animés, et où vivent aussi les
âmes. Ce cosmos intérieur est lui-même composé de trois mondes
distincts superposés. Le supérieur est un merveilleux monde divin.
Le médian est le lieu matériel où vivent les hommes, les animaux et
les puissances stellaires. Le ténébreux monde inférieur est rempli
d'horreurs indescriptibles. Le temps régit le monde médian des
hommes et des astres qui tourne en reproduisant indéfiniment des
conditions périodiques analogues. Dans chacune de ces périodes, le
Jaïnisme distingue deux phases, l'une ascendante dans le bonheur et
l'autre descendante dans le malheur, avec chacune six degrés. Nous
sommes malheureusement aujourd'hui dans le Kali-Yuga, à la fin du
cinquième degré de la phase descendante, l’âge de discorde et
d’hypocrisie. Au cours de cet âge de fer, la véracité, la pureté, la
clémence, la miséricorde, tous les principes de spiritualité, la
mémoire, la durée de vie et la force physique vont en se dégradant
progressivement jusqu’à disparaître presque complètement à la fin
du cycle.
Le monde inférieur s'enracine sous le monde médian des hommes. Il
comprend sept régions superposées d'étendues croissantes avec la
profondeur. Des espaces importants les séparent. Ces lieux ténébreux
sont épouvantables, tantôt glacés, tantôt brûlants. Ils sont peuplés
d'êtres horribles ou misérables et de particules animales et végétales
dont la situation est en relation avec le poids de leur Karma. Dans les
régions les plus élevées vivent des divinités néfastes qui peuvent
gagner le monde médian des hommes. Les plus profondes sont des
lieux infernaux peuplés par les âmes des criminels. Le monde
supérieur commence très au-delà des étoiles. Il compte de nombreuse
régions de pure beauté. Elles sont éclairées d'une brillante lumière.
De merveilleuses divinités y habitent, qui échappent aux lois
temporelles. Leur taille diminue avec la hauteur où elles siègent. La
308
première zone compte douze étages (kalpa) dont certains sont
doubles. Comme les communautés terrestres, ces domaines divins
sont régis par des princes et leurs épouses, leurs conseillers, leurs
cours, et même leurs armées. Les divinités des kalpa inférieurs
vivent dans le luxe et la volupté mais le renoncement aux désirs croit
avec l'élévation dans les étages. Deux régions suivent également
découpées en plusieurs étages progressivement purifiés. Enfin, la
coupole du monde supérieur est le lieu de séjour des âmes libérées.
Entre ces deux extrêmes le monde médian est un immense disque qui
tourne autour du Mont Méru. C'est là que vivent les hommes et les
Génies stellaires avec les astres qu'ils gouvernent. Les continents
centraux ou lointains sont séparés par des océans. Le continent
central circulaire est appelé "Jambûdvïpa". les différentes espèces
humaines vivent dans une partie de ce lieu. C'est au sud que se
trouve l'Inde, le "Baratavarsa" dont les frontières sont peuplées de
barbares. Au delà habitent d'étranges races humaines d'une beauté
surprenante qui vivent librement à l'abri des lois karmiques. Mais en
Inde, ces lois régissent l'existence difficile des hommes qui doivent y
gagner leur délivrance. Dans ce monde vivent aussi de très
nombreux animaux et végétaux divers ainsi que d'innombrables
animalcules et particules dont certaines attendent encore leur
première expérience karmique. Des divinités le parcourent parfois,
venant des mondes supérieurs ou inférieurs pour y répande le bien et
le mal. D'autres y résident de façon permanente, comme les dieux
locaux avec toutes leurs cours, ou les dieux régissant les merveilleux
chars des astres. Les cinq classes de dieux stellaires existent tous en
double, et les deux membres tournent autour du Mont Meru à
l'opposé l'un de l'autre. Ainsi, au Nord comme au Sud de la
montagne , au matin comme au soir, on ne voit jamais qu'un soleil ou
qu'une lune à la fois.
Le continent central circulaire du monde médian est le "Jambûvïpa",
ou "Île du Pommier rose", c'est-à-dire l'Inde. Au Nord et au Sud du
Mont Méru central, il est partagé en sept régions par des chaînes de
montagnes courant de l'Est à l'Ouest. Les rivières qui en descendant
vont se jeter dans l'océan circulaire qui entoure le continent. Le
Jambûvïpa, le Monde des Hommes, est soumis aux lois du temps et à
celles du karma. L'écoulement du temps dans ce monde est
309
comparable à la rotation d'une roue dont les périodes analogues
appelée "éons" ou"kalpa"se suivent en se répètant indéfiniment.
Chaque Kalpa comporte deux phases de chacune six degrés.
L'humanité passe d'abord progressivement de la félicité la plus
élevée à la misère la plus noire. La roue continue de tourner et la
destinée reprend son cours en sens inverse, conduisant les hommes
du malheur total au bonheur complet. Au cours de chacune de ces
très longues phases, de nombreux personnages dits "éminents"
apparaissent. Parmi ceux-ci, on compte vingt-quatre prophètes, les
"Jina" ou "Tirthamkara", (ou traceurs de gué) qui sont des guides sur
le chemin de la délivrance. S'y ajoutent douze "Souverains
universels", vingt-sept paladins ainsi que des législateurs. En ce
cinquième âge qui est le nôtre, nous serions aujourd'hui sur la fin
d'une phase descendante ce qui explique l'état misérable du Monde.
La communauté jaïna
Le Jaïnisme est la plus ancienne "religion philosophie" du monde.
On a découvert dans la vallée de l'Indus des statues jaïns qui datent
de plus de 3500 ans avant notre ère. Ses principes n'ont pas changé
depuis 5000 ans. Son influence en Inde demeure importante. Le
Jaïnisme s'efforce d'y faire disparaître le système des castes, il
s’oppose à l’esclavage, il propose un statut pour les intouchables et
essaye de rendre les individus plus autonomes à l'égard des
superstitions. Zélateurs de la non violence, les Jaïns ont inspiré la
politique de Gandhi. Ils n’ont jamais essayé d'imposer leurs
principes par la force contrairement aux autres grandes religions, et
ils acceptent tous ceux qui voudraient y adhérer. L'appellation "Jaïn"
vient du sanscrit Jina dharma, la religion des Jina, c'est à dire des
vainqueurs, des humains dont l'âme a remporté la victoire. Tout le
monde peut devenir un Jina. Il y a deux catégories de Jina. On
distingue les Jina ordinaires, qui sont simplement soucieux de leur
salut personnel, et ceux qui ont atteint la connaissance suprême et
montrent aux autres la voie de la libération. Ces guides spirituels
sont appelés "Tirthankaras". Les Jaïna ne croient pas en un dieu
créateur, et le monde serait incréé et éternel. Cependant, ils ne sont
310
pas athées. Ils croient que les seules véritables formes divines sont
des êtres qui ont réussis à libérer leurs âmes. Et une âme libérée
devient un dieu.
L'activité des Jaïna tend à briser le cycle des réincarnations de l'âme
dans des formes corporelles. Pour cela, ils doivent appliquer le
principe de la non violence afin de détacher les mauvaises particules
karmiques de leur âme. Libérée, elle sera promise à une infinité de
bonheur, de connaissance, de perception, et de pouvoir, devenant
ainsi un dieu. Pour travailler à cette libération de l’âme, il faut suivre
des principes, ou vœux. Il y a deux sortes d'engagements. Les fidèles
laïques prononcent de petits vœux, en fonction de leurs possibilités,
et les religieux, moines ou ascètes, prononcent de grands voeux qu'ils
appliquent avec une grande rigueur. Le Jaïna s’engage à respecter
cinq interdits, ne pas nuire aux êtres vivants, ne pas mentir, ne pas
voler, ne pas manquer à la chasteté, ne pas s’attacher aux biens
matériels. "Ahinsa", le principe de non violence envers tous les
vivants, conduit à ne pas manger de viande, de poisson, ni même de
miel, ne pas porter de cuir, de fourrure, de soie ou autre matière
nécessitant la mort d' un animal. Il ne faut pas tuer les insectes
dérangeants, éviter de les écraser en marchant ou qu'ils se noient
dans un seau, ou qu'ils se brûlent sur une bougie. etc.. Les ascètes
balayent le sol avant de marcher ou de s'asseoir pour ne pas écraser
de petits insectes, et ils se couvrent même la bouche d’un tissu blanc
pour ne pas risquer d’en avaler. "Ahinsa" est le vœu premier des
Jaïna.
Le principe de non violence est préconisé par beaucoup de religions
mais les jaïns en prescrivent la stricte application. Les voeux
suivants découlent du principe d'Ahinsa. Le second, "Satya", engage
à ne pas mentir, ni d'égarer dans la fausseté, et réfléchir avant de
parler pour ne pas blesser par ses paroles. "Asreya" est le vœu de
l’honnêteté, ne pas voler ni prendre ce qui n’a pas été donné.
"Brahmacharya" concerne la sexualité. Pureté sexuelle pour les
laïques et chasteté pour les ascètes. Le viol, la pédophilie, la
zoophilie sont contraires à l’Ahinsa. "Aparigraha" interdit l'avidité et
toute forme d’attachement pour l’argent et les biens matériels, et
même pour les personnes. Par extension c’est le voeu de restreindre
les possessions qui attirent jalousie et violence. Tous ces voeux
311
conduisent à vaincre la nature matérielle par le travail spirituel.
Quatre vertus supplémentaires sont conseillées, "Maitri", l'amitié
envers tous les êtres vivants, "Pramoda", la joie de rencontrer des
êtres plus avancés, "Karunya" la compassion pour les malheureux,
"Madhasthya", l'indifférence envers la discourtoisie subie. Dix vertus
générales doivent être pratiquées, l'indulgence, la sensibilité, la
droiture, la pureté, la loyauté, la sobriété, l'austérité, le renoncement,
le détachement, et la chasteté. Ces principes purificateurs sont à
appliquer avec rigueur tant pour alléger le karma propre de chacun
que pour celui des autres.
Un Jaïn est disciple d’un "Jina ou Tirthankara", un Maître spirituel.
Le "Sangha" actuel (communauté jaïne) est celui de Mahāvira. Il se
compose des Sādhus (moines), les Sādhvis (nonnes), les Shrāvakās
(hommes laïcs), les Shrāvikās (femmes laïques). Le Jaïnisme a
connu divers schismes qui ont engendré plusieurs sectes. Le dernier
a séparé les Digambara et les Svetambara qui interprètent
différemment la même doctrine. Les Digambara (vêtus de ciel),
considèrent la nudité (historique) comme absolument nécessaire à
l'obtention du salut. Les Svetâmbara (vêtus de blanc), assurent
qu'elle n'est pas essentielle. Les Digambara disent que la femme doit
renaître sous la forme d'un homme pour obtenir la libération. Les
Svetâmbara affirment qu'elle est capable de la même réalisation
spirituelle. Les Digambara pensent qu'un ascète omniscient peut se
passer de nourriture, (inacceptable pour les Svetâmbara). D'autres
différences mineures concernent l'histoire du Jaïnisme, la parure de
statues ou la nourriture des ascètes. Les moines Svetâmbara
mendient partout leur nourriture. Les Digambara la prennent debout,
dans la paume des mains, issue des seules maisons où leur pensée
secrète (sankalpa) est satisfaite. Les ascètes Svetâmbara peuvent
posséder quatorze objets utiles. Les Digambara n'en possèdent que
deux, un balai à plumes de paon (picchi) et un pot à eau en bois
(kamandalu).
Dans la recherche de son salut, l'âme est paralysée car elle est
emprisonnée dans son association avec la matière karmique du
Monde. Le cheminement vers sa libération passe par la
"Ratnatrayamarga", une triple voie marquée par le concept
remarquable de "Justesse". La JUSTESSE, c'est la qualité de ce qui
312
est juste, exact, pertinent, parfaitement approprié à son intention. Il
est demandé aux Jaïns d'avoir "la foi juste", d'être convaincus de la
justesse des principes fondamentaux du jaïnisme, d'être exempt de
perversité, de soutenir les principes jaïns, de détourner les gens des
superstitions, d'être exempt d’orgueil. Ils doivent aussi avoir "la
connaissance juste", celle des principes jaïns acquis par l’écoute et la
lecture des écritures, en les comprenant correctement et avec
l’ouverture d’esprit convenable. Il leur faut enfin mener "la conduite
juste" en parfait accord avec la foi et la connaissance justes. Il leur
faut encore distinguer la conduite imparfaite des laïques et la
conduite sans réserve des ascètes qui essayent de réaliser
présentement leur salut. Seule la vie en religion conduit à la
Délivrance (siddhi). Á sept ans et demi, un enfant peut entrer en
noviciat pour devenir moine. Il est ensuite consacré. Les cheveux
rasés, il revêt la robe monastique, reçoit un nouveau nom, prononce
les cinq vœux et entre dans un groupe pour pratiquer la Loi,
"l’Acarya"sous la stricte direction d'un Maître.
313
Les engagements des Jaïns
Le moine Jaïn est itinérant, se tenant dehors sauf pendant la
mousson. Il ne possède qu'une pièce d’étoffe qu’il ne doit ni laver ni
réparer, un bol à aumône, et un plumeau pour écarter les insectes
(plus un bandeau placé devant sa bouche). Ses journées comptent
quatre périodes, réservées chacune à une occupation précise, étude,
méditation, tournée d’aumône, sommeil. Il doit étudier les textes
rituels et les formules convenues. Il ne mange que le jour pour éviter
d'avaler des moucherons. Les repas journaliers sont soumis aux
prescriptions de jeûne. Le moine doit confesser ses défaillances et les
racheter par des pénitences. Membre de la communauté, il doit y
pratiquer l’entraide et dispenser son soutien spirituel aux laïcs. Ceuxci sont étroitement intégrés à la communauté et astreints, eux aussi, à
l’observance de vœux. Tout Jaina s’engage à respecter les cinq
interdits, ne pas nuire aux êtres vivants, ne pas mentir, ne pas
s’approprier le bien d'autrui, être chaste, ne pas s’attacher aux biens
matériels, et de plus ne pas manger de nuit. Pour les religieux, ces
cinq interdits sont des vœux majeurs extrêmement rigoureux. Les
laïcs assurent la vie matérielle des religieux, construisent et
entretiennent des temples, et soutiennent les déshérités, y compris les
animaux vieux et malades qu’ils recueillent dans des hospices
spéciaux.
Le laïc n’est soumis qu’à des vœux mineurs, mais sa vie n'est pas
facilitée pour autant. Ceux-ci sont en effet complétés par sept règles
de moralité. Le laïc s’interdit toute action inutile ou risquée et limite
ses activités dans l'espace. Il s’imposer la modération et médite
plusieurs fois par jour. Il limiter ses occupations. Il jeûne le jour et
veille la nuit au moins deux fois par mois. Il distribue toutes sortes
d’aumônes. La vie du laïc progressant en perfection rejoint ainsi la
vie religieuse. Certains Jaïns pratiquent le culte des statues des Jinas
(Maîtres) et allument une lampe devant elles. Les cultes plus
élaborés comportent des rites journaliers effectués dans un temple.
314
Certains jaïns ne révèrent pas les statues, préférant la méditation et
les prières silencieuses. Le culte peut prendre de nombreuses
formes. Il existe un rite du bain de la statue (snatra puja) qui
symbolise celui du Tirthankara nouveau-né fait par les êtres célestes,
que l'on peut faire chez soi. Il y a aussi une pratique comprenant une
série de prières destinées à ôter les karmas. Les Jaïns ne vénèrent pas
un Dieu éternel auquel ils ne croient pas. Le culte concerne
seulement les grands êtres qui ont atteint la Divinité par eux-mêmes.
Il ne font pas de sacrifices ni d'offrandes quelconques ni de prières
dans le but spécifique d'en obtenir des faveurs.
La base essentielle de la religion jaïna est l'ascèse comportementale
qui conduirait à la libération de l'âme. Dans la communauté jaïne, les
laïcs demeurent étroitement reliés aux ascètes. L'état laïque prépare à
celui d'ascète. Les règles prescrites pour les laïcs et pour les ascètes
ne diffèrent pas en genre, mais en degré. Les seconds doivent les
pratiquer de façon rigoureuse. Lorsque qu'un laïc a observé
convenablement les règles et franchi les étapes coutumières, il est
qualifié pour devenir un ascète. Son admission est une cérémonie
d'ordination appelée diksha. L'étape ascétique prescrit un complet
renoncement complet au monde. Le seul objectif devient la libération
de l'âme (moksha). L'ascète abandonne toute entrave, (y compris les
vêtements pour les seuls moines Digambara). Les moines
Svetambara et toutes les nonnes portent des vêtements très simples,
blancs ou orange. Par le respect des voeux monastiques et la pratique
des jeûnes, mortifications, études et méditations, les moines essayent
de se débarrasser des charges du karma pour échapper à l’esclavage
de la transmigration. L’ascèse jaïna comporte douze sortes d'ascèse,
six externes et six internes, et les Jains distinguent quatorze niveaux
de qualification spirituelle au sein desquels les individus s’élèvent
mais peuvent aussi redescendre au niveau inférieur.
L'examen des austérités montrent la rigueur du déni de soi que les
ascètes ont à mener. Jeûner, c'est manger moins que suffisant, ou
n'accepter la nourriture qu'à certaines conditions gardées secrètes,
renoncer chaque jour à un aliment plaisant ou non cuit. Les ascètes
s'exercent constamment à jeûner et ont élaboré une technique
efficace au point d'accepter le jeûne absolu lorsque la mort arrive.
315
Même les laïcs peuvent être autorisés à jeûner jusqu’à en mourir.
L'ascète s'assoit ou dort dans un lieu retiré et mortifie son corps. Il
pratique la confession, le repentir, le respect, la modestie, l'assistance
aux autres ascètes, l'étude des écritures du Canon, l'abandon de
l'attachement au corps et la concentration de l'esprit. La méditation
est l'exercice spirituel le plus important. L'ascète doit aussi pratiquer
un certain nombre d'observances propres. Les digambrara observent
les vingt règles coutumières avec une rigueur progressive. Ils y
ajoutent la nudité, l'arrachage manuel périodique des cheveux,
l'interdiction de se baigner, l'obligation de dormir sur un sol dur,
l'abstention de se laver les dents, l'obligation de manger debout et
l'interdiction de manger plus d'une fois chaque jour. Les grands
Maîtres auraient conseillé la modération dans l'application de ces
dures règles de conduite qui reflètent la rigidité dogmatique du
Jaïnisme.
Le Festival de Bahubali
La statue colossale de Bahubali est un monolithe de granit de
22 mètres de haut.
C'est actuellement l'une des deux plus grandes statues du
Monde.
Sculptée en 981 de notre ère, elle a plus de mille ans.
Elle s'élève au sommet d'une colline qui surplombe la ville de
Shravana Belgola.
Tous les douze ans, un grand festival très populaire est
organisé.
La statue est successivement arrosée de plusieurs bains
colorés et reçoit diverses offrandes.
Le plus célèbre des lieux de pèlerinage jaïns en Inde du Sud est celui
de Shravana Belgola, au Karnataka. La colossale statue debout du roi
Bahubali s'élève en haut d'un escalier de 620 marches sur une colline
de 145 mètres. Elle mesure 22 mètres de haut et 8 mètres de large.
Ce monolithe fut taillé il y a mille ans dans un énorme bloc de
316
granite. Un temple à galeries l'entoura ensuite. C'est la plus grande
des statues de Bahubali existantes en Inde. Dans les temples jaïns,
les statues sont rituellement entièrement lavées chaque jour. Ce rite
quotidien n'est effectué que sur les pieds de cette gigantesque
sculpture. Cependant, tous les douze ans, un grand échafaudage est
construit afin d'arroser copieusement la statue d'un mélange d'eau et
d'offrandes colorées diverses. Avec chants et danses, des centaines
de milliers de fidèles assistent à ces cérémonies. Les dernières ont eu
lieu en 1993 et 2006. Fils de Rishabha, le premier Tirthankara,
Bahuli et son frère Bharat étaient rois de royaumes voisins. Jaloux de
son frère, Bharat lui déclara la guerre. On la remplaça par un combat
entre les frères. Vainqueur, Bahubali devint le souverain commun.
Troublé par ce combat, il décida d'abandonner son royaume pour se
consacrer à l'ascèse jusqu'à atteindre l'illumination spirituelle. Et il
demeura debout, nu, pendant des mois, dans une contemplation
continue, de sorte qu'une vigne s'enroula autour de son corps.
317
CHAPITRE 19 - Le Shintô Japonais
Le Soleil, symbole du Japon.
Le Shintoïsme est la plus ancienne religion du Japon. Il
remonte à l'époque Yayoi qui dura six siècles, du 3ème siècle
avant au 3ème siècle après notre ère. Le Yayoi a succédé à
l'époque Jômon, datant de 8 000 ans. Le terme Yayoi désigne
la culture du Chalcolithique japonais qui vit les débuts de l'âge
du bronze et de l'âge du fer. C'est le nom du quartier de Tôkyô
où en furent découverts les premiers vestiges. Le mot Shintô
est dérivé des racines chinoise shen et tao qui évoquent un
cheminement vers les dieux. L'équivalent japonais traditionnel
est le terme kami-no-michi qui a la même signification. Les
divinités vénérées par les adeptes du shintô sont les kami dont
trois mille sanctuaires, ou "jinja", parsèment le Japon. Les
kami sont innombrables. Il y en aurait des millions car le
terme désigne toutes les manifestations des forces ou les
énergies actives ou latentes dans la nature. On peut même
considérer que chacun peut invoquer un kami personnel.
Les Kami.
Le Shintô est une forme traditionnelle d'animisme qui donne, à
travers ces "Kami", un caractère divin à tout ce qui est ressenti
comme puissant ou menaçant, ou même à ce qui sort tant soi
peu de l'ordinaire, tel une montagne, un arbre, une croisée de
chemins, une profession. Il trouve probablement son origine
dans des traditions primitives provenant des Jômon. Il ne faut
pourtant pas considérer que le Shintô soit polythéiste. Son
318
approche est plutôt panthéiste, considérant que toute la matière
universelle est infiltrée par une énergie de nature divine. Un
Kami apparaît lorsque cette force se manifeste en troublant
l'uniformité de la nature. Bien évidemment, ces manifestations
prennent des formes multiples aussi bien dans la matière
inanimée que dans les être qui l'animent. C'est pourquoi il y a
tant de Kami, à commencer par la déesse du Soleil dont la
puissance est manifestée dans le ciel, et le dieu des tempêtes
qui déchaîne les vents sur les cotes du Japon.
Izanagi et Izanami, les Kami fondateurs.
Cette mythologie shintoïste était restée très floue jusqu'au
8ème siècle. Elle fut alors consignée par écrit dans le Kojiki,
une chronique rédigée pour lutter contre l'introduction du
Bouddhisme par les Chinois. Il fut établi que le Japon devrait
son origine à un couple de divinités, Izanami-no-Mikoto,
l'Hôtesse, (Celle qui invite), et Izanagi-no-Mikoto, l'Hôte,
(Celui qui invite). Penchés sur l'océan par delà le pont céleste
qui relie Matsue et Izumo, ils frappèrent les eaux d'une lance
et en firent émerger l'île Onogorojima dans laquelle ils
s'installèrent. En s'unissant, ils produisirent toute la nature et
les autres îles de l'archipel et finirent par donner naissance à
tous les autres kami dont les plus importants sont Amaterasu,
la rayonnante déesse du Soleil, et son frère Susano-o, le
terrible dieu des tempêtes. Mais les Kami peuvent être aussi
les ancêtres car ils sont la manifestation de la force divine qui
a généré la famille. Il est donc légitime de leur rendre un culte
assidu. Avec la recherche de pureté, le culte des ancêtres
caractérise la culture shintô.
319
Amaterasu, la grande déesse du Soleil.
Les destins des deux kami les plus importants de la
mythologie shintoïste sont agités. Le terrible Susano-o vécut
sur Terre et y épousa la princesse Kushinada. Leurs
descendants régnèrent sur le pays d'Idzumo. La brillante
Amaterasu gagna le ciel, baignant la Terre de ses rayons. Mais
Susano-o se conduisit très mal, terrifiant sa soeur qui
s'enferma dans sa caverne, plongeant la Terre dans l'obscurité.
On lui présenta le Miroir de la Justice. Elle y contempla son
reflet, prit conscience de sa beauté et regagna le ciel.
Réconciliée avec son frère, elle en eut un fils, Oshi-o-Mimi.
Elle chargea un jour son petit fils, Ninigi, de ramener l'ordre
dans les Îles Sacrées. Il s'y rendit avec les symboles du Shintô,
le Miroir de Justice, les Joyaux de l'Arbre, et le Sabre
Magique. Il y épousa la princesse Hanasakoya-Hime. Ses
descendants (kami) conquirent le Japon. L'un d'entre eux,
"Iware", en fut reconnu le premier empereur divin. C'est ainsi
que le clan du Yamato légitima le pouvoir absolu de
l'empereur lorsqu'il supprima la féodalité et fonda la dynastie
impériale. Il proclama son ascendance divine depuis son
ancêtre, la grande déesse solaire Amaterasu-ô-mikami.
Le culte de la pureté.
Amaterasu-ô-mikami occupe la première place parmi tous les
kami. Ceux-ci ne sont perçus comme des dieux mais plutôt
comme des protecteurs qu'on se garde d'offenser. Le Shintô
n'est pas réellement une religion car il n'a pas de dogme ni de
morale. C'est une démarche spirituelle particulière aux
Japonais. Elle consiste en une participation consciente à la
divinité universelle, pure et harmonieuse de la nature.
320
L'impureté, la laideur, la bassesse et la mort caractérisent le
mal. Il y avait un enfer et des démons dans le Shintô primitif.
Le but du Shintô vise à réaliser la purification du pratiquant. Il
ne se fonde jamais sur une démarche intellectuelle mais sur la
perception intuitive du souffle divin qui sous-tend la matière.
Chacun peut le découvrir en lui même, en demeurant dans sa
propre vérité, dans la pureté, l'honnêteté, la paix intérieure et la
recherche de l'harmonie avec le reste du monde. Le souci de
pureté est tel que le sanctuaire en bois d'Amaterasu, à Ise, est
détruit et reconstruit à neuf tous les vingt ans, (ce qui paraît
fort coûteux aux jeunes générations). Mais l'imprécision du
devenir de l'être après la mort a provoqué une synthèse
partielle avec le Bouddhisme.
Cérémonies remarquables.
Le Shintô accompagne l'individu de la naissance jusqu'à la
mort. Diverses cérémonies marquent des étapes de la vie.
Quatre mois avant la naissance, la maman reçoit au sanctuaire
une ceinture de tissu blanc donné par la famille. A l'âge de sept
jours, l'enfant est prénommé. S'il meurt avant, il est mort-né.
Les garçons sont présentés au sanctuaire à 5 ans, et les filles à
3 et 7 ans. On peut évoquer d'autres rites comme la fête de la
première nourriture et les mariages. Les Japonais célèbrent les
évènements de la vie personnelle et de celle de la
communauté. Les festivals sont les occasions les plus
importantes. Les festivals shintô, (matsuri) sont annuels. Ce
sont des fêtes locales. Elles ont lieu en divers endroits à des
dates variées et sous des noms différents. A l'origine, elles
étaient liées aux saisons et aux rythmes agraires, et l'on priait
pour une bonne récolte et pour être protégé des désastres.
Certain festivals comportent des processions avec des chars et
des temples portatifs appelés mikoshi. Il y a beaucoup
321
d'amusement et d'excitation, avec des spectacles divers, des
courses et des concours variés. A Sapporo, il y a même des
sculptures de neige et de glace, à Hamamatsu, des cerfsvolants, à Chichibu, des feux d'artifice. L'ambiance est
vraiment très festive. Dans l'esprit originel des "matsuri", l'on
y recherchait simplement le bonheur dans la pureté du coeur.
322
Talismans et amulettes.
Les "shimenawa" sont des tresses ou des torsades de paille de
riz. Disposées dans les maisons, elles auraient le pouvoir
d'écarter les démons et les maladies. On les suspend au dessus
des entrées des sanctuaires pour signaler la présence d'un
kami. Les "gohei" sont des guirlandes de papier pliées en
zigzag. Comme les shimenawa, elles indiquent la nature sacrée
du lieu où elles se trouvent. Sur place, on peut aussi se
procurer des talismans, des amulettes et des planchettes de
prière. Les "omamori" sont des amulettes porte bonheur
vendues dans les sanctuaires. Elles sont souvent contenues
dans un sachet de tissu mais ce sont parfois des pierres
gravées. Elles apporteraient la chance, la santé, la fertilité, le
succès aux examens, la sécurité au volant, etc.. On les porte
sur soi, ou on les place à l'endroit qui convient.
Tablettes de prière (ema), et oracles.
Les "ema" sont des planchettes sur lesquelles des prières sont
inscrites. Elles sont suspendues dans le sanctuaire car les
fidèles n'y entrent pas. Ils prient dehors, après avoir attiré
l'attention des kami en sonnant d'une cloche ou en agitant une
crécelle de bois. Les "omikuji" sont des bandes de papier qui
dévoilent un oracle de bonne ou mauvaise fortune. S'il est
bon, l'omikuji devient un talisman à conserver. S'il est
fâcheux, la bande lette doit être fixée sur un arbre du
sanctuaire afin que les kami conjurent la prédiction.
Spectacles divers et Théâtre No.
323
Les sanctuaires sont à la fois des lieux de prière, de
recueillement, de fête et de réjouissance, et l'on s'y rassemble
en de nombreuses occasions. On y trouve même du théâtre Nô,
de la danse, de la lutte Sumo, du tir à l'arc et d'autres activités.
Les arrangements floraux si particuliers au Japon sont inspirés
par la pensée shintoïste. Les fleurs sont étagées pour marquer
les trois plans de l'existence, le ciel, l'homme et la terre. Dans
le théâtre Nô, tout est simplifié et raffiné à l'extrême dans
l'esprit traditionnel shintô manifesté dans les autres
expressions artistiques. Il comporte deux acteurs. Le waki est
un faire valoir qui lance l'action puis s'écarte de la scène. Le
shite, est l'acteur principal. Il danse et mime tous les rôles en
usant de masques pour interpréter les divers personnages. Il
peut y avoir quelques assistants et un accompagnement choral.
Le genre comporte un répertoire d'environ 250 pièces classées
en cinq groupes. Le premier raconte l'origine d'un sanctuaire.
Le deuxième présente des guerriers qui sont en enfer. Le
troisième raconte des histoires romantiques avec de la
musique, des costumes magnifiques et des danses. Le
quatrième évoque des personnages atteints de folie. Et le
cinquième groupe met en scène des démons bénéfiques ou
maléfiques. Une pièce de chaque groupe est jouée dans cet
ordre formel à chaque représentation.
Tir à l'arc, courses de chevaux et lutteurs Sumo.
Parmi les activités festives pratiquées dans les sanctuaires, on
peut citer le tir à l'arc, à pied et même à cheval lorsque c'est
possible. Le tir à l'arc (yumi) s'appelle "Kyūdō". cela signifie
la voie de l'arc. Cette activité implique la vérité,"shin", la
vertu, "zen", et la beauté, "bi". Les tireurs doivent mettre en
oeuvre l'essence même de ces qualités. Le Sumo est une
324
affaire de professionnels exclusifs qui lui consacrent leurs
vies. Aux yeux profanes, il semble simplement que deux
colosses peu vêtus cherchent à se pousser hors d'un cercle.
Mais le sport est ici presque secondaire. L'aspect rituel est très
important. Ainsi les lutteurs commencent-ils par jeter du sel
dans l'arène pour la purifier. Ils se balancent ensuite
lourdement d'un pied sur l'autre pour écraser de très haut les
forces du mal. L'arbitre est vêtu comme un prêtre shintô et il
est issu d'une famille particulière. On pratiquait aussi jadis, le
"o-furo", ou bain en commun, une forme de rite collectif de
communion avec la nature, et l'on organisait parfois des
courses de chevaux ou de bateaux.
Le mariage Shintô
Le mariage à l'occidentale est actuellement très en vogue au
Japon, où il apparaît comme chic, exotique, et relativement
peu coûteux. Le mariage shintô reste pourtant une célébration
classique importante qui consacre l'union des deux époux
autant que celle des deux familles. Les parents se rencontrent
cérémonieusement avant le mariage et ils échangent des
cadeaux. Le marié porte la tenue traditionnelle, noire ou bleue,
composée du hakama, large pantalon plissé, et du haori, une
tunique longue. La mariée est vêtue d'un magnifique kimono,
blanc ou fleuri. Pour la dernière fois, elle a de longues
manches. Mariée, elle montrera ses coudes. Elle porte aussi
une coiffure particulière, le Tsuno-kakushi, (ou cache-orgueil),
qui symbolise sa résolution d'être une bonne épouse et de ne
pas se montrer jalouse. Lors du rite coutumier du Sansankudo,
les mariés boivent chacun trois gorgées de saké froid dans
trois tasses de laque, car le chiffre 3 est bénéfique, puis ils
énoncent leurs voeux et déposent ensemble sur l'autel un
tamagushi, un écrit les résumant. La mariée revêt ensuite un
superbe kimono de couleur. Un somptueux festin termine la
fête.
325
326
Les autels domestiques
Les cérémonies de funérailles shintô sont extrêmement
simples. La mort est ici une tragédie car le shintô ne promet
rien dans une vie future. Cependant, par son décès même, le
défunt devient un ancêtre dont la vénération est l'un des
fondements de la famille japonaise. La plupart des maisons ont
un kami-dana, une étagère d'esprits (ou d'âmes), sur un mur
intérieur de la maison. Après la mise en terre, le nom du
défunt est inscrit sur une tablette déposée dans le kami-dana. Il
contient habituellement des objets qui ont une signification
spirituelle pour cette famille particulière. Il recèle la liste des
noms des ancêtres et, souvent, la représentation d'un kami
protecteur de cette famille. Les membres font des offrandes
régulières de nourriture et ils boivent aussi en l'honneur du
kami ou de leurs ancêtres. En raison de la grande simplicité
des funérailles shintô, on pratique souvent les rites funéraires
bouddhiques. Le Shintô n'étant théoriquement pas une
religion, il coexiste sans problème avec le Bouddhisme et ses
rites. La plupart des foyers japonais traditionnels ont donc
deux sortes d'autels domestiques à la maison.
Les "kami-dana" shintô sont des étagères d'esprits
(ou d'âmes).
Le kamidana doit être orienté face au Sud ou à l'Est à un
endroit bien éclairé et gardé extrêmement propre. Il ne doit
jamais faire face au Nord ou à l'Ouest. Chaque jour avant le
déjeuner, on y fait une offrande de riz, de sel et d'eau dans les
petit vases prévus à cet effet. L'eau va au milieu, le sel à droite
et le riz à gauche. Les japonais mélangent fréquemment les
deux traditions et pratiquent successivement les deux cultes
devant le Kamidana shintô et devant le Butsudan bouddhique.
327
Les "Butsudan", petits autels domestiques
bouddhiques.
Le Bustudan est un petit autel relevant des rites bouddhiques.
Il ressemble à une armoire et parfois à un placard que l'on
ouvre pour pratiquer le rite. Il contient fondamentalement un
écrit sacré, le Dai-mandala. On peut y adjoindre une image ou
statuette du Bouddha, la généalogie des ancêtres et de jolies
choses pour le décorer. Chaque jour, on fait y fait l'offrande
d'une tasse d'eau fraîche, on y allume une bougie, et on y brûle
un peu d'encens. On y célèbre un petit office, dit "Gongyo", le
matin et le soir. On le tient propre, on y met des fleurs et on
l'informe des évènements familiaux. C'est un moine
bouddhiste qui inaugure le Butsudan en pratiquant la
cérémonie dite "Ouverture des yeux".
328
CHAPITRE 20 – Le Vaudou
Introduction
Bien qu'il soit actuellement fort popularisé outre Atlantique, le
Vaudou est né en Afrique. Ce très vaste continent est peuplé
de nombreuses ethnies souvent mal identifiées par les
Occidentaux. Leurs cultures sont variées et et leurs religions
sont différentes. Le Vaudou étudié ici est seulement l'une
d'entre elles, en laquelle s'enracine le Vaudou Haïtien. Mais il
y a beaucoup d'autres traditions dans l'immense et secrète
Afrique. Le mot 'vaudou' s'écrit de différentes façons, voodoo,
vodou, vodu, voudou, vudun, vaudoun. Il proviendrait du terme
"vodun" tiré du langage Fon. Le terme parait être composé de
"Vo" qui signifie en Fon "sacrifice", et de "Dù" qui veut dire,
"sens ou essence" (dans l’acception spirituelle du terme).
Selon B. Segurola et J. Rassinoux, il désignerait la
manifestation d’une force incompréhensible. Ce "vodun"
mystérieux fait naître un culte fait d’admiration, d’amour et de
crainte. Le "Vodù" peut être représenté par une sorte d'idole
très improprement appelé "fétiche". En réalité, l'objet, lorsqu'il
existe, est seulement la demeure où réside l’esprit, le 'YE'. Le
fidèle ne vénère pas la demeure mais cherche à se concilier
ce "YE". Les adeptes sont des "Vodusi", des épouses du
Vodù. Lorsqu'il est "venu sur leur tête", ils deviennent "Vo-dù".
En langue Fon, l’expression se dit "Vodù dé aci", qui signifie
"le Vodù a choisi une épouse et l’a chevauchée". La personne
élue et possédée manifeste alors la divinité du Vodù. Des
érudits vaudous disent que "le Vodu est l’être et le sens du
sacré, la signification et l'essence du sacrifice réalisé
conformément au rituel".
Origines du Vaudou
Les origines du Vaudou sont africaines. Il s'enracine dans un
territoire qui s'étend du sud et du moyen Bénin et de la région
329
occidentale du Nigéria à celle du bas du Togo, et qui couvre aussi
une bonne partie du sud est du Ghana. On y trouve des populations
des diverses cultures Yoruba, et des peuples apparentés aux Adja,
tels les Fons, les Guins, les Ouatchis ainsi que les Evhés togolais.
Toutes ces ethnies, géographiquement et économiquement proches,
sont également culturellement reliés par les traditions cultuelles
Orisha ou Vodun (Vodou), dont les concepts sont équivalents. Il n'y a
cependant pas un Vodun ou Vodou de base, bien caractérisé, qui
serait commun à toutes ces peuplades. Nous sommes en Afrique où
la créativité est permanente et souvent floue et variable. Chaque
communauté d'initiés, chaque groupe d'adeptes, pratique une forme
locale de Vodun en révérant des entités ou des forces transcendantes
qui s'y manifestent de façon particulière. Originellement, cette
religion avait donc de multiples aspects dont la variété a encore été
accrue aux Amériques par les déportations massives d'esclaves noirs
d'origines diverses et de cultures distinctes.
Dans ces territoires africains, quoique les variantes locales soient
multiples, la culture Orisha tend encore à perdurer. Les appellations
Vodun, Vaudou, ou Orisha désignent des êtres ou des puissances
invisibles que les hommes s'efforcent de contrôler pour se les rendre
propices. Leur acception la plus courante concerne les éléments ou
les grandes forces de la nature, le Ciel, l'Eau, la Foudre, la Terre. On
y trouve aussi des ancêtres célèbres ou prestigieux, le plus souvent
ceux de lignée royale. En Amérique, ces entités sont appelées
"LOA". Elles ne correspondent pas à notre notion de la divinité,
mais sont plutôt assimilables à nos Saints ou à des Génies. Dans la
pratique du Vodou, les Africains ne séparent pas nettement le sacré
du profane. Les deux caractères sont mêlés dans le déroulement de la
vie courante, l'exceptionnel mêlé au quotidien, le bien au mal, le
magique à l'ordinaire. Et chaque substance banale est pénétrée par
son propre vodoun. Chaque village, chaque famille, même chaque
enfant, peut avoir le sien qui joue le rôle de protecteur particulier.
C'est pourquoi les rites et les offrandes ont une grande importance
car ils procureraient leur efficacité dans ce monde d'ici-bas.
330
L'esclavage n'a pas été inventé au 16e siècle avec la
vente d'esclaves noirs aux planteurs américains. Dans
les guerres antiques, l'esclavage évitait (en partie) le
massacre total des vaincus. Le servage, autre forme
d'esclavage, a sévi dans le monde entier. Le mot
"esclave" rappelle que les populations slaves d'Europe
alimentaient les marchés aux esclaves d'Afrique, du
Moyen-Orient et du Maghreb (comme celles d'Afrique
orientale et subsaharienne). Les prédateurs y vendirent
très longtemps leurs captifs, blancs ou noirs. Au 16e
siècle, le développement des Amériques créa une filière
transatlantique. Des roitelets africains vendirent même
souvent leurs propres sujets aux avides marchands
européens. Cependant, d'autres hommes imposèrent
progressivement au Monde l'abolition tant attendue de
l'esclavage. Les hommes blancs ou noirs actuels n'ont
pas à répondre de cette situation passée. Ils ont à
vaincre l'esclavage économique.
Depuis le 7e siècle, les populations slaves d'Europe et celles
d'Afrique orientale et subsaharienne alimentaient les marchés aux
esclaves du Moyen-Orient et du Maghreb. Au 16e siècle, le
développement des territoires créa un énorme marché aux
Amériques. Á la demande des planteurs, des marchands européens se
procurèrent des esclaves africains, d'abord par des razzias, puis en
achetant leurs propres sujets aux roitelets locaux. Les Yoruba de
culture vaudou furent alors déportés en nombre. Rassemblés dans les
plantations de coton, ils reconstituèrent leurs cultes. Ils établirent des
rituels syncrétiques en combinant les diverses pratiques vaudou et en
les enrichissant d'apports bantous. Incapables de stopper le
commerce des esclaves, les églises chrétiennes tentèrent de les
évangéliser pour sauver leurs âmes. Les maîtres imposèrent alors le
baptême et le culte chrétien devint une caution morale à
l'esclavagisme. Les adeptes du Vaudou masquèrent alors leurs LOA
sous des images et des symboles chrétiens. Au 19e siècle, les
331
évangélistes firent enfin cesser la traite négrière et l'esclavage fut
aboli. Sous son travestissement, le Vaudou persista.
Depuis l'Antiquité, de très nombreux êtres humains ont été asservis
et vendus comme des outils vivants sur les marchés aux esclaves. Á
l'origine, le mot désignait des païens de race blanche, les captifs
slaves que vendaient les Vénitiens. Á travers le Sahara, d'autres
esclavagistes arrachaient à l'Afrique quinze millions d'esclaves noirs,
castrant tous les mâles. Ces razzias provoquaient d'importants
massacres. Au 16e siècle, l'exploitation des Amériques provoqua
l'asservissement des Indiens. Sous Charles Quint, la Controverse de
Valladolid établit qu'ils avaient une âme et devaient être évangélisés.
Le légat du Pape préconisa leur remplacement par des Africains. En
deux siècles, le commerce triangulaire, la traite, transféra douze
millions d'esclaves noirs vers le continent américain. Cette nouvelle
saignée ravagea le continent en détruisant les empires africains.
Cependant, sous la pression des évangélistes et des humanistes, avec
les risques de révoltes et grâce à la mécanisation, l'anti-esclavagisme
progressait. Au delà des polémiques, il faut reconnaître que les
nations coloniales imposèrent au Monde l'abolition de l'esclavage, la
rendant enfin universelle en 1948.
332
Le Vaudou africain
Le Vaudou (ou Vodoun) est une religion africaine traditionnelle. Peu
connue en Occident, elle y est souvent qualifiée d’animiste ou
d'idolâtre. Cette approche simpliste montre seulement l'ignorance ou
l'incompréhension des concepts qui la sous-tendent. Cette conception
de l'Univers se fonde sur l'idée de forces naturelles sous-jacentes à
l'existence. Leur nature est fondamentalement spirituelle. Elles sont
partout et dans tout, et gèrent le Monde. Leur réunion constitue
collectivement le démiurge suprême, origine et fin dernière de
l'existence. Cette divinité fondamentale ne reçoit cependant aucun
culte particulier. Le Vaudou africain originel est bâti sur une
cosmogonie hiérarchisée et rationnelle lui donnant les caractères
d'une religion structurée. Les entités spirituelles du panthéon sont des
intermédiaires entre l'humain et le divin. On peut donc les invoquer
spécifiquement pour demander leur intervention ou leur protection.
Ces Maîtres des forces naturelles sont plutôt des "Génies de la
nature" que des "Dieux", au sens que nous donnons à la
personnalisation de l'idée de divinité. On y ajoute les Ancêtres
ethniques et familiaux.
L'étude des religions du Vaudou est assez déconcertante pour un
Occidental, car elles se fondent sur des concepts qui nous sont
étrangers. Elles ont des aspects singuliers. Elles font des sacrifices
éventuellement sanglants et usent de la possession mystique dans
leurs pratiques cultuelles. Ces confréries initiatiques, selon les
groupes, s'adresseraient à des esprits diversifiés. On les soupçonne
aussi d'user secrètement de sorcellerie et de magie maléfique. Il faut
d'abord comprendre qu'avant même d'être une religion, le Vaudou
constituerait une approche métaphysique particulière du Monde,
basée sur l'Homme. C'est à l'image de ce fondement
(microcosmique) que l'Univers (macrocosmique) serait bâti. Or,
l'Homme existe à la fois physiologiquement et spirituellement. Le
Vaudou transpose donc cette dualité existentielle à l'ensemble du
Monde, et il attribue à tout être un double invisible accessible sur le
plan spirituel. Ce sont ces entités incorporelles, les Vodouns (ou
333
Loas), qui sont invoquées lors des cérémonies. Elles peuvent
"chevaucher l'officiant", en s'incarnant temporairement dans un
corps en transe hypnotique.
Dans la conception globale Vaudou, et à l'image de leur concept de
l'Humain, toutes les choses et tous les phénomènes naturels ont donc
une double nature, à la fois matérielle et spirituelle. Les puissances
invisibles correspondantes sont les nombreux génies divins de la
nature, appelés voduns, (ou orishas chez les Yorubas). On peut citer
Hevieso, maître du ciel et de la Foudre, Sapata, maître de la Terre,
Amuia Ata, (Mamy Wata), la mère de l'eau. La position centrale de
l'Homme dans cet aspect premier permet aux adeptes d'agir
magiquement sur la Nature. Le second concept établit une autre
division duale du Monde, en séparant ses aspects masculin et
féminin. Ce sont les fameux "Jumeaux" dont on trouve des
représentations dans toute l'Afrique. Dans la mythologie vaudou du
Togo, Mawu-Lissa, dieu unique et androgyne à l'origine, créa le
Monde en brisant sa propre unité. Il sépara en lui les deux principes,
Mawu, le masculin, et Lissa, le féminin. Les principaux voduns sont
les enfants de ce couple de jumeaux primordiaux. Les jumeaux
humains jouissent d'ailleurs d'un prestige assez propice dans la
culture Yoruba, mais parfois néfaste ailleurs.
Le troisième concept est celui de l'appartenance à un groupe. Les
Africains sont socialement plus intégrés à des groupes identitaires
que les Occidentaux individualiste. Les fondements des
communautés sont la famille, le village, le clan, la confrérie, la tribu
et même l'ethnie. Il faut comprendre la famille au sens très large, en
y intégrant les parents, la femme, les enfants, les familles des frères
et sœurs, celles des oncles et tantes, tous les petits fils et même les
familles alliées par mariages aux descendants. On arrive alors au
groupe identitaire du clan qui peut compter plusieurs centaines de
personnes. Le BALE, le chef du clan, est très respecté et jouit d'une
autorité importante. Il peut y avoir plusieurs clans dans un village et
la tribu est formée par l'union des communautés de villages. Les
Bales élisent un roi qui s'occupe des affaires de la tribu, occupant
cette fonction jusqu'à sa mort. Les familles et les villages choisissent
334
leurs protecteurs voduns. Chaque individu peut aussi choisir le sien.
Ainsi naissent des confréries de patronage. Les défunts, rois ou chefs
de clan, et les ancêtres illustres, sont béatifiés et deviennent alors des
"voduns ancêtres".
335
Avant d'être une religion au sens que nous donnons à ce mot, le
Vaudou est une vision du Monde. Nous bâtissons nos propres
religions sur la base conceptuelle d'un dieu créateur, origine du
Monde et de l'Homme. La religiosité Vaudou s'établit à partir de
l'Homme vivant dans l'instant présent. C'est la pulsion de vie, en
interaction avec la nature, qui fonde cette spiritualité. Dans
l'existence, tous les êtres suivent cette pulsion car ils sont poussés
par des forces invisibles qui leur en insufflent le désir. Á chaque
instant du Monde, les conditions de la vie sont régies par des forces
naturelles et surnaturelles qu'il faut se rendre propices, ou dont il faut
se protéger. Le rôle de la religion Vaudou est d'établir une relation
entre l'Homme et ces forces invisibles. Elles interagissent
continûment avec la vie humaine, favorablement ou dangereusement.
Le Vaudou enseigne ce que sont ces êtres, comment entrer en
contact, s'en faire aider ou s'en protéger, et trouver des alliés chez les
ancêtres qui ont rejoint dans la mort le coté mystérieux et invisible
de la vie. C'est la source des rites, des fêtes, des sacrifices, de la
mythologie, des croyances et des cultes Vaudou.
Il n'y a pas de culte pour le “Segbo”, l'Esprit Suprême source de la
vie. La marche du monde dépend du couple de démiurges, MawuLissa, (Mawu, mâle, et Lissa, femelle). L'Esprit Suprême conduit
aussi d'autres esprits qui sont simplement des forces. Chaque homme
s’attache à l’un de ces Voduns, par choix personnel, familial ou
tribal, ou par initiation en devenant "Vodunsi", (épouse du Vodun).
Les Voduns sont les forces de la nature, mer (Xu), terre (Sahpata),
tonnerre (Xebioso), fer (Gu), ou des animaux dont le serpent lié à
tout ce qui bouge (Dan, Ejo, Dangbé, Aïdo-Hwédo, Oshumaré). Il y
a aussi des plantes. Deux Voduns sont essentiels, le Legba, génie
protecteur mâle (très), bon pour ses protégés, terrible pour ses
ennemis, et le Fa, génie de la divination, consulté pour trouver la
solution à tout problème ou décision. Le Bokono jette 18 noix à terre
et interprète la figure obtenue. Il faut distinguer le Bokono,
Magicien, l’Azeto, sorcier, et l'Azongbeto, guérisseur. On vénère les
ancêtres sur de petits autels en fer plantés dans la maison, car ils sont
toujours présents et actifs, surtout la nuit. On surveille alors ce qu'on
fait et ce qu'on dit.
336
Aspects du culte en Afrique
En Afrique, le culte vaudou n'a pas entraîné la construction de grands
temples comme la plupart des autres religions. Il ne semble en fait
exister aucune vaste structure destinée à accueillir collectivement
une assemblée de fidèles. L'espace vaudou qui correspond à un
temple est composé de deux parties. Il y a d'une part une cour ou un
péristyle accessible au public. C'est là que se déroulent les
cérémonies et les sacrifices. S'y ajoute d'autre part une hutte ou un
petit édicule sacré dont l'accès est interdit. On y trouve l'autel
consacré à la divinité. Dans le passé, il y avait aussi des lieux et des
bosquets sacrés qui ont souvent été profanés ou détruits par les
colonisateurs ou les missionnaires, consciemment ou par simple
ignorance. Il semble que les autorités actuelles tendraient à
réhabiliter les manifestations et sites traditionnels. Elles
encourageraient aussi la cohabitation avec les religions implantées,
comme le Christianisme et l'Islam. Mais les concepts sous-jacents
sont trop différents pour qu'on puisse imaginer une quelconque
forme de syncrétisme. Les fidèles intéressés associent simplement
des pratiques et les symboles traditionnels aux rites de la religion
nouvelle.
Dans la pensée vaudoue, il n'y a pas de séparation entre le sacré et le
profane. Le magique et le divin sont indifférenciés et conditionnent
la vie quotidienne, la routine et l'exceptionnel, le mal et le bien,
l'objet inerte et le vivant. Chaque chose est habitée par son vodoun,
mais plusieurs entités analogues peuvent se partager le même. Ainsi
Mamy Wata (mamy water, la mère de l'eau) est tout aussi présente
dans l'océan, dans une rivière ou dans une bouteille d'eau minérale.
On peut donc facilement l'honorer à domicile. Mais chaque rivière
ou chaque ruisseau peut également posséder son propre vodoun,
associé à un lieu consacré. Chaque forêt aura son vodoun et chaque
arbre isolé pourra devenir sacré. Certains objets, vases, colliers,
paquets, poupées, ficelles, pourront acquérir une fonction spécifique
337
dans un groupe, une famille, ou devenir un gri-gri protecteur pour un
individu particulier. De simples pierres à l'entrée des demeures
deviendront éventuellement vodoun, car investies par l'esprit d'un
ancêtre. Dans le passé, on enterrait les défunts sous le sol des huttes
et ils recevaient une part des libations familiales par un tube
aboutissant à leur bouche.
Associés aux consultations divinatoires, des rites traditionnels
balisent la vie des fidèles de la naissance à la mort. La femme
enceinte doit suivre un régime alimentaire précis. Après la naissance,
elle reste enfermée une semaine. Puis, à la sortie, le père donne le
nom à l'enfant et formules des souhaits de vie (videton). Le garçon
amoureux achète son droit de rencontre avec de l'alcool. Avant les
fiançailles, on consulte l'oracle mais il faut montrer sa capacité à
faire vivre un foyer. Le mariage est conclu par une cérémonie suivie
du constat de la virginité de la dame. La polygamie est admise mais
la première épouse, yawo, conserve la primauté. Lors d'un décès, le
corps du défunt est lavé, vêtu, et honoré. Il est enterré dès la
première nuit, dans le sol de sa case. Les funérailles auront lieu plus
tard quand tout le monde sera là, avec une veillée, des chants, et
l'offrande de nourriture. La liturgie ordinaire comporte des fêtes, des
prières, et des sacrifices. Un calendrier lunaire détermine les dates
des cérémonies et marchés. Les fêtes varient selon les voduns. Les
sacrifices (vosisa) concernent des animaux (poulets ou chèvres) et
des libations d'huile ou d'alcool.
Associés aux consultations divinatoires, des rites traditionnels
balisent la vie des fidèles de la naissance à la mort. La femme
enceinte doit suivre un régime alimentaire précis. Après la naissance,
elle reste enfermée une semaine. Puis, à la sortie, le père donne le
nom à l'enfant et formules des souhaits de vie (videton). Le garçon
amoureux achète son droit de rencontre avec de l'alcool. Avant les
fiançailles, on consulte l'oracle mais il faut montrer sa capacité à
faire vivre un foyer. Le mariage est conclu par une cérémonie suivie
du constat de la virginité de la dame. La polygamie est admise mais
la première épouse, yawo, conserve la primauté. Lors d'un décès, le
corps du défunt est lavé, vêtu, et honoré. Il est enterré dès la
première nuit, dans le sol de sa case. Les funérailles auront lieu plus
tard quand tout le monde sera là, avec une veillée, des chants, et
338
l'offrande de nourriture. La liturgie ordinaire comporte des fêtes, des
prières, et des sacrifices. Un calendrier lunaire détermine les dates
des cérémonies et marchés. Les fêtes varient selon les voduns. Les
sacrifices (vosisa) concernent des animaux (poulets ou chèvres) et
des libations d'huile ou d'alcool.
Quoiqu'il perde actuellement une part de son influence dans la
société africaine, le culte vaudou y occupe encore une place
importante. Il est soutenu par une structure complexe et organisée
fondée sur une hiérarchie formée dans des sortes d'écoles ou de
couvents nommés "huxwé". Ces lieux fermés (où l'on entrait très
jeune) sont encore assez nombreux. On y conserve les traditions
ésotériques et le rituel initiatique communs. Depuis 1970, ces
couvents sont surveillés par les pouvoirs publics et les organisations
de protection de l'enfance (ONGS), ce qui ne signifie pas que le
pouvoir des prêtres vaudou a disparu. La culture africaine cache plus
qu'elle ne révèle", explique Patrick Nguema Ndong, éditorialiste sur
Radio Africa N°1. Le secret, c'est le "hunxo". Il est central dans le
Vaudou car il conforte la connaissance, le pouvoir et la peur. On
trouve donc dans le monde vaudou un aspect visible, public,
accessible aux touristes occidentaux, et un aspect invisible, caché,
connu des seuls initiés. Il est assez facile d'exposer le déroulement
des cérémonies collectives publiques et d'en commenter les
pratiques, mais il est extrêmement difficile d'accéder aux rituels
secrets.
Les aspects visibles du culte comprennent des pratiques privées et
des fêtes collectives. Les fêtes sont organisées en l'honneur des
divinités, sur les lieux réservés. Elles rassemblent de nombreux
participants dont des prêtres, des adeptes, des fidèles et des gens qui
ne sont que curieux. Une partie des cérémonies reste secrète. Elle est
accomplie par les prêtres dans la partie interdite des lieux. Dans le
péristyle accessible au public, les participants assistent aux danses
rituelles des adeptes des diverses divinités et écoutent leurs chants.
C'est là qu'ont lieu les sanglants sacrifices d'animaux, petits et
grands, égorgés et dont le sang est ensuite déversé sur l'autel. Dans
la passé, c'était parfois du sang humain qui était ainsi répandu
(pratique abandonnée à la fin du 19e siècle). Pour les sacrificateurs
vaudou, le sang est un fluide magique dont la nature relie le visible et
339
l'invisible, et dont la qualité amène le divin à écouter la demande
humaine. L'offrande de sang aurait donc un effet médiateur
favorisant l'efficacité de la démarche engagée auprès de la divinité.
Cette acception, commune à bien des religions antiques, semble
hélas persister dans l'inconscient collectif
Jusqu'au niveau des sacrifices sanglants, les rites vaudou ressemblent
à ceux d'autres religions traditionnelles. Mais un phénomène
nouveau apparaît alors, la transe, qui manifeste la venue de l'esprit de
la divinité en cause, le YE, sur la tête de la personne qu'il va
posséder, le Vodusi (ou épouse du Vodù), qu'il choisit et chevauche,
paraît-il, à la façon d'un cheval. La possession du Vodusi par le YE
peut concerner un adepte préparé à cette situation qui se déroule
alors d'une façon attendue et codifiée. Elle peut aussi affecter un
Vodusi spontané, qui la subit sans préparation. L'état de transe
ressemble à une crise d'épilepsie. Le sujet perd conscience. Il est
agité de tremblements et de spasmes, fait les yeux blancs et parfois
bave. S'il est debout, il peut tomber, mais les adeptes veillent et le
soutiennent, ou le contiennent, afin d'éviter toute blessure. L'accès se
termine généralement par des cris ou des flots de paroles suivis d'un
retour au calme. Les adeptes s'agenouillent et chantent la gloire du
YE qui vient de se manifester en faisant descendre son pouvoir. Le
prêtre touche de sa clochette le front sacré de l'élu. Son visage est
caché puis on l'emmène vers un lieu d'initiation.
La descente inopinée du YE peut être dramatique car le Vodusi qui a
reçu l'Acé est définitivement coupé de tous ses engagements civils
antérieurs. Au "huxwé" (le couvent vaudou), le nouvel élu entre dans
un noviciat initiatique qui transforme sa personnalité. Il est soumis à
une discipline sévère avec des interdits comportementaux, y compris
sexuels. Il doit utiliser un langage particulier, (sorte du verlan du
dialecte local). Il subit des scarifications sur le corps et participe à
des rituels rigoureux. Il apprend à mettre en oeuvre les savoirs
occultes réservés aux adeptes, tels les vertus des sucs végétaux et des
sécrétions et venins animaux, la composition des médicaments et des
poisons, le traitement des maladies, etc.. Personne n'en sait plus sur
ce qui se passe en ces lieux, magie blanche ou noire, et même
sorcellerie. Aucun initié n'en parle. Le secret, le "hunxo", reste
absolument gardé. Il est indispensable au pouvoir du Vaudou qui se
340
fonde, comme dans d'autres religions, sur la notion du sacré, des
connaissances spécifiques mystérieuses et la peur de l'inconnu et de
la mort. La formation achevée, un rite de passage (AXWÃWLI)
introduit enfin le novice dans la confrérie.
Introduction du Vaudou en Amérique
En 1492, Christophe Colomb découvrit l'Amérique, et il crut jusqu'à
sa mort, être arrivé aux Indes en ayant fait le tour du Monde. Il aurait
débarqué dans une petite île des Bahamas, (San Salvador). Plus tard,
il découvrit le continent au niveau du Vénézuéla. La mise en valeur
commença donc dans les îles du Golfe du Mexique, Hispaniola
(Haïti/Saint Domingue), et les Antilles. Puis, l'Espagne et le Portugal
s'engagèrent vers le Centre et le Sud. La France et l'Angleterre se
disputèrent âprement la cote Est et le Canada. Les Français
maîtrisèrent alors un véritable empire, du Canada à la Nouvelle
Orléans, puis divers traités délimitèrent les zones d'influence. Au 17e
siècle, la France possédait encore Haïti et la "Nouvelle France", la
"Grande Louisiane", un immense territoire de deux millions de km2,
quatre fois notre France actuelle. Il s’étendait de l'embouchure du
Mississipi jusqu’aux Montagnes Rocheuses. Cette "Nouvelle France"
comprenait au moins les territoires de nombreux États USA actuels,
comme le Montana, les Dakota du Nord et du Sud, l'ouest du
Minnesota, le Kansas, le Wyoming, l'Iowa, le Colorado, le Nebraska,
le Missouri, l'Oklahoma, l'Arkansas et l'actuelle Louisiane), mais
cependant sans le Texas.
Au 16e siècle, tant en Amérique du Nord que du Sud, les colons
commencèrent à planter le coton, l'indigo, et la très précieuse canne à
sucre, toutes cultures nécessitant une abondante main d'oeuvre. Les
populations locales faiblissant, les planteurs recherchèrent des
ouvriers plus robustes. En Afrique, autour du Bénin, la guerre
sévissait et les rois guerriers locaux disposaient de nombreux
341
ennemis captifs qu'ils voulaient vendre contre des armes. Disposant
de vendeurs et d'acheteurs, des négociants avides organisèrent alors
"le commerce triangulaire" qui transportait alternativement des
hommes et des marchandises. Les captifs Yoruba et Fon furent
réduits en esclavage et déportés en grand nombre dans des conditions
abominables. Totalement démunis, ils n'espéraient qu'en leurs dieux.
Abandonnés par ceux-ci, les esclaves recréèrent alors un Vaudou
nouveau, syncrétique. Malgré les mélanges ethniques et les
différences cultuelles, en dépit de leurs insuffisances dogmatiques et
de l'obligation du catholicisme, ils imaginèrent un parler commun, le
créole, et adoptèrent cette religion commune, le Vaudou d'Haïti et de
Cuba. Il en fut de même à Bahia, au Brésil et dans les Caraïbes, avec
le Candomblé ou le Macumba.
Les premiers esclaves furent utilisés dans les colonies anglaises,
mais les Français en employèrent aussi beaucoup, d'abord à la
Dominique et à Haïti, (les Indes Occidentales), puis en Louisiane.
Le triste sort des noirs mettait Louis XIV mal à l'aise. Il s'opposait à
la traite et fit rédiger le "Code Noir" pour améliorer leur situation.
Les églises aussi tentèrent vainement de stopper leur commerce, puis
décidèrent de les évangéliser pour sauver au moins leurs âmes. Le
culte chrétien fut alors imposé et devint une caution morale à
l'esclavagisme. C'est dans les Îles des "Indes" que fut recréé le
Vaudou Haïtien. Les esclaves y jouissaient d'une certaine autonomie
et vivaient regroupés à l'écart des maîtres. Ce communautarisme
favorisa l'apparition des assemblées vaudou, et le nouveau culte des
Esprits se répandit rapidement d'Haïti jusqu'au Brésil. L'obligation
du baptême ne chassa pas les LOA, vite masqués sous les images
chrétiennes. Mais en Louisiane, pour retarder l'expansion du
Vaudou, les planteurs ne réunissaient pas leurs esclaves, interdisant
d'en importer provenant des Îles. Cette attitude persista jusqu'à la
cession aux Américains et la révolte d'Haïti. Les esclaves des "Indes"
affluèrent, amenant le Vaudou.
342
Le Vaudou d’Haïti et de Louisiane
Des révoltes éclatèrent dans les possessions d'Amérique après la
Révolution de 1789 parce que la Convention tardait à y proclamer
l'abolition de l'esclavage. Á la Dominique, le pouvoir tomba dans les
mains d'un révolté noir, Toussaint Louverture, qui proclama, en
1801, une constitution originale et très intéressante. Abolissant toute
distinction entre blancs et noirs, elle donnait une grande autonomie à
l'île qui s'affirmait cependant française. L'article 6 de son Titre III
faisait du Catholicisme le seul culte autorisé, bannissant le Vaudou.
C'est alors que les adeptes gagnèrent la Nouvelle Orléans, en
Louisiane, avec les maîtres blancs apeurés. Bonaparte rejeta la
sécession. Il fit rétablir l'esclavage dans les colonies d'Amérique et
envoya une expédition pour reconquérir la Guadeloupe puis la
Dominique. Capturé, Toussaint mourut en France. Il fut finalement
remplacé par Jean-Jacques Dessalines, un chef intraitable qui fit
massacrer les blancs et vainquit les troupes françaises. Il fit de l'île,
la première république noire libre et lui donna le nom d'Haïti, et s'en
proclama empereur absolu sous le nom de Jacques 1er. Sa
constitution de 1805 y abolissait définitivement l'esclavage et
rétablissait une liberté assez relative pour le culte vaudou.
Au début du 19e siècle, on trouvait dans toutes ces îles et territoires,
un Vaudou très particulier qui accentua encore son caractère avec le
temps. Depuis l'édiction du Code Noir en 1685, l'évangélisation
catholique, le baptême et la messe dominicale étaient imposés aux
esclaves, et le Vaudou leur était interdit. Ces obligations religieuses
ont marqué leurs comportements cultuels de plusieurs
façons. L'aspect le plus évident est l'appropriation d'une partie de
l'iconographie chrétienne. Associés aux "vévés", on trouve des croix,
des statues de saints et d'autres symboles dans les sanctuaires
vaudou d'Amérique. En réalité, ils masqueraient les "LOAS" vaudou
sous des apparences acceptables aux yeux des maîtres. Par exemple
et parmi les déités traditionnelles, Saint Pierre pourrait représenter
343
Legba, Saint Jacques serait Ogou, la Vierge figurerait Erzulie, et
Saint Côme et Saint Damien symboliseraient les Marassa, les deux
jumeaux. En réalité, c'est beaucoup plus compliqué que cela. La
symbolique est plus subtile et beaucoup d'images ont été utilisées
tant pour les déités amenées d'Afrique que pour les esprits issus du
continent américain. Il y a aussi des évolutions conceptuelles
importantes, un Vaudou rouge et un Vaudou blanc.
En principe, les cérémonies vaudous commencent ici par l'invocation
du Grand-Maître divin. En Afrique, cet esprit suprême ne reçoit
aucun culte. Il est un Vodun ou un Orisha comme ceux qu'il conduit.
Il procéderait en fait des forces naturelles dont il personnifierait la
somme. En Amérique, c'est le Grand Dieu chrétien qui est appelé.
C'est lui qui régit les LOAS de la nature qu'il peut mettre au service
des hommes. Il y a donc là un renversement majeur des concepts
déterminant l'essence de la divinité souveraine. Mais, quoique
l'Afrique soit devenue un peu mythique et inaccessible, ses traditions
mystiques ont été sauvegardées. Certains LOAS d'Haïti sont donc des
Voduns issus du polythéisme Fon et Yorouba du Bénin ou du
Dahomey. Il faut y ajouter des déités "Zémès" héritées des
Amérindiens (Arawaks). Enfin, de nouveaux et nombreux LOAS sont
indigènes (ou créoles). Ils sont nés dans le nouveau milieu ou de
nouveaux ancêtres. Les LOAS de tradition africaine ont un caractère
assez bénéfique. Ils relèvent du culte "Rada". Les nouveaux LOAS
nés de l’esclavage reçoivent un culte différents dit "Petro", et sont
d'une nature plus équivoque. Il y a aussi d'autres familles d'esprits
d'un genre plus sombre, tels les GHEDES et EXU) .
Le rite Rada perpétue la tradition africaine et l'aspect positif du culte
dont il constitue la base. Son panthéon rassemble les plus puissants
LOAS. On y trouve Damballah Wédo, génie du Ciel, du Soleil, de la
Terre et de la fécondité. Maître des eaux, ses symboles sont la
couleuvre et l'oeuf. Sa forme féminine (son épouse) est Aïda Wédo.
Alliés dans l'arc en ciel, ils procurent bonheur et richesse. Papa
Legba est le gardien des chemins. Il ouvre les portes, y compris
celles du monde spirituel. Il est aussi le génie (mâle) de la fécondité
et du destin. Son épouse est Aïzan, protectrice des marchés. Sa vertu
est la pureté. Elle accorde la puissance à ses protégés et confère la
connaissance et le don de guérison aux houngans, les prêtres.
344
Erzulie-Freda est la grande divinité de la beauté et de l'amour,
symbolisée par la Vierge Marie. Ses protégés doivent l'épouser.
Agoué, époux d'Erzulie, est le génie de la mer et protège les
marins. Il y a aussi Ogou-Ferraille, patron des forgerons et génie de
la guerre. Loko-Atisou, l'esprit de la végétation est guérisseur. Zaka
protège les cultivateurs. Sogbo maîtrise la foudre. Badère conduit le
vent. On y ajoute le Baron-Samedi, avec un statut particulier. Et il y
a beaucoup d'autres LOAS rada.
Le Baron-Samedi (Baron-la-croix, Baron-Cimetière) est un LOA
fort important. Il commande aux Guédés fossoyeurs, les génies de la
mort et du redevenir, et la Grande Brigitte (Grann Brigitte) est son
épouse. Portant habit noir, haut de forme et bâton, il fume le cigare.
Ses célébrations ont souvent lieu dans les cimetières, et son attribut
symbolique est la croix. Le Baron appartient à la fois aux cultes
Rada et Petro (comme Sogou, Agoué et Loko). Les doublons négatifs
des LOAS RADA ambivalents ont un attribut distinctif dans le culte
Petro. Celui-ci rassemble les LOAS haïtiens et ceux venus du Congo.
On peut citer Don Pedro, fondateur du rite, Ti Jean Petro, son fils,
Petro-yeux-rouges, le sorcier, Marinét-Bras-Séché, sa maîtresse,
Maître Grand-Bois, génie des plantes, Maloulou, maître du Feu, les
Taureaux, brutaux, Baron-Piquant, un Kita néfaste, Brisé, guédé,
Krabinay, violent, Zombi, guédé de la chance, Makandal et
Dessalines, esprits ancestraux liés à l'insurrection haïtienne. Les
loas congolais sont Kita, sorcier togolais, Bumba, guédé, Bakoulou
Baka, terrible, Mèt-Pamba, démon, Zandor, congolais, MondongMoussai, tueur de chiens, Wangol, angolais, Siniga, sénégalais,
Ossange, Simbi, etc.. Tous ces LOAS négatifs peuvent aussi adopter
et posséder les fidèles de leur choix.
Les Rites du Vaudou Haïtien
outes les cérémonies commencent par
l'invocation
"Papa Legba, ouvre la barrière afin que je passe
!"
345
Quoique sa doctrine demeure complexe et floue, le Vaudou est donc
une religion avec des prêtres, "houngan" ou des prêtresses "mambo".
Elle comporte de nombreuses cérémonies ainsi que des prières et des
libations. Le rituel est extrêmement diversifié ce qui en rend la
description fort difficile, et l'on ne peut évoquer que les rites les plus
courants. Le "boule-zen", est un rite polyvalent utilisé lors des
initiations, des funérailles, et des services importants. Il s'articule
autour d'une action remarquable impliquant un baptême
(purification) par le feu. Des marmites culinaires enduites d'huile
sont enflammées. On fait ensuite rapidement passer les objets rituels
sacrés à travers ces flammes. Le "retrait de l'eau" est autre rite
polyvalent associé aux funérailles. Des vases sacrés, les "govi", sont
destinés à recueillir les esprits des morts. Ceux-ci sont
momentanément réfugiés dans l'océan (symbolisé localement par un
récipient plein d'eau et dissimulé sur lequel l'officiant, houngan ou
mambo, dessine un vévé). Il invoque longuement les LOAS et
demande à chaque âme concernée de quitter l'eau pour entrer dans le
govi afin de communiquer avec sa famille. Le rite entraîne souvent
des manifestations psychiques associées au spiritisme.
L'initiation, kanzo, à la fois mort et résurrection, doit permettre aux
les candidats de supporter les transes et la descente du LOA.
Complexe, elle dure des mois et comporte plusieurs degrés
successifs qu'on ne peut détailler ici. Une initiation encore plus
poussée précède la consécration des prêtres, houngans ou mambos,
qui sont intronisés dans le houmfort, le lieu de culte qui leur est
confié. Les prêtres y reçoivent alors leur collier rituel, le houngé-vé.
Les changements hiérarchiques sont marqués par le "haussement",
une triple élévation du houngan assis dans un fauteuil. Aujourd'hui,
l'inauguration d'un houmfort, (sanctuaire), est devenue rare. Elle
demeure l'occasion d'une cérémonie importante très ritualisée. Dans
le sanctuaire décoré, la Mambo donne le départ au son des clochettes
et tambours rituels. Elle invoque le Grand Maître et les principaux
LOAS puis procède à une aspersion d'eau vers les points cardinaux.
Elle trace ensuite le Vévé de Legba et l'asperge de rhum avant de
sacrifier plusieurs petits animaux, un poulet bigarré (zinga) à Papa
Legba, un pigeon blanc à Aïzan, un autre aux Jumeaux, un coq gris à
Loko. La cérémonie contient aussi un simulacre de combat avec le
"la-place", le sabreur du loa Ogou, à qui est sacrifié un coq rouge.
346
La cérémonie traditionnelle constitue le fondement du rite vaudou.
Elle est pratiquée dans le Hounfor, le temple vaudou, sous la
conduite du Houngan, le prêtre, ou de la Mambo, la prêtresse, mais
elle peut l'être à l'extérieur. Les initiés jouent divers rôles, musiciens,
danseurs, sacrificateur, spectateurs. Rappelons que ce temple
comporte au moins deux espaces, un péristyle en terre battue,
accessible à tous, et une chambre sacrée (bagui ou sobagui) qui est le
sanctuaire véritable et contient l'autel. Le péristyle est décoré de
drapeaux et comporte une colonne centrale rouge et bleue. Ce
poteau-mitan symbolise le chemin de la descente des esprits. La
cérémonie comporte deux phases. Elle commence par l'appel des
LOAS. L'espace de culte est sacralisé par un jeté d'eau (jétédlo), puis
les offrandes sont rassemblées au pied du poteau-mitan, et on
dessine les vévé des divinités concernées. On dispose ensuite les
objets sacrés rituels aux points cardinaux et sur le poteau. Les fidèles
engagent alors les danses rituelles au battements des tambours qui
sont des éléments rituels importants. Leur son obsédant établit le
contact entre les deux mondes. La cérémonie rada use de trois
tambours allant de 50 cm à 1 mètre. Il n'y a que deux tambours plus
petits dans le rite petro.
La seconde phase de la cérémonie comporte un sacrifice. Il peut
s'agir d'offrandes rituelles de boissons, de liqueurs ou d'aliments
appréciés par les LOAS que l'on honore. Il existe un inventaire précis
de leurs goûts comme des couleurs qu'ils préfèrent. Ces offrandes
sont les "mangers secs". Les cérémonies plus importantes appellent
un sacrifice sanglant, (mais cela n'est pas particulier au vaudou). Un
animal est préparé, nourri, décoré, parfois parfumé. Ce peut être un
volatile, poule ou pigeon, ou une chèvre, un mouton, voire un chien.
Puis les tambours battent avec frénésie pendant que le sacrificateur
l'égorge en répandant le sang sur le sol de terre battue. Le cadavre est
ensuite offert aux quatre points cardinaux. Les initiés mouillent de
sang leurs mains puis, avec des chants et des danses, ils appellent la
descente des LOAS. Il arrive alors souvent que l'un des initiés pris de
transe se mette à danses frénétiquement et d'une façon spécifique à
l'esprit qui descend sur lui. La transe devient spectaculaire lorsque le
LOA entre dans ce corps. On dit que la personne est chevauchée. Elle
perd conscience et doit être assistée pour ne pas tomber ni se blesser.
347
Ici comme en Afrique, un lien définitif a été créé entre le LOA et son
élu, et il subsistera la vie entière.
Comme toutes les religions, le vaudou comporte des rites funéraires.
Le plus important, le "desounen" est réservé aux personnalités. Il
rompt le lien mystique créé par l'initiation entre le défunt et son LOA
protecteur. Le "kase-kanari" est plus ordinaire. Cet adieu définitif au
mort est symbolisé par le bris collectif d'une jarre remplie d'aliments
sacrés. Ses débris sont enterrés et l'on trace un vévé dessus. Dans le
vaudou, les défunts connaissent une forme de survie et peuvent
devenir des génies protecteurs ou maléfiques. On les craint donc, et
l'on fait, chaque année, des offrandes propitiatoires aux morts, le
"manje-lémo" (le manger des morts). Ces largesses se terminent par
un banquet accompagné de chants et de danses. En fait, le désir
d'élévation spirituelle du fidèle est contenu dans une unique
séquence liturgique continue bornée par deux rites, l'initiatique et le
funéraire. Une catégorie particulière de LOAS est en charge des
problèmes liés à la mort. Ce sont les GUÉDÉS dont le chef est
Baron-Samedi. Ils détiennent à la fois les lois de la putréfaction et
celles du renouveau. Ce sont des fossoyeurs mais aussi des
purificateurs. C'est pourquoi leur croix de mort symbolique porte
des signes de la vie.
Aspects complémentaires
La danse, la musique et les chants jouent un rôle essenteil dans les
cérémonies. La danse sacrée (danse-loa) attirerait l'attention des
LOAS. Son action est soutenue par des chants traditionnels d'origine
africaine. Ils ont été portés par la mémoire des anciens esclaves, et
beaucoup d'entre eux sont incomplets. Ce qui en reste est donc répété
en forme de litanie par les choeurs officiants. Les tambours sacrés
sont les instruments symboliques du culte vaudou. Ils sont souvent
considérés comme étant la voix des esprits ou celle qui leur parle car
leur battement diffère selon le LOA invoqué. Leur rôle est tellement
important qu'ils ont une identité. Le plus grand des tambours Rada
348
s'appelle manman, ou hounto, le second est hountoti, le plus petit est
boula ou kata. Le plus grand tambour Petro se nomme aussi manman
ou gros baka, et le plus petit est pitit ou ti-baka. Les rituels utilisent
un autre instrument important, l'ogan, une petite cloche qui règle le
rythme général de la musique, des chants et des danses. En Afrique,
elle est utilisée pour déclencher la transe des initiés. Les rythmes du
vaudou auraient inspiré la musique d'Haïti. Ses chants sacrés
constitueraient la source du blues de la Nouvelle Orléans
La réputation magique du Vaudou inquiète et fascine à la fois. Ses
prêtres ont une connaissance approfondie de la pharmacopée
naturelle et disposent de substances pouvant êtres des remèdes ou
des poisons. En général, le Houngan cherche à harmoniser les
diverses formes de vie. Dans cet aspect, il est un thérapeute qui
soigne les corps et les âmes avec ses moyens propres. La nature des
soins proposés peut surprendre mais l'intention n'est pas de nuire. Il
joue aussi un rôle de prévention en proposant des talismans (gri-gri)
souvent associés à des prières. Il met simultanément en oeuvre la
chimie et la magie blanche en travaillant sur les deux plans de la
nature. Dans un même soin, il combine des médicaments reconnus
avec des éléments évocateurs des LOAS dont il sollicite l'assistance.
On peut être surpris de trouver un clou de fer ou une vertèbre de
couleuvre dans le sachet d'un gri-gri. Cela signifie probablement que
le Houngan demande à Ogou ou à Dambalah Aïda d'appuyer son
intention. Nous savons que la vie terrestre de chaque fidèle vaudou
est placée sous le patronage de plusieurs LOAS communautaires ou
personnels. Les soins médicaux et le gri-gri protecteur doivent donc
être soigneusement personnalisés par le savoir du Houngan.
Le Vaudou utilise fréquemment les services des devins qui s'aident
de curieux moyens de divination dont l'un est une boule prolongée
par deux cordons portant chacune huit coques de noix. Le devin les
abat sur un plateau et la position ouverte ou fermée des coques
établit l'oracle. Le vaudou compte aussi des sorciers, les "Bokor", qui
ont beaucoup fait pour sa mauvaise réputation. Cédant à la vénalité,
ces prêtres utilisent les LOAS PETRO pour pratiquer la magie noire.
On achète leurs services pour nuire à autrui. Ils fourniraient des
produits toxiques comme l'arsenic ou le calomel et des extraits
vénéneux végétaux et animaux, voire des poisons mortels. On les
349
soupçonne de pratiquer des envoûtements sur les "dagides", des
poupées magiquement liées à leur victime. Elles sont percées
d'aiguilles pour projeter des souffrances. Nos sorciers européens
connaissaient déjà cela. Le Bokor transformerait des personnes en
loup-garous ou en morts-vivants, (zombis). Le Bokor utiliserait une
drogue provoquant une léthargie profonde. Il réveillerait ensuite la
personne enterrée avec un contre poison. Le zombi décérébré
deviendrait son esclave. La "magie d'expédition", enverrait des
esprits défunts pour détruire les gens. C'est la face secrète et sombre
du Vaudou.
350
Troisième partir - Spiritualités
contemporaines
CHAPITRE 21 - L'Homme triple
CHAPITRE 22- L'Univers est-il vivant ?
CHAPITRE 23- La vie mystérieuse
CHAPITRE 24 - Amour et Désir chez les
Théosophes
351
CHAPITRE 3 - L'Homme Triple
Les Trois Centres de Conscience.
Lorsque nous imaginons notre stature corporelle, nous nous
représentons mentalement la perception intuitive que nous
avons de notre corps. Nous en construisons un schéma
théorique en positionnant l'intellect dans la tête, au plus près
de l'observateur conscient que nous suscitons, puis nous
hiérarchisons en plaçant l'affectivité dans le thorax, et les
manifestations instinctives dans le bassin. Nous disposons
ainsi d'une image compréhensible et exprimable. Elle est
seulement pratique car, dans la physiologie effective, il semble
que les divers centres de "conscience" soient tous situés dans
le système cérébro-spinal. C'est le mental qui a appris à les
projeter ailleurs. Chez l'embryon, tout le corps semble se
construire par des bourgeonnements issus de la tête, elle même
développée à partir de la cellule germinale.
Cette cellule provient de la démultiplication ininterrompue de
la protocellule originelle. Née avec la vie, sautant de corps en
corps, elle a donc vécu des milliards d'années, et
potentiellement immortelle, elle inventa un jour le sexe et le
plaisir, la douleur et la mort. Pendant ce temps immense, le
corps s'est perfectionné, établissant d'abord en lui même un
premier niveau de connaissance et d'action, une image du Soi
dans le Soi, un reflet intérieur de l'état physique associé à la
mise au point d'un système homéostatique assurant la
régulation des fonctions biologiques essentielles. Au stade
suivant, c'est le reflet du milieu extérieur, l'image du Monde
dans le Soi, qui entre dans le champ de la connaissance
sensorielle. Au stade actuel, c'est le reflet de l'être propre en
352
interaction avec l'environnement, c'est l'image du Soi dans le
Monde, qui accède à la conscience.
Ainsi, l'infinitésimale et fragile cellule originelle a franchi des
milliers de millions d'années et
traversé des millions de millions de dangers pour aboutir à la
construction de notre actuel corps vivant. Elle a lentement mis
au point des systèmes ultra sophistiqués pour assumer la
fabrication de cet organisme extraordinairement complexe
ainsi que les moyens d'en assurer la survie et la progression. Et
quand, à travers la conscience raisonnable, la vie ouvre enfin
les yeux sur un fragment de réalité, c'est pour découvrir
l'absurde inexorabilité de la mort. L'intelligence humaine se
heurte à cette situation incompréhensible tout comme elle se
heurte au problème rémanent du bien et du mal. L'homme
conscient va donc en chercher des explications au travers de la
métaphysique ou de la religion. Cette recherche de la
compréhension des causes premières, des fins dernières, ou du
bien et du mal, démarque l'être humain du reste du monde
vivant. Sur le plan intellectuel, elle aboutit en particulier à un
clivage entre deux théories inconciliables, le "Théisme" et le
"Panthéisme", toutes deux basées sur des postulats
indémontrables par la raison.
La Triplicité du Microcosme.
Dans l'Antiquité, on supposait que les dieux et les hommes
suivaient les lois du Monde selon leur nature propre, mortelle
pour les Hommes, immortelle pour les Dieux. À partir de
Moïse, et d'abord chez les Hébreux, une conception différente
s'établit. Le Monde avait été créé à partir du Néant par un être
primordial tout puissant, extérieur à la nature. Cette
affirmation constitue la base du "Théisme" qui établit la cause
353
première, Dieu, en dehors du Monde dont il est le Souverain
Créateur, (Bible). L'autre postulat, hérité des Anciens, place
les causes premières à l'intérieur du Monde, donc Dieu dans
l'Homme et l'Homme dans Dieu, dans une
unification universelle.
Je n'établirai pas de comparaison critique entre ces deux
systèmes de pensée, sachant qu'aucun des deux ne résout tous
les problèmes. Je me propose simplement de présenter ici un
fragment de la pensée panthéiste, l'idée de la triplicité
humaine, vers laquelle on trouve d'ailleurs des convergences
évidentes dans le Théisme quoique les conclusions en soient
généralement différentes. J'établirai un seul raisonnement
fondamental (qui n'est d'ailleurs pas de moi). "Je suis une
conscience, et par là même, je prouve qu'il y a de la
conscience dans l'univers". Peut-on aller plus loin sans mettre
en œuvre un imaginaire personnel ?
Les religions théistes posent actuellement leur conception des
origines du Monde sur l'idée d'une trinité divine composée
d'un Père créateur, extérieur au Monde, d'un Verbe, acteur de
l’existence, et d'un Esprit, source de Vie. L'enseignement
ésotérique puise aux mêmes sources antiques mais ne rejette
pas Dieu à l'extérieur du Monde, l'introduisant donc au cœur
de l'Homme. A partir de sa conception triple de l'Homme,
manifestation incarnée de l'idée divine, l'ésotérisme présente
donc aussi un triple concept de l'Inconnaissable Esprit Divin.
La triplicité de ce concept partagé s'établit probablement à
partir de la triple structure du système cérébro-spinal avec ses
trois cerveaux successifs empilés et interconnectés pilotant les
diverses fonctions du corps. L'auto-analyse, intelligente ou
intuitive, amène ainsi l'Homme à concevoir qu'il est construit
sur une structure ternaire. Les ésotéristes panthéistes
élargissent ce concept de triplicité humaine et en font une
354
image reflétant dans la réalité terrestre la conception
intellectuelle triple qu'ils ont du divin. L'Homme est à l'image
de Dieu, "Microcosmos" et "Microthéos" au sein du divin
"Macrocosmos". Voir par exemple à ce sujet, les Hermétistes.
Tout cela est difficile à commenter et surtout à illustrer. C'est
pourquoi je propose de mener ce travail en cheminant le long
de la voie des fleurs vivantes, l'art IKEBANA des bouquets
japonais. Nous regarderons tout particulièrement ceux issus de
l'École Ohara, construits en échelonnant harmonieusement, de
haut en bas, trois éléments, SHU, le ciel, FUKU, l'homme, et
KYAKU, la terre, symboles possibles de notre réflexion.
Voyez ci-contre une réalisation particulièrement remarquable
et esthétique, l'artiste ayant imaginé de tripler chaque élément
symbolique, réalisant ainsi une composition très originale,
puisque triplement triple.
La Source Originelle.
De même qu'à l'origine du corps, il y a la cellule primordiale,
la tête et ses prolongements vertébraux, à l'origine du Monde
et des vivants, il y a l'être, l'existence, la matière et la vie
lesquels sont les sources de toutes les choses et connaissances
essentielles et de tous les moteurs de subsistance, de
permanence et de reproduction. Ces forces, ces matériaux, ces
instructions de construction, ces pulsions primordiales et ces
savoirs fondamentaux sont enfouis au plus profond de nous,
inaccessibles à la conscience raisonnable. Nous les analysons
comme des éléments techniques utiles à la construction de
l'appareil existentiel et à son fonctionnement. Nous ne
réalisons pas que tous ces facteurs sont des manifestations
355
actives et actuelles des éternels principes originels de
l'existence et de la vie.
A ce niveau de la réflexion, nous devons être très attentifs.
Nous sommes ici dans le système de pensée panthéiste. Nous
ne parlons donc pas seulement de matière ou de corporéité ni
de représentation mentale. Nous parlons de l'Être unitaire
primordial, inconnu, total, absolu qui nous inclut et qui donc
se manifeste en nous-mêmes. Nous essayons de comprendre
qu'à l'origine, à la source véritablement fondatrice de notre être
propre dans tous ses caractères, il y a une idée créatrice
essentielle, éternellement agissante et vivante, l'Idée
permanente de l'Homme que nous sommes, originellement
conçue dans l'Intelligence Créatrice, (quelle que soit la nature
véritable de cette entité, cause première du Monde), et
manifestée dans notre corporéité. Par notre être total propre,
hors du Monde et du temps, nous lui restons constamment
reliés, mais nous sommes cependant limités par cette
manifestation existentielle, corporelle, temporelle et
consciente qui est notre personnalité mortelle actuelle.
L'existence du mal complique encore la réflexion.
En Occident, la pensée panthéiste adopte souvent les concepts
gnostiques tels qu'on les trouve dans la philosophie du
"Nouvel Âge". C'est, par exemple, un démiurge, créateur
imparfait, qui aurait créé ce monde temporel et ces corps
mortels qui portent cependant en eux les étincelles divines
immortelles
descendues
du
royaume
originel.
Traditionnellement, dans l'imaginaire habituel de notre pensée,
et sans réaliser ce que nous faisons et de quoi nous parlons,
nous construisons une forme conceptuelle pour évoquer la
base originelle. Nous l'appelons souvent "le Dieu Père" mais
d'autres la désignent comme "la Mère originelle", ou même "la
Nature". Là est l'illusion fondamentale. Nous avons quitté le
contact intuitif avec la réalité matérielle originelle et nous
356
l'avons remplacée par une construction mentale, une image
symbolique inversée qui place loin de nous, dans les cieux,
notre origine biologique et terrestre. Cette sorte d'idole se
rencontre souvent dans les textes dits "Sacrés" ou les Temples.
C'est pourtant la matière primordiale qui est conceptuellement
la plus proche de la réalité de l'origine. Elle est d'abord
manifestée dans l'existence matérielle et vivante du corps
biologique, car l'homme pensant émerge de la vie, qui
s'enracine dans la matière dont la source est dans l'Être
primordial. Comprenons cependant qu'il n'y a aucune raison de
placer cette forme conceptuelle, artificielle et imparfaite, cette
idole fondamentale, symbolique et fragmentaire, en haut ou en
bas, ou à la tête d'une quelconque hiérarchie. Dans la triple
image mentale de l'essence universelle, il n'y a ni haut ni bas,
et ni fonction première ou dernière. Inclinée vers la terre, la
branche KYAKU est nécessaire, mais l'harmonie du bouquet
réside dans sa globalité.
La Conscience émergente.
Dans le bouquet japonais, la branche SHU s'élance toujours
ardemment vers le ciel. Je vous propose d'y voir ici le symbole
d'une autre source puissante de la vitalité humaine, la
poursuite vivante par l'idiomorphon (la forme humaine idéale),
du projet divin, du but inconnu fixé à l'espèce au terme
"téléonomique" de son évolution. Cette branche pourrait donc
représenter la partie "cérébrale" de la découverte de l'Univers
par l'Homme, sachant bien qu'il s'agit également de la
357
perception intuitive de l'outre Monde, et l'image de gauche en
est une évidente illustration. C'est le développement de son
cerveau qui fait émerger l'humain hors du terreau de
l'animalité. Dans cette émergence apparaissent la conscience et
la liberté du comportement qui forment la "Personne", image
particulière de la cause première. Au sein de l'intellect, la
pensée gnostique panthéiste sépare ici deux outils : d'une part
la raison qui permet d'accéder au savoir analytique matériel,
(c'est à dire à l'avoir), d'autre part l'intelligence qui permet
d'accéder à la connaissance globale et supra terrestre, (c'est à
dire à l'être). Á travers les illusions du Monde, l'intellect global
doit ainsi permettre d'accéder à la véritable réalité et au sens
profond et caché de la vie terrestre, moyen de la restauration
des caractères divins initiaux de la Personne des origines,
intemporelle et immortelle.
Dans la pensée panthéiste, il n'est qu'un Être primordial,
inconnu, total, absolu qui nous inclut. Nous essayons ici de
comprendre qu'au terme déterminant l'évolution de notre être
propre, il y a une manifestation simplement différente de la
même force essentielle éternellement vivante, qui est l'Idée de
la Personne Humaine. Cette manifestation agit pour que
chaque Personne devienne conforme à ce que son devenir fut
et demeure conçu par l'Intelligence Universelle (quelle que
soit la nature de cette entité). L'Homme lui reste relié dans son
être total, mais, dans son aspect terrestre (donc dans le nôtre),
il a maintenant découvert les admirables facultés de son corps
et les capacités de son multiple cerveau. Ébloui et captivé par
les splendeurs de la nature, les plaisirs et les richesses du
Monde, il veut tout posséder, tout savoir, tout dominer, de
l'atome à l'univers, et tout maîtriser, y compris la vie et la
mort. Animé par ces pulsions de pouvoir et de possession,
d'orgueil et de domination, utilisant sa raison, l'Homme
travaille à remodeler les sociétés et à réorganiser le monde
selon ses désirs. Il invente des sciences et des arts, des
358
philosophies et même des religions, et il élabore des théories et
des doctrines pour expliquer tous les aspects cachés du monde.
Á ce sujet, voir les constructions mentales des
Néoplatoniciens, admirables mais vraiment complexes.
Mais la Personne dispose aussi de son intelligence propre, cet
outil de contact direct avec l'Intelligence Universelle. En
l'utilisant, elle peut enfin comprendre le plan qui la concerne.
La révélation reçue par les panthéistes établit qu'en se
détachant consciemment des illusions du Monde et des désirs
de possession et de domination, l'Homme se délivre de tous les
liens qui l'enchaînent, tant à la vie terrestre qu'à la mort du
corps de chair. En abandonnant les pulsions visant à conquérir
l'avoir, il permet l'émergence ou la reconstruction d'un nouvel
Être totalement libre, d'une entité disposant des caractères
divins originels et du corps transfiguré de la Personne
intemporelle et immortelle des origines.
Traditionnellement et toujours dans l'imaginaire de notre
pensée, nous bâtissons un nouveau concept pour évoquer cette
autre manifestation de la puissance originelle. Les anciens
Grecs l'appelaient le "Noûs" mais nous disons souvent
"l'Intellect" ou, par erreur, "l'Esprit". Là réside une illusion
nouvelle. Nous avons lâché la réalité biologique et neuronale
de notre conscience vivante, raisonnable et intelligente. Nous
l'avons de nouveau remplacée par un reflet mental utilitaire,
par autre image symbolique, vaporeuse ou éthérée qui figure,
dans un milieu inconnu assez flou, tout le destin prochain de
notre devenir terrestre. Dans le mystère de l'avenir, c'est la
matière cérébrale qui nous semble être la plus apte à contenir
cette représentation, et c'est pourquoi nous tendons à poser
l'intellect au sommet de nos facultés.
Cependant, il n'y a toujours aucune raison de placer ce concept
au-delà ou en deçà, au-dessous ou au-dessus, ou dans une
359
hiérarchie quelconque, car il ne demeure dans la triple essence
humaine nul espace entre l'alpha et l'oméga de l'être. Dressée
vers le ciel, la branche SHU nous paraît nécessaire, mais
l'harmonie du bouquet IKEBANA persiste à résider dans sa
globalité.
360
Le Cœur et le Sang.
Le bouquet IKEBANA s'équilibre autour du centre de sa
composition. C'est l'objet central FUKU, symbolisant
l'homme, qui lui donne toute sa valeur artistique et émotive.
Ainsi semble-t-il en être, tout au moins à notre niveau de
perception, des hommes de la Terre quand ils acceptent leur
état. Car, sur les fondations exposées ci-dessus, d'autres
manifestations du principe originel définissent les spécificités
des différentes formes vivantes et leurs comportements.
L'espèce humaine est issue d'une façon quelconque de
l'animalité. Elle partage donc les caractères et les modes
relationnels des mammifères, ceux pratiqués par les
anthropoïdes en général, ou ceux des divers humanoïdes
présents ou passés, en particulier. Au niveau de la conscience
ordinaire, des pulsions puissantes régissent les comportements
habituels et tendent à satisfaire les dévorants désirs liés à
l'affectivité. Elles expriment les besoins relationnels des divers
individus composant les groupes, les espèces, ou les
commensaux variés qui partagent le même environnement,
ainsi que toutes les actions, réactions, et tous les sentiments
qu'ils inspirent. Ces réactions d'amour et de haine, de plaisir et
de souffrance, d'exploitation et de dévouement régissent
l'essentiel des relations naturelles entre les individus, les
sociétés ou les espèces, y compris chez les hommes. Mais
d'autres facteurs peuvent aussi agir puissamment sur notre
émotivité, comme l'art et la musique, par exemple. C'est qu'il
existe en nous d'autres facultés, tel le sens de l'esthétique ou de
l'harmonie, des canaux nouveaux qui conduisent à des
spécificités humaines non partagées.
En ce qui nous concerne, en liaison avec l'émergence de la
"Personne", image particulière reflétant intérieurement la
361
"Totalité universelle", l'émotion, ordinairement provoquée par
un objet extérieur, peut aussi être éveillée par la perception
mentale de l'Idée créatrice originelle lorsqu'elle se manifeste
dans la pensée. Comme toute émotion, celle-ci provoque une
réaction cardiaque et un mouvement sanguin, comme si le
sang était porteur de la sensibilité personnelle du sujet. La
pensée panthéiste fait alors de ce cœur palpitant le siège de la
manifestation de l'Être originel dans l'âme humaine. Elle
considère cet organe comme la porte d'entrée de l'appel
intérieur fait à chaque homme pour qu'il se libère des chaînes
pénibles de la vie terrestre et qu'il réalise maintenant sa
destinée d'accès à la spiritualité et à l'intemporalité. Il faut
d'ailleurs signaler à ce niveau une particularité un peu
surprenante des doctrines et religions théistes. Comme le
polythéisme antique, elles enseignent l'irruption dans le réel
d'entités conceptuelles immatérielles (dieux ou anges), qui
n'appartiennent pas à la création mais qui viennent agir pour
aider l'homme dans sa vie terrestre, (Telle l'incarnation du
Verbe, dans le Catholicisme). C'est intellectuellement
analogue à l'image représentative d'un mythe qui prendrait vie
et sortirait de son cadre pour rencontrer son concepteur.
Cette évidente difficulté n'existe pas dans la pensée panthéiste
moderne qui professe l'unité du Monde dont la source créatrice
est partout et en tout, se manifestant donc dans la matière, dans
l'homme, dans sa pensée, et tout particulièrement ici, dans son
cœur où lui semblent résider la force auto libératrice originelle
: le Christ intérieur. "Mon cœur contient tout", dit Ibn Arabi
soufi, un gnostique musulman. L'homme ressent
douloureusement en son cœur les tumultes engendrés par de
perpétuels combats. Car l'opposition des contraires caractérise
tous les aspects de ce Monde que les gnostiques appellent
donc "dialectique". Chaque choix effectué entre le bien ou le
mal, la paix ou la guerre, la haine ou l'amour, engendre un
nouveau conflit. Cette situation devient intolérable à qui en
362
prend conscience et commence à se souvenir du Monde
originel. Car la pensée panthéiste gnostique affirme qu'il existe
aussi une dialectique qui oppose la violence et la mort (qui
régissent la Terre), à la vie éternelle et à l'amour universel (qui
règnent dans le Royaume originel).
C'est donc sur le chemin de la transformation de l'être et du
retour à l'état originel que s'ouvre la porte du cœur, complétant
ainsi le triple symbole panthéiste signifiant le véritable sens de
la vie humaine. Mais il n'y a aucune raison de placer cette
nouvelle représentation conceptuelle en avant, en arrière, ou
au centre d'une hiérarchie quelconque, car il n'y a toujours
dans la triple essence humaine nul espace entre l'alpha et
l'oméga de l'être. Au cœur IKEBANA, la fleur FUKU a pris sa
place, mais l'harmonie réside encore en la globalité.
Le Triple Temple.
Tout en développant de façon trinitaire les aspects à travers
lesquels la pensée panthéiste décrit le Monde et l'Homme, j'ai
insisté sur l'unité indissociable qui réunit les trois images
conceptuelles utilisées. Selon les doctrines, les ésotéristes
usent d'autres modèles, des constructions basées sur les
chiffres sept ou dix ou douze, par exemple. L'important est de
comprendre que cette pensée postule fondamentalement l'unité
absolue du Monde, de l'atome à l'univers, du créateur à la
créature, de l'origine aux fins ultimes, et de l'individu à
l'humanité entière. Elle se fonde sur la certitude qu'il n'existe
qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme, l'Univers et
Dieu, que tous les autres aspects du Monde sont parfaitement
363
illusoires, et que la personnalité individuelle s'inscrit donc
toujours dans l'unité de l'humanité tout entière.
C'est en lui-même, qu'à l'origine, ce Dieu unique différencie
les mondes et les esprits vierges qui vont expérimenter la
matière. Ce n'est pas une expérience facile mais l'éternité est
disponible. Les esprits inconscients vont s'enfoncer dans le
chaos originel. Au cours de la descente, l'émergence de la vie
dans la matière inerte puis celle de la conscience dans les
corps vivants devraient permettre de réaliser l'Idée divine,
l'incarnation des esprits dans des corps matériels vivants, des
"Microcosmes" bâtis au modèle de l'Univers. Mais les
expériences sont variées et parfois périlleuses. Originellement
libres, certains esprits vont s'égarer, dont ceux des hommes.
Alors se forme le monde que nous connaissons, le monde
"dialectique" des gnostiques, régi par l'opposition des
contraires. Et il faudra que chaque esprit immortel, enfermé
dans un corps humain mortel, se délivre de ses chaînes
matérielles, de ses cristallisations, de son karma personnel et
ancestral, pour reprendre librement le chemin de l'incarnation
spirituelle, la reconstruction de son propre "Microcosme", de
la véritable réalité de son être personnel, tel que voulu pour lui
seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la globalité de la
communauté humaine.
L'esprit incréé, seul l'esprit peut l'engendrer. De nature divine,
engendré non pas créé, l'homme originel est et demeure
immortel. Vivant dans un corps biologique, c'est dans cette vie
naturelle même qu'il peut retrouver ses pouvoirs si l'homme
animal qui l'héberge accepte par amour la transformation
nécessaire, la transfiguration du corruptible en incorruptible,
du plomb vil en or pur. L'Homme ne se fait pas lui-même,
disait-on au Moyen Âge. Il est fait par la matière qu'il travaille
et par la lumière qui l'éclaire. C'est cela, semble-t-il, que les
anciens Alchimistes découvraient un jour, non pas dans leurs
cornues comme d'abord ils l'espéraient en éprouvant
364
inlassablement le sel, le soufre et le mercure, mais en euxmêmes, tout au terme de leur longue recherche de la pierre
philosophale. Car la pierre n'opérait qu'en présence d'un peu
d'or, symbole de la présence effective de l'Esprit divin, et
préalable nécessaire à la transmutation. Puisse chacun trouver,
en soi-même, sa propre pierre de métamorphose et aller
maintenant son chemin personnel de transfiguration.
Les ésotéristes nous disent que par amour, la Divinité descend
depuis l'Esprit pur vers chaque homme en revêtant la matière,
puis que, par amour aussi, l'Homme s'élève depuis sa
corporéité vers Dieu en libérant son propre Esprit.Je
synthétiserai ces idées en disant que pour les panthéistes
gnostiques chrétiens, c'est l'amour total qui constitue le feu de
l'alchimie ultime, laquelle transforme alors le corps de
l'homme en triple temple du divin Microcosme. L'éternel
Esprit incréé des origines est "l'Amour Même". Il s'exprime en
donnant vie et connaissance, et ce don d'amour éternel ne peut
se réaliser dans la solitude. L'Esprit divin engendre donc
nécessairement "l'Autre", l'Homme spirituel immortel qui est
une conscience vivante. Engendré par l'Esprit d'amour et non
pas créé, l'Homme révélé rayonne naturellement la force de la
vie et la clarté de la connaissance sur toute l'humanité. Cet
impératif comportemental de fraternité universelle détermine
donc l'orientation majeure du travail intérieur des ésotéristes
gnostiques qui, conscients de la double nature de leur être
terrestre, vont associer l'ardeur de l'amour insufflé par l'Esprit
divin intérieur à la douceur de la compassion puisée dans leur
périssable nature humaine.
Comme il faut bien que j'arrête quelque part cette présentation
générale de la pensée panthéiste et gnostique, je terminerai ici
en utilisant un dernier symbole ternaire et en vous priant
maintenant de vous attarder un instant sur cette magnifique
365
illustration d'artiste représentant ce corps humain ainsi
triplement et spirituellement transfiguré.
COMPLEMENTS
L'HERMETISME
(Extrait d'Asclépius)
L'Homme, dit Hermès, peut retrouver son immortalité et
sa place dans le royaume originel s'il réussit la
transmutation de son corps mortel. Le pouvoir du
Démiurge s'efface. Il cède la première place à l'Homme
primordial.
Lumière et vie, voilà ce qu'est le Dieu et Père.(...).
(...)Voilà pourquoi, seul de tous les êtres, l'Homme est
double, mortel de par le corps, immortel de par
l'Homme essentiel (...).
L'Hermétisme jette sur le Monde un regard résolument
positif. Dieu est la Vie même, intellect et amour actif. Un
démiurge distinct a construit l'univers et son peuplement,
autant que les sphères du zodiaque qui fixent le destin.
Bien qu'il soit immortel et qu'il ait pouvoir sur toutes
choses, l'Homme subit la condition des mortels, soumis
qu'il est à la destinée.(...). (Poïmandres).
366
(...) Quant à l'Homme, de vie et de lumière qu'il était, il
se changea en âme et en intellect, la vie se changeant
en âme, la lumière se changeant en intellect, (...).
(Poïmandres)
.
(...) Parmi tous les genres d'êtres, ceux qui sont pourvus
d'une âme ont des racines qui parviennent jusqu'à eux
de haut en bas. En revanche, les genres des êtres sans
âme épanouissent leurs rameaux à partir d'une racine
qui pousse de bas en haut. Certains êtres se nourrissent
d'aliments de deux sortes, d'autres, d'aliments d'une
seule sorte. Il y a deux sortes d'aliments, ceux de l'âme
et ceux du corps, les deux parties dont se compose le
vivant.(...). (Asclépius).
L'Homme qui se connaît, connaît aussi le monde,(...) Il
révère l'image de Dieu, sans oublier qu'il en est la
seconde image, car Dieu a deux images, le monde et
l'homme.(...). (Asclépius).
Au commencement, il y eut Dieu et Hylé, (la matière). Le
Souffle, (Pneuma-l'Esprit), était (...) dans la matière mais
non pas de la même façon (...) qu'étaient en Dieu les
principes dont le Monde a tiré son origine. (...) Dieu qui
est toujours, Dieu éternel, ne peut être engendré, ni n'a
pu l'être. Telle est donc la nature de Dieu, qui toute
entière est issue d'elle même. (...).
Quant à Hylé, (la nature matérielle), et au Souffle, bien
qu'ils soient manifestement inengendrés, ils ont en eux le
367
pouvoir et la faculté naturelle de naître et d'engendrer.
(...). Voici donc en quoi se résume toute la qualité de
Hylé (la matière), elle est capable d'engendrer bien
qu'elle soit elle-même inengendrée. Or, s'il est de la
nature de la matière d'être capable d'enfanter, il en
résulte que cette matière est tout aussi capable d'enfanter
le Mal. Cependant, le Dieu suprême a pris d'avance ses
précautions contre le Mal, de la façon la plus rationnelle
qui se pût, quand il a daigné gratifier les âmes humaines
d'intellect, de science, et d'entendement. En effet, c'est
par ces facultés, (...) et par elles seules, que nous
pouvons échapper aux pièges, aux ruses, et aux
corruptions du mal. (...) car toute science humaine a son
fondement dans la souveraine bonté de Dieu. (...).
Quant au Souffle, c'est lui qui procure et entretient la vie
dans tous les êtres du monde lequel obéit, comme un
organe ou un instrument, à la volonté du Dieu suprême.
(...). C'est du Souffle que Dieu remplit toutes choses,
l'insufflant en chacune d'entre elles selon la mesure de sa
capacité naturelle. (Hermès Trismégiste - Asclépius).
LES NEOPLATONICIENS
(JAMBLIQUE)
1 - La connaissance des dieux est à part, séparée de toute
opposition. Elle ne consiste pas dans le fait qu’on la concède
maintenant ou qu’elle prend naissance. De toute éternité, elle
coexistait dans l’âme en une forme unique.
368
2 - Conçois donc comme du limon tout le corporel, le matériel,
l’élément nourricier et générateur, ou toutes les espèces
matérielles de la nature qu’emportent les flots agités de la
matière, tout ce qui reçoit le fleuve du devenir et retombe avec
lui, ou la cause primordiale, (préalablement installée en guise
de fondement), des éléments et de toutes leurs puissances. Sur
ces bases, le Dieu auteur du devenir, de la nature entière, de
toutes les puissances élémentaires, lui qui est supérieur à
celles-ci et s’est révélé dans sa totalité sorti de lui-même et
rentré en lui-même, immatériel, incorporel, surnaturel,
inengendré, indivis, préside à tout cela et enveloppe en luimême l’ensemble des êtres. (../..).
3 - Avant les êtres véritables et les principes universels il y a
un Dieu qui est l’Un, le Tout Premier même par rapport au
Dieu et Roi premier. Il demeure immobile dans la solitude de
sa singularité. Aucun intelligible, en effet, ne s’enlace à lui, ni
rien d’autre. Il est établi comme modèle du Dieu qui est à soimême un père et un fils, et est le Père unique du vrai Bien, car
il est le plus grand, premier, source de tout, base des êtres qui
sont les premières Idées intelligibles. A partir de ce Dieu Un
se diffuse le Dieu qui se suffit, c’est pourquoi il est à soimême un père et un principe car il est principe et dieu des
dieux, monade issue de l’un, antérieure à l’essence et principe
de celle-ci. (../..).
4 - D’après les conceptions hermétiques, l’homme a deux
âmes. L’une est issue du Premier Intelligible, et elle participe
aussi à la puissance du démiurge. L’autre est introduite en
nous à partir de la révolution des corps célestes. C’est en celleci que se glisse l’âme qui voit Dieu, (la précédente). Les
choses étant ainsi, celle qui descend des mondes, (... célestes,
la fatalité inscrite dans le Zodiaque), en nous, accompagne la
révolution de ces mondes, tandis que l’âme issue de
369
l’Intelligible, présente en nous selon le mode propre à
l’intelligible, est supérieure au cycle des naissances. C’est par
elle que, délivrés de la fatalité, nous remontons vers les dieux
intelligibles. (...).
Prologue de l'Évangile de Jean
Jeannine SOLOTAREFF a publié une exégèse de l'Evangile
de Jean, réalisée par Paul DIEL.
Celui-ci estime que le texte originel de cet Evangile a
probablement été modifié au cours des siècles. Les versets 67-8-9-15 auraient subi des translocations qui les ont remontées
depuis leur place initiale pour les amener vers le début du
prologue. Cette opération aurait transformé en dogme la valeur
initialement symbolique du Prologue. Or, il est bien établi que
ce texte majeur est fondateur du dogme principal de la religion
catholique. (Le symbolisme dans l'Evangile de Jean - Paul
Diel - Jeannine Solotareff - (Ed. Payot & Rivages - 1983)
Voyez ci-dessous le texte reconstruit dans la forme proposée
par ces auteurs. Les numéros sont ceux des versets dans leur
ordre canonique habituel. Un second tableau, sur la page
suivante, présente les interprétations des auteurs.
Le Prologue de l’övangile de Jean
revisité
Partie 1.
( 1) Au commencement était le Verbe, et le Verbe était auprès
de Dieu, et le Verbe était Dieu.
( 2) Il était au commencement auprès de Dieu.
( 3) Par lui tout a paru, et sans lui rien n’a paru de ce qui est
paru.
370
Partie 2.
( 4) En lui était la vie et la lumière des hommes.
( 5) Et la lumière brille dans les ténèbres et les ténèbres ne
l’ont pas saisie.
(10) Il (le Verbe) était dans le monde et le monde par lui a
paru et le monde ne l’a pas connu.
(11) Il est venu parmi les siens et les siens ne l’ont pas
accueilli.
(12) Mais à tous ceux qui l’ont reçu, il a donné pouvoir de
devenir enfants de Dieu. A ceux qui ont foi en son nom.
(13) Qui ne sont pas nés du sang ni d’un vouloir de chair ni du
vouloir d’un homme, mais de Dieu.
Partie 3.
(14) Et le Verbe est devenu chair et il a dressé sa tente parmi
nous et nous avons contemplé sa gloire, gloire comme celle
que tient de son père un fils unique plein de grâce et de vérité.
(16) Car de sa plénitude, nous avons reçu et grâce pour grâce.
(17) Car la loi a été donnée par Moïse, la grâce et la vérité sont
venues par Jésus-Christ.
(18) Dieu, personne ne l’a jamais vu, le Fils Unique qui est
dans le sein du Père, celui-là l’a fait connaître.
Partie 4.
( 6) Il y eut un homme envoyé de Dieu, son nom était Jean.
( 7) Il vint en témoignage pour témoigner au sujet de la
lumière, afin que tous par lui fussent
amenés à la foi.
( 8) Celui-là n’était pas la lumière, mais il devait témoigner au
sujet de la lumière.
( 9) C’était la lumière, la véritable qui illumine tout homme en
venant dans le monde.
371
(15) Jean témoigne à son sujet et n’a cessé de crier: «C’est
celui dont j’ai dit « Celui qui vient après moi a existé avant
moi, car avant moi il était »..
L’explication du Prologue selon Paul DIEL
Lorsque ces versets sont replacés dans l’ordre cohérent
proposé par Paul DIEL, on remarque que le texte comporte
quatre parties distinctes.
•
La première partie est métaphysique et parle clairement du
mystère appelé Dieu et de ses rapports avec le Verbe,
source des manifestations existentielles. (Versets 1,2,3).
•
La seconde partie nous dit ce que sont les rapports entre le
Verbe et l’Homme, et nous explique le vrai sens de la vie.
(Versets 4,5,10,11,12,13).
•
La troisième partie, et elle seule, parle de l’Homme Jésus,
appelé Fils de Dieu ou Verbe incarné. (Versets
14,16,17,18).
•
La dernière partie enfin, nous expose la mission de Jean.
(Versets 6,7,8,9,15).
Percevez-vous bien toute la portée de l’observation de Paul
DIEL ?
Mesurez-vous les conséquences de cette toute petite remise en
ordre des versets du Prologue sur les fondements mêmes du
catholicisme ?
372
L’interprétation traditionnelle du Prologue est dogmatique.
Dieu y est défini comme un être réel qui se tient hors u
Monde, dans la transcendance où il accompagné du Verbe et
de l’Esprit.
L’espoir de l’humanité repose sur la bonté de ce Dieu
personnel, attaché à juger les hommes, et qui a fini par
envoyer le Verbe, personnage réel, lequel a pris la forme
humaine de Jésus.
Paul DIEL propose une exégèse symbolique. Dieu est un
symbole imaginé par l’homme pour exprimer son angoisse
devant les mystères auxquels il est confronté. Jésus est
considéré comme l’incarnation du sens de la vie appelé
symboliquement « Verbe ».
L’espoir de l’humanité repose la capacité évolutive de
l’homme de se délivrer de sa vaniteuse angoisse. Jésus est le
Christ incarné car il a pleinement accompli cet idéal. C’est
seulement en ce sens que Jésus est le Fils divin qui porte
l’espoir évolutif des hommes.
373
LA DIVINE ORIGINE
"Incréé ne peut mourir"
Citations extraites de la conclusion du livre de Marie BALMARY Dieu n'a pas créé l'homme.
.
-
Si la créature n'est pas le dernier mot de l'humain, si
l'homme et la femme sont incréés, incréables, s'ils
deviennent sujets, (le mot, chez cet auteur, ne désigne
jamais l'inféodé mais prend toujours le sens grammatical.
C'est le terme gouvernant le verbe, celui qui dit JE
lorsqu'il parler à l'autre, et même à Dieu), en sortant du
moi-esclave sans perdre la loi de leur relation, s'ils
s'éveillent en leur rencontre et engendrent des fils
d'homme incréés eux aussi, la question de la mort apparaît
sous un autre jour.
-
La mort, dit Marie BALMARY, est alors une nouvelle à
deux versants : Mauvaise nouvelle pour la créature,
puisqu'elle lui signifie son néant, elle est bonne nouvelle
pour l'incréé. Pour lui, elle est promesse. Promesse qu'il ne
demeurera pas immergé dans la condition de l'après-Eden.
-
Comme le dit YHWH, rappelle-t-elle, (Au chapitre 6 de la
genèse, verset 3), dans une phrase difficile à traduire parce
que plus difficile encore à penser : "Mon esprit ne durera
pas (ou ne plaidera pas ou ne jugera pas) dans l'humain
374
pour toujours. Dans leur égarement, il est chair; ses jours
seront de cent vingt ans."
-
-
(…/…) J'entends ici que "l'esprit de Je", l'esprit incréé qui
parle en l'homme à la première personne, ne restera pas
pour toujours dans le terrien, (celui qui a été créé mâle et
femelle). "Leur égarement", c'est qu'ils s'égarent l'un
l'autre. Est-ce l'esprit qui devient chair lorsqu'ils se perdent
ainsi ? (.../...).
(.../...) L'être qui parle en première personne, homme et
femme, n'est pas de la création mais de l'esprit qui vient en
leur rencontre. Cet esprit demeurera en l'humain le temps
qu'il dise "Je", le temps qu'il dise "Tu". Puis il traversera la
mort. Incréé ne peut mourir !
375
CHAPITRE 22 – Le Cosmos estt-il vivant ?
Le concept matérialiste de l'Univers mécanique.
La philosophie matérialiste conventionnelle décrit le Cosmos
comme une construction mécanique dont le fonctionnement
sera progressivement expliqué par la Science. Quoique les
principales théories cosmogoniques restent actuellement
incompatibles, ce concept a progressivement envahi notre
représentation intellectuelle et spirituelle de l'Univers.
" L'univers est une machine, la vie est aléatoire et fonctionne
de façon mécanique, et l'homme, issu de ces machineries, est
lui même une machine".
Ces principes généraux simplistes sont interprétés par les
différentes disciplines pour poser les postulats particuliers
servant de bases des diverses théories et idéologies
cosmogoniques. On les retrouve, érigés en dogmes ou en
mythes, tant chez les scientifiques que chez les philosophes et
même chez les religieux du monde entier. De tous temps, les
chercheurs ont tenté d'imaginer d'où provenaient l'univers, la
vie, ou l'homme. L'apparition de nouveaux modèles est
cependant suffisamment rare pour que l'on se penche un peu
sur leurs berceaux. Nous constatons, par exemple, que le
cosmos se transforme de lui-même et change continuellement
comme les êtres vivants.
Le Cosmos vivrait-il ?
376
Cette question est rarement formulée de façon aussi simple et
directe. C'est pourquoi, en fonction de formulations floues,
incomplètes ou orientées, elle reçoit généralement des
réponses partielles et limitées. Pourtant, ces idées complexes
convergent d'une certaine façon avec les conceptions
métaphysiques antiques ou modernes du Panthéisme qui
considère que le Cosmos et sa cause originelle sont confondus
dans une seul Être.
"La nature n'est qu'un seul être. (Spinoza)"
De nouveaux modèles de l'Univers apparaissent.
Les difficultés rencontrées par les scientifiques pour réaliser
une unification réelle des diverses théories cosmogoniques
actuelles ont ouvert la voie à diverses idées nouvelles. Une
néo-métaphysique connue mais un peu restreinte, est appelée
"l'hypothèse Gaïa". Originellement élaborée sur des bases
scientifiques, elle ne concerne qu'une partie de notre toute
petite planète, la Terre. Elle envisage que la biosphère
constituerait un seul et gigantesque organisme animé
disposant des mécanismes régulateurs convenables pour
assurer les équilibres nécessaires à son autoconservation, c'està-dire à sa survie. On constate, tout au moins dans la
formulation que j'en ai faite, qu'on reste ici dans le dogme
matérialiste et mécanique dont j'ai parlé. À priori, le genre de
vie attribuée à la biosphère semblerait être de nature assez
automatique, son fonctionnement étant assuré par des auto
régulations.
377
La recherche de modèles nouveaux d'univers génère des
hypothèses plus générales, relatives au Cosmos entier, et plus
strictement scientifiques. Elles tentent d'intégrer différents
phénomènes rebelles aux formulations de l'univers einsteinien.
Des chercheurs russes ont formulé le concept d'un espace
vivant, constitué d'un champ informationnel dont l'énergie
temps serait une propriété originelle surgissant partout
instantanément. Selon le Pr. Vlail Kaznatcheyev, toute
l'évolution de l'Univers procède activement de cet espace
vivant cosmique. Pour le Pr. David BOHM, le monde matériel
n’est qu’un aspect de la réalité, un hologramme. La matrice
qui le génère n’est accessible ni à nos sens, ni à la science. La
réalité n’est pas un assemblage d’objets séparés mais un
processus de plénitude en état de changement constant.
L'espace contiendrait une énorme quantité d’énergie qui
engendre le monde phénoménal. Cette transformation qu'il
appelle "holomouvement" serait la source même de
l'existence et de la vie.
Le physicien philosophe Jean Charon considère que la matière
et l'esprit sont les deux faces inséparables du réel. L'univers est
un être vivant, jusque dans chacune de ses particules, et il est
également raisonnable même si les formes lointaines ou
étrangères de cette raison nous échappent généralement. Les
choses ne sont que l'image que nous en donne maintenant et
actuellement notre esprit, c'est pourquoi notre conscience
progresse avec le temps. L'univers nous apparaît ondes ou
particules, à la fois continu et discontinu. Chaque particule
(éon) présente à la fois un aspect matériel, actuel, porteur de
ses propriétés physiques, et un autre aspect, dans un autre
espace-temps, qui porte ses propriétés spirituelles. Comme
l'univers, nous serions faits à la fois de matière et d’esprit tout
en constituant pourtant une unité, un hologramme du réel.
378
Une autre théorie propose une structure fractale de l’univers.
L’apparent désordre cosmique serait composé, à tous les
niveaux, de structures homologues à différentes échelles,
emboîtées les unes dans les autres comme des poupées russes.
Cet univers fractal serait régi par des lois véritables, celles du
hasard et du chaos. La structuration hypothétique du réel sur
un mode fractal ne permet pas de présupposer l’existence d’un
principe ou d’un modèle de référence qui expliquerait les
mystères du monde. L’océan n’attend pas la référence d’une
formule pour occuper la ligne mouvante des côtes fractales du
continent. C’est bien au contraire le contour fractal qui émerge
par lui-même de la rencontre mouvante, hasardeuse et
chaotique de la terre et de l’eau. En serait-il de même pour
l’univers qui émergerait par lui-même de rencontres
inconnues.
Les idées actuelles ont favorisé l'émergence de nouveaux
mythes religieux ou l'adaptation des doctrines antiques à la
pensée moderne. Voyez, à ce sujet, Teilhard de Chardin : " Le
monde se présente à nous, non pas seulement comme un
système en mouvement mais comme un système en état de
devenir et de développement, ce qui est tout autre chose ". On
rejoint ici les croyances préchrétiennes. Pour les Egyptiens
antiques, l'inanimé n'existait pas,et tout l'univers, y compris
l'homme, est la manifestation multiforme de forces plus ou
moins conscientes en action dans le Monde. Au début de notre
ère et alors que le monothéisme est déjà installé, les
néoplatoniciens d'Alexandrie déclarent encore : " les planètes
sont les corps des dieux ". (Jamblique). On trouvera également
en annexe le rappel des théories hérétiques de Giordano
Bruno.
Vous avez trouvé plus haut une citation de Spinoza. Il pensait
que Dieu et la Nature sont une seule et même chose et Dieu
comprend une infinité de genres d’être. C'est que que pensait
379
déjà Giordano Bruno, brûlé au 16ème siècle. Cette forme de
pensée est ce que l'on appelle le Panenthéisme. À notre
époque, le mouvement du New Age reprend ces idées. Il est
généralement considéré comme holistique, panthéiste et même
panenthéiste. Cela veut dire qu'il conçoit l'Homme, le Monde
et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant Dieu, et
même tout étant en Dieu, même si ce mot n'est pas toujours
utilisé. Ce point de vue spiritualiste reste un mouvement de
fond puissant qui, quoique diffus, demeure aujourd'hui présent
et fort influent comme le prouvent le développement
considérable d'écoles de pensée, le nombre de films ou de
livres qui prônent les valeurs, les théories et les pratiques qu'il
propose, et les pratiques répandues de médecines alternatives.
380
L'Hypothèse Gaïa.
L'hypothèse Gaïa a été formulée en 1969 par le britannique
James Lovelock, chimiste de l'atmosphère, inventeur, et ancien
conseiller de la NASA, et par sa collaboratrice, la
microbiologiste Lynn Margulis. La biosphère de la Terre,
l'énorme masse de matière vivante qui en couvre la surface,
constituerait un seul et gigantesque organisme disposant de
tous les mécanismes régulateurs convenables pour assurer
automatiquement les équilibres planétaires nécessaires à son
autosuffisance et à son autoconservation, c'est-à-dire à sa
survie. Cette théorie scientifique a secondairement provoqué
une vague de réflexions philosophiques et religieuses lorsque
l'idéologie écologique atteignit le New Age. Elle a même remis
en question les idées courantes concernant l'évolution de la vie
terrestre ainsi que le rôle de l'homme dans les changements
climatiques et environnementaux.
Qu'est-ce que l'hypothèse Gaïa ?
James Lovelock travaillait pour la NASA au projet Viking qui
tentait de déterminer si la vie était possible sur Mars. Il voulait
trouver ce qui assurait la persistance de la vie sur Terre.
Spécialiste de l'atmosphère, il se convainquit que la cause en
était dans la composition de l'atmosphère terrestre et le fragile
381
équilibre de ses composants, oxygène, azote, hydrogène,
méthane et autres éléments.
Constatant la permanence de cet équilibre, il en déduisit qu'il
se restaurait de lui même et affirma que «l'on peut considérer
tout l'éventail de la matière vivante sur Terre, depuis la baleine
jusqu'au virus, depuis le chêne jusqu'à l'algue, comme
constituant une seule entité vivante, capable de manipuler
l'atmosphère terrestre dans le but de répondre à ses besoins
globaux et dotée de facultés et de capacités qui se situent bien
au-delà de celles de ses parties constituantes» - (Lovelock,
1979: 9).
L'hypothèse Gaïa s'enracine aussi dans les convictions
des Amérindiens
Nous sommes une partie de la Terre, et elle fait partie de
nous. Les fleurs parfumées sont nos soeurs. Le cerf, le
cheval, le grand aigle, ce sont nos frères. Les crêtes
rocheuses, les sucs dans les prés, la chaleur du poney, et
l'homme, tous appartiennent à la même famille. Nous savons
au moins ceci : La Terre n'appartient pas à l'Homme, c'est
l'Homme qui appartient à la Terre. Toutes les choses se
tiennent.
(Chef Seattle- Tribu Duwamish)
382
L'espace vivant et le flux générateur de David Bohm.
Des chercheurs russes ont imaginé un espace vivant, un champ
informationnel dont l'énergie temps serait une propriété
surgissant partout instantanément. Selon le professeur Vlail
Kaznatcheyev, toute l'évolution de l'Univers, dès le big-bang,
prend son origine dans cet espace vivant cosmique. Pour le Pr.
David BOHM, le monde matériel n’est qu’un aspect de la
réalité et la matrice qui le génère n’est accessible ni à nos sens,
ni à la science. David Bohm était un scientifique exceptionnel.
Il s'est pourtant mis en marge de la communauté scientifique
qui lui semblait donner plus d'importance à la compétition
qu'à la pensée originale. Reconnu cependant comme un
scientifique de premier ordre, il attira même l'attention
d'Einstein. S'orientant vers le mysticisme dans les années 50,
Bohm s'établit à l'université de Londres. En relation suivie
avec KRISNAMURTI et proche ami du Dalaï-Lama, il
pressentait que la physique quantique pouvait déboucher sur la
découverte de niveaux cachés de la réalité. Pour cet
astrophysicien, l’Univers serait un immense hologramme,
chacun de ses éléments enfermant l'essence de la totalité de
l’Univers. Le Cosmos pourrait être une structure infinie
d’ondes où tout est lié à tout, et où être et non-être ,esprit et
matière, ne seraient que des manifestations différentes d’une
seule réalité profonde animée d’un flux permanent de
transformations créatrices, la Vie. La mort même pourrait
alors être une transformation énergétique et non pas un
anéantissement. Gigantesque illusion, l'univers serait un
hologramme.
Après David Bohm, ses concepts ont été élargis et repris dans
des disciplines différentes par d'autres chercheurs. Le
neurologue K. Pribram, par exemple, a constaté que le cerveau
383
doit recevoir et décoder des masses énormes d'informations.
Voir, sentir, entendre sont d'abord des paquets d'ondes que le
cerveau doit traiter avant que les résultats de ces calculs
complexes soient perçus par la conscience comme étant des
images, des odeurs ou des sons réels. Il a alors pensé que ce
décodage suivait un processus holographique, permettant à
une énorme quantité d’informations d’être stockée dans un
volume infime. Le cerveau reconstruirait une " réalité
concrète " en interprétant ces signaux et en interposant ensuite
des filtres mémoriels pour que notre conscience ne soit pas
submergée par les informations. Certains observateurs pensent
maintenant que les travaux de David Bohm et de Karl Pribram
fournissent un modèle de la conscience humaine qui permet
d'explique l'existence des phénomènes paranormaux qui
seraient des aperçus d'une réalité plus profonde. Nos cerveaux
construiraient une image irréelle du concret et la réalité
objective n'existerait pas. Le monde matériel serait bien une
illusion, ainsi que la perception de nous-mêmes en tant
qu'êtres physiques existant effectivement dans le Monde.
Qu'est-ce qu'un hologramme
Un hologramme est une image tridimensionnelle provenant de
l’enregistrement des interférences de deux ondes l’une
directement issue d’une source, l’autre ayant été diffusée par
l’objet. Très différent dune photographie, il a l'étonnante
propriété que chacune de ses parties puisse reconstituer
l’image d'ensemble de l'objet. Dans un hologramme, chaque
partie est dans le tout et le tout est dans chaque partie.
384
L’ensemble des informations concernant l’objet est enregistré
en chaque point de l’hologramme. Celui-ci peut donc être
brisé, chaque morceau conservant sa capacité de reproduction
totale. L'hologramme peut également être observé sous
plusieurs angles comme l'objet initial, comme dans l'exemple
de démonstration accessible par le lien ci-dessous. Cette
découverte permet une représentation élargie et nouvelle de la
réalité qui est proche de l'idée antique, ésotérique et panthéiste
de l'homme à la fois "microcosmos" et "microthéos".
La particule porteuse d'esprit - Jean Emile CHARON
Jean Emile Charon était un
physicien
français
mondialement connu. Il est
l’auteur de plusieurs ouvrages,
essais et articles scientifiques
ou
de
philosophie
scientifique.(L’être et le verbe,
L’Ésprit, cet inconnu, J’ai
vécu
quinze
milliards
d’années, Mort voici ta
défaite, l’Esprit et la Science,
Etc..). Après sa mort, ses
dernières notes furent publiées
sous forme de testament
spirituel sous le titre "Et le
divin dans tout ça ?". Il était
l'un des physiciens qui se sont
385
mis à parler de l’esprit et de la
conscience en disant que nous
sommes faits de matière et
d’esprit et qu'il est donc
nécessaire d’avoir sur le
problème de l’Esprit des
notions aussi scientifiques que
celles que l'on a sur la
Matière.
Jean Charon disait que le monde n’est pas inerte et que
l’Univers est entièrement vivant. "Je crois que l'Univers est
sacré, mais je sens que l’objectif de cet Univers est de se faire
connaître d’abord". Sa priorité était d'expliquer comment est
faite la Matière, qu'il appelait " la psychomatière ", considérant
qu'elle est à la fois matière et esprit. Pour cela, il a proposé un
modèle représentant à la fois la partie Matière et la partie
Esprit, l'éon, un élément matériel qui serait porteur de l’Esprit
et de la conscience. Il pensait aussi que la vision mécaniste du
Monde était en train de changer. On a d'abord pensé le monde
créé par Dieu. Ensuite, on a pensé que le monde fait par Dieu
était un monde de Matière. On arrive aujourd'hui à l'étape d'un
monde fait de Matière et aussi d’Esprit, et l'on découvre que
cet Univers est entièrement vivant. "À mon avis,disait-il, c’est
la grande découverte de notre époque. On est au sein d’un
Univers immense, et c’est un Univers vivant et raisonnable.".
Dans la pensée de Jean Charon, nous sommes faits d’une
partie réelle, entropique, qui se défait à la mort, et d’une autre
partie, qui est l’esprit, imaginaire au sens mathématique du
terme, qu’il qualifie de néguentropique et qui ne peut pas
régresser. Mais il ne faut pas diviser les choses. On est les
deux à la fois, matière et esprit, comme tout l'univers. C’est
386
inséparable, et c'est cela l’unité. La mort demeurera un
mystère tant qu'on ne saura pas ce qu’est exactement la vie ni
comment les particules vivantes se forment jusqu'à constituer
un être organisé. À la mort du vivant, il subsiste quelque chose
qui rayonne à l’échelle du cosmos entier. Dans ses livres, Jean
Charon explique comment il a développé ce modèle, fait à la
fois de réel et d’imaginaire, pour faire comprendre que les
choses sont à la fois ce qu’elles sont et qu’elles sont aussi leur
contraire. Nous vivons dans un Univers contemporain. Le
passé reste le passé, le futur reste le futur, mais au présent
nous sommes une partie de cet Univers qui a le même âge que
nous. Cette position rompt évidemment avec la conception
ultra matérialiste du Big Bang et pose l'hypothèse d'un univers
en perpétuelle création.
La relativité complexe de Jean Charon, constituerait un
prolongement de la relativité générale d'Einstein. Nous voyons
qu'elle conduit à un "nouveau modèle" concernant la nature
des particules formant toute la matière. Chaque particule,
appelée "éon", (électrons et quarks), posséderait à la fois, un
"dehors" porteur de ses caractéristiques physiques, et un
"dedans" contenant ses propriétés spirituelles et situé dans un
autre espace-temps, un espace miroir. Ce micro-univers,
rempli de lumière nouménale à néguentropie croissante,
présenterait des propriétés psychiques, disposerait d'une liberté
de comportement, et mémoriserait de façon cumulative toutes
les expériences vécues depuis son origine. Notre mémoire
acquise et notre mémoire innée seraient de la sorte accumulées
dans les multiples éons constituant notre corps. Notre Soi
serait associé au psychisme de ces particules dont certaines,
venant d'autres parties de l'univers, existeraient depuis le début
du Monde. Toute l'humanité vivrait ainsi en nous.
387
Chaque éon pourrait être considéré comme un 'hologramme,
un reflet, de l'univers entier. C'est en ces éons que notre esprit
serait contenu. Les particules étant éternelles, notre esprit
existerait depuis le début de l'univers et, après la mort,
continuerait à participer à son devenir. Au fur et à mesure de
l'évolution de l'univers, avec l'accumulation de l'expérience
existentielle et vécue, l'expansion de la mémoire "éonique"
construirait une complexité croissante des structures et du
psychisme.
Les
éons
conscients
piloteraient
les
transformations physiques, chimiques, organiques et mentales
nécessaires, tant à l'intérieur des corps vivants que dans tout
l'univers. Tous les éons, les êtres et les choses seraient un jour
reliés et en harmonie avec la totalité de l'univers.
Le concept de l'univers fractal
Une autre théorie propose une structure fractale de l’univers.
Il faut nécessairement expliquer rapidement ce que l’on entend
par la notion de fractale. On définit communément une
longueur comme une grandeur à une seule dimension,
parcourue dans un seul sens. On passe à la surface en y
ajoutant une seconde dimension qui est la largeur. De même
un volume est caractérisé par trois dimensions. Voyons donc
l’exemple de la longueur de la ligne de côte, qui sépare la terre
et la mer. Lorsque l’on veut mesurer sa longueur avec une
seule dimension, on se trouve confronté à une impossibilité
pratique. Quoique l’on ait affaire ici à un élément naturel bien
évidemment structuré et organisé, sa longueur change selon
l’échelle à laquelle se fait l’examen. Plus on augmente la
précision, plus la longueur s’accroît. Plus on tient compte des
détails, telles les baies, puis les criques, puis les anfractuosités,
le contour des galets et des grains de sable, plus la mesure
s’altère et devient imprécise et mouvante. On peut cependant
mathématiquement exprimer cette caractéristique en disant
que la valeur tend vers un nombre de dimensions plus grand
388
que UN, puisqu’on n’obtient pas une véritable mesure de
longueur, mais moins grand que DEUX, puisqu’il ne s’agit pas
d’une surface.
Il s’agit donc d’un nombre fractionnaire de dimensions,
d'où l’appellation de " fractal ".
D’une certaine façon, l’apparent désordre cosmique est
organisé à tous les niveaux. Il semble composé de structures
analogues à différentes échelles, successivement emboîtées les
unes dans les autres comme des poupées russes. Comme les
côtes de nos océans, cet univers fractal est fini, mais ses
limites connaissables semblent à jamais hors de portée. On
peut parler des lois hasardeuses du chaos, mais ce ne sont que
des mots humains dépourvus de sens réel. C’est notre seule
petite raison humaine qui présuppose l’existence d’un cadre
référentiel préalable. La structuration hypothétique du réel sur
un mode fractal ne permet aucunement de présupposer
l’existence d’un principe ou d’un modèle de référence qui
resterait à découvrir pour expliquer les mystères du monde.
Le contour fractal des côtes marines émerge par lui-même de
la rencontre mouvante, hasardeuse et chaotique de la terre et
de l’eau.
389
On découvre aujourd’hui que l’univers est probablement à
la fois chaotique et fractal.
Les mathématiciens ont découvert de nombreuses formules qui
régissent des courbes fractales et les graphistes les utilisent
pour générer des images surprenantes qu'on trouve maintenant
à profusion sur le web. Ces images ne sont pas seulement
virtuelles. Ce sont des représentations d'objets mathématiques
qui participent de la partie invisible de l'univers,
habituellement inaccessible à nos sens. Elles sont des fenêtre
qui permettent d'entre ouvrir cet aspect caché et d'accéder à un
aspect particulier de la Réalité Totale.
Les fractales peuvent être considérées sous leur seul aspect
esthétique. Pour cela, des liens vous sont proposés ici et sur la
page de liens du site. Mais l'hypothèse d'un univers fractal
ouvre aussi sur une dimension métaphysique de grande portée.
Si l'univers entier est bâti sur un mode fractal, chaque réalité
du monde contient alors une réalité intérieure, à la fois
analogue et différente, et elle ouvre aussi sur une réalité plus
grande. Chaque chose dans une autre chose, chaque vie dans
une autre vie disait le Zohar, à l'origine est le seul mystère. La
caractéristique d'une structure fractale est d'être homologue à
elle même, en tout point particulier et à toute échelle
d'examen, comme une cote maritime ou une montagne. Plus
on regarde de près, plus les longueurs ou les surfaces
augmentent. Mais la réalité demeure inchangée. La réalité
fractale est homologue à elle même, en tout point particulier.
Un élément complexe reste complexe et un élément vide reste
vide à toute échelle d'examen. L'essentiel des propriétés
structurelles est conservé, qu'on les examine en détail ou en
général.
390
Dans cet ordre d'idées, et pour passer de la science à la
philosophie, on peut citer Oken, (Ockenfuss), le plus célèbre
des philosophes dits "de la nature". Il proposa le concept d'un
organisme universel permettant de retrouver dans le monde et
la vie les lois de la philosophie transcendantale. Oken essaya
de donner à ces idées une rigueur scientifique. Son idée
générale est celle d'un panthéisme universel, d'un plan de
l'univers réalisant l'unité divine par l'infinité de ses formes. A
la base de ce panthéisme systématique préfigurant un univers
fractal, on trouve une unité logique divine qui se répète
infiniment en se diversifiant jusque dans les plus infimes
détails pour constituer le monde matériel. Tous les êtres
représentent donc Dieu, (macrocosmique). Et chaque être
microcosmique particulier manifeste l'émergence des qualités
des êtres supérieurs suivants tout en résumant en lui celles des
êtres inférieurs dépassés. Cette continuité est la manifestation
de l'activité divine. Dans cette vision, l'oeuvre d'Oken apparaît
comme l'application du système de la monadologie de Leibniz
au vaste domaine des sciences de la nature.
Le caractère fractal de l'univers pourrait s'étendre à toutes ses
propriétés, bien au delà de la physique. Élargissons donc la
réflexion et méditons, ( si nous l'osons, car cela va changer
notre vision spirituelle ), sur les implications métaphysiques
de l'application de ce concept aux questions relatives à
l'existence et au néant, à la vie et la mort, à l'intelligence et à la
raison, au bien et au mal, et jusque à l'incarnation humaine et à
l'idée de Dieu.Les fractales sont invisiblement liées aux
aspects cachés du Monde. Ainsi, les formes étranges des
images fractales pourront peut-être faire percevoir
intuitivement ces lois mystérieuses et fondamentales à l'oeuvre
tout autour de nous. Pour illustrer ces idées, j'ai choisi deux
images créées par Kerry Mitchell. Leur auteur m'a permis de
vous les présenter et je vous invite à visiter son site qui
contient de vraies merveilles.
391
La théorie des Univers parallèles
La théorie des Univers parallèles ou multiples fut introduite
par le physicien américain Hugh Everett en 1957. Il s'agit
d'une sorte de réinterprétation de la mécanique quantique qui
essaye d'éliminer des problèmes conceptuels comme celui
posé par l'expérience du chat de Schrödinger. D'après cette
théorie, le chat de Schrödinger ne se trouve pas dans une
superposition d'états. Il y a en fait deux chats, l'un vivant,
l'autre mort, qui font partie de deux Univers différents. Ceci
est possible car, lorsque nous lui imposons le choix entre un
chat mort et un chat vivant, l'Univers se divise en deux.
Naissent alors deux Univers parallèles qui sont absolument
identiques, si ce n'est que l'un contient un chat vivant et l'autre
un chat mort. Dans chacun de ces Univers, le chat est dans un
état bien défini et le concept un peu absurde d'un animal ni
mort ni vivant n'est plus nécessaire.Finalement, lorsque nous
ouvrons la boite et observons son contenu, nous sélectionnons
l'un des deux Univers qui devient alors notre monde réel. A ce
moment, les deux Univers parallèles se découplent et
deviennent totalement indépendants l'un de l'autre. Si nous
découvrons que le chat est mort, nous pouvons nous rassurer
en imaginant qu'il existe un Univers parallèle où le chat est
vivant.
Le paradoxe EPR
La théorie des Univers parallèles propose une interprétation
élégante du paradoxe EPR qui ne fait pas appel au mystérieux
concept de non-séparabilité. Lorsque les deux photons sont
émis par l'atome, l'Univers est soumis à un choix quant à leurs
directions. Il va donc se diviser en une multitude d'Univers
392
parallèles. Dans chacun de ces Univers, les photons ont des
directions bien définies et celles-ci sont opposées pour des
raisons de symétrie. Plus tard, lorsque nous capturons l'un des
deux photons, nous sélectionnons l'un de ces Univers
multiples. Or, dans l'Univers ainsi choisi, la trajectoire de
l'autre photon est déjà déterminée à l'avance. Il sera donc
détecté dans la direction opposée au premier, sans pour autant
avoir besoin d'échanger une quelconque information.
Le choix des constantes fondamentales
La notion d'Univers parallèle permet de réinterpréter le
problème de la sélection des constantes fondamentales. Au
moment de sa naissance, l'Univers est confronté à de
nombreux choix. Il doit par exemple décider de la valeur de la
constante de gravitation ou de la masse de l'électron. D'après
la théorie de Hugh Everett, l'Univers de divise lors de chacun
de ces choix. Naissent ainsi une multitude d'Univers parallèles
caractérisés chacun par un ensemble donné de constantes
fondamentales.
La grande majorité de ces Univers est incapable de donner
naissance à la vie. Certains sont dotés d'une force de
gravitation trop intense ou d'une interaction électromagnétique
trop faible et ainsi de suite. Néanmoins, une petite fraction de
ces Univers se révèle apte au développement de la vie. C'est en
particulier le cas du nôtre. En adoptant ce point de vue, le
réglage des constantes fondamentales n'a plus rien de
miraculeux. La vie n'est pas née car notre Univers unique était
réglé de façon magique. Elle est apparue car nous sommes
dans l'un des rares Univers parallèles capables de lui donner
naissance. Remarquons pour finir que cette interprétation de la
mécanique quantique n'est pas unanimement acceptée. Son
principal défaut est d'être invérifiable. Elle fait exactement les
mêmes prédictions que l'interprétation traditionnelle et il ne
393
sera donc probablement jamais possible de départager les deux
points de vue.
© Texte Olivier Esslinger 2003-2005 - Le site d'Olivier
Esslinger Reproduction du texte à fins non commerciales
autorisée moyennant mention de la source
GIORDANO BRUNO
(1548-1600)
Giordano Bruno est probablement le plus grand penseur du
16e siècle. Il proposa des concepts très nouveaux et très
déstabilisants pour l'époque. Ce cosmologue voulait
comprendre l’univers physique et concilier l'astronomie de
Copernic avec la philosophie néoplatonicienne et mystique de
Plotin. Il aboutit alors à une vision panthéiste du Monde, dans
laquelle tout est Dieu et Dieu est tout.
Bruno conçoit la matière comme divine, à la façon de Teilhard
de Chardin. Annonçant la relativité d'Einstein, il dit qu'il n’y a
pas de fixité dans l’Univers infini. C'est le thème central de sa
philosophie. Dans l’espace, il n’existe ni lieux privilégiés, ni
directions, ni qualités absolues. Son aspect matériel est
simplement celui du monde spirituel manifesté, expliqué, "
déployé ", alors que le monde divin reste invisible, caché,
" implié ". C'est également très proche des théories
holographiques de David Bohm.
Dieu et l’Univers, dit Bruno, sont deux aspects de la même et
seule réalité qui est la Substance " originelle et universelle,
identique pour tout " et pénétrant toute matière. Le monde est
un. Cet être unique et éternel, de potentialité infinie, se
394
manifeste par des apparences fugitives et diverses. L’Être, la
Nature, Dieu, la matière sont une seule et même chose. Il n’y a
pas d’artisan extérieur ou au-dessus. Toutes les choses sont
mues par une âme qui vivifie les êtres de l’intérieur et qui
contrôle leur nature, leur spontanéité, leur vie.
Cette vision moniste du Monde coûta cher à Bruno.
Emprisonné et torturé pendant de longues années, il fût
finalement brûlé publiquement après qu'on lui eut arraché cette
langue qui avait professé ces "mensonges". Et, avant de le
mener au bûcher,, on enfonça dans sa gorge ensanglantée une
planchette sur laquelle un écrit rectifiait ses erreurs.
Pourtant, pour Bruno, la vérité est déduite à partir de postulats
et de principes intellectuels. Quoique ses idées soient
modernes par leur liberté, leur ampleur et leur audace, sa
méthode de vérification reste prisonnière de la scolastique
médiévale.
Le point de vue spiritualiste
Spinoza pensait que Dieu et la Nature sont une seule et même
chose et que Dieu comprend une infinité de genres d’être.
Cette forme de pensée va au-delà du panthéisme, c'est ce que
l'on appelle le Panenthéisme. À notre époque, et d'une façon
générale, le mouvement de pensée du New Age relaie cette
pensée. Il est considéré comme holistique, panthéiste et même
panenthéiste. Cela veut dire qu'il conçoit l'Homme, le Monde
et Dieu de façon globalisante et unitaire, tout étant Dieu, et
même tout étant en Dieu. Au delà de tous les aspects illusoires
du monde sensible, il n'y a qu'une seule réalité ultime et
spirituelle, à l'image du ""brâhman" de l'hindouisme.
Il faut comprendre que cette pensée est en opposition totale
avec la pensée religieuse judéo-chrétienne fondamentale qui
395
postule l'absolue séparation du Dieu créateur transcendant et
de ses créatures, qu'elles soient spirituelles ou matérielles. Il
est évident que ces deux visions sont et demeureront
inconciliables. Le Nouvel Âge annonce aussi que l'élévation
du niveau de la conscience humaine s'accompagnera de la paix
internationale, de la fin du racisme, de la pauvreté, de la
maladie, de la faim et de la guerre. C'est la transformation
spirituelle propre à chacun des individus qui permettra celle de
l'humanité. C'est en changeant soi-même que l'on peut changer
le monde car on ne peut changer le tout sans en changer
chacune des parties.
Les New Agers estiment que toutes les religions se valent et ne
portent généralement sur elles aucun de jugements de valeur.
Certains courants de cette libre pensée nouvelle interprètent
les mythes chrétiens traditionnels de façon globalisante et
panenthéiste en les reliant aux diverses religions antiques ou
modernes. Les idéologies théistes, et particulièrement toutes
les intolérantes religions dites "du Livre", ont jadis conquis le
monde par la parole, mais aussi, et bien trop souvent, par la
violence, le fer et le feu. Dans la souffrance des hommes, elles
ont remodelé ou même effacé les civilisations millénaires et
les pensées antiques et elles ont pour un temps établi leurs
empires sur le monde. Il est évident que les idées panthéistes
et tolérantes du Nouvel Âge peuvent paraître menacer leurs
hégémonies. Nous voyons bien, hélas, que la violence, l'esprit
de conquête religieuse et l'intolérance ne demandent qu'à
renaître, si même elles ont jamais cessé.
En fait, le New Age constitue le phénomène religieux le plus
significatif du 20ème siècle. C'est un mouvement de fond
puissant qui, quoique diffus, reste aujourd'hui présent et fort
influent comme le prouvent le nombre des ouvrages dans les
rayons des librairies spécialisées et les pratiques répandues de
médecines alternatives. On constate également un
396
développement considérable d'écoles de pensée, de littératures,
de films de cinéma, de programmes télévisés et de sites Web
qui prônent les valeurs, les théories et les pratiques qu'il
propose.
Comme la Gnose antique dont il semble incarner un retour, le
New Age, est d'abord une libre façon de penser et de regarder
le monde. Face aux critiques, il tente parfois de se définir et de
se structurer, mais cette démarche est contre sa nature, laquelle
est autonome dans son principe même. Le mouvement a donc
changé d'aspect mais les idées du New Âge se sont largement
répandues dans le Monde et dans l'astral de la Terre. En
s'appuyant sur la soif de connaissance et la faim de Dieu qui
sommeillent au cœur de chacun, c'est dorénavant dans
l'anonymat et le silence qu'elles travaillent à la transformation
des hommes.
397
CHAPITRE 23 – La Vie mystérieuse.
Réflexions préliminaires
L'absolu n'a besoin de rien. - Antonin Artaud
Connaître, ce n'est point démonter, ni expliquer,
c'est accéder à la vision. - Saint-Exupéry
Les convictions sont des prisons. - Nietzsche
Une âme se mesure à la dimension de son désir. - Flaubert
Dieu n'est qu'un mot rêvé pour expliquer le monde. - Lamartine
Il n'y a pas de modèle pour qui cherche ce qu'il n'a jamais vu. Paul Eluard
Toute aventure humaine, quelque singulière qu'elle paraisse,
engage l'humanité entière. - Jean-Paul Sartre
La plus belle chose que nous puissions éprouver,
c'est le mystère des choses. - Albert Einstein
Le bien et le mal doivent leur origine à l'abus de quelques
erreurs. - Paul Eluard
L'homme est libre; mais il trouve sa loi dans sa liberté même. Simone de Beauvoir
La matière est réelle parce qu'elle est une expression de l'esprit. Marcel Proust
Celui qui ne sait pas ce que c'est que la vie,
comment saura-t-il ce que c'est que la mort ? - Confucius
398
La grande difficulté est de comprendre comment un être,
quel qu'il soit, a des pensées. - Voltaire
La pensée ne commence qu'avec le doute. - Roger Martin du Gard
Souviens-toi que chacun ne vit que le présent, cet infiniment
petit. - Marc Aurèle
La science consiste à oublier ce qu'on croit savoir,
et la sagesse à ne pas s'en soucier. - Charles Nodier
On pense à partir de ce qu'on écrit et pas le contraire. - Aragon
La vérité est comme le Soleil.
Elle fait tout voir et ne se laisse pas regarder. - Victor Hugo
On ne peut oublier le temps qu'en s'en servant. - Baudelaire
Ne crois pas que ta vérité puisse être trouvée par quelque autre. André Gide
La vie est un travail qu'il faut faire. - Alain
,
399
Citations métaphysiques
En général nous avons des possessions parce qu'en dehors d'elles
nous n'avons rien : nous sommes des coques vides, nous ne
possédons pas. Nous remplissons nos vies de meubles, de musique,
de connaissances, de ceci ou cela. Et cette coque fait beaucoup de
bruit, et ce bruit nous l'appelons vivre, et avec cela nous sommes
satisfaits.
Jiddu Krishnamurti
Le beaucoup savoir apporte l'occasion de plus douter.
Montaigne - Extrait des Essais
Mon corps est-il « moi » ? Il est silencieux et inerte, mais je sens la
pleine force de ma personnalité, et j'entends même la voix du « moi »
au fond de mon être. Je suis donc un esprit qui transcende le corps.
Le corps meurt, mais l'esprit, transcendant le corps, ne peut être
touché par la mort. Ce qui veut dire que je suis un esprit immortel.
Ramana Maharshi - philosophe et mystique hindou.
L'âme est aussi un feu magique, et son image ou forme est créée dans
la lumière (par la force de son propre feu et de sa propre lumière)
émanant du feu magique; et pourtant celle-ci est une image véritable
de chair et de sang, mais non pas dans son état original.
Jacob Boehme - Gnostique Chrétien - (Du Sang et de l'Eau de
l'Âme)
400
L'Esprit se réfléchit dans le mental et dans tout. C’est la lumière de
l’esprit qui rend le mental sensible. Tout est expression de l’Esprit;
les entendements sont autant de miroirs. Ce que vous appelez amour,
crainte, haine, vertu et vice ne sont que des réflexions de l’Esprit.
Lorsque le miroir est défectueux, l’image est mauvaise.
Vivekânanda - (Jnana Yoga, notes d’une causerie).
Origine du concept d'un créateur divin
De tous temps, en tous lieux,
les hommes se sont posés les mêmes questions.
D'où venons-nous et où allons nous ?
Pourquoi l'existence et non pas le néant ?
Notre vie a-t-elle un sens et lequel ?
Qu'est-ce que la vie, où conduit la mort ?
Qu'en est-t-il du bien et du mal ?
Aux tout petits hommes que nous sommes, la vie, le monde,
l'univers entier, se présentent à nos yeux avec des structures
imbriquées et des fonctionnalités mystérieusement organisées
d'une façon tellement admirable qu'elles semblent avoir été
pensées, voulues et mises en place par un organisateur
suprêmement adroit et intelligent. Et pourtant, les questions
essentielles restent posées. Certains d'entre nous ont tenté d'y
apporter des réponses à l'aide de la science, de la philosophie, ou
de la religion. Les savants ont fait des mesures et des calculs et ils
ont proposé des théories toujours provisoires. Les philosophes
ont réfléchi et médité et ils ont élaboré des hypothèses
contradictoires. Les religieux ont écouté les révélations de leurs
coeurs et les paroles des prophètes et ils ont ritualisé des
doctrines innombrables.
401
Généralement, dans la vie courante, les hommes ne s'attardent
guère sur ces difficultés. Les réponses traditionnelles que les
chercheurs proposent leur conviennent. Il suffit qu'elles
s'inscrivent de façon acceptable dans le cadre mental que leurs
organes sensoriels ont construit pour présenter à leur conscience
une image compréhensible du Monde. Là est le vrai problème.
Parce que les hommes désirent tout comprendre, il leur est
nécessaire de bâtir une représentation intelligible de tous les
aspects et de tous les facteurs inhérents à l'existence, l'espace, la
vie, le destin, le passé, l'avenir, l'origine et les fins dernières.
Ainsi se profile la trame de tous les mythes racontant le début et
la fin de cette Terre, la création des choses, des vivants et des
hommes, ou, par exemple, l'hypothèse de la faute à expier pour
expliquer la mort, et la promesse d'un rachat pour l'espérance
d'un bonheur sans fin.
Tout cela n'étant pas à la portée des perceptions des petits
hommes, il faut bien imaginer cet organisateur du monde, lui
donner forme et le dénommer. Le plus souvent, on parlera d'un
dieu ou de plusieurs, ou du hasard et du chaos, ou même des
fluctuations d'un vide originel. Il y a beaucoup d'images
possibles, mais peu de possibilités structurellement raisonnables.
En effet, ou bien la cause originelle est extérieure au monde, ou
bien elle est dans le monde. Or, il ne semble pas actuellement
possible, expérimentalement ou rationnellement, de trancher. On
peut choisir de croire en l'une ou l'autre hypothèse avec des
arguments scientifiques ou métaphysiques, mais c'est
fondamentalement un choix, un acte de foi, dont la motivation
est le plus souvent culturelle. Une autre attitude est d'accepter
humblement de faire face au Mystère. Alors, pour le penseur qui
fait ce choix, ce Mystère immense va devenir l'unique réalité.
Le bagage historique et culturel
Tu as entendu dire que l’on pouvait voler avec des ailes, mais non
que l’on puisse voler sans ailes.
Tu as entendu dire que l’on peut savoir avec l’intelligence , mais
non que l’on puisse savoir sans l’intelligence.
402
Zhuangzi - co-fondateur présumé du Taoïsme
Venons-en d'abord au travail exploratoire des scientifiques. Sans
revenir sur les théories dépassées, nous disposons, au stade actuel, de
représentations du Monde inintelligibles pour le commun des
mortels. L'écoulement du temps depuis son origine s'exprime en
milliards d'années. Ceci qui ne dit rien à l'homme ordinaire, non plus
que l'étendue d'un espace en perpétuelle et hypothétique expansion.
Comment représenter un continuum universel avec de nombreuses
dimensions repliées sur elles mêmes si ce n'est par des expressions
mathématiques absconses. La cosmogonie scientifique ne concerne
pourtant que les aspects purement physiques de l'univers matériel
actuel. Les natures de la vie et du psychisme, entre autres inconnues,
ne sont pas encore théorisées. La science n'imagine guère la nature
de ce qui pouvait être avant l'apparition de la matière et du temps.
Elle entrevoit un éventuel "milieu" d'énergie pure, un vide équilibré
agité de fluctuations aléatoires, une entité perpétuelle énigmatique,
épisodiquement instable, donnant naissance à l'univers. Pour
l'instant, l'approche purement scientifique ne répond guère à nos
questions ordinaires.
Rappelons que dans le cadre métaphysique, l'homme inventa d'abord
le culte des ancêtres et des dieux qu'il plaça dans la nature. Les
Égyptiens apportèrent les idées de vie éternelle et de multiplicité des
enveloppes humaines. Les antiques "Upanishad" de l'Inde
enseignaient déjà l'immortalité du Soi, la réincarnation et le Karma,
et la séparation entre la matière et l'esprit. En Israël, l'évolution de la
pensée transforma progressivement le couple tribal Yahô-Anat en un
Dieu unique YHWH, extérieur et créateur du Monde, donnant
ensuite à l'homme liberté et responsabilité. En Perse, on divisa le
monde d'Ahura-Mazda entre Lumière et Ténèbres, Bien et Mal. En
Chine, le manque d'amour devint la cause première du mal. En ces
temps où la philosophie et la science ne se distinguaient guère, les
philosophes grecs firent de l'esprit, la cause première d'un univers
immuable et vivant. Ils inventèrent aussi les notions de principe et
403
d'illimité, et bien d'autres choses dont la rondeur de la Terre et
l'atome. Platon distingua le monde essentiel des formes du monde
existentiel des manifestations. Aristote voulut les réunir, et les
Stoïciens affirmèrent leur scepticisme en commençant à douter du
vrai pouvoir des dieux.
Au cours des siècles suivants, les chercheurs ont beaucoup travaillé
sur toutes ces idées qu'ils ont reformulé de bien des façons jusqu'à
servir de base à de nombreux développements philosophiques tout
autant qu'à l'apparitions des doctrines de nouvelles religions. Le
Christianisme se sépara du Judaïsme traditionnel tandis que les
divers cultes antiques glissaient des cultes à mystères jusqu'au
syncrétisme gnostique. Le Judaïsme se maintint face à l'Islam
naissant. Tous les impérialismes idéologiques engagèrent des luttes
de conquête acharnées. Le Christianisme s'imposa en Europe et
l'Islam conquit le Moyen Orient. La philosophie se confondit
souvent avec la théologie. Les civilisations mésoaméricaines furent
détruites. Le contrôle de la pensée s'exacerba et devient inquisitorial
pour longtemps. La métaphysique innovante fût parfois un exercice
rare et périlleux et l'on brûla, entre autres, Giordano Bruno en 1600.
De terribles guerres de religion ravagèrent l'Europe, dépeuplant des
régions entières jusqu'au 17ème siècle. Même en 1766, au siècle dit
"des lumières", le chevalier de la Barre fut torturé puis brûlé après
qu'on lui eut arraché la langue, comme Bruno, pour avoir gardé son
chapeau devant une procession de capucins.
Que répondre à un homme qui vous dit qu'il aime mieux obéir à Dieu
qu'aux hommes, et qui, en conséquence, est sûr de mériter le ciel en
vous égorgeant ?
(VOLTAIRE - Dictionnaire philosophique, article Fanatisme)
404
Malgré tous ces dangers, la pensée occidentale se libéra peu à peu
des carcans scolastiques. De la "Renaissance" jusqu'à nos jours, de
Leonard de Vinci à Victor Hugo, de nouveaux créateurs
transformèrent les arts et les lettres. Après Descartes, Pascal, Leibniz
ou Spinoza, des chercheurs tels Voltaire, Diderot et d'Alembert
présentèrent des conceptions variées de Dieu et rédigèrent leur
Grande Encyclopédie. La représentation de l'univers changea,
ouvrant vers une nouvelle compréhension du Monde. Dans cette
liberté recréée, les nouveaux penseurs, les philosophes et les
scientifiques modernes bâtirent cette image du Monde que nous
connaissons. Il n'est plus maintenant possible de d'exposer
brièvement l'étendue actuelle du savoir humain, mais on peut encore
prendre conscience de ses limites. Comprenons déjà que le réel
demeure voilé, pour bien longtemps encore, et les sciences
d'aujourd'hui restent liées à la métaphysique et à la spiritualité.
Il est important de constater le très grand nombre de théories
scientifiques, de mythes cosmogoniques, de philosophies
passionnantes et de doctrines religieuses attachantes qui sont
apparues au cours des âges. Elles ont brillé pour un temps, puis elles
ont été remplacées. Mais, sans que nous en ayons conscience,
comme un bagage habituel que l'on croit indispensable, dans les
recoins secrets de notre cerveau, elles demeurent et marquent à
chaque instant toutes nos pensées et nos comportements. Pouvonsnous poser enfin ce bagage ?
405
CHAPITRE 24 – L’Amour et le Désir chez les
Théosophes
L’Amour, ce mot merveilleux est souvent utilisé de façon
instinctive sans que nous ayons réellement réfléchi à la
signification qu’il doit prendre dans notre propos d’homme
véritablement éveillé. Je proposerai donc plusieurs textes
successifs et indépendants pour élargir progressivement le
contexte de réflexion. Une façon première d'approcher la
question consiste à comparer l'évolution de l'amour à la
croissance de l'homme, à la façon des anciens Grecs. A son
début, l'amour n'est que désir et se borne à vouloir prendre.
Plus tard, il commence à partager et l'on peut espérer qu'il ne
soit plus un jour que don total.
Une première approche se fonde sur l’acquisition progressive
de la sagesse du cœur. La réflexion sur les différents sens du
merveilleux mot "Amour", repose sur une comparaison avec
un être en évolution passant par des âges successifs.
Pourtant, même dans ce bas monde temporel de la
dialectique, comprenons que tout être procède de l'Unique
Origine, et que tout être participe donc, d’une quelconque
façon, à la vivante réalité suprême.
Les trois âges de l'Amour
Le premier âge de l'amour ressemble au premier âge de l'enfant. Au
début, il n'a pas conscience de ce qui se passe. Il a besoin de
nourriture et il en reçoit de ses parents, jusqu'à satiété. Et puis, à un
moment donné, parfois très tardivement, il prend conscience qu'il est
nourri. Il comprend un jour que cette nourriture est un don gratuit
fait par quelqu'un qui l'aime. Avec cette prise de conscience du grand
don de vie, quelque chose de nouveau naît. Á ce niveau, le chercheur
de vérité prend conscience qu'une nourriture spirituelle lui est aussi
406
donnée, et qu'il peut maintenant inspirer le souffle de l'Esprit Divin.
C'est le temps de l'Incarnation.
Le second âge de l'amour est plus tardif et souvent plus durable.
L'enfant se nourrit vraiment longtemps des dons parentaux, et la
situation peut lui paraître naturellement pérenne. Mais un travail se
fait en secret, au fil du temps et au fond du cœur, pour modifier ce
point de vue. La conscience mûrit lentement et un nouvel éveil se
produit. L'enfant devient un jour adolescent. Il sait dorénavant qu'il a
des amis et des frères, et il partage plus volontiers ce qu'il reçoit. Le
chercheur comprend alors qu'il ne peut plus seulement inspirer le
souffle de l'Esprit. Devenu prêtre, il doit aussi maintenant l'expirer
au bénéfice d'autrui. C'est le temps de l'Initiation.
Le troisième âge de l'amour reste à venir pour la plupart des
hommes. Ce n'est plus l'âge du partage mais celui du don sans
retour. C’est l’âge adulte des fils divins qui répandent ensemble,
dans tout l’univers et tout à la fois, les lumières de la conscience, les
immenses forces de la vie, et les grâces infinies de l’Amour. Ces
dons qu’ils répandent, c’est maintenant en eux-mêmes, dans la
nature de leur filiation divine, qu’ils les puisent. Dans notre
conception trinitaire et chrétienne du Monde, c’est alors que se
confondent, en chaque être accompli, le Père, le Fils et l’Esprit, dont
le même souffle anime éternellement tous les êtres vivants. C'est le
temps de la Divinisation.
L'Amour et l'Homme incréé
Chez
les
Théosophes,
un
second
mode
d’approfondissement ouvre la réflexion sur la place de
l’Esprit au sein de cette Unicité divine qu’il est important
de maintenir constamment présente dans le champ de la
pensée, quoique le développement analytique de celle-ci
nécessite d’en éclater les aspects, (par exemple de façon
dualiste ou trinitaire).
407
L'Homme incréé, seul l'Esprit Incréé peut
l'engendrer.
En décrivant de façon trinitaire les aspects du Monde, il faut insister
sur l'unité indissociable qui réunit les trois images conceptuelles
utilisées. Il est important est de comprendre que cette pensée postule
fondamentalement l'unité absolue du Monde, de l'atome à l'univers,
du créateur à la créature, de l'origine aux fins ultimes, et de l'individu
à l'humanité entière. L’intellect humain fonctionne en fragmentant
les choses pour en examiner séparément les aspects. Mais il n'existe
qu'une seule et unique réalité, unissant l'Homme, l'Univers, et Dieu.
Tous les autres aspects du Monde sont illusoires, et la personnalité
individuelle s'inscrit toujours dans l'unité de l'humanité entière.
Selon la pensée panthéiste banalisée par les Théosophes du début du
siècle, Steiner, Heindel, Blawatski, et autres, c'est en lui-même, qu'à
l'origine, ce Dieu unique différencie les mondes et les esprits vierges
qui vont expérimenter la matière. C’est une expérience difficile, mais
l'éternité est disponible. Les esprits inconscients vont d’abord
s'enfoncer dans le chaos originel. Au cours de cette lente descente,
l'émergence de la vie dans la matière inerte, puis celle de la
conscience dans les corps vivants, devraient permettre de réaliser
progressivement l'Idée divine, l'incarnation des esprits dans des corps
matériels vivants, des "Microcosmes", bâtis au modèle de l'Univers.
Mais les expériences sont variées et parfois périlleuses.
Originellement libres, certains esprits vont s'égarer, dont ceux des
hommes. Alors se forme le Monde que nous connaissons, le monde
"dialectique" des Gnostiques, régi par l'opposition des contraires. Et
il faudra que chaque esprit immortel, emprisonné dans un corps
mortel, se délivre de ses chaînes matérielles, de ses cristallisations,
de son karma personnel et ancestral, pour reprendre librement le
chemin de l'incarnation spirituelle, la reconstruction de son propre
"Microcosme", véritable réalité de son être personnel, tel que pensé
et voulu pour lui seul, de toute éternité, par Dieu, au sein de la
globalité humaine. Il est ici utile d’examiner ce concept d’idée
divine, sans oublier que nous essayons de comprendre ce que sont
408
l’Esprit et l’Amour. L’acte de création n’est pas encore un acte
d’amour. Les Néoplatoniciens avaient compris que la force créatrice
consiste en un retournement de l’être vers lui-même. Partant du
créateur, l’acte créateur en produit une sorte de reflet. C’est ce reflet
de lui-même qui relie le créateur à l’objet créé. Ainsi, les
Hermétistes égyptiens enseignaient qu’à l’origine, l’Homme, enfant
divin fait à l’image du Père, se pencha sur la Nature et vit sa propre
image reflétée dans les eaux. Ébloui par cette beauté, il l’attribua à la
Nature, l’aima, et se perdit en elle.
Parlons maintenant de l’Amour spirituel, une manifestation
particulière de la divinité unique que nous considérons cependant
humainement de façon ternaire. Pour les panthéistes chrétiens,
l'éternel Esprit des origines est donc incréé. C’est "l'Amour Même"
qui s'exprime en donnant vie et connaissance, et ce don éternel ne
peut se réaliser dans la solitude. Cela le différencie de l’acte créateur.
Puisqu’il ne peut se retourner vers Soi-même, l'Esprit divin engendre
nécessairement "l'Autre". Non pas créé, mais engendré par cet Esprit
d'amour, l'Homme spirituel immortel est une conscience vivante qui
rayonne naturellement la force de la vie et la clarté de la
connaissance. Engendré par l’Esprit, l'Homme originel est immortel.
Incréé mais associé à un corps biologique naturel, il doit réaliser,
dans la vie terrestre, la transmutation du corruptible en incorruptible,
du plomb vil en or pur. Dans l’amour, la Divinité descend de l'Esprit
pur vers chaque homme, en revêtant la matière, et dans l’amour,
l'Homme s'élève de sa corporéité vers Dieu, en libérant sa propre
nature divine. Cette perspective détermine l'orientation majeure du
travail intérieur des Gnostiques. Conscients de leur double nature, ils
associent l'ardeur de l'amour insufflé par l'Esprit divin intérieur à la
douceur de la compassion puisée dans leur périssable nature
humaine.
409
La troisième approche proposée est encore plus complexe au
niveau métaphysique. Il s’agit ici d’explorer des domaines
mentaux plus fondamentaux intégrant l’influence des acquis
culturels sur les fondements de l’inconscient humain.
La naissance de l’Autre dans l'Esprit
Nous savons que l’Homme, comme tous les vivants, est un être de
désir. Ses comportements visent fondamentalement à satisfaire ses
appétits dont la source la plus profonde est finalement un besoin
d’éternité. Dans cette recherche, l’autre apparaît comme un moyen
pour y parvenir. Cet « autre » est généralement perçu comme
« objet » supportant la projection du désir qu’il peut potentiellement
satisfaire. Précisons ici que la nature des appétits évoqués est
multiple, (conservation ou reproduction évidemment, mais aussi
avidité, pouvoir, volonté de puissance et autres). Lorsqu’elle existe,
la relation à l’autre s’établit donc d’abord comme un rapport de
désirant à désiré. Cette perception s’assimile à un acte créateur. Le
désirant construit dans son mental, éventuellement à son insu, une
image de l’autre limitée à son éventuelle utilité. Même lorsque cette
perception s’établit dans le cadre d’une relation amoureuse, elle se
fonde encore sur la base plus ou moins consciente de la satisfaction
pressentie du désir. Le sujet effectue donc bien un retournement sur
lui-même. Il projette en effet les caractères de ses attentes
personnelles sur l’autre, et il le voit comme un moyen de les
satisfaire. En cela, il le crée en lui, (au plan imaginaire), comme un
« objet » dont il est « sujet », gouvernant l’activité. Á ce niveau, il
n’y a pas de place pour l’amour.
Tous les vivants terrestres en sont à ce point d’incarnation de l’âme
dans la matière, y compris l’homme naturel. Les comportements
altruistes peuvent faire illusion, mais ce sont des exigences induites
par les instincts de survie collective propres à l’espèce humaine
410
comme aux autres animaux. Au niveau d’une analyse intellectuelle
intègre de l’Univers, nous devons considérer qu’une cause première
inexorable a créé, en reflet d’elle même, l’existence, puis la vie, puis
l’intelligence. Cet âpre premier état de création révèle un aspect
fondamentalement violent de la Force initiale mystérieuse que nous
appelons « Dieu » en alléguant qu’elle a produit l’Homme et le
Monde. Nous constatons que l’irrésistible violence de cette force
créatrice s’exerce aussi dans le cosmos, et son ardeur semble
universelle. Notre culture répugne à ce terrible concept d’un dieu en
adéquation avec l’observation, et elle en renvoie la source vers
d’autres causes, (polythéisme, Satan, péché d’Adam, etc..). Dans les
limites humaines d’une réflexion libérée, nous pourrions considérer
que cette rudesse caractériserait un premier aspect d’une entité
divine bipolaire. Une infinie douceur équilibrerait cette rigueur par
un second aspect d’importance équivalente. On pourrait être tenté
d’y voir deux faces « mâle » et « femelle » de Dieu. C’est une
approche anthropique inadaptée.
Un second aspect universel apparaît donc dans notre représentation
mentale fragmentaire de l’Être, le concept d’un immense « Esprit
d’Amour ». Cet aspect de l’Être ne crée aucun objet en reflet de luimême, mais il engendre. Cet "Amour Même" ne peut pas se
retourner sur lui-même. Il en naît nécessairement « l’Autre », non
plus seulement à l’image du créateur, mais à la ressemblance du
géniteur. Entre les deux faces divines, la différence est essentielle.
Fils et filles de l’Esprit, tous ces « Autres », (dont les Hommes), ont
hérité de Sa nature. Ce sont des « sujets » gouvernant librement leurs
destins, des esprits incréés éternels associés à des corps créés
matériels et périssables. Né de l’Esprit, en cet aspect, l’Homme agit
librement comme l’enfant agit séparément de ses parents. Il peut
choisir le Bien ou le Mal, la libération du karma ou le servage. Á
chaque âme engendrée, l’Esprit confère sa divine essence et
« l’altérité » qui toujours manque à la simple créature « objet ». Cette
filiation spirituelle nous oblige à reconnaître l’altérité des autres
hommes et leur faculté de refuser d’être « objets » d’un quelconque
désir. Alors, ils naissent « autres» dans notre mental, et la fraternité
apparaît dans l’universel Esprit. Fils et Filles de « l’Amour Même »,
nous ne sommes pas ce « Père ». Nous sommes « autres » mais nous
l’accompagnons sur son chemin d’éternité.
411
412
La pensée théosophiste a été publiée au début du vingtième siècle.
La dernière approche de cette étude propose d'en tenter une
reformulation en l'accordant avec les avancées récentes de la
science afin de l'éclairer à la lumière des concepts actuels.
Essai de reformulation théosophiste
Les concepts philosophiques nés dans la Grèce antique constituent
encore aujourd'hui les bases de notre civilisation occidentale. Le
système de Platon, par exemple, synthétise plusieurs doctrines
comme celles de Socrate, d’Héraclite, de Parménide, et de
Pythagore. Il prétend que les êtres perpétuellement changeants qui
peuplent notre monde sont des copies impermanentes de modèles
universels, fixes et immuables, situés le Monde invisible des
"Formes" ou des "Idées", lesquelles existent par et en elles-mêmes.
Les âmes les ont aperçues, à l’origine, et en ont gardé réminiscence.
Même prisonnières de corps matériels impurs, les âmes éternelles
peuvent reconnaître les pures "Idées" dont elles ont souvenir, et elles
désirent escalader le ciel pour retourner les contempler. Citons aussi
Démocrite qui pensait que la nature, née du hasard et de la nécessité,
était éternelle, incréée, et sans finalité, et qui appela l’homme
Microcosme. Puis s'établit un concept assimilant l'être humain à un
résumé complet du Cosmos, (Macrocosme), avec une corrélation
parfaite entre les parties. C'est le Microcosme des Théosophes.
La métaphysique des Théosophes, des Anthroposophes, et celle des
Rose Croix de Max Heindel, postulent qu'à l'origine, le "Grand Être",
ou "Monade universelle", différencie, en soi-même, non pas hors de
soi-même, des vagues de vie spirituelles, des légions successives
d'esprits inexpérimentés. Reflets du Grand Être, ces "monades"
individuelles peuvent accéder à la conscience de leur nature divine
en expérimentant la réalité. (Leibniz en fait des entités essentielles
individualisées "sans fenêtres", douées d'appétits, de perceptions et
de mémoire). Elles doivent traverser des cycles cosmiques en
413
commençant par s'incarner dans la matière dense. Pendant cette
"Involution", la monade accède à la conscience de soi et élabore
l'appareil de manifestation de son individualité. Lorsque le point bas,
le nadir de la matérialité, est atteint, la monade a complété son
exploration du Monde. Elle a pris conscience de sa véritable nature
et la seconde période commence. Cette "Évolution" nécessite un
changement d'état. Elle va lui permettre de remonter
progressivement vers l'omniscience divine en développant sa propre
réalité.
Comme tous les initiateurs, les Théosophes ont bâti des doctrines
complexes pour communiquer leurs intuitions. Ce n'est pas l'objet de
cette étude qui porte sur les fondements. La Gnose était à l'origine
une façon de penser le Monde et s'accordait parfaitement avec les
religions. La persécution regroupa les Gnostiques, les amenant à
formaliser leurs convictions. Ils furent les premiers théologiens de la
Chrétienté. Ils enseignent encore que le moi spirituel humain
(inconscient) est une partie altérée de Dieu emprisonnée dans la
matière. Mais l’Homme peut devenir conscient de son essence
divine. La révélation gnostique n'est pas acquise par la raison mais
donnée par un appel intérieur de l'Esprit. Elle énonce que l'esprit
humain s'incarne dans la chair, (involution), et y demeure tant qu'il
n'a pas compris sa nature véritable. Il remonte ensuite vers la
divinité, (évolution). D'autres concepts s'ajoutent. Le Monde
résulterait de l'union des contraires, tels l'Univers et le Néant, la Vie
et la Mort, le Bien et le Mal, le Positif et le Négatif, etc.. On retrouve
ces fondements dans la pensée gnostique.
Il est donc conséquent que les Théosophes distinguent deux aspects
antagonistes dans les fondements du Monde, et que les groupes
religieux qui en sont issus professent le dualisme de la Création.
Cependant, dans le cadre panthéiste général qui caractérise la Gnose,
il n'existe qu'une seule réalité ultime. C'est la perception humaine qui
en oppose les différentes manifestations. Au nadir de l'incarnation, la
prise de conscience doit faire disparaître ces oppositions illusoires.
Avec l'acquisition de l'intellect, l'Homme microcosmique semble
approcher de ce point. L'intellect permet de découvrir ce qui est
caché à partir de ce qui est connu. Dans l'expérimentation de la
matière, il reste encore beaucoup de mystères. Ici et dans cet essai,
414
nous utiliserons l'intellect pour éclairer cet inconnu à la lumière des
concepts théosophistes gnostiques. On pourrait légitimement choisir
d'autres méthodes ou éclairages. Cependant, dans la recherche
sincère de l'unité de son être, le chercheur solitaire doit se libérer des
à priori doctrinaux. Sa démarche doit donc aussi accepter d'intégrer
intelligemment l'observable.
415
Évangile de Marie-Madeleine - L'intellect
Pierre dit à Marie: "Soeur, nous savons que le
Maître t'a aimée différemment des autres femmes.
Dis-nous les paroles qu'Il t'a dites, dont tu te
souviens et dont nous n'avons pas la connaissance..."
Marie leur dit : "Ce qui ne vous a pas été donné
d'entendre, je vais vous le dire: j'ai eu une vision du
Maître, et je Lui ai dit: «Seigneur, je Te vois
aujourd'hui dans cette apparition». II répondit :
«Bienheureuse, toi qui ne te troubles pas à ma vue.
Là où est l'intellect, là est le trésor.» Alors, je Lui
dis: «Seigneur, dans l'instant, celui qui contemple
Ton apparition, est-ce par l'âme qu'il voit ? Ou par
l'esprit ?». Le Maître répondit: Ni par l'âme ni par
l'esprit ; mais l'intellect étant entre les deux, c'est lui
qui voit et c'est lui qui [...] (révèle ?)»
L'évangile de Marie-Madeleine, (1er texte du codex de Berlin),
est un texte gnostique des apocryphes du Nouveau
Testament, découvert en 1896 à Akhmin en Égypte dans une
tombe chrétienne. Il est écrit dans un dialecte copte et sa
traduction ne s'est achevée que vers 1950.
Á l'origine, disent les Théosophes, le Grand Être (Dieu) différencie
en lui-même des vagues successives d'esprits vierges qui s'incarnent
pour expérimenter la matière. Dans cette l'involution, ils prennent
conscience de leur nature, véritable puis évoluent vers l'état divin.
Dans le présent, ils en sont à des degrés différents de réalisation, et
certains commencent l'involution quand d'autres ont terminé
l'évolution. L'état du Monde et celui de l'Homme reflètent cette
situation. Les novices du chaos tentent de construire les instruments
adéquats, (les corps vivants). Les plus compétents peuvent intervenir
pour les aider. Ainsi en est-il également sous notre Soleil. Á
l'origine, des esprits y ont commencé l'exploration en transformant la
matière inerte en matière vivante. C'est dans le pouvoir de leur nature
416
divine. Les vivants ne sont pas les produits de la création, ils en sont
les outils. Mais les esprits organisateurs agissent avec les moyens et
dans le champ qu'ils maîtrisent. Dans l'involution, les moyens sont
des corps dotés d'âmes, et le champ d'action est la Force de vie dont
le grand moteur est le Désir.
Les corps animés sont donc les appareils biologiques, "les
véhicules", que les esprits construisent pour expérimenter la matière.
En ce qui concerne notre la vague de vie, lorsque la planète Terre a
été suffisamment refroidie, ce travail de construction a entrepris la
production de molécules auto-réplicantes. Ces éléments furent
contenus dans des alvéoles isolées évoluant en cellules fermées
contenant des chromosomes indépendants capables d'en mémoriser
et d'en piloter la structure. L'ARN puis l'ADN furent inventés. Les
vivants appareils transformèrent la Terre, se multipliant en épuisant
les éléments naturels constitutifs des protéines. Stoppés sur le
chemin, les monades firent alors des choix terribles, inventant la
gueule et les membres, les dents et les griffes, la prédation et la mort.
Puis vint la conquête des eaux et de la terre, avec l'invention des
poissons et des batraciens, des reptiles et des dinosaures, des oiseaux
et
des
mammifères,
et
la
plus
récente,
celle de
l'Homme. Fondamentalement, les activités, les comportements de
tous ces êtres sont établis sur une immense variété de peurs et de
désirs
La Théosophie dit qu'en ce monde, les monades construisent des
véhicules pour explorer la matière. Ces appareils biologiques sont les
corps vivants. Ils sont progressivement perfectionnés grâce à des
moyens divers comme les lois de l'hérédité et de la sélection. Ce
travail est en cours depuis plus de deux milliards d'années, mais le
temps n'a pas de valeur. C'est une immense illusion. Le temps
apparaît quand quelqu'un regarde une pendule. Avant que la
conscience naisse dans l'Homme, personne ne regardait aucune
pendule. Le temps est une perception de l'âme liée au déploiement de
la conscience. Il en est d'ailleurs atrocement de même de la
souffrance et de la mort. Le fauve ne se soucie pas de ce qu'il inflige
à sa proie. Il se procure simplement les protéines dont il a besoin.
Mais dans l'âme humaine, à notre niveau d'involution, un début de
compassion commence à apparaître. L'espèce reste cependant
417
prédatrice, exploitant la chair animale et la misère humaine. Bien des
esprits, enfermés dans leur immaturité, demeurent primitifs. Chez
quelques autres, naît une faculté nouvelle.
418
Peut-être pouvons-nous
retrouver dans cette approche
gnostique le véritable sens de
la fondation du Christianisme
originel, l'attitude d’humilité
véritable mais aussi de dignité
consciente des premiers
apôtres, telle que l’exprimait
Pierre devant des humains
prosternés.
« Relevez-vous, disait-il, car
moi aussi, je suis un
homme ».