Pss dans le Jud. Final recension
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Pss dans le Jud. Final recension
Les psaumes dans le Judaïsme rabbinique* Pour cet exposé sur l’interprétation rabbinique des psaumes, j’ai choisi trois thèmes. Ils illustrent trois aspects de l’interprétation rabbinique des psaumes. Mais ils soulignent aussi trois manières par lesquelles les interprétations rabbinique et patristique se rejoignent. La première partie traite de ce que disent les rabbins à propos de la formation et de la nature du psautier hébraïque. Ici, les rabbins et les Pères sont en accord. La deuxième partie expose la manière dont les textes rabbiniques éclairent l’usage des psaumes dans le culte du temple. Les rabbins ont accès à un trésor méconnu des interprètes chrétiens ; on y trouve beaucoup d’éléments originaux. La dernière partie traite des interprétations eschatologiques des rabbins sur les psaumes. C’est un sujet fascinant, car les rabbins et les Pères lisent les mêmes textes de la même façon, mais ils en dégagent des messages tout à fait différents. I. LES PSAUMES D’AUJOURD’HUI. LA COMPOSITION DU PSAUTIER : L’ACCORD DES RABBINS ET DES PERES Regardons d’abord ce premier thème. J’ai appellé cette partie « Les psaumes d’aujourd’hui » parce qu’elle traite du Livre des Psaumes que nous tenons entre nos mains. J’examinerai ce que les rabbins disent à propos du texte et des titres des psaumes, à propos de l’arrangement de ses poèmes individuels, de leurs auteurs et du statut du recueil en tant qu’écriture prophétique. Dans tous ces domaines, les rabbins et les Pères sont en accord. 1. Texte et titres Commencons par le texte. Il y a un seul psautier, mais il se présente sous plusieurs formes. Le psautier agréé par le conseil rabbinique de Jamnia à la fin du premier siècle a mené par la suite au psautier massorétique. Le psautier de la Septante a donné par la suite le psautier gallican de Jérôme, qu’on trouve dans la Vulgate. Mais on doit comprendre que ces deux psautiers ont quasiment le même texte. La différence principale est dans leur manière de numéroter les psaumes. Chacun divise ou regroupe les psaumes d’une façon un peu différente2. Mais, en fin de compte, les deux collections présentent les mêmes psaumes dans le même ordre et toutes les deux ont un total de 150 psaumes3. * Conférence donnée à la Faculté de théologie de l’Université catholique de Louvain-la-Neuve le 3 décembre 2003, dans le cadre du cours de patrologie. Le texte imprimé a conservé le style de l’exposé oral. L’auteur présente les vues rabbiniques sur (1) la composition du Psautier, (2) les Psaumes dans le culte du temple, et (3) les Psaumes comme prophétie eschatologique. Il les met en comparaison avec les vues patristiques sur les mêmes sujets. 2 Les psaumes massorétiques 9 et 10 constituent un seul psaume dans la Septante, comme aussi les psaumes 114-115 ; par contre, les psaumes 116 et 147 sont chacun divisés en deux psaumes. Voir, par exemple, J.-M. AUWERS, « La numérotation des psaumes dans la tradition hébraïque. Une enquête dans le fonds hébreu de la Bibliothèque Nationale de France », dans Revue biblique, t. 109, 2002, p. 343-370. 3 La Septante contient un psaume en plus à la fin, mais elle le orésente comme étant hors numérotation. Elle possède aussi plus de titres psalmiques que le texte massorétique. 1 Les juifs et les chrétiens avaient donc tous un psautier de 150 psaumes. Cependant, d’après les sources rabbiniques, nous savons que, parmi les juifs, les différences dans la division et la combinaison des psaumes dans le psautier ont perduré pendant très longtemps. En fait, d’autres versions des psaumes ont persisté jusqu’au 15e siècle au plus tard. Le Talmud de Jérusalem parle à un moment d’un psautier avec un Hallelujah écrit en plein milieu d’un psaume, c’est à dire, avec deux psaumes ‘Hallelujah’ fusionnés4. Un psautier de 147 psaumes, correspondant aux années vêcues de Jacob le patriarche, est connu des manuscrits et des références dans la littérature rabbinique.5 Un texte du Genizah de Caïre témoin à un Psautier de 149 psaumes6, comme le fait aussi le Codex B de Léningrad et les Bibles de Brescia (1494) et Naples (1491-94)7. Cet collection était connu à Shmuel ha-Nagid, le général juif du roi d’Espagne, qui a écrit une poème de 149 lignes en tribu8. On rapporte aussi des psautiers de 148, 151, 159 et même 170 psaumes.9 Mais, dans chacun de ces cas, la modification ne semble pas être dans le contenu de ces psautiers, mais plutôt dans la division et la combinaison des unités psalmiques. Apparemment, tous les psautiers juifs s’accordent sur le même texte essentiel qu’on trouve dans le psautier massorétique. Son contenu et son ordre étaient fixes, même si sa numérotation ne l’était pas. Au sujet des titres et des colophons des psaumes, les rabbins et les Pères les traitent comme une partie intégrale du texte, essentielle pour l’interprétation. Par exemple, le midrash sur les psaumes prend le titre la-m’natseah – souvent traduit Au chef des chantres – comme une allusion au Messie10. Il dit: « Dans les jours du Messie, cependant, il aura huit cordes sur la harpe, comme il est dit: la-m’natseah ‘al ha-sheminit, c’est à dire, Pour le Messie sur la huitième » (Ps 12,1; Midr. Pss 81.3). De la même façon, il traduit le titre du Ps 84 – ‘al ha-gittit – par Concernant les pressoirs du vin, et l’applique à l’écrasement de l’adversaire eschatologique, comme dans un pressoir11. Les rabbins de la période médiévale font aussi des remarques sur les titres des psaumes. Ils offrent une variété d’opinions, mais, comme nous verrons, ils les regardent toujours comme faisant intégralement partie du texte. 4 y. Pes. 1c. 5 Pour les manuscrits, voir C.D. GINSBURG, Introduction to the Massoretico-Critical Edition of the Hebrew Bible, repr. New York: Ktav, 1966 (Londres, 1897) p. 18, 777. Pour les références, voir y. Sabb. XVI, 15c; cf. Sop. 16.11; Midr. Pss to 22.4; Yalkut Shimoni (1ère ed.; Salonica, 1521-26); Jacob b. Asher, Ba‘al ha-Turim sur Gen. 47.28. 6 I. YEIVIN, « The Division into Sections in the Book of Psalms », Textus 7 (1969) 76-102, 78. 7 SARNA, « Psalms, Book of », dans Encyclopaedia Judaica, t. XIII, Jérusalem, 1971, col. 1304-22 (1306). 8 Le poème est dans T. CARMI, The Penguin Book of Hebrew Verse, New York, Penguin, 1981, p. 99, 286288. 9 C.D. GINSBURG, Introduction to the Massoretico-Critical Edition of the Hebrew Bible, repr. New York: Ktav, 1966 (Londres, 1897) 583, 536, 725. 10 Aquila traduit la-m’natseah par tô nikopoiô, « Pour le vainqueur », expression qui a des sous-entendus messianiques. Une traduction comparable (‘Victori’) se trouve dans le Psalterium juxta hebraeos de Jérôme, mais pas dans son Psautier Gallican passé dans la Vulgate. Sur les deux versions de Jerome, voir D.C. MITCHELL, The Message of the Psalter: An Eschatological Programme in the Book of Psalms (JSOTSup. 252; Sheffield: JSOT, 1997) 37n. 11 Midr. Pss. 84.1. La même interprétation se trouve dans les traductions de la LXX et de la Vulgate. 2 2. Composition Les interprètes rabbiniques regardent les psaumes comme une collection délibérément construite12. Le midrash sur les psaumes regarde les quatre ‘Amen’ doxologiques, à la fin du Ps 41, 72, 89 et 106, comme divisant la collection en cinq livres à la manière d’une deuxième Torah. Il dit : Moïse donna cinq livres de Torah à l’Israël, et David donna cinq livres des psaumes à l’Israël: Heureux l’homme (Ps 1), Heureux celui (Ps 41), Un psaume d’Asaph (Ps 73), Une prière de Moïse (Ps 90), Qu’ainsi disent les rachetés de l’Eternel (Ps 107)13. L’idée que les Psaumes forment une deuxième Torah ou un deuxième Pentateuque se trouve aussi dans les Rouleaux de la Mer Morte, dans le Talmud, et chez les écrivains chrétiens, comme Hippolyte, qui observe que « les Hébreux divisèrent le psautier en cinq livres, afin qu’il puisse être un autre Pentateuque »14. Le midrash enseigne aussi que les psaumes sont délibérément arrangés dans le psautier. Il raconte comment un jour R. Joshua ben Levi se décida à commencer à réarranger les psaumes. Une voix des cieux lui commanda : « Ne réveille pas ce qui dort paisiblement! »15. La même supposition se trouve dans des traditions qui relatent que des psaumes individuels étaient juxtaposés pour une raison précise. Une tradition talmudique sur les psaumes 2 et 3 le déclare en ces termes : Un certain min16 dit à R. Abbahu: Il est écrit, Psaume de David. À l’occasion de sa fuite devant Absalom, son fils (Ps 3,1). Et il est écrit aussi, Mikhtam de David. Lorsqu’il se réfugia dans la caverne poursuivi par Saül (Ps 57,1). Quel événement se passa d’abord? N' est-ce pas l’événement de Saül qui se passa d’abord? Donc, il aurait dû figurer en premier. R. Abbahu lui répondit: Pour vous, qui ne tirez pas d’interprétation de la juxtaposition, il y a une difficulté; mais pour nous, qui tirons des interprétations de la juxtaposition, il n’y a pas de difficulté. Car, dit R. Yohanan: Comment est-ce qu’on sait selon la Torah que la juxtaposition compte? Parce qu’il dit : Ils sont joints pour l’éternité, faits avec fidélité et droiture (Ps 111,8). Et pourquoi le chapitre d’Absalom est-il juxtaposé au chapitre de Gog et Magog? Afin que si quelqu’un te dit : « Est-ce qu’il est possible qu’un esclave se révolte contre son Seigneur? », tu puisses lui répondre « Est-ce qu’il est possible qu’un fils se révolte contre son père? Mais pourtant ceci s’est passé, et donc cela aussi [se passera] » (Ber. 10a). Le midrash sur les psaumes donne un point de vue similaire concernant ces deux psaumes : 12 Pour la composition du Psautier en général, voir J.-M. AUWERS, La composition littéraire du Psautier. Un état de la question (coll. Cahiers de la Revue Biblique, 46), Paris, Gabalda, 2000. 13 Midr. Pss.1.2. Il n’est pas simple d’expliquer pourquoi ce texte cite le Ps 41 plutôt que le Ps 42, comme le premier psaume du deuxième livre. C’est peut-être simplement une erreur de l’auteur ou d’un scribe. Cela pourrait aussi indiquer que l’auteur connaissait un psautier dans lequel le premier des cinq livres se terminait par le Ps 40. 14 Le Talmud Babylonien parle des hômashîm, ou cinq divisions, du livre des Psaumes (Kid. 33a). Si l’attribution de cette tradition au temps de R. Hiyya et du jeune R. Simeon b. Judah ha-Nasi est juste, elle date donc d’environ 200 AC. 15 Midr. Pss. 3.2. C'est-à-dire, Quieta non movere. 16 Un min est un hérétique ou infidel, mais en particulier c’est “mostly applied to Jew-Christians” (M. JASTROW, Dictionary of the Targumim. 2 vols. Judaica Press; New York, 1996 : 776). 3 R. Jacob dit au nom de R. Aha: Pourquoi le psaume sur Gog et Magog (Ps 2) est-il juxtaposé à celui sur Absalom (Ps 3)? Pour te dire qu’un fils méchant fait plus grande cruauté à son père que les guerres de Gog et Magog (Midr. Ps 3,2). De la même façon, le midrash explique d’autres psaumes en les comparant aux psaumes voisins17. Les rabbins du Moyen Âge eurent des vues similaires. Ils regardent la collection entière comme délibérément construite et interprètent les psaumes voisins l’un par rapport à l’autre18. Kimhi, par exemple, dit sur Ps 53 : Ce psaume parle de l’exil et du tribut [qui sera rendu] dans le temps du salut. Et la raison pour laquelle ce psaume se trouve entre [le psaume sur] le sujet de Doeg et [le psaume sur] le sujet des Ziphites est de faire prévaloir la parole de David concernant le Messie son fils. Ailleurs, Kimhi observe que, bien que la disposition des psaumes ne puisse pas être expliquée selon un ordre historique, elle est néanmoins telle que le roi David l’a voulu. Bien entendu, les interprètes patristiques partagent aussi ce point de vue que la composition du Psautier n’a pas été laissée au hasard19. S. Augustin dit: « L’ordre des Psaumes me semble contenir le secret d’un puissant mystère, mais il ne m’a pas encore été révélé ».20 Origène dit que les psaumes ne sont pas présentés dans un ordre chronologique ; il doit donc y avoir une autre explication à l’ordre actuel. Il cite aussi une tradition juive qui montre une séquence d’événements qui se trouve dans les Cantiques des Montées (Ps 120134).21 Quelle est donc la vraie signification de l’arrangement du psautier? Personne ne le dit jamais. Ses cinq livres forment, bien entendu, une deuxième Torah, mais cet élément est seulement un début d’explication. En ce qui concerne le sens plus profond, les Pères confessent qu’ils ne le connaissent pas. Les rabbins, pour leur part, n’en disent rien. Ou l’explication des rabbins s' est perdue au cours des temps, ou bien ils tenaient un secret trop grand pour le mettre par écrit. 3. Les auteurs Écoutons maintenant ce que disent les rabbins au sujet des auteurs du psautier. En tête de beaucoup de psaumes, on trouve des noms de personnes. La plupart de ces titres, septantetrois au total, comportent le nom de David22. La forme de ces titres en hébreu comporte le nom, précédé par la préposition d’une seul lettre lamed, qui peut signifier de ou encore pour. 17 Par exemple, le midrash sur le Ps 111,1 refère au Ps 110 pour comprendre le contexte du Ps 111. Par exemple, Kimhi fait des remarques sur la signification de la juxtaposition des Ps 1, 2 et 3. De la même façon, il remarque que le Ps 53 est placé là où il se trouve, pour montrer que David était menacé par Doëg (52,1) et par les Ziphites (54,1), mais Dieu a fait que son royaume reste ferme (Comm. sur Ps 53). 19 Conçernant les vues patristiques de l’arrangement des psaumes, voir J.-M. AUWERS, « L' organisation du 18 Psautier chez les Pères grecs », dans Le Psautier chez les Pères, édité par P. MARAVAL (coll. Cahiers de Biblia Patristica, 4), Strasbourg, Centre d' analyse et de documentation patristiques, 1994, p. 37-54. 20 AUGUSTIN, Enarrationes in Psalmos 150,1. 21 ORIGÈNE, Selecta in Psalmos (C.H.E LOMMATZSCH, Origenis Opera Omnia. 25 vols. [Berlin, 183148]) XI, 370-71; XIII, 107. 22 Ils sont réunis en trois groupes: Ps 3 à 41; Ps 51 à 72; et Ps 138 à 145, avec d’autres qui figurent dans la collection. 4 L’expression hébraïque l’david peut donc signifier qu’un psaume était écrit par David ou pour David. Dans la littérature rabbinique, comme dans l’ancienne littérature chrétienne, il est normalement admis que les psaumes l’david ont été écrits par David23. Par exemple, le Talmud dit que l’david mizmor, signifie que la présence divine – la shekhinah – vint sur David et puis qu’il chanta un psaume; tandis que mizmor l’david signifie qu’il chanta un psaume et que la shekhinah vint ensuite sur lui (Pes 117a). En outre, il y a une tradition rabbinique d’après laquelle les psaumes sans nom sont placés sous le nom de l’auteur mentionné précédemment.24 Donc, ils attribuent à David non seulement les psaumes qui portent son nom, mais tous les psaumes anonymes qui les suivent. En conséquence, David reçoit la paternité de beaucoup de ces psaumes orphelins, comme les sections des Ps 52 à 71 et 101 à 135. En conséquence, David est considéré comme l’auteur de plus de deux tiers de la collection, et donc le psautier entier lui est attribué en tant qu’auteur principal25. La littérature rabbinique rapporte de nombreux récits à propos de David comme auteur des psaumes. En voici un, tiré de la collection Yalkut Shimoni du début du 13e siècle : Quand le Roi David eut fini le Livre des Psaumes, il se sentit très fier et dit: « Seigneur de l’univers, as-tu une créature qui proclame plus ta gloire que moi? ». Alors Dieu lui envoya une grenouille qui dit: « Ne sois pas si fier, David. Je chante les louanges de mon Créateur plus que toi. Et, de plus, comme grand acte de vertu, quand l’heure de ma mort est arrivée, je descends au fond de la mer et je me laisse avaler par une de ses créatures. Et voilà, même ma mort est une action de bienfaisance » (Yalkut Shimoni 2.889). Donc, comme les Pères, les rabbins considèrent généralement les psaumes l’david comme des œuvres de David. Mais par ailleurs, ils ne prennent pas toujours le préfixe lamed comme une indication d’auteur. Par exemple, le titre lishlomo du Ps 72 était utilisé par Rashi, Ibn Ezra et Kimhi pour dire que le psaume était écrit par David et non par Salomon mais, comme psaume prophétique, pour Salomon. D' autres titres psalmiques ont fait l’objet de débat. Par exemple, Rav Yohanan et Rav Judah ha-Nasi ne partagent pas l’opinion selon laquelle les lévites du Roi David – Asaph et Jeduthun – ont vraiment écrit les psaumes qui portent leurs noms26. 23 Ibn Ezra a suggéré que quelques psaumes l’david, c.-à-d. les Ps 20, 21 et 110, furent écrits pour David par les chantres du temple. Il offre comme preuve le titre lishlomo du Ps 72, dont il est généralement admis qu’il signifie pour Salomon (Comm. sur Ps 110; cité dans D.C. MITCHELL, Message, p. 244). La Koren Jerusalem Bible (Jerusalem: Koren, 1992: Héb. et Angl.) interprète le titre du Ps 20 exactement de cette façon. 24 La tradition est appliquée en particulier au titre l’mosheh des Pss 90-100 (Midrash Pss 90.3). Origène cite une tradition juïve: « Ces psaumes qui n’ont pas titre, ou qui possèdent un titre mais pas le nom d’auteur, appartiennent à l’auteur dont le nom se tien à la tête du dernier psaume précédent qui possède un titre. » (C.H.E. LOMMATZSCH, Origenis Opera Omnia. 25 vols. [Berlin, 1831-48] XI, 352-54; R.B. TOLLINTON, Selections from the Commentaries and Homilies of Origen [Londres: SPCK, 1929]). G.H. WILSON remarque que l’absence d’un titre indique une tradition de combinaison non seulement dans les psaumes, mais aussi dans des autres anciennes textes hymniques semitiques (The Editing of the Hebrew Psalter. Chico, CA: Scholars Press, 1985 [199]). 25 Bien entendu, nous ne pouvons pas savoir avec certitude quels psaumes auraient été écrits par David et lesquels lui ont été simplement attribués. Mais il y a des similarités de langage et de style entre beaucoup des psaumes l’david, qui pourraient indiquer qu’ils furent écrits par le même auteur. 26 Eccl. R. VII.19.4. 5 Il existe aussi diverses opinions sur l' identité de celui qui a compilé le psautier. Une tradition talmudique dit que David lui-même le rédigea : David a écrit le Livre des Psaumes, en incluant le travail des anciens, à savoir, Adam, Melchisédek, Abraham, Moïse, Heman, Jeduthun, Asaph, et les trois fils de Korah27. Cependant, le midrash sur le Cantique des cantiques pourrait suggérer que le psautier fut rédigé par un autre rédacteur, c’est-à-dire Esdras : Dix hommes composèrent le Livre des Psaumes: Adam, Abraham, Moïse, David et Salomon – ils sont cinq. À propos de ces cinq, il n’y a pas différence d’opinion. Qui sont les autres cinq? Asaph, Heman et Jeduthun, et les trois fils de Korah et Esdras28. Entre parenthèses, l’idée qu’Esdras rédigea la version finale des psaumes est connue des Pères29. Si Ezra fut vraiment le rédacteur de la collection, il a peut-être batie son travail sur celui de Néhémie. Selon 2 Maccabées, Néhémie « établit une bibliotheque et rassembla les livres sur les rois et les prophètes, et les écritures de David » (2 M 2,13). 4. Voix prophétique Les rabbins, comme les Pères, considèrent les auteurs des psaumes comme des prophètes. Cette idée vient de l’Ancien Testament lui-même30. Elle est bien connue dans la période du Nouveau Testament. Le sermon de Pierre à la Pentecôte, par exemple, décrit David comme un prophète. À la même période, l’Amidah, la prière quotidienne juive, appelle Dieu en disant : Accomplis dans notre temps les paroles de ton serviteur David, afin que les hommes soient encore gouvernés selon la justice et la crainte de Dieu. Que la lumière se lève sur le monde de nos jours, car nous attendons et travaillons pour ton salut31. De plus, une génération plus tard, Flavius Josèphe décrit David comme un prophète32. Les rabbins suivent cette tradition. Le Talmud dit que David a parlé sous l’influence de la sh’khinah33. Le midrash sur les psaumes appelle David et les fils de Korah des prophètes34. Kimhi, avec sa manière propre, discute de la différence entre le premier ordre de prophétie, qui se trouve dans les prophètes ou nevi’im, et la parole dans le Saint-Esprit, qui se manifeste dans les psaumes et les autres Ketuvim ou Écritures. Ces deux formes de parole prophétique, dit-il, prédisent l’avenir, mais elles ont des caractéristiques différentes. La parole dans le Saint-Esprit se caractérise de la manière suivante: 27 B.B. 14b/15a. Voir aussi y.Pes. 1c. Cantique R. IV.4.1, cf. Cantique R. IV.19. 29 ATHANASIUS et peut-être HIPPOLYTUS (voir H. ACHELIS, Hippolyt’s kleinere exegetische und homile28 tische Schriften, dans G.N. BONWETSCH & H. ACHELIS [eds], Hippolytus. Bd. I. [GCS, 1; Leipzig: Hinrichs,1897] 132). Sur cette tradition, qui semble bien remonter à IV Esdras 14,37-48, où Esdras a rédigé les 24 livres de l’ancien testament, voir AUWERS, La composition littéraire, p. 14, n. 21. 30 Cfr 1 S 23,1-7. 31 Traduit du siddur anglais: Forms of Prayer (Oxford University Press: The Reform Synagogues of Great Britain, 1977), p. 236-237. 32 « Et il commença à prophétiser quand l’Esprit divin quitta [Saül] pour rester sur lui » (Ant. 6.166). 33 34 Pes. 117a. Midr. Pss 2.2; 44.1; 45.4. 6 [L’auteur] dit ce qui est dit à la manière des hommes, sauf qu’un Esprit plus haut le dirige et révèle les paroles sur sa langue, paroles de louange et d’actions de grâces à son Dieu, ou des paroles de sagesse ou d' instruction. Il parle aussi de l’avenir, avec l’assistance divine en plus des capacités de celui qui parle…Et le Livre des Psaumes a été dicté de cette façon35. Tous les rabbins n’abordent pas l’élement prophétique des psaumes de la même manière. Kimhi lui-même, bien qu’il reconnaisse le contexte historique d’un psaume, s' appuie sur le message prophétique. Voici sa remarque sur le Ps 22 : Le vrai sens du Ps 22 est que ayyelet ha-shahar se réfère à Israël en exil ; où il pousse un cri : Mon Dieu, mon Dieu, pourquoi m’as-tu abandonné?36 Ibn Ezra, le plus ‘historico-critique’ des rabbins, donne en même temps un sens historique et un sens prophétique aux psaumes. Sur le Ps 45, il dit : « Et ce psaume est dit de David ou du Messie son fils, que son nom prospère ». Et au sujet du Ps 72: « Une prophétie de David ou d’un des chanteurs [du temple] sur Salomon ou le Messie ». Plus intéressant est Rashi. Il interprète parfois le psaume prophétiquement. Mais souvent, quand on attend une interprétation eschatologique, il donne seulement une interprétation historique. Dans son commentaire sur le Ps 21, il explique ses raisons: « Nos rabbins l’ont interprété comme parlant du Roi Messie, mais il est mieux de l’interpréter comme étant dit à propos de David lui-même, pour confondre les hérétiques ». Donc, les rabbins sont d' accord avec les Pères sur la composition du psautier, c’est-à-dire son texte, ses titres, son arrangement, ses auteurs, et sa nature prophétique. Un tel accord ne doit pas nous étonner. Les rabbins et les apôtres héritèrent ensemble de la même tradition de l’ancien Israël. Mais on peut noter, en passant, que leur vue sur ces sujets est complètement différente de celle de la plupart des érudits récents, lesquels considèrent le texte des psaumes comme un arrangement ad hoc, les titres comme fallacieux, les auteurs comme suspects, et la révélation prophétique comme vieillotte.37 II. LES PSAUMES D’HIER : LES CANTIQUES DES MONTEES DANS LE CULTE DU TEMPLE. CE QUE LES RABBINS SAVAIENT ET QUE LES PERES IGNORAIENT Abordons la deuxième partie. Je l’ai intitulée « Les psaumes d’hier », parce qu’elle traite de la place des psaumes dans le culte de l’ancien Israël. J’examinerai ce que les rabbins disent à propos de l’usage d’un seul groupe des psaumes, les Cantiques des Montées (Ps 120-134), dans le culte du temple. Dans ce domaine-ci, il est clair que les rabbins en savaient beaucoup plus que les Pères. 1. Mishnah Sukkah La littérature rabbinique nous donne une perspective unique sur le culte dans l’ancien Israël, ce qui est évidemment d’un interêt particulier quand on étudie les psaumes. Prenons, 35 Commentaire sur les psaumes; de l’introduction au premier livre des psaumes. Pour le Ps 89, voir le commentaire sur le Ps 53 ; pour les Cantiques des Montées, voir le commentaire sur le Ps 120; pour les autres, voir les commentaires appropriés. 36 37 Pour une discussion plus complète sur le développement des vues des 19ième et 20ième siècles, voir Mitchell, Message, 41-48. 7 par exemple, les Cantiques des Montées (Ps 120-134). Beaucoup de lecteurs de la Bible n’ont aucune idée du rôle que ces psaumes ont joué dans le culte du temple. À ce sujet, même des experts ont proposé des interprétations étranges. Bien sûr, si on lit la Bible avec soin, on peut trouver des indications à propos de l’usage original de ces psaumes. Par exemple, le Ps 122 parle des tribus de Yah montant à Jérusalem comme le prescrit la Loi. Ceci peut amener un lecteur astucieux à supposer que ces psaumes eurent un rapport avec l' une des trois fêtes annuelles d’Israël: Pâques, Pentecôte et Sukkot. Un lecteur très astucieux pourrait noter que le Ps 132 est cité en 2 Ch 6 dans le contexte d’une fête de Sukkot, et il pourrait conclure que la collection de psaumes a peut-être un rapport avec Sukkot. Mais c’est tout ce que l’on peut apprendre de ces psaumes, avec l’aide de la Bible seule. Quand on ouvre la Mishnah, tout s' éclaire. La Mishnah est une compilation de la moitié du 2e siècle après J.-C. traitant de toutes les anciennes pratiques et traditions d’Israël, particulièrement à propos du temple. La section de la Mishnah appelée Mo‘ed ne parle que des fêtes, et sa sous-section, Sukkah, de la fête de Sukkot. Nous lisons qu’à cette fête : D' innombrables Lévites [jouèrent] sur des harpes, lyres, cymbales, et trompettes, et instruments de musique sur les quinze marches qui descendent de la Cour d’Israël à la Cour des Femmes, correspondant aux quinze Cantiques des Montées dans les psaumes; sur ces marches se tenaient les Lévites avec des instruments de musique et jouaient des mélodies38. Donc, la Mishnah dit qu’il y avait quinze marches dans le temple et que celles-ci correspondaient aux Cantiques des Montées39. Certains commentateurs estiment que ceci signifie seulement qu’il y avait quinze marches et quinze cantiques, mais j’ai l’impression qu’il existe une « correspondance » plus profonde. Et, de fait, cela se confirme lorsqu’on regarde la Tosefta. 2. Tosefta Sukkah La Tosefta est un supplément à la Mishnah. Elle contient elle aussi des anciennes traditions, même si elle a été rédigée après la réalisation de la Mishnah. Voici ce que la Tosefta a à dire sur le passage de la Mishnah déjà mentionné. D’abord, elle cite la Mishnah : D' innombrables Lévites [jouèrent] sur des harpes, lyres, cymbales, et trompettes, et toutes sortes d’instruments de musique [sur les quinze marches, etc.] (Suk. 5,4). Puis, elle ajoute sa propre tradition : Qu’est-ce qu’ils ont chanté? Cantique de Montées. Voici, bénissez l’Éternel, vous tous, serviteurs de l’Éternel, qui vous tenez dans la maison de l’Éternel pendant les nuits (Ps 134,1). Certains chantaient : Élevez vos mains vers le sanctuaire et bénissez l’Éternel (Ps 134,2). Et quand ils se sont séparés les uns des autres, qu’ont-ils dit? Que l’Éternel te bénisse de Sion, Lui qui a fait les cieux et la terre (Ps 134,3)40. Donc, la Tosefta Sukkah montre que les Cantiques des Montées étaient effectivement chantés par les Lévites sur les marches du temple et que ceci faisait partie de la louange dans 38 39 Suk. 5.4. L’existence des quinze marches dans le temple est noté par JOSEPHE, Guerre 5.3. Josephe était témoin du deuxième temple. 40 t. Suk. 4:7-9. 8 le culte de Sukkot. On remarque aussi que certains versets du psaume étaient chantés uniquement par les Lévites, et que l’assemblée répondait en choeur, comme c' était aussi le 41 cas des anciennes louanges chrétiennes. Il faut noter que les Cantiques des Montées se trouvaient apparemment à la fin de ce culte, puisque l’assemblée se disperse après avoir récité la dernière phrase du dernier chant, le Ps 134. Puisque les paroles du Ps 134 visent les serviteurs dans la maison de l’Éternel pendant les nuits, la Tosefta décrit un culte nocturne au sommet des marches du temple dans la Cour d’Israël, d’où les sacrificateurs étaient visibles. Une autre partie de la Mishnah confirme que la fête de Sukkot était la seule occasion annuelle d’avoir un culte nocturne dans le temple. 3. Kimhi Consacrons-nous maintenant au commentaire de Kimhi sur les psaumes. Nous y trouvons encore plus de détails : Ces Cantiques des Montées comprennent quinze psaumes, et il est dit que les Lévites avaient l’habitude de les réciter sur les quinze marches – qui se trouvaient dans la Montagne du Temple – et ces quinze marches séparaient la Cour d’Israël de la Cour des Femmes ; car ils avaient l’habitude de monter par ces marches de la Cour des Femmes jusqu’à la Cour d’Israël, en chantant un de ces cantiques sur chaque marche42. Alors, selon Kimhi, les Lévites montaient vraiment les marches, en chantant un Cantique des Montées sur chaque marche. D’éminents exégètes ont rejeté l’opinion de Kimhi, en disant qu’il lisait trop entre les lignes du Mishnah.43 Cependant, ils semblent ne pas être courant de la lecture de la Tosefta, alors qu’il semble clair que Kimhi tire ses opinions de la Tosefta plutôt que de la Mishnah. D’après la Tosefta – où les Lévites chantaient ces chants sur les marches – sa suggestion semble convaincante. De plus, comme nous allons le montrer, d’autres éléments confirment son point de vue. D’abord, le nom de ces psaumes, les Cantiques des Montées – shirey ha-ma‘alot – signifie aussi les ‘Cantiques des Marches’. Car le mot ma‘alot est le mot biblique normal pour désigner les marches.44 On pourrait dire que la conclusion semble évidente, mais ce nom ma‘alot suggère que ces psaumes avaient vraiment un lien avec les quinze marches du temple. 41 Au sujet des bénédictions qui characterisent les Cantiques des Degrés, voir MITCHELL, Message, 109. KIMHI, Commentaire sur Ps 120. La même idée se trouve dans les Postillae perpetuae in universam S. Scripturam de NICOLAS DE LYRE (1270-1349), plus habituellement cité sous le titre Postilla litteralis super totam Bibliam, ou plus simplement, la Postilla. Son remarque s’est probablement inspiré de Kimhi, car Nicolas était un hébraïsant bien au courant des écritures rabbiniques. L’idée se trouve aussi dans Jacob LEONITIUS, Libellus effigiei templi Salomonis, Amsterdam, 1650. 42 43 Voir BAKER and NICHOLSON, The Commentary of Rabbi David Kimchi on Pss 120-150, 3; C.A. BRIGGS, The Book of Psalms (International Critical Commentary; Edimbourg, 1906) I.lxxix; A.F. KIRKPATRICK, The Book of Psalms (Cambridge: University Press, 1901) xxviii. Kirkpatrick a tiré son opinion de DELITZSCH (pas de référence), et apparemment les autres ont derivé leur opinion de Kirkpatrick. 44 Exod. 20,26; 1 R 10,19ff; 2 R 9,13; 20,9-11; 2 Chron. 9,18-19; Néh. 3,15; 12,37; Esa. 38,8; Ezéch. 40,22. 26. 31. 34. 37. 49. 9 Deuxièment, un autre passage de la Mishnah Sukkah montre que des processions de lévites passèrent en effet sur ces marches durant Sukkot : Deux sacrificateurs se tinrent à la porte en hauteur [la Porte Nicanor] qui mène en bas de la Cour d’Israël à la Cour des Femmes, avec deux trompettes à la main. Au premier chant du coq, ils jouèrent une note prolongée, puis répétée, et encore prolongée. Quand ils arrivèrent à la dixième marche, ils jouèrent encore une note prolongée, puis répétée, et encore prolongée. Quand ils arrivèrent à la Cour des Femmes, ils jouèrent encore une note prolongée, puis répétée, et encore prolongée. Ils continuèrent jusqu’à ce qu’ils atteignent la porte qui mène dehors à l’est (Suk. 5,4). Il apparaît donc clairement qu’il y avait des processions sur les quinzes marches du temple, du moins à l’aube. Troisièment, ce n’était pas les Cantiques des Montées qu’ils chantaient au long de cette procession de l’aube, car, comme nous l' avons vu, ils étaient chantés pendant les nuits. Ceci suggère que les marches du temple faisaient partie des cultes du matin et du soir pendant la fête de Sukkot. Bien entendu, une procession du soir qui monte les marches du temple aurait été une bonne façon de clore une journée qui aurait commencé par une procession du matin qui descend ces mêmes marches. Quatrièmement, un autre traité mishnaïque, Middot, qui garde toutes les mesures du temple, décrit ces marches comme suit : elles « n’étaient pas carrées, mais courbées comme un demi-rond d’une aire de battage » (Mid. 2.5). C’est-à-dire que les quinze marches formaient une large structure comme un demi-bol, exactement comme les anciens théâtres grecs ou comme le fameux Hollywood Bowl. Autrement dit, elles étaient conçues pour des événements musicaux afin de permettre aux musiciens de voir et d’entendre leur chef d’orchestre et leurs collègues. 4. Gematria et t’ruah Les lettres qui forment le numéro quinze, les lettres yod et he, prises ensemble, forment le nom de Yah, le nom le plus sacré de Dieu. En Israël, le chiffre quinze était sacré.45 Et donc ces quinze Cantiques des Montées étaient chanté sur les quinze marches du temple sur le quinzième jour du mois Tishri, le premier jour de la Fête de Sukkot. Tous ces quinzes représentent une multiple déclaration du nom sacré, Yah. En effet, le nom Yah apparaît deux fois, à des endroits importants, dans ces Cantiques des Montées (Pss 122.4; 130.3).46 La Mishnah permet aussi de mieux comprendre les rituels qui formèrent une partie de la musique de Sukkot. La description de la procession à l’aube parle de deux prêtres munis de trompettes qui jouèrent t’qiah, t’ruah, t’qiah ; c’est à dire, une note prolongée, puis répétée, et encore prolongée. En pratique, la coutume était apparemment une longue note, sept notes répétées, et une longue note. Ceci est une description de la t’ruah – la fanfare de la trompette pour mettre le Seigneur en souvenir d’Israël en temps de fête et de guerre sainte47. Le chapitre 10 du livre des Nombres dit: 45 En effet, dans nos Bibles hébraïque modernes, avec des verses numerotés, le numéro quinze n’est jamais écrit de façon normale: c.à.d. yod-he ou 10+5. Il est toujours écrit teth-waw ou 9+6. 46 47 Au sujet du structure des noms divins dans les Cantique des Degrés, voir MITCHELL, Message, 108. Au sujet du rite de zikhron ou “mettre en souvenir”, voir MITCHELL, Message, 93-99. 10 Lorsque, dans votre pays, vous irez à la guerre contre l’ennemi qui vous combattra, vous sonnerez une t’ruah sur les trompettes, et vous serez présents au souvenir de l’Éternel, votre Dieu, et vous serez délivrés de vos ennemis. Dans vos jours de joie, dans vos fêtes, et à vos nouvelles lunes, vous sonnerez des trompettes, en offrant vos holocaustes et vos sacrifices d’actions de grâces, et elles vous rappelleront au souvenir de votre Dieu (Nb 10,9-10). Donc, sur les quinzes marches saintes, les prêtres sonnaient la t’ruah afin qu’Israël se souvienne et soit délivré. 5. Le culte de Sukkot Nous pouvons maintenant rendre compte de l’usage des Cantique des Montées dans le culte du temple de l’ancien Israël. C’est le quinzième de Tishri, le premier jour de la Fête de Sukkot, le jour de Simhat bet ha-shoevah ou « l’institution du puisage de l’eau ». Le chaud soleil du soir de la fin de septembre brille sur Jérusalem dans le ciel clair de Judée. Puis, durant le jour, le peuple célèbre le culte, en se régalant de la viande et du vin des sacrifices. Finalement, le soir vient et, comme les hirondelles nichent à l’abri du temple, les pèlerins rentrent et s' assemblent dans le Cour des Femmes, sur les marches en-dessous de la Porte de l’Est – la Porte Nicanor, la Porte appellée la Belle – faite de cuivre brillant de Corinthe. Le cour était illuminée avec éclat par quatre grandes lampes d’or en haut sur des piédestaux (Shab. 21a; Yoma 23a). Devant les gens assemblés, des Israélites importants participaient dans une procession aux flambeaux, en récitant des hymnes de louange. Tard dans la nuit, les Lévites se tiennent sur la première des quinze marches – les quinze marches représentant le nom de Yah, Dieu d’Israël – et commencent à chanter le premier des quinze Cantiques des Montées. Ils parlent comme un Israélite revenant de l’Exil au temple de l’Éternel, et ils chantent : « À l’Éternel, dans ma détresse, je crie et il m’exauce » (Ps 120). Puis ils montent sur la marche suivante, en représentant le pèlerinage sur les montagnes de Judah, et chantent le psaume suivant : « Je lève les yeux vers les montagnes. D’où me viendra le secours? Le secours me vient de l’Éternel, qui a fait les cieux et la terre » (Ps 121). Puis ils montent sur la marche suivante, en chantant « Nos pieds s’arrêtent dans tes portes, Jérusalem! Jérusalem …c’est là que montent les tribus, les tribus de Yah, selon la loi d’Israël » (Ps 122). Et ainsi de suite, il montent sur chaque marche avec un psaume; en chantant les louanges de Dieu, de son roi, de son peuple, et de sa ville, en le remerciant pour son aide et en implorant sa délivrance – le peuple participe aux réponses et aux refrains – jusqu’à ce qu’ils atteignent la marche la plus haute avant le point du jour apparaît dans l’orient. Et là, comme dit la Tosefta, ils saluent les prêtres: « Voici, bénissez l’Éternel, vous tous, serviteurs de l’Éternel, qui vous tenez dans la maison de l’Éternel pendant les nuits. Soulevez vos mains vers le sanctuaire et bénissez l’Éternel. Que l’Éternel te bénisse de Sion, Lui qui a fait les cieux et la terre » (Ps 134,3). En haut, dans le Cour d’Israël, ils rencontrèrent les prêtres, qui s’approchaient par la Porte d’Eau en portant un broc d’or plein de l’eau de Siloé, pendant que les gens entonnaient Isa. 12.3 : « Vous puiserez de l’eau avec joie aux sources du salut. » Dans les deux entonnoirs à l’ouest et à l’est de l’autel était versée, pendant des coups des trompettes, une libation double de l’eau et du vin, qui coulait en se mêlant au wadi Kidron. Puis de l’eau était portée en procession en bas par les quinze marches, accompagné par des prêtres tenant des trompettes en sonnant le t’ruah, pour implorer l’Éternel de se souvenir de son peuple. Par la Porte Nicanor elle était portée, et en dehors 11 du temple, ou elle a été versée à l’Est vers le soleil levant – une évocation des prophéties d’Ézéchiel 47 et de Zacharie 14 qui dit que des fleuves d’eau vive couleront un jour de la maison de l’Éternel sur toute la terre. A la Porte de l’Orient, les prêtres récitent, « Nos pères dans cette place tournent le dos à l’autel de Dieu et leurs visages vers l’orient, se prosternaient devant le soleil; mais nous, nous tournons à Dieu. »48 Puis au chant du coq, les prêtres tenant des trompettes à la Porte Nicanor sonnent le signal et les gens departent. Comme nous pouvons le constater, la littérature rabbinique permet de reconstruire une image de l’utilisation des psaumes dans le culte de l’ancien Israël. Les mêmes sources ont, bien sûr, beaucoup plus à dire sur l’usage des psaumes dans les rites des fêtes et de la guerre sainte. Cependant, pour les Pères et pour les chrétiens en général, l’usage juif des psaumes est totalement inconnu. En fait, même au siècle dernier, quand Gunkel et l’école d’Uppsala essayèrent de découvrir le Sitz im Leben des psaumes, leur reconstitution était passablement erronée, parce qu’ils connaissaient trop peu ce que disait la littérature rabbinique à ce sujet. III. LES PSAUMES DE DEMAIN OU L’INTERPRETATION ESCHATOLOGIQUE. LES INTERPRETATIONS DIFFERENTES DES RABBINS ET DES PERES En parlant des « psaumes de demain », j’envisage les psaumes comme littérature prophétique. Selon le Talmud: « Tous les prophètes prophétisèrent uniquement concernant les jours du Messie » (Ber. 34b; Sanh. 99a). Autrement dit, dans la tradition rabbinique, le message central de la Bible est le Messie et le temps de la fin. Il n’est donc pas étonnant que les rabbins interprètent les psaumes comme étant des prophéties des derniers jours. En cette matière, ils partagent la même hermeneutique que les Pères, qui interprètent aussi les psaumes comme parlant du Messie, mais ils en arrivent à des conclusions assez différentes. Mon exposé présente des exemples rabbiniques d’interprétation eschatologique sur trois groupes de psaumes: d’abord, les psaumes qui s’appliquent au Roi Messie de la maison de David ; ensuite, les psaumes qui s’appliquent aux autres événements du temps de la fin ; troisièmement, les psaumes qui s’appliquent aux souffrances du Messie. 1. Le Roi Messie Mon premier groupe de textes considère les psaumes comme étant des prédictions sur le Roi Messie de la maison de David, sur sa conquête des nations et sur son trône à Jérusalem. Voici un passage du Talmud Bavli, qui cite le Ps 2 comme un dialogue entre Dieu et le Messie : Nos rabbins enseignèrent: Le Saint Éternel, béni soit-il, dira au Messie ben David (Qu’il se révèle dans nos jours sans tarder!), « Demande-moi n’importe quoi et je te le donnerai, » comme il est dit, Je publierai le décret; [L’Éternel m’a dit: Tu es mon fils!] Je t’ai engendré aujourd’hui. Demande-moi et je te donnerai les nations pour héritage (Ps 2)49. 48 49 Cf. Ezék. 8.15-16; m.Suk. 5.1-4; Tosef. Suk. 4. Suk. 52a. 12 Le midrash sur les psaumes interprète le même psaume de façon similaire : Dans le temps à venir, Gog et Magog se lèveront contre l’Éternel et contre son Messie, seulement pour faire face à la défaite. David, en prévoyant ceci, dit: Pourquoi ce tumulte parmi les nations, [ces vaines pensées parmi les peuples? Les rois de la terre se soulèvent et les princes se liguent contre l’Éternel et contre son Messie]50. Dans la période médiévale, Kimhi applique ce psaume au Messie. Ibn Ezra en fait de même, avec son ambivalence typique, en disant : Si cela se rapporte au Messie, cela se rapporte à Gog et Magog; si cela concerne David, cela se réfère aux nations qui entourent Jérusalem, qui ont fait la guerre contre lui, comme les Araméens, les Édomites, les Philistins et Amalek51. Concernant un autre psaume royal, le 45, le Targum traduit le v.3 : Ta beauté, Roi Messie, surpasse celle des fils des hommes. Mille ans plus tard, Kimhi déclare: Ce psaume était dit à propos du Roi le Messie. Il est intitulé Un chant d’amour [v.1], c’est-à-dire, l’amour de l’Éternel pour son Messie. Ibn Ezra dit: « Ce psaume est dit à propos de David ou à propos du Messie son fils, que son nom dure ». Encore plus tard, au 18e siècle, David Altschuler affirme: « Ce psaume parle du Roi Messie ». Tournons-nous maintenant vers le Ps 72, traduit ainsi par le Targum : « Dieu, donne au Roi Messie les jugements de ta justice ». Le traité talmudique Sanhedrin applique le psaume au renom éternel du Messie : Le Messie – quel est son nom? L’école de R. Yannai dit: Son nom est Yinnon, car il est écrit, Son nom subsistera toujours, avant le soleil, Yinnon [est] son nom (Ps 72:17).52 Le Ps 72 s’applique aussi au règne du Messie ben David dans le midrash ‘Asereth Melakhim, qui décrit les dix rois qui régneront sur toute la terre53 : Le neuvième roi. Celui-ci est le Messie ben David, qui règnera d’une extrémité de la terre à l’autre, comme il est dit : Et il dominera d’une mer à l‘autre, et du Fleuve aux extrémités de la terre (Ps 72,8). Le midrash sur les psaumes dit, Fin des prières de David fils de Jessé (Ps 72,70). Et les prières qui restent, ne sont-elles pas aussi des prières de David, fils de Jessé? Cependant, Kalu devrait être lu kol ’ellu. Et donc le verset dit que toutes celles-ci [kol ’ellu] étaient les prières que David dit concernant son fils Salomon et le Roi Messie. 50 Midr. Pss. 2.2. Tiré du commentaire fragmentaire d’Ibn Ezra sur le premier livre des psaumes. Le texte se trouve dans U. SIMON, Four Approaches to the Book of Psalms: From Saadiah Gaon to Abraham Ibn Ezra, Albany, NY, State University of New York Press, 1991, p. 324-325. 51 52 53 Sanh. 98b. Le texte se trouve dans MITCHELL, Message, p. 320-322 (Angl.); p. 343-344 (Héb.). 13 Dans la période médiévale, Ibn Ezra fait cette remarque sur ce psaume : « Une prophétie de David ou d’un des chanteurs [du temple] qui concerne Salomon ou Messie ». Et Kimhi déclare: …quand tout sera accompli, qu’Israël partira de l’exil et retournera au pays, et que le Roi Messie régnera sur eux, rien ne leur manquera, ni l’expiation, ni la délivrance, ni la prospérité, car toutes choses seront à eux. Et puis, Les prières de David, fils de Jessé, sont accomplies (Ps 72,20). Finalement, on peut examiner le Ps 110. Voici le midrash Aleph Beth, qui date de la première moitié du premier millénaire après J.-C. Le Messie est nommé Éphraïm, un sujet que nous discuterons plus tard. Dieu dit au Messie : « Ephraïm, mon premier-né, viens, assieds-toi à ma droite, jusqu’au moment où j’écraserai le pouvoir des armées de Gog et Magog, tes ennemis, sous ton marchepied ». Comme il est dit, Parole de l’Éternel à mon Seigneur, Assieds-toi à ma droite, etc. (Ps 110,1)54. Voici un passage d’un autre midrash de la même période, qui s’appelle Les Signes du Messie : Armilus le méchant [le roi de Rome] entendra qu’un roi s’est présenté pour Israël et il dira : « Combien de temps encore cette petite nation méprisable agira-t-elle comme ça? ». Puis, il assemblera toutes les nations du monde et se mettra en guerre avec le Messie de l’Éternel. Et puis, le Saint Éternel, béni soit-il, dit simplement au Messie ben David : Assieds-toi à ma droite [jusqu’à ce que je fasse de tes ennemis ton marchepied]… Et le Saint Éternel, béni soit-il, fait descendre des cieux du feu et du soufre… et puis Armilus le méchant mourra, lui et toute son armée55. Des siècles plus tard, le midrash sur les psaumes fait le commentaire suivant: R. Judah dit en nom de R. Hama: Dans l’avenir, le Saint Éternel, béni soit-il, assiéra le Messie à sa droite, comme il est dit : Parole de l’Éternel à mon Seigneur, Assieds-toi à ma droite (Ps 110,1). Finalement, à la période des croisades, la fin du midrash intitulée Le Prière de Rav Shimon ben Yohai, dit ceci : Le Saint Éternel, béni soit-il, se battra pour Israël. Il dira au Messie : Assieds-toi à ma droite, etc. (Ps 110,1), et le Messie dira à Israël : « Assemblez-vous, restez et voyez la délivrance de l’Éternel » (Ex 13,14). Puis, le Saint, béni soit-il, paraîtra et il combattra ces nations, comme il est dit : L’Éternel paraîtra et il combattra ces nations (Zech. 14:3).56 Ces exemples sont tirés des psaumes royaux, mais d’autres psaumes sont aussi interprétés de la même manière eschatologique57. Ainsi l’interprétation messianique de Kimhi sur la place 54 SAWYER, Midrash Aleph Beth (coll. University of South Florida Studies in the History of Judaism, 39), Atlanta, Scholars Press, 1993, p. 212. 55 Otot 8.4-6. Le texte se trouve dans MITCHELL, Message, p. 313 (Angl.), p. 339 (Héb.). Pour le texte hébreu, voir A. JELLINEK, Bet ha-Midrash, 6 vols. en 2, Leipzig, Vollrath, 1853-77 (reprod. anastatique, Jérusalem, Wahrmann, 1967), t. IV, p. 117-126. On trouve la traduction anglaise par J. Reeves sur http://www.uncc.edu/jcreeves/ prayersby.htm. 57 Voir, par exemple, le Talmud : Ber. 7b (Ps 2 du Gog); Ber. 10a (Ps 2 du Messie); Pes. 118b (Ps 68 du 56 Messie); Meg. 18a (Ps 50,23 du Messie); Arak. 13b (Ps 12 et 92 du Messie); Sanh. 97a (Ps 89,52 du Messie); 99a (Ps 72,5 du Messie); le Midrash des Psaumes: 2.3,4,9,10; 16.4; 21.2,4; 60.3; 72.3-6; 87.6; et le Midrash 14 du Ps 53, déjà citée. Beaucoup d’autres exemples pourraient être mentionnés, mais ceux-ci suffisent largement pour montrer que les rabbins interprètent souvent les psaumes comme signifiant l’arrivée du Roi Messie. 2. Les événements du temps de la fin Un deuxième groupe de textes relie les psaumes aux événements qui se dérouleront aux temps messianiques. Ce sujet est lié à la venue et à la conquête du Messie, mais il est suffisament étrange – du moins pour les exégètes chrétiens – pour mériter d’être traité en luimême. Dans le temps de la fin, Israël sera sauvé. Ce jour-là, dit le traité talmudique Pesahim, ils réciteront les psaumes du Hallel (Ps 113-118) : Les prophètes entre eux décrétèrent que les Israëlites doivent le réciter [le Hallel] à chaque époque et à chaque peine – Que ceci ne vienne pas sur eux ! – et quand ils seront sauvés, ils le réciteront pour célébrer leur délivrance (Pes. 117a)58. Quand ils seront sauvés, les exilés d’Israël rentreront, puis ils chanteront les Cantiques des Montées, comme le déclare Kimhi : Il est possible d’interpréter le sens des Montées comme étant les degrés de l' Exil, c’est-à-dire les degrés par lesquels Israël montera dans le temps à venir des pays de l’Exil au pays d’Israël. Le jour de jugement, les justes seront soulevés au-dessus de la terre afin qu' ils ne soient pas atteints. Sur ce sujet, le traité Sanhedrin cite le Ps 46 : Et si tu demandes, au cours de ces années pendant lesquelles le Tout-puissant renouvellera son monde… Que feront les justes? L’Éternel leur donnera des ailes comme des aigles, et ils voleront au-dessus de l’eau, comme il est écrit : C’est pourquoi nous sommes sans crainte quand la terre est bouleversée, et que les montagnes chancellent au cœur des mers (Ps 46,3)59. Le midrash sur le Ps 46 élargit ce thème: Les fils de Koré dirent aux justes: « Ne craignez rien! Nous avons vu tous les miracles qu’il fit pour nous », comme il est dit : La terre ouvrit sa bouche, et les engloutit, eux et leurs maisons (Nb 16,32). « Et où étions-nous à cette heure-là? – En haut en l' air », comme il est dit, Les fils de Koré ne moururent pas (Nb 26,11)… Donc, les fils de Koré dirent: « Vous, justes, ne craignez pas la terreur du jour de jugement, car vous ne serez pas pris avec les méchants, comme nous ne fûmes pas pris avec eux »60. Dans les derniers jours, Gog et Magog monteront trois fois contre Jérusalem, selon le midrash sur le Ps 118 : Toutes les nations m’encerclaient; au nom de l’Éternel, je les taille en pièces (Ps 118,10). Gog et Magog viendront trois fois contre Israël et monteront trois fois contre Jérusalem, tout comme Sennachérib monta trois fois contre le pays d’Israël, et comme Nabuchodonosor monta trois fois contre Jérusalem (Midr. Pss 118,12). Rabbah: Eccl. R. 1.9.1 (Ps 72), Gen. R. 97 (Ps 89); Song. R. 2.13.4 (Ps 89). Voir aussi Pesikta de Rav Kahana 5.10 (Ps 89). 58 Pour l’association du Ps 118 avec le Hallel du temps du Messie, voir aussi Pesikta de Rav Kahana 22.2, 27.5. 59 60 Sanh. 92b. Midr. Pss 46.3; cf. 46.2. 15 Le midrash sur les psaumes voit dans le Ps 87 les rois de la terre venir rendre hommage au Messie : Je proclame l’Égypte et Babylone parmi ceux qui me connaissent (Ps 87,4). R. Judah bar Simon apprit: Les nations de la terre porteront des cadeaux au Roi Messie. Kimhi voit la même chose dans le Ps 47. Dans le Ps. 67 il voit la fertilité de la terre dans la pluie des derniers jours. En ce temps, dit le midrash ‘Asereth Melakhim en citant le Ps 80, Israël vivra en paix pour mille années et se régalera de la chair d’animaux et d’oiseaux fabuleux. : Et Israël habitera en paix pour mille années, et mangera Behemoth, Leviathan et Ziz des champs (Ps 80,13)61. Ces exemples montrent qu’Israël relie les psaumes non seulement au Messie, mais aussi à une séquence entière d’événements qui anticiperont le temps de la fin, y compris à la destruction militaire des agresseurs d’Israël, à l’exaltation de Jérusalem, au bonheur et à la réjouissance d’Israël. 3. Le Messie souffrant Finalement, j’aimerais m' attarder sur un groupe de textes qui relient les psaumes aux souffrances du Messie. Car la conviction que le Messie doit souffrir se trouve dans la littérature rabbinique de toutes les périodes et de tous les genres. En particulier, les rabbins attendaient un personnage portant le nom de Messie ben Joseph – ou parfois Messie ben Ephraim – qui était censé précéder Messie ben David et souffrir pour expier les péchés d’Israël.62 Le midrash ‘Asereth Melakhim lit dans le Ps 2 : Et l’armée de Gog montera et détruira Jérusalem et tuera Messiah ben Joseph. Il est celui au sujet duquel il est écrit: Les rois de la terre se soulèvent [et les princes se liguent contre l’Éternel et contre son Messie]63. Ce personnage apparaît encore, comme Messiah ben Ephraïm, dans le Ps 22 dans le midrash Pesikta Rabbati. À propos de ce temps, David se lamenta et dit : « Ma force se dessèche comme l’argile » etc. (Ps 22,16[15]). En ce temps-là, le Saint Éternel, béni soit-il, dit : « Ephraïm, mon juste Messie, tu pris ceci sur toi il y a longtemps, depuis les six jours de la création »… Le Saint Éternel, béni soit-il, fit un accord avec lui. Il dit: « Ceux dont les péchés se sont accumulés chez toi t’amèneront dans un joug de fer et te feront comme à ce veau dont les yeux sont affaiblis par la douleur. Ils forceront ton esprit dans un joug et, à cause de leurs péchés, ta langue s’attache à ta mâchoire (Ps 22,15[16]). Est-ce que tu es prêt pour celà? »…Il répondit dans sa présence: « Seigneur de l’Univers, avec joie d’esprit et réjouissance du cœur, je le prends sur moi, à condition que personne ne périsse en Israël » (Pes. R. 36)64. 61 62 Asereth Melakhim 4.21. Voir le texte dans MITCHELL, Message, p. 322 (Angl.), p. 343-344 (Héb.). Pour plus d’information sur Messie ben Joseph et la date de cette idée, voir MITCHELL, « Rabbi Dosa and the Rabbis Differ : Messiah ben Joseph in the Babylonian Talmud » dans RRJ VIII (2005). 63 Asereth Melakhim 4.14. Voir le texte dans MITCHELL, Message, p. 321 (Angl.), p. 343 (Héb.). 64 Piska 36 (ed. Friedmann, 161b.8; 162a.7). Pour les textes des principales éditions hébraïques, voir R. ULMER, Pesiqta Rabbati: A Synoptic Edition (coll. South Florida Studies in the History of Judaism, 155), 16 Le midrash sur psaumes le reconnaît dans le Ps 60 : Dans le temps à venir, je te délivrerai par le Messie ben Ephraïm et par le Messie ben David de la tribu de Judah. Ephraïm est le rempart de ma tête (Ps 60,9[7]). C’est-à-dire que le Messie ben Ephraïm sera le premier pour prendre sur lui le joug du royaume. Mais Judah est mon sceptre (Ps 60,9[7]). C’est-à-dire que le Messie ben David [règnera enfin] (Midr. Pss 60,3). Et encore dans le Ps 87 : Et de Sion il est dit: Cet homme-ci et cet homme-là y sont nés (Ps 87,5). Cet homme-ci et cet homme-là visent les Messies de l’Éternel, le Messie ben David et le Messie ben Ephraïm. Par y sont nés, il veut dire que les messies seront enlevés devant les nations, comme il est dit : Avant que les montagnes soient nées (Ps 90,2) (Midr. Pss 87,6). Passons à présent au Ps 89. L’extrait suivant du Pesikta Rabbati l’interprète comme étant une allusion au Messie ben Ephraïm : Celui-ci est le Messie; et son nom est Ephraïm, mon juste Messie. Il se soulèvera et soulevera sa génération, il éclairera les yeux d’Israël, sauvera son peuple, et aucune nation ni langue ne lui résistera, comme il est dit : L’ennemi ne le surprendra pas, et le méchant ne l’opprimera point (Ps 89,22[23]). Et tous ses ennemis et ses agresseurs fuiront, comme il est dit : J’écraserai devant lui ses adversaires (Ps 89,23[24]). Et aussi : les fleuves cesseront (cf. Ps 89,25[26]) (Pes. R. 36). Et finalement, d’après le midrash Pirqê de Rabbi Eliezer, la souffrance et le triomphe du Messie ben Joseph sont évoqués dans le Ps 92 : Tu exaltas ma corne comme celle d’un buffle (Ps 92,11). Comme les cornes du buffle sont les plus hautes de toutes les bêtes et animaux, et qu’il blesse à sa droite et à sa gauche, de même Menahem ben Ammiel ben Joseph: ses cornes sont les plus hautes de tous les rois, et il blessera à l’avenir vers les quatres coins des cieux, et Moïse dit de lui dans ce verset : De son taureau premier-né, il a la majesté; ses cornes sont les cornes du buffle; avec elles, il blessera tous les peuples, jusqu’aux extrémités de la terre (Dt 33,17). Tous les rois de la terre se soulèveront contre lui pour le tuer, comme il est dit : Les rois de la terre se soulèvent [et les princes se liguent contre l’Éternel et contre son Messie] (Ps 2,2) (PRE 22a.ii). Il est donc clair que, pour les rabbins, les psaumes évoquent souvent les souffrances du Messie. Ils trouvent le Messie ben Joseph non seulement partout dans la collection, mais ils interprètent comme le concernant les psaumes dans lesquels les exegètes chrétiens ont classiquement lu les souffrances du Messie, à savoir les Ps 22 et 89. 4. Réflexion finale Nous avons passé en revue diverses interprétations eschatologiques rabbiniques sur les psaumes. Comme les Pères, les rabbins croient dans le Messie. Ils croient que les psaumes prédisent sa venue. Mais finalement ils considèrent le Messie d’une tout autre manière. Les Pères et les rabbins sont comme deux hommes qui regardent un éléphant selon des angles différents. Les uns voient le front de l’animal qui s’approche; les autres le voient de derrière, qui s' éloigne. Leurs points de vue forment une série fascinante de contrastes. Atlanta, Georgia, Scholars Press, 1997. On en trouve une traduction anglaise dans W.G. BRAUDE (tr.), Pesikta Rabbati. 2 vol. (coll. Yale Judaica Series, 18), New Haven, Yale University Press, 1968. 17 Les Pères interprètent les psaumes comme parlant du Messie qui est déjà venu : de son incarnation, de ses activités d' enseignement et de guérison, de ses ennemis, de sa mort et de sa résurrection. Mais ils appliquent rarement les psaumes à la venue future du Messie. Ils en donnent une interprétation dans la ligne de l’« eschatologie déjà réalisée ». Les rabbins, pour leur part, parce qu’ils refusent Jésus de Nazareth, cherchent un autre Messie, qui est encore à venir. Ils appliquent donc les psaumes aux actions futures de ce Messie, qui sauvera Israël de l’oppression de Rome et des chrétiens et qui établira son trône à Jérusalem sur tous les royaumes de la terre. Pour les rabbins, tous les événements messianiques sont à venir. Ils prônent une eschatologie totalement inaccomplie. Les Pères soulignent la dimension de Messie souffrant. Même quand ils parlent de ses triomphes, ils n’attirent pas l’attention sur un royaume terrestre à venir, mais soulignent plutôt sa résurrection et son règne actuel dans les cieux. Les rabbins soulignent la dominante de Messie triomphal. Les souffrances du Messie, s’ils les mentionnent, sont minimisées. En fait, certains rabbins, comme Rashi et Abravanel, les nient catégoriquement. Parlant du royaume du Messie, les Pères ne font aucune allusion à Jérusalem ou à l’exaltation d’Israël. Pourquoi le feraient-ils? À Jérusalem, les Juifs ont tué le Messie et furent donc bannis de la présence et des desseins de Dieu. Ils se sont rebellés contre Rome et le jugement divin a fait d' eux un peuple assujeti, vaincu, et apatride. Les rabbins, pour leur part, attendent un Messie qui règnera sur Jérusalem et justifiera le peuple Israël. Fiers du sang pur d’Abraham qui coule en eux, héritiers de la maison royale d’Israël, ils ont du mépris pour l’église non-israélite. Ils l’identifient avec Rome, païenne et idolâtre, qui a détruit leur temple et ravi leur peuple. Ils considèrent les chrétiens comme une a foule de sang impur, des suivants d’un sorcier, un illégitime galiléen. Le tribunal l' condamné à mort ; ils vénérèrent ce tribunal en l’appelant la « Grand Synagogue ». Les rabbins voient donc un certain type de messie dans les psaumes, alors que les Pères en voient un tout autre. En fait, leurs deux manières d’interpréter les psaumes reflètent l’histoire des relations entre Israël et l’Église. La rencontre des rabbins et des Pères a été difficile, soit par le fait de la persécution des apôtres par Israël, soit par les sermons du Chrysostome, les croisades et l’Inquisition. En conséquence, pendant 2000 ans, Israël et l’Église se sont abrités derrière les murs du mépris mutuel, chacun répétant son propre point de vue, sans faire référence à l’autre. CONCLUSION Les trois parties de mon étude, consacrée à l’enseignement rabbinique sur les psaumes, ont abordé la composition de ceux-ci, leur usage ancien dans le culte du temple et leur interprétation messianique. Ces trois approches sont une invitation à fréquenter la littérature rabbinique ; celle-ci peut enrichir l’exégèse des biblistes chrétiens. Le franciscain Nicolas de Lyre (1270-1340), professeur de théologie à la Sorbonne, a consacré sa vie à l’exégèse biblique et a puisé de grandes richesses dans la littérature rabbinique et a tiré ses principes des rabbins de son époque. Il voulut convaincre l’Église d’étudier la signification littérale de la Bible et de réviser le texte biblique à partir des codices hébraïques, à l’exception des passages christologiques. Ses ouvrages furent très estimés : ses Postillae furent le premier commentaire biblique imprimé. Mais l’Église a tardé 18 à suivre ses conseils. Deux cents ans plus tard, Martin Luther, moine et professeur de théologie à Wittenberg, adopta les principes de Nicolas de Lyre, avec les répercussions que l’on connaît sur l’unité de l’Église jusqu’à ce jour. Redisons-le : aujourd’hui, la littérature juive apparaît incontournable pour le travail exégétique. Du reste, la majorité des bibles utilisent le texte massorétique comme source principale et toutes les facultés de théologie enseignent l’hébreu biblique et les langues anciennes. Le grand public lui-même connaît l’existence des manuscrits de la Mer Morte découverts à Qumrân. Mais profite-t-on suffisamment des trésors que recèlent les écrits rabbiniques ? Leur contenu peut améliorer notre connaissance de la Bible, de Dieu et de ses desseins pour le monde. David C. MITCHELL Av. Maurice César 62 1970 Wezembeek-Oppem Belgium [email protected] 19