La fonction symbolique des pauses dans la parole de l`homme

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La fonction symbolique des pauses dans la parole de l`homme
La fonction symbolique des pauses dans la parole de
l’homme politique
Danielle DUEZ*
RESUME
Les variables temporelles (vitesses de parole et d’élocution; durée, fréquence et
distribution des pauses) sont analysées dans des discours et débats politiques produits
par des locuteurs différents, dans des trois discours politiques prononcés par un même
locuteur (F. Mitterrand) à différentes périodes de sa carrière. Une utilisation
spécifique du temps de pause et de la vitesse de parole sont relevés pour chacune des
situations au pouvoir. Plus l’homme politique est haut dans la hiérarchie sociale, plus
les pauses sont longues et fréquentes. Le silence paraît donc symboliser le pouvoir
politique.
ABSTRACT
Temporal variables (speech and articulation rates; duration, frequency and location of
pauses) were analysed in political speeches and debates produced by different
speakers, and in three political speeches given by a same speaker (F. Mitterrand) at
different periods of his career. A specific use of pause time and speech rate
characterized each power situation. The higher the place of the politician within the
social hierarchy, the longer and the more frequent the pauses. Silence seems to be a
power symbol
1.INTRODUCTION
La parole est une succession de temps d'activité et de temps de repos. Aux
premiers correspondent les séquences sonores, aux seconds, les silences. Les
silences, couramment appelés pauses, correspondent à une cessation de l'activité
verbale qui se traduit au niveau acoustique par une interruption du signal sonore.
Ces silences recouvrent une intense activité respiratoire et cognitive: le locuteur
marque des pauses pour respirer, pour planifier le contenu de son message, pour
structurer son énoncé, pour souligner ses idées.
Les pauses de respiration sont essentielles à la production de la parole qui est
essentiellement organisée en fonction du flux d'air expiré. De manière générale,
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les pauses de respiration coïncident avec les frontières syntaxiques (GoldmanEisler, 1968; Lieberman, 1967). La réalisation des pauses de respiration semble
aussi dépendre du poids de ces frontières et du débit (Grosjean et Collins,
1979).
Les pauses silencieuses d’hésitation, quant à elles, tendent à être distribuées à
l'intérieur de syntagmes ou associées à des hésitations sonores. Ces pauses sont
étroitement liées à l'encodage et ont un rôle important dans les activités de
planification de la parole (Goldman-Eisler, 1968). Elles dépendent du degré de
spontanéité du message (Goldman-Eisler, 1968; Grosjean et Deschamps, 1973;
Kowal, O'Connell et Sabin, 1975, et O'Connell et Kowal, 1972). de la rareté du
mot et du niveau d'abstraction du mot (Beattie et Butterworth, 1979). Elles
apportent des informations précieuses sur l'acquisition des structures temporelles
de la langue maternelle (O' Connell et Kowal, 1972 ; Kowal, O'Connell et Sabin,
1975) ou étrangère (Duez et Le Douaron, 1991).
Les pauses ont aussi pour fonction de structurer l’énoncé. Elles font partie du
contour intonatif au même titre que la fréquence fondamentale, l'intensité et la
durée syllabique et vocalique (Dell, 1984; Karcevski, 1931; Rossi, 1981). Leur
durée et leur fréquence sont étroitement liées à l'organisation syntaxique de
l'énoncé (Cooper et Paccia-Cooper, 1980; Duez, 1982; Grosjean, Grosjean et
Lane, 1979; Gee et Grosjean, 1983; Goldman-Eisler, 1968). A la hiérarchie des
constituants correspond la hiérarchie des durées des pauses et des syllabes
finales (Cooper et Paccia-Cooper, 1980; Selkirk, 1984).
La durée, la fréquence et la distribution et la fonction des pauses dépendent
aussi du style du message. Les pauses d’hésitation sont fréquentes dans les
messages spontanés. Dans les messages dits en public, pas ou peu d’hésitation,
mais des pauses grammaticales ou stylistiques fréquentes et longues (Voir pour
le français les travaux de Duez, 1982, 1991; Grosjean et Deschamps; Lucci,
1983). Distribuées aux frontières syntaxiques, ces pauses permettent d'atteindre à
une communication idéale (Goldman-Eisler (1968). Localisées à l'intérieur d'un
syntagme, elles sont inattendues et donnent au mot qu'elles précèdent son poids
sémantique maximum. Ces pauses sont aussi appelées pauses ‘rhétoriques’.
Au sein d’un même style de parole, on peut observer des différences dans la
durée et la fréquence des pauses. Ces différences peuvent être liées à la
personnalité du locuteur (Scherer, 1979a), et à son état psychologique (1979b).
Elles peuvent aussi refléter la place du locuteur dans la hiérarchie sociale et la
distance sociale et physique qui séparent les différents participants. Les pauses
permettent de simuler cette distance, elles ont alors une fonction symbolique.
L’objectif de cette étude est d’analyser la fonction symbolique des pauses
dans la parole d’hommes politiques. Les variables temporelles (vitesse de parole,
vitesse d’élocution, durée, fréquence et distribution des pauses) sont analysées
dans des styles de parole différents (discours et débats politiques) et chez des
locuteurs différents, et dans un même style et un même locuteur (François
Mitterrand) placé dans des situations au pouvoir différentes. Les discours et
débats politiques sont exemplaires dans la mesure où ils répondent à une
stratégie de conquête du pouvoir où les distances sociales sont fortement
marquées.
Présentation générale
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2. METHODE
2.1. Corpus
Le premier corpus consiste en extraits du débat radiotélévisé qui a opposé
Chirac et Jospin en 1995. Chirac, longtemps tenu à l’écart, est réapparu après un
retrait méditatif. Il est un présidentiable grave et digne. Jospin quant à lui est le
challenger d’une gauche vaincue et qui se prépare a renaître. Le débat qui
précède l’élection présidentielle est désormais un moment clé de la campagne
électorale. Les deux candidats s’affrontent dans un débat qui est soigneusement
orchestré par les journalistes qui sont les gardiens impartiaux du temps. Le tour
des prises de parole est réglé, et le temps de parole mesuré. Chaque locuteur
s’exprime spontanément sur des points marquants de la vie politique française. Il
a pour objectif d’utiliser son temps de parole de manière judicieuse et de
marquer son rôle.
Le second corpus est constitué de quatre discours prononcés par Alain
Krivine, François Mitterrand, Georges Pompidou, Jean Jacques ServanSchreiber, lors des campagnes électorales de 1973 et 1974. Ces discours
politiques sont des messages élaborés dont le contenu est soigneusement préparé
et connu, les pauses d’hésitation y sont donc très rares. L’objectif des discours
est de persuader et capter le maximum de voix. Les hommes politiques peuvent
être classés en deux grandes catégories : 1) majorité au pouvoir, (Pompidou, qui
est alors président de la République et Servan Schreiber) et 2) dans l’opposition
(Mitterrand et Krivine).
Le troisième corpus consiste en trois discours de François Mitterrand. La
comparaison de discours prononcés par un même locuteur permet d’éliminer la
variabilité interlocuteur et de centrer l’analyse sur la variabilité relevant de la
situation au pouvoir et de la relation entre les participants. Le discours de 1974
analysé dans le premier corpus sert de base à la comparaison avec deux discours
présidentiels prononcés en 1984 et 1988. Les discours de 1974 et 1988 sont un
événement de la campagne électorale, le discours de 1984 est différent dans la
mesure où il est un événement de la communication présidentielle. Cette
différence est plus apparente que réelle dans la mesure où le président de la
République doit mener une campagne incessante (Gerstlé, 1992). La situation au
pouvoir diffère en revanche d’un discours à l’autre. En 1974, Mitterrand est à la
fois prétendant et opposant. En 1984, il est Président de la République et au faîte
du pouvoir. Sa légitimité n’est pas remise en question, il s’agit de clarifier une
situation. En 1988, il est le Président sortant, candidat à une nouvelle investiture.
2.2. Analyse
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Une transcription phonétique est d’abord faite à partir d’une écoute des
enregistrements. Puis une segmentation du signal de parole est obtenue à partir
du tracé oscillographique, du sonagramme, de la courbe d’intensité et de
fréquence fondamentale.
Les différentes variables temporelles sont définies de la manière suivante:
-Pause silencieuse. Est considérée comme pause silencieuse toute interruption
du signal sonore supérieure (ou égale) à la durée moyenne des occlusives non
voisées intervocaliques à laquelle est ajoutée quatre fois l’écart type. Cette
procédure permet de distinguer les pauses silencieuses des occlusives non
voisées, elle prend également en compte la vitesse d’élocution de chacun des
styles de parole et de chacun des locuteurs.
-Pauses non silencieuses. Ces pauses sont définies selon le classement de
Maclay et Osgood (1959). On distingue les pauses remplies (euh, um...), les
faux-départs qui sont en fait des reprises, les syllabes allongées (qui ne
correspondent pas à l’allongement final de fin de mot ou de syntagme),et les
répétitions qui ne sont pas des répétitions sémantiques.
A la définition des pauses silencieuses on peut ajouter celle des suites sonores.
Une suite sonore est la séquence comprise entre deux pauses silencieuses. Elle
exclut les pauses remplies, les faux départs, les faux départs et les répétitions.
Le temps total de parole total est ensuite divisé en temps de pause total et
temps total d’élocution. Le temps de pause total est lui même subdivisé en temps
moyen d’une pause silencieuse et nombre de pauses silencieuses. Le temps total
d’élocution est divisé en temps moyen d’une suite sonore et nombre de suites
sonores. Le pourcentage temps total de pause/temps total de parole est calculé.
La vitesse de parole et la vitesse d’élocution sont obtenues en divisant le nombre
total de syllabes par le temps total de parole et le temps total d’élocution.. Les
pauses silencieuses sont ensuite analysées en fonction de leur distribution dans
l’énoncé: en fin d’énoncé, de proposition, de syntagme et à l’intérieur de
syntagme.
3. RESULTATS
3. 1. Analyse comparative d’extraits du débat Chirac/Jospin
Le pourcentage de temps de pause est relativement peu élevé chez les deux
candidats (en moyenne 14% chez Jospin et 20% chez Chirac) révélant une égale
et remarquable efficacité oratoire. Les hésitations sont rares, le temps de parole
est essentiellement consacré à la présentation du programme politique et social.
Les pauses sont cependant moins nombreuses et significativement plus brèves
chez Jospin que chez Chirac. Associées à de fréquents accents d'insistance, elles
peuvent traduire une nécessité (ou une impatience) plus grande de convaincre.
Certains thèmes amènent les candidats à marquer leur spécificité avec plus
d'âpreté et plus de force. Dans l’extrait consacré à la fracture sociale chacun des
candidats s’efforce de marquer son territoire et de mettre en évidence ce qui lui
Présentation générale
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est particulier. Le temps de pause relevé pour chacun des deux hommes
politiques reflète alors de manière tout à fait intéressante cette stratégie de
divergence. Dans l’extrait prononcé par Chirac, la vitesse globale de parole est
lente (3,55 syll/ sec). Cette variable est elle-même corrélée à une vitesse
d’élocution de 5,3 syll/sec et à un temps de pause élevé. Le pourcentage de
temps de pause de cette séquence est en effet de 30%, ce qui est de nettement
supérieur à la vitesse moyenne obtenue pour l'ensemble du débat (20%). Les
pauses y sont particulièrement longues puisqu' elles sont comprises entre 267 ms
et 2278 ms et que leur durée moyenne est de 923 ms. La phrase suivante est une
illustration de cette stratégie du silence.
" vraiment je dois /367 ms/ être celui qui a parlé avec le plus de français depuis le
plus d'années /2209ms/ partout /859 ms/ de toutes catégories /2278 ms/ ....
La stratégie de Jospin est en revanche fondée sur une utilisation optimale du
temps de parole. La vitesse globale de parole est rapide (soit 5, 16 syll/sec). La
rapidité de la vitesse de parole est corrélée à une vitesse d'élocution elle-même
très rapide (6,22 sec/sec), et à un temps de pause peu élevé. Le pourcentage de
temps de pause est de 13% (identique à son temps de pause moyen). Les pauses
sont brèves puisqu'elles vont de 147 ms à 635ms et que la durée moyenne
obtenue est de 350ms (soit environ le 1/3 de celle obtenue pour Chirac). Les
suites sonores sont longues, et la vitesse d'élocution accélérée. L'exemple suivant
en est illustration puisque la suite sonore présentée est d'une durée de 7627 ms et
que le nombre de syllabes par secondes y est de 6,55 syll/sec.
« Argument habile mais peu convaincant, parce que comme nous parlons des
problèmes institutionnels et des problèmes politiques je parle des problèmes
institutionnels et des problèmes politiques »
Dans les trois dernières minutes où le débat fait place à l'appel électoral, le ton
devient plus solennel. Le débit est ralenti et le temps de pause augmenté de
manière similaire chez les deux candidats (Chirac, 24%; Jospin: 19.5%). Mais là
encore Jacques Chirac maintient un temps de silence plus élevé.
3.2. Discours de Krivine, Mitterrand, Pompidou et Servan-Schreiber
Les résultats obtenus marquent l’existence des deux groupes constitués d’une
part, par Mitterrand et Krivine (opposition) et d’autre part, Servan-Schreiber et
Pompidou (majorité). Chez les premiers, le rapport temps de pause/temps de
parole est relativement peu élevé (Krivine :24.5%; Mitterrand: 29.1%), les
pauses sont brèves (la durée moyenne relevée est de 522 ms (Krivine) et 605 ms
(Mitterrand) et relativement peu fréquentes (toutes les 1590 ms chez Krivine et
toutes les 1453 ms chez Mitterrand) et la vitesse d’élocution rapide (Krivine: 5.5
syll:sec; Mitterrand: 5,4 /syll/sec). Chez les seconds, on observe la tendance
inverse, c’est à dire que le temps de pause est élevé (Pompidou: 53%; ServanSchreiber: 39.8%), les pauses sont longues (Pompidou: 1280 ms, Servan-
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Schreiber: 787 ms) et fréquentes (toutes les 1120 ms chez Pompidou, et toutes
les 1180 ms chez Servan-Schreiber) , la vitesse d’élocution est lente (Pompidou:
4.5 syll/sec; Servan-Schreiber: 5 syll/sec). Ces tendances sont d’ailleurs
particulièrement accusées chez Pompidou qui est alors Président de la
République. On relève par exemple une pause d’une durée de 2870 ms au sein
d’une phrase (exemple 1)
(1) décidé /1230 ms/ si vous m’en donnez la possibilité /2870 ms/ à répondre...
Les différences observées dans les deux groupes de locuteurs peuvent relever
d’une situation au pouvoir et d’une relation à l’auditeur différentes. Chez
Krivine et Mitterrand, il y a nécessité de persuader. Cet objectif implique une
exploitation maximale du temps qui se traduit par des pauses brèves et peu
fréquentes et une vitesse d’élocution accélérée. La fonction rhétorique est surtout
remplie par les accents emphatiques qui frappent les adjectifs et les infinitifs
d’action (Duez, 1978). Dans les discours de Servan-Schreiber et Pompidou, les
pauses silencieuses sont associées à des allongements souvent considérables.Ces
allongements, réalisés en frontières ou à l’intérieur de syntagmes, fonctionnent
comme des marques oratoires (Léon, 1971).
3. 3. Analyse comparative de trois discours prononcés par François Mitterrand
L’analyse comparative des trois discours de Mitterrand confirme le lien qui
existe entre l’organisation temporelle du message et la situation au pouvoir (Pour
une analyse plus approfondie, voir Duez, 1997). Dans les discours présidentiels
de 1984 et 1988, la vitesse d’élocution est significativement plus lente (4.7
syll/sec) que dans le discours d’opposant (1974: 5.3 syll/sec). Le temps de pause
(29.1%), la durée moyenne (605 ms) des pauses du discours de 1974 sont
significativement inférieurs au temps de pause (33.5%) et à la durée moyenne
des pauses (792 ms) du discours présidentiel de 1988. Les valeurs obtenues pour
le discours de 1988 sont à leur tour inférieures à celles du discours de 1984
(temps de pause : 39%; durée moyenne: 972ms). Ces différences sont
particulièrement marquées pour le pauses distribuées aux frontières d’énoncés
(1974: 827 ms; 1984: 2102 ms; 1988: 1521 ms) et de propositions (1974: 644
ms; 1984: 1112 ms; 1988: 907 ms). Les pauses distribuées à l’intérieur ou en
frontière de syntagme ont en revanche une durée très proche (1974: 637 ms,
1984: 663 ms; 1988: 534 ms).
L’ensemble de ces résultats suggèrent un effet de la situation au pouvoir sur
les variables temporelles. Dans la situation où il est opposant, Mitterrand veut
accumuler les arguments. Il accélère sa vitesse d’élocution et marque des pauses
brèves car il s’agit de remplir au maximum le temps imparti. En 1984 et 1988,
Mitterrand est Président de la République, il garde une vitesse d’élocution lente
(proche d’ailleurs de celle de Pompidou) et marque fréquemment des pauses
longues qui permettent de garder un équilibre entre le dit et le non-dit. Dans le
discours de 1988 qui peut être considéré comme une discours « intermédiaire »
puisque Mitterrand est à la fois Président et candidat, le temps de pause est
Présentation générale
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intermédiaire entre celui de 74 et 84. En tant que Président sortant, il peut se
contenter de rappeler son bilan; en tant que candidat, il se doit de persuader
l’électorat et exploiter le temps pour développer son argumentation. Mais il
essaie de réduire la distance entre les deux rôles et se conduit en présidentcandidat (Gerstlé, 1992).
4. CONCLUSIONS
L’organisation temporelle du message est influencée par l’objectif et la
situation au pouvoir du locuteur. Il y a nécessité pour celui qui veut conquérir le
pouvoir de remplir le temps pour exprimer ses idées, ses arguments. Les pauses,
corrélées à une vitesse d’élocution rapide, sont rares et brèves. Pour celui qui est
au pouvoir, il s’agit simplement de rappeler ou d’expliquer, de pacifier et de
garder un certain mystère. Il ménage alors des pauses longues et fréquentes,
corrélées à une vitesse d’élocution lente. Les discours présidentiels de
Mitterrand et Pompidou sont des exemples convaincants de la parole du
pouvoir.
L’organisation temporelle de la parole parait être un marqueur de pouvoir
dans la parole politique. D’une manière générale, on peut considérer qu’elle
reflète la distance sociale qui existe entre le politicien et ses auditeurs. La
relation qui existe entre la distance sociale, la distance physique et la voix a été
analysée par Hall (1959, 1966) qui divisa la distance interpersonnelle en quatre
catégories (intime, informelle, sociale, et publique) et relia chacune d’entre elles
à une distance physique spécifique et à des caractéristiques vocales. La distance
publique qui est celle qui nous intéresse ici est caractérisée par le style glacé (tel
qu’il est défini par Joos, 1962), c’est à dire par le style de ceux qui restent
étrangers l’un à l’autre Une hyperarticulation, une voix haute, une vitesse de
parole lente en sont les traits les plus marquants. La structure temporelle (pauses
longues et vitesse d’articulation lente) qui caractérise le style des discours
dominants (discours présidentiels, discours des sortants..) est une illustration
parfaite du style glacé. Elle peut être utilisée pour symboliser la distance extrême
qui sépare le Président de ses auditeurs.
Ces résultats concernent la parole de l’homme politique placé dans des
situations extrêmes. Caractérisent-ils pour autant tous les styles de parole? Cette
question est fondamentale car elle pose le problème de la représentativité des
résultats et souligne la nécessité d’étendre l’analyse de la fonction symbolique
des pauses à d’autres locuteurs, d’autres styles de parole et d’autres cultures. Le
silence a une valeur hautement symbolique dans la vie sociale. Il est certains
lieux (sacrés, historiques..) et certaines situations (commémorations ..) où le
silence est de règle. Il est alors la marque du respect de l’autre, de l’émotion ou
de la foi. Dans la parole en français, le temps de pause n’est pas codé comme
marqueur de la hiérarchie sociale. Sa valeur est communicative, il signale et
symbolise une rang dans la hiérarchie sociale. La validation de toutes ses
hypothèses appelle tout un ensemble d’analyses perceptives sur le rôle du silence
dans l’interprétation des situations, et sur le pouvoir du silence dans
l’appréciation des distances sociales.
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Laurent Danon-
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