Le syndrome du survivant - CFC

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Le syndrome du survivant - CFC
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Le syndrome
du survivant
On se préoccupe principalement des personnes licenciées mais
rarement des personnes qui restent
dans l’entreprise lors
d’un licenciement.
Celles-ci sont aussi
confrontées à divers
symptômes qui les affectent: c’est ce que
l’on nomme le syndrome du survivant.
Oliver Gross, psychologue FSP, nous dit
tout sur ce syndrome.
Qu’appelle-t-on
«syndrome du survivant» en entreprise ?
Ce «syndrome» est
un ensemble de
symptômes qui peuvent affecter les employés restés en poste après une vague
de licenciements. Ce
phénomène est désigné par le terme anglais Lay off Survivor Sickness (David
Noer, 1993).
Ces symptômes incluent des sentiments négatifs tels
que la colère, la tristesse, la peur, la méfiance et la culpabilité, ainsi qu’une
diminution de la propension à prendre
des risques, de la spontanéité et de
l’engagement dans le travail.
Quelles en sont les causes ?
Chaque licenciement de collègues est
un choc pour les personnes restées en
poste, les «survivants». Ce choc est
d’autant plus grand si le contrat psychologique de l’individu avec l’entre-
Bibliographie
Caplan, G. & Teese, M. (1997). Survivors: How to keep your
best people on board after downsizing. Palo Alto: DavieBlack Publishing.
Egle, U.T. & Hoffmann, S.O. (1996). Risikofaktoren und protektive Faktoren für die Neurosenentstehung. Die Bedeutung
biographischer Faktoren für die Entstehung psychischer und
psychosomatischer Krankheiten. Psychotherapeut, 41, (1),
13-16.
Holmes, T.H. & Rahe, R.H. (1970). The social readjustment
rating scale: A cross-cultural study of Western Europeans and
Americans. Journal of Psychosomatic Research, 14,
(391-400).
Lazarus, R.S. (1999). Stress and Emotion: A new Synthesis.
London: Free Association Books.
Noer, D. (1993). Healing The Wounds. Overcoming the trauma of layoffs and revitalizing downsized organizations. San
Francisco: Jossey-Bass.
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Les «laissés pour
compte»
d’un licenciement
prise est fort. Lorsque les employés
sont fiers de leur entreprise et qu’ils y
sont très attachés, le risque de survenue
d’un syndrome du survivant est très
élevé. En effet, plus la confiance est
grande avant la vague de licenciements,
plus les survivants se sentent blessés.
Et plus ils se sentent blessés, plus ils
sont susceptibles de développer les
symptômes du syndrome du survivant.
Pouvez-vous m’en dire plus sur le
contrat psychologique ?
Le contrat psychologique est un contrat
moral et relationnel entre le collaborateur et son employeur. La nature de ce
contrat régit en principe leurs relations.
Dans certaines entreprises, ce contrat
mène les collaborateurs dans une codépendance psychique malsaine: les employés acceptent que l’entreprise
contrôle et détermine leur estime de soi
tout au long de leur carrière.
Ainsi un collaborateur peut penser que,
tant qu’il fait bien son travail et qu’il se
fond dans la culture de son entreprise,
il est sûr de conserver son emploi, ce
qui est aujourd'hui totalement improbable.
Quels sont les effets d’un licenciement
sur ce contrat psychologique ?
Dans une situation de licenciement, il y
une rupture du contrat psychologique
instauré. Les collaborateurs survivants
se sentent trahis par l’entreprise et perdent confiance. Très concrètement, cela
signifie qu’ils ne sont plus prêts à s’engager pour l’entreprise.
Comment l’individu touché vit-il cela ?
Ces situations sont vécues comme des
situations très stressantes. En plus d’un
choc provoqué par un licenciement ou
une réorganisation, il y a une accumulation ou une succession de petits stresseurs qui peut se produire. On parle
alors de traumatismes cumulatifs, qui
peuvent engendrer des réactions posttraumatiques telles que des symptômes
d’évitement (personnes ou lieux, sentiment d’apathie, perte d’intérêt) ou des
symptômes d’hyperexcitation (difficultés de concentration, irritabilité,
troubles du sommeil, émotivité).
Si l’on reprend la liste des événements
critiques dressée par Holmes (1970), on
peut par exemple citer comme stresseurs un changement majeur dans la vie
professionnelle (fusion, réorganisation,
faillite), un changement d’emploi, une
modification majeure de la situation financière, des responsabilités professionnelles, des horaires ou des conditions de travail.
En fonction de l’intensité, de la gravité
et de la durée du stresseur, ainsi que
des aptitudes d’adaptation au stress des
personnes concernées – aussi appelées
«stratégies de coping» –, ces stresseurs
vont provoquer des effets post-traumatiques.
Est-ce pareil pour chaque «survivant» ?
Non, comme je l’ai déjà mentionné,
chaque individu réagit de manière différente et en fonction de ses ressources.
Egle (1996) parle de facteurs de protection liés au vécu personnel.
En réalité, chaque individu s’adapte à
la situation selon des stratégies de
coping diverses. A ce sujet, le modèle
de Lazarus (1999) est très parlant. Les
personnes concernées par le changement vont évaluer dans un premier
temps l’impact de l’événement sur leur
valeur, leurs objectifs et leurs intentions.
Deuxièmement, elles évaluent les ressources personnelles dont elles disposent pour se défendre. Finalement, elles
optent pour une stratégie qui va d’une
attitude pro-active (confrontation et résolution de problèmes) jusqu’à la passivité totale (attente et évitement).
Quelles sont les stratégies de coping
observables chez les «survivants» en
entreprise ?
Certaines personnes restées en poste
quittent volontairement l’entreprise, de
peur d’être les «prochaines sur la liste».
D’autres restent, heureuses d’avoir
conservé leur poste, mais paradoxalement leur motivation est en chute libre.
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Photo: Vadim Frosio
En quoi le syndrome du survivant est-il
problématique pour l’entreprise ?
Il nuit sensiblement à l’ambiance qui
règne dans l’entreprise et entraîne une
baisse durable de la productivité. En
effet, ce n’est pas une crise de démotivation temporaire, qui passera spontanément. Les «survivants» sont souvent
les laissés pour compte du processus de
licenciement. Or, il est indispensable de
les motiver pour qu’ils s’investissent
pleinement dans leur travail et qu’ils
permettent à l’entreprise d’aller (à nouveau) de l’avant.
Que peut faire une entreprise pour remotiver les personnes restantes ?
Afin de restaurer la confiance et l’engagement des collaborateurs restants,
les entreprises peuvent agir tout au long
du processus de changement selon les
différents axes suivants:
● appliquer un plan de licenciements
loyal,
● faire de la communication une priorité absolue,
● inciter ceux qui conservent leur poste
à exprimer leurs sentiments,
● présenter une vision pour l’avenir,
● investir dans les employés qui restent
dans l’entreprise.
Les points relevés ci-dessus font l’objet
d’une attention particulière à la Poste
Suisse. Mais il est par ailleurs crucial
que le supérieur hiérarchique direct assume son rôle d’encadrement envers
ceux qui restent.
Justement, quel est le rôle du supérieur
hiérarchique ?
Le supérieur doit d’abord être au clair
avec sa propre situation avant d’aborder
le changement avec ses collaborateurs
et son équipe. Ce qui est très difficile
puisqu’il est lui-même un survivant.
En réalité, le supérieur n’est souvent
pas responsable du changement, mais il
le conduit dans une fonction de cadre.
Le style de gestion à adopter en pareille situation est proche du coaching,
à savoir:
● intégrer les collaborateurs dans le
processus de planification et de mise
en œuvre du changement,
● assurer la communication et développer la culture du feed-back dans l’équipe,
● reconnaître le travail fourni par son
équipe,
● offrir des possibilités de développement et de formation à ses collaborateurs.
Quels sont, au sein d’une équipe, les
champs de tension concrets auxquels le
supérieur doit faire face ?
Les champs de tensions concrets sont:
● la perte des propres valeurs,
● le manque de discernement quant à la
nécessité de la restructuration,
● le manque de clarté dans la répartition des tâches et des compétences,
● le besoin d’assumer des tâches nouvelles sans disposer des qualifications
spécifiques,
● le manque de collaboration au sein de
l’équipe.
Les principales conséquences de ces
champs de tensions sont les luttes pour
le pouvoir en lien avec les compétences, l’inertie voire la paralysie d’une
équipe, l’augmentation de l’absentéisme, la baisse de la productivité/de la
conscience professionnelle et finalement la recrudescence des conflits.
Mais tout cela coûte à l’entreprise !
Les processus de restructuration peuvent être à l’origine de coûts imprévus.
A ce niveau, ce ne sont pas des facteurs
extérieurs tels que la concurrence ou
une mauvaise planification stratégique
qui sont décisifs, mais des facteurs internes. Si les employés survivants ne
parviennent pas à accepter les changements, ils vont rejeter la restructuration. En plus des conséquences citées
ci-dessus, relevons aussi la perte de savoir-faire lorsqu’un collaborateur quitte
volontairement l’entreprise.
Il n’est pas rare aussi d’observer des
comportements nuisibles sur le lieu de
travail. On note ainsi que moins de
50% des entreprises qui se sont réorganisées réussissent après 5 ans à augmenter leur résultat d’exploitation
conformément à leurs souhaits (Caplan
1997).
L’auteur
Olivier Gross est psychologue FSP. Jusqu’à la fin de janvier 2006, il a été coresponsable du Centre de conseil et de coaching de la Poste Suisse. Il a notamment été responsable des systèmes de qualification de la Poste Suisse et a réalisé un outil de feed-back pour le
management supérieur. Depuis le mois de février 2006, il est délégué à l’égalité des chances pour la Poste Suisse. Il est également coach, superviseur, conseiller et formateur du développement des cadres et du personnel. Il a aussi mis sur pied différents concepts et mesures d’accompagnement aux changements.
Adresse
Olivier Gross, email: [email protected]
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Outre ses responsabilités d’encadrement, que peut faire un supérieur ?
Idéalement, chaque supérieur doit pouvoir se remettre en question et se poser
les questions clefs suivantes:
● En tant que supérieur hiérarchique,
qu’est-ce qui m’a aidé avant, pendant
et après la réorganisation ?
● A quoi puis-je reconnaître qu’une situation propice au syndrome du survivant s’est installée ?
● Comment et avec qui puis-je apporter
un soutien efficace à mes collaborateurs lors des réorganisations ?
Selon la nature des réponses, le supérieur – et lui seul – doit décider avec
son équipe de l’intervention d’une tierce personne, tel un coach ou un psychologue, ceci afin d’éviter toute intervention alibi. Afin de pouvoir les
conseiller, la Poste Suisse dispose de
tout un réseau de spécialistes du développement du personnel répartis dans
les unités et d’un centre de conseil et
de coaching qui travaille en réseau avec
des spécialistes.
Quels sont les types d’intervention ?
Les interventions en entreprise les plus
classiques sont des interventions de
type coachings individuels et d’équipes
sous forme d’accompagnement processuel en lien avec le changement et la
thématique du survivant. La durée, la
forme et la fréquence des interventions
dépendent des objectifs que les demandeurs souhaitent atteindre et des
moyens/ressources qui peuvent être mis
à disposition. Dans le cas de la Poste
Suisse, nous observons une demande
accrue qui va dans ce sens.
Comment voyez-vous le rôle de l’intervenant dans ces situations ?
De mon point de vue, il est important
que celui-ci puisse intervenir le plus rapidement possible en amont déjà du
processus de licenciement. Je le perçois
aussi comme une personne facilitatrice
qui, grâce à son œil extérieur au système touché par le changement, rend de
nouvelles perspectives possibles. En
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plus de son professionnalisme (méthode), l’intervenant doit orienter son action sur des objectifs ciblés, sur des
perspectives d’avenir et sur des solutions réalistes, tout en tenant compte
des ressources des personnes et du système concernés.
Finalement, son intervention doit être
bienveillante sans toutefois devenir
l’instrument du système.
Développer les survivants en période
de réorganisation, n’est-ce pas là une
contradiction ?
Oui, effectivement. Mais le risque réside justement dans l’oubli des survivants et de ne s’occuper que des personnes licenciées. Or, le fait est que les
survivants doivent souvent travailler
encore plus, sous une pression plus forte et avec moins de ressources pour faire avancer l’entreprise. Consciente de
ces enjeux et des conséquences possibles, la Poste Suisse développe différents concepts de formation dont l’objectif est la certification et la validation
des compétences.
De meilleures perspectives d’ascension
professionnelle et de formation continue contribuent à une plus grande satisfaction, ce qui a des répercussions
positives sur la motivation des «survivants».
D’un point de vue psychologique, le
fait d’agir sur le développement d’un
survivant lui permet aussi de remplacer
l’ancien contrat psychologique par un
nouveau.
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tences (savoir-faire).»
De mon point de vue, il est important
que l’employé(e) cherche la reconnaissance dans son travail et pas nécessairement auprès de son employeur. Par le
biais de ce nouveau contrat psychologique, il met au centre de ses préoccupations son développement personnel
ainsi que son employabilité. Ainsi il
gagne en autonomie et devient acteur
de son propre changement.
Selon David Noer, les entreprises dans
lesquelles la codépendance n’existe pas
sont ouvertes et productives. Quant à
leur personnel, il est créatif et a plaisir
à travailler.
Que fait concrètement la Poste Suisse
dans ce domaine ?
Très concrètement, face à cette thématique, la Poste Suisse sensibilise ses
cadres en leur offrant différentes mesures de soutien, notamment dans le
développement du personnel et des
cadres. Un bon nombre de séminaires
sur la thématique du changement et sur
la gestion du stress abordent directement ou indirectement la thématique
des survivants en entreprise. A cet effet,
la Poste Suisse dispose d’un centre de
formation et de perfectionnement, d’un
réseau de conseillers regroupés dans
une bourse de l’emploi. Les cadres et la
ligne peuvent également faire appel à
un centre de conseil et de coaching qui
réalise un soutien sur mesure.
Interview: Vadim Frosio
De quelle manière ?
Zusammenfassung
Souvenez-vous des méfaits de la codépendance avec son entreprise et de la
rupture de ce contrat en période de licenciement citées ci-dessus. Une bonne
intervention amènera la personne survivante à reformuler consciemment un
nouveau contrat psychologique avec
l’entreprise. Ce nouveau contrat peut se
résumer ainsi: «Même si je fais bien
mon travail et que je me fonds dans le
moule de l’entreprise, je peux perdre
mon poste; ce qui est important pour
moi, c’est de développer mes compé-
Wenn in einem Unternehmen viele
Entlassungen anstehen, sorgt man sich
primär um das Wohlergehen der Entlassenen. Doch darf man all jene nicht
vergessen, die ihre Arbeit zwar behalten, von den Veränderungen dennoch
betroffen sind und darunter leiden.
Man spricht in diesem Zusammenhang
von «Lay off Survivor Sickness».
Olivier Gross, Psychologe FSP und
Gleichstellungsbeauftragter bei der
Post erläutert Ursachen und Folgen
dieses Syndroms. Er stellt zudem mögliche Präventionsmassnahmen vor.