caractérisation des rejets liquides d`une conserverie de poissons
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caractérisation des rejets liquides d`une conserverie de poissons
225 Bull. Soc. Pharm. Bordeaux, 2007, 146, 225-234 CARACTÉRISATION DES REJETS LIQUIDES D’UNE CONSERVERIE DE POISSONS (*) Moh ammed BENYAKHLEF ( 1 ) , S aïd NAJI Dri ss BEL GHYTI ( 1 ) (2) , Les quelque 500 unités industrielles du bassin du SoussMassa, largement dominées par des industries légères et des entreprises de petite taille basées sur la valorisation des ressources agricoles et halieutiques locales, déversent majoritairement leurs effluents dans la baie d’Agadir au Maroc. Une étude menée sur les rejets d’une conserverie montre qu’ils sont fortement chargés en matières organiques biodégradables, avec un taux de matière en suspension très élevé et des concentrations en azote total, phosphore total, huiles et graisses, détergents, Cl-, Ca2+ et Na+ qui dépassent dans quelques cas cinquante fois la norme autorisée. INTRODUCTION Le Maroc est confronté à une pénurie d’eau liée à une sécheresse accrue depuis deux décennies par la progression démographique, la consommation industrielle et domestique et la surexploitation des nappes (*) (1) (2) Manuscrit reçu le 28 janvier 2007. Laboratoire d'Océanologie, Hydrobiologie et Parasitologie. UFR Parasitologie comparée : Application médicale et vétérinaire, Faculté des Sciences, Université Ibn Tofaïl, BP 133 14000 Kénitra, Maroc. [email protected], [email protected] École Mohammadia d’Ingénieurs, Département de génie civil, UFR Environnement aquatique, côtier et continental, 10000 Rabat, Maroc. [email protected] 226 souterraines notamment dans les régions agricoles. Si le taux de croissance démographique du Maroc se maintient, on devra passer d’une consommation de 830 m3/hab/an en 1990 à 411 m3/hab/an en 2020, soit deux fois moins, alors que plus de 70 % du potentiel est mobilisé [11]. Agadir, capitale économique du Sud du Maroc est confrontée à une pénurie des ressources en eau souterraine suite à une forte croissance de la consommation des secteurs industriels et touristiques. Son port, économiquement le deuxième en importance après celui de Casablanca, est le premier port de pêche du Maroc et un des tous premiers ports sardiniers du monde [7]. Le bassin du Souss-Massa présente près de 500 entreprises de petite taille, tournées vers l’industrie légère (agroalimentaire, métallique et mécanique, chimique et parachimique, textile et cuir, électrique et électronique) et la valorisation des ressources agricoles (conservation des légumes, produits laitiers, conditionnement des agrumes, raffinage des huiles alimentaires et minoteries industrielles) et halieutiques locales. Elles sont réparties sur quatre zones principales (Figure 1) : - le port et la zone d’Anza, au nord-ouest de l’agglomération - le quartier industriel d’Agadir, en ville - la zone de Tassila, à l’est de l’agglomération - la zone d’Aït Melloul, à l’est de l’oued Souss. Fig. 1 : Emplacement des zones industrielles du grand Agadir (Maroc). Elles rejettent une pollution essentiellement organique dans la baie d’Agadir, occasionnant une contamination des organismes marins [5]. Les deux premières zones concentrent la majorité des unités agroalimentaires [1]. 227 MATÉRIEL ET MÉTHODES Les rejets liquides étudiés proviennent d’une conserverie de poissons située dans la zone d'Anza qui emploie 900 personnes dont 700 saisonniers. Elle met en boîte en moyenne 50 tonnes de sardines, 24 de maquereaux et 2 de thon par jour et exporte plus de 80 % de sa production. Le conditionnement est manuel pour les sardines, les maquereaux et le thon traditionnels et en partie mécanique pour les filets de sardines. L’entreprise utilise l’eau de ville de la RAMSA (Régie Autonome Multi Services d'Agadir) et l’eau d’un puits. Comme cette dernière présente des variations importantes de minéralisation [10] et est assez dure, elle est adoucie pour les chaudières et les stérilisateurs. Elle est de plus chlorée de 2 à 5 ppm pour l’ensemble de l’usine. Les analyses ont été réalisées par le LPEE (Laboratoire Public d’Essais et d’Études) du CEREP (Centre d’Études et de Recherches de l’Environnement et de la Pollution). L’effluent liquide a été étudié sur une journée pendant douze heures. Le fonctionnement des ateliers dépendant des arrivages de poissons, les rejets liés au nettoiement des sols et des machines fluctuent largement. Pour une bonne représentativité de l’échantillonnage, on a tenu compte du débit des rejets lors d’une période de fonctionnement normal de l’ensemble des ateliers à l’aide d’un dispositif automatique débitmètre - échantillonneur. Les prélèvements ont été réalisés conformément à la norme AFNOR NF EN 25667 (ISO 5667). Des mesures directes (pH, conductivité et température) ont été réalisées (Tableau I) toutes les demi-heures sur les prélèvements le 4 juillet 2003. Divers paramètres ont été mesurés sur des échantillons moyens de douze heures constitués proportionnellement aux débits mesurés toutes les demi-heures (Tableau I) : DBO5, DCO, MES, NTK, phosphore total, HG, détergents, Cl-, Ca2+ et Na+. RÉSULTATS Consommation d’eau Pour ses besoins en eau, la conserverie utilise l’eau de ville pour un débit de 210 m3/j et l’eau de puits à 60-100 m de profondeur à environ 170 m3/heure. 228 Tableau I : Normes des paramètres mesurés. Paramètres Méthodes de référence Procédures analytiques PRS/180/29 pH NF T 90-008 Température NF EN 25667 (ISO 5667) Conductivité à 25°C NF EN 27888 PRS/180/32 Demande biochimique en oxygène pendant 5 jours (DBO5) NF EN 1899 PRO/180/11 Demande chimique en oxygène (DCO) NF T 90-101 PRS/180/9 Matière en suspension (MES) NF EN 872 NF T 90-105-2 PRS/180/16 PRS/180/57 Azote total Kjeldahl (NTK) NF EN 25663 Phosphore total (PT) NF EN 1189 - PRS/180/42 e Huiles et graisses (HG) Méthode Rodier 7 éd. p. 612 - Agents de surface anioniques NF T 90-0039 - Chlorures NF T 90-014 PRS/180/30 Calcium NF T 90-016 PRS/180/28 Sodium NF T 90-020 PRS/180/31 L'essentiel de la consommation d’eau concerne le nettoyage des installations (Tableau II). Pour le calcul du ratio en litres par tonne de poisson frais, on tient compte qu’au moins 50 T de sardines, 24 de maquereaux et 2 de thon sont traitées chaque jour. Tableau II : Bilan de la consommation d’eau d’une conserverie de poissons de la région d’Agadir en 2003. Étêtage équeutage Réception Pédiluves Douchettes Nettoyage des installations Nettoyage des caisses Nettoyage des sols Circuits de vapeur Saumure Lavage des boîtes Stérilisation Usages domestiques Total Puits (m3/j) RAMSA (m3/j) 72 32 21 65 1479 12 138 221 0 0 0 0 2040 0 0 0 0 0 0 0 0 28 12 144 27 211 Ratio l/T de poisson frais 947 421 197 842 19,5 à à à à à 1816 à 2908 à 368 à 158 à 1895 à 355 à 29618 à 1108 492 323 985 23 2123 3400 431 184,6 2215 415 34631 229 Eaux usées Les eaux usées de l’entreprise peuvent se différencier en eaux de guano, eaux saumurées, eaux de lavage et eaux sanitaires. Elles sont directement déversées dans la mer via un collecteur général. Les eaux usées domestiques (eaux sanitaires), de laboratoire et du bloc administratif sont collectées séparément et sont déversés aussi via le collecteur général dans la mer. On peut distinguer au niveau de l’usine quatre types d’eaux usées : - des eaux à très forte charge organique également chargées en sels qui proviennent des lignes d’étêtage, d’éviscération et d’équeutage ; elles correspondent à des eaux saumurées de transport des déchets de poisson et ne représentent que 8 % du volume. - des eaux moyennement chargées issues des ateliers de lavage des boîtes et des caisses - des eaux faiblement chargées issues du lavage des sols - des eaux sanitaires. Les valeurs enregistrées pour la DBO5, DCO, MES et HG sont loin d’être négligeables et dépassent les normes autorisées (Tableau III). Tableau III : Flux de pollution des rejets d’une conserverie de poissons de la région d’Agadir en 2003. kg/j kg/T DBO5 DCO MES NTK 3038 39,9 6340 83,4 1211 15,9 273 3,60 Phosphore Huiles et total graisses 62,1 0,36 0,82 0,005 Ca2+ Na+ 19,7 0,26 7396 97,3 Paramètres chimiques et physiques au niveau du collecteur général Les paramètres chimiques sont dans l’ensemble très élevés, mis à part la teneur en détergents (Tableau IV). Tableau IV : Paramètres chimiques (mg/l) au niveau du collecteur général d’une conserverie de poissons de la région d’Agadir en 2003 (normes marocaines ou tunisiennes* autorisées entre parenthèses). DBO5 DCO MES NTK PT HG Détergents Cl- Ca2+ Na+ 3079 (100) 4454 (500) 1295 (50) 117,6 (30) 23 (10) 1266 (30) 1,05 (3) 16271 (600)* 541,1 (500)* 6637,5 (300)* 230 La conductivité varie entre 3870 et 7900 µS/cm avec une pointe en fin de journée de travail (Figure 2). µS/cm 9000 8000 7000 6000 5000 4000 3000 2000 1000 0 Heures 9h 11h30 14h 16h30 Fig. 2 : Évolution de la conductivité (µS/cm) de 9 à 18 heures des rejets d’une conserverie de poissons de la région d’Agadir le 4 juillet 2003. Le pH est basique (Figure 3A). La température des rejets est modérée et varie entre 21 et 23,7°C (Figure 3B). A pH 10 8 6 4 2 Heures 0 0 B 5 10 15 20 °C 24 23,5 23 22,5 22 21,5 21 20,5 Heures 0 5 10 15 20 Fig. 3: Évolution du pH (A) et de la température (B) de 1 à 19 heures des rejets d’une conserverie de poissons de la région de Kénitra le 4 juillet 2003. 231 DISCUSSION ET CONCLUSION La demande chimique en oxygène de 4454 mg d’O2/l au niveau du collecteur général dépasse de loin les limites autorisées par la norme marocaine (500 mg d’O2/l) et internationale des rejets directs, mais reste inférieure à la DCO d'industrie d'extraction d'huile qui peut atteindre 190 000 mg/l [3]. La demande biochimique en oxygène pendant cinq jours de 3079 mg d’O2/l dépasse de trente fois la norme autorisée d’un rejet direct. C'est une caractéristique des rejets des conserveries [12]. La forte charge organique et le taux élevé de sels proviennent des eaux des lignes d’étêtage, d’éviscération et d’équeutage qui génèrent du sang, des écailles et des graisses. Normalement, la charge organique provenant d’une conserverie est relativement limitée. Le rapport DBO5 / DCO, supérieur à 0,3, implique une biodégradabilité. La charge en DBO5 d’une conserverie de poissons constitue une quantité de matières organiques facilement biodégradables. Les eaux usées ne constituent pas un grand problème environnemental comparé à d’autres activités du secteur agroalimentaire. Les matières en suspension décantables et non décantables, organiques ou minérales, de 1295 mg/l, dépassent nettement la norme de 50 mg/l imposée par les autorités. Le rejet nécessitera obligatoirement un traitement approprié physique et biologique, car ces teneurs élevées peuvent empêcher la pénétration de la lumière, diminuer l'oxygène dissous, compromettre le développement des œufs et réduire le stock de nourriture disponible des organismes marins. L'asphyxie des poissons, par colmatage des branchies, est souvent la conséquence d'une teneur élevée en matières en suspension [11]. L'azote Kjeldhal total est un indicateur de pollution du milieu et permet de suivre l'évolution des contaminations [1 3 ]. Sa valeur, de 117,6 mg/l, est quatre fois plus élevée que la norme autorisée, de 30 mg/l. Le phosphore total, de 23 mg/l, est deux fois supérieur à la norme autorisée, de 10 mg/l [9]. Il peut provenir des adjuvants actifs ajoutés aux détergents ainsi que de la décomposition de la matière organique. Un excès de phosphore peut entraîner des perturbations au niveau de l'eau [12]. 232 Le taux des huiles et graisses dépasse 42 fois la norme autorisée, de 30 mg/l. Les huiles empêchent l'apport d'oxygène et favorisent ainsi le développement de conditions anaérobies [8]. Les 1,05 mg/l de détergents sont inférieurs à la limite autorisée de 3 mg/l dans les rejets directs. Il n'y a pas de toxicité importante jusqu'à quelques mg/l [9]. Les tensioactifs présents dans les produits de lavage et de nettoyage doivent être biologiquement dégradables au moins à 80 % (directive 73/404/CEE) [4] car les détergents sont toxiques pour les mollusques, les crustacés, les poissons et les algues. Leurs propriétés tensioactives altèrent l'aération de l'eau, perturbent les échanges au niveau des branchies... [2]. Les paramètres chlore, calcium et sodium indicateurs de pollution dépassent les normes tunisiennes de rejet. Dans l'eau, le chlore forme avec l’azote organique des chloramines et des chlorophénols toxiques [4]. La salinité est liée essentiellement au rejet des eaux de lavage de l'équipement de l'usine. Les valeurs enregistrées sont relativement élevées, pouvant causer des problèmes d’agressivité au niveau des canalisations. Au delà d’une conductivité de 3000 µS/cm, les conditions sont défavorables pour un équilibre écologique normal [2]. Les valeurs enregistrées pour la conductivité dépassent la norme autorisée de 2700 µS/cm. Le pH se situe entre 6,5 et 8,5, limites inférieure et supérieure des rejets directs autorisés. Les eaux usées ont parfois un pH élevé dû à l’emploi de soude caustique pour le lavage des équipements ou la préparation des matières premières. La quantité et la qualité des eaux rejetées sont aussi très variables à cause des opérations discontinues comme les lavages et rinçages. La température des rejets est toujours inférieure à la norme autorisée de 30°C et le risque d’une pollution thermique peut être écarté. La pollution apparaît surtout liée à la forte charge en matière organique, en matières en suspension et en sel utilisé lors du procédé pour la conservation du poisson. La forte charge en chlorure de sodium du rejet final nous semble être le principal problème environnemental. 233 RÉFÉRENCES 1- AFD (Agence Francaise de Développement), RAMSA (Régie Autonome Multi-Services d'Agadir) - Étude complémentaire d'évaluation et d'impact sur l'environnement du projet d'assainissement liquide (SDAL) du Grand Agadir. 1999, p. 183. 2- Beauchamp (J.) - La pollution littorale. D.E.S.S. Qualité et Gestion de l'Eau, Univ. Picardie Jules Verne 2003. http://www.upicardie.fr/beauchamp/cours.qge/pol-litt/pol-litt.htm 3- Bensassi (A.), Jaouad (A.), Mandi (L.), Boussaid (A.) - Comparaison du traitement des margines par les levures. - First Int. Symp. Management Liquid Solid Residues (MALISORE), Mohammedia, Morocco, April 2004. 4- Bliefert (C.), Perraud (R.) - Chimie de l'environnement : air, eau, sols, déchets. 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