L`hypnose en médecine
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L`hypnose en médecine
PERSPECTIVES AMELIE-BENOIST / BSIP SANTÉ PUBLIQUE 8 L’hypnose en médecine L’hypnose, de plus en plus souvent utilisée dans la prise en charge de la douleur, de l’angoisse et du stress, aussi bien en cabinet de ville qu’à l’hôpital, s’impose comme un outil de communication thérapeutique qui permet d’améliorer le vécu des patients douloureux. Comme d’autres pratiques non conventionnelles, dites « médecines alternatives et complémentaires (MAC) », l’hypnose suscite engouement ou scepticisme. Ce qui la rend suspecte c’est, bien sûr, tout le cortège d’images d’Épinal (« Dormez, je le veux ! ») qui ont fait les beaux jours des charlatans et des magiciens de foire… De plus, ses détracteurs ne sont pas forcément, comme on le croit, les instances officielles (cf. encadré « Quelle réglementation ? » page suivante). « Généralement, les patients n’osent pas parler du sujet à leur médecin, et lorsqu’ils le font, ils se font souvent rabrouer. De leur côté, les médecins demandent rarement à leurs patients s’ils se soignent avec de telles médecines. « Cette incompréhension mutuelle nuit à la prise en charge des patients », déclare le Pr Alain Baumelou, néphrologue à l’AP-HP (Paris) (1), qui affirme également que « dans les maladies chroniques la moitié de nos patients ont recours à ces pratiques ». Isabelle Célestin-Lhopiteau, psychologue en centre anti-douleur, directrice de l’Institut français des pratiques psychocorporelles (IFPPC) (2) rappelait le 16 mai dernier lors des Rencontres « Neurosciences-Douleur-Hypnose » (3) que l’OMS a publié en 2002 un plan stratégique sur les médecines traditionnelles ou parallèles (4) qui confirment la place importante de ces MAC : « environ 80 % des Africains ont recours à la médecine traditionnelle […] En France, 75 % de la population a eu recours au moins une fois à des traitements complémentaires ; en Allemagne, 77 % des services soignant la douleur proposent l’acupuncture et, au Royaume-Uni, les dépenses en médecines parallèles ou complémentaires atteignent 2,3 milliards de dollars par an ». De son côté l’AP-HP a recensé en 2012 plus de 300 pratiques psychocorporelles (certaines très similaires portant seulement des noms différents). Tout Prévoir — juillet-août 2014 n° 453 QUELLE RÉGLEMENTATION ? Désormais, les médecines alternatives et complémentaires (MAC) ne sont plus systématiquement qualifiées d’inutiles, inefficaces ou dangereuses. Si le Conseil de l’Ordre des médecins, la Haute autorité de santé et l’Académie nationale de médecine craignent les dérives sectaires, leur position a radicalement évolué en quelques années. Xavier Déau (CNOM - délégué général aux affaires européennes) considère que l’hypnose est déjà « validée par des référentiels solides pour son utilisation dans l’anesthésie »*. Il incite les médecins, en plus de leur formation générale, à valider un enseignement théorique et pratique dans le domaine des médecines alternatives. Quant à l’Académie nationale de médecine, elle a publié un rapport le 5 mars 2013** sur les bonnes pratiques à respecter concernant quatre thérapies complémentaires : l’acupuncture, la médecine manuelle (ostéopathie et chiropraxie), l’hypnose et le tai-chi. L’Académie de médecine insiste pour que « ces pratiques restent à leur juste place : celle de méthodes adjuvantes pouvant compléter les moyens de la médecine ». Elles ne doivent pas être utilisées comme une solution de remplacement qui exposerait à des pertes de chances (en cancérologie particulièrement). De même, à l’hôpital, elles « doivent rester intégrées dans la pratique des équipes soignantes, en supplément des moyens thérapeutiques validés, et ne jamais s’en isoler ». Comme dans toute pratique médicale, la déontologie s’impose : laisser le choix au patient de sa thérapie, l’informer du protocole suivi, et n’utiliser l’hypnose que dans son strict champ de compétence : ainsi, un anesthésiste n’a pas le droit de pratiquer l’hypnose pour un arrêt du tabac. L’exercice de l’hypnose n’est pas réglementé par le code de la Santé publique. Il est validé par des diplômes universitaires indépendants et des formations privées. Le Dr Virot, président d’Émergences, met en garde contre la multiplication actuelle des formations et des formateurs : « nous devons être très vigilants. L’hypnose doit être enseignée par des professionnels de santé et pour des professionnels de santé, qui sont engagés déjà dans une démarche éthique d’amélioration des conditions de soins du patient. » RENSEIGNEMENTS : – Confédération francophone d’hypnose et thérapies brèves (CFHTB) – Institut français hypnose humaniste et éricksonienne (IFHE) * Bulletin d’information du Conseil national de l’Ordre des médecins - N° 25, octobre 2012 ** Thérapies complémentaires – acupuncture, hypnose, ostéopathie, tai-chi – Leur place parmi les ressources de soins (Daniel Bontoux, Daniel Couturier, Charles-Joël Menkès) Tout Prévoir — juillet-août 2014 n° 453 PERSPECTIVES Qu’est-ce que l’hypnose ? Loin de toute pratique magique fantaisiste, l’hypnose est un état naturel, explique simplement Martine Escafit, psychothérapeute à Saint-Étienne, (et ex-médecin généraliste) à ses patients : « c’est un état et un processus dans lequel on entre en se concentrant sur un point. De la même façon que peindre, chanter, conduire, marcher… modifie la conscience ». Permettre au patient en souffrance (que la douleur soit physique ou morale) de se focaliser sur quelque chose d’agréable est l’une des voies d’entrée dans la transe. Il peut s’agir d’un souvenir vécu ou d’un lieu où l’on imagine être, dans lequel on se sent bien, ce que les hypnothérapeutes nomment le « lieu de sécurité ». La prise en charge de la douleur peut aussi s’obtenir à partir d’une mise à distance de celle-ci : « visualisez une zone de douleur, puis une zone de bien-être de votre corps. Que se disent-elles, l’une à l’autre ? Par quel canal passe la communication ? ». C’est ce type d’exercices qu’enseigne le Dr Élise Lelarge, psychiatre à Rezé (6) dans ses groupes de patients atteints 9 NOTES 1. Bulletin d’information du Conseil national de l’Ordre des médecins N° 25, octobre 2012. 2. I.F.P.P.C., centre CAMKeys http://www.camkeys. eu/ 3. Le Dr CélestinLhopiteau est aussi responsable du DU Pratiques psychocorporelles ainsi que du DU Hypnose et anesthésie à la faculté de médecine Paris XI. 3. Organisé à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (ICM) par le Dr Éric Gibert, rhumatologue à Ivry-sur-Seine, en collaboration avec le Pr Bruno Fautrel (Société française de Rhumatologie). 4. http://www.who. int/mediacentre/news/ releases/release38/fr 5. organisé par Émergences : www.hypnoses.com 6. Institut Milton H. Erickson (directeur Dr Claude Virot) : http://www.citi44.com/ SANTÉ PUBLIQUE AMELIE-BENOIST / BSIP Aux États-Unis, le NCCAM (National Center of Complementary and Alternative Medicine) a entrepris de cerner l’efficacité de ces pratiques en étudiant les programmes des recherches menées partout dans le monde. C’est aussi une demande des professionnels de la santé qui ressentent le besoin d’avoir une meilleure connaissance de toutes ces pratiques de façon à pourvoir orienter efficacement leurs patients. En témoigne le succès du 5 e Congrès international hypnose et douleur (5), qui s’est tenu à La Rochelle du 1er mai au 3 juin 2014. Il a réuni quelque 800 participants et 130 conférenciers de toutes les disciplines médicales, médecins généralistes, anesthésistes, chirurgiens, pédiatres, psychiatres, kinésithérapeutes, neurologues, sages-femmes, infirmiers… Tous ces soignants avaient d’autant plus à cœur de confronter leurs pratiques que la législation ne repose que sur des recommandations et que toutes sortes de formations se développent laissant le champ libre à de potentielles dérives. PERSPECTIVES de douleurs chroniques. Il ne s’agit pas là d’une simple méthode de relaxation, ni de méditation, mais bien d’un processus d’analgésie obtenu par le biais d’un changement de point de vue par rapport à la douleur. Comme dans la méditation, la sophrologie, le yoga ou encore le qi-gong, la pratique d’hypnose conduit à un état de conscience amplifié. Mais alors que dans les autres pratiques psychocorporelles, l’on médite sans but ou l’on recherche le bien-être et l’harmonie d’une façon générale, la transe hypnotique répond à un objectif : résoudre une difficulté, se débarrasser d’un stress, transformer un échec en défi, apprendre à vivre avec une douleur, etc. Ainsi, 10 SANTÉ PUBLIQUE « Il n’y a pas d’hypnose sans auto-hypnose » par diverses techniques, allant de la simple « hypnose conversationnelle » (base de la communication thérapeutique) à l’hypnose formelle avec réification et transe créative, la personne en souffrance peut (re)découvrir la faculté d’agir par elle-même, en mobilisant ses ressources personnelles intérieures. À la portée de tous les patients Les champs d’application de l’hypnose sont très nombreux : en pédiatrie, avant un geste invasif, elle distrait l’enfant qui s’évade sans difficultés dans un monde imaginaire ; en obstétrique, en cancérologie, en psychothérapie, en kinésithérapie, l’hypnose diminue de façon significative l’intensité perçue de la douleur. Et même en chirurgie, « la plupart des opérations peuvent être réalisées avec l’aide de l’hypnose, et parfois un mélange hypnose et médicaments classiques », affirme Le Dr Jean Becchio (7), médecin généraliste, qui pratique l’hypnose depuis 25 ans. Les témoignages de chirurgiens, d’anesthésistes et d’infirmières de blocs opératoires sont nombreux à confirmer le bien-fondé de l’hypnose dans l’analgésie préventive. Ainsi, le Dr Marc Galy, anesthésiste à hôpital Saint-Joseph (Paris), propose aux patients avant une opération lourde (carotide, aorte) de s’imaginer quelque part, à la terrasse d’un café, dans un aéroport… Il leur parle pendant toute la durée de l’intervention, pratiquée avec une anesthésie locale ou loco-régionale. Auparavant, lors d’un ou de plusieurs rendez-vous préopératoires, il aura demandé aux patients quels sont leurs goûts et centres d’intérêt, en recherche du canal sensoriel préférentiel (8), de façon à induire, le moment venu, une transe créative. Lors d’une craniotomie, où le patient doit être conscient, puisque c’est lui qui limite l’exérèse fonctionnelle, l’hypnose est une aide indispensable. Évaluer les bénéfices De nombreuses enquêtes réalisées dans des services hospitaliers témoignent de la satisfaction des patients qui ont choisi d’être mis en état d’hypnose, mais le ressenti de la douleur ou de l’angoisse est propre à chaque individu, ce qui rend difficile l’évaluation du degré d’efficacité des MAC. LES LIMITES DE L’HYPNOSE NOTES 7. Président fondateur de l’Association française d’hypnose, praticien consultant en soins palliatifs à l’hôpital Paul Brousse (Paris). 8. Technique du « VAKOG » : Visuel, Auditif, Kinesthésique, Olfactif, Gustatif Les seules contre-indications de l’hypnose, que tous les partisans de cette médecine complémentaire s’accordent à reconnaître, sont les psychoses, délires et démences sévères. En soins palliatifs, le Dr Véronique Darees* note l’échec du soulagement par l’hypnose (hors trouble important de la communication ou de la compréhension), lorsque le patient est déjà « retranché dans un sas entre la vie et la mort ». En thérapie ordinaire, « ce n’est pas parce que vous faites de l’hypnose que tout va bien ! », prévient le Dr Giudicelli Don-Pierre, anesthésiste. Si le personnel soignant n’est pas informé de la démarche du thérapeute, s’il reste « hypnoseptique », si la « sortie de transe » n’est pas assurée, le patient risque de n’en ressentir aucun effet bénéfique, voire pire : la transe négative existe aussi. Pour le Dr Hansel Ernil, anesthésiste, le choix des mots est capital : selon que le soignant demande « avez-vous remarqué des améliorations ? » ou « quelles améliorations avez-vous remarqué ? », la réponse sera différente et le patient dans un autre état d’esprit par rapport à sa douleur. Les suggestions positives fonctionnent même en situation d’urgence : « dans les ambulances, en lisant aux transportés une charte sécurisante, davantage de patients arrivent vivants à l’hôpital ! » L’hypnose ne fait que mettre l’accent sur les attitudes correctes que tout soignant devrait maîtriser. Ce qui fait dire au Dr Éric Gibert, rhumatologue, que tous les soignants devraient être enclins à pratiquer l’hypnose… * PH Équipe mobile de soins palliatifs, GH Hôpitaux universitaires Paris-Seine-Saint-Denis Tout Prévoir — juillet-août 2014 n° 453 La relation thérapeutique À côté de ces bénéfices, appréciés de façon empirique, si l’on ne considère pas seulement l’hypnose comme un outil thérapeutique supplémentaire, mais comme une pratique de soins intégrée dans la relation humaine, l’hypnose médicale, en tant qu’approche holistique, se justifie en dehors de toute autre évaluation. Ainsi, le Dr Véronique Darees (8) propose une définition de l’hypnose basée sur sa pratique en soins palliatifs : « relation thérapeutique s’accompagnant d’un état d’attention et d’échanges favorable à des changements de pensées et de sensations ». Pour elle, l’hypnose est « l’alliance thérapeutique, préalable indispensable à toute relation de soins […]. À partir du moment où nous sommes nous-mêmes dans cet abandon, ce lâcher prise en hypnose, alors la communication se produit à un niveau qu’on ne connaît pas et qui permet au patient d’accéder à ses ressources. » Cette empathie nécessaire pour la pratique de l’hypnose a une résonance sur le soignant. « L’hypnose enrichit PATRICK DUPONT QUAND MÊME » Le danseur étoile Patrick Dupond est venu témoigner de son expérience de la douleur au colloque « Neuroscience, douleur, hypnose » le 16 mai 2014 à l’Institut du cerveau et de la moelle épinière (Pitié-Salpêtrière). « La douleur, à laquelle je suis confronté depuis l’âge de 8 ans, est quelque chose d’intime, de viscéral. L’apprentissage de la danse m’a permis très tôt de décrire la douleur, de lui porter attention, de l’apprivoiser. En janvier 2000, après un grave accident de la route, le diagnostic est : ‘marcher peut-être, danser jamais plus’, ce que je n’ai pas accepté. J’ai cherché des moyens de contourner la douleur : mnémotechnique (les micros victoires conquises pendant l’apprentissage), musique, visualisation (moi en train de danser), bains d’eau de mer, et morphine bien sûr. Je n’ai pas échappé à sa dépendance, ni à la dépression. Danser, c’est forcément se regarder et être à l’écoute de son corps, démultiplier ses capacités, comme pour tous les sportifs de haut niveau. Je savais déjà, sans rien savoir de l’hypnose, être en état de transe. J’ai été obligé de réapprendre à danser. On me dit qu’aujourd’hui, ma danse est meilleure, plus authentique. » celui qui l’utilise, l’hypnose ne laisse pas indemne celui qui s’y aventure », dit le Pr Marie-Elisabeth Faymonville, chef du service d’algologie – soins palliatifs au CHU de Liège, qui résume un sentiment partagé par tous les hypnothérapeutes. En effet, le processus hypnotique résulte d’une interaction particulière entre deux personnes, si bien que d’une part, la manière dont le thérapeute considère son propre rôle influence les perceptions du patient et d’autre part, la transe hypnotique du patient a un impact sur le thérapeute. « Chaque patient est notre maître », dit le Dr Catherine Bernard, médecin-anesthésiste (CHU Kremlin-Bicêtre), qui apprend à chaque séance en craniotomie, à quel point les soignants peuvent avoir confiance dans les ressources des patients. Pour le Dr Véronique Darees (9) « le soignant confronté à un patient en situation d’échec thérapeutique se trouve démuni de sa toute puissance supposée. Malgré un traitement symptomatique maîtrisé, il voit que le patient n’est pas soulagé aussi bien qu’il le voudrait. L’hypnose permet de comprendre et d’accepter qu’une part du traitement appartient au patient. » Cet aspect est certainement la voie la plus sûre pour échapper au burn-out… Et au-delà, résume le Dr Marc Galy, (groupe hospitalier Paris-Saint-Joseph), la pratique de l’hypnose permet aux soignants de « retrouver leur place dans un monde médical de plus en plus informatisé et protocolisé dans lequel la relation de soin a peut-être perdu son sens au profit de la technique ». ■■ Tout Prévoir — juillet-août 2014 n° 453 Évelyne Simonnet PERSPECTIVES DANSER : « DANSER 11 SANTÉ PUBLIQUE Selon l’Académie nationale de médecine, « le niveau de preuve reste assez faible ». Quoi qu’il en soit, lors de conférences et de colloques comme ceux de La Rochelle et de Paris, les patients sont nombreux à témoigner de l’aide que leur apporte l’hypnose après une maladie ou un accident grave. Certes, chacun n’est pas forcément apte à mettre en pratique l’adage nietzschéen « ce qui ne nous tue pas nous rend plus fort », cependant, à partir du moment où une personne motivée donne son accord à une expérience d’hypnose et qu’elle coopère, elle est en mesure de pratiquer l’auto-hypnose. Car il n’y a pas d’hypnose sans auto-hypnose, affirment tous les thérapeutes, toutes spécialités confondues. Ils ne se contentent pas d’induire une transe hypnotique de façon ponctuelle, ils donnent aussi aux patients des outils qui vont leur permettre de pratiquer l’autohypnose, de façon autonome, à tout moment, autant que de besoin. Non seulement pour vivre avec une douleur physique, mais aussi pour changer de point de vue par rapport à des événements négatifs de leur vie. « L’hypnose peut entraîner le cerveau pour activer ou construire les éléments de résilience : c’est le ‘brain-gym’ », dit le Dr Nicole Ruyschaert, présidente de la Société européenne d’Hypnose. En s’appuyant sur des éléments plus tangibles, les soignants attestent des bénéfices de l’hypnose : pratiquée avant une intervention chirurgicale, elle permet de donner moins de produits d’anesthésie, le patient est moins anxieux en salle de réveil, sa cicatrisation est plus rapide et il y a moins de complications. Avec pour conséquence directe, une durée d’hospitalisation plus courte, donc des économies réelles pour la sécurité sociale.