Oeuvres de jeunesse

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Oeuvres de jeunesse
SALLE 1 : ŒUVRES DE JEUNESSE
À CONSULTER SUR PLACE
Les origines sociales et familiales de Rodin
Né en 1840 à Paris des secondes noces d’un père normand, fonctionnaire à la préfecture de Police et d’une mère
native de Lorraine, Auguste Rodin ne semblait en rien prédisposé à embrasser la carrière artistique. Jusqu’à l’âge
de neuf ans, il reçoit les bases d’un enseignement religieux dispensé par les frères de la Doctrine chrétienne mais
ne manifeste pas d’intérêt particulier pour les études classiques. Son trait de crayon, en revanche, paraît déjà assez
assuré pour que vers l’âge de quatorze ans, il puisse songer à une carrière artistique. L’École spéciale de dessin
et d’architecture, appelée « Petite École », pour la distinguer de l’École des beaux-arts, lui permettra de parfaire
sa pratique. Il expérimente le dessin de mémoire puis s’essaye dès 1855 à l’étude d’académie, exercice de dessin
qui lui permet d’appréhender avec justesse et force détails le corps humain puis animal.
Les premières sculptures
Dès 1860, en prenant ses intimes pour modèles, il entreprend l’exécution de ses premiers portraits.
Le buste de son père Jean-Baptiste Rodin (1802-1883), daté de 1860, demeure la première sculpture connue
de l’artiste. Rodin y traduit l’image paternelle « à la manière romaine », marquée par une coupe franche des épaules
et de la poitrine. Le nez droit et le regard porté au loin confèrent à cette première sculpture une austérité classique
dans la tradition des portraits de riches patriciens romains.
Le décès précoce de sa sœur aînée Maria (1837-1862), entrée dans les ordres, l’incite à entrer lui-même en religion
à l’âge de vingt-deux ans pour tenter d’y soulager son immense chagrin. La rencontre avec le Père Pierre-Julien
Eymard (1811-1868), fondateur de la communauté des Pères du Saint-Sacrement, s’avère décisive dans la poursuite
de sa carrière artistique. Le Père Eymard l’incite à pratiquer la sculpture et Rodin, devenu « frère Auguste », entame
son portrait en février 1863. Le sculpteur s’inspire alors du style de David d’Angers (1788-1856), portraitiste prisé
de la première moitié du XIXe siècle.
La forme du buste en hermès et la rigueur du costume contrastent avec la fougue de la chevelure et la succession
de creux et de bosses du visage. Un message gravé sur le phylactère enroulé, « Laudes ac gratiae sint omni
momento sanctissimo ac divinissimo sacramento » (« Louanges et grâces en tout instant au très saint et très divin
sacrement »), rapporte la prière du Père Eymard. Les sourcils largement fournis accusent la détermination du regard.
Les mèches de cheveux, apparentées à des « cornes de diable », selon le Père Eymard, expliquent le peu d’affection
que l’ecclésiastique portait à son buste. Néanmoins, Rodin s’affirme davantage dans cette œuvre que dans le portrait
de son propre père.
Désireux de retourner à la vie laïque, Rodin quitte la communauté des frères et, convaincu de la nécessité
de poursuivre sa carrière de sculpteur, se remet à l’œuvre.
L’Homme au nez cassé, commencé en 1863, constitue la première véritable œuvre sculptée revendiquée par
l’artiste qui tente d’obtenir la reconnaissance professionnelle au Salon de 1865 en présentant un plâtre de cette tête
accidentée. En effet, dans l’atelier sans chauffage, le portrait en terre a gelé, s’est fendu et l’arrière de la tête est
tombé. C’est donc un masque que l’artiste envoie au Salon de 1865. Le jury, qui n’est pas encore prêt à accepter
une œuvre fragmentaire, le refuse. Pourtant, dit Rodin, « Ce masque a déterminé tout mon travail à venir. C’est la
première bonne sculpture que j’ai faite ».
Affichée d’abord comme le portrait d’un homme de peine, qui proposait ses services dans le quartier Saint-Marcel
où Rodin s’établit à ses débuts, l’œuvre s’affranchit peu à peu de la référence au modèle initial. La version en marbre
est taillée en 1875 par Léon Fourquet (1841-après 1882), ami et praticien de Rodin. Elle traduit davantage, par
le travail de la chevelure rehaussée d’un bandeau et la barbe bouclée, l’image du philosophe grec mêlée aux traits
de Michel-Ange.
SALLE 1 : ŒUVRES DE JEUNESSE
À CONSULTER SUR PLACE
L’apprentissage de l’ornement
Parallèlement à ces recherches, Rodin entre dès 1864 dans l’atelier d’Albert-Ernest Carrier-Belleuse (1824-1887),
sculpteur reconnu. Après avoir assisté aux cours du sculpteur animalier Antoine-Louis Barye (1795-1875) au
Museum d’histoire naturelle, la nécessité de bénéficier d’une pratique suivie en sculpture et modelage, assortie
du souci de trouver un travail alimentaire encouragent le jeune sculpteur à faire ses premières armes en tant que
sculpteur-ornemaniste au sein de l’atelier de Carrier-Belleuse. Rodin y appréhende l’organisation propre à tout atelier,
comportant une division des tâches entre les différents praticiens. Son talent remarqué pour le modelage de la glaise
lui permet de compter parmi les modeleurs importants de l’atelier, et il se voit confier par Carrier-Belleuse la finition
des figures et des groupes avant leur envoi aux mouleurs. Cependant des conceptions divergentes apparaissent
rapidement entre les deux hommes.
De cet apprentissage, Rodin retire le bénéfice d’une leçon apprise sur le tas. Son goût pour la tradition du XVIIIe siècle,
associé à une technique désormais pleinement maîtrisée, lui permettent de réaliser de petites têtes décoratives
appropriées au décor des intérieurs bourgeois de la deuxième moitié du siècle.
La Jeune fille au chapeau fleuri, exécutée vers 1865, est caractéristique de la production de Rodin à cette époque.
Un jeune et gracieux visage surmonté d’un chapeau orné de roses, les mèches de cheveux et les lèvres ourlées
traduisent la dextérité d’un jeune Rodin dont la pratique est bien adaptée au goût du Second Empire. De même, l’attrait
pour les sujets mythologiques permet à Rodin de modeler des figures appréciées de jeunes déesses. Vers 1875,
Le Buste de Diane en marbre, dont la chevelure couronnée d’un croissant de lune et le carquois permettent d’identifier
la déesse de la chasse, traduit l’engouement pour ces petits sujets parmi la population aisée de l’époque.
La présence de la peinture
Rodin exécute un certain nombre de peintures dans sa jeunesse et plusieurs de ses proches constituent à ce titre
des modèles de choix. Sa compagne Rose Beuret (1846-1917) devient le modèle de prédilection de plusieurs de
ses œuvres, peintes ou sculptées. Sur le portrait peint par Rodin vers 1872, elle se détache sur un fond neutre et
affiche un air mélancolique, presque farouche que Rodin utilisera dans d’autres portraits.
La jovialité marque davantage les traits d’Abel Poulain (1847-1901), mouleur ornemaniste et ami du jeune sculpteur.
Ce portrait exécuté par Rodin en 1862 montre des préoccupations aussi soutenues pour la peinture que pour la
sculpture décorative. Bien des années plus tard, en 1916, Poulain, en signe d’amitié offre cette œuvre, qu’il détenait
depuis sa réalisation, au futur musée Rodin, avec toute la reconnaissance exprimée par un Rodin désormais célèbre.
À ces portraits de proches, s’ajoute une représentation de Maria Rodin peinte par Arthur Barnouvin (1848-1884)
en 1861. La sœur du sculpteur apparaît de face sur un fond sombre, le regard perdu dans le lointain. Barnouvin
figure parmi les camarades de la première heure, rencontré à l’atelier de Lecoq de Boisbaudran (1802-1897), lors
du passage par la Petite École. Il apprécie et fréquente beaucoup la famille Rodin. Peu avant la disparition de Maria,
il souhaite témoigner son attachement aux Rodin par l’exécution des portraits du frère et de la sœur comme deux
œuvres en pendants, à la manière des portraits d’époux hollandais du siècle d’or.
Les débuts difficiles de la carrière de Rodin témoignent de la singularité d’un œuvre encore en devenir. Malgré le rejet
de sa candidature à l’École des beaux-arts puis le refus du Salon officiel d’exposer le masque de L’Homme au nez
cassé, la force de conviction, et sa nécessaire persévérance permettent à Rodin d’introduire peu à peu l’originalité
d’une sculpture dans un monde officiel peu enclin à l’y laisser pénétrer. Ses premiers travaux d’ornementation
lui ont permis de forger sa pratique et d’aborder un répertoire de formes qui constitueront les bases de sa sculpture.
De l’Antiquité à la Renaissance, Rodin réussit à assimiler les principes de la sculpture européenne, en dehors
des circuits académiques traditionnels. Il nourrit et fait siennes les références d’une sculpture officielle qu’il intègre
et modifie tour à tour dans son œuvre.

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