Le sexe, arme de guerre en RDC Par Jean

Transcription

Le sexe, arme de guerre en RDC Par Jean
SPECULUM UNIVERSALIS
« Journal international de l’ONG CNRJ - International newspaper of NGO CNRJ
- Internationale Zeitung von der NGO CNRJ »
« Le sexe, arme de
guerre en RDC »
Par Jean-Claude Buuma Responsable du CNRJ-RDC
Madame Simond, présidente, leur adressait
Pour démoraliser les familles et les commu-
ces mots: « Je vous demande de bien vou-
nautés, les différents belligérants du conflit
loir prendre conscience que de tels actes ne
considèrent le sexe comme l’arme de guer-
peuvent continuer sans être punis. Je vous
re la plus efficace. Une femme ou une fille
demande également de faire tout votre
violée, c’est la tristesse de toute la famille,
possible, soit moralement, soit matérielle-
de tout le village ; c’est le déshonneur de
ment ; mais ce qui est le plus important
tous. Une femme violée est stigmatisée, ne
c'est le soutien du cœur : aider, soutenir,
peut plus se réunir avec d’autres femmes,
redonner confiance et espoir afin d’installer
elle perd toute sérénité et surtout elle perd
la paix dans tous ces cœurs et ces corps
sa joie de vivre.
meurtris par une telle injustice. Unissezvous pour construire dans votre famille,
Cette arme efficace, le sexe, est utilisée par
dans votre village et dans votre pays, la
tous les belligérants, y compris les forces
confiance, la protection afin d’être solidaires
gouvernementales (L’armée gouvernemen-
et unis pour faire face à ces monstres que
tale en tant qu’institution n’est pas concer-
l'on ne peut pas qualifier d'humains, telle-
née, seulement certains éléments des forces
ment leurs actes sont odieux et inaccepta-
armées sont mis en cause. Malheureuse-
bles.»
ment il arrive que ces éléments soient protégés par leurs chefs hiérarchiques)
Ce projet a pour but de rassembler des
dramatiques que vivent ces jeunes victimes
blique Démocratique du Congo constitue
Les victimes sont pour le plus souvent
de la région de Goma et d’essayer d’en
un drame humanitaire que les populations
abandonnées à leur triste sort : pas d’assis-
comprendre la problématique.
endurent déjà depuis les années 90. Cette
tance officielle, et les bourreaux sont en
région a été, et continue à être le théâtre
pleine liberté. Beaucoup des filles et femmes
d’une désolation des plus accentuées.
violées ne peuvent pas retourner dans leurs
Première parution d'un court texte qui en
milieux d’origines par crainte d’y retrouver
dit long pour présenter les situations dramatiques que vivent ces jeunes victimes.
Les populations civiles ont été les victimes
leurs agresseurs.
Nous voulons aussi tenter d’ouvrir des
de massacres, de pillages, d’exécutions som-
D’autres conséquences sont associées à ce
portes et des pistes sur ce qui pourrait faire
maires, de vols et surtout de violences
drame, notamment des conséquences socio
changer la situation à court, moyen et à long
sexuelles à l’égard des filles et femmes.
économiques, psychologiques, médicales…
terme. Ce projet veut également aborder
Cette situation a fait que les gens vivent
les tentatives qui sont faites pour leur venir
dans une profonde détresse, une extrême
Il est impérieux que ceux qui détiennent les
en aide. Nous vous invitons à communiquer
misère et une pauvreté sans pareille. Les
pouvoirs ou les responsables, locaux, pro-
ce document aux personnes qui auraient
familles doivent se déplacer d’une région à
vinciaux, nationaux et surtout internatio-
une influence pour aider cette cause.
une autre, d’un village à un autre à la re-
naux, puissent prendre des mesures pour
cherche d’une oasis de paix. Cette situation
lutter réellement contre l’impunité et éviter
Cette série de textes, magnifiquement illus-
fait de la RDC un « pays de honte et de
que ces actes de barbaries ne se reprodui-
trés par une jeune ivoirienne, Mafri Bamba,
mort ».
sent.
Article issus du LSU n°24 Avril 2015
témoignages, de présenter les situations
La situation sécuritaire de l’Est de la Répu-
et rédigé conjointement par Jean Claude
Buuma Mishiki, Urbain Kapoko, actifs à Go-
La guerre conduit à la pauvreté. Cette guer-
ma, Billy Mangole et Kalume Fefe, ont été
re sale du Congo Démocratique ne profite à
diffusés parmi les ambassadeurs de la paix
personne, sauf peut être à leurs planifica-
universelle de l’Afrique francophone.
teurs. Les populations sont obligées à vivre
dans une vulnérabilité la plus atroce.
Dans plusieurs cultures africaines, voire
toutes les cultures et spécialement la culture congolaise, le SEXE est considéré comme
la partie la plus intime et la plus sacrée de la
personne.
C’est la partie
de l’être, qu’on ne peut
dévoiler, exposer, celle qu’on se doit de
protéger.
SPECULUM UNIVERSALIS | Journal - Zeitung - Newspaper | N°24 | 04 2015 | www.cnrj.org | Page/Seite n° 1
SPECULUM UNIVERSALIS
« Journal international de l’ONG CNRJ - International newspaper of NGO CNRJ
- Internationale Zeitung von der NGO CNRJ »
Un autre groupe armé est venu attaquer ce
Témoignage d’Honorine
groupe. C’était pour moi l’occasion de fuir.
Il y a exactement trois ans, j’ai été violée
J’avais constaté que j’étais grosse ; j’ai eu du
par des hommes du FDLR. Ils sont entrés à
mal à l’annoncer à ma mère. Je voulais faire
trois dans notre maison, où nous étions
un avortement secret mais ma conscience
avec notre papa, notre maman et mes deux
et ma foi me l’interdisaient. Je ne voulais pas
petites sœurs. Ils ont d’abord imposé à
même pas voir cet enfant. Ma mère ne pou-
notre papa de leur donner de l’argent. No-
vait pas me garder ni m’assister à l’hôpital.
tre papa a été obligé de tout donner même
Lorsque je la voyais à la maternité elle faisait
l’argent qu’il cachait nous ne savions où,
remonter en moi les moments d’humiliation
dans l’espoir de sauver sa vie et la nôtre.
que j’avais vécus.
Ils ont ensuite enchainé notre papa mains
Chantal vit actuellement dans le quartier
derrière le dos. Nous pleurions beaucoup.
Au village nous ne pouvions pas trouver
Katoyi. Son histoire s’est déroulée à Pin-
d’aide de nos voisins : presque tout le village
ga, dans le territoire de Walikale. Elle est
était occupé par les rebelles. Puis les bandits
suivie par l’Association Folestine pour
nous ont dit qu’ils voulaient coucher avec
l’écoute mais sans aucune assistance
nous et que nous devrions choisir entre la
matérielle.
mort et le rapport sexuel.
Témoignage de Chantal
Ils nous ont violées en présence de notre
J’ai un enfant que je n’aime pas. Ma famille
village pour éviter la honte. J’ai honte aussi à
ne l’accepte pas non plus, ni toute ma com-
l’idée de ne plus jamais pouvoir regarder
munauté ethnique. Cet enfant est pour moi
mon père dans les yeux.
la cause de douleur et de souffrance interne. Je ne comprends pas comment le curé
J’ai perdu tout amour à cause de cette tri-
de ma paroisse a pu me dire un jour que cet
bu ; je ne sais pas si je pourrai un jour man-
enfant était un don de Dieu ! Quel don ? Et
ger avec eux. Ils ont réduit ma vie à néant.
quel est ce Dieu qui a permis que je sois
anéantie comme ça !
Loin de ma famille, j’ai été obligée d’abandonner l’école car je ne pouvais pas subve-
Nous avions abandonné nos villages pour
nir moi-même aux dépenses scolaires.
aller nous cacher très loin dans la forêt ;
Article issus du LSU n°24 Avril 2015
Père. Nous avons immédiatement quitté le
mais il nous fallait à manger, raison pour
Je regrette ma vie.
laquelle nous sommes parties à la recherche
de nourriture dans nos champs. Là des
Actuellement Honorine vit à Goma ;
hommes en armes qui parlaient le Kinyar-
Quartier Birere- Kabutembo. Elle est non
wanda nous ont surpris. Une fille qui était
encadrée, nous l’avions trouvée grâce au
plus audacieuse que nous a voulu fuir mais
Chef de la Division de la Jeunesse du
elle a été immédiatement
Nord Kivu.
tuée. Je tremblais beaucoup, je n’espérais
maîtrisée puis
plus la vie.
Leur chef dit que j’étais belle et qu’il ne
voulait pas me partager avec ses hommes. Il
m’a violée, là, avec une grande brutalité.
Puis il m’a emmenée chez lui dans leur base.
Là je suis devenue son esclave car je devrais
coucher avec lui chaque fois qu’il en avait
envie. Il prenait de la drogue, il m’a aussi
imposé d’en prendre pour que je sois aussi
forte que lui.
SPECULUM UNIVERSALIS | Journal - Zeitung - Newspaper | N°24 | 04 2015 | www.cnrj.org | Page/Seite n° 2
SPECULUM UNIVERSALIS
« Journal international de l’ONG CNRJ - International newspaper of NGO CNRJ
- Internationale Zeitung von der NGO CNRJ »
Témoignage de Nadia
Témoignage de Francine
Je n’ai pas été violée d’une manière ordinai-
Une conséquence à mon malheur est sur-
re, mais ma situation est plus qu’un viol.
venue quelques années après celui-ci. J’avais
été violée à Kashebere
par des hommes
Je suis orpheline de père depuis l’âge de 5
armés quand ils avaient occupé notre village.
ans. Je vivais avec ma mère mais elle a été
C’était un mal sans précédent… La suite de
tuée dans la guerre qui s’est déroulée dans
mon malheur a été que j’ai dû quitter le
notre village. Nous avons réussi moi et ma
village pour cacher ma honte car les garçons
petite sœur à prendre fuite pour nous re-
de mon village ne pouvaient pas aimer ni
trouver ici dans ce camps de déplacés de
respecter une fille violée.
Mugunga 3.
Dans l’autre village où je me suis orientée,
Ici il n’y a rien à faire, nous sommes sans
très loin de mon village, j’avais trouvé un
ressources. Pour manger je dois me prosti-
homme pour m’épouser ; mais quelque
tuer, chose que je n’aurais jamais fait chez
temps après mon mariage, mon mari apprit
moi. Ici, des hommes, n’importe qui, peut
que j’avais été violée. Ce jour là est devenu
m’avoir pour 1 dollar, ou 1000 francs CFA,
le jour encore plus triste et plus humiliant
ou même moins, je n’ai pas de choix.
de ma vie. Mon mari était catégorique : il ne
pouvait pas vivre avec « une femme de tout
C’est vraiment de la honte pour moi mais il
le monde. »
n’y a rien d’autre à faire ; c’est la consé- Il faut que tu ailles rejoindre tes hom-
né un jour d’avoir à vivre comme ça ; je
mes, avait conclu définitivement mon mari.
pensais que j’aurai été une femme importan-
Pourtant il m’aimait ; je croyais qu’il finirait
te pour ce pays mais voilà que je vis le
par me rappeler pour rejoindre notre foyer
contraire.
mais je constate que les années passent, et
je ne vois rien venir … je ne savais pas que
Nadine Vit dans le camps de déplacés de
Mugunga 3 près de Goma ; nous l’avons
rencontrée personnellement, et elle a eu
le courage de nous raconter sa triste
histoire.
mon mari aurait pu me traiter de la sorte !
Article issus du LSU n°22 Mars 2015
quence de la guerre. Je n’aurais jamais imagi-
SPECULUM UNIVERSALIS | Journal - Zeitung - Newspaper | N°24 | 04 2015 | www.cnrj.org | Page/Seite n° 3
SPECULUM UNIVERSALIS
« Journal international de l’ONG CNRJ - International newspaper of NGO CNRJ
- Internationale Zeitung von der NGO CNRJ »
Témoignage d’Esther
Ces témoignages sont le résultat travail
magnifique d’écoute de la part de Jean Clau-
J’ai été violée à Shasha en novembre 2012,
de Buuma Mishiki. Il est inutile de les multi-
quand les
plier car, à seuls, ils nous montrent la situa-
militaires
du
gouvernement
fuyaient les M23 à Goma.
tion odieuse vécue par ces victimes, la précarité dans laquelle elles vivent. Ils nous
Ils étaient en colère d’être chassés par des
démontrent à quel point il est urgent de
rebelles alors ils ont violé plusieurs femmes
faire connaître le désarroi dans lequel vit
et filles de chez nous et des villages environ-
toute une population pour espérer être
nants.
entendue.
Ils sont venus à cinq dans notre maison,
chacun avec son arme et des munitions. Ils
m’ont imposé de me coucher par terre. Ils
ont commencé à me violer à tour de rôle.
J’avais perdu toute idée, je ne sentais plus
rien et je ne pouvais même plus bouger. Ils
ont ensuite introduit un morceau de bois
dans mon sexe. C’est à l’hôpital de Kirotshe
que j’ai été soignée.
Esther était encadrée par la Dynamique
des Femmes Juristes ; elle vit à Goma ;
Quartier Ndosho ; dans une famille d’ac-
que ces hommes avaient fait et assuré qu’ils
cueil.
n’avaient commis aucun crime. Pour moi,
N.B. Au moment où nous recueillons ce
c’est me considérer comme moins que
témoignage, un procès contre 40 militai-
rien : on me viole et puis on annonce que
res de l’Armée gouvernementale est en
aucun abus n’a été commis chez nous !
cours, d’abord
ouvert à Goma, puis
transféré à Minova près de Bweremana
Après une forte pression des ONG internationales, le gouvernement a fait semblant
d’arrêter certains violeurs mais je crois que
les vrais violeurs sont libres et sans aucune
inquiétude.
où sont d’autres victimes.
Article issus du LSU n°24 Avril 2015
Malheureusement, le gouvernement a nié ce
SPECULUM UNIVERSALIS | Journal - Zeitung - Newspaper | N°24 | 04 2015 | www.cnrj.org | Page/Seite n° 4