CE LIEN - Fédération Française de la Couture du Prêt-à

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CE LIEN - Fédération Française de la Couture du Prêt-à
12 e RENCONTRES INTERNATIONALES
DU TEXTILE ET DE LA MODE
FINANCEMENT DES JEUNES MARQUES
samedi 28 avril 2012 / 11h00
Modérateur
Sylvie Zawadzki, Déléguée Générale
Fédération française de la Couture du Prêt-à-porter des Couturiers et des Créateurs de Mode.
Intervenants
Isabelle Ginestet-Naudin, Directrice Générale Déléguée, CDC Entreprises, Directrice
Générale Mode & Finance.
Jérôme Helffer, Consultant en développement, Head On
Sébastien Saunier, Directeur Crédit aux Entreprises, IFCIC
Sylvie Zawadzki
Bienvenue à tous à cette première table ronde des Rencontres Internationales du Textile et de la Mode 2012. Le
sujet que nous allons traiter est sans doute le plus aride et le plus éloigné de l’expression artistique que l’on vient
chercher à Hyères, c’est néanmoins un sujet fondamental. En effet, les créateurs qui cherchent à s’exprimer au
travers d’une structure indépendante ont besoin de financement pour constituer leur marque. On s’aperçoit que
même s’ils sont très talentueux, ils connaîtront les pires difficultés pour continuer à exercer leur métier, à
construire leur entreprise et à pérenniser leur marque s’ils n’ont ni fonds de roulement, ni fonds propres
suffisants.
Nous avons déjà consacré deux tables rondes à ce sujet ici, en 2005 et en 2009. Cette troisième édition est donc
l'occasion de suivre l’évolution de ce thème dans le temps. Lors de sa préparation, nous sommes tombés d’accord
sur une première évidence : tous les professionnels, les financiers en particulier, constatent une plus grande
maturité des créateurs dans la manière dont ils abordent les problèmes entrepreneuriaux. Sans doute parce que la
situation économique a évolué et qu’ils sont très rapidement plongés dans les problématiques de la production. Je
pense que nous reviendrons sur ce point avec nos invités dont le témoignage ancrera davantage cette analyse.
Le deuxième grand changement est que la question du financement, en général réservée à des cercles
professionnels restreints, est depuis devenue un débat public : la presse et les pouvoirs publics s’y intéressent, des
groupes de travail ont été constitués par le Ministère de l’Industrie dans le cadre du comité stratégique de la filière
mode... De fait, il est apparu que le renouvellement des marques était important pour la vitalité du secteur tout
comme pour la place de Paris, mais aussi l'une des conditions du maintien de l’industrie en France.
Partant de là, un certain nombre d’outils ont été mis en place. Je vais brièvement les citer avant que nos
interlocuteurs vous les présentent en détail puisqu’ils sont en charge de ces dispositifs.
Je commencerai par le Défi (Comité de développement et de promotion de l'habillement), qui fournit notamment
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des aides ponctuelles pour les défilés, l'organisation de manifestations à l’étranger, la publication de cahiers
publicitaires dans un certain nombre de pays étrangers...
Viennent ensuite des outils plus structurants comme le Fonds de Garantie des entreprises de création, financé par
le Défi et le Ministère de l’Industrie dont la gestion a été confiée à l’IFCIC, le Fonds d’Avance Remboursable créé
en 1999, également géré par l’IFCIC et Mode & Finance (lui-même géré par la Caisse des Dépôts et
Consignations) qui a traité un certain nombre de dossiers dont Isabelle Ginestet-Naudin nous parlera.
Je me tournerai d’abord vers Sébastien Saunier qui dirige le Crédit aux entreprises de l’IFCIC. L'Institut pour le
Financement du Cinéma et des Industries Culturelles a une bonne expérience, puisqu’il a été fondé en 1983.
Sébastien Saunier
Merci à la Fédération Française de la Couture de nous avoir convié à cette table ronde sur un sujet que nous
connaissons bien puisque nous y intervenons effectivement depuis 1983. L’IFCIC est un organisme privé, détenu
à 51% par l’ensemble des banques présentes en France et à 49% par l’Etat. Notre mission - faciliter le
développement des entreprises culturelles en favorisant l’accès au crédit - a été reconnue d'intérêt général.
L’IFCIC se positionne comme intermédiaire entre les secteurs culturels dont la récurrence d’activité n’est pas celle
des secteurs industriels ou autres et les banques. Nous avons pour cela développé plusieurs outils qui sont, pour le
secteur de la mode, le Fonds de Garantie financé par le Défi et le Ministère de l’Industrie, et le Fonds d’Avance
Remboursable abondé par le Ministère de la Culture et de la Communication et soutenu par les maisons Chanel,
Louis Vuitton et Balenciaga. Le budget octroyé par vote nous permet d'accompagner les jeunes créateurs de mode
dans leur développement et notamment d’avoir des effets de levier vis-à-vis du monde bancaire qui a envers leur
activité une appréhension assez particulière voire complexe parfois. En effet, ce secteur est plein de particularités :
cycle d’exploitation très long, besoin en fonds de roulement important par rapport au chiffre d’affaires réalisé au
démarrage... C'est ce que nous expliquons aux banques tous les jours et nous intervenons en garantissant les
crédits qu'elles accordent ou en prêtant directement dans le cadre du Fonds d’Avance Remboursable.
Sylvie Zawadzki
Compte tenu de l’expérience de l'Institut, pouvez-vous nous préciser quels sont les points communs entre la mode
et les autres industries culturelles dont vous vous occupez depuis un certain nombre d’années ?
Sébastien Saunier
Il existe effectivement quelques similitudes entre elles. Quelle que soit l’entreprise culturelle – édition de livres,
labels de musique… - nous parlons de financement de projet plutôt que de pur financement d’entreprise. Nous
avons probablement une capacité d’interprétation de l'activité mode et des outils un peu plus pointus que ceux des
banques qui n’ont pas cette approche. Aujourd’hui, nous avons appliqué à votre secteur des mécanismes déjà
activement mis en œuvre pour un certain nombre d’entreprises culturelles, notamment dans le secteur de la
musique où l'on prêtait déjà car les banques voyant le chiffre d’affaire de ce secteur diminuer n’était pas vraiment
enclines à s’engager.
Nous avons développé ces outils non pas pour nous substituer au milieu bancaire, qui doit continuer à vous prêter
de l’argent, mais bien pour créer un effet de levier et compléter un ensemble de dispositifs qui existait déjà. Nous
l'avons vu, cette notion de financement de projets, cette alternance d’activité donne une visibilité difficile à
appréhender pour les banques.
L'autre point commun à l’ensemble de ces entreprises culturelles est qu'il faut accumuler un certain nombre
d’aides pour pouvoir vous accompagner. Les crédits d’impôt sont par exemple des vecteurs importants pour
l’ensemble de la filière bancaire, tout comme les subventions bien évidemment, ou les aides sur des manifestations
professionnelles qui peuvent exister. Viennent ensuite d’autres dispositifs comme les fonds d’investissement. Tout
cela se complète et vous permet d'avoir à vos côtés à peu près l’intégralité des outils existants pour faciliter le
financement de votre développement.
Sylvie Zawadzki
Nous reviendrons un peu plus tard sur l'importance du cycle d’exploitation car je crois qu’il est fondamental, mais
également sur les problèmes de crédit d’impôt recherche. Je vais à présent demander à Isabelle Ginestet-Naudin ce
qui détermine le choix d'un dossier par Mode & Finance, dont vous êtes la Directrice générale. Les critères
financiers sont évidents, mais quels autres types de données prenez-vous en compte pour intervenir ?
Isabelle Ginestet-Naudin
Mode & Finance intervient dans les sociétés en équilibre financier qui atteignent un chiffre d’affaires de 500 000
euros. C’est déjà une première condition, qui n’est pas toujours évidente à atteindre car 500 000 euros de CA
peut paraître peu, mais c’est déjà conséquent. Ensuite, les critères déterminants pour nous sont les hommes et les
femmes qui créent ces marques : leur personnalité, leur capacité à intégrer toutes ces dimensions. En effet, le
créateur qui lance une jeune marque doit gérer et superposer beaucoup d’activités qui demandent de réunir de
nombreuses compétences : à la fois de structuration financière certes, de production et de commercialisation. Ce
qui veut dire qu’il doit y avoir - et ça c’est quelque chose auquel Mode & Finance est très attaché depuis l’origine –
un binôme créateur / gestionnaire, de façon à ce que toutes les chances de succès soient réunies pour permettre
d’atteindre les premières étapes de la structuration d’une entreprise de mode. Par ailleurs, nous examinons de
manière très attentive la part du chiffre d’affaires qui va être réalisée à l’export. Parce qu’il est tout à fait
primordial que ces marques puissent avoir une existence à l’international de façon à pouvoir évoluer le mieux
possible.
Sylvie Zawadzki
Jérôme Helffer, vous êtes consultant pour un certain nombre d’entreprises émergentes. Ont-elles une
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problématique commune ? Vous avez eu affaire à la fois à l’IFCIC et à Mode & Finance pour les marques que vous
conseillez. Comment avez-vous préparé cela avec elles, quels problèmes avez-vous rencontrés et qu’en ont-elles
retiré ?
Jérôme Helffer
Je pense tout d'abord qu’il faut ce se poser cette question : qu’est-ce qu’une marque de créateur ou une marque
créative ? Les marques émergentes ont à la fois les problématiques de financement de la mode mais aussi celles de
financement des industries du savoir-faire et du luxe. En premier lieu, il s'agit de la nécessité de financer un cycle
extrêmement complexe car celui de la création est très long. Il faut à peu près cinq mois pour entamer une
collection, qui sera présentée en général pendant un mois pour les meilleurs, pendant peut-être une semaine pour
ceux qui sont moins avancés en terme de structuration. Puis, le processus d’industrialisation qui suit dure encore
quatre mois. On entre dans une logique de gestion de la saison pratiquement douze mois après avoir commencé la
collection. La deuxième difficulté est de financer déjà la saison suivante avant d’avoir commencé à récupérer le
chiffre d’affaires de la précédente. Je dirais que souvent il y a trois saisons qui se superposent en terme de
financement. Cette problématique de gestion de la saisonnalité est commune à tous dans l’industrie de la mode.
Quand on commence, on est dans une espèce d’engrenage infernal, et contrairement à d'autres industries
culturelles, on ne peut pas s’arrêter. Dans le cinéma, quand vous faites un film, vous n’êtes pas obligé d’en refaire
un systématiquement après. Alors que le créateur aura beau vouloir installer quelque chose dans la durée, il lui
faudra tout de même remettre son tablier tous les six mois et être meilleur à la saison suivante. Au-delà de la
gestion, certains créateurs sont très à l’aise sur la saison d’hiver mais n’arriveront pas à s’exprimer sur la saison
suivante, c’est une sorte de saisonnalité de la création.
La proximité de l’industrie du luxe, mène, comme on l’a dit, à une internationalisation presque immédiate. On
commence un projet qui a une dimension artisanale... mais qui doit parler presque instantanément à toutes les
capitales du monde entier. Ce premier point est une réelle difficulté. Le deuxième, que l'on peut retrouver dans
l’industrie du luxe ou dans certaines industries culturelles, est la nécessité d’investir énormément parce que les
coûts de collection sont très élevés (souvent entre 50 et 100 000 euros pour des marques de créateur). Les coûts de
défilé ou de présentation sont extrêmement onéreux car ils répondent à une exigence forte de se mettre tout de
suite au niveau d’une filière luxe. Cette barrière à l’entrée peut être infranchissable. D’où la nécessité pour ces
marques émergentes d'avoir rapidement des process qui ressemblent à ceux que l'on peut avoir dans le luxe: c’està-dire la qualité, une livraison en temps et en heure, un rapport-qualité-prix-style qui soit juste... J’insiste aussi
sur ce point car cette problématique de la vente des vêtements à un certain prix, avec un respect de la chaîne
qualitative et la promotion d’un savoir-faire dans la durée est importante.
Nous rencontrons en permanence cette dichotomie qui est très complexe : financer à la fois une industrie de mode
et une industrie culturelle. Je ne parle même pas de tout le capital humain que cela nécessite en interne - avoir des
gens à disposition qui travaillent pour vous, des modélistes qui permettent de supporter le niveau d’un projet mais aussi de toute la structuration externe : il faut tout de suite protéger sa marque, entrer dans des
problématiques juridiques extrêmement complexes et répondre à des besoins de logistique internationale… Avoir
à facturer dans le monde entier n'est pas toujours très simple. Le tout en ayant une période de commercialisation
extrêmement courte. Pour toutes ces raisons, cette industrie est synonyme de financements atypiques, notamment
d'un investissement dans la durée car elle rencontre un problème de point mort : durant les cinq ou dix premières
années de la vie de l’entreprise, la rentabilité va être inexistante ou très faible. Elle va donc reposer sur des
mécanismes d’aides, de type crédits d’impôt, et c’est la carte à jouer pour que ces marques existent dans la durée à
la différence d’autres entreprises de mode.
Sylvie Zawadzki
Le développement d’une marque est très long et ce facteur temps décourage souvent les investisseurs car le retour
sur investissement arrive tardivement. Isabelle Ginestet-Naudin, Sébastien Saunier, comment appréhendez-vous
ce phénomène de temps dans l’étude des dossiers que vous recevez ?
Isabelle Ginestet-Naudin
Le fonds Mode & Finance a été créé en 1999 à l'initiative de Didier Grumbach, et lorsque la Caisse des Dépôts en
a repris la gestion en 2009, le constat partagé a été qu'il fallait essayer de donner une visibilité plus longue. C’est la
raison pour laquelle Mode & Finances a été prorogé de quatorze années, ce qui nous permet d’avoir à la fois un
temps d’investissement correct pendant quatre ou cinq ans, et surtout de pouvoir accompagner l’entreprise plus
loin que les sept ou huit ans qui sont souvent le cadre dans lequel s’expriment les autres fonds d’investissement
classiques.
Je voudrais revenir sur l'évolution des mentalités que vous avez évoquée. Parmi l'ensemble des outils dont nous
parlons aujourd’hui, au moins deux sont tout à fait nouveaux : le Fonds de Garantie et le Fonds d’Avance aux
jeunes créateurs. Il était absolument indispensable de mettre en place ce palier pour que l’investisseur en fonds
propres puisse ensuite véritablement jouer son rôle. Je ne peux que me réjouir de cette avancée parce que si les
premières étapes ne sont pas financées par des crédits grâce notamment à un système facilitant leur octroi, le
créateur ne pourra pas attirer un investisseur pour qu'il entre dans son capital. Même si la Caisse des Dépôts a
vocation en tant qu’institution financière publique à aller sur des segments de marchés difficiles, elle a, en tant
qu’investisseur avisé, l’obligation de démontrer le succès de son investissement et d’avoir un certain retour sur
financement. Et cela est juste impossible si l'on doit palier à la fois le manque de financement bancaire classique et
les autres systèmes. Le Fonds d’Avance est tout aussi intéressant, comme nous l'avons vu auparavant pour la
musique. Nous avons aussi, via le fonds Patrimoine et Création, une habitude et une communauté d’intervention
avec l’IFCIC, puisque c’est un fonds plus mature qui s’adresse aux industries créatives et plus précisément le
cinéma, la production audiovisuelle, l’édition, la musique, qui ont absolument besoin que les premières étapes
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soient véritablement financées. Des efforts communs ont été faits, notamment par le Défi, qui a véritablement
aidé pour que ces outils voient le jour et je m'en réjouis.
Sylvie Zawadzki
On parle de certains outils depuis une dizaine d’années déjà, notamment du Fonds de Garantie. Ce dernier,
comme son nom l’indique, sert à garantir des crédits bancaires. L'un d'entre vous a-t-il constaté une évolution
dans l’attitude des banques, très frileuses dans le domaine de la mode. Il faut rappeler qu’il n’y a pas plus de
défaillances dans le secteur de la mode que dans les autres secteurs, mais, disons que son image n’est pas forcément
celle qui séduit les banquiers. Alors, la constitution de ces outils a-t-elle changé la vision des banques ?
S'appuient-elles sur votre expertise, par exemple ? Est-ce qu’elles tirent des enseignements de ce que vous-même
vous pouvez leur communiquer ?
Sébastien Saunier
Cela rejoint la problématique du facteur temps difficile à appréhender par les banques. Etre, dans une période
d’amorçage, en endettement bancaire ou en avance remboursable, c’est effectivement quelque chose qui aide à
structurer la société, qui permet ensuite de négocier correctement l’entrée d’un l’investisseur dans le capital et
d'avoir une vision des remboursements à cinq, sept ou huit ans. Néanmoins, au départ, il est difficile de séduire
les banques en parlant de timing lorsqu’on est sur des plannings de prêt. L'IFCIC est intervenu alors que
l’instruction était déjà bien entreprise sur le montage de ce Fonds de Garantie. Nous avons dès le départ voulu
intégrer les réseaux bancaires aux discussions pour qu’ils puissent également réfléchir à comment traiter et se
sensibiliser au secteur de la mode. Effectivement aujourd’hui, et malheureusement ce facteur vaut pour tous les
secteurs d’activité, les banques sont de plus en plus normées et les crises financières ont un peu plus durci les
critères d’éligibilité à l’octroi d'un crédit. Cela devient extrêmement compliqué, la gestion de risque se fait de
manière statistique et il y a des bonnes et des mauvaises entreprises dans n’importe quel secteur d’activité. Notre
travail au quotidien est de leur démontrer que nous sommes sur du financement de projet, qu’il faut moins
regarder l’entreprise en elle-même car si on s'arrête exclusivement au résultat net de l’entreprise à quatre ou cinq
ans, on va juste se faire peur et se dire qu’il n’y aura pas de capacité de remboursement. Pour le prendre à contrepied, nous avons monté des dispositifs pour inciter à financer vos cycles d’exploitation, c’est-à-dire que le fonds
de prise de participation de la CDC doit intervenir sur un développement à long terme une fois que vous aurez
structuré votre entreprise. En attendant, il faut vous permettre de gérer vos paliers de croissance et qu’à chaque
collection, vous ayez une progression de l’activité. Pour cela, il faut faire relayer le cycle d’exploitation un peu long
et se baser sur des choses tangibles auprès des banques et leur dire « Il y a quand même un énorme avantage dans la
mode : vous avez des bons de commande qui vous donnent une immédiateté du chiffre d’affaires à six ou sept mois
et une tendance sur les prochains résultats. Prenez-le en considération car cela a une valeur. Ne focalisez pas sur
un chiffre d’affaires et un résultat net à quatre ou cinq ans ».
Il est vrai que pour les banques, un bon de commande ou une facture, ce n’est pas tout à fait la même chose. Cela
leur donne toutefois une visibilité et c’est vraiment là-dessus qu’on s’appuie. L’IFCIC ayant une spécificité
sectorielle, nous avons été très vite mis en relation avec les banques, notamment pour les intégrer dans le processus
de décision avec l’aide des Fédérations. Je ne dis pas qu’au quotidien cela soit très facile mais c’est le rôle du Fonds
d’Avance justement : faciliter encore plus l’amorçage face à certains opérateurs. Nous sommes déjà intervenus en
avance remboursable pour dire aux banques « vous ne voulez pas prêter tout seul avec notre garantie à 70% ? Eh
bien nous allons prêter directement et en complément, vous prêterez avec une garantie »
Sylvie Zawadzki
Jérôme, pouvez-vous nous donner la vision du côté du créateur, comment cela se passe-t-il ?
Jérôme Helffer
Les banques, qui ont une aversion du risque, regardent ce secteur du mauvais côté : un cycle de mode à financer
mais avec des créances non maîtrisées. Au guichet d’une banque française, on ne comprend pas toujours que l’on
peut s’appuyer sur une commande émise par un grand magasin japonais. Il y a donc très peu de possibilité
d’escompte, de factoring dans le secteur parce qu’il y a trop de saisonnalité, trop de petites factures, ce qui n'est
pas très rentable. De plus, ce sont des sociétés qui ont très peu de chiffre d’affaires en France. Une banque ne sait
pas travailler avec ces outils et dans ces conditions-là. Effectivement elle va regarder les fondamentaux d’une
entreprise et souligner qu'il n'y a pas de rentabilité, pas de fonds propres parce qu’il y a très peu de choses activées
dans le bilan. On pourra revenir sur le sujet, mais une collection n'est pas considérée au niveau comptable par la
banque comme de la recherche et du développement dans le domaine de la mode. Les collections sont inscrites
dans les postes de charge et non pas dans les postes d’actif. Pour être clair, le dialogue avec les banques est
extrêmement difficile, et dans les derniers exemples que nous avons eus, les situations n'ont pu être dénouées
malgré un certain nombre de garanties provenant des fonds d’investissement et de l’IFCIC. Alors qu'il s'agissait
parfois de seulement 10 000 ou 20 000 euros afin que le créateur puisse finir sa production, donc livrer,
continuer d'exister et d'intéresser toujours le fonds d’investissement. Je ne peux pas dire que les banques aient
aujourd’hui un regard très positif sur le secteur. D’où l’importance que tous ces mécanismes dont on parle
fonctionnent ensemble dans les bons rythmes et dans les bons cycles car, et c’est important, les sociétés de mode
ont besoin d’argent à certains moments mais pas en permanence, sinon la dette continuerait de s’accumuler.
Sylvie Zawadzki
Très souvent, les besoins ne sont pas énormes, mais ils doivent être débloqués très vite. Les problèmes de temps et
d’anticipation ne sont pas toujours évidents.
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Jérôme Helffer
Ce point est d’ailleurs très mal compris par les banques : déclencher trop tard le prêt à une marque de créateur n’a
aucun sens, s’il livre avec trois mois de retard, il s’auto-détruit.
Sébastien Saunier
Je rejoins Jérôme : la complémentarité de nos dispositifs et le fait que l’on soit vraiment impliqué les uns avec les
autres est très important pour la crédibilité du secteur vis-à-vis du monde bancaire et des investisseurs. Comme ils
n’ont effectivement pas d’indicateur dans votre bilan de la valeur de votre marque, ces financeurs ont besoin d’une
sorte de labellisation. Celle-ci découle de l'accompagnement de certains organismes comme le Défi, par la
cooptation de votre marque par la Fédération auprès des réseaux bancaires... Tout cela va vous donner de la
crédibilité et permettra de passer l’autocensure du chargé de clientèle qui a des objectifs commerciaux car il va se
dire « Bon, finalement, le dossier à l’air plutôt bien porté, il est encadré par l’ensemble de la profession, on
m’amène déjà des solutions de financement… ». Il se dira qu’on lui mâche déjà le travail et c’est important. Il est
vrai que le processus prend énormément de temps, mais il faut reconnaître que le secteur de la mode était assez
peu habitué à aller voir les banques et les financiers. A juste titre puisqu’il y avait une sorte d’incompréhension des
deux côtés, tout comme dans le secteur de la musique. Aujourd’hui, une avance sur deux que l’on octroie via le
Fonds d’Avance pour l’industrie musicale permet d’obtenir un crédit bancaire complémentaire. Pour nous, cela
signifie qu’il y a un vrai rôle de maintien de l’activité bancaire dans ce secteur. Concernant celui de la mode vers
lequel nous sommes portés, à l’IFCIC, depuis un an déjà, il faut s’appuyer sur les réseaux bancaires que nous
avons sensibilisés pour vraiment mettre le pied à l'étrier. Une fois que ce sera lancé, j’ai vraiment bon espoir que
nos dispositifs complémentaires serviront à faire le levier nécessaire. C’est bien que nous soyons effectivement très
proches les uns des autres et n’hésitez pas, si vous faites des démarches, à vraiment vous rapprochez de l’ensemble
des acteurs ; c’est important pour la crédibilité de votre dossier auprès des financeurs.
Jérôme Helffer
Aujourd’hui, un créateur est plus un animal entrepreneurial qu’un animal créatif. S’il n’est pas un peu
entrepreneur, il ne passera pas le cap des trois ou quatre premières années. Le principe de sélectivité est aussi très
important, on ne peut pas passer son temps à mutualiser les risques, les services et à donner des aides à trop de
gens. C’est l'un des métiers les plus difficiles que j’ai rencontré, avec des alchimies très complexes, où il faut
donner du temps au temps tout en étant à la fois extrêmement réactif. Vous pouvez avoir le plus beau produit du
monde, si le client est livré avec trois mois de retard, cela ne vaudra rien. Si les banquiers n’ont pas l’impression
d’avoir des entrepreneurs en face d’eux mais toujours des créatifs qu’il faut rassurer, qui peuvent disparaître du
jour au lendemain, c’est impossible.
Sylvie Zawadzki
D’un autre côté, les équipes se constituent quand on a des financements. A moins que ce soit des personnes qui
s’investissent par pure passion, ce qui n’est pas toujours le cas, il est compliqué pour le créateur, au départ, de
s'entourer de compétences quand il n'a précisément pas les moyens de les payer.
Jérôme Helffer
D’où importance des fonds d’amorçage...
Isabelle Ginestet-Naudin
Exactement, et de l’importance d'un écosystème qui permette de financer ces étapes et de rémunérer ces
compétences absolument cruciales qui vont permettre à l’investisseur en capital de ne pas jouer le rôle de la
banque comme cela a pu être le cas parfois.
Sylvie Zawadzki
Je pense que nous pouvons dire quelques mots sur les autres possibilités de financement pour les jeunes
entreprises de création. Par exemple, le recours aux contrats externes qui sont souvent les bienvenus parce qu’ils
apportent de la trésorerie et équilibrent les comptes au départ mais qui peuvent aussi poser problème quand ils
sont trop importants et quand le créateur ne constitue pas des équipes suffisantes dans sa propre société.
Isabelle Ginestet-Naudin
Vous avez tout à fait raison, mais en tout état de cause, au début de la vie d’une marque, ils sont comme vous le
rappeliez absolument primordiaux pour essayer d’équilibrer les comptes et avoir une source de revenus.
Effectivement, la difficulté est d'arriver à conserver une très grande partie de son énergie à consacrer au
développement de sa propre marque.
Jérôme Helffer
Effectivement le label de marque créateur permet d’avoir une activité de services de consulting pour d’autres
marques, ce qui est moins le cas d’une marque produit ou qui ne se révèle pas être l’incarnation d’un vrai créatif.
C'est une case extrêmement importante car très vertueuse en rentabilité et en cash flow puisque les contrats de
service sont payés presque avant prestation. C’est un jeu d’équilibre qui n’est pas simple d'autant qu’il y a plusieurs
types de consulting, que je classerais en trois grandes familles. En premier lieu, la direction artistique pour une
autre maison qui est extrêmement chronophage, presque un travail à temps plein pour le créatif. Sans une équipe
capable de s’occuper de tout le reste en l'absence du créatif, le procédé ne peut pas fonctionner très longtemps. Il y
a des directions artistiques qui sont aussi extrêmement concurrentielles par rapport à l’univers du créatif, ce qui
est assez logique puisque le choix du créateur est fait en fonction de son univers, en principe assez proche de la
marque récupérée. Ce n’est cependant pas forcément souhaitable au démarrage, car c’est très lourd et cela
implique plutôt de mettre son projet de marque en sommeil pour ne pas faire trop de choses en même temps.
Viennent ensuite des consultings qui présentent un meilleur rapport qualité-prix-temps, qui peuvent être de
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nature plus internationale. Il s’agira d’aider des industries émergentes ou des pays émergents à avoir accès à la
création sur leur projet, ou peut-être des travaux de capsules, de connections courtes sur leur maison. C’est à mon
sens le schéma idéal car il laisse du temps au créateur pour continuer à travailler sur sa marque.
La troisième catégorie concerne les collaborations courtes pour conseiller des marques, intéressantes en apport de
cash et de rentabilité. L’important pour moi, c’est qu’il n’y ait pas un projet qui tue l’autre.
Sylvie Zawadzki
Il faut donc trouver un équilibre. On sait qu’un certain nombre de jeunes marques ont par exemple trouvé des
contrats de consulting en Chine, qui leur ont été utiles…
Jérôme Helffer
Il faut être assez réaliste : beaucoup de marques de créateur ne deviendront pas des marques.
L’évolution possible est de devenir un designer pour continuer à développer ses travaux personnels et d’alimenter
les contrats de service, comme peut le faire un designer dans le secteur du meuble. C’est un modèle économique
extrêmement viable et qui va permettre d’exister dans la durée. J’ai de nombreux exemples de ce style.
Sylvie Zawadzki
Mode & Finance n’a pas des fonds suffisants pour permettre à une marque d’ouvrir des boutiques. Cependant, à
une étape de son développement, cela devient souvent impératif. Est-ce que Mode & Finance doit devenir plus
important ? Y a-t-il d’autres investisseurs qui peuvent prendre le relais ?
Isabelle Ginestet-Naudin
J’espère que certains outils que nous avons évoqués vont permettre à Mode & Finance de jouer son vrai rôle
d’investisseur et que cette Institution ne soit pas là uniquement pour palier les carences et absences du marché.
Après trois ans de gestion de ce fonds, le constat que nous en tirons est qu’effectivement, il y a une grande
frustration sur notre capacité d’investissement à pouvoir accompagner la marque véritablement jusqu’à un modèle
de distribution qu’elle maîtriserait. Mais c’est absolument impossible sans une augmentation des moyens de Mode
& Finance. Je vais donc militer pour un accroissement de nos moyens faute de quoi nous ne pourrons pas jouer
notre rôle. Certains fonds, comme ceux de l’ISF, ont permis de financer certaines jeunes marques sans qu’elles
soient forcément des marques de créateur. C’est en tout cas un outil intéressant parce qu’il n’existait pas il y a
quelques années, mais aussi parce qu’il va peut-être avoir un effet sur un nombre plus important de marques de
vêtements et générer une démarche commerciale beaucoup plus forte. Oui, je crois qu’il est important de pouvoir
augmenter nos moyens de façon à ce que l’on puisse accompagner les marques vers cette étape absolument
nécessaire.
Sébastien Saunier
D’autant plus que, selon moi, l’effet de levier est un peu plus facile à actionner vis-à-vis d’un financement parce
que tout d’un coup, avec une boutique, nous revenons à du matériel. Or une banque va savoir valoriser un fonds
de commerce, un emplacement, etc. Le ticket à remettre à un jeune créateur pour passer cette marche là est
probablement un peu inférieur par rapport au moment de la création pure, où là nous sommes dans l’immatériel
et où la banque n’a pas vraiment de visibilité. Quand il s’agit d’accompagner une ouverture de boutique, nous
sommes sur une valeur de bail, sur une valeur d’investissement, sur quelque chose de beaucoup plus évalué
traditionnellement dans les commerces.
Jérôme Helffer
Il y a un point de bascule capitalistique au moment de la phase d’amorçage… quand la marque de créateur bascule
vers un modèle établi, elle a moins besoin d’engager de fonds pour avoir un effet de levier bancaire.
Isabelle Ginestet-Naudin
La capacité de Mode & Finance commence à 400 000 euros et peut aller jusqu’à un million en fin de vie. Mais de
toute façon, lorsqu’on regarde l’histoire d’une marque, ce n’est pas suffisant pour aller loin.
Jérôme Helffer
Le timing de bascule d’une marque peut survenir entre la cinquième et la dixième année d’existence, après quoi
l’évolution peut être très rapide. Il est intéressant de constater qu’une marque de créateur qui survit peut ensuite
avoir des accélérations très fortes. Il faut parfois dix ans pour faire un million d’euros, puis cinq ans pour faire dix
millions d’euros et cinq ans encore pour en faire cent. Il existe quelques bons exemples. Ca vaut le coup de
prendre le risque de financer cette période de latence qui est très capitalistique. Très souvent, un euro investi
génère un euro de chiffre d’affaires.
Sylvie Zawadzki
Concrètement, Isabelle, avez-vous de bons espoirs pour que le fonds Mode & Finance puisse intervenir en
trouvant de nouveaux investisseurs ?
Isabelle Ginestet-Naudin
Si je me réfère à Patrimoine et Création, plus mature, cela va être difficile. Ce sera possible lorsque nous aurons
fait la démonstration d’un modèle convaincant vis-à-vis des souscripteurs classiques. Nous avons réussi à le faire
sur Patrimoine et Création avec des succès et des retours sur investissements. Je pense que cette démonstration est
nécessaire pour que nous puissions attirer d’autres investisseurs mais je crois que c’est l’intérêt général sur lequel
nous allons essayer de baser notre effort commercial.
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Jérôme Helffer
Ce qui nécessite aussi de réfléchir à des modèles économiques innovants. Nous nous apercevons aujourd’hui qu’il
y a souvent beaucoup de créativité dans la première phase de la chaîne, mais que ces marques font presque toutes la
même chose au moment de la commercialisation. Nous savons que le réseau s’assèche pour ces marques-là et il y a
probablement des stratégies multi-canaux à appliquer, mais cela prend du temps. Je pense aussi que ce sont des
années difficiles : nous avons des coûts de créativité et pas suffisamment d’innovations en termes de
commercialisation.
Sylvie Zawadzki
Peut-on revenir sur le crédit d’impôt, qui est un élément important ? Le crédit d’impôt vidéo nous a beaucoup
intéressés lorsque nous nous sommes réunis, car le crédit d’impôt collection est plus important en termes de
pourcentage, mais il est en revanche plafonné à 200 000 euros sur trois ans. Ce qui est extrêmement pénalisant
quand une marque, une fois passées les premières années, commence à avoir un fort développement mais se
retrouve très vite privée de cette aide par le jeu du plafonnement. Or le plafond du crédit d’impôt vidéo s’élève
quant à lui, à trois millions d’euros.
Sébastien Saunier
Je peux témoigner de l’importance de ces dispositifs dans d’autres secteurs d’activité. Il y a effectivement le crédit
d’impôt jeu vidéo que nous avons évoqué ensemble, le crédit d’impôt de la production phonographique, de la
musique qui ne sont pas plafonnés et qui permettent d’entrer dans le budget de production. Comme nous parlons
de financement de projet plutôt que d’entreprise globalement, sur chaque album ou sur chaque jeu vidéo, nous
pouvons avoir une quote-part de 20 à 40 % prise en charge par le crédit d’impôt. Là encore, c’est un élément
labellisant vis-à-vis des financeurs. Ce qui sous-entend que vous avez déjà répondu à un certain nombre de
critères qualitatifs et quantitatifs. Une banque va aussi se dire « Il y a le crédit d’impôt, je suis donc assuré de me
faire payer à la fin de l’année ou en début d’année prochaine », ce qui peut donc vous permettre encore un peu
plus d’avance de trésorerie. Et effectivement, il faut que ce crédit d’impôt soit cohérent avec le montant des
investissements à opérer. Il est vrai que lorsque nous effectuons une simulation à 200 000 euros sur trois ans par
rapport au budget de collection dans une entreprise en pleine croissance, nous atteignons vite le plafond, ce que
nous ne connaissons pas forcément dans d’autres secteurs d’activité – je ne parle pas du cinéma, qui est vraiment à
part : quand on fait un film, on l’a déjà pré-vendu donc c’est différent. En revanche, sur toutes les entreprises
culturelles ces crédits d’impôt ont un véritable effet de levier.
Sylvie Zawadzki
Nous avons des interlocuteurs du Ministère de l’Industrie dans la salle, j’en profite donc pour faire passer un
message : ce dispositif est un élément important, et il est dommage que son plafonnement soit si bas. Je ne suis pas
sûre que nous puissions aller jusqu’au plafonnement des jeux vidéo car nous ne sommes pas dans la même
configuration. Mais cette aide est vraiment très importante, à la fois pour les banquiers, les investisseurs et pour
les jeunes créateurs en termes de trésorerie puisqu’ils peuvent en obtenir le remboursement.
Sébastien Saunier
J’aimerais insister sur le caractère labellisant du crédit d’impôt dans le secteur culturel : effectivement, ceux qui
décident de l’agrément provisoire ou définitif des crédits d’impôt sont les ministères de tutelle ou les organismes
nationaux qui collectent les taxes. Par exemple, c’est le Centre National du Cinéma et de l’image animée qui va
octroyer les agréments provisoires et définitifs pour le jeu vidéo. Ce n’est pas Bercy qui le fait directement, donc
c’est encore une labellisation supplémentaire car c’est une entité sectorielle qui aura décidé d’octroyer ce crédit
d’impôt. Bercy ne fait que suivre le versement ou le remboursement de ce crédit d’impôt. Pour la musique, c’est le
ministère de la Culture et de la Communication qui gère le crédit d’impôt. On pourrait très bien imaginer aussi
que le Défi, qui collecte la taxe, soit à un moment donné comme le CNC. Cela apporte de la crédibilité car c’est
une caution professionnelle qui n’est pas anodine.
Jérôme Helffer
Pour les marques avec lesquelles je travaille, le crédit d’impôt a un statut de produit financier. Deux changements
de règles ont fait beaucoup de mal à ces entreprises très capitalistiques. En premier lieu, le déplafonnement un
peu exceptionnel de 2009–2010, suivi d’un replafonnement assez brutal à partir de 2011. Je tiens à souligner que
ces entreprises fabriquent de l’emploi, elles ont des salariés, entretiennent une filière, fabriquent en France du
moins pour les collections. Ce replafonnement et le changement de méthode de remboursement ont fait beaucoup
de dégâts. Il n’est plus possible de demander un remboursement anticipé. Les sociétés clôturent souvent leur
exercice à fin mars alors que le crédit d’impôt est calculé sur des années civiles. Ce qui retarde de trois mois la
demande et le remboursement qui se faisait dans les trois mois est passé à neuf mois. Tout cumulé, nous arrivons à
un remboursement dans les derniers trimestres de l’année suivante.
Sylvie Zawadzki
Il y a tout de même un progrès part rapport à l’époque où il n’était pas remboursé… ou alors au bout de quatre ou
cinq ans !
Jérôme Helffer
Effectivement c’est un produit financier car les entreprises de ce secteur ont du mal à dégager de la rentabilité et
elles sont appelées à en demander le remboursement.
Isabelle Ginestet-Naudin
Il est nécessaire de maintenir ce crédit d’impôt à un niveau suffisant parce qu’il est absolument primordial dans
l’équilibre de ces marques.
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Sylvie Zawadzki
Je crois que nous pouvons donner la parole à la salle s’il y a des questions.
De la salle, Didier Grumbach, Président de la Fédération Française de la Couture, du prêt à
porter des Couturiers et des Créateurs de Mode
Y a-t-il dans la salle une marque ou un créateur qui a bénéficié de ces aides ?
Isabelle Ginestet-Naudin
Il y a effectivement un cas d’école - conseillé par Jérôme -, qui a bénéficié de l’avance sur remboursement pour les
jeunes créateurs et qui est désormais financé par Mode & Finance : il s’agit de Nicolas Andreas Taralis.
De la salle, Nicolas Andreas Taralis, Créateur
Bonjour. Cela fait un petit moment que nous travaillons sur les sujets évoqués ce matin avec Sébastien Saunier et
Isabelle Ginestet-Naudin. Je n’ai pas grand-chose à ajouter si ce n’est qu’il est très difficile, quand on est une
jeune marque, de rester indépendant, de financer sa marque sans l’assistance, sans l’apport en capital de Mode &
Finance et sans les outils de l’IFCIC. Je suis donc ravi qu’ils soient intervenus dans ma société.
De la salle, Clarisse Reille, Directrice Générale du DEFI
Je suis Directrice générale du Défi, dont Sylvie Zawadzki et Didier Grumbach font partie des administrateurs.
Cette organisation un peu hybride est le comité professionnel de développement économique de l’habillement et
le principal financeur de la filière habillement, puisque nous avons créé le Fonds de Garantie. Nous y avons
apporté un million d’euros au côté des 500 000 euros du Ministère de l’Industrie. En tant qu’actionnaires
majoritaires de Mode & Finance, nous avons accepté que le fonds soit prorogé et que la distance de jugement soit
prolongée à quatorze ans plutôt que sept. Nous finançons des défilés à la demande de la Fédération de la Couture
à hauteur de 75%, nous sommes fondateur et financier de l’ANDAM… Notre budget promotion est d’environ 9
millions d’euros sur les 11 millions d’attributions. Et accessoirement, nous sommes très heureux de financer les
Rencontres Internationales de Hyères !
Combien y a-t-il de créateurs dans la salle ?
Je voudrais rebondir sur le fait que les créateurs sont aussi des chefs d’entreprise, comme l’a souligné Jérôme
Helffer. C’est extrêmement important. Vous pouvez avoir tout le talent du monde, il faut être prêt à affronter les
responsabilités de chef d’entreprise. Une entreprise implique de savoir communiquer, de savoir vendre, savoir
suivre ses comptes… C’est très compliqué parce que le métier est horriblement compétitif. Etre créateur en France
demande d’être encore plus exigeant car toutes les grandes marques mondiales s’y trouvent.
J’aimerais que nous débattions sur « Comment le DEFI peut aider la filière à équiper et à outiller les jeunes
créateurs pour qu’ils soient de vrais chefs d’entreprise », parce que c’est le plus important. En effet, je vais
l’illustrer par deux exemples qui me choquent beaucoup. Je suis allée à un certain nombre de défilés de jeunes
créateurs. Rares sont ceux, je parle des jeunes créateurs français car les jeunes créateurs étrangers le font, qui
pointent quels invités se sont présentés. L’acte de base commercial est de remercier les gens qui sont venus et
d’envoyer un petit mot à ceux qui ne se sont pas déplacés. Par ailleurs, j’ai rencontré le Président de l’Association
des Propriétaires multi-marques de luxe et haut de gamme en Italie, il n’a jamais reçu d’invitation. Alors, ce que je
voudrais aujourd’hui, c’est que vous suggéreriez les moyens à mettre en place pour accompagner ces jeunes
créateurs chefs d’entreprise afin qu’ils soient encore plus efficaces ?
De la salle, Didier Grumbach, Président de la Fédération Française de la Couture, du prêt à
porter des Couturiers et des Créateurs de Mode
Je suis totalement en désaccord avec Madame Reille qui, si elle vous a posé des questions, c’est vrai, semble ne pas
avoir tenu compte de ce qui a été dit au préalable. Il est vrai que le Défi dépense 10% de son budget dans l’aide à la
création. C’est déjà très bien, mais le Défi n’a pas de ressources suffisantes pour changer le cours des choses et il
est essentiel que le système qui se met en place soit la base d’une construction plutôt que l’expression de nouvelles
idées sur lesquelles nous travaillons depuis dix ans.
Je pense qu’il y a urgence : nous n’en sommes pas à la recherche mais à la construction de quelque chose. Il a
toujours été très difficile, pour les créateurs, de monter des marques en France. Même dans les années 1960,
c’était déjà difficile, et ça l’est encore plus aujourd’hui. Le travail qui est fait ici est donc fondamental. Il ne s’agit
pas de critiquer des créateurs de mode qui ne sont pas managers. Un créateur doit être imaginatif mais absolument
pas manager ou gestionnaire. Une entreprise de mode a toujours été une association en duo entre un créateur de
mode et un manager. Je crois réellement que le travail qui est fait ne justifie pas qu’il soit remis en question.
De la salle, Clarisse Reille, Directrice Générale du DEFI
Je suis évidemment totalement en phase avec tout ce qui a été fait. Pour moi il s’agit d’aller toujours un cran plus
loin. C’est moi qui ai lancé l’appel d’offre pour le Fonds de Garantie par exemple, car il manquait effectivement le
financement de cycle dans la couture. Maintenant, je pense que nous pouvons aller au delà, faire comme à l’IFM
des formations « chef d’entreprise ». Mon but est d’aller plus loin dans la démarche et absolument pas de
critiquer.
De la salle, Didier Grumbach, Président de la Fédération Française de la Couture, du prêt à
porter des Couturiers et des Créateurs de Mode
L’Institut Français de la Mode est fait pour ça. Il faut arrêter de dire que la création en France n’est pas prise en
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compte. Un projet comme l’IFM n’existe nulle part ailleurs et il n’est pas nécessaire d’aller le concurrencer.
L’IFM, qui forme depuis quelques années les managers français et internationaux, les meilleurs, doit continuer à
jouer son rôle ; il appartient au Ministère de l’Industrie. Nous avons fait en France ce qu’il fallait pour que des
marques se créent et il s’en crée certaines dont nous savons très bien qu’elles vont perdurer.
Sylvie Zawadzki
En réponse à Clarisse Reille, je dirais que les créateurs savent parfaitement bien qui était présent à leur défilé et
surtout qui n’est pas venu. Quant aux acheteurs, ils les connaissent aussi puisque les ventes se font dans les
showrooms. Il ne faut vraiment pas penser qu’ils sont dans leur monde, dans leur bulle. C’est le constat que nous
avons fait, tous ensemble, sur l’évolution de leur mentalité. Un fort changement s’est opéré depuis les années
1980. Nous ne sommes plus dans la même époque, ni avec les mêmes créateurs. Soyons conscients que ces derniers
peuvent vous parler de leur entreprise, qu’ils la connaissent très bien, même si ce n’est pas leur job de faire cela.
Isabelle Ginestet-Naudin
Je voudrais m’exprimer sur la maturité, notamment sur l’ensemble des sujets entrepreneuriaux. Je gère
l’investissement direct de la CDC Entreprise et suis en charge de six fonds de 500 millions d’euros d’actifs, et je
peux vous assurer que j’ai constaté, depuis que je m’occupe de Mode & Finance, une grande évolution dans
l’intégration de tous les paramètres chez les créateurs. Il y a toujours mieux à faire, nous pouvons toujours aller
plus loin, et je crois que nous allons tous plus loin avec l’ensemble des mécanismes que nous avons cités et dont
pour certains vous êtes à l’origine. Ils leur permettent véritablement d’intégrer tout cela avant de pouvoir se
structurer et déléguer des responsabilités à d’autres personnes qui le feront mieux qu’eux pour se consacrer à la
création. Nous ne pouvons plus dire que ce ne sont pas des entrepreneurs comme les autres.
De la salle, Ralph Toledano, Président, Division Mode du Groupe Puig
Je voudrais confirmer ce que vous venez de dire. Il y a environ quinze, vingt ans, nous avions des designers, des
artistes qui exigeaient que des philanthropes viennent leur donner de l’argent. Cela a radicalement changé.
La seconde observation, concerne un problème pratique. Avant d’accompagner à titre amical certains créateurs, il
m’arrive parfois de leur dire « Il faut que vous ayez quelqu’un avec vous, un manager. » Effectivement, il n’y a pas
de succès sans binôme. La question est : comment le payer ? Quand je conseille les créateurs, que je leur amène
des personnes ressources, je me demande comment ils vont faire pour les rémunérer.
Ce que vous possédez chez Mode & Finance, c’est le nom du créateur. Comment valorisez-vous sa marque et
comment lui permettez-vous, le cas échéant, de la racheter puisque vous en détenez une partie ? Je pense qu’il faut
lui donner cette possibilité.
Isabelle Ginestet-Naudin
Effectivement, nous prenons une part dans le capital. C’est pour cela que j’insistais sur la nécessité de pouvoir les
accompagner vers la maîtrise de la distribution, étape qui va leur permettre de générer suffisamment de revenus
pour pouvoir intéresser un autre investisseur. Ce dernier prendra le relais et, à ce moment-là, valorisera son
développement. C’est absolument nécessaire, de façon à ce que le créateur ait les moyens de nous racheter notre
part. Même si nous arrivons jusqu’à la maîtrise de la distribution, le cycle ne va pas générer suffisamment de
revenus pour qu’il puisse nous la racheter intégralement et seul. Ou alors il s’endettera pour ce faire, ce qui peut
générer d’autres complications.
En revanche, il y a un stade où il est nécessaire de pouvoir l’accompagner pour qu’il puisse aussi intéresser
quelqu’un qui prendra notre suite de façon à poursuivre sa croissance.
De la salle, Ralph Toledano, Président, Division Mode du Groupe Puig
Comment valorisez-vous votre participation ?
Isabelle Ginestet-Naudin
Plusieurs paramètres entrent en ligne de compte : le chiffre d’affaires est un des paramètres de la valorisation de
l’entreprise et de sa marque puisque Mode & Finance n’intervient que dans une société détentrice de la marque.
Nous sommes quand même aujourd’hui dans une valorisation qui s’effectue non pas sur la comptabilité mais sur le
chiffre d’affaires contrairement aux autres entreprises.
Sylvie Zawadzki
Y a-t-il d’autres questions ?
De la salle, Stéphane Pariente, FinanceMode
Je voudrais rebondir sur plusieurs sujets abordés ce matin. J’ai créé il y a six ans une structure qui a pour but
d’accompagner les créateurs de mode indépendants. L’objectif initial était de résoudre les problématiques de
terrain et pratiques au quotidien des plus fragiles créateurs. L’objectif final est de protéger le patrimoine français,
les savoir-faire et à travers tout cela, les directeurs artistiques, ceux qu’ils emploient directement dans leur
entreprise et leurs sous-traitants. C’est un objectif de fond que je développe depuis six années maintenant. J’ai
accompagné 137 entreprises avec comme résultat, sur les trois premières années, onze millions d’euros que j’ai pu
récupérer. Souvent grâce au crédit impôt recherche. Je voudrais évoquer des pistes peut-être nouvelles ou
différentes qui peuvent sembler dérisoires mais qui, mises bout à bout, m’ont permis d’avoir des résultats. Sur les
500 dossiers que j’ai pu faire ces six dernières années, trois seulement concernaient le crédit d’impôt «
prospection commerciale ». C’est une petite chose mais elle permet de financer les salons et les supports
magazines, la publicité. Autre point : les défilés ne sont pas pris en charge par ce crédit d’impôt. C’est vraiment
dommage car il ne s’agit pas d’une grosse somme : 40 000 euros. Si c’était seulement rajouté dans le texte de loi,
nous aurions 40 000 euros dans la vie de l’entreprise qui permettraient de financer le défilé. Mises bout à bout,
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ces petites sommes en font des grandes. Et surtout, elles permettent à l’entrepreneur d’avoir du temps. In fine,
c’est ce qui permet de franchir les paliers. J’ai aussi pu rédiger, ces dernières années, deux documents. L’un, à
l’intention des experts comptables, a permis de réformer les méthodes comptables. Vous avez parlé tout à l’heure
des problématiques de valorisation au bilan des marques. J’ai mis à disposition des comptables un mémoire que je
dois présenter au Conseil de l’Ordre pour réformer la comptabilité française complètement inadaptée au secteur.
On pourrait, en l’adaptant, enfin matérialiser la valorisation d’une marque comme il le faudrait.
D’autre part, vous venez d’évoquer les problématiques entrepreneuriales ; j’ai transmis à tous les créateurs avec qui
je travaille un Guide de l’entrepreneur de mode, pour leur permettre de comprendre leurs problématiques et de
les résoudre. J’ai pu les sensibiliser à des problèmes pratiques du terrain, leur trouver des solutions concernant
leur quotidien.
Sylvie Zawadzki
Je ne sais pas si nous parlons tout à fait de la même chose. Quand vous parlez de 137 créateurs… nous ne sommes
pas dans le même raisonnement, je ne crois pas qu’il y ait 137 créateurs.
De la salle, Stéphane Pariente, FinanceMode
Mais il y en a plusieurs centaines ! La problématique que je perçois, c’est que si nous ne protégeons pas ceux qui
sont à la base de la création, en dix ou vingt ans il n’y aura plus personne. Bref, je vous propose des idées à
explorer, on les explorera ensemble ou non, moi j’ai pu les utiliser et avoir quelques réussites et qui ont permis de
sauver quelques marques. Notamment le mécénat matériel, qui est la mise à disposition d’espaces afin de présenter
des collections ou de faire des ventes, ou alors de la communication… Par exemple le financement des showrooms
parisiens. Ils sont prépondérants à Milan, ils ne le sont pas suffisamment à Paris.
Jérôme Helffer
J’ai plusieurs remarques. Ce que nous défendons, ce n’est pas le principe de la mutualisation des services, c’est
celui de la convergence des outils et d’une grande sélectivité dans l’application de ces outils. C’est extrêmement
compliqué et il ne faut pas forcément encourager trop de gens à se lancer dans cette voie, parce que la stratégie de
volume n’est pas performante pour l’émergence de marques indépendantes, de marques de créateurs.
Deuxième point : les dispositifs d’aide à l’export ne sont en général pas adaptés aux marques de créateurs, pas plus
que le crédit export. Nous avons donc essayé de mettre en place des aides avec la Coface, mais nous nous sommes
rapidement aperçu que le dialogue avec cet organisme est très compliqué. Elle peut donner de l’argent pour aller
en Chine, mais toutes les destinations ne sont pas couvertes. Or, la problématique d’une marque émergente est
qu’elle est presque instantanément internationale : elle a donc besoin d’aides pour rayonner à l’international et
non pas pour se développer juste sur une ville. Ce mécanisme n’est pas pertinent par rapport aux problématiques
dont nous parlons. Il pourrait bénéficier d’ajustements si nous pouvions défendre le rayonnement de la « création
parisienne ».
L’autre point intéressant qui a été souligné est que la principale zone de prospection pour rayonner à
l’international… c’est quand même Paris ! Ces aides ne sont pas reliées à l’international alors que le grand terrain
de jeu commercial de ces marques se situe à Paris. Pas plus qu’elles ne sont reliées aux défilés, au fait d’avoir à
financer un showroom. Le principe de différence est très important. Nous sommes dans un secteur très vertical où
la mutualisation donne peu de résultats concrets et ne permet pas de faire émerger durablement un projet. C’est la
position que je défends.
Sylvie Zawadzki
Il est intéressant de voir que la Coface vient de mettre en place une nouvelle aide pour les toutes petites entreprises
qui démarrent dont l’une des conditions est qu’elles fassent moins de 10% d’exportations. J’ai rencontré les
interlocuteurs de la Coface car les banques en ont fait un élément déterminant mais notre secteur est à l’inverse
des entreprises traditionnelles, nous n’arrivons pas à nous retrouver facilement dans ces mécanismes.
Pour répondre sur la question des showrooms, je dirais que nous avons tous de bonnes idées qui arrivent en même
temps. Grâce à l’aide du Défi, nous allons mettre en place un showroom collectif au mois d’octobre pour les
marques émergentes. Il sera évidemment à Paris, la capitale rassemblant les acheteurs à l’occasion des défilés.
Jérôme Helffer
C’est un peu compliqué de répondre sur la comptabilité même si effectivement il y a des problèmes. Valoriser une
marque est assez complexe : on note des écarts de valorisation très importants selon les méthodes, dont certaines
sont jugées assez farfelues. A un moment, il est nécessaire de placer les curseurs au milieu et de réfléchir à des
mécanismes de protection de la marque. Au passage, Mode & Finance est un fonds qui prend des participations
minoritaires mais qui défend la majorité du créateur et sa marque.
De la salle, Stéphane Pariente, FinanceMode
Je trouve intéressant que vous souleviez l’importance de l’excellence et de la sélection des marques. Pour moi, il est
primordial de donner un minimum de chance pour que les marques arrivent jusqu’au moment où Mode &
Finance peut les prendre en charge. C’est ce pourquoi je me bats, je vise l’excellence à travers le savoir-faire
français. Néanmoins, il faut déjà y parvenir : il faudrait mobiliser le plus de moyens possible sur la tranche de
démarrage. Nous sommes juste complémentaires dans nos travaux et nous ne sommes pas du tout en désaccord.
Et je suis ravi d’apprendre qu’il y aura un showroom parisien à la rentrée car cela permettra de faire avancer les
choses.
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De la salle, Véronique Beaumont, Consultante en Développement
Je suis, tout comme Jérôme Helffer, consultante en développement des marques émergentes notamment sur la
partie commercialisation et distribution internationales. Je souhaitais savoir si vous menez un suivi des
investissements que vous réalisez à partir d’un certain montant. Faites-vous intervenir des comités d’experts pour
les questions de production ou de commercialisation internationales ? Est-ce qu’ils peuvent être consultés, audelà de ce que vous avez dit en préambule ?
Isabelle Ginestet-Naudin
Oui, nous accompagnons totalement les dossiers puisque nous mettons en place des organes de gouvernance. Je ne
veux pas parler de la banalisation du créateur, du designer en tant qu’entrepreneur, mais c’est un peu ce vers quoi
nous tendons, car il est absolument nécessaire d’avoir une communication facilitée avec le monde de la finance. Et
le meilleur moyen de pouvoir leur donner des chances de succès, c’est de commencer très tôt à les familiariser à ces
points. Donc, au moment où nous validons notre investissement dans les marques, nous mettons en place la
plupart du temps un comité stratégique et un de reporting. C’est absolument crucial. D’ailleurs nous les
accompagnons au moment de l’investissement et lors de l’audit financier que nous réalisons. Nous faisons une
consultation et nous essayons de trouver les moyens de bénéficier, nous aussi, d’une prestation qui pourra nous
servir dans le temps. Ces organes mettent en place les premiers outils, les premiers tableaux de bord qui
permettent aux créateurs de suivre leur business. Il y a ensuite un reporting bimensuel et des réunions stratégiques
trimestrielles auxquelles évidemment les membres participent de manière à pouvoir instaurer un dialogue
permanent.
Jérôme Helffer
Les investissements servent surtout à professionnaliser les structures.
Sébastien Saunier
Concernant l’IFCIC, le suivi s’opère immédiatement car nous voulons bien calibrer le besoin de financement dès
le démarrage. Et pourquoi pas recruter ou avoir affaire à des consultants externes qui vont les aider à structurer
leur société, leur développement y compris dans la commercialisation ? La décision est prise à chaque fois avec des
comités d’experts. Nous, nous sommes mandataires de fonds, que nous gérons pour le compte du Défi et nous
apportons notre expertise aux financiers dans ce secteur particulier. Nous ne sommes pas les seuls juges. Nous
avons par exemple un comité d’experts pour le fonds d’avance remboursable : avec un rendez-vous de suivi
mensuel, nous savons s’il y aura remboursement ou pas. Nous essayons également d’être proches des jeunes
créateurs en allant les voir au moins une fois par an, y compris pour qu’ils aient de la transparence à notre égard :
« Cela fait six mois que vous m’avez prêté de l’argent, et là je suis confronté à une nouvelle crise de croissance, il
faut que je me renforce ». Et pourquoi pas, dans ces cas-là, envisager de les accompagner plus loin ?
Ce que nous voulons, c’est entretenir un dialogue avec eux. Parfois certaines entreprises culturelles se disent «
Surtout, il faut que j’en dise le moins possible à mon banquier. » Mais selon nous, plus nous en savons, mieux
c’est. Comme pour la musique, nous préférons plutôt accompagner les banques pour leur dire de financer la
sortie de dix albums, de donner des moyens suffisants pour que l’entrepreneur, le designer, le styliste ou autre
arrive à faire quelque chose de correct et non pas de faire des choses avec de petits moyens et revoir la banque dans
les six mois qui suivent.
Isabelle Ginestet-Naudin
J’aimerai rendre hommage à notre comité stratégique, qui est présidé par Didier Grumbach et à l’ensemble des
souscripteurs : le Défi bien sûr, mais également Lucien Devaux à titre personnel, LV Capital, le groupe Médéric
qui est une compagnie d’assurances, Natexis qui était le gestionnaire originel du Fonds, et CDC Entreprise. Ils
nous sont précieux dans tout ce travail d’expertise et parfois pendant la vie de l’investissement, car tout ceci est un
écosystème. Nous avons besoin des uns et des autres pour sécuriser ces premières années de vie de la marque de
créateur.
Sylvie Zawadzki
Nous disposons maintenant d’outils adaptés à la situation. Nous pouvons quand même espérer que les banques
joueront le jeu et seront rassurées par toute cette expertise. D’ailleurs, vous avez joué un rôle dans l’évolution de
leur sensibilisation aux problèmes entrepreneuriaux qui préoccupent Clarisse Reille. Nous pouvons espérer que
les bases du système pourront fonctionner.
De la salle, Sylvie Ebel, Directeur Général adjoint, Institut Français de la Mode
Au regard des financeurs, est-ce que l’arrivée d’Internet, qui permet de vendre à international plus vite et à priori
avec moins de frais, change beaucoup de choses?
Jérôme Helffer
Internet est un canal de distribution supplémentaire, mais proportionnel à la visibilité du projet. Ceux qui
vendent beaucoup sur Internet sont ceux qui sont visibles car ils génèrent du trafic. Comme c’est un outil
supplémentaire, c’est un axe de différenciation supplémentaire. Cette possibilité d’accès direct au consommateur
est intéressante. Mais il n’y a pas de recette, pas de modèle, il n’y a pas de copier-coller possible. Certains projets
peuvent utiliser ce canal pour se rendre plus visibles ; je souligne la différence qu’il y a entre communiquer sur
Internet et vendre sur Internet. Ce ne sont pas les mêmes problématiques. Nous revenons souvent à la même
question : Comment diriger un consommateur ou un prescripteur sur une marque ? Comment fabriquons-nous
quelque chose qui, à un moment, va nous permettre de basculer vers le cap suivant ? Aujourd’hui la question n’est
pas d’avoir son site marchand, mais de savoir comment générer du trafic. Ce sont les mêmes problématiques,
après, les outils sont différents donc gérés de manière différente. Ces problématiques sont aussi connues par
certains acteurs du secteur, qui peuvent être de grands acteurs sur Internet.
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Isabelle Ginestet-Naudin
Cela demande beaucoup d’énergie effectivement car il faut imaginer ses collections, les produire, essayer de les
commercialiser... Nous sommes souvent dans des entreprises d’une ou deux personnes. Aller sur Internet
demande aussi une certaine énergie, une certaine animation. Des données qui n’apparaissent pas dans le business
plan que l’on regarde aujourd’hui.
Jérôme Helffer
Cela apparait dans la case charges...
De la salle
Pour reprendre les propos de Jérôme Helffer, il y a nécessité pour les marques non seulement d’innover dans la
création mais aussi dans la chaîne économique, avez-vous des exemples à nous donner ?
Jérôme Helffer
Je suis toujours fasciné par la capacité des créatifs à manager l’intuitif et l’ingéniosité. Il faut accompagner ce
caractère intuitif. Il faut un produit, une chaîne de valeurs qui soient respectés. Les projets qui font la différence
ont généralement un temps d’avance en terme de management de l’intuitif. Ils défendent des points de vue dans la
durée. Ce n’est pas parce qu’un créateur et/ou son manager n’a pas raison instantanément qu’il n’aura pas raison
trois ans plus tard. Il faut parfois s’accrocher à ses idées. Ce qui se cache derrière tous ces dispositifs, c’est la
possibilité d’acheter du temps : permettre à quelqu’un qui a un vrai projet innovant d’arriver à maturation. L’un
des défauts des créatifs, c’est parfois de jeter trop vite ses idées ou de les remplacer par d’autres,
fondamentalement déficientes. Si certains créateurs sont devenus des marques, c’est parce qu’à un moment, ils
n’ont pas bougé de la ligne directrice qu’ils s’étaient donnée, tout en s’adaptant énormément à l’environnement et
au contexte. On ne fabrique pas une marque de créateur aujourd’hui comme on la fabriquait il y a dix ans. Même
en tant que consultant, nous ne sommes pas toujours performant quand il s’agit d’aider quelqu’un à avoir des
stratégies innovantes. En revanche, quelqu’un qui n’a pas réussi à monter son canal de vente retail et qui désire
monter un site Internet, je vais lui dire que ce n’est pas la bonne réponse. La réponse, c’est le multi canal.
De la salle
Ma question porte aussi sur l’alliance entre la création et l’innovation qu’on peut retrouver dans d’autres segments
d’entreprenariat. Comment faire le lien entre les deux ? Vous parliez d’innovation de commercialisation…
Jérôme Helffer
Je vois des gens aujourd’hui qui refusent d’entrer dans la mécanique du whole sale, le fait de dire que « je mets les
pieds dans l’engrenage, je dois faire des collections, des présentations, financer ma production et récupérer mon
chiffre d’affaires six mois après, dix huit mois selon le cas ». Certains créateurs choisissent des mécanismes de
croissance plus maîtrisés, beaucoup plus directs dans le sens où nous essayons de parler à des prescripteurs, avec
parfois des systèmes aussi simples que « Si tu payes, je fabrique ». Ce qui peut être une idée… Il y a donc des
filières à explorer. Je ne suis pas sûr que tous les créateurs deviennent une marque au sens orthodoxe du mot. Il
existe de nombreuses façons de devenir une marque et une entreprise performante. Vouloir devenir une marque
avec un grand « M », c’est la voie la plus compliquée. Qu’un créateur devienne un designer, puisse vivre de ses
projets personnels parce qu’il va fabriquer des services puis créer de la valeur collaborative, est une piste
intéressante et qui peut exister dans la durée.
Sylvie Zawadzki
Ce sera le mot de la fin. Merci à tous.
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