I saw the whole thing

Transcription

I saw the whole thing
I SAW THE WHOLE THING
Alfred Hitchcock, 1962
1. Générique
The Alfred Hitchcock Hour, saison 1, épisode 4
Réalisation : Alfred Hitchcock
Production : Joan Harrison, Gordon Hessler 1
Scénario : Henry Slesar 2
Directeur de la photographie : Benjamin H. Kline
Musique : Lyn Murray 3
Auteur : Henry Cecil4
Durée : 49’
Distribution :
Personnage
acteur
autres apparitions chez Hitchcock
Michael Barnes
John Forsythe
Kent Smith :
Evans Evans :
John Fiedler :
Philip Ober :
Jerry O’Hara
Penelope Sanford
Malcolm Stuart
Colonel John Hoey
John Zaremba :
Barney Phillips :
William Newell :
Willis Bouchey :
Rusty Lane :
Billy Wells :
Robert Karnes :
Maurice Manson :
Ken Sharp :
Anthony Jochim :
Lou Byrne :
Mel Jass :
Marc Cavell :
Ronnie R. Rondell :
Ben Pollock :
Claire Griswold :
Richard Anderson
Lieutenant Sweet
Sam Peterson
Juge Neilson
Juge Martin
George Peabody
le sergent
le docteur
l’huissier
un juriste
l’infirmière
le greffier
le jeune danseur
le motocycliste
le clerc
Joanne Dowling
*THE TROUBLE WITH HARRY /
TOPAZ
*
*
*
* NORTH BY NORTHWEST /
INCIDENT AT A CORNER
* BANG ! YOU’RE DEAD
* THE HORSEPLAYER
*
*
*
*
*
*
*
* apparaissent dans d’autres épisodes des séries télévisées.
Source
http://www.imdb.com
Jerome.PEYREL
1
2. Synopsis :
Michael Barnes, auteur de romans policiers, est accusé d’avoir causé un accident de la
circulation, dans lequel un motocycliste a perdu la vie. Chacun des cinq témoins oculaires
semble être irréfutable ; cependant Barnes, qui a décidé d’assurer sa propre défense,
retourne leurs témoignages à son avantage. Il est acquitté après avoir démontré que
chaque témoin n’a vu que ce qu’il voulait voir. Finalement, on apprend que Barnes ne
conduisait pas la voiture ; c’était sa femme, enceinte, la conductrice. Il s’était fait
accuser de ce forfait car il savait que l’état de sa femme ne lui permettrait pas de
supporter les affres d’un procès.
3. Découpage en séquence :
(le timing correspond à celui de la copie DVD)
n°
1
2
3
4
titre / remarques
Générique de la série
Présentation du film par Alred Hitchcock
Générique d’ouverture du film
fondu au noir
Les 5 témoins
(1 plan pour chaque témoin)
0’42’’ pour Penny Sanford
0’33’’ pour les 4 autres témoins
ponctuation musicale entre chaque témoin
musique + fondu au noir
Le commissariat
Peut être divisée en 2 séquences : a) le hall
d’entrée ; b) le bureau du Lt. Sweet.
(26 plans) utilisation classique du champ / contrechamp comme lors des séquences de tribunal.
Premier mensonge de M. Barnes : les séquences 2, 3
et 4 peuvent être considérées comme un tout (cf.
fondu enchaîné + le mensonge)
fondu enchaîné
A l’hôpital
(plan séquence)
Deuxième mensonge de M. Barnes
Apparaît le thème de la naissance, repris dans la
séquence suivante, qui est fondamental pour justifier
l’attitude de Barnes.
fondu enchaîné
A la maison
(17 plans) dont un très long plan dans lequel l’ami
sort et entre du champ pour prendre la parole, ce qui
permet d’isoler Barnes dans les moments critiques.
Troisième mensonge de M. Barnes
musique + fondu enchaîné
Jerome.PEYREL
Durée
1’27’’
1’15’’
se termine
à…
0’16’’
1’11’’
1’27’’
2’42’’
3’08’’
5’50’’
1’32’’
7’22’’
4’36’’
11’58’’
2
5
6a
6b
La mort de la victime
(18 plans)
première séquence au tribunal, qui vient conclure les
mensonges de Barnes et leur donner une tonalité
tragique
musique + fondu au noir
Au tribunal, Penelope Sanford
(103 plans – 7’)
utilisation du champ / contre-champ pour régler les
échanges entre les personnages : toute la scène du
procès se déroule entre Barnes ou le procureur et les
témoins, avec l’intervention du juge.
Pas de transition entre les deux séquences, dans le
même plan sort Penelope Sanford et entre le colonel
Hoey.
Colonel John Hoey
(65 plans)
Intermède 1
Coupure publicitaire
Intermède 2
7
8
9
10
11
12
13’41’’
12’22’’
20’50’’
26’03’’
musique + fondu au noir
fondu au noir
0’37’’
fondu au noir
Malcolm Stuart
Enchaînement ‘cut’ sur l’intermède : comme si le
procès s’était déroulé durant la coupure publicitaire.
(40 plans)
musique + fondu au noir
Sam Peterson
(35 plans)
musique + fondu au noir
Concertation
(plan séquence)
intermède qui permet de faire l’état des lieux : déjà,
la ponctuation musicale lors des transitions assurait
le spectateur du bon déroulement du procès : cette
courte séquence permet de nuancer cet a priori
positif avant le témoignage final.
fondu enchaîné
Joanne Dowling
(67 plans)
de nouveau le thème de l’enfantement.
fondu au noir
Barnes témoigne
(31 plans)
fondu enchaîné
Séance de twist
(22 plans)
on se rapproche de plus en plus de Penny et
George : on passe de la discussion banale au coup
de théâtre dramatique.
Dans le fondu se mélange la salle d’audience et les
danseurs de twist !
fondu enchaîné
Jerome.PEYREL
1’43’’
3’43’’
2’58’’
26’40’’
30’23’’
33’21’’
1’05’’
34’26’’
4’45’’
3’12’’
39’11’’
42’23’’
2’21’’
44’44’’
3
13
14
Le verdict
(3 plans)
on peut considérer ces deux séquences comme une
seule ?
rapide fondu au noir
A l’hôpital
(5 plans)
l’explication finale
musique + fondu au noir
Conclusion
Générique
Jerome.PEYREL
0’35’’
1’49’’
1’17’’
45’19’’
47’08’’
48’25’’
4
4. Etude de séquences
Séquence 4 :
Cette séquence fait suite à deux séquences dans lesquelles Michael Barnes a menti au
lieutenant de police puis au médecin de sa femme : il a appelé ensuite un ami à lui, que
l’on suppose avocat.
Les deux séquences précédentes sont composées de dialogue, mais elles sont pourtant
bien différentes dans leur forme : la première est bâtie en champ-contrechamp, alternant
le lieutenant et Michael Barnes, filmés en plan très rapproché.
La seconde en revanche est un plan-séquence d’une minute et demi : il s’agit d’un long
travelling arrière, dans le couloir de l’hôpital. Dans cette séquence apparaît le thème
majeur de l’enfant, que Barnes et sa femme n’arrivent pas à avoir.
Dans la séquence 4, Hitchcock choisit une mise en scène complexe, alternant les deux
méthodes employées dans les séquences précédentes :
(La transcription s’appuie sur les sous-titres de la diffusion TV)
durée : 4’36
P1
Dans le salon de Barnes
Sonnette / HC : — Vous avez fait vite…
1’53 pano DG suivant Barnes
— On aurait dit qu’il y avait le feu
Les deux hommes entrent et — Je ne voulais pas quitter la maison, si on m’appelait
de l’hôpital…
s’installent
pano GD + zoom in – PR — Ce n’est pas encore le moment
— Ça peut se précipiter… Un verre ?
ceinture
— Volontiers, un scotch.
zoom out – PR genoux
— Alors, c’est Stella. Ça se voit que vous avez des
soucis
— Tout va bien pour le moment, mais Stella a déjà
léger Tr. av. + pano DG
perdu deux enfants
PR ceinture
— Que vouliez-vous me demander ?
— Vous n’avez pas lu ?
— Pas encore… Je reviens de voyage
— Je dois passer en correctionnelle
— Êtes-vous le héros d’un de vos romans ?
— La semaine dernière, j’ai renversé un motard, et… je
ne me suis pas arrêté. J’avais perdu la tête.
Beaucoup de gens ont vu l’accident… Je ne me suis
Barnes s’éloigne vers le fond, de
dos
présenté que le lendemain.
— Le délit de fuite, c’est toujours sérieux
Il revient
— Les témoins prétendent que j’ai brûlé un stop.
Pano GD : la caméra suit Barnes, — Des témoins à décharge ? Qui ?
il s’éloigne vers un fauteuil, — Moi… La peine est sévère ?
s’assoit, les yeux baissés
raccord sur la question
P2
Champ / contre-champ jusqu’à — Il y a deux délits, un délit de fuite et une infraction au
0’06 P10
code
PR poitrine sur Jerry
P3
Désormais Barnes est filmé en …
0’02 Pl. – point de vue normal pour
ce champ / contre-champ
P4
— Et la victime ?
0’08
P5
— Il paraît qu’il s’en tirera
0’04
P6
Pano GD puis DG + zoom in
HC : — Mais si Stella l’apprenait…
0’06
— Elle ne le sait pas ?
P7
— On ne lui donne pas les journaux
0’03
Jerome.PEYREL
5
P8
Jerry se décale, s’assoit
0’03
P9
Le champ / contre-champ est
0’03 alors faussé : nous conservons le
même point de vue sur Barnes –
à ce moment-là, la plongée
prend une tonalité accablante.
P10
0’04
P11 1’42’’
1’48 Barnes se relève, la caméra le
suit :
Pano DG
Les deux hommes sont de
nouveau regroupés dans le
champ ; PR ceinture / genoux
Barnes se déplace, il avance
dans le champ (la caméra le
suit) : il est seul dans le champ :
PR poitrine
Jerry entre
(recadrage)
PR poitrine
P12
0’02
P13
0’07
P14
0’02
P15
0’02
P16
0’04
dans
le
champ
— Mais si je vais en prison
— Elle l’apprendra
— Vous vous êtes arrêté au Stop ?
— parfaitement !
pourtant, cinq témoins ont déclaré que je ne l’avais pas
fait. Que dites vous de cela ?
— Vous n’en connaissez aucun ?
— Aucun, Comment ont-ils pu voir quelque chose
qui ne s’est jamais passé ?
— Vous savez, un témoin oculaire est l’animal le
plus étrange du zoo. Rien ne vaut une bonne
preuve. Cinq témoins, cinq histoires différentes…
— Mais leurs déclarations concordent ! Qu’en pensera le
jury ?
— Laissez faire votre défenseur, j’en connais un bon…
— Je ne prendrai pas d’avocat… je me défendrai moimême !
— Vous avez tort, dans les romans, ça se passe
différemment.
— J’ai une certaine habitude des tribunaux, tout ce que
j’écris n’est pas inventé.
— Il faut être fou pour se défendre soi-même
— Je sais ; si je le fais, croyez-moi, j’ai mes raisons.
— Pourquoi pas, vous avez d’illustres précurseurs
— Il faut que vous me disiez comment ébranler ces
témoins
— Eh bien, parlons-en
— Encore un verre ?
— Préparez plutôt du café bien fort ;
Barnes s’apprête à sortir à et Mike…
gauche, la caméra le suit
Jerry HC
raccord regard
Nouveau champ / contre-champ — Moi qui suis votre ami…
Barnes
Jerry
— Je vous dis la vérité ; c’est peut-être dur à croire, mais
c’est la vérité
(musique)
Barnes sort
…
Fin de la séquence sur le regard
…
dubitatif de Jerry : la séquence
se termine sur le mot ‘truth’
Fondu enchaîné
Cette séquence est à elle seule un condensé du film : fondé sur le dialogue, reflets des
thèmes hitchcockiens, le tout marqué fortement par une structure, une grammaire très
‘télévisuelle’.
une discussion complexe pour le personnage principal
Il est montré particulièrement accablé dans cet échange, et ce dans le code même du
champ-contrechamp.
Jerome.PEYREL
6
La discussion s’organise autour de 2 plans très longs (d’environ 1’50 chacun) : les autres
plans découlent de ces deux plans et s’enchaînent en champ-contrechamp.
Dans le code du champ-contrechamp, même si l’on n’est pas dans le regard d’un des
personnages, on adopte tour à tour la position, plus ou moins orientée par la caméra, de
chacun des personnages. Ici, les deux plans très longs confèrent une autonomie au
regard 0 de la caméra ; ce regard organise l’espace, en restant dans la pièce (cf. ce que
dit Barnes), en recadrant les deux personnages en un plan composé de manière
symétrique avec l’éclairage en fond, comme si le regard 0 isolait nos deux hommes dans
un moment propice aux confidences, aux aveux…
photogramme 1 – plan 1 / séquence 4
La caméra, par son mouvement d’accompagnement à la fin du P1 instaure le champcontrechamp : c’est parce que Jerry est sorti du champ qu’il faut un contrepoint à la
question de Barnes. De plus, la position de Jerry (assis contre le bureau) justifie la légère
plongée sur Barnes, lorsque ce dernier s’assoit sur le fauteuil.
photogramme 2 – plan 5 / séquence 4
Le champ-contrechamp s’installe ensuite avec le passage en PR+ sur les personnages.
Mais Jerry se lève alors et change de position, allant s’asseoir à son tour. En revanche, le
cadrage de Barnes ne change pas, reste le même ; à ce moment, le regard 0 de la
caméra reprend son autonomie pour accabler Barnes.
Quelques tics télévisuels…
Le premier plan, très long (1’53) permet à Hitchcock de développer tout son art virtuose
de directeur d’acteur, couplé avec une grande finesse dans le choix de la place de la
caméra.
Jerome.PEYREL
7
Ce choix confine néanmoins le regard du spectateur à une position frontale, presque
théâtrale. Nous ne quitterons pas le 4e pan de mur, front de scène vers lequel s’avancent
tour à tour les deux personnages. Même si l’on retrouve cet effet, ce choix très souvent
au cinéma (me vient en tête un plan de LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE, dans lequel
Bulle Ogier s’avance vers nous, comme face à un miroir), il reste cependant lié à des
contraintes techniques, et matérielles qui renvoient à la production télévisuelle de
l’époque. Utilisation de plans assez longs, codes simples, jeu parfois outré (prenons
comme exemple le regard en coin que lance Jerry à la toute fin de cette séquence), ou
insistance du symbole, sont des caractéristiques qui rappelle ce que nous sommes en
train de regarder. S’apprêtant à révéler son intention d’être son propre avocat, Michael
Barnes / John Forsythe s’avance vers la caméra / spectateur alors que la caméra le
recadre : il se retrouve alors seul, dans le même plan qui figurait au début un rapport de
confiance entre les deux personnages, une ‘égalité’. Il cache alors la composition florale
et apparaissent comme signe de sa bravoure les deux coupes, que les deux personnages
cachaient dans le P1.
Ce sont ces effets d’insistance, virtuoses néanmoins, qui prennent valeur de code
presque, et qui signifient sans cesse que nous sommes à la télé (ce que rappelle aussi la
structure du film – cf infra).
photogramme 3 – plan 11 / séquence 4
Jerry réapparaîtra à deux reprises dans la suite du film, à la clinique pour l’épilogue, et
dans la séquence 11, qui se déroule dans le même appartement, rendu encore plus exigu
par l’absence de mouvements. Cette séquence 11 constitue d’ailleurs une suite directe de
la séquence 4 : c’est là que Barnes reçoit le coup de fil tant attendu.
Le cadrage quasiment fixe dans ce plan séquence est très travaillé (il rappelle bien sûr le
cadrage du photogramme 1).
Jerry apparaît dans ce plan encadré par l’ombre au mur ; Barnes, lui, est à la base de ce
cadre lumineux, un peu comme si Jerry émanait de Barnes, comme si la lumière en
faisait un personnage idéal, sorti de l’imaginaire du héros, pour lui donner la réplique et
lui servir de bonne conscience. De fait, quel est le rôle de Jerry dans l’intrigue : appuyer
Barnes, l’aider à accoucher de ses décisions, lui permettre de rendre plus crédible son
mensonge. Jerry est une sorte de double qui permet à Barnes de ne pas perdre la tête,
de ne pas sombrer dans le mensonge, de ne pas perdre pied, rôle plus souvent dévolu à
la femme chez Hitchcock (cf. REVENGE, THE WRONG MAN, MARNIE…), mais qu’il fait de temps
en temps assumer à l’homme (l’exemple le plus marquant restant sans doute PSYCHO).
Jerome.PEYREL
8
photogramme 4 – séquence 11
Une question subsiste : pourquoi Hitchcock prend-il l’option narrative de ne pas dévoiler
le mensonge de Barnes ? Quelle force aurait eu cette séquence si le spectateur avait su
que Barnes mentait ? Cette question n’est pas innocente dans le sens où Hitchcock a pris
le parti de dévoiler les motivations des personnages dans plusieurs de ses longsmétrages, ce qui accroît le suspense (The Rope…) ou bien la révélation apparaît avant la
fin du film, ce qui relance l’action (Vertigo).
La trame y aurait-elle perdue en linéarité, en clarté (nous sommes dans un film destiné à
la télévision) ?
Le film s’organise autour de 5 « coups de théâtre », dont l’un, le plus fort à mon sens est
la volonté de Michael Barnes de ne pas répondre à la question du procureur : il perd alors
une grande part de crédibilité que seul le témoignage de dernière minute du danseur de
twist lui rend. Ce « coup de théâtre » incomplet (que cache Barnes ?) fonctionne comme
les « échardes » définies par Slavoj Žižek 1 ; la normalité éclate, l’agissement du
personnage semble hors de toute réaction logique, le réel décroche l’espace d’un instant.
1
Slavoj Žižek, L’écharde dans ton œil, Trafic n° 41, printemps 2002, P.O.L.
Jerome.PEYREL
9
Axes d'étude du film
Une structure marquée par la télévision
La coupure publicitaire rappelle avec force la destination de ce programme : 52 minutes,
(48’’ + coupure publicitaire centrale) divisée en deux parties, avec une marque
dramatique forte à 13 minutes (la mort de la victime).
Hitchcock utilise à profit les cadres imposés : il crée à partir de ces cadres une tension
dramatique et les emploie comme matériau humoristique dans ses interventions parlées.
Après la présentation + générique de la série, le film commence par son générique et
l’ouverture (1’31).
La première partie (de la séquence 2 à la séquence 5) s’enchaîne en fondus enchaînés.
Elle se termine par l’annonce de la mort du motard.
La deuxième partie est composé de la seule séquence 6 qui voit s’enchaîner sans
interruption les deux premiers témoignages au procès.
La troisième partie intervient après la coupure pub, et est composée des séquences 7 à
10 : son unité vient du fait que chaque nouveau témoignage est ponctué par un fondu au
noir, marquant une progression en coups de théâtre successifs.
La dernière partie englobe les séquences 11 à 13 toutes liées par des fondus enchaînés.
Le film se clôt à la clinique, par l’explication finale, hors de la tension du procès.
Cette structure est extrêmement équilibrée, autour de la pose centrale et est ponctuée
tout au long du déroulement par des poses intermédiaires (pour d’autres coupures
publicitaires ?).
Hitchcock, à la télévision, tourne en dérision la télévision, la publicité… Ses prises de
paroles pince-sans-rire participent d’ailleurs de la renommée de l’émission et illustre
véritablement la liberté qu’il pouvait se permettre dans toutes ses entreprises à cette
époque.
Concernant ce film, l’histoire du key-club renvoie bien peu au film : faut-il voir dans
l’expression « everything a woman could want » une autre allusion au désir de maternité,
sur lequel se fonde l’intrigue du film (voir infra) ?
Piéger le spectateur
En tout cas, Hitchcock aura prévenu son spectateur : « si vous voulez tout voir, je vous
suggère de regarder attentivement ». Néanmoins, on peut regarder aussi attentivement
que l’on veut, il n’y a pas moyen de voir le chauffard, ni de déceler la présence
déterminante de George Peabody dans le plan de l’accident.
C’est encore un moyen pour Hitchcock de marquer une supériorité sur le spectateur, de
jouer avec notre perception, comme il l’avait déjà fait dans l’un des meilleurs films télé
qu’il a réalisé en 1960 (en couleurs), pour la série Startime, INCIDENT AT A CORNER.
Ce programme d’une heure commence par la même scène, mais filmée de 3 lieux
différents : qu’y a-t-il à voir ? Il s’agit encore de jouer avec la perception, avec ce que le
spectateur croit qu’il doit percevoir, et Hitchcock, comme bien souvent, tisse de fausses
pistes, et s’amuse, tel un collégien, de nos déficiences.
Jerome.PEYREL
10
photogramme 5 – séquence 1
INCIDENT AT A CORNER – plan 1
Une critique de la justice
Bien sûr, Hitchcock profite de cette histoire pour dénoncer les aléas de la justice : le faux
coupable endosse la responsabilité du méfait, il ne dit pas lui non plus la vérité : les
témoignages sont donc tous soumis à la subjectivité ou au mensonge ; ils peuvent dire
l’inverse de ce qu’ils signifiaient selon que la lecture en est faite par l’accusation ou par la
défense.
Le verdict ne repose alors que sur le témoignage de George Peabody, suite à une séance
de twist. L’enchaînement entre cette séance de twist et le verdict prête évidemment à
sourire et correspond à l’humour développé par Hitchcock dans ses films, mais aussi dans
les présentations des séries télévisées.
photogramme 5 – fondu entre les séquence 12 et 13
Des thèmes hitchcockiens
Outre le thème de la justice (cf. suite) on retrouve dans ce film télévisé les obsessions
récurrentes d’Hitchcock :
— la famille (l’accouchement de Stella, l’enfant de Joanne et l’enfant du colonel Hoey –
l’enfant ou le désir d’enfant est la clef du procès et du comportement de Barnes) ;
— portraits de femmes sans concession : coupable mais qui n’assume pas (Stella) ;
frivole et peu consistante (Penelope Sanford) ; ou qui assume une vie difficile (Joanne
Dowling) ;
— le mensonge générateur de problèmes ;
— Une réflexion sur le cinéma : que voit le spectateur, quelle interprétation en donne-til, voit-il ce qu’on lui montre ? (cf. P11)…
C'est bien sûr le thème du faux coupable, topos hitchcockien par excellence, qui trouve
dans ce téléfilm une nouvelle illustration.
« Hitchcock utilisera ce canevas à de nombreuses reprises : SABOTEUR et NORTH BY
NORTHWEST sont des variations sur le même thème »
Jerome.PEYREL
11
« … Balestrero dans THE WRONG MAN ne parvient à prouver son innocence qu'au terme
d'un parcours cauchemardesque qui détruit l'équilibre psychologique de sa femme »,
Jacques Lefèbvre in Cinémaction 105 (cf. bibliographie)
Voilà ce que tente d'éviter Barnes, de perturber psychologiquement sa femme, en
réponse au héros de THE WRONG MAN, réalisé 5 ans plus tôt.
Nouvelle expression de ce type hitchcockien, le faux coupable dans I SAW… devient
coupable de son propre fait, par son mensonge assumé, afin de sauvegarder la santé
mentale de sa femme.
Le héros n'est pas dans la même position que Roger Tornhill (NORTH…) ou Manny
Balestrero. S'étant lui-même proclamé coupable, il ne peut compter que sur une
résolution hasardeuse de son cas ; il n'arrive pas à se tirer seul des griffes de la justice, il
s'embourbe dans son mensonge, alors que les autres faux coupables hitchcockiens
assumaient leur rôle, n'en jouaient pas et n'avaient comme objectif que celui de faire
éclater la vérité : Barnes cherche en fait à faire éclater un demi-mensonge, à berner le
jury. Il est pieds et poings liés par sa bonne conscience de héros, ne pouvant mentir
jusqu'au bout.
photogramme 6 – plan 1 / séquence 5
Un ‘film de prétoire’
« Chez Hitchcock, la justice ne se borne pas à son exercice dans les tribunaux, elle est au
cœur d’une problématique plus générale du bien et du mal, disons de la culpabilité et du
pardon. (…) La vision binaire, suggérée par la justice institutionnelle, Hitchcock sait
toujours la dépasser par la vision humanisée de ses images finales ». Dominique Sipière
in Cinémaction 105.
Voir plus généralement ce numéro de Cinémaction, La Justice à l’Écran, avec un article
consacré à la justice dans les films d’Hitchcock, sans tenir compte cependant des séries
télévisées. L’auteur y analyse les occurrences des scènes de tribunaux dans les films
suivants :
date
1927
1929
1929
1937
1946
1948
1953
1954
1965
TITRE
EASY VIRTUE
THE MANXMAN
MURDER
JEUNE ET INNOCENT
LES ENCHAINES
LE PROCES PARRADINE
LA LOI DU SILENCE
LE CRIME ETAIT PRESQUE PARFAIT
LE FAUX COUPABLE
place
Début et fin
Fin
Début
En cours
Début
Fin
Fin
Milieu
Fin
durée
16’
8’
19’30
5’
1’
38’
15’
1’
9’30
(extrait de La Justice à l’écran, Alfred Hitchcock : procès et procédés, Dominique Sipière, 2002)
… auxquels on peut ajouter, même s’il est particulier, le jugement rendu au milieu de
VERTIGO (5’).
Jerome.PEYREL
12
Bibliographie :
Livres et revues
Hitchcock / Truffaut, édition définitive, Gallimard, 1993
Cinémaction n°105, La Justice à l’Écran, Corlet / Télérama, 4ème trimestre 2002
A signaler : il existe un Alfred Hitchcock Presents companion, Martin Grams, Patrik
Wikstrom, 660 pages, O T R Publishing, 2001, ISBN 0970331010
Sites Internet :
http://epguides.com
la liste de tous les épisodes des séries télévisées
http://www.labyrinth.net.au/~muffin/
études diverses sur Hitchcock
http://www.geocities.com/SunsetStrip/Towers/7260/hitch.html
site généraliste sur Hitchcock
http://www.dunwich.org/tv/hitch/index.html
site sur les séries TV ‘Hitchcock’
DVD :
L’intégralité des épisodes réalisés par Hitchcock est sortie en France chez Universal :
2 coffrets, l’un avec les épisodes possédant un VF (3 disques), l’autre avec tous les
épisodes (5 disques)
Les saisons 1 et 2 de l’émission Alfred Hitchcock Presents ont été éditées aux Etats-Unis
(zone 1) en deux coffrets dvd.
Jerome.PEYREL
13
Annexe 1 : filmographie complète d’Hitchcock
Période américaine
Période anglaise
Number thirteen inachevé (1922)
Always tell your wife partiel - non crédité (1923)
1.
2.
3.
4.
5.
6.
7.
8.
9.
10.
11.
12.
13.
14.
15.
16.
17.
Productions M. Balcon pour la Gainsborough pictures :
The pleasure garden (1925)
The mountain eagle (1926)
Les cheveux d'or - The lodger (1926)
Downhill (1927)
Le passé ne meurt pas - Easy virtue (1927)
Productions John Maxwell pour la B.I.P. :
Le masque de cuir - The ring (1927)
Laquelle des trois ? – The farmer’s wife (1928)
A l'américaine - Champagne (1928)
The Manxman (1929)
Chantage - Blackmail 2 versions (1929)
Junon et le paon - Juno and the paycock (1930)
Meurtre - Murder (1930)
Elstree calling sketche An Elastic Affair (1930)
Mary version allemande de Murder (1931)
The skin game (1931)
Number seventeen (1932)
A l'est de Shanghai - Rich and strange (1932)
Productions Gaumont-B.P. :
18. Le chant du Danube - Waltzes from Vienna (1933)
Produits par M. Balcon
19. L'homme qui en savait trop - The man who knew too
much 1ère version (1934)
20. Les trente neuf marches - The thirty nine steps (1935)
21. Quatre de l'espionnage - Secret agent (1936)
22. Agent secret - Sabotage (1936)
Produits par Edward Black
23. Jeune et innocent - Young and innocent (1937)
24. Une femme disparaît - The lady vanishes (1938)
Prod. E. Pommer / C. Laughton pour Mayflower prod.
25. L'auberge de la Jamaïque - Jamaïca Inn (1939)
Pour David O. Selznick
26. Rebecca (1940)
The house across the bay partiel / non crédité (1940)
27. Correspondant 17 - Foreign correspondent (1940)
28. Joies matrimoniales - Mr and Mrs Smith (1941)
29. Soupçons - Suspicion (1941)
30. Cinquième colonne - Saboteur (1942)
31. L'ombre d'un doute - Shadow of a doubt (1943)
32. Lifeboat (1944)
33. Aventure Malgache produit en Angleterre (1944)
34. Bon voyage produit en Angleterre (1944)
35. La maison du Docteur Edwardes - Spellbound (1945)
36. Les enchaînés - Notorious (1946)
37. Le procès Paradine - The Paradine case (1947)
Hitchcock producteur
38. La corde - Rope (1948)
39. Les amants du Capricorne - Under Capricorn (1949)
Période warner
40. Le grand alibi - Stage fright (1950)
41. L'inconnu du Nord-Express - Strangers on a train (1951)
42. La loi du silence - I confess (1953)
43. Le crime était presque parfait - Dial M for murder (1954)
Période ‘paramount’
44. Fenêtre sur cour - Rear window (1954)
45. Revenge (1955)
46. The case of Mrs Pelham (1955)
47. Breakdown (1955)
48. La main au collet - To catch a thief (1955)
49. Mais qui a tué Harry ? - The trouble with Harry (1956)
50. L'homme qui en savait trop - The man who knew too
much 2ème version (1956)
51. Wet Saturday (1956)
52. Mrs Blanchard’s secret (1956)
53. Back for Christmas (1956)
54. One more mile to go (1957)
55. Four o’clock (1957)
56. The perfect crime (1957)
57. Le faux coupable - The wrong man (1957) -warner
58. Sueurs froides - Vertigo (1958)
59. Poison (1958)
60. Lamb to the slaughter (1958)
61. A dip in the pool (1958)
62. La mort aux trousses - North by Northwest (1959)-mgm
63. The crystal trench (1959)
64. Banquo’s chair (1959)
65. Arthur (1959)
66. Mrs Bixby and the colonel’s coat (1959)
67. Psychose - Psycho (1960)
68. Incident at a corner (1960
69. The horse player (1961)
70. Bang ! you’re dead (1961)
71. I saw the whole thing (1962)
Période universal
72. Les oiseaux - The birds (1963)
73. Pas de printemps pour Marnie - Marnie (1964)
74. Le rideau déchiré - Torn Curtain (1966)
75. L'étau - Topaz (1969)
76. Frenzy (1972)
77. Complot de famille - Family plot (1976)
The short night inachevé (1976-1980)
En italique, les films TV
Source : http://www.imdb.com ; http://www.hitchcockmania.it
D. Spoto, La Vraie vie d’Alfred Hitchcock, Ramsay, 1994
Jerome.PEYREL
14
Annexe 2 : les séries télévisées réalisées par Hitchcock
Les résumés des épisodes sont tirés directement du site internet cité en source.
Revenge : (diffusé le 2 octobre 1955)
Elsa a été victime d'une agression. Son mari Carl tue celui qu'elle prend pour son assaillant. Mais Elsa s'est
trompée...
Breakdown : (diffusé le 13 novembre 1955)
Un homme d'affaires victime d'un accident se retrouve à la morgue où il passe pour mort.
Back for Christmas : (diffusé le 4 mars 1956)
Herbert tue sa femme Hermione et l'enterre dans la cave. Mais Hermione avait prévu l'aménagement d'un cave
à vin...
The case of Mr. Pelham : (diffusé le 4 décembre 1955)
Albert Pelham a un sosie qui cherche à l'évincer.
Wet saturday : (diffusé en 1956)
Que faire de la jeune Millicent, qui vient de tuer son professeur?
Mr Blanchard' secret : (diffusé le 23 décembre 1956)
Une femme auteur de romans policiers, s'imagine que son voisin a tué son épouse.
Four O'clock : (diffusé le 30 septembre 1957)
Un horloger jaloux est victime de la bombe à retardement qu'il a lui même installé.
One more mile to go : (diffusé le 7 avril 1957)
Sam tue sa femme Martha et cache son cadavre dans le coffre de la voiture.
The perfect crime : (diffusé le 20 octobre 1957)
Un détective mégalomane se transforme en assassin.
Lamb to the slaughter : (diffusé le 13 avril 1958)
La femme d'un policier volage tue son mari d'un coup de cuisse de mouton congelée. Elle donne ensuite l'arme
du crime à manger aux collègues du défunt.
Poison : (diffusé le 5 octobre 1958)
Y a t'il un serpent mortel dans le lit de Harry?
A dip in the pool : (diffusé le 1er juin 1958)
Lord d'un croisière, William saute à l'eau à la suite d'un pari.
Banquo's chair : (diffusé le 3 mai 1959)
Le fantôme de Miss Ferguson aide à démasquer son assassin.
Arthur : (diffusé le 27 septembre 1959)
Arthur étrangle sa femme, la coupe en petits morceaux et la donne à manger à ses poulets.
The crystal trench : (diffusé le 4 octobre 1959)
Quarante ans après sa mort, Stella retrouve le cadavre de son mari conservé dans la glace. Une surprise attend
la veuve.
Incident at a corner : (diffusé le 5 avril 1960)
Un accident de la circulation sème la zizanie dans une petite ville.
Mrs Bixby and the colonel's coat : (diffusé le 27 septembre 1960)
Un colonel offre à sa maîtresse un manteau de vison comme cadeau de rupture.
The horse player : (diffusé le 14 mars 1961)
Un prêtre vole l'argent de la paroisse pour jouer aux courses.
Bang! You're dead! : (diffusé le 17 octobre 1961)
Un gamin menace son entourage avec un revolver chargé.
I saw the whole thing : (diffusé le 11 octobre 1962)
Les personnes qui ont assisté à un accident de la circulation donnent toutes des témoignages contradictoires.
Source : http://hitchcock.alfred.free.fr/series/series.html (site perdu)
Notes
1
Après avoir produit ALFRED HITCHCOCK HOUR Gordon Hessler s'illustra en réalisant et produisant, à la fin des
années soixante, pour l'A.I.P. de Roger Corman, plusieurs films dont trois adaptations d'Edgar Allan Poe
(MURDERS IN THE RUE MORGUE sur un scénario d'Henry Slesar cf. infra, CRY OF THE BANSHEE et THE
OBLONG BOX), ainsi que THE GOLDEN VOYAGE OF SINBAD en 1974.
2
article du Monde en date du 21.04.2002
Henry Slesar, auteur américain de nouvelles policières, est mort à New York le 2 avril. Né le 12 juin 1927 à
Brooklyn, il fut l'un des plus remarquables nouvellistes policiers, l'un des plus prolifiques aussi (plus de 500...).
Dès sa première nouvelle, A Victim Must Be Found (Qui est la victime ?), publiée en 1955 dans le Ellery Queen's
Mystery Magazine, Henry Slesar s'affirmait comme un des maîtres du genre(…). Mais c'est dans le célèbre
Alfred Hitchcock's Mystery Magazine, dont il fut l'un des piliers et où il utilisa également le pseudonyme de O.
H. Leslie, qu'il donna le meilleur de lui-même, avec des textes d'un humour ravageur, dont un florilège fut
rassemblé sous le titre Crimes parfaits et belles escroqueries. Tout naturellement, Henry Slesar collabora aux
deux séries télévisées d'Alfred Hitchcock, "Alfred Hitchcock presents" et "The Alfred Hitchcock Hour" en tant que
scénariste, métier qu'il exerça pour de nombreuses autres séries ou téléfilms, et pour le cinéma. Il a signé ainsi
plus d'une centaine de scripts pour la télévision et une quarantaine de pièces radiophoniques pour l'émission
"CBS Radio Mystery Theatre". Henry Slesar écrivit aussi quelques romans policiers : The Gray Flannel Shroud,
qui lui valut le prix Edgar-Poe du meilleur premier roman, Cette nuit-là, Mort pour rire. On peut trouver
quelques-unes des meilleures nouvelles de cet humoriste talentueux dans les anthologies Alfred Hitchcock
présente.
3
4
Musique de TO CATCH A THIEF
le titre de la nouvelle originale de Henry Cecil est INDEPENDENT WITNESS. Henry Cecil est un auteur
spécialisé dans les histoires de tribunaux.
Dernière édition disponible datant de 2002
ISBN: 1842320564
Publisher: House of Stratus Ltd