I saw the whole thing
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I SAW THE WHOLE THING Alfred Hitchcock, 1962 1. Générique The Alfred Hitchcock Hour, saison 1, épisode 4 Réalisation : Alfred Hitchcock Production : Joan Harrison, Gordon Hessler 1 Scénario : Henry Slesar 2 Directeur de la photographie : Benjamin H. Kline Musique : Lyn Murray 3 Auteur : Henry Cecil4 Durée : 49’ Distribution : Personnage acteur autres apparitions chez Hitchcock Michael Barnes John Forsythe Kent Smith : Evans Evans : John Fiedler : Philip Ober : Jerry O’Hara Penelope Sanford Malcolm Stuart Colonel John Hoey John Zaremba : Barney Phillips : William Newell : Willis Bouchey : Rusty Lane : Billy Wells : Robert Karnes : Maurice Manson : Ken Sharp : Anthony Jochim : Lou Byrne : Mel Jass : Marc Cavell : Ronnie R. Rondell : Ben Pollock : Claire Griswold : Richard Anderson Lieutenant Sweet Sam Peterson Juge Neilson Juge Martin George Peabody le sergent le docteur l’huissier un juriste l’infirmière le greffier le jeune danseur le motocycliste le clerc Joanne Dowling *THE TROUBLE WITH HARRY / TOPAZ * * * * NORTH BY NORTHWEST / INCIDENT AT A CORNER * BANG ! YOU’RE DEAD * THE HORSEPLAYER * * * * * * * * apparaissent dans d’autres épisodes des séries télévisées. Source http://www.imdb.com Jerome.PEYREL 1 2. Synopsis : Michael Barnes, auteur de romans policiers, est accusé d’avoir causé un accident de la circulation, dans lequel un motocycliste a perdu la vie. Chacun des cinq témoins oculaires semble être irréfutable ; cependant Barnes, qui a décidé d’assurer sa propre défense, retourne leurs témoignages à son avantage. Il est acquitté après avoir démontré que chaque témoin n’a vu que ce qu’il voulait voir. Finalement, on apprend que Barnes ne conduisait pas la voiture ; c’était sa femme, enceinte, la conductrice. Il s’était fait accuser de ce forfait car il savait que l’état de sa femme ne lui permettrait pas de supporter les affres d’un procès. 3. Découpage en séquence : (le timing correspond à celui de la copie DVD) n° 1 2 3 4 titre / remarques Générique de la série Présentation du film par Alred Hitchcock Générique d’ouverture du film fondu au noir Les 5 témoins (1 plan pour chaque témoin) 0’42’’ pour Penny Sanford 0’33’’ pour les 4 autres témoins ponctuation musicale entre chaque témoin musique + fondu au noir Le commissariat Peut être divisée en 2 séquences : a) le hall d’entrée ; b) le bureau du Lt. Sweet. (26 plans) utilisation classique du champ / contrechamp comme lors des séquences de tribunal. Premier mensonge de M. Barnes : les séquences 2, 3 et 4 peuvent être considérées comme un tout (cf. fondu enchaîné + le mensonge) fondu enchaîné A l’hôpital (plan séquence) Deuxième mensonge de M. Barnes Apparaît le thème de la naissance, repris dans la séquence suivante, qui est fondamental pour justifier l’attitude de Barnes. fondu enchaîné A la maison (17 plans) dont un très long plan dans lequel l’ami sort et entre du champ pour prendre la parole, ce qui permet d’isoler Barnes dans les moments critiques. Troisième mensonge de M. Barnes musique + fondu enchaîné Jerome.PEYREL Durée 1’27’’ 1’15’’ se termine à… 0’16’’ 1’11’’ 1’27’’ 2’42’’ 3’08’’ 5’50’’ 1’32’’ 7’22’’ 4’36’’ 11’58’’ 2 5 6a 6b La mort de la victime (18 plans) première séquence au tribunal, qui vient conclure les mensonges de Barnes et leur donner une tonalité tragique musique + fondu au noir Au tribunal, Penelope Sanford (103 plans – 7’) utilisation du champ / contre-champ pour régler les échanges entre les personnages : toute la scène du procès se déroule entre Barnes ou le procureur et les témoins, avec l’intervention du juge. Pas de transition entre les deux séquences, dans le même plan sort Penelope Sanford et entre le colonel Hoey. Colonel John Hoey (65 plans) Intermède 1 Coupure publicitaire Intermède 2 7 8 9 10 11 12 13’41’’ 12’22’’ 20’50’’ 26’03’’ musique + fondu au noir fondu au noir 0’37’’ fondu au noir Malcolm Stuart Enchaînement ‘cut’ sur l’intermède : comme si le procès s’était déroulé durant la coupure publicitaire. (40 plans) musique + fondu au noir Sam Peterson (35 plans) musique + fondu au noir Concertation (plan séquence) intermède qui permet de faire l’état des lieux : déjà, la ponctuation musicale lors des transitions assurait le spectateur du bon déroulement du procès : cette courte séquence permet de nuancer cet a priori positif avant le témoignage final. fondu enchaîné Joanne Dowling (67 plans) de nouveau le thème de l’enfantement. fondu au noir Barnes témoigne (31 plans) fondu enchaîné Séance de twist (22 plans) on se rapproche de plus en plus de Penny et George : on passe de la discussion banale au coup de théâtre dramatique. Dans le fondu se mélange la salle d’audience et les danseurs de twist ! fondu enchaîné Jerome.PEYREL 1’43’’ 3’43’’ 2’58’’ 26’40’’ 30’23’’ 33’21’’ 1’05’’ 34’26’’ 4’45’’ 3’12’’ 39’11’’ 42’23’’ 2’21’’ 44’44’’ 3 13 14 Le verdict (3 plans) on peut considérer ces deux séquences comme une seule ? rapide fondu au noir A l’hôpital (5 plans) l’explication finale musique + fondu au noir Conclusion Générique Jerome.PEYREL 0’35’’ 1’49’’ 1’17’’ 45’19’’ 47’08’’ 48’25’’ 4 4. Etude de séquences Séquence 4 : Cette séquence fait suite à deux séquences dans lesquelles Michael Barnes a menti au lieutenant de police puis au médecin de sa femme : il a appelé ensuite un ami à lui, que l’on suppose avocat. Les deux séquences précédentes sont composées de dialogue, mais elles sont pourtant bien différentes dans leur forme : la première est bâtie en champ-contrechamp, alternant le lieutenant et Michael Barnes, filmés en plan très rapproché. La seconde en revanche est un plan-séquence d’une minute et demi : il s’agit d’un long travelling arrière, dans le couloir de l’hôpital. Dans cette séquence apparaît le thème majeur de l’enfant, que Barnes et sa femme n’arrivent pas à avoir. Dans la séquence 4, Hitchcock choisit une mise en scène complexe, alternant les deux méthodes employées dans les séquences précédentes : (La transcription s’appuie sur les sous-titres de la diffusion TV) durée : 4’36 P1 Dans le salon de Barnes Sonnette / HC : — Vous avez fait vite… 1’53 pano DG suivant Barnes — On aurait dit qu’il y avait le feu Les deux hommes entrent et — Je ne voulais pas quitter la maison, si on m’appelait de l’hôpital… s’installent pano GD + zoom in – PR — Ce n’est pas encore le moment — Ça peut se précipiter… Un verre ? ceinture — Volontiers, un scotch. zoom out – PR genoux — Alors, c’est Stella. Ça se voit que vous avez des soucis — Tout va bien pour le moment, mais Stella a déjà léger Tr. av. + pano DG perdu deux enfants PR ceinture — Que vouliez-vous me demander ? — Vous n’avez pas lu ? — Pas encore… Je reviens de voyage — Je dois passer en correctionnelle — Êtes-vous le héros d’un de vos romans ? — La semaine dernière, j’ai renversé un motard, et… je ne me suis pas arrêté. J’avais perdu la tête. Beaucoup de gens ont vu l’accident… Je ne me suis Barnes s’éloigne vers le fond, de dos présenté que le lendemain. — Le délit de fuite, c’est toujours sérieux Il revient — Les témoins prétendent que j’ai brûlé un stop. Pano GD : la caméra suit Barnes, — Des témoins à décharge ? Qui ? il s’éloigne vers un fauteuil, — Moi… La peine est sévère ? s’assoit, les yeux baissés raccord sur la question P2 Champ / contre-champ jusqu’à — Il y a deux délits, un délit de fuite et une infraction au 0’06 P10 code PR poitrine sur Jerry P3 Désormais Barnes est filmé en … 0’02 Pl. – point de vue normal pour ce champ / contre-champ P4 — Et la victime ? 0’08 P5 — Il paraît qu’il s’en tirera 0’04 P6 Pano GD puis DG + zoom in HC : — Mais si Stella l’apprenait… 0’06 — Elle ne le sait pas ? P7 — On ne lui donne pas les journaux 0’03 Jerome.PEYREL 5 P8 Jerry se décale, s’assoit 0’03 P9 Le champ / contre-champ est 0’03 alors faussé : nous conservons le même point de vue sur Barnes – à ce moment-là, la plongée prend une tonalité accablante. P10 0’04 P11 1’42’’ 1’48 Barnes se relève, la caméra le suit : Pano DG Les deux hommes sont de nouveau regroupés dans le champ ; PR ceinture / genoux Barnes se déplace, il avance dans le champ (la caméra le suit) : il est seul dans le champ : PR poitrine Jerry entre (recadrage) PR poitrine P12 0’02 P13 0’07 P14 0’02 P15 0’02 P16 0’04 dans le champ — Mais si je vais en prison — Elle l’apprendra — Vous vous êtes arrêté au Stop ? — parfaitement ! pourtant, cinq témoins ont déclaré que je ne l’avais pas fait. Que dites vous de cela ? — Vous n’en connaissez aucun ? — Aucun, Comment ont-ils pu voir quelque chose qui ne s’est jamais passé ? — Vous savez, un témoin oculaire est l’animal le plus étrange du zoo. Rien ne vaut une bonne preuve. Cinq témoins, cinq histoires différentes… — Mais leurs déclarations concordent ! Qu’en pensera le jury ? — Laissez faire votre défenseur, j’en connais un bon… — Je ne prendrai pas d’avocat… je me défendrai moimême ! — Vous avez tort, dans les romans, ça se passe différemment. — J’ai une certaine habitude des tribunaux, tout ce que j’écris n’est pas inventé. — Il faut être fou pour se défendre soi-même — Je sais ; si je le fais, croyez-moi, j’ai mes raisons. — Pourquoi pas, vous avez d’illustres précurseurs — Il faut que vous me disiez comment ébranler ces témoins — Eh bien, parlons-en — Encore un verre ? — Préparez plutôt du café bien fort ; Barnes s’apprête à sortir à et Mike… gauche, la caméra le suit Jerry HC raccord regard Nouveau champ / contre-champ — Moi qui suis votre ami… Barnes Jerry — Je vous dis la vérité ; c’est peut-être dur à croire, mais c’est la vérité (musique) Barnes sort … Fin de la séquence sur le regard … dubitatif de Jerry : la séquence se termine sur le mot ‘truth’ Fondu enchaîné Cette séquence est à elle seule un condensé du film : fondé sur le dialogue, reflets des thèmes hitchcockiens, le tout marqué fortement par une structure, une grammaire très ‘télévisuelle’. une discussion complexe pour le personnage principal Il est montré particulièrement accablé dans cet échange, et ce dans le code même du champ-contrechamp. Jerome.PEYREL 6 La discussion s’organise autour de 2 plans très longs (d’environ 1’50 chacun) : les autres plans découlent de ces deux plans et s’enchaînent en champ-contrechamp. Dans le code du champ-contrechamp, même si l’on n’est pas dans le regard d’un des personnages, on adopte tour à tour la position, plus ou moins orientée par la caméra, de chacun des personnages. Ici, les deux plans très longs confèrent une autonomie au regard 0 de la caméra ; ce regard organise l’espace, en restant dans la pièce (cf. ce que dit Barnes), en recadrant les deux personnages en un plan composé de manière symétrique avec l’éclairage en fond, comme si le regard 0 isolait nos deux hommes dans un moment propice aux confidences, aux aveux… photogramme 1 – plan 1 / séquence 4 La caméra, par son mouvement d’accompagnement à la fin du P1 instaure le champcontrechamp : c’est parce que Jerry est sorti du champ qu’il faut un contrepoint à la question de Barnes. De plus, la position de Jerry (assis contre le bureau) justifie la légère plongée sur Barnes, lorsque ce dernier s’assoit sur le fauteuil. photogramme 2 – plan 5 / séquence 4 Le champ-contrechamp s’installe ensuite avec le passage en PR+ sur les personnages. Mais Jerry se lève alors et change de position, allant s’asseoir à son tour. En revanche, le cadrage de Barnes ne change pas, reste le même ; à ce moment, le regard 0 de la caméra reprend son autonomie pour accabler Barnes. Quelques tics télévisuels… Le premier plan, très long (1’53) permet à Hitchcock de développer tout son art virtuose de directeur d’acteur, couplé avec une grande finesse dans le choix de la place de la caméra. Jerome.PEYREL 7 Ce choix confine néanmoins le regard du spectateur à une position frontale, presque théâtrale. Nous ne quitterons pas le 4e pan de mur, front de scène vers lequel s’avancent tour à tour les deux personnages. Même si l’on retrouve cet effet, ce choix très souvent au cinéma (me vient en tête un plan de LE CHARME DISCRET DE LA BOURGEOISIE, dans lequel Bulle Ogier s’avance vers nous, comme face à un miroir), il reste cependant lié à des contraintes techniques, et matérielles qui renvoient à la production télévisuelle de l’époque. Utilisation de plans assez longs, codes simples, jeu parfois outré (prenons comme exemple le regard en coin que lance Jerry à la toute fin de cette séquence), ou insistance du symbole, sont des caractéristiques qui rappelle ce que nous sommes en train de regarder. S’apprêtant à révéler son intention d’être son propre avocat, Michael Barnes / John Forsythe s’avance vers la caméra / spectateur alors que la caméra le recadre : il se retrouve alors seul, dans le même plan qui figurait au début un rapport de confiance entre les deux personnages, une ‘égalité’. Il cache alors la composition florale et apparaissent comme signe de sa bravoure les deux coupes, que les deux personnages cachaient dans le P1. Ce sont ces effets d’insistance, virtuoses néanmoins, qui prennent valeur de code presque, et qui signifient sans cesse que nous sommes à la télé (ce que rappelle aussi la structure du film – cf infra). photogramme 3 – plan 11 / séquence 4 Jerry réapparaîtra à deux reprises dans la suite du film, à la clinique pour l’épilogue, et dans la séquence 11, qui se déroule dans le même appartement, rendu encore plus exigu par l’absence de mouvements. Cette séquence 11 constitue d’ailleurs une suite directe de la séquence 4 : c’est là que Barnes reçoit le coup de fil tant attendu. Le cadrage quasiment fixe dans ce plan séquence est très travaillé (il rappelle bien sûr le cadrage du photogramme 1). Jerry apparaît dans ce plan encadré par l’ombre au mur ; Barnes, lui, est à la base de ce cadre lumineux, un peu comme si Jerry émanait de Barnes, comme si la lumière en faisait un personnage idéal, sorti de l’imaginaire du héros, pour lui donner la réplique et lui servir de bonne conscience. De fait, quel est le rôle de Jerry dans l’intrigue : appuyer Barnes, l’aider à accoucher de ses décisions, lui permettre de rendre plus crédible son mensonge. Jerry est une sorte de double qui permet à Barnes de ne pas perdre la tête, de ne pas sombrer dans le mensonge, de ne pas perdre pied, rôle plus souvent dévolu à la femme chez Hitchcock (cf. REVENGE, THE WRONG MAN, MARNIE…), mais qu’il fait de temps en temps assumer à l’homme (l’exemple le plus marquant restant sans doute PSYCHO). Jerome.PEYREL 8 photogramme 4 – séquence 11 Une question subsiste : pourquoi Hitchcock prend-il l’option narrative de ne pas dévoiler le mensonge de Barnes ? Quelle force aurait eu cette séquence si le spectateur avait su que Barnes mentait ? Cette question n’est pas innocente dans le sens où Hitchcock a pris le parti de dévoiler les motivations des personnages dans plusieurs de ses longsmétrages, ce qui accroît le suspense (The Rope…) ou bien la révélation apparaît avant la fin du film, ce qui relance l’action (Vertigo). La trame y aurait-elle perdue en linéarité, en clarté (nous sommes dans un film destiné à la télévision) ? Le film s’organise autour de 5 « coups de théâtre », dont l’un, le plus fort à mon sens est la volonté de Michael Barnes de ne pas répondre à la question du procureur : il perd alors une grande part de crédibilité que seul le témoignage de dernière minute du danseur de twist lui rend. Ce « coup de théâtre » incomplet (que cache Barnes ?) fonctionne comme les « échardes » définies par Slavoj Žižek 1 ; la normalité éclate, l’agissement du personnage semble hors de toute réaction logique, le réel décroche l’espace d’un instant. 1 Slavoj Žižek, L’écharde dans ton œil, Trafic n° 41, printemps 2002, P.O.L. Jerome.PEYREL 9 Axes d'étude du film Une structure marquée par la télévision La coupure publicitaire rappelle avec force la destination de ce programme : 52 minutes, (48’’ + coupure publicitaire centrale) divisée en deux parties, avec une marque dramatique forte à 13 minutes (la mort de la victime). Hitchcock utilise à profit les cadres imposés : il crée à partir de ces cadres une tension dramatique et les emploie comme matériau humoristique dans ses interventions parlées. Après la présentation + générique de la série, le film commence par son générique et l’ouverture (1’31). La première partie (de la séquence 2 à la séquence 5) s’enchaîne en fondus enchaînés. Elle se termine par l’annonce de la mort du motard. La deuxième partie est composé de la seule séquence 6 qui voit s’enchaîner sans interruption les deux premiers témoignages au procès. La troisième partie intervient après la coupure pub, et est composée des séquences 7 à 10 : son unité vient du fait que chaque nouveau témoignage est ponctué par un fondu au noir, marquant une progression en coups de théâtre successifs. La dernière partie englobe les séquences 11 à 13 toutes liées par des fondus enchaînés. Le film se clôt à la clinique, par l’explication finale, hors de la tension du procès. Cette structure est extrêmement équilibrée, autour de la pose centrale et est ponctuée tout au long du déroulement par des poses intermédiaires (pour d’autres coupures publicitaires ?). Hitchcock, à la télévision, tourne en dérision la télévision, la publicité… Ses prises de paroles pince-sans-rire participent d’ailleurs de la renommée de l’émission et illustre véritablement la liberté qu’il pouvait se permettre dans toutes ses entreprises à cette époque. Concernant ce film, l’histoire du key-club renvoie bien peu au film : faut-il voir dans l’expression « everything a woman could want » une autre allusion au désir de maternité, sur lequel se fonde l’intrigue du film (voir infra) ? Piéger le spectateur En tout cas, Hitchcock aura prévenu son spectateur : « si vous voulez tout voir, je vous suggère de regarder attentivement ». Néanmoins, on peut regarder aussi attentivement que l’on veut, il n’y a pas moyen de voir le chauffard, ni de déceler la présence déterminante de George Peabody dans le plan de l’accident. C’est encore un moyen pour Hitchcock de marquer une supériorité sur le spectateur, de jouer avec notre perception, comme il l’avait déjà fait dans l’un des meilleurs films télé qu’il a réalisé en 1960 (en couleurs), pour la série Startime, INCIDENT AT A CORNER. Ce programme d’une heure commence par la même scène, mais filmée de 3 lieux différents : qu’y a-t-il à voir ? Il s’agit encore de jouer avec la perception, avec ce que le spectateur croit qu’il doit percevoir, et Hitchcock, comme bien souvent, tisse de fausses pistes, et s’amuse, tel un collégien, de nos déficiences. Jerome.PEYREL 10 photogramme 5 – séquence 1 INCIDENT AT A CORNER – plan 1 Une critique de la justice Bien sûr, Hitchcock profite de cette histoire pour dénoncer les aléas de la justice : le faux coupable endosse la responsabilité du méfait, il ne dit pas lui non plus la vérité : les témoignages sont donc tous soumis à la subjectivité ou au mensonge ; ils peuvent dire l’inverse de ce qu’ils signifiaient selon que la lecture en est faite par l’accusation ou par la défense. Le verdict ne repose alors que sur le témoignage de George Peabody, suite à une séance de twist. L’enchaînement entre cette séance de twist et le verdict prête évidemment à sourire et correspond à l’humour développé par Hitchcock dans ses films, mais aussi dans les présentations des séries télévisées. photogramme 5 – fondu entre les séquence 12 et 13 Des thèmes hitchcockiens Outre le thème de la justice (cf. suite) on retrouve dans ce film télévisé les obsessions récurrentes d’Hitchcock : — la famille (l’accouchement de Stella, l’enfant de Joanne et l’enfant du colonel Hoey – l’enfant ou le désir d’enfant est la clef du procès et du comportement de Barnes) ; — portraits de femmes sans concession : coupable mais qui n’assume pas (Stella) ; frivole et peu consistante (Penelope Sanford) ; ou qui assume une vie difficile (Joanne Dowling) ; — le mensonge générateur de problèmes ; — Une réflexion sur le cinéma : que voit le spectateur, quelle interprétation en donne-til, voit-il ce qu’on lui montre ? (cf. P11)… C'est bien sûr le thème du faux coupable, topos hitchcockien par excellence, qui trouve dans ce téléfilm une nouvelle illustration. « Hitchcock utilisera ce canevas à de nombreuses reprises : SABOTEUR et NORTH BY NORTHWEST sont des variations sur le même thème » Jerome.PEYREL 11 « … Balestrero dans THE WRONG MAN ne parvient à prouver son innocence qu'au terme d'un parcours cauchemardesque qui détruit l'équilibre psychologique de sa femme », Jacques Lefèbvre in Cinémaction 105 (cf. bibliographie) Voilà ce que tente d'éviter Barnes, de perturber psychologiquement sa femme, en réponse au héros de THE WRONG MAN, réalisé 5 ans plus tôt. Nouvelle expression de ce type hitchcockien, le faux coupable dans I SAW… devient coupable de son propre fait, par son mensonge assumé, afin de sauvegarder la santé mentale de sa femme. Le héros n'est pas dans la même position que Roger Tornhill (NORTH…) ou Manny Balestrero. S'étant lui-même proclamé coupable, il ne peut compter que sur une résolution hasardeuse de son cas ; il n'arrive pas à se tirer seul des griffes de la justice, il s'embourbe dans son mensonge, alors que les autres faux coupables hitchcockiens assumaient leur rôle, n'en jouaient pas et n'avaient comme objectif que celui de faire éclater la vérité : Barnes cherche en fait à faire éclater un demi-mensonge, à berner le jury. Il est pieds et poings liés par sa bonne conscience de héros, ne pouvant mentir jusqu'au bout. photogramme 6 – plan 1 / séquence 5 Un ‘film de prétoire’ « Chez Hitchcock, la justice ne se borne pas à son exercice dans les tribunaux, elle est au cœur d’une problématique plus générale du bien et du mal, disons de la culpabilité et du pardon. (…) La vision binaire, suggérée par la justice institutionnelle, Hitchcock sait toujours la dépasser par la vision humanisée de ses images finales ». Dominique Sipière in Cinémaction 105. Voir plus généralement ce numéro de Cinémaction, La Justice à l’Écran, avec un article consacré à la justice dans les films d’Hitchcock, sans tenir compte cependant des séries télévisées. L’auteur y analyse les occurrences des scènes de tribunaux dans les films suivants : date 1927 1929 1929 1937 1946 1948 1953 1954 1965 TITRE EASY VIRTUE THE MANXMAN MURDER JEUNE ET INNOCENT LES ENCHAINES LE PROCES PARRADINE LA LOI DU SILENCE LE CRIME ETAIT PRESQUE PARFAIT LE FAUX COUPABLE place Début et fin Fin Début En cours Début Fin Fin Milieu Fin durée 16’ 8’ 19’30 5’ 1’ 38’ 15’ 1’ 9’30 (extrait de La Justice à l’écran, Alfred Hitchcock : procès et procédés, Dominique Sipière, 2002) … auxquels on peut ajouter, même s’il est particulier, le jugement rendu au milieu de VERTIGO (5’). Jerome.PEYREL 12 Bibliographie : Livres et revues Hitchcock / Truffaut, édition définitive, Gallimard, 1993 Cinémaction n°105, La Justice à l’Écran, Corlet / Télérama, 4ème trimestre 2002 A signaler : il existe un Alfred Hitchcock Presents companion, Martin Grams, Patrik Wikstrom, 660 pages, O T R Publishing, 2001, ISBN 0970331010 Sites Internet : http://epguides.com la liste de tous les épisodes des séries télévisées http://www.labyrinth.net.au/~muffin/ études diverses sur Hitchcock http://www.geocities.com/SunsetStrip/Towers/7260/hitch.html site généraliste sur Hitchcock http://www.dunwich.org/tv/hitch/index.html site sur les séries TV ‘Hitchcock’ DVD : L’intégralité des épisodes réalisés par Hitchcock est sortie en France chez Universal : 2 coffrets, l’un avec les épisodes possédant un VF (3 disques), l’autre avec tous les épisodes (5 disques) Les saisons 1 et 2 de l’émission Alfred Hitchcock Presents ont été éditées aux Etats-Unis (zone 1) en deux coffrets dvd. Jerome.PEYREL 13 Annexe 1 : filmographie complète d’Hitchcock Période américaine Période anglaise Number thirteen inachevé (1922) Always tell your wife partiel - non crédité (1923) 1. 2. 3. 4. 5. 6. 7. 8. 9. 10. 11. 12. 13. 14. 15. 16. 17. Productions M. Balcon pour la Gainsborough pictures : The pleasure garden (1925) The mountain eagle (1926) Les cheveux d'or - The lodger (1926) Downhill (1927) Le passé ne meurt pas - Easy virtue (1927) Productions John Maxwell pour la B.I.P. : Le masque de cuir - The ring (1927) Laquelle des trois ? – The farmer’s wife (1928) A l'américaine - Champagne (1928) The Manxman (1929) Chantage - Blackmail 2 versions (1929) Junon et le paon - Juno and the paycock (1930) Meurtre - Murder (1930) Elstree calling sketche An Elastic Affair (1930) Mary version allemande de Murder (1931) The skin game (1931) Number seventeen (1932) A l'est de Shanghai - Rich and strange (1932) Productions Gaumont-B.P. : 18. Le chant du Danube - Waltzes from Vienna (1933) Produits par M. Balcon 19. L'homme qui en savait trop - The man who knew too much 1ère version (1934) 20. Les trente neuf marches - The thirty nine steps (1935) 21. Quatre de l'espionnage - Secret agent (1936) 22. Agent secret - Sabotage (1936) Produits par Edward Black 23. Jeune et innocent - Young and innocent (1937) 24. Une femme disparaît - The lady vanishes (1938) Prod. E. Pommer / C. Laughton pour Mayflower prod. 25. L'auberge de la Jamaïque - Jamaïca Inn (1939) Pour David O. Selznick 26. Rebecca (1940) The house across the bay partiel / non crédité (1940) 27. Correspondant 17 - Foreign correspondent (1940) 28. Joies matrimoniales - Mr and Mrs Smith (1941) 29. Soupçons - Suspicion (1941) 30. Cinquième colonne - Saboteur (1942) 31. L'ombre d'un doute - Shadow of a doubt (1943) 32. Lifeboat (1944) 33. Aventure Malgache produit en Angleterre (1944) 34. Bon voyage produit en Angleterre (1944) 35. La maison du Docteur Edwardes - Spellbound (1945) 36. Les enchaînés - Notorious (1946) 37. Le procès Paradine - The Paradine case (1947) Hitchcock producteur 38. La corde - Rope (1948) 39. Les amants du Capricorne - Under Capricorn (1949) Période warner 40. Le grand alibi - Stage fright (1950) 41. L'inconnu du Nord-Express - Strangers on a train (1951) 42. La loi du silence - I confess (1953) 43. Le crime était presque parfait - Dial M for murder (1954) Période ‘paramount’ 44. Fenêtre sur cour - Rear window (1954) 45. Revenge (1955) 46. The case of Mrs Pelham (1955) 47. Breakdown (1955) 48. La main au collet - To catch a thief (1955) 49. Mais qui a tué Harry ? - The trouble with Harry (1956) 50. L'homme qui en savait trop - The man who knew too much 2ème version (1956) 51. Wet Saturday (1956) 52. Mrs Blanchard’s secret (1956) 53. Back for Christmas (1956) 54. One more mile to go (1957) 55. Four o’clock (1957) 56. The perfect crime (1957) 57. Le faux coupable - The wrong man (1957) -warner 58. Sueurs froides - Vertigo (1958) 59. Poison (1958) 60. Lamb to the slaughter (1958) 61. A dip in the pool (1958) 62. La mort aux trousses - North by Northwest (1959)-mgm 63. The crystal trench (1959) 64. Banquo’s chair (1959) 65. Arthur (1959) 66. Mrs Bixby and the colonel’s coat (1959) 67. Psychose - Psycho (1960) 68. Incident at a corner (1960 69. The horse player (1961) 70. Bang ! you’re dead (1961) 71. I saw the whole thing (1962) Période universal 72. Les oiseaux - The birds (1963) 73. Pas de printemps pour Marnie - Marnie (1964) 74. Le rideau déchiré - Torn Curtain (1966) 75. L'étau - Topaz (1969) 76. Frenzy (1972) 77. Complot de famille - Family plot (1976) The short night inachevé (1976-1980) En italique, les films TV Source : http://www.imdb.com ; http://www.hitchcockmania.it D. Spoto, La Vraie vie d’Alfred Hitchcock, Ramsay, 1994 Jerome.PEYREL 14 Annexe 2 : les séries télévisées réalisées par Hitchcock Les résumés des épisodes sont tirés directement du site internet cité en source. Revenge : (diffusé le 2 octobre 1955) Elsa a été victime d'une agression. Son mari Carl tue celui qu'elle prend pour son assaillant. Mais Elsa s'est trompée... Breakdown : (diffusé le 13 novembre 1955) Un homme d'affaires victime d'un accident se retrouve à la morgue où il passe pour mort. Back for Christmas : (diffusé le 4 mars 1956) Herbert tue sa femme Hermione et l'enterre dans la cave. Mais Hermione avait prévu l'aménagement d'un cave à vin... The case of Mr. Pelham : (diffusé le 4 décembre 1955) Albert Pelham a un sosie qui cherche à l'évincer. Wet saturday : (diffusé en 1956) Que faire de la jeune Millicent, qui vient de tuer son professeur? Mr Blanchard' secret : (diffusé le 23 décembre 1956) Une femme auteur de romans policiers, s'imagine que son voisin a tué son épouse. Four O'clock : (diffusé le 30 septembre 1957) Un horloger jaloux est victime de la bombe à retardement qu'il a lui même installé. One more mile to go : (diffusé le 7 avril 1957) Sam tue sa femme Martha et cache son cadavre dans le coffre de la voiture. The perfect crime : (diffusé le 20 octobre 1957) Un détective mégalomane se transforme en assassin. Lamb to the slaughter : (diffusé le 13 avril 1958) La femme d'un policier volage tue son mari d'un coup de cuisse de mouton congelée. Elle donne ensuite l'arme du crime à manger aux collègues du défunt. Poison : (diffusé le 5 octobre 1958) Y a t'il un serpent mortel dans le lit de Harry? A dip in the pool : (diffusé le 1er juin 1958) Lord d'un croisière, William saute à l'eau à la suite d'un pari. Banquo's chair : (diffusé le 3 mai 1959) Le fantôme de Miss Ferguson aide à démasquer son assassin. Arthur : (diffusé le 27 septembre 1959) Arthur étrangle sa femme, la coupe en petits morceaux et la donne à manger à ses poulets. The crystal trench : (diffusé le 4 octobre 1959) Quarante ans après sa mort, Stella retrouve le cadavre de son mari conservé dans la glace. Une surprise attend la veuve. Incident at a corner : (diffusé le 5 avril 1960) Un accident de la circulation sème la zizanie dans une petite ville. Mrs Bixby and the colonel's coat : (diffusé le 27 septembre 1960) Un colonel offre à sa maîtresse un manteau de vison comme cadeau de rupture. The horse player : (diffusé le 14 mars 1961) Un prêtre vole l'argent de la paroisse pour jouer aux courses. Bang! You're dead! : (diffusé le 17 octobre 1961) Un gamin menace son entourage avec un revolver chargé. I saw the whole thing : (diffusé le 11 octobre 1962) Les personnes qui ont assisté à un accident de la circulation donnent toutes des témoignages contradictoires. Source : http://hitchcock.alfred.free.fr/series/series.html (site perdu) Notes 1 Après avoir produit ALFRED HITCHCOCK HOUR Gordon Hessler s'illustra en réalisant et produisant, à la fin des années soixante, pour l'A.I.P. de Roger Corman, plusieurs films dont trois adaptations d'Edgar Allan Poe (MURDERS IN THE RUE MORGUE sur un scénario d'Henry Slesar cf. infra, CRY OF THE BANSHEE et THE OBLONG BOX), ainsi que THE GOLDEN VOYAGE OF SINBAD en 1974. 2 article du Monde en date du 21.04.2002 Henry Slesar, auteur américain de nouvelles policières, est mort à New York le 2 avril. Né le 12 juin 1927 à Brooklyn, il fut l'un des plus remarquables nouvellistes policiers, l'un des plus prolifiques aussi (plus de 500...). Dès sa première nouvelle, A Victim Must Be Found (Qui est la victime ?), publiée en 1955 dans le Ellery Queen's Mystery Magazine, Henry Slesar s'affirmait comme un des maîtres du genre(…). Mais c'est dans le célèbre Alfred Hitchcock's Mystery Magazine, dont il fut l'un des piliers et où il utilisa également le pseudonyme de O. H. Leslie, qu'il donna le meilleur de lui-même, avec des textes d'un humour ravageur, dont un florilège fut rassemblé sous le titre Crimes parfaits et belles escroqueries. Tout naturellement, Henry Slesar collabora aux deux séries télévisées d'Alfred Hitchcock, "Alfred Hitchcock presents" et "The Alfred Hitchcock Hour" en tant que scénariste, métier qu'il exerça pour de nombreuses autres séries ou téléfilms, et pour le cinéma. Il a signé ainsi plus d'une centaine de scripts pour la télévision et une quarantaine de pièces radiophoniques pour l'émission "CBS Radio Mystery Theatre". Henry Slesar écrivit aussi quelques romans policiers : The Gray Flannel Shroud, qui lui valut le prix Edgar-Poe du meilleur premier roman, Cette nuit-là, Mort pour rire. On peut trouver quelques-unes des meilleures nouvelles de cet humoriste talentueux dans les anthologies Alfred Hitchcock présente. 3 4 Musique de TO CATCH A THIEF le titre de la nouvelle originale de Henry Cecil est INDEPENDENT WITNESS. Henry Cecil est un auteur spécialisé dans les histoires de tribunaux. Dernière édition disponible datant de 2002 ISBN: 1842320564 Publisher: House of Stratus Ltd