Rencontrer la souffrance des soignants

Transcription

Rencontrer la souffrance des soignants
Belgique-België
P.P
5000 Namur 1
BC
5588
N° 20 - août 2008
CONFLUENCES
REVUE DE L’INSTITUT WALLON POUR LA SANTÉ MENTALE
Artistes Anonymes, Delphine.
Autorisation de fermeture : 5000 Namur 1 - BC5588
Dossier: RENCONTRER LA SOUFFRANCE DES SOIGNANTS
Ed. Resp. : C. Bontemps, Rue Henri Lemaître, 78 B-5000 Namur - Bureau de dépôt : Charleroi x
Une histoire pas bien longue mais déjà bien riche !
éditorial
Avec les décisions statutaires de l’Assemblée générale du 16 juin, l’Institut Wallon pour
la Santé Mentale vient de traverser un temps de « Confluences »…, et, au moment de
passer le relais de la Présidence à Robert Sterck, je tiens à m’arrêter quelque peu pour
porter un regard sur cette histoire pas bien longue mais déjà bien riche. Confluences qui
l’a suivie depuis le début était tout indiqué pour ce faire.
Tout a commencé… au cours de la précédente législature, lorsque le Ministre wallon
de la Santé a souhaité la mise sur pied d’un organe représentatif de la réalité et de la
pluralité du terrain de la santé mentale. Au sein de la Ligue wallonne pour la santé
mentale, j’ai été un de ceux qui ont trouvé l’idée intéressante et, avec les partenaires,
nous avons travaillé intensément à sa concrétisation. En avril 2002, l’Institut Wallon
pour la Santé Mentale était créé.
Editeur responsable :
Christiane Bontemps
Coordination :
Christine Gosselin
Hélène Carpiaux
Secrétariat :
Muriel Genette
Comité de rédaction :
Fabienne Collard
Pascal Colson
Bertrand Geets
Denis Henrard
Stéphane Hoyoux
Paul Jacques
Francis Turine
François Wyngaerden
Personnes ressources :
Nicole Devreese
Françoise Dumont
Danielle Sarto
Philippe Servais
Illustrations :
Merci à l’Atelier des
«Artistes Anonymes !»
Clinique Neuro-psy de Bonsecours
Institut Wallon
pour la Santé Mentale
Rue Henri Lemaître, 78
B-5000 Namur
( +32(0) 81 23 50 15
7 +32(0) 81 23 50 16
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Graphisme :
pixFACTORY
Le pari n’était pas facile, pour deux raisons essentielles : d’une part, cette nouvelle
institution se construisait au sein même de la Ligue dont certains membres ne voyaient
pas d’un bon œil ce grand chambardement et, d’autre part, elle avait pour ambition - une
première dans le secteur - de réunir en Wallonie, autour d’un objectif commun, des
représentants de tous les secteurs exerçant dans le champ de la santé mentale, quels
que soient leurs intérêts, objectifs, moyens, adresses, idéologies et conceptualisations,
souvent - il faut le reconnaître - très diversifiés. Bien reçue, cette invitation à une
concertation transversale intersectorielle et régionale a assez rapidement abouti à un
premier cadre statutaire. Paul Jacques, Président de la Ligue à l’époque, a assuré la
transition, en acceptant la première présidence de ce nouvel Institut Wallon pour la
Santé Mentale, et ce, pendant un an.
Reprenant le flambeau à la présidence, il nous a alors fallu, avec le Conseil d’administration
et la direction, plus de quatre années pour affiner la structure et l’organisation, veiller à ce
que chaque membre ait sa place, accès à la parole et soit entendu, tout en restant attentif au
cadre de travail de l’équipe, parfois, souvent, trop souvent, confus, instable et changeant.
La dépendance historique de l’Institut à la Ligue et l’engagement parfois ambigu de
certains membres dans ce projet audacieux ont fait de la consolidation de l’IWSM un
véritable enjeu, renforcé par la nécessaire articulation à l’Autorité politique pour l’octroi de
subventions. En effet, après les élections régionales de juin 2004, le nouveau Cabinet avec
ses Ministres successifs a tenu, logiquement et légitimement, à inscrire le financement
qu’il octroyait à l’IWSM dans sa politique de santé mentale. L’accent ainsi mis sur les
services de santé mentale dans les missions confiées par la Région wallonne à l’Institut
limitait les ambitions du projet transversal mais les nombreuses rencontres avec les
Autorités wallonnes ont permis de bien cadrer leur soutien et leurs attentes et cela dans un
cadre confirmé, simplifié et éclairci lors de la dernière Assemblée générale de l’Institut.
Ces clarifications, tant intra qu’extra institutionnelles, se sont révélées être le bon
moment pour que l’Institut se choisisse un nouveau Président. Mes années de
présidence auront permis de préciser les rapports de l’Institut avec la Région wallonne
(avec une inscription dans le nouveau décret, espéré au printemps 2009) et de clarifier
les règles de fonctionnement du Conseil d’administration et des groupes de travail ainsi
que la façon dont chacun est invité à y prendre part.
Je tiens à vous remercier tous pour la confiance que vous m’avez témoignée et je suis
certain que le nouveau Président concrétisera de nombreux projets en mouvement
depuis la création de l’Institut Wallon pour la Santé Mentale.
Francis Turine
sommaire
Actualités
Quel travail trouver quand on a perdu la santé ?
Isabelle Deliége
Jeunes et transversalité
Luc Fouarge
AICS déficitaires, aspects psychosociaux de la prise en charge
Elisabeth Lopez
Ecoute d’abord ce qu’elle tait !
Francis Turine
A découvrir
Etats Généraux de la Santé Mentale en Wallonie
Marie Lambert
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6
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12
Dossier :
Rencontrer la souffrance des soignants
Préface
Francis Turine
Souffrance au travail, travail de la souffrance
Bertrand Geets
Souffrance du soignant, une question de dispositif institutionnel ?
Nicole Devreese
Augmenter les ressources des équipes
Christine Vander Borght
Patchwork pour une prévention du burn-out
Edith Creplet
Echo de la souffrance des soignants chez les usagers
François Wyngaerden
Le droit au « non »
Francis Turine
Un cadre et des définitions nécessaires
Philippe Servais
Souffrances plurielles et moyens multiples
Danielle Sarto
Dispositions légales, humaines et institutionnelles
Marie-Christine Delbovier
Soigner la souffrance et en souffrir
Pierre Wautier
Bien-être et santé au travail
Christine Gosselin
La gestion des risques psychosociaux
Nathalie Lionnet
Le bien-être des professionnels en SSM
Laure De Myttenaere
Prévenir la souffrance et contrer la violence
Rachel Garcet
Oser l’informel, la solidarité et le partage émotionnel
Françoise Dumont
Le travail entre espoir et désespoir
Christophe Dejours
Repères et références bibliographiques
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Quel travail trouver quand on a perdu la santé ?
Quelle possibilité a-t-on de retrouver un travail, et quel travail, quand on a connu un problème de santé mentale ? Telle est la question mise à l’honneur ce 6 juin par l’asbl Together
dans son désormais traditionnel Carrefour annuel des usagers1.
Si on considère la santé davantage comme un état d’équilibre, d’harmonie, comme un
droit et non un état de fait, que se passe-t-il quand on la perd ? Et lorsque cette situation
rime avec la perte du travail, et donc du statut social qu’il confère et de la qualité de vie
à laquelle il contribue ? Comment retrouver alors un équilibre dans une société fondée
essentiellement sur le travail, tout en se respectant, en s’écoutant et en tenant compte de
sa maladie ?
Isabelle DELIEGE
IWSM
Les différents apports
P
our aborder ces questions et informer les
usagers, les organisateurs du carrefour,
ont fait appel à des professionnels de
différents horizons : Forem, entreprises d’insertion
à finalité sociale, de travail adapté, de formation
par le travail et professionnels de la santé mentale.
Chacun d’eux levant le voile sur ce qu’il est possible de faire, ou de refaire, en matière d’activité
professionnelle, quand on rencontre ou qu’on a
rencontré des problèmes de santé mentale.
En effet, la santé mentale et le secteur de l’emploi
et de l’insertion professionnelle ne sont pas toujours très connectés : d’après une enquête menée
à l’IWSM à propos des pratiques de réseau en
SSM, environ un tiers des services de santé
mentale interrogés citent nommément « l’emploi
et la formation » parmi les secteurs avec lesquels
ils ne travaillent pas2.
Pourtant, du côté des usagers, la préoccupation
est grande de retrouver un emploi, et par là même
un ancrage et un statut social, même si les craintes ne sont pas absentes non plus : En serais-je
capable ? Quelle conséquence cela aura-t-il par rapport
à mes droits actuels (notamment au niveau des allocations et autres revenus de substitution) ?
2
Confluences N°20 Août 2008
Les éclairages des professionnels de l’insertion
sur les possibilités qui peuvent être offertes à
chacun dans ces différents cadres redonnent
espoir. Ils montrent qu’un retour à l’emploi est
possible. Et différents témoignages d’usagers le
confirment, s’appuyant sur leur propre parcours
en termes d’emploi et de formation, malgré ou
en fonction de leur maladie. Si l’exercice de la
prise de parole en public pour faire part de son
histoire n’est pas aisé, ce sont aussi des temps
forts de la journée : l’occasion de se rendre compte
qu’on n’est pas seul, de se soutenir, de s’encourager et de témoigner que quelque chose est
possible, même si le chemin est difficile.
Le Forem : accompagnement
dans la recherche d’emploi
et aide à l’embauche
« Mais a-t-on le droit de chercher du travail (et
d’être accompagné pour ce faire), quand on est
en incapacité de travail, en congé de maladie pris
en charge par la mutuelle ? », s’interrogent les
usagers. Oui, toute personne majeure a droit au
service du Forem, même si elle dépend de la
mutuelle, mais cela doit toujours se faire avec
l’accord du médecin conseil ou, si elle bénéficie
d’une allocation de remplacement de revenu et/
ou d’intégration, mieux connue sous le nom de
« la vierge noire », du Service Public Fédéral
Sécurité Sociale.
Cette préoccupation du maintien des droits, si on
s’oriente vers une démarche de reprise d’activité
professionnelle, est essentielle. Et pour cause,
une rechute est toujours possible.
Il est possible de bénéficier, dans la recherche
d’emploi, d’un accompagnement par un conseiller
en accompagnement professionnel du Forem.
Celui-ci peut même se déplacer dans les maisons
de l’emploi. Les assistants sociaux peuvent pour
leur part se déplacer à domicile, en cas de difficultés personnelles. Une condition cependant
pour avoir accès à ce service : être inscrit comme
demandeur d’emploi libre (inscription valable 3
mois mais renouvelable) et avoir l’accord du
médecin conseil de la mutuelle (si on dépend de
la mutuelle à ce moment-là).
Ce conseiller en accompagnement professionnel
du Forem peut notamment aider la personne à
faire le point à différents niveaux, avant de se
lancer dans la démarche de recherche d’emploi
à proprement parler :
Eclaircir sa situation personnelle : santé, mobilité, âge, contraintes horaires ;
Faire le point sur ses qualifications : diplômes,
études, formation, expérience ;
Elaborer, préciser ou redéfinir un projet professionnel: métier, lieu de travail, horaire,
chances de réussite ;
Donner des conseils par rapport à la candidature: la manière de se présenter, les entretiens d’embauche, comment bien rédiger son
CV, sa lettre de motivation, etc.
Outre ce service, les plans et les formules d’aides
à l’embauche sont multiples et variés. Quelques
points de repères :
La carte Activa donne droit à une réduction de
l’ONSS pour l’employeur et éventuellement à
une intervention de l’ONEM dans le salaire
(appelée allocation de travail) ;
Le Plan de Formation Insertion permet une
formation individualisée et une insertion en
entreprise, dans le secteur privé ;
Les passeports APE (Aide à la Promotion de
l’Embauche) constituent des aides à l’embauche pour le secteur non marchand : on obtient
un certain nombre de points, qui déterminent
les aides dont peut bénéficier l’employeur, en
fonction de son âge et du temps d’inscription
comme demandeur d’emploi ;
Les Programmes de Transition Professionnelle (PTP), qui concernent des emplois dans
le secteur public (p. ex. Région wallonne, province), pour les chômeurs de longue durée ;
Les emplois dits « article 60 », qui dépendent
du CPAS et sont proposés pour récupérer ses
droits au niveau du chômage.
A l’AIGS3, à côté des services proposés par le
Forem, le service « activation emploi » de l’association peut aussi proposer un accompagnement plus rapproché des personnes ayant des
problématiques de santé mentale, en se rendant
à domicile, chez l’employeur etc.
connues sous le nom d’« ateliers protégés »,
permettent aux personnes ayant un dossier Awiph
et une reconnaissance d’un pourcentage minimum
de handicap, de retrouver une occupation professionnelle. Celle-ci peut se dérouler dans leurs
locaux, mais il peut aussi y avoir des prestations
en entreprise « classique », qui permettent de se
confronter à un autre environnement.
Ces structures relèvent au jour le jour le défi de
concilier leur objet social et les contraintes du
marché, en offrant des services ou des produits
de qualité, s’engageant pour certaines, dans des
démarches qualité exigeantes, reconnues par une
certification, au même titre que les autres.
A côté de ces structures, il faut savoir qu’il existe
aussi des Entreprises de Formation par le Travail
et des Organismes d’Insertion Socio-Professionnelle, plus ou moins sensibilisés selon les cas,
aux problématiques de santé mentale.
Par ailleurs, les usagers questionnent aussi le
statut du travail (rémunéré), comme seule manière
d’obtenir une reconnaissance sociale. Le bénévolat peut aussi constituer une piste intéressante, pour retrouver une activité, se sentir utile,
même si l’absence de rémunération apparaît problématique pour certains.
Des cadres adaptés
pour reprendre un travail
Les obstacles à l’emploi ?
Des acteurs du monde de l’entreprise (économie
sociale) apportent aussi leur éclairage sur les
possibilités d’emploi en leur sein.
Les entreprises d’insertion à finalité sociale,
agréées par la Région wallonne, sont des sociétés commerciales, mais qui poursuivent un autre
but que l’enrichissement (les bénéfices sont réinvestis dans l’action), comme l’intégration professionnelle des personnes fragilisées sur le marché
de l’emploi. Les « accompagnateurs sociaux »
qui y travaillent ont pour mission d’assurer un
coaching professionnel, en vue d’aider ces personnes à se réadapter au monde du travail. Il peut
par exemple s’agir de sociétés de titres services,
organisées sur le mode de société coopérative,
qui proposent des travaux d’entretien, d’aménagement des espaces verts, etc.
Les Entreprises de Travail Adapté (ETA), autrefois
Les usagers s’interrogent aussi sur les obstacles
qui se dressent sur leur chemin vers l’emploi :
comment respecter son propre rythme tout en (re)
travaillant ? Plusieurs témoignages relatent des
échecs qu’ils ont connus quand ils ont voulu
« aller trop vite ».
Quand on est resté longtemps hors du circuit du
travail, si l’envie de reprendre peut bel et bien être
présente, elle peut aussi être accompagnée de
peur (« en serais-je capable ? »), liée à la perte
de confiance en soi.
Les conditions de travail elles-mêmes (les horaires, la pénibilité du travail, la pression parfois
forte à la productivité) peuvent constituer un
premier obstacle à l’emploi. A ce niveau, les participants pointent l’ambiguïté qui peut exister entre
l’exigence de rendement et la notion de travail
adapté. La lenteur, qui peut être associée à un
problème de santé mentale, est notamment en
cause. Une usagère témoigne de son expérience
à ce niveau : « comme volontaire, j’étais bonne
mais pour être engagée, j’étais trop lente !»
D’autres obstacles existent également : l’âge, le
niveau de diplôme, la mobilité, l’implication (qui
peut nuire aussi bien par défaut que par excès)
et la motivation.
Au niveau des relations avec son employeur, une
question se pose : que dit-on de soi et de sa situation dans son lieu de travail ? Est-il opportun
d’en parler ? Quand et comment, pour éviter la
stigmatisation ?
La reconnaissance d’un certain pourcentage de
handicap par l’AWIPH pose aussi question par
rapport à l’emploi : selon les cas, elle peut aider
(à recevoir un statut de demandeur d’emploi
adapté ; à partir de 33% d’incapacité, l’employeur
peut avoir droit à une aide) ou faire obstacle (faut-il
le dire, le mettre en avant ?).
Pour faire face à tout cela, les usagers pointent
l’importance de bénéficier d’un soutien, car on
peut se décourager plus vite quand on est plus
fragile. La question de la durée, voire de la pérennité de ce soutien au cours du temps est également
abordée, dans un débat sur « l’assistance ». l
Bon à savoir
Quelques ressources
Forem : http://www.leforem.be
Contact à Liège : Carole Opel, conseillère en
accompagnement professionnel / assistante
sociale au Forem de Liège.
*
Quai Banning, 4 - 4000 Liège
( 04/2411.352
Service Public Fédéral Sécurité Sociale
:
http://www.socialsecurity.fgov.be/fr/
*
Rue de la Vierge noire, 3 c-1000 Bruxelles
1
6 juin 2008 au Motorium, à Herstal.
Deliége I., Bontemps C. (dir), « Enquête par questionnaire sur le
travail en réseau en service de santé mentale en Région Wallonne »,
Namur, Institut Wallon pour la Santé Mentale, 2008.
3
Association Interrégionale de Guidance et de Santé (Liège).
2
Confluences N°20 Août 2008
3
Jeunes et transversalité
Deux évènements concourent à l’apparition du concept de transversalité quand il s’agit
d’aborder les pratiques en faveur des jeunes à problématique psychologique : la difficulté
de mettre en œuvre le réseau, d’une part, renforcée par le morcellement des responsabilités
politiques, d’autre part. Revenons sur ce qui a motivé la création d’un groupe sur ce thème
au Comité de gestion de l’AWIPH et sur les conclusions de ce travail.
Luc FOUARGE1
Directeur du COGA2, Leernes
Au niveau du cadre
A
u niveau politique, communautarisation
et régionalisation ont fractionné les
responsabilités dans des étages gouvernementaux différents. Ainsi, en matière de
Jeunesse, la protection se discute tantôt au
Fédéral3 lorsqu’il est question des responsabilités des juges de la Jeunesse, à la Communauté française s’il s’agit de l’application des
mesures et à la Région wallonne si s’ajoute aux
difficultés du jeune une problématique4 qui met
en œuvre un service de l’AWIPH5. L’obligation
scolaire ajoute dans le circuit une école et son
PMS6, et le recours à l’AWIPH peut mettre le
SSM7 à l’ouvrage.
Sur le terrain
Ainsi, sur le terrain, s’accumulent des services
d’aide ou de protection de l’enfance : SAJ ou
SPJ8 , SSM, PMS, Ecole, Service K9, Magistrat,…Selon les circonstances, CPAS10, AMO,
COE, SAIE11 … se croisent dans les familles.
L’état de santé des parents justifie parfois des
interventions supplémentaires avec ou sans
thérapie familiale.
Tout ce monde n’échappe évidement pas aux
pièges…C’est l’histoire de quatre individus :
4
Confluences N°20 Août 2008
Chacun, Quelqu’un, Quiconque et Personne. Un
travail important devait être fait, et on avait
demandé à Chacun de s’en occuper. Chacun
était assuré que Quelqu’un allait le faire. Quiconque aurait pu s’en occuper, mais Personne
ne l’a fait. Quelqu’un s’est emporté parce qu’il
considérait que ce travail était la responsabilité
de Chacun. Chacun croyait que Quiconque
pouvait le faire, mais Personne ne s’était rendu
compte que Chacun ne le ferait pas. A la fin,
Chacun blâmait quelqu’un du fait que Personne
n’avait fait ce que Quiconque aurait dû faire…
Même combat !
A la diversité des intervenants, fait écho la disparité des niveaux de pouvoirs en charge de la
gouvernance de ces services et réciproquement.
De l’harmonisation de politiques, il serait permis
d’attendre une invitation, incitation à des prestations concertées- tricotées à plusieurs. Le
souhait existe sur le terrain, mais l’essoufflement
à co-construire est aussi visible que l’impuissance des conférences interministérielles.
L’échec de l’accord des gouvernements de la CF
et de la RW autour de la question de l’intégration
scolaire en témoigne. Projet qui ne mettait en
œuvre que deux gouvernements : l’un en charge
de l’éducation, l’autre de la politique d’intégration de la personne handicapée.
Le réseau…, une solution ?
L’engouement pour « le réseau » devait, théoriquement, pallier au morcellement des offres
de services aux jeunes et à leurs familles. C’était
oublier que la pratique de réseau ne se prescrit
pas d’en haut. D’autant moins si elle est induite
par un seul des niveaux de pouvoir et, qui plus
est, se trouve édictée sans apprécier l’indispensable participation de travailleurs sociaux qui
dépendent d’un autre ministre. Même si, théoriquement donc, il est permis de spéculer sur
une plus grande efficacité dans le travail à plusieurs, ces édits prennent rarement en compte
le nombre d’heures de travail que cela coûte au
terrain. L’élaboration des agendas et les déplacements affectent la disponibilité des équipes
et génèrent l’essoufflement de telles pratiques.
Et les usagers ?
Et nos clients se plaignent sans cesse de la
lenteur des réponses qui leur sont proposées.
Ces avatars retardent les réponses aux demandes des bénéficiaires. Retards qui dans quelques
cas rencontrent les résistances des familles. Une
bonne douzaine de professionnels peuvent ainsi
s’agiter autour d’une prise en charge. Un rendement peu questionné. Ces constats se disent
dans les plates-formes de santé mentale, les
commissions subrégionales et autres coordinations sociales. Insidieusement, l’attentisme des
socio-psys s’érige en défense…et les politiques,
armés, se prêtent volontiers au rôle de bouc
émissaire.
De nombreuses familles attendront encore.
Travailler la question …
A la demande du Comité de Gestion de l’AWIPH,
j’ai présidé un groupe de travail chargé d’ouvrir
ces questions. Durant les dernières années, des
conflits de compétences se sont déroulés aux
plus hauts niveaux. La prise en compte de
besoins particuliers de jeunes présentant d’importantes difficultés psychologiques fit régulièrement l’objet de parties de ping-pong entre
les services de l’AAJ (CF) et ceux de l’AWIPH
(RW). Conflits qui se règlent sur le terrain par
des mesures d’ « aides » dites « par défaut ».
Ainsi, J. s’est trouvé hospitalisé en psychiatrie
pendant que SPJ, service de tutelle, et Bureau
régional de l’AWIPH se débattaient, convaincus
que la problématique de J. relevait du champ
de compétence de l’autre. Le recours aux responsables des administrations et cabinets
concernés ne fut pas miraculeux. J’imagine
bien que cet imbroglio perceptible par un travailleur social débutant décourage les services
qui auraient pu répondre favorablement hors
de cette tension. Le séjour à l’hôpital se prolonge (ce qui n’est pas sans affecter la carte de
visite de J.). Si jusque là on évoquait des troubles réactionnels, aujourd’hui J. se voit courir
le risque d’être perçu comme psychotique avec
troubles du comportement sévères associés.
Conscient d’être partenaire d’un vilain jeu, le
service hospitalier évoque, vainement, la
menace de déposer le jeune dans les bureaux
du SPJ. Le débat n’aboutira que lorsque l’hôpital annonce l’invitation faite à RTL de témoigner de la mise de J. sur le trottoir devant
l’hôpital... Pendant ce temps là, le jeune cultive
la méfiance à l’égard des adultes qui lui manifestent une hostilité qu’il risque bien d’interpréter. Fédéral, Communauté et Région sont
concernés !
Bien souvent, les « cas limites » comme celuici nécessitent un travail à plusieurs qui soutienne la capacité « contenante » d’un lieu de
vie et de soin, de sorte que la situation du jeune
soit protégée de la tendance au shopping
thérapeutique.
Le morcellement des services serait-il une
réponse à l’éclatement de la famille !? Tiens,
n’est-ce pas au pays du surréalisme que s’échafaude la clinique de la concertation… !?
Penser le fil rouge
A partir des réalités concrètes des intervenants
de tous secteurs invités à la table de réflexion, le
GT12 « Jeunes et transversalités » a examiné les
nombreux points d’impasses dans les prises en
charge et fait des propositions qui s’adressent
notamment aux autorités politiques. Le rapport
de ce GT a été transmis au Comité de gestion de
l’AWIPH et peut être consulté à l’Agence13. Reste
à voir comment celui-ci pourra s’en saisir et en
relayer les résultats là où ils doivent l’être.
Mais ce travail s’adresse aussi, et surtout, aux
acteurs de terrain. Il met en lumière l’importance
de penser fil rouge dès les premières offres de
service faites aux familles quand il est question
de jeunes en difficultés psychologiques.
Comme tout ce qui touche à la famille, cette
question est de haute valeur éthique. Le trop
conduit au contrôle social, le pas assez engendre de lourds coûts financiers à la société. Le
trop génère de l’assistanat, le pas assez de la
souffrance. Le fil rouge navigue dans les eaux
troubles du devoir d’ingérence. On y mêle droit
des familles et des parents et devoirs de la
société à l’égard de l’enfant.
Généralement, dans ces débats, les regards se
tournent vers le SAJ. Mais le SAJ ferme le dossier
aussi vite qu’il peut, poussé qu’il est par le manque
de moyens humains. D’autres comme les PMS
sont confrontés à l’éphémère, l’enfant cessant
d’être client dès lors qu’il déménage ou qu’il
change de niveau de scolarité. SAJ et SPJ interviennent parfois dans la même famille, mais
chacun a son client. Il arrive que l’un prenne des
mesures qui parfois affectent le travail de
l’autre.
Un outil de transversalité
La transversalité apparaît comme nécessaire
mais elle est encombrante et coûte beaucoup de
temps. C’est un travail long et difficile, voire
douloureux…. Actuellement elle apparaît surtout
colloquée. Entendez qu’elle fait l’objet de discours. Il faut pouvoir passer à l’acte !
A ce titre, l’Institut Wallon pour la Santé Mentale,
un lieu co-construit avec les différents acteurs
concernés par la santé mentale chez les enfants
et chez les adultes, participe à ce mouvement de
mise en œuvre de la transversalité. Son travail de
recherche et d’information s’appuie sur une approche éco-systémique de la santé. C’est en soi
un outil de transversalité. Les catégories de
membres, issues des différents secteurs de la
santé mentale, en disent long sur la volonté d’envisager la santé mentale dans une approche la
plus large.
La transversalité « force » les rencontres sur
lesquelles se construisent des réseaux et des
prises en charge multiples et soutient le regard
tiers, indispensable quand on se met au service
des soins de santé mentale.
La transversalité met en synergie clinique, éthique
et politique. C’est un combat à mener à tous les
niveaux ! l
1
8 [email protected].
Le COGA (Centre d’Orientation et de Guidance d’Aulne) IMP (Institut Médico Pédagogique) de l’AWIPH.
3
Niveaux de pouvoir : Fédéral (F), Communauté Française (CF),
Régional wallon (RW) ou bruxellois (RB).
4
Par ex., la catégorie dite « 140 » : troubles caractériels présentant
un état névrotique et/ou prépsychotique.
5
Agence Wallonne pour l’Intégration de la Personne Handicapée
(Régional).
6
Centre psycho-médico-social en charge de la guidance scolaire
(CF).
7
Service de Santé Mentale (Régional).
8
SAJ (Service d’Aide à la Jeunesse) et SPJ (Service de Protection
Judiciaire). Ils travaillent dans le secteur de l’aide à la jeunesse
(AAJ), respectivement sur base d’une demande pour le SAJ et sur
injonction judiciaire pour le SPJ (CF).
9
Hôpital index K : Hospitalisation psychiatrique pour enfants et
adolescents (Fédéral-INAMI).
10
Centre Public d’Aide Sociale (Ville et Commune).
11
AMO, COE et SAIE sont des services « ambulatoires » de l’AAJ
(CF).
12
Groupe de travail.
2
13
AWIPH - Direction Accueil et Hébergement ( 071/20.57.11.
Confluences N°20 Août 2008
5
AICS déficitaires Aspects psychosociaux de la prise en charge
Difficile de prendre en charge les auteurs d’infraction à caractère sexuel (AICS), qui, en plus,
sont « déficitaires » (AICSd). Leur proposer une intervention adaptée pose un épineux
problème aux équipes de santé spécialisées (ESS). En effet, particulièrement dévoreurs de
temps et de personnel, ils n’y sont pas toujours suffisamment accueillis. En outre, les méthodes dialectiques, qui utilisent principalement la parole comme modalité d’approche, ne sont
pas les plus adaptées pour ces AICSd qui sont, précisément, ceux qui maîtrisent le moins les
concepts et les termes. Une situation d’abandon vient alors se surajouter au rejet social ou,
pour le moins, à l’ignorance dont ils sont généralement déjà l’objet. Cette situation n’est pas
dans l’intérêt de la personne, ni dans celui de la lutte contre la récidive.
La journée organisée dans le cadre du CRSSM fin 20071 s’est penchée sur ces difficultés. Elle
s’est notamment intéressée à l’approche sociale2 de ces situations.
Elisabeth LOPEZ, Criminologue
Sygma, Equipe de Santé Spécialisée (ESS) de l’AIGS à Liège
L
a plupart du temps, quand on évoque le
traitement des AICS, on parle de soins, de
psychothérapie, éventuellement de traitement médicamenteux. Cependant, bien que ce soit
moins décrit dans la littérature, nous allons voir
que développer une action sociale spécialisée3 a
toute sa pertinence et son importance.
Quelle lecture d’un point de vue social pouvonsnous faire de notre travail avec les AICSd ?
Comment nos guidances et nos traitements, quels
que soient nos disciplines et nos outils méthodologiques, agissent-ils sur le lien entre l’individu et
son entourage ?
Je tenterai de montrer comment un professionnel
du social ou de la pédagogie (assistant social,
criminologue, pédagogue, éducateur, etc.) peut
aussi favoriser l’épanouissement de la personne
(mission du service de santé mentale) et la diminution du risque de récidive (objectif poursuivi par
la justice).
Diminuer l’instabilité
du mode de vie des AICSd
(…) Dans cet objectif, notre action sociale peut se
situer à trois niveaux :
6
Confluences N°20 Août 2008
1. Au niveau des droits de l’homme
Car on découvre parfois des AICSd dans une très
grande précarité : ainsi, quelqu’un nous disait être
accueilli dans une famille de ferrailleurs. Un jour,
nous avons compris qu’il vivait très mal dans une
caravane non chauffée, loin de tout, complètement
dépendant du couple de ferrailleurs qui ne se posait
aucune question sur la situation et avait simplement
été d’accord qu’il occupe sa caravane pourrie.
Un autre, handicapé mental et physique, était placé
dans une maison de repos tout à fait inadapté à son
cas. Comme il n’avait pas de chaise roulante, il
passait des journées entières, assis sur son lit, dans
le sens de la largeur, les jambes à travers les barreaux
« pour qu’il ne tombe pas, sinon il a des bosses,
regardez ! » Voilà donc un homme tout à fait isolé,
à peine stimulé.
Il est curieux que nous soyons aveugles et sourds
ou, pire, habitués à des situations aussi anormales :
car enfin, ni les médecin traitant, kiné, directeur du
home, commission, pas plus que la famille n’avaient
trouvé qui alerter ou quoi faire. Nous-mêmes avons
mis tout un temps avant de percevoir les signaux
qui auraient dû nous alarmer ! Certes, toutes les
situations ne sont pas aussi dramatiques. Mais il
est fréquent qu’un retardé mental n’ait pas de dentier,
n’ait plus de verres adaptés à sa vue, ne sache pas
si sa maman est toujours en vie (il ne l’a plus vue
depuis son internement), ne sorte plus du tout parce
que personne n’a le temps ni la mission de l’emmener prendre l’air, etc.
Devant pareilles constatations, il va de soi que nous
répondons d’abord à l’urgence des besoins vitaux.
Le problème est que, dans de nombreux cas, personne n’est ni ne se sent responsable de la personne du déficitaire.
2. Au niveau de l’offre généraliste
L’intervention sociale vise à améliorer la qualité de vie
de l’AICSd en lui donnant accès à des conditions
d’existence plus décentes : lui assurer un revenu à la
hauteur de son handicap, élargir son réseau relationnel, le valoriser socialement par un travail ou stabiliser son quotidien par une activité structurée protégée,
lui donner l’occasion d’être plus autonome…
3. Au niveau de la prise en charge spécialisée
On se situe ici dans notre objectif de lutte contre la
récidive. Le risque est individualisé et dynamique.
Nous tenons compte alors de certains éléments plus
spécifiques : par ex., la re-chute alcoolique, l’abandon d’une activité structurée, la fréquentation de
victimes potentielles, etc. (…)
Groupes d’appartenance
et de référence
Ils constituent les fondements indispensables au
travail social avec les AICSd.
1. Appartenances et références chez les
AICSd
Nous connaissons l’importance des théories sur
le lien social, qui ont expliqué que de mauvais
attachements ou des manques d’attachements pouvaient générer des problématiques sociales graves
telles que la maladie mentale, la violence ou la délinquance. Or, on sait maintenant que cette théorie
est réversible4 : quand on restaure le lien entre une
personne et le groupe social, les comportements
problématiques (délinquance, déviance, maladie
mentale) peuvent diminuer, voire disparaître.
Nous distinguons deux sortes de groupes pour
qualifier les relations entre les individus :
4Le groupe d’appartenance est un groupe auquel
l’individu s’intègre. La famille en est le premier. L’individu y trouve son identité. Il y développe, en interaction avec les autres membres de ce groupe, le
Nous et donc son Moi. Parce qu’il est sécurisant, ce
groupe sert de base à la comparaison avec l’extérieur.
Par son appartenance, l’individu hérite de valeurs,
d’habitudes de vie, de comportements et même d’une
gestuelle particulière. C’est un groupe dont il se
réclame et dans lequel il a des relations directes et
affectives. Nous avons tous besoin de ce type de
groupe qui sert de base à l’élaboration de notre
identité en nous conformant aux normes et aux
valeurs qui y sont véhiculées.
Le groupe d’appartenance sert également au processus de différenciation : l’individu, tout en restant
attaché à son groupe d’appartenance, met en œuvre
des processus d’individualisation pour ne pas se
fondre totalement dans la masse. Mais dans ce
processus, la notion d’appartenance reste forte.
4Par contre, le groupe de référence apparaît
lorsque l’intégration dans le groupe d’appartenance s’affaiblit et que l’individu n’y trouve plus
matière à soutenir son identité, qu’il entre en conflit
avec ses pairs et avec leurs valeurs identitaires.
C’est le groupe auquel on aspire alors à appartenir,
pensant qu’on trouvera là un support identitaire
meilleur que celui du groupe d’appartenance. L’individu n’en fait pas nécessairement partie, mais
ses valeurs, ses opinions et même ses comportements peuvent être fortement influencés par ces
groupes de référence. Le groupe de référence peut
devenir, lorsque l’on y est intégré, un groupe d’appartenance. C’est ainsi que se déclenche un processus de différenciation identitaire.
L’AICSd peut avoir pour groupe de référence le
club de loisirs d’un service d’accompagnement,
l’équipe logistique du comité de quartier, etc. La
difficulté est de trouver des milieux de référence
adaptés, c’est-à-dire suffisamment protégés. Et ce
n’est pas toujours facile. Un patient s’est inscrit
courageusement au club de marche du village
« pour faire des rencontres ». Il n’avait pas assez
d’argent ce mois-là, mais s’est quand même acheté
le t-shirt, l’assurance, la casquette du club, dans
l’espoir de s’intégrer… et il est parti marcher. Au
bout d’un an, il ne connaît toujours personne, parce
qu’il n’est pas parvenu à entrer en contact et à se
faire des connaissances, encore moins des copains.
Conclusion, il va, marche tout seul (parfois se perd
tout seul) et revient aussi seul qu’avant. Tout au plus
le président du club lui a gentiment serré la main.
4L’appartenance comme la référence sont généralement pluridimensionnelles. L’idéal est d’avoir
un ou des groupes d’appartenance et des groupes
(ou personnes) de référence, pour profiter de la
similarité, de la complicité, de la familiarité (que
donnent les appartenances) et de l’impression d’être
unique, différent, personnel (grâce aux références
choisies). Prenons un homme qui a, d’une part,
pour groupe d’appartenance, sa famille d’origine
(parents et fratrie), sa cellule familiale (il vit avec sa
compagne et leurs enfants) et son milieu du travail
(il est dans le bâtiment); et, d’autre part, comme
groupes de référence, les connaissances de son
quartier et les amis de la famille. Au total, il éprouve
une confiance que « la vie peut être chouette » et
qu’il peut se sentir en sécurité. Par contre, le jour
où il est incarcéré pour des faits commis sur sa
belle-fille et deux de ses amies, que se passe-t-il
sur le plan de ses appartenances et ses références ?
Concernant ses apparte-nances : sa fratrie ne veut
plus garder de contact avec lui, seuls restent les
parents ; son épouse demande le divorce, il ne peut
plus voir ses enfants ni ses beaux-enfants ; il perd
son travail ; il ne pourra plus habiter sa commune.
Concernant ses références, il perd les connaissances de son quartier ; les familles des amis des
enfants se constituent parties civiles contre lui ;
éventuellement restent quelques-uns des copains
d’enfance ; ses croyances sont ébranlées par la
période de détresse. Cela ne veut nullement dire que l’incarcération de
l’intéressé soit socialement néfaste, voire injuste.
J’entends seulement signifier quel devra être le
travail de remaillage social : l’aider à tisser des liens
avec de nouveaux groupes d’appartenance et de
référence en vue de sa réinsertion. Nous nous trouvons là à la confluence même de l’intérêt du délinquant et de la société. 2. Milieu naturel de vie et milieu de substitution
Quand les groupes d’appartenance ou de références
du milieu naturel de vie sont manquants, on peut
faire partie de groupes d’appartenance ou de référence de substitution. Etre adopté donne une appartenance de substitution ; quant à la référence de
substitution, elle existe quand on s’intéresse à un
nouveau mode de pensée et d’action. Participer à un
groupe d’habiletés sociales donne des références
nouvelles : apprendre à s’exprimer par téléphone, à
convenir d’un rendez-vous, à entretenir son logement, à utiliser un agenda, etc.
Dans la vie courante, l’individu passe d’un groupe
à l’autre dans une succession plus ou moins linéaire, avec plus ou moins de régularité. Pour nous
sentir bien, nous nous servons tantôt de nos références, tantôt de nos appartenances. Mais nous
constatons que les AICSd ont du mal à avoir des
groupes d’appartenance et de référence adaptés,
au départ desquels ils vont se construire au mieux.
Quand quelqu’un ne dispose pas (ou plus) d’un
réseau social riche, il peut se trouver dans des
situations extrêmes. Nous pouvons alors rencontrer quatre cas de figure :
1/ Certains sont attachés à un ou très peu de
groupe(s) d’appartenance, tout en vivant dans leur
milieu naturel de vie et n’ont pratiquement pas de
groupe de référence : c’est, par ex., le cas de certaines familles surprotectrices (ou honteuses) de
leur enfant handicapé ou une famille incestueuse
au fonctionnement très autarcique.
2/ D’autres, au contraire, n’ont pas d’appartenance et
se cherchent en permanence de nouveaux groupes
de référence, dans leur cadre naturel de vie. C’était
Confluences N°20 Août 2008
7
parfois, naguère, la situation de « l’idiot du village » ;
c’est le cas aujourd’hui du schizophrène avant sa mise
sous protection de la personne, ou celui de l’alcoolique notoire. Ils n’ont pas de base groupale
qui soutienne leur identité ou, s’il y en a une, elle
est nocive. Cependant, l’intéressé reste dans son
milieu naturel de vie, car il peut compter tant bien
que mal sur diverses personnes ou groupes qu’il
connaît et qui le connaissent. Trouver des personnes ou groupes qui sont disponibles, compétents
et stables : c’est souvent la quadrature du cercle !
Sans ami, sans travail, sans activité de loisir dans
un lieu structuré, il erre, connaît des gens, mais
toute relation stable semble vouée à l’échec.
Nous avons reçu un jeune handicapé mental qui
se sentait très seul, avec sa maman un peu dépressive : son mari l’avait quittée et son fils, handicapé
mental, avait eu des attouchements répétés sur sa
petite sœur, placée depuis lors. La vie à la maison
semblait mortelle d’ennui à cet AICSd. Il avait tellement envie de rencontrer des gens qu’en dehors
du centre de jour et des moments où il devait absolument être chez lui, il passait tout son temps
libre à prendre le bus. Il sillonnait la ville dans
toutes les directions. Finalement, des personnes
le saluaient plus ou moins gentiment, ce qui renforçait son désir de partir de chez lui pour avoir
des contacts. Il était, comme il pouvait, à la recherche d’un groupe de référence.
3/ D’autres ont un milieu d’appartenance mais
trop carencé ; dans ce cas, le professionnel fait
appel à des milieux de substitution, comme un
home ou une habitation protégée, qui vont devenir
à la longue leur groupe d’appartenance effectif.
Les milieux d’appartenance constituent, certes, une
enveloppe protectrice, indispensable aux personnes fragiles. Les milieux d’appartenance de substitution peuvent parfois abuser de la grande dépendance de leurs membres : un home mal famé
de Liège fait croire aux débiles qui y sont logés
que s’ils n’obéissent pas au directeur et ne respectent pas le règlement, la seule alternative est
un sort bien pire : soit par le retour en internement, soit par le placement dans un autre home,
mais sans aucun argent de poche ! A l’idée de
ne pas avoir droit à leur paquet de tabac, ils
8
Confluences N°20 Août 2008
restent là, coincés, parfois terrorisés.
4/ Il arrive que les groupes d’appartenance et de
référence d’origine n’existent plus ou soient nuisibles. C’est le cas pour de nombreux libérés conditionnels ou de défense sociale : une fois arrivé seul
dans une nouvelle ville, logé dans son garni ou
dans sa maison d’accueil, il n’est pas rare que la
seule et première référence soit l’assistant de
justice, puis les personnes fréquentées (celles de
la maison d’accueil au mieux, sinon le personnel
et les stagiaires qu’il rencontre à la formation ou
au travail, par exemple). Les professionnels ou les
pairs peuvent devenir des références de substitution.
Et ce, d’autant plus que les personnes sont privées
de leurs groupes d’appartenance d’origine. Le lieu
de substitution peut jouer au départ le rôle du
groupe de référence, mais pourrait devenir progressivement le groupe d’appartenance où l’AICS
est susceptible de remodeler son identité. Cela
exige des intervenants sociaux travaillant à long
terme et acceptant un type de prise en charge assez
lourd. C’est probablement ici que, pour les professionnels, se posent les plus gros problèmes
d’échange d’informations, de secret professionnel,
de collaboration et de coordination. (…)
Le travail social de groupe comme
groupe de référence pour les AICSd
1. Pourquoi un travail de groupe avec des
AICSd ?
(…) La thérapie individuelle avec les personnes
déficitaires se révèle souvent insatisfaisante : l’effort
de communication pèse davantage sur le professionnel ; le rapport d’autorité s’insinue et biaise la
relation ; il est difficile de pallier au manque d’information psycho-sexuelle au cours de séances individuelles ; ardu aussi d’assouplir la position du sujet
relativement à sa responsabilité dans les faits
commis. Qu’est-ce qui est permis ou défendu ? Est-il
permis de parler de ce qui est défendu ? Et pire :
est-il licite de voir un film qui parle de ce qui est
défendu ? Or, il nous paraissait important que les
participants au groupe perçoivent qu’il est normal
de désirer une vie sexuelle et affective, mais qu’elle
doit se vivre de manière respectueuse et socialement
acceptable.
Ainsi, un groupe ouvert aux personnes présentant
un handicap mental et aux psychotiques nous semblait une occasion de socialisation, d’appropriation
de la responsabilité, de découvrir l’altérité, de trouver
sa place, de développer les capacités d’expression
et surtout le droit à se forger une opinion. A en croire
ceux qui s’étaient déjà lancés dans des expériences
analogues, ces objectifs paraissaient réalistes.
2. Modalités et acquis du travail de
groupe
Nous avons établi un schéma de séances bimensuelles très ritualisé. (…) Certaines des séances,
consacrées à de l’information, ont été animées par
un Centre de Planning familial. Très interactives,
elles ont permis à chacun de construire un savoir
qui était bien souvent imparfait, inachevé ou carrément manquant. Les participants étaient visiblement
satisfaits, je dirais même fiers, d’avoir compris des
choses, que ce soit à un niveau très concret (comment
enfiler un préservatif) et à un niveau de connaissances (à propos des maladies sexuellement transmissibles, par exemple).
(…) Plus les participants se sont sentis intégrés au
groupe et à l’aise avec le contenu des séances, plus
ils ont été capables d’évoquer les liens entre les
thèmes travaillés et leurs expériences personnelles,
allant jusqu’à partager à propos des faits commis.
En réagissant à ce que disent les pairs, la possibilité de parler s’étend aux questions d’attirance et de
désir, une compréhension s’ébauche, on assiste à
des pas vers une intériorisation de leur responsabilité, une extériorisation de la honte et des doutes.
Pour nous, thérapeutes, la dynamique de groupe a
donné accès à des comportements ou des façons
d’être des participants, significatives ou interpellantes (agressivité, jalousie, clichés homme-femme…)
qui seraient restés inaccessibles dans le cadre d’une
relation duelle. (…)
3. Des attentes aux constats
Nos espoirs que le groupe pallie aux difficultés
et insuffisances des entretiens individuels se
sont vérifiés. Ainsi, en plus des acquis des
patients, le thérapeute bénéficie de la dynamique
propre au groupe, la lourdeur est moins présente, il échappe à l’aspect factuel et concret
des entretiens individuels et peut aller à la rencontre des émotions de chacun.
Alors qu’il est établi que la mauvaise estime de
soi est corrélée au passage à l’acte transgressif,
nous avons observé, chez quasi tous les participants, une amélioration de la confiance en soi,
amélioration à laquelle on peinait à arriver par
le biais des entretiens individuels.
Toutefois, pour être pleinement efficace et consolider les acquis des participants, ce type de prise
en charge devrait être assuré à plus long terme.
Enjeux de la prise en charge sociale
des abuseurs déficitaires
Chaque ESS a le choix de ses outils méthodologiques. La moindre des choses est de les choisir
pertinents pour la problématique et pour la population pour laquelle nous sommes spécialisés.
Forcément, plus un patient cumule de difficultés,
plus le travail avec lui s’avère complexe et exige
du temps. Les déficitaires, avec qui les thérapies
dialectiques ont une utilité assez limitée, demandent
plus d’attention par leurs manques d’autonomie en
tout genre.
1ère lourdeur de leur prise en charge : l’obligation
de procéder à des remaniements de nos méthodes
et de notre fonctionnement, d’abord au niveau
interne. En effet, au sein même de l’équipe, les
thérapies individuelles doivent être ajustées au cas
par cas aux capacités du bénéficiaire. Il en va de
même dans l’organisation des groupes dont la
formule doit être conçue spécialement pour eux.
2ème lourdeur : outre ces changements internes,
nous sommes aussi poussés à des changements
dans nos rapports avec le réseau extérieur, car
les informations verbales et non verbales que
nous communique le patient doivent très souvent
être éclairées par ailleurs.(…) Un peu comme
pour des mineurs, il faut probablement une adaptation du secret professionnel, ce qui n’autorise
toutefois certainement pas son effritement.
3ème lourdeur : si nous concluons par des indications, une prescription ou une solution, elles
doivent être mises en œuvre. Or, contrairement aux
prises en charge de personnes suffisamment autonomes, celles qui concernent les déficitaires contraignent l’équipe à plus de collaboration avec le réseau,
car ces patients ont souvent besoin d’aide pour
assurer la mise en actes de leurs aspirations. (…)
4ème lourdeur : la personne déficitaire a, comme
tout le monde, besoin de plusieurs groupes d’appartenance et de référence. Quand le professionnel
est assez souple pour adapter son type d’intervention
aux déficitaires, il n’a pas de difficulté particulière à
prendre en charge ce patient s’il dispose d’un entourage social suffisamment soutenant. Mais nombre
d’AICSd sont socialement « désaffiliés » (Castel)
ou trop peu insérés dans un ensemble de groupes
de référence et d’appartenance. Dans ce cas,
quelqu’un, éventuellement nous tant qu’il n’y a personne, doit faire en sorte qu’ils s’attachent à des
groupes de substitution. (…)
5ème lourdeur : en raison des vulnérabilités et
des manques d’autonomie des déficitaires, ces
groupes de substitution doivent être « protégés »,
c’est-à-dire capables d’assurer la protection dans
des domaines où l’intéressé ne peut l’assumer. Cela
implique la présence plus ou moins lâche de professionnels, ou de citoyens responsabilisés capables
d’agir « en bon père de famille ».
Organiser un groupe au sein des ESS pour informer
les AICSd et les faire réfléchir aux relations affectives
et sexuelles est une manière de proposer des références.
N’aurions-nous pas intérêt aussi à développer des
synergies avec d’autres professionnels pour multiplier les apprentissages et les situations de rencontres dans des groupes encadrés ? (…)
6ème et dernière lourdeur : elle est d’ordre
financier :
4Accompagner quelqu’un prend du temps. Le
présenter au service d’accompagnement qui pourrait
l’aider au quotidien impose des déplacements. (…)
Soit je fais tous les trajets d’accompagnement en
transport en commun, et une après-midi entière est
consacrée à un seul rendez-vous, soit j’assume seule
le risque de transporter l’AICSd dans ma voiture.
Sans l’assurance ad hoc, je trouve là que l’on ne
nous donne pas les moyens d’honorer la convention
de moyens ;
4Nous former et nous garder performants est
coûteux. Dans mon équipe, à mi-temps, j’ai droit à
un budget de formation de presque 100 € pour toute
l’année : cela signifie, que je ne peux participer à 2
demi-journées de formation à l’UPPL (qui sont à
50 € pour les « anciens »). Je suppose aussi que
je ne suis pas la seule, mais je n’ai encore jamais
pu m’inscrire à un des colloques internationaux sur
l’agression sexuelle, ni comme participante payante
à une formation de trois jours à l’évaluation de telle
échelle de risque. Je comprends mon CA, mais je
déplore la situation ;
4Au risque de tous se mettre à pleurer sur notre
triste sort, j’ajoute que, pour nos groupes, nous
n’avons toujours pas de TV ni de lecteur dvd.
Jusqu’à présent, nous nous sommes débrouillés
avec le lecteur de l’un et l’ordi portable de la mère
de l’autre… l
Bon à savoir
Un congrès européen sur le thème
« Treatment of Sexual Offenders in
the Community » se tiendra les 18 et
19 septembre prochains à Bruxelles. Une
organisation de l’UPPL (Unité de PsychoPathologie Légale), de l’Universitaire
Forensisch Centrum et du Centre d’Appui
bruxellois.
:
www.congress2008.be (
069/888 333
1
« Auteurs d’infractions à caractère sexuel déficitaires… Que faire ?
Entre Justice et santé mentale, quel accompagnement ?», Namur,
le 9 novembre 2007. Une journée de réflexion organisée par le
groupe de travail « Abus sexuel » du Conseil Régional des Services de Santé Mentale (CRSSM) et l’Unité de PsychoPathologie
Légale (UPPL).
2
Pour des impératifs d’édition, nous n’avons pu reprendre le texte
complet, la version in extenso est disponible à la demande au
centre de documentation de l’IWSM 8 [email protected] (
081/23.50.12.
3
D’ailleurs, dans ses dernières décisions à propos de la composition des équipes, l’administration de la Région wallonne a encore
montré qu’elle continue à vouloir la pluridisciplinarité dans les
ESS en y préservant, notamment, la fonction sociale.
4
THYS, P., L’aide Judiciaire imposée. Modélisation du travail psycho-social avec les délinquants, Thèse de doctorat 1992-1993,
Université de Liège, 3 volumes et THYS, P., La pratique de la
liberté surveillée, éléments de méthodologie dans l’aide judiciaire
imposée aux délinquants, Paris, L’Harmattan, 1998.
Confluences N°20 Août 2008
9
Ecoute d’abord ce qu’elle tait !
Ecoute d’abord ce qu’elle tait !
Quelle belle formule, toute de poésie, pour
faire front à ce mouvement universalisant
consistant à ne plus vouloir prendre en
compte que ce qui se voit, ce qui se compte
ou se mesure et, pire encore, ce qu’on veut
voir, compter ou mesurer !
Francis TURINE
Directeur des Goélands
Administrateur IWSM
C
e qui se tait n’est pas synonyme de
silence. Ne se tait que ce qui ne peut se
dire. Et ce qui ne peut se dire s’exprime
par des comportements. Parfois dérangeants,
quelques fois inacceptables, il s’agit de les
décoder, de les lire, de les reconnaître comme un
mal de vivre, une souffrance psychique, et non
comme une maladie inventée, dénommée « troubles de la conduite » ! Faut-il avoir oublié Fernand
Deligny pour prétendre que ces jeunes seraient
des « graines de crapule »2.
L’organisation, le 14 juin dernier, du meeting
« Touche pas à ma conduite, écoute d’abord ce
qu’elle tait »3, dans ce lieu symbolique de la
culture belge et bruxelloise qu’est le Palais des
Beaux-Arts, présente plus d’une particularité.
Parmi celles-ci, relevons l’abord original de
questions relatives à la santé mentale de la population sous la forme d’un meeting supposant
de multiples interventions courtes, diverses et
magistrales. Le bilinguisme des interventions
a, par ailleurs, donné une dimension toute particulière, singulière et significative, à cet événement, brisant un clivage Nord/Sud trop
véhiculé dans le secteur !
Plus de 500 participants et une trentaine d’orateurs
d’horizons divers (psychanalystes, intervenants
10
Confluences N°20 Août 2008
Notre société commet une lourde faute lorsqu’elle se laisse aller aux idées toutes faites, acceptées
comme des évidences et véhiculées sans la moindre remise en cause.
Le consensus, comme l’on dit aujourd’hui, le plus évident concerne la sécurité.
Les citoyens, si l’on en croit les sondages, ne penseraient qu’à ça. En fait il s’agit de l’équilibre
entre l’excès d’ordre et l’excès de désordre, équilibre constamment instable et pour lequel il n’y a
pas de recette miracle. Actuellement c’est plutôt l’ordre qui a bonne presse et cette obsession
conduit à des initiatives qui peuvent se révéler terriblement dangereuses.
Tel est le cas du projet de loi sur la prévention de la délinquance qui s’appuie, notamment, sur un
rapport d’expertise de l’INSERM sur les troubles des conduites chez l’enfant.
Albert Jaquard1
sociaux, psychologues, psychiatres, criminologues, juristes, professeurs d’université, artistes,…) ont tenu à manifester leur inquiétude face
à ce qu’ils craignent être une dérive scientiste et
leur refus de retenir la qualification de « troubles
de la conduite » comme un syndrome spécifique.
Près de 2200 associations et professionnels ont
aussi tenu à être signataires de ce manifeste,
cherchant à respecter les phénomènes psychiques
et à sauvegarder une psychiatrie humaniste.
En effet, le Conseil Supérieur de la Santé, organe
d’avis pour le Ministre de la Santé publique, a
initié, en réaction à des préoccupations actuelles,
un groupe de travail sur les troubles des conduites chez les enfants et les adolescents. Mis en
place en mars dernier, ce groupe est présidé par
le Docteur Isidore Pelc et se compose d’une quinzaine d’ « experts » de secteurs différents. Nous
sommes en présence de la même mouvance que
chez nos voisins français avec le fameux rapport
de l’INSERM (2005) sur les troubles des conduites, décrié par le collectif « Pas de zéro de conduite pour les enfants de moins de trois ans ». Ce
collectif a récolté plus de 200.000 signatures et
suscité pas mal de réactions avisées.4
Comment en effet prétendre prédire une dérive
comportementale et envisager de mener une
intervention correctrice normative, là où il s’agirait avant tout de valoriser, d’encourager et
d’intensifier une action préventive de reconnaissance de la souffrance et du désarroi psychique
de ces enfants ?
A l’heure où de nombreuses démarches se font
jour pour favoriser un dialogue et une meilleure
compréhension entre professionnels du secteur
de l’Aide à la Jeunesse et de la Santé mentale, il
ne nous paraît pas très opportun de tendre vers
une approche de la délinquance comme si elle
était une maladie.
Ceci étant, même si la société doit faire face à de
multiples comportements déviants chez des adolescents, correspondant généralement à l’expression mal appropriée d’un profond désarroi, même
si la réponse à leur donner est très délicate et
difficile à élaborer, il serait illusoire d’en vouloir
standardiser le pronostic en observant les manifestations et expressions des bambins qui ne
cherchent qu’à se construire. l
1
Préface du « Livre du collectif », Eres- juin 2006.
Fernand DELIGNY : « Graine de crapule », Ed. du scarabée,1960.
3
:
http://forumpsy-fr.blogspot.com
4
Comme celle du Prof. Delion, pédopsychiatre au CHRU de Lille : Delion
Pierre : « Tout ne se joue pas avant trois ans », Albin Michel,
février 2008.
2
A découvrir…
L’épopée symbolique du nouveau-né
De la rencontre primordiale aux signes de souffrance précoce
Graciela Cullere-Crespin, éd. Erès, coll. Psychanalyse et clinique,
novembre 2007, 192 p.
L’épopée symbolique, c’est l’ensemble des étapes
que tout nouveau-né doit traverser afin de devenir
un sujet à part entière. Voilà le chemin que l’auteur
nous invite à parcourir dans cet ouvrage particulièrement intéressant et accessible.
Avec une approche psychanalytique solide, dans
une clarté remarquable et dans un souci pédagogique poussé à l’extrême, illustrations et vignettes
cliniques à l’appui, elle définit en les remettant à
jour les notions fondamentales de l’histoire du nouveau-né, telles que :
« paternité », « maternité », « fonction paternelle », fonction maternelle ».
Au niveau clinique, l’auteur a le mérite d’avoir établi des repères pour
l’observation des nouveaux-nés. Dans son livre, elle propose des outils
pour déceler au plus tôt le mal-être des tout petits et leur souffrance. Une
approche qui peut être complétée, pour les cliniciens confrontés au quotidien à ces situations, par les nombreux articles, fouillés, qu’elle a déjà
écrit sur le sujet.
Forte de son expérience de 20 années avec les PMI (Protection Maternelle Infantile en France, correspondant à l’ONE en Communauté française
de Belgique), elle s’adresse aussi aux pédiatres et intervenants de 1ère ligne
pour leur expliquer clairement la façon d’observer les 1ers signes de souffrance d’un bébé et les inviter à relayer les situations problématiques pour
leur assurer une intervention aussi précoce que possible…
Un ouvrage qu’on peut prendre… et laisser … et reprendre…
On peut y entrer de plusieurs façons : information, clinique, prévention. Il
apporte pas mal de repères et références à tous ceux qui s’intéressent au
petit d’homme dès sa naissance, et même avant… et donne l’envie d’aller
plus loin !
Disponible au centre de documentation de l’IWSM
( 081/23.50.12 8 [email protected]
Mémoire de psys :
Pratique et transmission
Un entretien avec Siegi Hirsch
Une interview de Philippe Hennaux, 2008, 55 minutes.
Siegi Hirsch a inspiré puis formé plusieurs générations de psychiatres aux
thérapies de groupe et au travail systémique. Son influence déterminante
lors de la création de nombre de structures extrahospitalières à Bruxelles
depuis les années 60 s’est prolongée par une réflexion sur les institutions,
portant sur les rapports entre leur fonctionnement et les pratiques thérapeutiques.
Cet entretien est consacré à la contribution de Siegi Hirsch à l’histoire de
la psychiatrie, et permet de mettre en lumière les valeurs essentielles qui
ont traversé son œuvre : la vie, la créativité, le souci de l’autre et le respect
de celui qui veut savoir.
Avec cette nouvelle production, la Collection « Mémoires de psys » propose
aujourd’hui une série de 5 entretiens filmés de personnalités belges francophones qui ont marqué l’Histoire de la Santé Mentale.
Les 4 premiers entretiens disponibles sont :
4« L’ouverture de la psychiatrie aux enfants »
Un entretien avec Nicole Dopchie, 2007, 37 minutes ;
4« Pour une psychiatrie humaniste »
Un entretien avec Léon Cassiers, 2008, 42 minutes ;
4« Agir pour une psychiatrie démocratique »
Un entretien avec Micheline Roelandt, 2008, 52 minutes ;
4« Chercher pour comprendre »
Un entretien avec Emile Meurice, 2008, 41 minutes.
Infos : IWSM – In-folio
(
081/23.50.12 [email protected]
Production : Psymages :www.psymages.be, Centre National Audiovisuel en Santé Mentale – CNASM - Lorquin :www.cnasm.prd.fr, Ligue
Bruxelloise Francophone pour la Santé Mentale - LBFSM :www.lbfsm.be,
Institut Wallon pour la Santé Mentale – IWSM :www.iwsm.be
Confluences N°20 Août 2008
11
Etats Généraux de la Santé Mentale en Wallonie
« Passager du réseau ? », c’est le thème
choisi pour les prochains « Etats Généraux
de la Santé Mentale ». Programmés en novembre et coordonnés par l’IWSM, ils seront l’occasion de faire le point sur le travail
en réseau et la place réservée aux usagers
dans ce cadre. Vous avez été nombreux à
nous faire des propositions pour alimenter la réflexion, échanger les initiatives et
interroger les pratiques, avec, au final, un
programme qui se construit sur base de vos
préoccupations. L’invitation est lancée…
Rendez-vous le vendredi 28 novembre1
prochain au Palais des Congrès à Namur.
Pour l’équipe IWSM :
Marie LAMBERT
L
a complexité du travail en santé mentale
amène souvent les professionnels à chercher
des réponses dans le travail en réseau. Celuici concerne évidemment l’usager. Mais concrètement, quelle part y prend-il ? Comment tenir compte
des attentes des uns et des autres ? Quelles modalités concrètes de participation, formelles ou informelles, envisager ? Comment dépasser les obstacles ?
Qui garantit la cohérence des interventions ? L’usager peut-il assurer le fil rouge, comment et à quelles
conditions ? En un mot : comment le sujet est-il
acteur de son parcours de soins ?
Demandez le programme !
Ces différentes questions ont été posées aux acteurs
de santé mentale, professionnels et usagers, via un
appel à participation et les réponses nous ont permis
de définir les thèmes à approfondir ensemble lors
de cette manifestation. Présentés ci-dessous, ils
feront l’objet des travaux en ateliers, organisés
l’après-midi. La journée débutera sur des exposés
qui s’intéresseront au point de vue des usagers, au
processus de participation, aux questions liées aux
12
Confluences N°20 Août 2008
droits du patient ainsi qu’au secret professionnel et
à l’échange d’informations. Après la journée, vous
serez invités à rencontrer, à l’invitation de l’équipe
ECHO (Lilly), des initiatives de réhabilitation et à
assister à la remise du « Réintégration Award
2008 »2, décerné par un jury indépendant à une
équipe attentive à l’intégration des usagers.
et professionnel s’articulent-il ? Quels sont les liens
entre le champ de la santé mentale et le reste de la
société (monde du travail, milieu associatif,…) ?
Milieu de vie / milieu de soins
Comment se met en place la prise en charge en
extra muros ? Avec quel type d’accompagnement ?
Quel lien avec les structures résidentielles ?
Au travail :
Formalisation
C’est le 1er des thèmes retenus. Les questions
autour de la formalisation du réseau se concrétisent
notamment dans les projets thérapeutiques mis en
place au niveau fédéral et se retrouvent également
dans le cadre du développement de nouvelles
fonctions telles que le case manager, le référent
hospitalier, le médiateur. Quels sont les avantages
et limites de ces formalisations ? Quelles sont les
articulations possibles avec l’usager ?
Initiatives « usager - acteur »
Des dispositifs concrets sont mis en place pour
soutenir la participation de l’usager, lui permettre
de disposer d’un espace de parole adapté et poser
ses propres choix. Diverses initiatives allant dans
ce sens seront présentées.
Communication avec/au sujet de l’usager
Le travail en réseau implique un échange entre les
différents partenaires, avec et au sujet de l’usager.
Qu’en est-il de la gestion des informations le concernant ? Se posent ainsi les questions autour des droits
de l’usager, de l’accès au dossier médical, du secret
professionnel partagé chaque fois que des acteurs
de secteurs différents, professionnels et non professionnels, sont amenés à communiquer.
Réseau naturel/réseau professionnel
Quelles sont les pratiques de collaboration entre
professionnels et familles, entre professionnels et
usagers ? Comment les deux types de réseau, naturel
Parcours, passages et transitions
Les prises en charge à domicile constituent une
des étapes possibles dans un parcours de vie,
étapes parfois difficiles à franchir. Quels dispositifs
sont mis en place pour réfléchir à ces moments de
transition et les faciliter ? Peut-on sortir du réseau ?
Comment s’articulent les temporalités de l’usager,
de l’institution, de l’entourage, des politiques ?
Une étape dans un processus
Les nombreuses réactions suscitées par l’appel à
participation témoignent de l’intérêt porté par les
différents acteurs à ces questions de travail en réseau
et de participation des usagers. Le rôle actif de ces
derniers se manifeste déjà dans l’élaboration de
points de vue des usagers, à communiquer.
Les Etats Généraux se veulent un lieu de rencontre
et de dialogue entre usagers et professionnels des
différents secteurs de la santé mentale en Wallonie
et permettront, nous l’espérons, de stimuler les réflexions et initiatives en vue de multiplier les pistes
de collaborations et de faire évoluer la situation. l
Informations :
Institut Wallon pour la Santé Mentale, asbl
Marie Lambert 8
[email protected] Isabelle Deliége 8
i.delié[email protected]
(
081/23.50.11 (15)
8
[email protected] :
www. iwsm.be
1
Le vendredi 28 er
novembre et non le jeudi 4 décembre comme envisagé dans un 1 temps (Voir édito de Confluences 19).
2
Appel à projets et conditions de participation sur www.lilly.com .
Rencontrer la souffrance des soignants
dossier
Le bonheur pour tous ! … Proximus nous rapproche tous ! ... L’accès à BTV présenté telle une demande en mariage !
La publicité vantant les antidépresseurs montre des « usagers » rayonnant de bonheur, de légèreté, de désir et de
sourires ! « Zyprexa : aller plus loin ensemble », « Abilify, aujourd’hui pour l’avenir », « Risperdal, un souffle
antipsychotique, la vie devant ».
« …Gémir n’est pas de mise…aux Marquises », rêvait Jacques BREL.
Dans ce monde de poudre aux yeux voilant son intolérance et son exigence, toujours plus égoïste et élitiste, est-il
encore légitime de parler de souffrance, est-il encore crédible de s’arrêter sur la souffrance psychique et subjective,
est-il encore permis de s’interroger sur les cernes de malaise que veut cacher cette brillance artificielle faite de
slogans et de mensonges ?
Plus que jamais, ai-je envie d’écrire ! Au nom de la psychiatrie, non pas celle que d’aucuns voudraient ravaler à
l’EBM, mais au nom d’une psychiatrie humaniste qui est au cœur des objectifs de l’Institut Wallon pour la Santé
Mentale. Et même si la psychiatrie devenait toujours plus gestionnaire, il y aura toujours des soignants amenés
à croiser, à rencontrer des personnes en souffrance. Au-delà des statistiques, il est donc impératif de s’arrêter, de
prendre en compte, de parler de ce que chacun, quiconque, supporte au quotidien.
Voilà pourquoi le présent dossier abordera la souffrance au travail, mais pas n’importe laquelle.
Il ne s’attardera que peu sur la souffrance au travail dans le monde des entreprises, souffrance pourtant bien réelle
face aux injonctions de rendement, de rentabilité, d’objectifs à atteindre, de flexibilité, de satisfaire la soif des
actionnaires ou face à des conditions matérielles de travail inconfortables.
De manière plus prosaïque, nous avons privilégié de donner la parole à ceux qui vivent la santé mentale au
quotidien. La plupart des auteurs du présent dossier se sont arrêtés un bref instant sur les effets chez le soignant
de la rencontre avec le soigné.
Entre gérer un dossier et manier une relation, la différence est grande, la difficulté aussi. Peu, sinon rien, ne prépare
véritablement à croiser la psychose, la détresse humaine, les états de grave dépression. Ce n’est progressivement
possible qu’au fil des rencontres et du cadre permettant celles-ci.
Indépendamment des rythmes, des contraintes et des exigences liées au travail dans le secteur de la santé mentale,
les travailleurs sont confrontés à des situations difficiles qui les touchent et, parfois aussi, les mettent en
danger.
Loin de vouloir s’appesantir sur ces difficultés, le dossier cherche à repérer et à présenter des dispositifs développés
au sein des services, des équipes, des institutions pour prévenir et/ou faire face à ces souffrances. L’essentiel sera
de trouver la bonne distance. A côté de la place que prend le cadre institutionnel, un autre accent est mis sur tout
ce que l’on peut ranger sous le vocable de « formation », telles les supervisions, les formations théoriques diverses,
les réunions…
Cadre institutionnel et dispositifs d’échanges de paroles sont ainsi les deux grands axes mis en exergue pour
prendre en compte et tenter de répondre à la mise à mal inévitable du soignant en psychiatrie.
Francis TURINE
Administrateur IWSM
13
Souffrance au travail, travail de la souffrance
La souffrance et le travail ? Le travail autour de la souffrance ? La souffrance du travail ?
Le travail de la souffrance ? Y aurait-il une clinique propre à ceux qui accompagnent la
souffrance ? La souffrance est-elle seulement du côté de ceux à qui on fait offre de soins
ou a-t-elle des répercussions directes ou plus insidieuses sur ceux qui ont choisi d’être là
pour l’accueillir ? S’agit-il de la même souffrance, a-t-elle les mêmes résonances, les mêmes couleurs, côté « soignants » et côté « soignés » ? La souffrance des patients est-elle
parfois plus supportable que celle que nous devons endurer au sein de la collectivité de
soins ? Est-il plus facile de soigner, d’apprivoiser la souffrance de ceux étiquetés « malades »
que celle qu’on rencontre, qu’on éprouve au sein de notre équipe ? Dispose-t-on, pour nos
patients, d’une série de savoirs ou de techniques qui manqueraient cruellement quand on
doit « faire avec » nos collègues, nos supérieurs, … ?
Bertrand GEETS
Docteur en psychologie, Centre de guidance de Jambes (Namur)
U
n collectif de soins, s’il est institué pour
organiser le travail, est censé être en
mesure de mettre des balises pour permettre, autoriser et favoriser le travail avec et
autour de la souffrance. Ce même lieu de soins
peut, toutefois, aussi, devenir le lieu où le mal-être
trouve à se loger, se nourrir et se pérenniser. C’est
parfois dans le lien entre soignants qu’il trouve
à s’exprimer. Plus encore, ce pourrait être l’espace collectif qui viendrait, dans certaines situations, lui donner forme et le créer. Combien de
fois n’entend-on nous pas s’élever les voix de la
Plainte, le soignant, l’accompagnant cherchant
désespérément à faire entendre ce qui lui a fait
« honte », un sentiment profond d’injustice, d’impuissance, accompagné d’une fin de non recevoir,
celle de ne pas être respecté ?
La question se complique encore quand on
associe, - ce qui est impossible à ne pas faire - ,
les effets de la souffrance qu’il nous faut accueillir,
celle de nos patients, sur ce qui peut faire tissu
de soins. Il s’agit là de la manière dont cette dernière interroge, interpelle, questionne ce qui peut
venir faire lien entre les personnes, véritable mise
14
Confluences N°20 Août 2008
à l’épreuve de ce qui trame les liens institutionnels
et révélateur de ce qui s’y trame ; la souffrance
venant révéler des conflits latents, voire en cristalliser d’autres. C’est là où, souvent, se greffent une
série d’enjeux dont il est parfois difficile d’apprécier
toute la logique, toute la complexité.
Le collectif soignant confronté à des impasses
de terrain (passages à l’acte, monotonie, …)
devient la scène par excellence où se nouent et
se jouent toute une panoplie d’enjeux subjectifs
de place, de statut et de reconnaissance, où
montent sur la scène « les misères » de l’existence humaine, la précarité de ce qui nous fait
« être-au-monde ». C’est souvent un moment,
de « crise », où chaque institution est en devoir
de se rappeler ce qui la fonde et l’oriente. Véritable moment de mise en demeure de répondre au
comment elle va « réagir » face à ce qui vient
faire « désordre ».
La rencontre avec l’altérité
Si une institution est un collectif soignant, un
tissu symbolique, elle est aussi un lieu qui se
doit d’accueillir ce qui échappe profondément à
toute définition possible, à savoir le plus singulier d’un sujet (sa jouissance en termes psychanalytiques), ce qu’on pourrait appeler, à la suite
de Francis Affergan1, l’altérité du « Prochain ».
Or, celle-ci n’est pas simplement l’accueil de la
différence. La différence, celle de mon semblable,
est toujours ce que je peux comparer à moimême, celle sur laquelle je peux avoir une certaine maîtrise, celle que m’offre par exemple les
diverses échelles de mesure ou les techniques
de soins. Or, l’altérité est toute autre chose que
ce qui peut être ramené sur l’échelle du même et
du dissemblable.
Que comporte le fait d’accueillir la souffrance ?
Je pense que tant que celle-ci se laisse prendre,
saisir dans ce que nous pouvons penser d’elle,
tant que celle-ci ne remet pas trop en question
nos « schèmes de pensée », nos interprétations
du monde, tant que celle-ci trouve à se loger dans
une différence, elle reste gérable ; chacun peut y
trouver son « compte ». Quitte à ne pas rencontrer ce qui profondément fait la singularité de cette
souffrance, de ce sujet en souffrance. Si elle se
laisse soigner, guérir, normaliser (« normativiser »), si elle se laisse « dompter », chacun peut
trouver à s’assurer de sa fonction, de sa place, de
son identité de soignant.
Mais quand celle-ci se montre rebelle ou revêche
à nos « vœux » thérapeutiques, c’est là profondément que chacun est mis en posture de rencontrer l’angoisse. C’est là, à ce moment précis,
qu’est mise sous tension l’identité de tout un
chacun, et par voie de conséquence, ce qui fait
lien (nouage) ou nœud entre les individus. C’est
en même temps à ce moment que se déploie une
dynamique qui fait que, soit le collectif se referme
sur lui-même, soit il est requis de faire preuve
d’invention. Ce qui ne va pas de soi à l’« heurt »
d’une crise.
Insistons sur ceci. J’emprunte à l’anthropologue
Francis Affergan ce qui est nécessité pour rencontrer l’altérité, sans chercher à tout prix à
enfermer le sujet dans le filet d’un savoir déjà
tout écrit pour lui - ce que voudrait le discours
scientifique, de même que nos sociétés normatives - : « La conquête de l’altérité, écrit-il, est
une aventure déréalisante et qui peut s’avérer
dangereuse pour la propre identité de celui qui
part. Et ce d’autant plus qu’elle implique une
destruction ou pour le moins un abandon du
temps et de l’espace identitaire et l’acceptation
d’un renversement total des valeurs »2. De plus,
c’est d’un « ça se rencontre » dont il est là question, au sens que rien ne pouvait l’y préparer, et
qui met par conséquent en cause un certain « ce
n’est pas écrit ».
En quoi ? La rencontre avec l’altérité participe de
la rencontre avec ce qui profondément échappe
(l’être de l’autre, qui peut s’exprimer dans une
clinique par ses refus de se faire aider, par ses
passages à l’acte, …) et pour laquelle il n’existe pas de réponse déjà toute prête. Parce que la
rencontre avec l’altérité est celle d’avec un « réel »
qui échappe à toute saisie imaginaire ou symbolique. Par ce fait, elle participe de la « catastrophe » qui est « un évènement/avènement qui
vient trancher par une saillie imprévue dans une
série ou un ensemble continu, constant et aux
flux identifiables »3.
Cette « catastrophe » n’est pas sans rejaillir sur celui
qui y est confronté, ni sur les mécanismes propres
au groupe qui se doivent de la canaliser. Car par
principe, l’angoisse contamine, pouvant prendre aux
tripes les personnes qui y sont confrontées.
Que reste-t-il dès lors pour faire lien ? Le lien fait-il
le lit pour abriter la souffrance, la tempérer ? L’angoisse est-elle porteuse d’un malaise qui peut
ouvrir à l’invention ?
Un pousse à l’invention
Quelle place pour l’invention quand la crise submerge, quand elle vient obturer l’espace de réflexion ? Nombreuses sont les situations dans le
travail où l’intervenant se trouve sous le joug de
son surmoi, pétrifié par l’impuissance dans laquelle il se trouve de ne pas y arriver, de ne pas
arriver à prendre place, à ce que les choses évoluent. Or, Alain Didier-Weill nous rappelle qu’il
est plus « aisé » de s’en remettre au surmoi, au
sens où « (…) cette préférence universelle pour
le surmoi persécuteur procède d’un choix inconscient pour une loi, qui en persécutant le sujet, lui
octroie paradoxalement une certaine bonne
conscience (le mal dans la loi) et le soustrait au
choix inconscient auquel il est menacé d’être
exposé par le signifiant sidérant, dans la mesure
où ce signifiant ne lui dit pas : « Où est l’injustice ? », mais : « Où est la justesse ? » »4, là où
l’espace doit être dégagé, pour que chacun puisse
produire un mouvement de dessaisissement.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Artistes Anonymes, Joëlle.
Une de ces conséquences peut en être un arrêt
sur image, une fixation de la scène, chacun reprenant les rennes de sa fonction, pour se cantonner à rappeler ce qui par les autres n’a pas été
à sa juste place réalisé. La question de la « faute »,
et de la responsabilité s’incarne, l’espace du travail
se fige, s’immobilise. Certains sont mis sur la
sellette, les autres se terrent. C’est le moment des
« jugements », qu’ils soient dépréciatifs ou normatifs, auquel on se tient comme dernier rempart
pour ne pas être confronté au vide.
C’est le moment où les « psys », parfois, trouvent
à formuler les réponses, celles qu’il aurait fallu
avoir, incarnant le lieu du « savoir-pouvoir »,
excluant par là même la possibilité de mettre au
travail ce qui pour ce soignant-là a fait impasse
dans la rencontre, et ce qu’il aurait pu, lui, en
produire comme « savoir » pour s’extraire de
l’angoisse.
15
C’est à cet endroit précis qu’il nous faut non pas
recouvrir, boucher l’impasse (et l’impuissance
qui en résulte) mais la considérer comme une
zone obscure « où il n’y a plus de code de la
route, plus de loi inscriptible permettant d’indiquer
comment faire pour avoir la garantie de trouver
la justesse du dire »5. Donc, pour répondre à la
catastrophe, il n’y a pas d’attitudes généralisables,
standardisables. Il s’agirait plutôt de prendre
comme point de mire l’idée que c’est « (…) à
partir du défaut de la solution que s’exerce l’invention (…) »6 ? D’où l’importance, pour une
institution de soins, d’un discours qui ne dit pas
tout et par là détermine un lieu de non-savoir où
les intervenants peuvent s’autoriser en se déplaçant autrement que prévu.
Cette orientation permet d’enrayer ce qui se cris-
tallise comme impuissance dans la relation, pour
dégager son « point d’impossible » - comme ce
qui ne trouvera pas à se résorber dans les savoirs
déjà là. C’est là une limite imposée à tous de
devoir œuvrer avec ceci qu’il n’y a pas de réponse
dernière à la question de l’être, de la souffrance
humaine, qu’il y a une incomplétude du savoir
au regard de la jouissance. A savoir qu’il y aura
toujours quelque chose qui échappera à notre
propre savoir, notre seul entendement, limite à
partir de laquelle l’invention pourra être possible.
Ce serait en se déprenant de l’idée qu’il faut être
un bon soignant qui aurait à se caractériser par
autant d’attributs, qu’un espace sera donné pour
que l’intervenant puisse prendre la parole. Cet
espace, à chacun de l’habiter, de l’habiller de son
propre style, celui qu’il dégagera de et dans la
rencontre avec ce patient-là.
Il y aurait dès lors à consentir à une « perte »,
perte de certitude, perte de réponse, perte d’interprétation au point que l’intervenant puisse de cette
perte recréer de l’espace et trouver à s’étonner.
Mais en quoi et sur quoi pourrait se fonder une
pratique qui laisse place à l’étonnement ? Pourraitelle permettre d’endiguer ce qui n’a de cesse de
s’imposer une fois institué ? Comment permetelle de sortir de l’emprise médusante dans laquelle nous confronte l’insistance ? Comment
dégager un espace qui autorise l’acte singulier
dans une pratique collective ? Alain Didier-Weill
avance que : « L’interrogation que je reçois, dans
l’instant éphémère de l’étonnement, est celle-ci :
« Que découvres-tu dans ce temps de suspension
de la parole où, étonné, il t’apparaît que tout ce
que tu savais déjà, tout le savoir que tu as engrené
jusque-là, ne t’est d’aucun recours pour renouer
avec la parole que tu viens de perdre ? » 7.
Il faut donc oublier ce que l’on sait déjà pour
qu’advienne ce que nous ne savons pas encore.
Or, dans ce temps « il n’y a aucun prêt-à-penser
pour l’ (le sujet) orienter éthiquement »8.
Cet espace, c’est à chacune des institutions à
l’inventer. C’est ce que les différentes contributions
du dossier vont tenter, chacune à leur façon, de
mettre en évidence. l
1
Voir bibliographie p.48, référence 1.
Affergan, op cit., p.172.
3
Affergan, op cit., p.76.
4
Voir bibliographie p.48, référence 16, p.172.
5
Voir bibliographie p.48, référence 15, p.15.
6
Voir bibliographie p.48, référence 38, p. 228.
7
Didier-Weill, op. cit. note 4, p.121
8
Didier-Weill, op. cit. note 4, p.185.
Artistes Anonymes, Anne.
2
16
Confluences N°20 Août 2008
Souffrance du soignant, une question de dispositif institutionnel ?
Nicole Devreese
Responsable du personnel Infirmier, les Goélands, Spy
U
n jour de janvier 2006 comme à mon
habitude, je passe en fin de journée
pour voir si tout va bien. Je peux
alors retourner chez moi, sans plus me soucier
des « bobos » à soigner qui pourraient
ennuyer les éducateurs pendant la soirée. Je
vais dans la cuisine où se trouvent quelques
ados et trois éducateurs. Léa, souffrant de
psychose grave, est en discussion avec une
éducatrice qui lui demande comment sa
journée s’est passée à l’école. Je ne prends
pas part à la discussion. Je ne m’inquiète pas
du tout de Léa et de la conversation animée
qu’elle entretient avec son éducatrice.
En sortant, j’entends derrière moi des pas
précipités ; mon attention n’est pas attirée :
c’est sans doute un patient qui quitte la cuisine.
Mais, dans la seconde qui suit, je sens quelque
chose qui m’enserre les chevilles et, instinctivement, je fais un pas par-dessus pour me
libérer ; ceci est opérant, je ne tombe pas. Je
crois que j’ai évité l’obstacle mais à nouveau
je sens quelque chose qui m’empêche d’avancer. Ce sont les mains de Léa qui entourent
mes chevilles. Je perds l’équilibre et tente de
me rattraper au chambranle de la porte, mais
cette fois l’inertie est la plus forte et je passe
« à travers » mon épaule, pendant que Léa
s’enfuit dans le couloir. Je reste assise par
terre, terrassée. Je suis clouée au sol avec une
douleur fulgurante à l’épaule qui s’amplifie à
chaque mouvement, de telle manière que je
n’arrive pas à me relever. Caroline, une éducatrice, m’aide pour que je puisse au moins
quitter le lieu de la scène et me dérober aux
regards des autres adolescents. Je suis très
choquée et en larmes. Je ne comprends pas
ce qui peut avoir amené Léa à me faire ce
double « croc en jambes ». Je ne comprends
d’ailleurs pas comment je me suis retrouvée
par terre.
Nathalie, une autre éducatrice, s’empresse
de voir où Léa se trouve. Elle est dans le
couloir et ne peut rien dire quand Nathalie
lui demande ce qui lui a pris et exige d’elle
des excuses. Celles-ci ne viendront que bien
plus tard lorsque nous nous recroiserons
lors de mon retour au travail, 8 mois après
l’accident.
Pourquoi a-t-elle fait cela ? Que lui ai-je fait ?
A-t-elle voulu me faire mal volontairement ?
Y a-t-il un lien avec la discussion qu’elle a
eu avec Nathalie dans la cuisine ?
Quinze jours avant cet évènement, j’avais pris
le relais d’un éducateur pour raccompagner
Léa dans sa chambre parce qu’elle l’avait
agressé et qu’il ne pouvait plus bouger. Arrivée
à l’étage, elle injuriait l’éducateur et essayait
de redescendre. Je l’avais tirée par la manche
et nous nous étions retrouvées par terre. Là ,
je lui avais dit ne pas admettre ce qui s’était
passé et je lui avais demandé d’y réfléchir dans
sa chambre, pendant que je descendais voir
comment allait Julien, mis, par la suite, en
incapacité de travail pendant trois semaines.
Aurais-je dû continuer à avoir Léa en tête alors
que tout semblait aller bien ? Qu’attendaitelle de moi ? Suis-je venue faire intrusion par
ma voix, ma présence ou mon regard ? S’estelle sentie agressée ?
Ce premier questionnement surgit au moment
de l’acte violent et reste sans réponse dans les
jours qui suivent l’accident.
Le lendemain, la responsable de la maison
des adolescents me téléphone pour connaître
mon état de santé. J’ai une fracture de l’épaule et je suis plâtrée. Elle a parlé avec Léa de la
manière dont elle envisage de réparer son
geste. Léa ira acheter un bouquet de fleurs
(avec son argent de poche) et m’enverra une
lettre. Venant de Léa, cela m’impressionne fort,
car elle ne peut rien dire de cet acte. Elle ne peut
que faire face aux conséquences de celui-ci.
Mais malgré ma conscience de la difficulté de
poser ce geste pour Léa, cette première tentative de réparation ne va pas faire grandchose de mon côté. Ma souffrance est impossible à surmonter à ce moment.Le travail
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Le travail en pédopsychiatrie peut confronter le personnel soignant à différentes formes de
violence chez le jeune. Qu’il s’agisse de violence dirigée contre lui-même, à l’encontre d’un
autre patient ou à l’égard du personnel, elle peut amener une réelle souffrance psychologique,
physique et morale.
Ce texte présente le dispositif proposé par une institution1 pour soutenir le personnel
soignant afin qu’il ne sombre pas dans le burn-out. Il est illustré par le témoignage personnel
de l’auteur qui a pu s’en saisir pour reprendre sereinement le travail après un accident de
travail dû à une agression par une jeune patiente.
17
réalisé grâce au dispositif mis en place aux
Goélands a permis un deuxième questionnement : qu’est-ce qui va mettre du sens dans
ce qui m’est arrivé ? Est-ce un point de rupture
infranchissable quant à ma possibilité de reprendre le travail ? Comment reprendre une
relation entre Léa et moi ? De quelle alchimie
a-t-on besoin pour mettre au travail à la fois
le patient, mais aussi la personne agressée,
pour que cela débouche sur une diminution
de la souffrance de part et d’autre ?
Je me retrouve dans l’impasse comme projetée contre un mur d’incompréhension mais
pourtant, je me prête à la réflexion et ne veut
pas rester dans ce sentiment d’injustice et de
souffrance.
Un dispositif institutionnel
Le travail qui a suivi l’acte posé par cette patiente
a reposé sur la psychanalyse appliquée à l’institution par la mise en œuvre de la pratique à plusieurs.
Un « bougé » s’est opéré dans la perception de
l’acte, défini non plus comme un acte violent intentionnel (dans l’intention de faire mal) de la part
de la patiente envers tel membre du personnel mais
comme un passage à l’acte, une « forme » d’inscription chez la patiente d’une autre manière d’être
en relation avec autrui.
Nous nous sommes demandés avec la psychiatre
et d’autres intervenants, si l’acte violent posé à
mon égard n’était pas une sorte de conclusion
aux évènements qui s’étaient déroulés quinze
jours avant et dont elle ne pouvait rien dire ? C’est
moi qui, ce jour là, étais intervenue pour la mettre
hors de la scène et lui permettre de se reprendre.
Dans les réunions d’équipe, on parle de l’événement comme d’un acte « grave » posé par Léa et
la question se pose : est-il encore possible de
travailler avec elle, ou faut-il la mettre à l’écart
pendant un temps ?
18
Confluences N°20 Août 2008
Un très long travail d’élaboration, avec la psychiatre ou le psychologue, se met alors en place : un
travail sur la représentation que j’ai de l’évènement ;
un travail de repérage de ce qui, de l’ambiance, a
fait que la jeune se sente en « danger » ; un travail
de compréhension de ma propre souffrance visant
une mise en mots de l’indicible dans la perspective
de poursuivre le travail avec la jeune patiente. Exiger
son exclusion conduirait, en effet, à faire fi de tout
le travail que la jeune a effectué au cours de la prise
en charge dans l’institution, à annuler tout le travail
de l’équipe qui justement porte sur l’inadéquation
des réponses de Léa à son mal-être.
A travers cet acte, que m’adresse-t-elle ? Est-ce
vraiment à moi qu’elle s’adresse ou est-ce un processus de défense contre quelque chose qui la
traverse et dont elle ne sait rien dire du côté du
sens commun (j’ai fait cela parce que…..). L’exclusion n’aurait fait qu’accentuer son sentiment
« d’être un déchet dont on doit se débarrasser ».
De mon côté, je pense que le fait de savoir qu’une
telle « sanction » n’a pas été prise, m’a permis de
mettre à l’épreuve mon « savoir faire » avec un
patient psychotique et d’évaluer ce qui m’appartient
dans cette situation. Quel bénéfice aurais-je pu
tirer de savoir qu’elle avait été exclue ? Cela n’aurait
rien changé à ma réalité et n’aurait fait que nourrir
mon éventuel sentiment de culpabilité lié à
l’évènement.
En effet, même si c’est difficile au regard des conséquences importantes que cet acte a sur moi dans
le quotidien et sans doute pour le restant de ma
vie, il m’est possible actuellement de séparer la
responsabilité de Léa, de son monde envahi par
un «Autre féroce» qu’elle ne peut mettre à distance que par des actes violents, seul outil dont
elle dispose pour s’en protéger. C’est peut-être là
et sans que je ne m’en rende compte que la réparation proposée et symbolisée par le bouquet de
fleur et la lettre d’excuses, est venue faire son effet
en moi. Ce temps fût nécessaire pour décaler les
choses vers un travail de réflexion qui permettra
la possibilité de remise en lien avec elle, tout en
sachant que la relation ne sera pas acquise une
fois pour toutes mais qu’il y aura tous les jours,
un travail d’invention et de création à reprendre
pour permettre l’instauration d’un lien social comme
gain ténu sur le traitement d’un « Autre féroce ».
La journée d’étude organisée pour les trente ans des
Goélands a présenté cette situation. Et c’est tout ce
travail de participation ainsi que la recherche théorique dans les concepts psychanalytiques de la
différence entre le passage à l’acte et l’acting out, qui
m’ont permis de me situer dans ce qui est arrivé. Ce
passage à l’acte n’est qu’un instantané, une photo
ponctuelle de ce qui est à l’œuvre en elle et dont elle
tente de se défendre. Il n’est pas « tout » Léa. Par
ailleurs, on peut voir l’expression de ce que Léa met
au travail « sous transfert », dans son attachement
aux Goélands. C’est cela qui lui permet de traiter
la question de la violence, des insultes…
Lorsque je suis rentrée au travail après huit mois
(reprise à temps partiel avant une nouvelle intervention chirurgicale), la relation avec Léa sera
rendue possible grâce à Léa elle-même qui prend
la parole lors de la réunion du jour: « J’espère que
ton épaule est guérie parce que tout ce que tu as
eu c’est de ma faute ! » Je suis très impressionnée
par cette phrase qu’elle m’adresse. Je ne sais lui
répondre que : « oui, c’est ton acte qui a entraîné
les lésions et les problèmes de mon épaule » et
en même temps « non, parce que tout le monde
n’aurait pas eu une fracture dans les mêmes circonstances ». Il ne s’agit pas de lui ôter toutes
responsabilités mais, en même temps, cette phrase
n’est pas seulement l’emprunt d’une parole d’un
autre qu’elle vient coller sur les choses. Il y a aussi
de son côté une « forme d’inscription » qui s’est
engagée pendant mon absence. Cette phrase va
me permettre de me rendre à nouveau accueillante pour Léa, condition indispensable à l’empathie,
qui va permettre de reprendre la conversation avec
elle, là où nous l’avions laissée avant ce passage
à l’acte. C’est par cette phrase que Léa inaugure
l’annulation de la peur de la retrouver dont j’étais
encore revêtue à mon retour au travail.
En guise de conclusion …
Il me semble que la « digestion » de l’évènement
Artistes Anonymes, Marie-Christine.
La conjonction des différents lieux m’a permis de
modifier la perception que j’avais dans le temps du
premier questionnement de l’acte subi. C’est aussi et
particulièrement cette phrase prononcée par Léa qui
m’a rendu la confiance nécessaire dans ma possibilité de nouer une relation avec un patient psychotique
et de reprendre la fonction d’accueil du sujet et de ses
inventions pour tenir dans l’existence.
Le travail de réflexion sur la représentation imaginaire que j’avais de l’acte posé par Léa, a permis
de modifier les réactions internes et émotionnelles liées à celui-ci et d’interpréter l’agressivité de
Léa comme la conséquence de son état de santé
ou de son angoisse et non comme une attaque
personnelle. Il y a dans mon chef une augmentation de « professionnalisation » du travail relationnel avec les patients, par la connaissance
des concepts de passage à l’acte et d’acting out,
mais aussi par la transformation d’une situation
d’impuissance et de souffrance personnelle en
un sentiment positif d’amélioration de la qualité
du travail. En effet, un des moyens qui permettent
de contrôler ses émotions, c’est d’agir sur les
représentations que l’on donne à une situation
donnée. S’y prêter, c’est acquérir une capacité de
remise en question, sorte de formation continue
proposant de disposer d’outils adaptés, de plus
en plus affinés au cas par cas pour réagir efficacement à une problématique.
C’est aussi disposer de lieux de réflexions où
l’institution peut elle-même se laisser interpeller
pour mettre des stratégies en place afin d’aider
chacun à se réapproprier son travail sans désamorcer à l’avance toute plainte. Une bonne
stratégie de prévention passe par la parole, l’écrit
et l’élaboration d’hypothèses sur la structure du
patient, afin de surmonter les différentes sources
de souffrance de fatigue ou de stress. L’impasse
du soignant y est travaillée de telle manière qu’il
puisse rester fidèle à son propre ressenti, à sa
souffrance, à son besoin de temps en tant que
sujet subissant l’acte violent.
Mais parfois le dispositif institutionnel ne fonctionne pas. Un acte violent peut être vécu à ce
point comme irréversible, qu’il est impossible de
se voir encore confronté à la psychose et à ses
manifestations hors sens. Il n’y a pas de solution
univoque à la souffrance du soignant. Un dispositif est mis à disposition du soignant, mais c’est
à lui de s’en saisir en fonction de son histoire,
du moment auquel l’événement intervient dans
sa vie. Le soignant peut aussi se tourner vers des
solutions extérieures, voire même rompre son
engagement dans l’institution, ce qui me semble
être d’une grande honnêteté par rapport aux
soignés. l
1
Le travail y est orienté par la psychothérapie institutionnelle, en
référence à la psychanalyse et plus particulièrement à l’enseignement de Lacan.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
de façon positive a été favorisée par le mode de
traitement proposé par l’institution. Si la charge
psychique est typique des métiers soignants, si
elle est inévitable, on peut souvent en diminuer
l’effet négatif sur notre santé, par un bon soutien,
l’établissement d’objectifs réalistes, et l’appui d’un
support théorique commun à l’ensemble de l’institution qui oriente l’individu dans ses hypothèses
et ses choix de travail (conceptualisation sur
laquelle on s’appuie dans le travail). C’est par le
truchement des différentes possibilités d’analyse
mises en place dans les réunions de reprise avec
la psychiatre ou le psychologue, dans les réunions
d’élaboration de présentation de cas, dans la
discussion qui a suivi la présentation de cas lors
de la journée de travail des 30 ans des Goélands,
que j’ai pu remobiliser mon désir de reprendre le
travail sans appréhension.
19
Augmenter les ressources des équipes
Actuellement, dans la plupart des cas, les administrations qui subventionnent et contrôlent les projets d’aide ou de soins, soutiennent et encouragent les processus de formation
continue et de supervision. Il n’est plus à démontrer que c’est dans l’entrecroisement des
regards entre « la pratique, la formation et la recherche » que se fondent le dynamisme, la
créativité et la flexibilité du travail des équipes. Croiser les apports et les points de vue et
offrir des lieux de réflexivité constituent une respiration indispensable à la santé mentale
des professionnels.
Christine VANDER BORGHT
Psychologue
Membre du « Groupe Institutions », Centre Chapelle-aux-champs – UCL, Bruxelles
M
ême si elles remplissent des missions
comparables et se réfèrent à des
normes de fonctionnement identiques, chaque équipe est cependant unique. En
effet, les conditions historiques, les lieux d’implantation, l’organisation des équipes, les politiques de recrutement, les références théoriques,
les répartitions de rôles et fonctions… tout cela
forme une composition à nulle autre pareille.
L’installation d’un cadre de supervision sera, à
son tour, une création originale et particulière,
adaptée à la demande d’une équipe, unique en
son genre.
La demande
L’analyse de la demande permettra de comprendre l’histoire de cette demande1. Pourquoi
aujourd’hui ? Quel est le contexte ? Quels seront
les acteurs impliqués ? Avec quels objectifs ?
Quels seraient les résultats attendus ? Qui est
porteur de la demande ? À qui faudra-t-il en rendre
compte ? Tant de questions importantes à clarifier
avant d’établir une convention de travail.
20
institutionnelles. Dans les deux cas, les règles
qui régulent les modalités d’interaction pendant
les temps de supervision, et dont le superviseur,
en tant que tiers extérieur, est garant, sont : le
respect de la parole de l’autre, le non-jugement
et la confidentialité. L’espace de supervision n’est
jamais un lieu décisionnel. C’est un espace pour
« dire ». Ce sont les conditions de base pour que
« se parler en groupe professionnel » soit possible et non destructeur, même si la conflictualité, en tant qu’apprentissage de la capacité à
« penser ensemble », y a toute sa place.
Au cours des séquences de travail, les participants
auront l’occasion d’expérimenter des situations2 :
- intercompréhensives, lorsque chacun est amené
à confronter ce qu’il fait, et ce qu’il dit qu’il fait ;
lorsque chacun est amené à prendre en compte
l’activité de l’autre ;
- collaboratives, lorsque chacun participe à l’élucidation du travail de l’autre ;
Les supervisions
- informationnelles, lorsque chacun met à disposition de l’autre ce qui guide son faire ;
Il y a deux grandes catégories de supervision :
les supervisions cliniques et les supervisions
- formatrices, lorsque chacun explicite et formalise son agir ;
Confluences N°20 Août 2008
- évènementielles, au cours desquelles différents
points de vue sont mis en évidence et confrontés ;
- de bilan, dans lesquelles on fait le point, on prend
de la distance et on se déprend de son travail.
Sans être un espace de formation, l’espace de
supervision est cependant un espace d’apprentissage. L’apprentissage du « savoir penser et
agir ensemble ». Les expériences vécues révèlent
que les professionnels n’agissent que rarement
en référence à des savoirs disciplinaires. Ils ont
d’abord à résoudre des problèmes. Et des problèmes qui les touchent au plus près de leur
identité, et avec lesquels ils doivent faire sens du
mieux qu’ils peuvent.
Supervision clinique
La supervision clinique consiste à accompagner et soutenir la présentation de situations
prises en charge, et au sujet desquelles les
équipes se posent des questions ou sont en
difficulté. Le superviseur aide, par son expertise, à l’élaboration et à la recherche de pistes
nouvelles, à clarifier les limites de la mission,
ou à comprendre les enjeux et les objectifs à
suivre. Il s’agit de croiser les éléments contextuels, l’usager et son histoire, le praticien et
son passé, l’institution et son projet, ainsi que
la façon dont s’agencent ces différents paramètres.
Le superviseur est en général choisi en fonction
de son appartenance théorique, en lien avec les
références théoriques du projet.
Dans cet espace de travail, en ce qui me concerne,
je me fixe comme objectif d’augmenter les ressources de chacun des membres de l’équipe en
ouvrant notre travail commun à des aspects
créatifs tels que les simulations ou jeux de rôles.
Ou encore par l’utilisation d’objets flottants,
tels qu’ils ont été définis par Caillé et Rey.3 et
retravaillés ensuite par d’autres professionnels :
le blason, le génogramme imaginaire, l’utilisation des métaphores, les sculptures, etc.
Une intervenante avait été particulièrement
mise en difficulté par la présence de deux
grands molosses alors qu’elle faisait une visite
à domicile. La présence des chiens faisait
d’ailleurs intimement partie du problème relationnel entre la maman et ses adolescents.
Nous avons travaillé, sous forme de jeu de
rôle (deux professionnels acceptant de jouer
les molosses), l’entrée dans le logement et la
possibilité pour l’intervenante de créer, avec
l’aide de la maman, un espace suffisamment
confortable pour que l’entretien puisse se
passer dans de bonnes conditions. Lors de la
rencontre suivante, l’effet a été immédiat dans
la qualité d’écoute et d’échange et dans la
capacité à prendre en compte les besoins de
l’autre.
Le champ clinique n’est pas toujours étanche
par rapport à la contamination du champ institutionnel. Il revient alors à l’autorité du superviseur de décider quelle suite donner aux
questions traitées.
Une petite équipe de cinq personnes est
confrontée de manière récurrente à une bataille
de légitimité entre la directrice et la responsable thérapeutique. Avec l’accord de l’équipe,
le superviseur rencontre le conseil d’administration, seule instance habilitée à instituer la
fonction d’autorité afin de libérer chacun des
membres d’un conflit de loyauté ingérable et
paralysant.
Supervision institutionnelle
La supervision institutionnelle s’intéresse aux
conditions de structure et de fonctionnement
qui facilitent ou freinent l’exécution des missions éducatives ou soignantes. Quelles sont
les caractéristiques des formes sociales qui
reconnaissent et soutiennent les liens institués
entre les professionnels ? Kaës4 nous rappelle que le lien institué est d’abord déterminé par le désir des sujets de s’inscrire dans
la durée et une relative stabilité. Ceci suppose,
dans un contexte institutionnel donné, la mise
en œuvre d’alliances intersubjectives, le
partage d’objectifs communs et la soumission
consentie à un certain nombre de contraintes.
Une supervision institutionnelle se donnera
différents objectifs, selon qu’elle privilégie
l’une ou l’autre composante de ce qui permet
le nouage de ces liens, qu’il s’agisse, par
exemple, de l’élaboration ou la réécriture du
projet thérapeutique et/ou pédagogique, de la
clarification du ROI (règlement d’ordre intérieur), de la définition et l’articulation des rôles
et fonctions, de l’organisation des réunions ;
ou encore de l’approfondissement d’un thème
particulièrement « chaud », tel que les sanctions, l’exercice de l’autorité, les prises de
décisions, les outils de communication, etc.
Une institution d’accueil pour enfants handicapés, structurée en plusieurs unités de vie
autour desquelles s’articule le travail de l’équipe psycho-médico-sociale, a fait le choix de
créer un « Groupe de Recherche en Pédagogie
de l’Institution ». Ce groupe réunit les représentants des différentes unités et des différentes catégories de personnel. Un travail transversal d’élaboration du projet pédagogique
institutionnel a été mené au cours de différentes séquences de travail collectif, avec une
méthodologie construite pour assurer des
allers-retours vers les unités de vie et la
consultation des différents sous-groupes représentés.
Pour conclure
Il est incontestable que le travail psychosocial
est une source inépuisable de paradoxes. Il
est à l’origine de redoutables processus d’aliénation et de souffrances, mais comme l’écrit
Dejours5 « (…) le travail peut aussi être le
médiateur irremplaçable de la réappropriation
et de l’accomplissement de soi ».
Aucun dispositif de supervision, aussi adapté
soit-il, ne peut fonctionner valablement sans
l’adhésion des acteurs, la confiance dans le
processus en cours, et le sens donné au travail
collectif. Cela se construit progressivement et
patiemment. Ce que fait le superviseur, et
comment il le fait, sert de contenant au groupe
qui le consulte et s’y réfère, comme c’est le
cas en ce qui concerne les relations entre les
professionnels et leurs bénéficiaires. Il y a là
comme un effet d’emboîtement métaphorique
qui relie le fond et la forme. l
1
Il n’est pas rare que les équipes alternent les
deux types de supervision, en fonction des
étapes de leur cycle de vie ou de celles de leur
Voir bibliographie, référence 47.
Voir bibliographie, référence 44.
3
Voir bibliographie, référence 5.
4
Voir bibliographie, référence 23.
5
Voir bibliographie, référence 9, p.201.
2
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Artistes Anonymes, Anne.
institution. Ou bien encore qu’une partie de
l’équipe soit engagée dans une supervision
clinique, et qu’à un autre niveau, une partie
des professionnels se retrouve pour avancer
sur des points institutionnels majeurs.
21
Patchwork pour une prévention du burn-out
Lors du récent Congrès international de Réhabilitation psychosociale1, un atelier était
consacré à la santé mentale sur les lieux de
travail. Il y était notamment question des
causes et des manifestations de burn-out
ainsi que des moyens de prévention de la
souffrance des soignants.
Partage de quelques idées et pratiques qui
peuvent soutenir la réflexion et/ou aider les
professionnels au quotidien2.
Edith CREPLET
Psychiatre – Psychanalyste
CRIT3, ASBL « L’Equipe » à Bruxelles
C
es quelques réflexions s’appuient sur mon
parcours personnel. J’ai eu la chance de
connaître plusieurs expériences professionnelles, elles m’ont permis de découvrir différentes pratiques dans différents contextes de soin.
Tout d’abord, en médecine générale. Comme psychiatre ensuite, avec des patients adultes ; à l’hôpital, général et psychiatrique ; en centre de guidance, en Wallonie et à Bruxelles ; en consultation,
psychosomatique et psychiatrique ; en phase aiguë
à la garde, et pour des suivis au long cours en
consultation. J’ai aussi eu une pratique de thérapie
à média.
Outre ce travail clinique, j’ai pu accompagner des
soignants et des équipes en supervision. Là, j’ai
pu rencontrer diverses manifestations, bruyantes
ou au contraire à très bas bruit, qui peuvent traduire la souffrance des soignants, individuellement ou en équipe.
Cet ensemble colore et sous-tend ma pratique actuelle d’analyste. Dans le cadre de cette réflexion
sur le « burn-out », j’en soulignerais quelques
éléments. En fonction du cadre spatio-temporel, et
de la place que nous occupons dans l’institution,
nous voyons le patient différemment, avec un autre
point de vue. Mais, plus intéressant encore, selon
le cadre, le patient aussi nous montre des facettes
22
Confluences N°20 Août 2008
et nous dépose des aspects différents de lui…
Pourquoi pas, et c’est ma façon personnelle de
prévenir lassitude ou épuisement, laisser sa curiosité explorer différents dispositifs de soin ?
Avec aussi, pour avantage, de relativiser les choses
et d’observer les constantes, le fil conducteur étant
l’intérêt pour « comment l’être humain « se débrouille» dans sa vie ? »
« Lui proposer un dispositif de soins où nous
pouvons entendre sa détresse sans lui donner
une réponse immédiatement agie, c’est aussi lui
laisser la possibilité d’exercer envers lui-même
une capacité de sollicitude, un des éléments
constitutifs de l’estime de soi, et de retrouver une
capacité d’insight, toujours présente même si elle
a été mise à mal par les processus psychotiques
ou les malheurs de la vie. » Marcel Sassolas
En préambule
Pour commencer, il me semble important de différencier burn-out et souffrance psychique : le
burn-out ou épuisement me semble évitable, alors
que la souffrance psychique fait partie de notre
condition d’être humain. Elle est donc inévitable.
Pour faire face à la souffrance, il faut des moyens
psychiques ou l’aide d’un autre être humain. Le
psychisme est l’organe régulateur le plus évolué
et le plus élaboré à notre disposition. Le problème, c’est qu’il faut un certain temps pour qu’il
nous propose des solutions. Parfois, nous avons
besoin de recourir à des systèmes régulateurs
plus rapides comme le comportement, la décharge sensorimotrice ou encore somatique
(fonctionnelle ou organique).
Idée-force
Tout patient a un potentiel évolutif, aussi minime
soit-il, et il a droit à ce que nous lui proposions des
dispositifs de soins à visée « transformationnelle »;
le but étant de lutter contre l’énergie destructrice qui
attaque sa vitalité et son individuation, la qualité de
sa pensée et de ses émotions.
Il s’agira, pour le soignant, de tenter d’infléchir le
cours de cette évolution, de favoriser une reprise
par la reconnexion de liens de lui à lui et avec autrui,
d’ouvrir des potentialités d’avenir et d’insertion ou
de réinsertion - à sa manière - dans la société. C’est
une conviction qui repose sur l’expérience.
Dit autrement, une « bonne » santé mentale, ce
n’est pas l’absence de difficulté ou de manque,
c’est avoir des ressources pour faire face aux
difficultés et au manque, c’est accepter la confrontation à la complexité du monde.
Il est donc question, pour le soignant, d’avoir une
bonne boîte à outils, contenant solide pour accueillir et proposer des aides variées, des plus
anciennes aux plus actuelles.
Le cadre
Pour construire notre personnalité, nous avons
besoin de plusieurs ingrédients, par exemple :
4L’organisation d’un gradient dépendance nautonomie et autonomiendépendance sachant que
l’autonomie pure est une abstraction et qu’il est
utile de différencier autonomie de comportement
et autonomie intérieure ;
4La tentative d’unifier une double aspiration :
la cohésion de soi et la découverte de l’autre.
L’autre nous apporte sa complémentarité mais
nous bouscule. Il est autre parce que « non identique », différent de soi, d’un autre sexe, d’une
autre génération, d’une autre culture… ;
4Le cadre : au sens large du terme, le cadre peut
être défini comme le contexte où nous vivons. Il
est « muet » au sens où nous baignons dedans
et l’oublions.
Le cadre constitue donc un des éléments essentiels
Nous ne nous rendons pas compte de l’investissement
que nous mettons dans le cadre et avons ainsi l’illusion
d’être autonome, illusion qui nous aide à grandir et à
nous structurer. Le sujet est autonome dans la mesure
où il a un cadre dont il lui semble qu’il n’est pas dépendant. Ce cadre est dit muet car il faut qu’il se rompe
pour que nous nous rendions compte de son existence. Il procure une continuité et une sécurité de base
car il constitue un contenant d’angoisses indifférenciées qui n’ont pas été travaillées ni élaborées dans
notre psychisme… Nous ne prenons conscience de
ces angoisses que si ce cadre se rompt. Or, ce cadre
prend des formes très variées, des plus concrètes aux
plus symboliques : culture, art, travail, institution où
l’on travaille, objets inanimés, personne aimée, amis,
appartement, etc.
Plus la personnalité évolue vers sa maturité et plus
elle tend à intérioriser ce cadre et donc cette sécurité de base et ce sentiment de continuité d’être. Mais
durant toute la vie, il y a des mouvements d’allers et
retours dans cette construction et des moments où
nous avons besoin que le cadre se concrétise davantage, par exemple lors d’un deuil.
La rupture du cadre peut survenir dans toutes sortes
de situations et amener des manifestations d’ordre
divers, certaines extrêmement destructrices. « Le
Rwanda est à l’intérieur de nous… » m’a dit un jour
une collègue et amie. Cela m’a profondément bousculée et continue à me faire réfléchir sur notre capacité de destructivité, individuelle et groupale.
Les dispositifs de soins
Champ d’exploration des possibles du patient, les
dispositifs de soin ont une fonction d’accueil, de
transformation de la destructivité, de restructuration psychique et relationnelle.
En déposant sur le cadre ses parties destructrices
- ou, dit autrement, ses parts psychotiques - il
pourra peut-être trouver la force de dégagement
nécessaire pour faire croître ses zones vivantes
en sécurité, sans risque de mesures de rétorsion
de la part de l’entourage, réelles ou fantasmées,
et en pouvant affronter sa propre destructivité et
à long terme la transformer en une motion agressive de bon aloi.
Un peu d’histoire
P. Grebert4 évoque, en 1992, des repères intéressants :
« Selon Scarfone, le mot « To burn-out » aurait
été utilisé par un psychanalyste américain,
Freudenberger : c’est échouer, s’épuiser sous une
demande excessive d’énergie. »
Pour Crombez, le mot aurait été utilisé à l’origine,
en psychiatrie, « pour désigner un malade chronique qui n’est plus réhabilitable, qui a perdu ses
moyens et qui va au gré de la vie comme un bateau
à la dérive. » Pour cet auteur, c’était la schizophrénie qui pouvait occasionner un tel ravage. C’est
par la suite seulement que l’expression « burn-out »
aurait été appliquée au personnel qui s’occupe de
ces patients. Ce glissement sémantique intéressant
est évocateur d’une sorte de contamination des
soignants par les soignés. »
Odette Masson5, psychiatre et thérapeute systémique
réputée en Europe, parle déjà en 1990, du syndrome
d’épuisement professionnel, dans des termes qui
restent toujours d’actualité.
« Le syndrome d’épuisement professionnel est un
phénomène très répandu parmi les opérateurs psycho-médico-sociaux. S’exprimant par des symptômes psychologiques, psychosomatiques et comportementaux, il affecte souvent de manière majeure
l’efficience des professionnels qui en souffrent. »
« Par sa haute incidence, reconnue dans la littérature, le syndrome d’épuisement professionnel
est humainement, socialement et économiquement
extrêmement coûteux. »
« La contradiction entre le fort étoffement des
structures de soins et l’accroissement des situations
pathologiques est intrigante. Comment comprendre que tant de personnes qui en soignent tant
d’autres n’obtiennent davantage de résultats ?
Le syndrome d’épuisement professionnel constitue
un facteur explicatif essentiel de ces données
contradictoires, qui soulignent les nécessités urgentes de repenser fondamentalement les finalités
de l’action psycho-médico-sociale, ses bases théoriques et pratiques, son organisation structurelle
et fonctionnelle.» (p. 356)
« En quinze ans, nous avons assisté au départ de
collaborateurs compétents et engagés, qui ont
décidé de quitter des activités vécues comme fatigantes, en même temps que non soutenues par les
autorités sanitaires et didactiques.»
Ces auteurs montrent l’utilité d’aborder au grand
jour la notion d’usure dans la relation d’aide en
proposant des outils pragmatiques aux individus
et aux équipes et en tenant compte de la dimension
collective du problème. C’est un appel à chacun
de nous à pousser un peu plus avant la réflexion
et l’action sur ce thème.
Manifestations de burn-out
Les manifestations du burn-out sont individuelles
ou groupales avec, en plus, un effet de « cercle
vicieux » lié aux mécanismes de déni de cette
souffrance.
Les signes de cette souffrance peuvent être
bruyants ou, bien pire, larvés.
Au niveau individuel
Les soignants qui vivent au quotidien avec les
patients vivent un torpillage constant de leurs capacités de penser, d’éprouver et de percevoir, dans
une contagion où les mécanismes de défense du
patient les contaminent. Ils ont alors la nécessité
de protéger leur identité en s’amputant de leur
« vivance » et leurs compétences créatives. Ils
n’arrivent alors plus à répondre avec un certain
plaisir au travail.
L’épuisement émotionnel qui se manifeste tout
d’abord peut se traduire dans :
- des crises d’énervement ou de colère ou de larmes ;
- des difficultés cognitives : distraction, … ;
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
dans le maintien de notre vitalité et de notre sentiment
de continuité d’existence. Tout être humain fait en effet
partie de réseaux, de systèmes dont il est partie prenante à différents degrés. C’est sur ces réseaux qu’il
va à la fois prendre appui, se modeler, s’étayer. Ce
système de réseaux d’étayage constitue son cadre de
vie, sans qu’il ne s’en rende compte.
23
- des troubles de concentration ;
- une incapacité d’éprouver ou de vivre des sentiments ;
- une incapacité d’exprimer la moindre faiblesse
et donc de demander de l’aide.
De façon imagée, nous pourrions parler d’un
mélange de pile survoltée et de batterie à plat.
La déshumanisation de la relation à l’autre apparaît,
ensuite, comme une tentative de prise de distance :
sécheresse relationnelle, cynisme et désincarnation
de la relation ; avec, parfois, même de la maltraitance.
Un sentiment d’échec professionnel est alors lié à
un manque d’efficacité entraînant dévalorisation,
culpabilité et démotivation pour le travail.
Au niveau groupal
Pour le groupe, différents cas de figure peuvent se
présenter : depuis l’équipe dont les participants
restent collés les uns aux autres avec des fonctionnements fusionnels, à l’équipe où chacun joue
électron libre et où le patient est pris en otage.
Il est souvent difficile pour les individus de se différencier en étant créatif ou en ayant un avis différent
du groupe : ce sont souvent ceux-là qui quittent.
Il y a aussi un manque de curiosité par rapport au
monde extérieur, une difficulté de se confronter à ce
qui se passe ailleurs et d’accepter un tiers référent.
Quand une équipe est en burn-out, on peut assister à des clivages, à des disqualifications, à des
« atmosphères à couper au couteau » tellement la
tension est sentie concrètement, à des « querelles
de bac à sable » permettant d’éviter les conflits de
fond ; avec des soignants qui peuvent être en
manque de territoire circonscrit et d’identité professionnelle précise.
Cette symptomatologie montre une grande difficulté à mentaliser la situation car la personne
(comme le groupe d’ailleurs) recourt davantage au
comportement et à la décharge qu’à la verbalisation
et utilise plutôt des défenses de la lignée psychotique ou prépsychotique plutôt que de la lignée
névrotique. Cette perte de la capacité d’élaboration de la pensée et des émotions traduit
une désorganisation plus ou moins grave du
24
Confluences N°20 Août 2008
fonctionnement psychique et psychosomatique
comme le décrit l’Ecole de Psychosomatique de
Paris.
Cette désorganisation est un signal d’alarme. C’est
là qu’il vaut mieux prévenir et essayer d’installer
des « détecteurs » précoces de ces signaux de
souffrance. Il est grand temps d’intervenir car sinon
le parachute risque de tomber en torche.
Les causes du burn-out
Le burn-out trouve son origine aussi bien dans
l’institution que dans la société. Elles sont donc
institutionnelles et sociétales. Nous pouvons faire
l’hypothèse d’une collusion entre des valeurs sociétales qui privilégient l’agir, l’activité, au détriment
de la réceptivité et de la passivité que notre fonction
de soignant requiert et ces mécanismes individuels
de désorganisation psychique, cette perte de la
capacité de régulation du psychisme.
Lucie Biron6 parle d’une perte d’idéal collectif et
d’une confusion des valeurs. Les soignants ne se
sentent plus encadrés par un pouvoir « politique » au sens large du terme, qui défendrait leurs
objectifs, mais au contraire « ils sont tiraillés entre
le modèle productiviste qui domine les milieux de
travail et d’autre part les idéaux éthiques au fondement d’un travail de solidarité humaine. »
Elles sont aussi organisationnelles, liées aux problèmes de circulation de l’information, au flou dans
les rôles de chacun, au manque de pensée organisatrice régulant les relations et les communications entre les personnes. Faute de cadre solide,
une espèce d’énergie libre, désorganisée, existe
de façon circulante et sévit de manière destructrice au lieu de pouvoir se déposer, se lier aux
parois d’un cadre ferme.
Elles sont bien sûr aussi individuelles. Sans développer ici cet aspect, il est utile de signaler la
tendance actuelle à surestimer les causes individuelles en négligeant les aspects contextuels qui
sont, pourtant, fondamentaux.
Elles sont, aussi et surtout, en relation avec la
psychopathologie des patients. En référence à
Sassolas7, nous pouvons pointer :
1) L’envahissement de notre espace psychique par
les affects du patient ; Sassolas imagine le soignant en « mère porteuse », qui va accueillir
pour un moment les angoisses insupportables,
le non-éprouvé et le non-penser du patient :
quel bébé va naître ? Dit autrement, le soignant
prête son psychisme, sa capacité de rêverie, et
va rendre ce matériel sur un mode détoxifié, ou
plus élaboré ;
2) La sollicitation narcissique de notre omnipotence ;
3) L’attaque de nos capacités de pensée par le nonsens, le paradoxe, la confusion, le délire ;
4) La mise en mouvement de processus d’identification et de sollicitude ;
5) Un vécu de non reconnaissance.
Pour Racamier : « Un patient psychotique ne s’identifiera qu’à celui qui aura accepté au préalable de
s’identifier à lui. » Cette identification à la souffrance, à la douleur du patient, qui est indispensable pour qu’une transformation advienne, n’est pas
anodine; elle est aussi source de blessure et de
disqualification pour le patient, blessé dans son
autarcie mais aussi dans le sentiment de ne pas
pouvoir s’aider lui-même.
Quelques moyens de prévention
Un cadre théorico-clinique précis permet une
pensée organisatrice du soin et un travail de lien.
Comme le dit Sassolas : « Ne pas mettre sa
pensée au chômage. »
Un cadre théorico-clinique solide
Vu l’évolution sociétale qui nous plonge dans un
certain flou des valeurs et des cadres, la nécessité
de s’appuyer sur un cadre théorico-clinique solide
me parait extrêmement importante. Force est de
constater que c’est en danger chez les jeunes générations vu l’état de dispersion des connaissances
psys auquel ils sont confrontés.
Ce cadre théorique solide implique à la fois de
résister à l’épreuve du temps mais aussi de supporter la nécessaire évolutivité des fondements théoriques pour que ce cadre reste vivant et favorise la
Mon choix personnel est de m’appuyer sur des
auteurs psychanalystes qui :
a) sont aussi des praticiens et qui se permettent
de modifier « la théorie » en fonction de ce que
la clinique renvoie, dans un aller et retour fécond,
et pour la pensée et pour la pratique ;
b) ont l’expérience de dispositifs proches des
nôtres et ont développé des concepts qui nous
aident à travailler ;
c) nous aident à conceptualiser et réactualiser
certaines intuitions de la thérapie institutionnelle en reliant la pratique de nos diverses structures autour des théorisations de Roussillon reprenant Winnicott, autour des travaux de Kaës
ainsi que Racamier et Sassolas et leurs collaborateurs.
Ceci en tenant compte d’une remarque fondamentale : il n’est pas question de transposer dans
l’institution le dispositif de la cure analytique.
La mise en œuvre de dispositifs
institutionnels de prévention
Parmi ceux-ci, on retrouve par exemple :
4la nécessité d’une formation favorisant le développement d’aptitudes relationnelles ;
4l’intérêt de favoriser créativité et plaisir au travail
par l’instauration de processus de « désenclavement » : aller à l’extérieur voir ce qui s’y passe… ;
échanges de personnel entre l’extra-hospitalier
et l’hôpital psychiatrique ;
4le souci de proposer un travail varié, permet-
tant d’aller au bout de quelque chose ; l’idéal étant
de concilier par ex. un travail dans l’urgence et
un travail d’accompagnement au long cours permettant de faire appel à différentes facettes de soi ;
4l’intérêt de développer des ateliers ou des dispositifs à médiation, pour les patients comme
pour les soignants d’ailleurs, pour laisser la destructivité des usagers - intrinsèque à la condition
humaine - s’exercer sur des objets concrets plutôt
que directement sur les soignants (Notion de
« médium malléable » de Roussillon.) ;
4la nécessité de créer des conditions pour une
parole libre et cadrée : par exemple en ritualisant
une journée de réflexion sur le dispositif institutionnel, qui suppose la règle que chacun est
responsable de lui-même mais a aussi une part
de responsabilité pour la régulation de l’ambiance dans l’équipe ;
4la nécessité de différencier cadre « clinique »
et cadre administratif, qui doivent s’articuler mais
surtout ne pas coller l’un à l’autre.
les soignants à œuvrer en commun à un mieuxêtre et à une moindre dissociation corps-esprit.
Elle propose des concepts pour rendre compte
de la complexité de l’être humain et un dispositif
de soin qui accepte des zones inconnues ;
e) Nécessité de rassembler sous une même pensée
organisatrice les différents outils permettant de
soutenir l’accès à la liberté et à l’autonomie psychique. Ces outils varient selon l’histoire institutionnelle, les patients et la créativité de chaque
soignant;
f) Last but not least : le plaisir de travailler ensemble et de partager ses expériences en pouvant
compter les uns sur les autres…
Conclusion
En guise de conclusion, je soulignerais l’intérêt
de poursuivre plus avant la réflexion autour de la
collusion entre mécanismes aliénants - sociétaux,
institutionnels et individuels - aboutissant à une
« désolation » de l’être ou du groupe.
Un dispositif de soins « symbolisant »
Le système de soins proposé pour prévenir le
burn-out pourrait présenter les caractéristiques
suivantes :
a) Nécessité d’un dispositif « ouvert », en relation
régulière et constante avec la cité, favorisant une
circulation « dehors-dedans » et « dedans-dehors » (mise en situation) pour éviter autant que
faire se peut les risques d’auto-suffisance et d’enclavement ainsi que la perte du plaisir de penser ;
b) Utilité d’un recul et d’une analyse du travail
réalisé selon différents moyens à réfléchir;
c) Utilité de la coexistence de soignants aux formations diverses, d’artistes et d’artisans vacataires (trans et pluridisciplinarité), chacun étant
garant de son champ tout en profitant d’un point
de vue différent du sien;
d) Intérêt d’une théorie du fonctionnement psychique et des difficultés d’accès à la subjectivité
qui repose sur une conception psychanalytique,
psychosomatique, du fonctionnement mental.
Cette théorie est capable à l’heure actuelle de
défendre de façon scientifique la nécessité d’une
psychiatrie humaniste pour aider les patients et
J’insisterais encore sur la nécessité d’une détection précoce des signes de souffrance d’un individu ou d’une équipe.
Quand un disque est rayé, il suffit d’un mouvement
quasi imperceptible du doigt pour qu’il retrouve un
sillon qui permet à la mélodie de reprendre cours,
d’avoir un début, un milieu et une fin… l
1
« Ouvrons les frontières », Liège & Eben Emaël, du 18 au 20 juin
2008, une organisation de l’AIGS, Association Interrégionale de
Guidance et de Santé.
2
Bibliographie : Voir p.48, références 2, 13, 39 48.
3
Centre de Réhabilitation psychosociale et d’Insertion au Travail.
4
Bibliographie : Voir p.48, référence 17.
5
Voir bibliographie p.48, référence 29, pp.355-370.
6
Voir bibliographie p.48, référence 2.
7
Voir bibliographie p.48, référence 39.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
créativité, et des soignants et des usagers de nos
structures. Il est exclu de le transformer en carcan
ou en instrument d’une pensée unique car il est là
pour nous aider à penser la clinique. Florence Guignard, psychanalyste âgée de près de 75 ans, s’interrogeait récemment sur comment la construction
du psychisme des jeunes enfants est influencée par
nos nouveaux modes de communication et invitait
son auditoire à repenser les théories et les dispositifs de soin à la lumière de ces transformations.
De part sa solidité, ce cadre vise à permettre
l’échange ainsi que la confrontation avec d’autres
modèles, et ce, dans un respect réciproque tout
en gardant son identité propre.
25
Écho de la souffrance des soignants chez les usagers
Dans un dossier consacré à la souffrance
des soignants, un article partant du point de
vue des usagers ne peut que poser la question de la conséquence de cette souffrance
sur la manière dont est prise en charge celle
des patients.
François WYNGAERDEN1
Coordinateur de l’asbl Psytoyens
N
ombreux sont les usagers qui rapportent
avoir eu du mal à trouver une attention ou
un regard bienveillant de la part de certains
soignants qui leur semblaient installés dans une
routine, dans des habitudes. On peut comprendre
qu’une longue pratique hospitalière use, que ce soit
à cause d’un contact permanent avec une souffrance face à laquelle il faut se protéger, ou à cause
des contraintes institutionnelles inhérentes aux
grosses structures.
Souffrances de part et d’autre…
Ceci est probablement encore plus vrai dans des
services qui accueillent des personnes en très grande
souffrance où la violence et les passages à l’acte
sont monnaie courante. Y faire face est loin d’être
évident. Cela demande une maîtrise professionnelle particulière qui, avec les années et avec un
soutien institutionnel lacunaire, peut s’émousser et
amener les soignants à devenir moins soignants.
Insécurité, lassitude voire dégoût peuvent apparaître
chez le personnel soignant, confronté à ses
limites.
Certains usagers épuisent littéralement les équipes
soignantes. La conséquence peut être qu’à la violence des usagers réponde la violence des soignants :
perte du contact ou de la confiance nécessaire à la
thérapie, mise en isolement de longue durée, exclusion
du service, etc. La souffrance des soignants peut les
amener, malgré eux, à devenir maltraitants.
26
Confluences N°20 Août 2008
Informer les usagers
Pour pallier ces dangers, nous souhaitons mettre
en avant différents aspects. L’information des
usagers, tout d’abord, nous semble une clef particulièrement importante. A leur arrivée en psychiatrie, les usagers sont plongés dans un milieu
inconnu, perturbant, dont ils ne maîtrisent pas
les règles explicites et implicites. Multiplier les
sources et les modalités d’information des usagers
sur le règlement, les droits, les fonctions des
différents intervenants, etc. permettra d’éclaircir
les interstices où se glissent les comportements
« limites ».
Former le personnel
pour permettre de pallier aux conséquences potentielles de la souffrance des soignants. C’est en
effet ensemble que nous pourrons définir les
« bonnes pratiques », les normes ou les règlements qui correspondront le mieux à tout le
monde.
Nous sommes persuadés que le meilleur moyen
pour lutter contre la souffrance des soignants est
le même que celui pour lutter contre la souffrance
des usagers. Il s’agit d’augmenter le sentiment
d’efficacité personnelle, le sentiment de réaliser
quelque chose d’utile et d’important. Et les associations d’usagers sont prêtes à construire, ensemble avec les professionnels, une réflexion sur la
qualité des soins qui permettra cela. l
La formation du personnel, ensuite, est à prendre
en compte également. Trop peu de personnel réellement formé et spécialisé en psychiatrie exerce en
milieu hospitalier. Le rôle du personnel soignant ne
doit pas se limiter à une gestion technique ou à la
gestion des médicaments. Les aspects relationnels
sont particulièrement importants en psychiatrie.
Appréhender une personne dans son individualité,
pouvoir apaiser une angoisse par la parole, tenir
compte des aspects stressants de l’hospitalisation
elle-même, pouvoir gérer la violence... tous ces
aspects, incontournables pour des soins de qualité,
ne concernent pas seulement psychiatres et psychologues. Tout le personnel soignant doit pouvoir
bénéficier de formations continuées et de supervisions sur ces questions. Bien entendu, la formation
ou la qualité du personnel lui-même ne portera des
fruits que si le personnel est en nombre suffisant et
si le temps nécessaire lui est accordé.
Chaque année, un groupe d’usagers de
Psytoyens rencontre des étudiants de
l’Institut Supérieur d’Enseignement Infirmier
(ISEI), bacheliers en soins infirmiers spécialisés en santé mentale et Psychiatrie. Ces
rencontres sont l’occasion de riches échanges : les étudiants partagent l’idée qu’ils se
font de leur futur métier et leurs nombreuses
questions ; les usagers partagent leurs expériences et ce qu’ils attendent des infirmier(ère)s
en psychiatrie.
Psytoyens est une fédération d’associations
d’usagers en santé mentale.
*
Rue Henri Lemaître, 78 - 5000 Namur
(
081/23.50.19
8
[email protected] : www.psytoyens.be
Mener une réflexion commune
Enfin, une réflexion approfondie menée ensemble,
usagers et professionnels, à propos de ce qu’est
la qualité d’un service nous semble incontournable
1
Cet article s’appuie, sur les expériences et réflexions d’usagers
de l’asbl Psytoyens, entre autres lors d’échanges avec de futurs
soignés (voir encadré).
Le droit au « non »
Tristesse d’un regard maternel,
ravivée d’avoir cru à un hypothétique et possible soulagement.
Colère révoltée d’un père, attisée de s’être illusionné d’un « au secours » entendu.
Rencontre devenue vaine pour cet adolescent qui d’apeuré qu’il était, s’est relevé, s’est déplacé lentement à quatre pattes,
du couloir jusque dans le local d’entretien, pour enfin venir s’asseoir entre sa maman au visage fermé d’épuisement
et son papa qui lui tordrait bien le coup s’il n’était son fils !
Malaise dans l’institution de ne pas pouvoir se présenter comme partenaire
pour permettre une déviation à cette jouissance qui, excessive et non contrôlée,
s’est logée dans le corps de cet ado!
On ne subit ni ne se soumet à un lavement, deux fois par semaine depuis des années, sans conséquences !
Malaise de s’arrêter à ce « non à la jouissance » apparaissant comme impossible, voire inatteignable dans notre contexte
institutionnel particulier où l’importance du nursing est très limitée.
Malaise de ne donner, pour toute suite à une rencontre, que la confirmation de cet insupportable,
de ces insupportables pour ces parents et leur enfant.
Rencontres risquées … rencontres osées … rencontres malaisées !
Nous sommes en rupture avec : « Dossier classé !! Au suivant ! »
… Le couteau n’est jamais aussi tranchant, lisse de tout embarras, que sur un dossier fermé matriculé de nom et prénom anonymes…
J’ai seize ans, j’ai le droit de fumer… dit l’adolescent.
J’ai dix-huit ans, je fais ce que je veux… dit l’adolescent qui a grandi !
Je suis le directeur, j’ai le droit de dire non,
de fermer la porte après l’avoir entr’ouverte…
Mais pourquoi l’ai-je ouverte cette porte ? Parce que j’avais le droit de la refermer ?
Mais à quoi je m’engage lorsque j’accepte d’entrouvrir la porte ?
… Dossier classé !! Au suivant !...
Artistes Anonymes, Philippe.
Dossier classé ! Puisque je vous le dis !! N’insistez pas !!!
Au suivant !
Francis TURINE
Directeur, « Les Goélands » à Spy
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Et je reste alors avec les larmes qui me saisissent brusquement et brutalement …
Ces parents et leur enfant n’en sauront jamais rien …,
eux qui s’en sont retournés, détresse, révolte et jouissance confortées…
27
Un cadre et des définitions nécessaires …
Fondé à Namur dans les années 1840, installé sur les hauteurs de la ville, à Bouge, depuis
1880, l’Institut François d’Assise accueille des personnes en situation de handicap, dans le
cadre d’un agrément AWIPH. Il a parcouru une longue histoire, chargée de transformations,
de modifications, de finalités, de fonctionnement, d’organisation.
A ce titre, ses responsables et les membres du personnel ont été et sont toujours confrontés
à la nécessaire et constante (re)définition du cadre de travail, des fonctions et des rôles à
remplir.
sonnes en signifiant la raison pour laquelle l’institution existe, ce à quoi elle croit et ce pour quoi
les personnes travaillent.
Philippe SERVAIS
Directeur, Institut François d’Assise à Bouge (Namur)
Enfin, c’est répondre à un besoin d’identité. « Nous
existons collectivement parce que nous sommes
différents ». L’institution doit se nominer, dire ce
qu’elle est, dire aussi ce qu’elle n’est pas, ce que
les personnes accueillies, les familles, la société
peuvent - ou pas - attendre de sa part.
Nous pensons plus particulièrement aux petites
maisons et institutions, où vu le nombre relativement restreint de membres du personnel,
toutes les tâches doivent être partagées.
Comme le souligne Xavier Renders dans l’ouvrage collectif précité2 « On le réalise immédiatement, aucune formule ne l’emporte en soi mais
- nous en avons la forte conviction - définir les
finalités d’une institution, découper et partager
les fonctions puis les rôles de chacun est un
travail thérapeutique sans doute le premier travail
thérapeutique ».
28
Confluences N°20 Août 2008
Dès lors, nous ne pouvons qu’apprécier l’obligation
faite par des pouvoirs subsidiants comme l’AWIPH,
et ce, pour tous les services à ré(agréer), d’élaborer et d’actualiser (en général tous les 3 ans) leur
« projet médico-socio-pédagogique » avec explicitation de l’historique de l’institution, des valeurs,
des finalités, de la population accueillie, des modes
de structuration et d’organisation …
Fonctions et rôles
D’abord fonctions et rôles sont des notions à ne
pas confondre avec celles de profession, de
diplôme.
Infirmière, logopède, médecin, psychologue,
éducateur, au sens de diplôme, ne sont ni des
Cette « mise à plat » contribue fortement à :
la formalisation, la clarification de ce qui
fonde l’institution, de son organisation et
son fonctionnement ;
l’implication du personnel dans l’élaboration
et la construction du projet, dans sa mise en
place ainsi que dans son opérationnalisation.
C’est la qualité du projet qui, mieux que n’importe quel autre levier, permet de garantir l’attachement des personnes à l’institution.
Finalités, raison d’être
et mission
Affirmer, formaliser ses finalités, sa raison d’être,
sa mission (peu importe le terme utilisé) et ses
valeurs est essentiel pour tous.
C’est d’abord vouloir inspirer l’action des per-
Artistes Anonymes, Marie-Christine.
L
es réflexions que nous proposons dans
cet article sont le fruit de notre vie institutionnelle et sont largement inspirées
d’un livre « fondateur », malheureusement
épuisé à ce jour : « L’institution résidentielle,
médiateur thérapeutique » de Jean-Yves Hayez,
Philippe Kinoo, Muriel Meynckens-Fourez,
Xavier Renders et Christine Van der Borght1.
Elles s’inspirent plus particulièrement du chapitre deuxième, de Xavier Renders : « Des fonctions et des rôles » et évoquent des questions
qui reviennent souvent dans les débats institutionnels : faut-il délimiter précisément fonctions
et rôles ? Est-ce possible ou vaut-il mieux moins
de distinctions ?
Ensuite, c’est prendre date avec l’histoire, c’est
s’affranchir du temps, c’est être animé d’une
conviction en regard de la société, de son engagement, de son rôle.
Les fonctions
Ainsi donc pour que toute institution vive, pour
qu’elle réalise sa mission, il faut qu’elle fonctionne, qu’elle ait des mouvements ordonnés,
articulés entre eux.
Nommons ces fonctions : fonction de direction,
fonction éducative, fonction de relation avec les
familles, fonction de traitement, de questionnement, de maintenance et d’entretien, de relation
avec l’extérieur, de contrôle …
Par l’énumération de toutes ces fonctions, on
constate immédiatement la nécessité de les (re)
définir clairement. Et il appartient à chaque institution de réaliser sa propre définition, son propre
« découpage ».
Inutile d’ajouter que ces fonctions sont limitrophes
et peuvent se superposer. Ainsi faire réfléchir une
personne accueillie sur son acte peut relever de la
fonction éducative, de la fonction de « traitement »,
voire de la fonction de direction !
Les rôles
Le rôle est à l’intersection des fonctions et des
personnes.
A l’instar de Xavier Renders3, nous nommons
« rôle » la partition (au sens musical d’une partition) déterminée pour une personne par d’autres
et interprétée par cette personne.
L’exercice d’un rôle se trouve donc déterminé
par 3 composantes :
La première est la partition elle-même. Le rôle
s’inscrit dans une fonction et prend son origine
dans un texte, une définition la plus précise
possible par rapport à sa place dans l’organigramme, aux tâches à accomplir, aux fonctions
à remplir, aux responsabilités à exercer (avec
grilles de délégation par ex).
La deuxième, ce sont les attentes, les aspirations, les représentations des autres personnes, qu’elles en soient conscientes ou non.
Cette deuxième composante influence aussi
le choix de la personne qui assure le rôle.
Aussi, vaut-il mieux l’intégrer dans le profil
de rôle en déterminant quelques critères
significatifs d’un engagement.
La troisième est celle des attentes, désirs,
aspirations de la personne à
qui le rôle est confié. Cette
composante est liée à la personnalité de celui ou celle
qui « interprétera » le rôle.
A ce niveau-là aussi, il est
judicieux que les personnes
chargées de l’engagement
puissent réfléchir ensemble
et établir l’un ou l’autre critère
qui leur paraissent pertinents
pour le choix à opérer.
Réfléchi et établi de cette
façon, nous percevons bien
que le rôle est vivant, qu’il
peut se modifier. Aussi de
plus en plus d’institutions,
de services, proposent à des collaborateurs un
entretien de fonctionnement. C’est un entretien
de suivi entre le collaborateur et son responsable fonctionnel dans le cadre duquel peuvent
être discutées les différentes composantes du
rôle, les progrès par rapport à des objectifs fixés,
les difficultés vécues …
Un tel entretien favorise la communication entre
les personnes, stimule et accroît la motivation
et donne la possibilité d’adapter, corriger certains
aspects du fonctionnement institutionnel et de
son propre fonctionnement.
En bref
Une institution qui s’emploie à nommer ses finalités, sa raison d’être, ce qu’elle est et ce qu’elle
n’est pas, ce pour quoi elle existe, ce à quoi elle
croit, sa vision (comment elle voit le monde, la
société et sa place dans ceux-ci) témoigne de son
« ambition », de sa capacité à relier, à fédérer.
Une institution qui prend du temps, de l’énergie
pour nommer, définir fonction et rôle de ses
membres « accorde à chacun une place qui
compte, une place respectée »4.
Enfin, plus le rôle, les tâches à réaliser, les objectifs poursuivis sont clairement définis, plus le
collaborateur peut percevoir sa contribution personnelle dans le fonctionnement institutionnel,
plus il est en mesure d’en saisir tous les enjeux,
plus il attribue de sens à son travail. l
1
Voir Bibliographie p.48, référence 20.
Op.cit., note 1, p.49.
3
Op.cit., note 1.
4
Op. Cit., note 1, p.56.
2
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
fonctions ni des rôles. Il n’est pas rare par exemple
que dans certains services des psychologues de
formation exercent un rôle dans la fonction éducative ou la fonction de direction.
29
Souffrances plurielles et moyens multiples
« Ce qui est bon, c’est d’être mort et de n’avoir jamais plus peur de vivre. »
Antonin Artaud
La « souffrance du soignant », un sujet qu’il est difficile d’aborder tant il provoque un
malaise, une frilosité …Mais qu’est-ce qui amène cet embarras ?
La peur pour l’institution d’être confrontée à trop de souffrance qui pourrait effrayer, de
débordements qui risqueraient de ne plus être canalisés ?
La peur pour le travailleur d’être bouleversé par la souffrance du patient en s’y retrouvant
en miroir ?
« Gérer » cette souffrance est un travail de funambule, avec le danger toujours présent de
tomber dans le trop ou le trop peu.
Danielle SARTO
Infirmière, psychologue et psychothérapeute
Responsable de la Cellule Formation
ISoSL - Intercommunale de soins spécialisés de Liège
Site CHP - Centre Hospitalier Psychiatrique de Liège1
L
e soignant est touché par la souffrance
qu’il ressent au contact de celle du patient,
ainsi que par la violence du lien dans
lequel le patient le met. Il s’agit d’un état diffus,
intime et parfois inconscient, qui se développe
et s’installe au travers des projections, identifications, transferts et contre-transferts. Cette
souffrance est notre quotidien en tant qu’être
humain. La souffrance des patients, de par son
caractère universel, vient à la rencontre de celle
des soignants. L’identification est le support du
rapprochement émotionnel avec le patient, de
l’empathie naturelle. Elle provoque un vécu de
souffrance chez le soignant par le réveil de souvenirs ou de peurs. Cette mise en communauté
du ressenti se fait ainsi dans un mouvement
d’identification croisée.
« Je suis retombé dans une absence de pensée,
une difficulté de parole qui me rendait incapable
de formuler les choses les plus simples.
Je ne parlais plus qu’avec un bégaiement,
un bredouillement affreux.
30
Confluences N°20 Août 2008
Et je suis tombé dans des angoisses colossales
qui me tenaient des jours entiers
et la nuit jusqu’à l’aurore
sous le coup d’une véritable suffocation. »
Antonin Artaud
Comment le soignant peut-il se laisser « toucher »
par la souffrance de l’autre sans se laisser
« emporter » ? Morasz2 le dit bien : le lien qui
unit un patient qui souffre et un soignant qui
compte s’occuper de cette souffrance est en
lui-même un lien potentiellement générateur
de cette souffrance. Le soignant se met de
manière régulière dans une position de sauveur
en voulant absolument trouver des objectifs
de vie pour le patient. Cet état d’esprit risque
d’avoir pour conséquence un gaspillage d’énergie, un découragement et un épuisement psychique.
Où s’envole le sens du rôle de « soignant » ?
Jean Michel Longneaux3, philosophe, explicite le désir de toute-puissance qui pousse le
soignant à être le bon professionnel capable
de soulager la souffrance des patients. Et c’est
la confrontation à son impuissance, sans porte
de sortie possible, qui devient insupportable
pour le soignant. Etonnamment, à vouloir à
tout prix aider l’autre, le soignant, qui s’est
investi de mission, entrave et empêche toute
liberté dans le processus de restauration de
l’autre. Il est donc essentiel pour lui de faire le
deuil de ce désir et de se confronter à la réalité,
la réalité de la vie de l’autre. En permettant au
patient de reprendre sa place dans son parcours
de vie, ce choix peut rendre plus de liberté au
soignant. Accepter ses limites, son impuissance, ses faiblesses ne veut pas dire renoncer
mais être plus adapté au présent de la rencontre…sans essoufflement.
Difficile de quitter ses idéaux sans renoncer…. nous
touchons à l’être humain que le soignant est aussi !
J’écoute… je crois que j’écoute.
Je n’écoute que mon propre bruit.
Pas facile d’écouter, d’écouter vraiment.
Pas facile d’être ouvert, disponible,
accueillant à la parole de l’autre.
Il y a toujours la tentation de faire quelque chose.
De remplir l’espace. De meubler.
Il y a l’envie d’être efficace.
D’obtenir des résultats,
de ne pas perdre son temps.
Est-ce qu’on fait quelque chose
quand on ne fait rien ?
Est-ce qu’on est aidant quand on est là,
et qu’on ne fait rien ?
Quand on ne fait rien qu’entendre.
Quand on ne fait rien que s’intéresser à l’autre.
Quand on ne fait rien que s’ouvrir
à ce qui l’occupe, à ce qui le travaille.
Demandez-le lui…et écoutez.
C’est un premier pas.
Extrait de « Et si on apprenait à écouter ? »
de C. Cambier
Comment le soignant va-t-il apprendre le positionnement soignant optimal, comme l’exprime
L. Morasz4, qui est la « fermeté souple » ou la
« souplesse ferme » ? Le cadre de travail du
professionnel de la santé est ainsi posé… En fait,
le cadre de soin doit être souple pour permettre
l’accueil du patient avec son mode d’expression
du symptôme. Mais il doit également être ferme
pour être structurant et rassurant parce qu’il donne
sens à la vie.
Par la mise en place de moyens divers, l’institution tente de reconnaître le vécu difficile des
soignants et accompagne ainsi ceux-ci dans le
processus de restauration de l’autre. Ce travail ne
peut se faire qu’au travers d’apprentissages par
la formation, qu’au travers de prises de conscience par des échanges, des analyses de situations
et des mises en situations.
La formation continuée est une des manières d’appréhender le vécu difficile des soignants dans le
secteur hospitalier, et notamment psychiatrique.
Un « passeport formation », constitué d’un panel
de formations de base, est proposé à tout nouveau
soignant afin de fournir un maximum de compétences en termes de savoir-faire, mais aussi de
savoir-être. Pouvoir tout d’abord écouter et entrer
en relation d’aide, puis élaborer un entretien, sont
des actes qui sont souvent à tort considérés
comme simples et faciles.
Les « rencontres à thèmes » sont des moments
privilégiés où, au travers de thématiques précises,
le soignant a l’occasion de prendre de la distance par rapport à son vécu quotidien, et d’augmenter par la même occasion son éventail de
représentations et de comportements.
Nous savons que la violence est inhérente à la
souffrance. Le patient peut présenter, pour des
raisons sociétales et psychopathologiques, une
difficulté à différer son désir. Cet état de fait en-
gendre régulièrement des passages à l’acte (suicides, menaces, coups..). Quand l’émotion est
trop forte la personne perd la capacité de représentation. Elle est alors incapable de tenir compte
du principe de réalité en différant sa pulsion ou
en la traitant sur un plan psychique, c’est-à-dire
en tolérant la frustration par la mise en pensée de
la pulsion agressive.
Le soignant peut vivre avec la même intensité
réactive les mêmes difficultés que peut ressentir
le patient. Comment ce soignant va-t-il apprendre
à utiliser des mécanismes de défense plus souples
qui vont permettre la formation d’un compromis
ni trop frustrant ni trop désorganisateur pour lui
et le patient?
Pour ce faire, il doit être capable de se décaler,
c’est-à-dire de faire un mouvement de décentrage dans le but de porter un regard distancié
sur la place qu’il occupe dans la relation dans un
moment violent. Comment ne pas tomber dans
l’envie d’appliquer le règlement à la lettre, ne pas
répondre en symétrie aux propos agressifs, ne
pas renvoyer l’autre à une fin de non-recevoir ?
Très souvent, le soignant se retrouve pris au piège
là où l’autre l’attend : dans une position rigide,
où seul le cadre est mis en avant et présenté
comme la solution à tous les problèmes.
La formation en gestion de la violence, appelée
communément CAMP (contrôle de l’agressivité
par maîtrise physique), permet tout d’abord le
désamorçage de la crise potentielle par le verbal,
le travail sur la peur induite par cette violence de
la frustration et la maîtrise de la personne si
nécessaire.
Les réunions des « relais agressivité » revisitent
des situations difficiles en construisant d’ « autres
possibles ». Ces séances rassemblent des
soignants venant de tous services pour un
moment de partage, d’échanges, et de construction sans recherche du responsable de la faute.
Une autre manière de prendre en compte la souffrance des soignants est l’accompagnement réalisé
par le Stress Team suite à un incident perturbant.
Très souvent, les personnes confrontées à des
situations traumatiques, comme une agression
verbale ou physique d’un patient, une tentative
de suicide ou un suicide réussi, sont en état de
choc psychologique. Cet état de stress aigu est
en fait une étape normale dans le processus de
régulations psychique et physiologique. Les
symptômes, tels que les signes neurovégétatifs
(trouble du sommeil, état d’hypervigilance…),
les flashes nocturnes et diurnes (rappel d’images
du moment critique), et les comportements d’évitement (revenir dans l’unité après des menaces…)
sont souvent présents dans les moments qui
suivent un événement traumatique, puis s’estompent. Les soignants sont, là encore, confrontés à
ce refus de reconnaître « leur finitude, leur non
toute-puissance », dont parle J.M. Longneaux5.
Accepter que la confrontation, l’inexplicable, l’intolérable provoquent un certain remous malgré
le fait qu’il s’agisse du propre-même du travail
du soignant, semble difficile pour lui. Souvent,
le soignant ne dira rien, supportera ses symptômes sans en parler… jusqu’au moment où sa
souffrance l’envahira totalement.
Le Stress Team est une équipe constituée de psychologues de l’institution. En présence d’un stress
aigu, ces personnes peuvent intervenir à la
demande des soignants. Il ne s’agit pas ici d’avoir
un rôle psychothérapeutique, mais plutôt de reconnaître ce passage difficile qu’est le stress aigu.
En cas de symptomatologie persistante chez le
soignant, l’intervenant du Stress Team proposera
une réorientation et un accompagnement vers des
services spécialisés, d’ordre psychologique ou
administratif.
L’institution a tout à gagner à écouter l’expression
de la souffrance du soignant en mettant à sa disposition des outils, qui développeront ses compétences pour apprivoiser toutes formes de
souffrances et se confronter concrètement à la
réalité de ce qui se vit. Aux membres du personnel d’utiliser leur créativité pour développer davantage leurs réponses spécifiques ! l
1
Petit Bourgogne, Agora et structures extrahospitalières.
Voir bibliographie p.48, référence 30.
3
Voir bibliographie p.48, référence 25.
4
Op. cit. note 2.
5
Op. cit. note 3.
2
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
La souffrance du soignant passe par la gestion
de cette frustration en permanence palpable. En
général, il préférera rester dans le déni des signes
annonciateurs d’un malaise plutôt que d’accepter
que la relation n’est pas que le face à face soignant-patient mais aussi la rencontre de deux
êtres humains.
31
Dispositions légales, humaines et institutionnelles
Différentes dispositions, tant légales qu’humaines et institutionnelles, sont proposées
comme réponses à la souffrance des intervenants de l’IPPJ1 de Saint Servais. Elargissant le
cadre de la réflexion sur la « souffrance des soignants », cet article va voir du côté des intervenants travaillant dans un contexte de prise en charge psycho-socio-éducative, judiciairement
contrainte, au bénéfice d’adolescentes ayant commis un fait qualifié infraction.
Marie-Christine DELBOVIER
Psychologue et criminologue
Directrice a.i, IPPJ de Saint-Servais (Namur)
C
ette souffrance est prise en compte sur
divers plans, dont le plus récent, officiel
et donc repérable est certainement la
réforme de la carrière du personnel pédagogique,
éducatif et de surveillance des IPPJ. A côté de
ce dispositif, et avec d’importantes variations
quant à leur visibilité, existent toute une série
de pratiques, institutionnalisées ou plus informelles, qui concourent à améliorer le bien-être
des professionnels. Nous les évoquerons dans
la seconde partie de l’article.
15 ans au moins en IPPJ ont la possibilité,
moyennant la réussite d’une formation certifiante, de se voir réorientés vers une fonction sociale, dans un SAJ ou un SPJ, ou vers
une fonction administrative.
Par ailleurs, les membres du personnel
comptabilisant 15 ans d’ancienneté dans une
fonction pédagogique, éducative ou de surveillance bénéficient de congés supplémentaires, dont le nombre augmente par tranche
de 5 ans d’ancienneté.
Côté officiel
32
Et enfin, cette réforme prévoit que ces mêmes
professionnels qui ont plus de 15 ans d’ancienneté consacreront 6 jours de travail à
l’écolage des nouveaux agents.
Abordons d’emblée cette réforme de la carrière,
vue comme réponse apportée à l’objectivation
réalisée à l’initiative du Ministre de la fonction
publique quant à l’importance des réaffectations
pour raisons médicales du personnel des IPPJ.
La visée de cette réforme, exprimée à travers un
arrêté approuvé par le Gouvernement de la Communauté française le 23 novembre 2007, est
clairement de prendre les mesures nécessaires
afin de mieux tenir compte de la pénibilité des
fonctions exercées en IPPJ à travers un choix
de carrière :
Cette réforme n’a bien entendu pas encore
montré ses effets, sauf à considérer l’impact
certainement rassurant d’une perspective de
carrière aménageable.
Ainsi, les agents statutaires à fonction pédagogique ou éducative, travaillant depuis
Le rôle et l’importance de la médecine du travail
(SPMT) ainsi que du Service d’Inspection et
Confluences N°20 Août 2008
Par ailleurs, des organes ou services sont spécifiquement dédiés à la santé des professionnels.
de Protection des Travailleurs (SIPPT) sont
bien reconnus au sein de l’IPPJ, ce qui se
traduit par des visites régulières, des rapports
d’inspection suivis de réaménagements ou
améliorations, le plus souvent, de l’environnement matériel. Des interventions du Service d’Intervention
psycho-sociale d’Urgence (le SISU) dépendant de la Croix-Rouge sont prévues également, en vue de prévenir les syndromes
post-traumatiques, ce qui, bien heureusement reste exceptionnel.
Côté institutionnel
En IPPJ, le dispositif institutionnel a pour vocation la prise en charge d’adolescentes. Sa
qualité est, certes, directement influencée par la
qualité des relations qui se nouent entre professionnels, sans faire fi de l’incontournable rapport
au cadre institutionnel.
Une attention toute particulière est apportée à
l’adéquation entre chaque professionnel et l’IPPJ,
à la fois dans la phase de recrutement, dans la
phase d’appropriation de la fonction mais aussi
tout au long de la carrière, à travers des entretiens réguliers avec le responsable de la gestion
du personnel et plus formellement lors des évaluations de fonction.
Une programmation de soutien peut être envisagée afin d’aider le professionnel à surmonter
ses difficultés, une formation peut être proposée
pour augmenter ses savoirs-faire et/ou ses
savoirs-être. Le climat dans lequel se déroulent
ces entretiens doit favoriser l’émergence de
l’expression d’une éventuelle souffrance individuelle, qui, lorsqu’elle est cumulée à celles de
plusieurs autres personnes, impose une réflexion
plus générale de questionnement institutionnel.
Une énonciation claire du profil de fonction
permet à chacun de se repérer et de s’y référer,
ce qui parait d’autant plus indispensable lorsque
la prise en charge se veut pluridisciplinaire.
De la même manière, chaque fonction et chaque
intervention ont à s’articuler entre elles autour
du projet pédagogique institutionnel2, mais
surtout plus précisément autour du projet pédagogique individuel de chaque jeune.
La structure hiérarchique caractérisant toute
IPPJ facilite une lisibilité qui se veut la plus
claire possible en termes de prise de décision,
de canaux de communication, de lieux et de
temps de concertation…., ce qui n’exclut pas
d’inévitables « zones d’incertitude » qu’il ne
me parait pas sain de vouloir toutes annuler.
La direction de l’IPPJ se veut proche et d’une
disponibilité réelle à tout moment et pour chacun.
C’est pourquoi, un système de permanence
permet une présence à l’institution chaque jour
de l’année, renforcée par un système de garde
à domicile chaque nuit. L’assurance de pouvoir
contacter à tout moment un membre de la
direction pour un conseil, une intervention, une
prise de décision, un soutien… est un facteur
favorisant une sécurité psychique indispensable
pour une meilleure prise en charge des jeunes,
surtout dans les moments où le personnel sur
place est réduit, notamment la nuit.
Côté humain
Interroger le sens de toute action, questionner
certaines pratiques ou attitudes doit rester au
cœur des interventions tout en ne les paralysant
pas. Au plus les professionnels ont la capacité
de s’approprier le bien fondé de leurs actions,
évitant ainsi une simple répétition stéréotypée de
celles-ci, au plus leur épanouissement professionnel risque de s’accroître. Les supervisions
d’équipe favorisent ce type de démarche.
Dans certaines situations particulièrement aiguës
vécues par les jeunes, soit sur un plan judiciaire, soit sur un plan comportemental ou encore
psycho-affectif, la souffrance de ces jeunes n’épargnent pas - et c’est heureux - les professionnels.
Il convient alors de la reconnaître et d’y répondre
afin que ces adultes soient à même de continuer
le plus adéquatement possible leur action éducative. Des échanges de points de vue, d’émotions,
des énonciations de craintes ou d’espoirs sont
autant d’occasion de remettre au centre les valeurs
humaines fondamentales devant animer toute
action (bienveillance, respect, générosité,
partage…).
Je pense notamment à des passages à l’acte qui
ont un retentissement évident sur tous, y compris
sur les jeunes, mais aussi à des audiences publiques lors desquelles se mesure, souvent de
Des moments institutionnels privilégiés (repas
de Noël, fête d’admission à la pension, repas du
personnel, activité familiale à l’occasion de
Pâques) permettent de renforcer les liens entre
collègues dans une ambiance conviviale et ravivent un sentiment d’appartenance bénéfique à
tous niveaux. De même, s’arrêter dans la gestion
du quotidien pour valoriser telle évolution d’un
jeune, tel remerciement de parents ou gratitude
exprimée par un jeune ou un juge permet de se (re)
convaincre de la nécessité de notre intervention.
La relation étant l’outil fondamental de nos actions,
en prendre soin à tous les niveaux constitue une
priorité, qui se décrète moins qu’elle ne se vit.
Aucun dispositif institutionnel ne remplacera la
richesse de tout interstice (les croisements dans
les allées, les fins de réunions, les pauses-cigarettes…, bref tous les moments informels) qui
permet l’expression d’une sensibilité relationnelle qui se voudrait toujours respectueuse
d’autrui.
Tel se décline l’idéal à l’IPPJ de Saint-Servais, en
termes de prise en compte du bien-être des professionnels au bénéfice d’une qualité toujours
croissante des interventions auprès des jeunes.
Pour chacun, tendre vers l’idéal tout en acceptant
les limites du réel crée des tensions, signe - finalement - d’une … bonne santé ! l
1
2
Institution Publique de Protection de la Jeunesse.
Le projet pédagogique de l’IPPJ est consultable sur le site de l’Aide
à la Jeunesse : www.aidealajeunesse.cfwb.be.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Artistes Anonymes, Anne.
manière quasi palpable pour la première fois,
toute la souffrance des victimes et de leur
famille.
33
Soigner la souffrance et en souffrir
Dans ce monde où la souffrance doit avant tout être éradiquée, où être souffrant n’est
pas « tendance », le soignant serait-il écartelé entre une réalité quotidienne pénible et un
modèle de société déréalisé ?
Un coup rapide à la porte de mon bureau… Sans même attendre de réponse, elle entre,
le visage marqué. Elle n’est pas hospitalisée, c’est une infirmière, une soignante, … Elle
commence alors à dire, à raconter, à expliquer ce fait, cet événement ou cette situation qui
existe depuis longtemps et qui lui fait souffrance.
Boulot, vie privée, relation aux collègues ou à la hiérarchie, tout peut être source ou révélateur de souffrance. Comment le responsable de service pourra-t-il garder l’équilibre entre
prendre soin des patients et prendre soin de son équipe ?
Pierre WAUTIER
Infirmier chef, Revivo C, HNP Saint-Martin à Dave (Namur)
Quand la souffrance vient du dehors
N
os vies sont remplies d’événements.
Les équipes partagent, par le simple
fait de passer ensemble 8 heures par
jour, 5 jours par semaine, bons et mauvais
moments de l’existence. Nous nous cotisons pour
offrir un cadeau à cette jeune infirmière qui vient
d’accoucher, nous rendons visite lorsqu’un deuil
frappe cet autre collègue. Nous vivons ensemble,
bien qu’à distance, joies et peines de chacun des
membres de l’équipe. Et c’est parfois le premier
endroit où se disent ces souffrances. Lors de la
survenue d’un drame de la vie, les collègues
peuvent être les premiers à entendre, à soutenir,
à conseiller. Chacun y passera un peu de temps,
touché lui-même par ce qui attriste son collègue.
Puis, dans les situations de travail, parce que l’on
sait qu’il est parfois bien difficile de faire fi de sa
souffrance pour pouvoir entendre celle de ceux
qui nous sont confiés, l’équipe prendra le relais
de celui qui est en peine.
Il est alors parfois difficile pour le responsable
de l’équipe de maintenir l’équilibre subtil entre
34
Confluences N°20 Août 2008
temps passé à soutenir le collègue et temps normalement consacré aux soins aux patients. Je
suis à certains moments surpris du temps nécessaire à d’aucuns pour « évacuer » cette souffrance. Comme si, à l’extérieur, l’écoute n’existait
pas, ou peu, et que le lieu de travail, qui plus est
en psychiatrie et donc endroit supposé de paroles,
rencontrait toutes les attentes de communication,
et que les relations de travail constituaient le seul
lieu où cela peut s’exprimer… Il m’est arrivé,
même si beaucoup de questions me restent, de
demander à un membre de l’équipe, de limiter
son temps de parole autour de ses difficultés,
alors que je constatais qu’il y passait depuis
plusieurs jours une large partie de sa journée de
travail, et donc de celle de ses collègues du
moment. Dans le même temps, je lui proposais
de trouver quelqu’un pour l’aider en dehors, tout
en lui ouvrant toute grande la porte de mon
bureau….
Mais prendre du temps pour écouter cette souffrance ne nous confère aucun rôle spécifique.
Aussi, lorsque la souffrance prend l’aspect plus
compliqué d’un problème personnel et s’exprime
par des gestes suicidaires, par une addiction,
une dépression, etc, la position de l’équipe et de
son responsable se complique davantage ; nous
sommes en face d’un collègue avec lequel nous
pourrions être tentés d’utiliser nos compétences
professionnelles. Et le dérapage est facile et
rapide qui nous mène, avec les meilleures intentions du monde, du soutien total au rejet complet.
Parce que l’autre nous connaît, parce qu’il est
difficile de soutenir une aide saine lorsque l’on
se connaît aussi bien dans un autre registre. Et
le rôle du responsable, s’il tente de limiter l’impact que ce trouble pourrait avoir sur les personnes hospitalisées, pourra être alors source
de souffrance à son tour.
L’équilibre est ici bien plus difficile encore à
trouver et à conserver. Loin de moi l’idée de
prôner la mise à l’écart, l’évitement… Mais il
convient à mon sens de garder certaines distances pour éviter ces travers tout en restant soutenant pour celui qui est en souffrance.
Quand la souffrance vient du dedans
L’institution aussi génère de la souffrance.
Confronté aux souffrances quotidiennes de ceux
dont il prend soin, souvent utilisé - et c’est bien
là sa fonction - comme réceptacle de l’expression
de la souffrance des autres, aussi bien sous forme
d’un discours, que lors d’expressions plus émotionnelles voire symptomatiques, le soignant en
psychiatrie peut, s’il n’est pas armé pour cela,
ne pas avoir la distance suffisante pour s’en
protéger. Qui n’a pas connu un collègue qui, à
force de se trouver confronté à des « échecs »
professionnels, intimement liés à tout travail
relationnel où personne n’a tout le pouvoir, finissait après des mois de souffrances parfois
non dites à développer ce fameux burn-out qui
semble tant sévir chez les soignants dans nos
structures de soins.
On ne peut passer sous silence la souffrance
physique qui résulte parfois des situations tendues
inhérentes à nos contacts quotidiens avec les
bénéficiaires de soins, et plus encore les conséquences plus psychologiques qui peuvent en
résulter. Si le réconfort immédiat ne manque généralement pas, les suites données à plus long
terme rencontrent-elles réellement les besoins
des individus ?
En dehors du cadre strict des soins, les relations
entre soignants ou avec la hiérarchie sont à même
de créer des situations d’où émanent parfois
beaucoup de difficultés. Les organisations se
sont dotées de structures à même de prodiguer
soutien et réconfort. Les cellules sociales, les
comités « harcèlement », les syndicats sont autant
d’endroits qui sur le terrain sont à la disposition
des membres du personnel.
Dans les conflits entre soignants, ceux qui ne
sont pas pris dans la tourmente sont cependant
tiraillés entre diverses sympathies et ne sont pas
à l’abri des retombées qui ne manquent pas. Ici
aussi les outils de supervisions d’équipes peuvent
amener chacun à se positionner clairement dans
la relation professionnelle et ses enjeux. Plus que
les solutions proposées quand la tempête se
déchaîne, les moyens de prévention sont à penser
au quotidien.
C’est déjà un grand avantage, si le soignant parvient à parler de cette souffrance, si pour lui, la
relation avec l’infirmier-chef, le cadre intermédiaire, le directeur de département, est cet endroit
où, dans un premier temps, les choses peuvent
s’énoncer. Celui-ci devient alors cet autre par qui
la pression peut se relâcher, sans avoir grandchose à faire d’autre que de laisser fluer les mots,
et donner ces quelques paroles, ces quelques
gestes qui peuvent réconforter. (Je me souviens
à ce titre du réconfort d’une épaule offerte à celle
qui avait à y verser quelques larmes, dans un
silence partagé.) Il est aussi celui qui orientera,
rappelant les structures existantes, contactant les
personnes ressources, ouvrant ces portes que le
soignant pourrait ne plus voir, pour peu qu’il en
ait l’envie, le besoin.
Mais nombreuses aussi sont les situations où,
hélas, la confiance n’est plus de mise, voire, plus
grave encore, où le responsable du service est
aussi partie liée à la cause même de la souffrance vécue par le soignant… Ici encore l’intervention de tiers se montre plus que prioritaire
pour éviter que les souffrances respectives, et les
craintes de souffrances qui sont parfois bien plus
redoutables, n’introduisent des jeux relationnels
qui ne pourraient qu’être dommageables à chacun
et aux personnes hospitalisées. La vie et la gestion
quotidienne d’une équipe ne peut se concevoir
autour d’un bouc émissaire, quel qu’il soit, quelle
que soit sa position et sa fonction.
sa souffrance que d’avoir ce sentiment que « ce
n’est rien, ça va passer, … » Le respect sera
initialement de ne pas l’effacer d’un revers de la
main. Il faut garder à l’esprit que toute croissance est potentiellement créatrice de souffrance, et que toute souffrance peut être source
de créativité. Même si comme l’écrit Boris Cyrulnik : « Si la souffrance contraint à la créativité, cela ne signifie pas qu’il faille être contraint
à la souffrance pour devenir créatif. »2
Respect aussi de ne pas s’approprier la souffrance de l’autre, et de vouloir y apporter nos
solutions. Cet autre qui souffre n’est pas un handicapé de la vie, et en fonction de ses valeurs, de
ses moyens, de ses croyances, il possède ce qu’il
faut d’énergie et de ressources pour y faire face.
Loin de moi l’idée de faire l’apologie de la souffrance, et tenir un tel discours à celui qui souffre
ne pourra que lui permettre de ne pas se sentir
entendu. Mais remettre dans une perspective
globale - plus juste que le discours actuel qui
veut que souffrir soit inacceptable - peut aider à
accompagner plus pertinemment la souffrance de
l’autre, qu’il soit soigné ou soignant. l
Le respect d’abord
La souffrance est une réalité1. Toute souffrance,
parce qu’elle est individuelle, et donc potentiellement inaccessible à la compréhension de ceux
qui lui sont étrangers, se doit d’abord d’être respectée. Rien de pire pour celui qui est perdu dans
1
Les Quatre Nobles Vérités du Bouddhisme commencent par
Dukkha : le monde est souffrance.
2
Extrait d’une interview avec Antoine Spire - Le Monde de l’éducation - Mai 2001.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Quels sont donc les outils de l’organisation pour
faire face à cette souffrance ? En préventif la formation peut se montrer utile à certains, chez
d’autres cela ne sera qu’une « couche de plus »…
L’accompagnement des nouveaux membres du
personnel peut certainement contribuer à aider
certains autres. La supervision peut aider les
groupes à faire face à ces difficultés et, partant,
aider les individus qui y sont confrontés. La clarté
des décisions et des orientations de prises en
charges sont, enfin, à même de limiter l’impact
individuel des aléas de soins relationnels. Mais
il n’en reste pas moins qu’il se trouve aussi une
part intimement individuelle que toutes ces
mesures ne pourront jamais atteindre. Et seule
une bonne connaissance des individualités qui
composent nos équipes sera à même d’entrevoir
aussi tôt que possible les premiers signes de cet
essoufflement, chez ceux qui ne sont pas à même
de s’en rendre compte seuls. Les moyens mis
alors en œuvre pourraient aussi être sources de
souffrance, je pense, à l’extrême, à des mutations
de services, mais de deux maux…
35
Bien-être et santé au travail
Réfléchir en termes de promotion de la santé pour augmenter le bien-être au travail, tel est
le défi de la recherche confiée au Centre collaborateur de l’OMS1.
Diverses tables rondes ont été organisées à cette fin à Bruxelles, réunissant des acteurs
des secteurs du soin, de la prévention, de la promotion du bien-être et de l’emploi. Elles
avaient notamment pour mission d’identifier les expériences, obstacles et facilitateurs.
Elles devaient aussi ébaucher des partenariats possibles dans la perspective de création
d’un réseau et proposer des recommandations afin de diminuer le stress tout en augmentant la satisfaction et le sens de proximité collégiale et citoyenne sur les lieux de travail.
Les résultats de cette étude2 ont été présentés le 16 juin dernier à Bruxelles.
Une synthèse de
Christine GOSSELIN, IWSM
A
border la souffrance des soignants,
l’envisager de manière constructive et
dynamique ne peut se faire sans considérer le cadre plus général de la souffrance au
travail. Ce cadre comprend la prévention de la
souffrance via, notamment, la loi sur le bien-être
(élargie en avril 2007) mais également la promotion de la santé et de l’augmentation du bien-être
au travail.
C’est dans cette seconde approche que vient
prendre place la démarche de l’OMS. Lors de la
conférence d’HELSINKI3, l’objectif de « Prendre
en compte la santé mentale dans la population à
travers la philosophie de la promotion de la santé
par les réseaux de santé » a été défini comme
prioritaire.
La particularité d’une telle approche est de s’appuyer sur une définition positive de la santé4. Elle
se place résolument en amont d’une logique de
prévention qui se développe en référence à la
maladie ou au mal être. Dans la logique de promotion, il s’agit de concevoir les conditions de
bien-être, indépendamment de toute maladie et
de chercher à produire de la plus-value en termes
36
Confluences N°20 Août 2008
de bien-être. Il ne s’agit donc pas de se limiter à
gérer, corriger ou contrer des dysfonctionnements.
Dans cette logique, il faudra tenir compte des
dimensions tant collectives qu’individuelles afin
de les optimiser. Comment, par exemple, répondre au mieux aux différents besoins rencontrés
par le travailleur, besoins physiologiques de base
(il faut travailler pour vivre, se nourrir, se vêtir,
s’abriter) et besoin d’autonomie, sans oublier les
besoins de sécurité, de reconnaissance, d’appartenance,... ? Une perspective de promotion
examine les conditions de la vie collective et pas
seulement les dysfonctionnements individuels
ou les manques dans l’organisation du travail.
Afin de mener à bien son étude, l’OMS a déterminé quatre groupes cibles auxquels l’étude s’est
intéressée, via une enquête e-mail d’abord, ensuite
via l’organisation de tables rondes sectorielles
puis transversales. En tout, 180 intervenants ont
été sollicités pour les secteurs suivants :
Acteurs du Circuit de Soins Curatifs : médecins généralistes, psychiatres, psychothéra-
peutes, spécialistes du sommeil, kinésithérapeutes, psychosomaticiens, réadaptation
fonctionnelle, etc…
Acteurs de la Prévention de la Santé au Travail :
médecins du travail, médecins conseils,
conseillers en prévention, INAMI, Fonds des
maladies professionnelles, etc…
Acteurs de la Promotion de la Santé au Travail :
ressources humaines, groupes de Self Help,
initiatives de santé en entreprise, coachs, SIPP5,
patrons de PME
Acteurs du Secteur Emploi : employés, indépendants, ouvriers, fonctionnaires (européens
et belges), en interruption de travail pour cause
de maladie, chômeurs, représentant des travailleurs, etc.…
Voyons, dans « un méta regard », les lignes de
force qui se dégagent de cette recherche - réalisée
en Région bruxelloise - pour en tirer les éléments
qui pourraient concerner tout un chacun et
seraient transposables dans d’autres Régions.
Un intérêt certain
des professionnels...
Il est tout d’abord intéressant de noter que la
plupart des intervenants sollicités ont répondu
présents. Ils ont marqué leur intérêt pour la
démarche et les rencontres pluridisciplinaires.
Toutefois, cette réceptivité semble encore centrée
sur « comment gérer le stress » et non sur « comment
penser le stress et le bien-être au travail ». Par
ailleurs, les limites de la promotion et de la prévention restent difficiles à identifier : « Où commence la promotion, où se situe la prévention ? »
« Quel est le rôle de l’entreprise ? Et la part de
responsabilité individuelle ? » La distinction entre
Du possible au réel…
quelques constats
La recherche a pu pointer :
que les expériences belges en matière de
promotion de la santé ou de bien-être au
travail semblent peu connues des intervenants, ce qui dénote peut-être un manque de
publicité et de dissémination de ces exemples
de bonnes pratiques locales ;
qu’il existe une certaine méconnaissance des
formations continues existantes ;
que les intervenants des circuits de soins
sont davantage confrontés à des situations
qui les amènent à traiter un mal être au travail
dans une logique qui n’est pas encore une
logique de prévention mais une logique de
« remédiation » fort éloignée donc de la
promotion du bien-être au travail ;
que la législation ainsi que le rôle et le fonctionnement des intervenants du secteur
(conseillers en prévention, personne de
confiance, médecins contrôles, etc.…) sont
encore méconnus ;
qu’il existe une certaine banalisation ou incrédulité face à la violence et à la souffrance
au travail, entretenue par le culte tenace de
la performance et le manque de culture de
collaboration ;
que parfois le manque de moyens humains
conduit à une application détournée de la loi
ou à son application a minima.
Pistes et recommandations
Face à ces constations, différentes pistes sont
proposées. On peut les synthétiser comme suit :
1. Travailler en réseau ; c’est l’option plébiscitée par les intervenants pour organiser la
promotion du bien-être ;
2. Etablir des indicateurs de souffrance et de
bien-être au travail, des critères qualitatifs
d’action de promotion de la santé et d’analyse des causes du mal-être semble nécessaire. Le respect de la personne est en effet
aussi important que sa performance immédiate ;
3. Se donner le temps et les moyens d’une bonne
communication afin de construire et de suivre
avec des outils adéquats le projet de promotion du bien-être ;
4. Entreprendre des actions au niveau de la
gestion des ressources humaines en termes
de participation, d’écoute, d’intelligence émotionnelle et de communication, former à la
dimension humaine des relations ;
5. Favoriser la diffusion de l’information existante au sein des services de prévention et de
protection du travail ;
6. Assurer des campagnes de sensibilisation et
d’information sur la problématique du stress
au travail ;
7. Assurer la formation continuée des médecins
et futurs médecins généralistes à la problématique du stress professionnel et burn-out ;
8. Mettre en place une permanence téléphonique
et un site Internet liés au stress au travail et
au burn out ;
9. Entretenir une réflexion sur l’organisation et
le sens du travail ;
10. Veiller à l’implication et à la motivation des
directions dans l’impulsion des projets ;
11. Viser l’obtention de résultats concrets et
visible ;
12. Pointer la place des ergonomes dans l’approche de la promotion du bien-être, et ce
pour leurs compétences dans l’organisation
du travail ;
13. Réaliser un cadastre des initiatives de promotion de la santé et du bien-être au travail ;
14. Favoriser et valoriser la formation des personnes relais en orientation professionnelle
au bénéfice des personnes fragilisées ;
15. Développer des liens structurels entre
préventif et curatif ;
16. S’attaquer à la charge psychosociale non
seulement en termes de risque mais en termes
de promotion du bien-être au travail ;
A côté des actions ciblées sur les individus, il
est indispensable de penser des démarches
portant sur le collectif, notamment à travers des
cadres législatifs garantissant protection et droit
au bien-être. Cette perspective s’appuiera ensuite
sur l’organisation du collectif dans le respect de
l’intelligence émotionnelle de tous. Et enfin, il
apparaît clairement que l’élaboration de la promotion du bien-être est une responsabilité et un
engagement partagé par tous. l
Pour en savoir plus :
Pelc I., Corten Ph., Yasse Th., Steinberg P. &
Nicaise P., Bien-Etre et Santé au travail,
propositions de priorités : Région de
Bruxelles-capitale, Centre Collaborateur
de l’Organisation Mondiale de la Santé - OMS
« Santé, facteurs Psycho-sociaux et Psychobiologiques », Belgique, 2008.
Projet subsidié par la Commission Communautaire Française.
Synthèse de ce livre blanc accessible sur :
: http://homepages.ulb.ac.be/~phcorten/
CentreCollabOMS/CCOMSBelg.html
1
Centre Collaborateur de l’Organisation Mondiale de la Santé OMS, « Santé, facteurs psycho-sociaux et psycho-biologiques »,
Belgique.
2
Voir encadré.
3
Conférence d’Helsinki, OMS, 2005.
4
Lors de sa constitution en 1948, l’OMS définit la santé comme « un
état de complet bien-être physique, mental et social, qui ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité ».
5
SIPP – Service Interne de Prévention et de Protection au travail.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
ce qui relève de la sphère du travail et celle du
privé fait également l’objet d’un débat. L’employeur
ou l’institution ne peut, ni ne doit tout prendre à
sa charge.
37
La gestion des risques psychosociaux
L’AR du 17 mai 2007 spécifie que la charge
psychosociale se définit comme toute charge,
de nature psychosociale (relation de l’individu
à son travail, et avec les autres), qui trouve son
origine dans l’exécution du travail, et qui a des
conséquences dommageables sur la santé
physique ou mentale. La surcharge psychosociale, génératrice de troubles, se situe dans
les écarts entre les contraintes perçues et les
ressources estimées, écarts que le travailleur
ne parvient pas ou plus à réguler.
Nathalie LIONNET
Setca
L’analyse de risques
I
dentifier et analyser ces tensions et les mettre en
relation constitue une étape-clé de l’intervention
visant une prévention durable des risques psychosociaux au travail. L’employeur est responsable de
la réalisation de l’analyse de risques mais celle-ci sera
accomplie avec la collaboration du conseiller en
prévention psychosociale qui tiendra compte :
- Du contenu du travail : sa complexité, l’autonomie
des travailleurs, la surcharge, le rythme... ;
- Des conditions de travail : la répartition du temps
de travail, les possibilités de formations ;
- Des conditions de vie au travail : le bruit, la charge
physique, l’agressivité ... ;
- Des relations de travail : la participation des travailleurs au processus de décision, le soutien, la
concertation sociale.
La prévention des risques
L’employeur détermine alors les mesures de prévention qui doivent être prises. L’accent est mis non
pas sur la protection et la surveillance médicale mais
sur la prévention des risques :
- La prévention étant l’ensemble de mesures prises
dans l’organisation, en général, pour un groupe
38
Confluences N°20 Août 2008
défini ou au niveau de l’individu, en vue de prévenir
des risques et d’éviter ou de limiter les dommages ;
- Le risque étant la probabilité que les effets néfastes
se produisent dans certaines conditions.
Cette nouvelle approche présente l’avantage de laisser
une marge de manœuvre pour résoudre de façon créative les problèmes de bien-être au travail et mettre en
place un système dynamique de gestion des risques.
Un processus participatif
Ce processus dynamique gagne à s’inscrire dans
un processus participatif car si le conseiller en
prévention est un expert de par ses compétences
en matière de santé, sécurité et bien-être mais aussi
un facilitateur en raison de son équité et de son
indépendance, il est néanmoins indispensable
d’obtenir la collaboration tant de la ligne hiérarchique (moyen de se rapprocher des travailleurs
et de développer des relations humaines plus propices au bien-être optimal, physique, humain et
économique de l’entreprise) que des travailleurs
et de leurs représentants qui possèdent une expérience et une connaissance approfondie des différentes circonstances de travail : activités, conditions
physiques et sociales. S’inscrire dans ce type de
démarche permet de reconnaître l’existence de ce
type de souffrance et d’en limiter le dommage.
Et en psychiatrie ?
Il est clair que de par la spécificité des patients qu’il
accueille, le monde de la psychiatrie peut entraîner
une souffrance spécifique. Est-elle totalement évitable ? Non, car nous sommes dans le profondément
humain. Mais reconnaître son existence, c’est déjà
reconnaître le travailleur dans sa difficulté et non
pas dans sa faiblesse.
Cette souffrance est-elle propre aux soignants ? Je
ne le pense pas car s’il y a bien un univers fonctionnant dans l’interdisciplinarité, c’est celui-ci. La
souffrance touche l’ensemble des travailleurs,
d’autant plus s’ils sont peu formés. Deux exemples
vécus me viennent à l’esprit.
Linda est technicienne de surface et lingère dans
l’hôpital X. Elle gère le linge des patientes.
Madame Y ne se change pas régulièrement. C’est
Linda qui le constate au quotidien et qui va aider
la patiente à se prendre en charge. Linda n’est
pas soignante, et pourtant elle entre en relation
« de soins » avec Madame Y.
Rudy est menuisier au sein d’une institution Z et
a réalisé une bonne partie du mobilier. Pourtant,
régulièrement, le mobilier est détruit par de jeunes
patients. Un jeune va accompagner Rudy lors de
la réparation du meuble détruit. Rudy n’est pas
formé à la psychiatrie et pourtant, il intervient
dans le processus de soin.
Comment aborder le patient, que faire, que dire, quel
sens donner à cette énième réparation probablement
éphémère. Quel est le projet institutionnel ? Quelle est
ma place dans ce projet ? Et comment rester à la juste
place qui est la mienne ? Ces questions demandent une
réponse. La formation est une voie à prospecter car elle
augmente la compétence du personnel tant en termes
de savoir, savoir-faire que de savoir-être. Il apparaît
indispensable d’inscrire ce personnel dans des projets
de formation en lien avec le vécu quotidien des patients
(l’agressivité, le projet institutionnel, ...).
Reconnaître cette problématique
Nous nous sentons souvent démunis face à cette
souffrance au travail. Parfois même, elle semble faire
inévitablement partie du travail… Et pourtant des
outils existent : une analyse de risque, une gestion
participative et dynamique des risques liée à une saine
concertation permettent de dégager des solutions
adaptées à chaque institution. Le premier pas sera de
toute évidence de reconnaître l’existence de cette problématique et son lien avec le travail. l
Le bien-être des professionnels en SSM
Laure DE MYTTENAERE
Assistante sociale
Service de santé mentale de Jemelle
Etudiante en sciences de la santé publique1 (UCL)
Un face à face de souffrance
T
ravailler avec la souffrance est d’autant
plus complexe que, selon Lucie Biron2, la
société actuelle ne laisse plus de place à
la souffrance des individus ; ceux-ci ont l’obligation d’être heureux ! L’intervenant psychosocial
devient, dès lors, un « expert de la résolution de
problèmes ». Il n’a droit ni à l’échec ni à la reconnaissance de ses limites.
Face à l’ampleur des problèmes sociaux, l’intervenant risque de surinvestir son travail sans reconnaître ses limites et pourrait ainsi être sujet à
l’épuisement professionnel.
Le travail comme réalisation de soi
S’il peut être à l’origine d’un mauvais état de santé
pour diverses raisons - insatisfaction, perceptions
négatives, stress, conditions de travail, attentes
individuelles incompatibles avec la réalité…-, le
travail intervient également de manière essentielle dans la réalisation d’un individu.
Christophe Dejours3, psychiatre français, rejoint
Estelle Morin4, auteur canadien, en affirmant que
certaines organisations favorisent la reconnaissance du travailleur. Cette reconnaissance est une
manière de passer de la souffrance (liée à l’échec,
à la confrontation au réel) au plaisir (lié à la reconnaissance lorsqu’une situation difficile a pu être
dépassée). Ce plaisir permet de passer du « faire »
à l’« être » en développant l’identité personnelle et
l’accomplissement du travailleur qui, ensemble,
constituent l’armature de la santé mentale. Pour
cet auteur, le travail est donc médiateur de santé.
Et si, avec lui, on considère le travail comme un
vecteur de santé, que peut-on mettre en place pour
promouvoir la santé des travailleurs ?
La vocation…, danger ou source
de plaisir pour le travailleur ?
Certains grands auteurs semblent en désaccord
sur ce point !
En effet, pour Estelle Morin5 ainsi que pour
Wrzesniewski et al.6, la représentation du travail
peut être de trois ordres : un travail vécu comme
emploi (gagner sa vie), ou bien comme carrière
(énergie, compétition), ou encore comme vocation
(essentielle, accomplissement). Dans le troisième
cas, le travail est un plaisir et influence positivement la santé.
Par contre, Guéritault-Chalvin et Cooper7 font
remarquer que « le don de soi aux autres » peut
finir par coûter très cher et engendrer le burn-out !
« Le phénomène de burn-out est reconnu comme
représentant une véritable menace pour les professions à vocation sociale… ». Dès lors, quel
sens peut-on donner à notre travail ?
Un sujet à creuser8
Selon A. Deccache9, de nombreux facteurs influencent les comportements de santé d’une
personne : non seulement les facteurs liés à la personne elle-même (d’ordre social, psychologique,
socioculturel, cognitif ou psychosocial), mais aussi
l’ensemble des facteurs organisationnels et politiques qu’on ne peut négliger dans le cadre de
l’analyse du bien-être d’un travailleur. Il faut également noter l’importance des facteurs liés aux
intervenants (gestionnaires ou collègues) ainsi
que toutes les influences de l’ordre des interactions, du relationnel. Sur huit années de travail,
j’ai eu l’occasion de rencontrer tant des travailleurs
éprouvant du bien-être dans l’accomplissement
de leurs tâches que des personnes à la recherche
de sens pour simplement se sentir bien, être bien,
quotidiennement, dans leur travail en lien avec
des personnes sans repères, souffrant de mille
maux. Bien entendu, la santé n’est pas statique
et la perception de celle-ci varie en fonction des
moments de vie de l’individu.
Appel à témoignages
Ces réflexions font l’objet de mon mémoire en
Santé publique et pour poursuivre ma recherche,
je souhaiterais rencontrer des travailleurs en
service de santé mentale. Mon projet est de mieux
comprendre leur souffrance ou leur bien-être et
de réfléchir, avec eux, à partir de leurs expériences, à la manière dont le travail en santé mentale
pourrait accroître leur qualité de vie sans dégrader leur santé.
Idées et témoignages bienvenus !10 l
1
C’est dans ce cadre que se situent les réflexions proposées dans
cet article ; elles font l’objet du projet de mémoire de l’auteur.
2
Voir bibliographie p.48, Référence 3, pp.163-177.
3
DEJOURS C., Voir article en pp.44-47.
4
Voir bibliographie p.48, Référence 31.
5
Voir bibliographie p.48, Référence 32.
6
Voir bibliographie p.48, Référence 49, pp. 21-33.
7
Voir bibliographie p.48, Référence 19, pp.59-70.
8
C’est le projet de l’auteur dans le cadre de son mémoire en sciences de la santé publique.
9
Deccache A., Comprendre les comportements de santé : cadre
explicatif général, 1996. Unité d’Education pour la santé à l’UCL.
10
Laure De Myttenaere 8
[email protected] - SSM de Jemelle
Avenue de Ninove, 32 - 5580 Jemelle ( 084/344226
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Le professionnel de service de santé mentale
est confronté, au quotidien, à la détresse de
ses patients. A force d’entendre leurs difficultés et de travailler avec celles-ci, sa santé
n’est-elle pas exposée à un déséquilibre ?
En effet, malgré sa formation, il n’en reste
pas moins un être humain avec ses propres
soucis face à d’autres êtres humains en souffrance. Travailler avec la souffrance de l’autre,
au jour le jour, n’est pas chose simple…
39
Prévenir la souffrance et contrer la violence
Expression exacerbée de la souffrance, la violence s’exprime de mille manières. Elle régit
les rapports quotidiens entre les hommes en matérialisant la fragilité de notre existence, de
notre bien-être, de notre sécurité. Elle nous rappelle sans cesse et de manière angoissante
que rien n’est définitivement acquis et que nous vivons d’incertitude.
Rachel GARCET
Responsable de la gestion des ressources humaines à l’AIGS1
Propos recueillis par Christine Gosselin - IWSM
L
’AIGS est une Asbl qui a une assise en
région liégeoise depuis près de 45 ans.
Elle est engagée depuis une vingtaine
d’années dans des projets de collaborations et
de partenariats européens dont le programme
Léonardo. Dans ce cadre, l’AIGS réfléchit avec
des experts du champ de la santé mentale à aider
les professionnels à faire face aux nouvelles situations d’intervention dans le secteur tertiaire
social. Cela s’organise dans une logique de dissémination « formation de formateurs ».
Elaborer des stratégies
de réactions non violentes
Plus récemment, les partenariats se sont tissés
autour de la prise en compte de la violence comme
phénomène de première importance. Les recherches ont été menées dans le cadre du programme
européen Daphné.
Trouver des contenus formatifs à destination des
professionnels du secteur psycho-médico-social
et promouvoir une réflexion sur les mécanismes
d’expression de la violence sont devenus une
nécessité. Ces contenus formatifs permettent au
travailleur d’élaborer des stratégies de réactions
non-violentes.
Jusqu’à présent, différents programmes de formation professionnelle ont été élaborés dans le
cadre de ces partenariats européens.
40
Confluences N°20 Août 2008
Réfléchir à partir
de situations complexes
Le premier, « Joconda », a été conçu par des
cliniciens du domaine de la santé mentale, spécialisés dans le traitement des problèmes d’abus
sexuels et de maltraitance intrafamiliaux. Ces
situations complexes, à haute charge émotionnelle, amènent les intervenants à s’interroger sur
la pertinence, la légitimité et l’efficacité de leurs
interventions. Le programme de formation a été
construit à partir de situations fictives selon une
méthodologie interactive. L’apprenant est invité
à explorer une situation et à acquérir des connaissances sans se replier sur des certitudes de
manière à approfondir la réflexion sur sa pratique
professionnelle.
Comprendre les phénomènes
de violence
développe un programme de prévention des
phénomènes de violences sur les lieux de
travail dont les premiers cycles de cours2 ont
été donnés en mai 2007.
De façon opérationnelle, « Baltimédia »3 se
veut un programme de formation transversal,
c’est-à-dire destiné à des professionnels du
secteur psycho-médico-social : revalidation,
santé mentale, aide aux personnes, formation
professionnelle, insertion.
Il se veut aussi un outil de communication et
de sensibilisation au contenu de la loi belge
qui en a donné un cadre précis de définitions
en juillet 20024. La Belgique est en effet un des
pays les plus avancés sur ce point en termes
de législation. Désormais, la violence sur les
lieux de travail peut être examinée et abordée
par l’entreprise, en entreprise.
« Baltimédia » propose aussi un module de
méthodes d’analyses des risques et un module
d’interventions en situation de crise. Cette
dernière partie du programme de formation a
été construite grâce aux apports de l’ULG 5.
Leurs équipes de recherches ont développé
deux outils dont le contenu a été repris au bénéfice du SPF6 : le vade mecum du diagnostic
des souffrances relationnelles au travail et celui
sur l’intervention en situations de crise.
Le second, « Jocaste », propose différents
modules qui se présentent comme des introductions aux phénomènes de violence : sensibilisation à la violence, violence et femme, violence et
handicap, violence en lien avec les contextes
d’intervention.
La formation a été rendue possible grâce au
Fonds de l’APEF7 qui a permis de financer les
formateurs intervenants dans le cadre du programme orchestré par l’IEFC.
Et les prévenir
Par ces formations, l’AIGS vise à prévenir la
souffrance et les phénomènes de violence en
développant des savoirs et des compétences.
Le dernier programme de formation professionnelle développé par l’AIGS, « Baltimédia »,
Parler de prévention, c’est en référer aux types
Informer à tous les niveaux
L’un des objectifs de « Baltimédia » est effectivement d’assurer l’information à toutes les parties
concernées : employeur, membres de la ligne
hiérarchique, travailleurs, conseillers en prévention, personnes de confiance et délégués syndicaux. La formation n’est toutefois accessible qu’à
un groupe de 30 personnes à la fois. Nous assurons la formation une fois par an dans l’entreprise, à raison de 4 heures par mois, de septembre à juin. Cela permet à tous de participer à une
culture d’entreprise dans laquelle les personnes
développent des relations respectueuses entre
elles.
S’appuyer sur
des professionnels ressources
Toujours dans le cadre de l’application de la loi,
l’Asbl AIGS a choisi des personnes ressources
nouvelles dans son organisation - deux personnes de confiance - en privilégiant certains critères : critère de genre (une femme et un homme),
d’ancienneté dans l’Asbl, de maturité, d’appartenance sectorielle (l’un issu de la santé mentale,
l’autre de la réadaptation fonctionnelle).
L’Asbl a détaillé dans son règlement de travail
les fonctions respectives du conseiller externe
en prévention charge psychosociale, des personnes de confiance dans l’entreprise, du
conseiller interne en prévention et de la ligne
hiérarchique.
Assurer l’accueil, dans l’entreprise, d’un travailleur au sujet de l’expression personnelle de
son mal-être professionnel est un changement
dans l’approche des phénomènes de violence
sur les lieux du travail. Les concepts de prévention se sont également transformés.
Le conseiller externe en prévention charge psychosociale est désigné par l’employeur, après
accord préalable de tous les membres représentant les membres du personnel au sein du Comité
de Prévention et Protection au Travail (CPPT), il
est spécialisé dans le domaine des aspects psychosociaux du travail et des actes de violence ou
de harcèlement moral ou sexuel au travail.
La personne de confiance est chargée d’apporter
accueil, écoute, aide, conseil aux travailleurs
concernés par la problématique d’actes de violence ou de harcèlement moral ou sexuel au
travail. Dans l’entreprise, la personne de confiance assure en toute confidentialité la première étape
dans l’expression personnelle d’un mal-être professionnel. Elle peut renseigner sur les procédures à suivre en toute discrétion.
Enfin, à noter que la personne de confiance à
l’AIGS, contrairement au conseiller externe en
prévention, ne fait pas de médiation dans la résolution du conflit.
En guise de bonne pratique, l’AIGS s’est également
dotée de cercles de qualité 8 dans chacun de ses
services.
Prévention, protection et répression
Le cercle de qualité permet la rencontre de
l’ensemble des travailleurs du service. Les
thèmes abordés et les orientations prises dans
le cadre des cercles de qualité tiendront
compte à la fois de la satisfaction de l’intérêt
du client, de la satisfaction de l’intérêt du
professionnel et de la satisfaction de l’intérêt
du pouvoir subsidiant dans le cadre des services subsidiés issus du non marchand.
L’arrêté royal du 11 juillet 2002 relatif à la
protection contre la violence et le harcèlement
moral ou sexuel au travail a été abrogé par
l’arrêté royal du 17 mai 2007 relatif à la
prévention de la charge psychosociale qui
reprend cependant, en les modifiant, les dispositions spécifiques relatives à la prévention
de la violence et du harcèlement au travail.
De même les dispositions spécifiques concernant la violence et le harcèlement moral ou sexuel
au travail contenues dans le chapitre V bis de la
loi du 4 août 1996 relative au bien-être des
travailleurs lors de l’exécution de leur travail
ont été maintenues et modifiées par les lois
du 10 janvier et du 6 février 2007.
La loi de 2002 veut créer des ressources dans les
entreprises pour parer aux situations de souffrance. Elle a intériorisé qu’il y avait dans toutes
les entreprises un dispositif de prévention mais
aussi un dispositif de protection et de répression.
La norme de protection est devenue une règle de
droit. l
1 Association Interrégionale de Guidance et de Santé Asbl
: www.aigs.be
2 Formations données dans le cadre de l’IEFC (Institut Européen de
Formation Continuée) : www.iefc.be
3 Le programme de formation pourrait être rebaptisé prochainement
« nice work » dans le cadre de l’année académique 2008-2009.
4 Voir encadré.
5 Université de Liège, Département de Psychologie du Travail.
6 Service Public Fédéral.
7 Association Paritaire pour l’Emploi et la Formation.
8 Voir encadré.
DOSSIER
d’organisation. Pour chaque contexte organisationnel, une typologie des organisations est à
considérer afin de déterminer une politique préventive adaptée. Chacun est concerné par cette
politique de prévention.
Confluences N°20 Août 2008
41
Oser l’informel, la solidarité et le partage émotionnel
A de nombreuses reprises, des patients bienveillants disent : « Et bien docteur, ça ne doit
pas être facile d’écouter tous les jours les misères des autres… »
Très professionnellement, et afin de ne pas détourner le sujet de la consultation, je réponds
quelques mots du genre : « Bien, c’est quelque chose qui s’apprend, cela fait partie intégrante de notre métier pour rester soi en santé mentale et capable d’aider encore. »
Mais à vrai dire, si la formule vise à rassurer le patient, il serait tout à fait faux de nier
les charges émotionnelles que nous, soignants de la santé mentale, sommes amenés à
rencontrer.
Françoise DUMONT
Médecin psychiatre
Chef de clinique responsable de l’unité diagnostique et consultation
Hôpital Vincent Van Gogh, Marchienne-au-Pont
En marge des procédures…
L
es structures hospitalières disposent de
façon officielle de procédures formelles
en cas de situations de stress particulières
(agressions, harcèlement …) et un conseiller en
prévention est accessible, mais qu’en est-il des
microtraumatismes émotionnels ?
… des émotions à vivre
au quotidien
Il risque donc fortement d’y avoir une sorte de
progression « en escalier », chaque marche
n’étant pas bien haute par rapport à la précédente mais menant petit à petit à la souffrance, à
la surcharge émotionnelle.
mois auparavant ; celle-ci s’était par la suite réfugiée avec leurs deux enfants dans un foyer pour
femmes battues …
Il y a ces demandes qui nous confrontent à notre
propre impuissance, sentiment violent qui, s’il
n’est accepté, est en lui-même source d’une sournoise torture.
Il y a ce sentiment de manipulation occasionnel.
Ainsi notre propre baromètre émotionnel risque
souvent de bondir dans le rouge et il n’est pas
question de recourir à une aide formelle pour se
remettre en situation de calme.
Ceci d’autant moins que les consultations doivent
se poursuivre … et tout de suite !
De là l’importance de bien se connaître, de s’autoriser à sentir l’émotion montante et de l’accepter ;
qu’il s’agisse de tristesse, de peur ou de colère
… sans se laisser submerger par celle-ci.
Apprendre à bien se connaître
Ceux-ci ne sont-ils pas le plus souvent banalisés
par l’institution dont la hiérarchie, au moins administrative, n’est pas en contact direct avec cette
réalité de terrain ou par le soignant lui-même qui
aura tendance à « encaisser », parfois même à
banaliser et accumuler ces microtraumatismes ?
Ne risquent-ils pas de passer à la trappe des
procédures formelles mises en place et de progressivement gangrener le soignant, de manière
insidieuse et progressive, bien davantage que les
situations de crise visées par la mission du
conseiller en prévention ?
… D’autant que le temps est denrée rare à
l’hôpital et qu’il faut souvent rapidement passer
à une autre tâche, à une autre situation chargée
émotionnellement.
42
Confluences N°20 Août 2008
Il y a tout d’abord les émotions de nos patients
eux-mêmes, avec lesquelles on risque d’entrer
en résonance. Je pense à cette dame m’expliquant
l’horreur de la mort de son petit-fils de 18 ans
anéanti dans une coulée de béton, ou à la douleur
de cette mère, privée depuis 7 ans de tout contact
avec ses enfants enlevés par le père, à la détresse de cet homme ayant fuit la guerre…
Il y a aussi les situations quotidiennes qui
génèrent bien humainement de la tristesse,
comme par exemple la mort brutale de l’un de
nos patients.
Il y a également, à de nombreuses reprises, des
situations qui génèrent la peur ; je pense ainsi à
ces menaces proférées par un patient délirant
dont j’avais reçu l’épouse en consultation quelques
Trouver « la bonne distance », pour pouvoir
accueillir le patient avec bienveillance, lui manifester de l’empathie, l’écouter avec humanité
en restant professionnel, et le raccompagner à
la porte à l’issue d’une consultation de 20 minutes
en ayant le sentiment d’avoir raisonnablement
bien rempli sa mission de soignant sans trop
de frustration …, tout cela relève d’un véritable
travail d’équilibriste qui fort heureusement s’acquiert par la formation, la supervision et l’expérience.
Mais l’équilibre est fragile et le soignant reste
(fort heureusement) un être humain vulnérable.
Il se trouve fréquemment, de manière consciente ou non, dans un état de stress loin d’être
anodin. Et un fond de tristesse, de peur ou de
Pouvoir déposer son émotion
Pouvoir déposer délicatement son émotion plutôt
que d’attendre qu’elle se décharge violement.
Ca semble simple mais cela nécessite une grande
confiance et une grande humilité entre les collaborateurs susceptibles de pouvoir s’aider, s’écouter et entendre le trop plein émotionnel généré
par des situations difficiles.
Pour un management
de type « humaniste »
colère peut tisser le sol sur lequel il va asseoir
la consultation, le contact suivant.
S’aider des outils existants
Disposer d’outils de régulation émotionnelle va
alors s’avérer précieux pour le soignant, et je
pense notamment ici à diverses techniques de
« mindfulness » visant à une bonne gestion du
stress1.
Le travail continu de supervision et le partage lors
des réunions d’équipe sont indispensables aussi.
Il est également parfois utile de ne pas vouloir
à tout prix rester seul avec cela, là, ici et maintenant !
Responsable d’un service de psychiatrie ambulatoire qui comprend du personnel de nursing et
des psychologues en nombre et qui accueille des
patients présentant des pathologies de niveaux
très différents, j’ai pu expérimenter l’intérêt et la
richesse de cultiver la possibilité d’une forme de
solidarité informelle permettant en quelques
minutes, et sans rompre le secret médical, de
communiquer, sans se répandre, des émotions
difficiles vécues dans une situation immédiate,
de visu ou parfois par téléphone.
Je pense à cette récente consultation difficile au
cours de laquelle je me suis progressivement sentie
manipulée et menacée par un jeune patient en
attente d’une reconnaissance d’invalidité injustifiée.
Au terme de cette entrevue, j’étais en proie à des
émotions négatives très variées : l’insatisfaction,
la peur et la colère en étaient. Je me sentais bouleversée et fragilisée pour les consultations ultérieures. Consciente de tout cela, j’ai pu compter
sur cet échange téléphonique avec l’une des collaboratrices psychologue de l’unité. Quelle richesse de pouvoir parler brièvement de son vécu,
le déposer et éviter que ces émotions difficiles
persistent pour la consultation suivante ou ne se
transforment en sentiments parasites déversés sur
le personnel proche, à la première étincelle.
Le projet est ambitieux surtout dans une grande
institution où les conflits, voire rivalités, internes
ne sont pas rares, et la tentation est grande de
« garder pour soi » ce qui gagnerait pourtant à
être rapidement exprimé.
Cela implique aussi que la notion de hiérarchie
s’applique en termes de répartition des tâches,
responsabilités et pouvoir d’organisation, mais
n’implique pas une hiérarchie entre les
hommes.
Garder la possibilité de percevoir un collaborateur
juste comme un être humain, quel que soit son
titre, son « grade », c’est-à-dire un être émotionnel, et se montrer également à lui comme tel, sans
jugement de valeur, voilà ce que je crois être primordial dans les stratégies informelles. l
1
Références sur www.mindfulness-belgium.net &
www.ecsa.ucl.ac.be/mindfulness/
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Artistes Anonymes, Barbara
Cela nécessite un grand travail préparatoire et
surtout, l’instauration d’une culture, d’un management de type « humaniste » trop souvent exclu
des institutions de soin. Je pense personnellement
que la décision de ce type de management est le
propre des acteurs du terrain, indépendamment
du choix de la politique de management des administratifs, sans nier leur rôle dans la facilitation
ou non de ce climat propice à cet informel préventif et curatif de la souffrance du soignant.
43
Le travail entre espoir et désespoir
Par les temps qui courent, il est de bon ton, lorsqu’on parle du travail, de le considérer a priori
comme un malheur. Un malheur socialement généré. Et de fait, il faut bien reconnaître que
l’évolution du monde du travail, y compris sous nos climats, est assez préoccupante ; pour le
clinicien d’abord, pour les travailleurs sociaux ensuite, pour les gens ordinaires enfin, inquiets
des conditions qui seront faites à leurs enfants dans un monde du travail désenchanté.
Et pourtant, au moment où il faut déplorer les dégâts psychiques engendrés par le travail
contemporain, ce même travail peut aussi être invoqué comme instrument thérapeutique
essentiel pour des personnes souffrant de troubles psychopathologiques chroniques1.
Entre ces situations qui peuvent paraître extrêmes, on peut notamment interroger la place du
travail dans la formation de l’identité et de la santé mentale2.
Une réflexion utile, quelle que soit l’inscription sectorielle du travailleur. Interroger la souffrance des soignants, c’est aussi questionner sa situation de travailleur.
Christophe DEJOURS
Psychiatre, psychanalyste,
Directeur du Laboratoire de psychologie du travail à Paris
P
ar rapport à une vision souvent noire du
travail, il faut bien relativiser la souffrance résultant des contraintes qu’il
impose à ceux qui ont un emploi, dès lors qu’on
se penche sur le sort fait à ces femmes et à ces
hommes lorsqu’ils sont licenciés de leur entreprise ou lorsqu’ils sont privés de toute possibilité d’accéder un jour à un emploi.
Il y a donc sur le terrain des situations fortement
contrastées. Vient inévitablement la question de
savoir s’il est possible de rendre raison des
contradictions que l’on observe en clinique, en
psychodynamique et en psychopathologie du
travail.
C’est possible, en effet, si l’on prend au sérieux
la thèse, qu’avec un certain nombre de chercheurs
et philosophes à travers le monde (D. Kergoat,
H. Hirata, JP. Deranty…) nous soutenons ; à
savoir : la thèse de « la centralité du travail ».
La thèse de la centralité du travail se déploie dans
quatre domaines :
1) Dans le domaine individuel, le travail est central
44
Confluences N°20 Août 2008
pour la formation de l’identité et la santé
mentale ;
2) Dans le domaine des relations entre les hommes
et les femmes, dans l’inégalité et dans les rapports
de domination qui organisent ce qu’il est désormais convenu de désigner sous le nom de
« genre ». Dans les relations entre hommes et
femmes donc, le travail joue un rôle central, étant
entendu ici que, par travail, il ne faut pas entendre seulement le travail salarié mais aussi le
travail domestique. Et cela retentit jusque sur
l’économie de l’amour et même sur l’économie
érotique ;
3) Dans le domaine politique aussi, on peut montrer
que le travail joue un rôle central vis-à-vis de
l’évolution de la cité tout entière ;
4) Enfin on distingue une quatrième centralité qui
concerne cette fois la théorie de la connaissance.
Le travail, là aussi, joue un rôle central qui n’est
rien d’autre que ce grâce à quoi sont produites les
nouvelles connaissances. Le noble statut de la
connaissance supposément suspendu au dessus
des contingences du monde des mortels, doit être
revu de fond en comble dès qu’on considère le
processus de production de la connaissance et
non la seule connaissance. C’est ce qu’on appelle
la « centralité épistémologique » du travail.
Je ne parlerai pour aujourd’hui que de la première
dimension, celle de la centralité du travail vis-à-vis
de la formation de l’identité et vis-à-vis de la santé
mentale.
Les pathologies
liées au travail contemporain
Le travail dans ses formes contemporaines est à
l’origine d’une augmentation des pathologies mentales. On peut tenter de classer ces dernières en 5
catégories :
Les pathologies de surcharge en particulier le
burn-out Syndrom, le Kâroshi, les troubles musculo-squelettiques ;
Les pathologies qui compliquent les agressions
dont sont victimes les travailleurs dans l’exercice de leurs fonctions professionnelles, agressions qui viennent des usagers, des clients, des
élèves des écoles et collèges, etc…Notamment
dans les activités de service, depuis les vendeuses de supermarché et les employés du secteur
bancaire, jusqu’au personnel des services publics ;
Les pathologies des gens qui sont privés d’emploi ou qui sont licenciés, sont aussi extrêmement
préoccupantes car elles sont en cause dans
l’augmentation des dépressions, de l’alcoolisme
et des autres toxicomanies et surtout, dans l’accroissement de la violence qui dégrade peu à
peu notre vie quotidienne ;
Les pathologies du harcèlement et du mobbing ;
Les pathologies dépressives allant maintenant
jusqu’aux tentatives de suicide et aux suicides
sur les lieux du travail (on peut rappeler le cas
de cet homme qui s’était suicidé sur la chaîne de
montage de Volkswagen en Belgique, bien étudié
par l’enquête documentaire d’Agnès Lejeune pour
la RTBF : « la chaîne du silence »).
- l’évaluation individualisée des performances ;
- la qualité totale ;
- la sous-traitance en cascade et le recours croissant aux travailleurs indépendants au détriment
du travail salarié.
A vrai dire cette évolution des méthodes d’organisation du travail constitue une véritable mutation
qui accroît considérablement la pression productive d’une part, l’isolement et la solitude, d’autre
part. L’augmentation des pathologies mentales liées
au travail résulte pour l’essentiel de la fragilisation
engendrée par des méthodes d’organisation du
travail qui détruisent les liens entre les gens et qui,
à la place de la confiance, de la loyauté et de la
solidarité, installent dans le monde du travail le
chacun pour soi, la déloyauté, qui déstructurent le
vivre-ensemble, et en fin de compte produisent
une implacable solitude au milieu de la masse.
En deçà de la pathologie,
la souffrance au travail
Si l’on peut aujourd’hui étudier les ressorts de la
pathologie mentale au travail, comment, a contrario, caractériser les conditions qui seraient favorables à la santé mentale ?
Pour répondre à cette question, il faut entrer dans
la matérialité même du travail, c’est-à-dire aller
jusqu’aux gestes, aux idées, aux affects qui forment
le cœur de ce qu’on pourrait désigner comme « le
travailler ». Le « travailler », comme on dit le
souper, le boire, le coucher, ou encore en allemand
« das Fragen », « das Suchen ». Le « travailler »
ou encore ce qu’on conviendra de caractériser par
cette belle expression empruntée à Marx : « le
travail vivant ».
Depuis que les ergonomes ont procédé à ce qu’on
appelle l’analyse ergonomique du travail et de
l’activité - où les chercheurs belges ont été des
pionniers, A. Ombredanne et J. M. Faverge3 à
Bruxelles - , on distingue deux concepts : la tâche
et l’activité.
La tâche définit l’objectif à atteindre ainsi que le
chemin à parcourir pour l’atteindre, c’est-à-dire le
mode opératoire. La tâche c’est ce qui est prescrit
par l’organisation du travail. Mais on a montré que
les travailleurs ou les opérateurs comme on les
désigne en ergonomie, ne respectent jamais les
prescriptions dans leur intégralité. En toute circonstance, y compris dans les tâches qui durent
moins d’une minute (voir ici les travaux de Laville
et Teiger), les opérateurs « trichent ». Pas seulement par plaisir de transgresser ou de désobéir,
mais parce qu’il faut faire face aussi à des anomalies, des incidents, des pannes, des dysfonctionnements, des imprévus qui inévitablement viennent
troubler le bel ordonnancement de la production.
L’opérateur triche pour essayer de faire le mieux
possible, dans le temps le plus court possible.
Le réel
Tous ces incidents qui viennent perturber les prévisions et les prédictions, c’est ce qu’on appelle le
réel. Le réel, c’est ce qui se faire connaître à celui
qui travaille par la résistance de la matière, des
outils ou des machines à la maîtrise. Il y a donc
un paradoxe dans le réel. Alors que j’use d’une
technique que je connais bien, voilà que soudain,
ça ne fonctionne plus : le « bug » sur l’ordinateur,
la pièce qui se casse sous la presse, la machine
outil qui surchauffe, le corps du malade qui fait un
accident allergique quand je lui injecte un médicament, etc… Or tout travail est ainsi grevé par les
irruptions de la résistance du réel. Le réel, donc,
se fait d’abord connaître comme un échec. Le travail
vivant, c’est ce travail qui consiste à faire l’épreuve
du réel. Et cette expérience du réel est d’abord et
avant tout affective : elle génère un sentiment de
surprise, bientôt relayé par l’agacement et l’irritation,
voire par la colère ou par la déception, la fatigue,
le doute, le découragement, le sentiment d’impuissance. C’est-à-dire que le réel se révèle d’abord
sur un mode affectif. (cf l’expérience affective de la
résistance du monde à mon effort chez Maine de
Biran)
La difficulté avec le réel, c’est que souvent on ne
sait pas comment y faire face. On ne connaît pas
la solution. Le réel, c’est souvent une épreuve
inédite, inattendue, inconnue. Et travailler, alors,
cela implique précisément la capacité à faire face
au réel, jusqu’à trouver la solution qui permettra
de le surmonter.
L’intelligence
Seulement voilà ! Si la solution, je ne la connais
pas, il faut que je la découvre par moi-même, il
faut même parfois que je l’invente. En quoi
consiste donc l’intelligence dont il faut faire usage
pour pouvoir surmonter le réel ? Eh bien cette
intelligence, c’est avant tout la capacité de reconnaître le réel, puis d’assumer son impuissance
face à ce dernier, sa perte de maîtrise. Et puis
surtout, c’est le plus difficile, il faut faire preuve
d’endurance : endurance à l’échec. Je ne réussis
pas, mais je n’abandonne pas. J’insiste, je persiste, je m’obstine, je cherche. Et parfois cela dure
plusieurs jours. J’y repense en dehors de mon
travail. J’y pense le soir et je ne peux pas m’endormir. Je fais même des insomnies à cause de
mon travail. Et j’en rêve !
L’intelligence au travail, c’est tout cela. Pour inventer
ou trouver la solution, il faut s’engager complètement,
avec toute sa personne, avec toute sa subjectivité.
Et à force d’endurance face à l’échec, je finirai par
avoir l’intuition de la solution. Mais, cela mérite d’être
souligné, l’intuition naît de l’intimité avec la tâche,
avec la matière, avec l’objet technique qui résistent.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
Je m’en tiens à citer seulement ces têtes de chapitres des nouvelles formes de pathologie mentale
en rapport avec le travail, pour donner une idée
de l’importance des problèmes soulevés dans la
pratique, d’une part ; pour insister ensuite davantage sur les raisons et les processus en cause
dans une dégradation aussi massive. J’y insiste
seulement, mais je n’ai pas le temps aujourd’hui
de donner les éléments de ce qu’on appelle techniquement : « analyse étiologique des nouvelles
pathologies ». J’insiste donc sur le résultat de
l’enquête étiologique : la détérioration de la santé
mentale au travail est électivement liée à l’évolution de l’organisation du travail et en particulier
à l’introduction de techniques nouvelles, au
premier rang desquelles on trouve :
45
Il faut échouer, endurer, recommencer, échouer à
nouveau, persister, revenir à l’ouvrage et, à un
moment, surgit une idée, la solution, qui est un
rejeton de l’échec et de la familiarisation avec l’échec.
La solution vient de la capacité à endurer l’échec,
c’est-à-dire de la capacité à souffrir.
De la souffrance
à la formation des habiletés
Travailler, c’est donc d’abord échouer. Travailler,
c’est d’abord souffrir. Et la solution est une production directe de la souffrance au travail.
Ceci mérite d’être souligné. La souffrance n’est pas
seulement la conséquence contingente et regrettable du travail. La souffrance est au contraire ce
qui pousse le sujet qui travaille à chercher la solution pour s’affranchir - précisément - de cette
souffrance qui le taraude. On pourrait montrer
que la souffrance est aussi le mode fondamental par lequel se constitue cette connaissance
extraordinaire du réel, cette connaissance intime
qui est aussi une connaissance par corps (que
le philosophe Michel Henry désigne magnifiquement sous le nom de « Corpspropriation du
monde »). C’est le corps qui palpe le monde et
la résistance qu’il oppose à notre technique. Et
c’est de cette connaissance par corps que jaillit
à un moment donné l’idée, l’intuition du chemin
qui permettra de ruser avec le réel et de le surmonter. C’est ce que les auteurs allemands
(F. Böhle, B. Milkau) désignent sous le nom de
« subjektivierendes Handeln » et les Grecs dénommaient « mètis ».
On pourrait montrer aussi que cette endurance à
la lutte avec le réel, conduit finalement à un déplacement de soi. Il faut, en somme, remanier
son rapport au travail pour trouver enfin la solution, de sorte qu’en fin de compte, travailler ce
n’est jamais uniquement produire, c’est aussi se
transformer soi-même. Au terme de cette épreuve,
j’ai acquis de nouvelles habiletés, de nouvelles
compétences. Je suis plus intelligent après la
confrontation avec le réel - la résistance du monde que je ne l’étais avant d’avoir travaillé.
46
Confluences N°20 Août 2008
De cette analyse du décalage entre tâche et activité, entre le prescrit et l’effectif, avec entre les
deux le réel, on peut tirer deux leçons :
La première, c’est que travailler, c’est fondamentalement combler cet écart entre le prescrit et l’effectif. Ou, pour le dire autrement,
c’est ce qu’il faut ajouter aux prescriptions
pour venir à bout de la tâche et du réel ;
La deuxième, c’est que le travail transforme
le travailleur et, dans le meilleur des cas, lui
permet de progresser, de s’améliorer, voire de
s’accomplir. C’est une première approche du
plaisir au travail.
C’est tout cela qui est impliqué lorsqu’on parle
de « travail vivant » (lebendige Arbeit).
Le travail collectif :
l’intelligence au pluriel
Je pourrais maintenant aggraver encore la description. Car je n’ai parlé que du travail considéré individuellement. Mais dans beaucoup de situations,
les gens ne travaillent pas seuls. Ils travaillent avec
les autres, ils travaillent pour les autres : on travaille
pour un chef, pour ses collègues ou pour ses subordonnés. Travailler ensemble, c’est extrêmement
compliqué. Surtout si tout le monde se met à être
intelligent ! Car chacun alors trace son propre
chemin, élabore ses propres ruses, invente ses
propres trouvailles, construit ses propres savoirfaire. Et inévitablement surgit le désordre, voire le
chaos !
Invisibilité du « travailler »
Mais il y a comme une malédiction sur ce qui
est au cœur du travail. Car tout ce dont je viens
de parler ne se voit pas et ne peut pas se voir.
Les réactions affectives à la résistance du réel
et à l’échec ne se voient pas. L’irritation, le découragement, le doute sur sa propre compétence ne se voient pas. Mes insomnies ne se
voient pas. Les effets de ma mauvaise humeur
sur mon conjoint et mes enfants, cela ne se voit
pas sur les lieux du travail. Et lorsque je rêve
de mon travail - temps essentiel à la transformation de soi - lorsque j’imagine une solution,
mon imagination, comme mes rêves, ne se
voient pas. La souffrance d’une façon générale
n’appartient pas au monde visible. La souffrance comme tous les affects et les sentiments,
comme la subjectivité tout entière, comme
« l’amour » aussi, « … s’éprouve les yeux
fermés »(C’est encore le titre d’un livre de Michel
Henry). Et comme en outre pour aboutir au résultat je suis obligé de ruser, de tricher et d’enfreindre les règlements, je ne peux même pas
montrer comment je suis parvenu à résoudre le
problème et à surmonter le réel.
Donc, l’essentiel du travail est fondamentalement
invisible. C’est cela qui constitue une malédiction qui s’abat sur le travail. L’essentiel du travail
ne se voit pas.
Nouvelle difficulté, considérable, à la vérité. On retrouve ici, au niveau du collectif, à nouveau un écart,
un décalage entre les prescriptions, les injonctions à
travailler ensemble - c’est ce qu’on appelle la coordination - et ce que font effectivement ceux qui réussissent à travailler ensemble - la coopération - . Entre
coordination et coopération, l’écart est énorme.
Je n’ai pas le temps de décrire les trésors d’intelligence et d’habileté qu’il faut mobiliser pour combler
l’écart entre le prescrit et l’effectif, entre la coordination et la coopération. Mais vous pourrez vous douter
que c’est à la fois subtile et fascinant, que cela passe
aussi par beaucoup de souffrances, de conflits et de
discussions. En d’autres termes, la coopération n’est
possible que si les individus s’impliquent dans des
conflits et des débats collectifs, c’est-à-dire s’ils
prennent des risques.
De la souffrance au plaisir au travail
Si donc la souffrance est au rendez-vous du travail
individuel et du travail collectif, pourquoi donc les
gens prennent-ils ces risques pour leur santé ?
Pourquoi s’impliquent-ils avec tant d’énergie dans
leur travail, dans le travail vivant ?
Eh bien, c’est parce qu’en échange de la contribution
qu’ils apportent à l’organisation du travail, à l’entreprise ou à la société tout entière, ils espèrent en
retour une rétribution.
Cette rétribution qu’ils attendent, elle est bien sûr
Seulement cette reconnaissance n’est pas uniquement un supplément d’âme ni une simple tape
affectueuse sur l’épaule. Au contraire : la reconnaissance passe par des épreuves extrêmement
rigoureuses qui consistent en des jugements. Et
l’on peut montrer qu’il existe deux types de jugements : le jugement d’utilité et le jugement de
beauté. Je n’ai pas le temps de les décrire maintenant. Mais j’indiquerai toutefois que ces jugements
de reconnaissance, après lesquels nous courrons
tous, ne portent pas sur la personne du travailleur.
Non ! Le jugement attendu est un jugement qui
porte spécifiquement sur le travail accompli : sur
son utilité d’une part, sur sa qualité d’autre part.
Seulement lorsque j’obtiens la reconnaissance de
l’utilité et de la qualité de mon travail, alors je tire
une satisfaction intense de mon rapport au travail.
La reconnaissance du travail, c’est ce qui permet
de transformer la souffrance en plaisir.
Ce par quoi la reconnaissance se distingue du
masochisme, c’est que dans ce dernier cas la souffrance est directement source de plaisir grâce à
l’érotisation de la souffrance ou de la douleur. En
revanche dans la reconnaissance, il s’agit d’un
chemin long : c’est le passage par le travail, par
l’épreuve du réel, par la souffrance, par la découverte des solutions et par la reconnaissance, que
la souffrance est finalement transformée en
plaisir.
Reconnaissance, identité
et santé mentale
Une dernière remarque pour ressaisir le rapport
entre travail et santé mentale : la reconnaissance
ai-je dit, porte sur le travail. Soit ! Mais lorsque la
qualité de mon travail a été reconnue par les autres,
il m’est alors possible - mais c’est mon affaire
personnelle exclusivement - il m’est alors possible
de rapatrier la reconnaissance du registre du faire
dans le registre de l’être : je suis plus intelligent,
plus compétent, plus sûr de moi après le travail
qu’avant. De proche en proche, d’étape en étape,
je m’accrois moi-même, mon identité s’augmente,
éventuellement je m’accomplis.
Il serait facile aussi de montrer que la reconnaissance de la qualité de mon travail par mes pairs,
fait de moi un technicien ou un artisan comme les
autres techniciens, comme les autres artisans, un
chercheur comme les autres chercheurs, un psychologue comme les autres psychologues, un chef
comme les autres chefs, etc… C’est-à-dire que la
reconnaissance me confère l’appartenance à une
équipe, à un collectif, à un métier, voire à une communauté d’appartenance. La reconnaissance
confère donc en échange de ma souffrance une
appartenance qui est aussi une conjuration de la
solitude.
En résumé, la reconnaissance permet à celui qui
travaille de transformer sa souffrance en accroissement de son identité.
Or, l’identité est l’armature de la santé mentale.
Toute crise psychopathologique est centrée par
une crise d’identité. De notre enfance nous sortons
souvent plus ou moins cabossés, avec une identité inachevée, incomplète, instable. Le travail, par
le truchement de la reconnaissance, constitue une
deuxième chance pour bâtir et accroître son identité et acquérir ainsi une meilleure résistance psychique face aux épreuves de la vie.
Certaines organisations du travail favorisent la
psychodynamique de la reconnaissance et permettent d’inscrire le travail comme médiateur irremplaçable de la santé. A l’opposé ceux qui sont privés
de travail, chômeurs de longue durée, chômeurs
primaires, ceux qui perdent leur emploi, ceux qui
sont licenciés perdent aussi le droit d’apporter une
contribution à l’organisation du travail, à l’entre-
prise et à la société. Mais ils sont du même coup
privés de tout ce pan de reconnaissance et l’on peut
mesurer les ravages psychopathologiques et
sociaux - en particulier la montée de la violence - qui
résultent de la privation d’emploi.
Vu depuis le théâtre du chômage, le travail paraît
un privilège. Certes ! Mais le monde du travail n’est
pas rose pour autant et certaines organisations du
travail en vogue actuellement détruisent systématiquement les ressorts de cette dynamique entre
contribution et rétribution, déstructurent sans
relâche les conditions de la reconnaissance et de
la coopération et sapent les bases du vivre ensemble dans le travail. Il faut donc, dans la mesure où
l’on vise une action rationnelle dans le champ des
rapports entre travail et santé mentale, et pour
conjurer la violence sociale, agir sur deux fronts :
- celui de l’emploi ;
- mais aussi celui de l’organisation du travail.
Réenchanter le travail
Pour finir, je voudrais souligner que les nouvelles
formes d’organisation du travail n’ont rien d’inéluctable. Elles n’ont rien à voir avec une quelconque
causalité du destin. L’organisation du travail est une
construction humaine. Elle ne se déploie qu’avec le
consentement et la collaboration de millions d’hommes et de femmes. Le travail peut générer le pire,
jusqu’au suicide, il peut générer le meilleur : le plaisir,
l’accomplissement de soi et l’émancipation. C’est
grâce au travail que les femmes s’émancipent de la
domination des hommes. Il n’y a nulle fatalité dans
l’évolution actuelle. Tout cela dépend de nous et de
la formation d’une volonté collective de réenchanter
le travail. l
1
Comme l’indique, au demeurant, de façon explicite le rapport de synthèse « travail et santé mentale », réalisé dans le cadre du fonds Reine
Fabiola pour la santé mentale en 2007. Ce rapport est accessible
sur http://www.kbs-frb.be/event.aspx?id=217426&LangType=2060.
Il a préparé l’appel à projet « A la rencontre de l’autre au travail, le
vécu en guise d’expertise » dont les résultats seront dévoilés le
15 octobre 2008.
2
Ce texte a été prononcé lors de la célébration « 40 ans d’attention pour
la santé mentale », Fonds Reine Fabiola pour la Santé mentale (géré
par la Fondation Roi Baudouin), Gand, le 9 novembre 2007.
3
Voir bibliogarphie p.48, référence 33.
Confluences N°20 Août 2008
DOSSIER
d’abord matérielle : le salaire, les honoraires, les
primes… Mais il est facile de montrer que ce qui
mobilise l’intelligence et le zèle, individuels et
collectifs, ce n’est pas fondamentalement, la dimension matérielle de la rétribution ; mais la dimension symbolique. Ce que les gens attendent
en échange de leur implication et de leur souffrance, c’est une rétribution morale qui prend une
forme extrêmement précise : la reconnaissance.
47
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42. La Souffrance des médecins et des soignants.
Dans : Ethica Clinica, n° 35, septembre 2004
43. Synthèse des recherches sur le stress au travail.
Consultable en ligne : http://www.ulb.ac.be/soco/
creatic/chp3str.html
44. Travail et formation : quelques pratiques en
émergence. Dans : Revue Éducation Permanente, n°
174, 2008
45. Travail et santé mentale. Rapport de synthèse
réalisé dans le cadre du fonds Reine Fabiola pour la
santé mentale, 2007
46. Truchot D., Epuisement professionnel et burn-out :
concepts, modèles, intervention. Paris, Dunod, 2004
47. Vander Borght C., Meynckens-Fourez M. et
al., Qu’est-ce qui fait autorité dans les institutions
médico-sociales ? Autorités, pouvoirs, décisions,
responsabilités. Ramonville Saint-Agne, Erès, 2007
(coll. Empan)
48. Vandermouten M.-J., Dubreucq J.-L., L’Epuisement professionnel en milieu psychiatrique. Dans :
Soins Psychiatrie, n° 113, mars 1990
49. Wrzesniewski A., Mc Cauley C., Rozin P. et al.,
Jobs, Careers and Callings : People’s Relation to their
Work. Dans : Journal of Research in Personality, 31,
1997
In-folio
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Institut Wallon pour la Santé Mentale
L’ÉQUIPE Direction Christiane Bontemps Coordination des projets Isabelle Deliége, Christine Gosselin, Marie Lambert, Sylvie
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Gérard Accueil, secrétariat, logistique Françoise André, Séverine Dupont, Muriel Genette.
LES ADMINISTRATEURS = Fabienne Collard – Similes =Jean-Pierre Evlard – LWSM (Ligue Wallonne pour la Santé Mentale) = Micky
Fierens – LUSS (Ligue des Usagers des Services de Santé) = Liliane Leroy – FCPF-FPS (Fédération des Centres de
Planning Familial des F.P.S.) = Thierry Lottin – Cobéprivé (Confédération belge des établissements privés de soins de
santé) =Stéfan Luisetto – Fédito Wallonne (Fédération des intervenants en toxicomanie en Région wallonne)
= Robert Sterck – PFC du Centre et Charleroi = Michel Thiteux – FSPST (Fédération des Structures Psycho-SocioThérapeutiques) =Francis Turine – PFC Namur = Maryse Valfer – APOSSM (Association des Pouvoirs Organisateurs
de SSM en Wallonie) = Maurice Vandervelden – FIH (Fédération des Institutions Hospitalières) = Thierry Wathelet –
Fédération wallonne des Maisons médicales=
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« Confluences » est la revue de l’Institut Wallon pour la
Santé Mentale. Elle s’adresse à tous ceux qui y interagissent et,
au-delà, à tous ceux qui s’intéressent aux questions de santé
mentale.
Trois fois par an « Confluences » propose un dossier
thématique et donne un écho de l’actualité dans le secteur, en
Wallonie ou ailleurs.
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4 40 € pour l’abonnement “plus” qui vous donne,
en outre, accès aux informations qui circulent au sein de
l’association.
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en plus, à encourager le projet associatif.
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de l’Institut.
Les colonnes de « Confluences » vous sont ouvertes pour
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une information, soulever une question,... Et susciter le débat.
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4 Les articles publiés dans « Confluences » n’engagent que
la responsablilité de leurs auteurs.
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es textes non signés sont rédigés par les membres
de l’équipe de l’Institut Wallon pour la Santé Mentale.
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« Les rendez-vous de Confluences » vous invitent, dans la foulée de la publication, à rencontrer les auteurs
du dossier et à échanger, de vive voix, vos approches, vos points de vue, vos expériences...
Une rencontre conviviale pour mieux se connaître et poursuivre, ensemble, une réflexion en santé mentale.
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L’Institut Wallon pour la Santé Mentale, asbl
Artistes Anonymes, Delphine.
est un organisme d’information, de recherche et de réflexion en santé mentale.
Il bénéficie du soutien du Ministre de la Santé, de l’Action sociale et de l’Égalité des
Chances et du Ministre de l’Emploi et de la Formation de la Région wallonne.
Avec le soutien du Cabinet du Ministre de la Santé,
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