Devenir autre : chamanisme et contact interethnique en Amazonie

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Devenir autre : chamanisme et contact interethnique en Amazonie
Aparecida Vilaça
Devenir autre : chamanisme et contact interethnique en
Amazonie brésilienne
In: Journal de la Société des Américanistes. Tome 85, 1999. pp. 239-260.
Abstract
What does it mean to become an other ? Shamanism and interethnic contact in Brazilian Amazonia Juxtaposing an analysis of
Wari' ethnography (southern Amazonia) with other ethnographic material from the South American Lowlands, this paper seeks to
show how the idiom of corporality is both central to the understanding of the shaman's capacity to change identity — to transform
into an animal — and essential to conceptualizing the Amerindian experience of the world of the Whites.
Resumen
О que signified tornar-se Outro ? Xamanismo e contato interétnico na Amazônia brasileira Através da análise da etnografia wari'
(Amazônia Meridional), justaposta a outros materiais etnográficos das terras baixas sul-americanas, pretende-se mostrar que о
idioma da corporali- dade, central para о entendimento da capacidade do xamâ de mudar de identidade, transformando-se em
animal, é essencial para se pensar, no contexto amerindio, a experiência do mundo dos Brancos.
Résumé
À l'aide de l'ethnographie wari' (Amazonie méridionale) et d'autres matériaux ethnographiques des Basses Terres de l'Amérique
du Sud, cet article voudrait démontrer que l'idiome de la corporalité — central pour comprendre la capacité qu'a le chamane à
changer d'identité en se transformant en animal — est également essentiel pour penser, dans le contexte amérindien,
l'expérience du monde des Blancs.
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Vilaça Aparecida. Devenir autre : chamanisme et contact interethnique en Amazonie brésilienne. In: Journal de la Société des
Américanistes. Tome 85, 1999. pp. 239-260.
doi : 10.3406/jsa.1999.1736
http://www.persee.fr/web/revues/home/prescript/article/jsa_0037-9174_1999_num_85_1_1736
DEVENIR AUTRE : CHAMANISME ET CONTACT INTERETHNIQUE
EN AMAZONIE BRÉSILIENNE 1
Aparecida VILAÇA *
À l'aide de l'ethnographie wari' (Amazonie méridionale) et d'autres matériaux ethnographi
ques
des Basses Terres de l'Amérique du Sud, cet article voudrait démontrer que l'idiome de la
corporalité — central pour comprendre la capacité qu'a le chamane à changer d'identité en se
transformant en animal — est également essentiel pour penser, dans le contexte amérindien,
l'expérience du monde des Blancs.
Mots clés : chamanisme, Amazonie, tradition, histoire, contact interethnique, perspectivisme.
О que signified tornar-se Outro ? Xamanismo e contato interétnico na Amazônia brasileira
Através da análise da etnografia wari' (Amazônia Meridional), justaposta a outros materiais
etnográficos das terras baixas sul-americanas, pretende-se mostrar que о idioma da corporalidade, central para о entendimento da capacidade do xamâ de mudar de identidade,
transformando-se em animal, é essencial para se pensar, no contexto amerindio, a experiência do
mundo dos Brancos.
Palavras-chave : xamanismo, Amazônia, tradiçào, histôria, contato interétnico, perspectivismo.
What does it mean to become an other ? Shamanism and interethnic contact in Brazilian Amazonia
Juxtaposing an analysis of Wari' ethnography (southern Amazonia) with other ethnogra
phic
material from the South American Lowlands, this paper seeks to show how the idiom of
corporality is both central to the understanding of the shaman's capacity to change identity
— to transform into an animal — and essential to conceptualizing the Amerindian experience
of the world of the Whites.
Key words : shamanism, Amazonia, tradition, history, interethnic contact, perspectivism.
:
* PPGAS, Museu Nacionál, Quinta da Boa Vista s/n°, Rio de Janeiro 20 940-040, Brasil ; e-mail :
avilaca&ial ternex . com . br
Journal de la Société des Américanistes 1999, 85 p. 239 à 260. Copyright © Société des Américanistes.
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JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
[85, 1999
La relation entre le chamanisme et le contact avec la société nationale est un thème
fréquemment traité dans la littérature ethnologique. En général, ce que les études
consacrées à ce sujet mettent en valeur, c'est une détermination univoque : l'insertion
des sociétés indigènes dans le monde occidental provoquerait, soit la fin du chaman
isme, soit son développement. C'est ce qui se passe, par exemple, dans le cas des
groupes tupi-mondé de l'Amazonie méridionale. D'après Brunelli (1996, pp. 256260), le chamanisme a disparu dans certains de ces groupes juste après le Contact,
pour être repris quelques années plus tard, en tant que marqueur d'identité ethnique.
Selon Crocker (1985, pp. 329-331), chez les Bororo l'impact de la rencontre avec la
société brésilienne a été responsable de la disparition du « chamanisme vertical ».
Certains récits évoquent, de leur côté, l'appropriation de symboles chrétiens par les
chamanes indigènes, l'exemple le plus connu étant celui des Tupinambá du xvie siècle.
Tout comme les missionnaires utilisaient certaines prémisses du discours des
chamanes-prophètes, en promettant la terre sans mal grâce à la conversion, plusieurs
chamanes s'approprièrent le discours des pères et affirmèrent être en contact direct
avec Dieu (Viveiros de Castro 1992, pp. 33-34). Cette incorporation de symboles et de
pratiques chrétiennes par les chamanes indigènes est fréquente dans les mouvements
messianiques, comme ceux décrits par Hugh- Jones (1996, pp. 47-49) et Wright (1996,
pp. 110-114) et qui ont éclos dans le haut Rio Negro. Le mouvement inverse est
également bien attesté, celui de l'appropriation de pratiques chamaniques indigènes
par la population cabocla de la même région (Gow 1996, pp. 105-111 ; Taussig
1993) 2.
Mon objectif sera ici d'analyser sous un autre angle la relation entre le chama
nismeet le contact interethnique, et ce dans le cadre de l'ethnographie wari', groupe de
langue txapakura de l'Amazonie méridionale 3. En effet, plutôt qu'une détermination
directe entre l'intensité de la pratique chamanique et le degré de contact et d'approp
riation, par les chamanes, de pratiques occidentales — religieuses ou séculières — , ce
qui retient l'attention dans le cas wari', c'est que le processus de contact avec les Blancs
est pensé à travers le prisme même du chamanisme. De la même façon que les
chamanes, simultanément humains et animaux, les Wari' aujourd'hui possèdent une
double identité : ils sont Blancs et Wari'.
Un dessin réalisé en 1987 par Maxim Hat à qui j'avais demandé de me représenter
un Wari' est à cet égard révélateur (Figure 1). Il consiste en une figure humaine en
quelque sorte dédoublée : le vêtement de style occidental, tel que ceux portés actuel
lement par les Wari', se superpose au corps sans le cacher. On voit ainsi deux corps :
celui du Blanc, matérialisé par des vêtements occidentaux, par dessus, et celui du
Wari', nu, en dessous. Ce dessin nous renvoie à d'autres contextes ethnographiques,
comme par exemple les Kayapô du Brésil central, très médiatisés depuis quelques
années : les vêtements à l'occidentale ne couvrent pas entièrement les peintures
corporelles ou bien celles-ci sont explicitement montrées sur les parties non couvertes
des corps et vont de pair avec shorts et pantalons. L'ex-député fédéral brésilien, le
xavante Mario Juruna, jusqu'à ce jour le seul Indien à avoir été élu pour exercer un
mandat politique important au Brésil, était bien connu pour assortir parures de
plumes et costume-cravate.
Conklin (1977, pp. 716-717) observe que, jusqu'aux années 1980, les Indiens
d'Amazonie s'habillaient entièrement à l'occidentale, conséquence de la perception de
Vilaça, A.]
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Illustration non autorisée à la diffusion
:
Fig 1. — Dessin d'un Wari' par Maxim Hat (1987) le vêtement, de style européen, se superpose au corps
sans le cacher.
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l'impact négatif qu'avaient leurs corps nus, leurs lèvres et oreilles perforées, sur les
représentants de la société nationale, aussi bien d'ailleurs sur la population rurale des
alentours que sur les habitants des grandes villes. Se mettre à porter des vêtements a été
une façon, non seulement de se faire accepter, mais aussi de vivre en paix et de
continuer à vivre comme avant, loin des yeux des Blancs. Turner (1991, p. 289) fait un
commentaire analogue à propos des Kayapó qui, en 1962, étaient presque tous vêtus
à l'occidentale, les hommes s'étant retirés les labrets et coupé les cheveux. Pour
Conklin (1997, p. 712), les changements survenus à partir des années 80 viendraient de
l'imposition faite aux Indiens d'une vision occidentale spécifique de l'esthétique et de
l'authenticité indigènes (voir aussi Weiner 1997 pour une discussion sur la relation
entre esthétique et représentation). Conklin affirme ainsi :
« I show that the nature of contemporary eco-politics — especially dependence on global media
and non-governmental organizations — intensifies pressures for indián activists to conform to
certain images [...] Visual symbols are at the heart of this story because the politics of the
Indian-environmentalist alliance is primary a symbolic politics [...] Symbols are important in all
politics, but they are central in native Amazonian activism ; lacking electoral clout or economic
influence, the « symbolic capital » (Bourdieu 1977) of cultural identity is one of Brazilian
Indian's only major political resources. » (idem, p. 712)
II y a cependant une question que l'auteur ne pose pas et qui concerne, non pas les
ornements indigènes, mais leur complément, les vêtements occidentaux. Si, après
avoir pris conscience d'un modèle d'indianité créé par l'Occident moderne, les Indiens
ont décidé de changer leur apparence en mélangeant du prêt-à-porter à des peintures
et des ornements indigènes, même non « traditionnels », pourquoi n'ont-ils pas
abandonné alors complètement les vêtements occidentaux ?
Un rituel pratiqué par les Indiens nambikwara, évoqué par Conklin, illustre bien
le problème. Un cinéaste avait filmé en vidéo le rite d'initiation féminin et l'avait
ensuite montré aux Indiens. En voyant ces images, ils furent mécontents : ils se
trouvaient trop habillés. Ils décidèrent alors de remettre en scène le rite pour qu'il fût
filmé à nouveau. Les hommes retirèrent leurs T-shirts et mirent des shorts plus courts ;
les femmes accrochèrent des bouts de tissus autour de leur ceinture pour simuler des
jupes (Conklin 1997, p. 719). On sait, grâce aux belles photos de Lévi-Strauss publiées
dans Tristes Tropiques (Lévi-Strauss 1955), que les Nambikwara allaient nus.
Auraient-ils donc intériorisé, avec le modèle d'indianité, notre conception de la
pudeur ? Et, tout en sachant qu'ils seraient plus « authentiques » tout nus, auraient-ils
eu honte de se dévêtir complètement ? En fait, si on leur avait posé la question,
peut-être auraient-ils fourni une réponse analogue à celle des Wari' quand je leur
demandai pourquoi, si les souvenirs de la vie dans la forêt d'avant le Contact étaient si
positifs, ils n'y retournaient pas une fois pour toutes, abandonnant les Blancs et la vie
matérielle de type occidental.
— « Parce que nous sommes Blancs », me répondirent-ils.
Que signifie cet « être Blanc » sans que l'on cesse d'être Wari', et comment cette
double identité s'inscrit-elle dans le corps ?
Turner (1991) nous met sur une voie. La duplicité visuelle des corps — parures
indiennes, vêtements occidentaux — serait l'expression d'un compromis entre l'intérêt
pour une vie intégrée au monde des Blancs et l'accès facile aux objets manufacturés
tant convoités, d'une part, et la lutte pour l'autonomie, de l'autre. Alors que dans les
Vilaça, A.]
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années 60 les Kayapó recherchaient une sorte d'invisibilité dans les contextes de
relation avec la société nationale, en s'habillant exactement comme les Blancs (pantal
ons,
chemises, chaussures et lunettes noires), ils montrent aujourd'hui avec orgueil
leur identité indigène. Il s'agit, selon l'auteur, d'une nouvelle forme de conscience, qui
serait le résultat non pas de transformations cognitives à la mode structuraliste mais
du processus historique des affrontements interethniques. Voici ce qu'en dit Turner :
«... the household and the individual have likewise become double beings, diametrically divided
between an internal, indigenous Kayapó core and an external façade composed wholly or in part
of Brazilian goods and forms » (Turner 1991, p. 298).
Si l'ambiguïté ou la duplicité vestimentaire est certainement un choix politique qui
reflète une valorisation endogène de la tradition, tout comme la conscience de l'impact
de symboles visuels qui « authentifient » les Indiens aux yeux des Blancs, je ne pense
pas qu'une réflexion sur les processus d'affrontements épuise tous les problèmes
suscités par un tel comportement. Dans le cas amérindien, le choix du corps comme
lieu de l'expression de cette identité double n'est pas un hasard. Je formulerai ici
l'hypothèse selon laquelle, pour les Wari' à tout le moins, l'image occidentale n'est pas
une façade qui recouvre un intérieur plus vrai ou plus authentique comme le dit
Turner (idem, p. 298) à propos des Kayapó 4. Elle est aussi vraie et existe de façon
simultanée avec le corps wari' nu 5, de la même manière que — nous pouvons nous en
rendre compte sur un autre dessin wari' — , le pelage tacheté du jaguar ne cache pas
son corps (Figure 2). En réalité, du fait qu'ils sont Wari' et Blancs à la fois, les Wari'
vivent, comme nous le verrons plus loin, une expérience analogue à celle de leurs
chamanes, qui ont un corps humain et un autre animal. Un détour sur le signifié du
corps dans le monde amérindien est cependant d'abord nécessaire si l'on veut com
prendre
le rôle des vêtements occidentaux dans la constitution de ce corps double.
Le corps amérindien
II y a vingt ans, dans un article resté fameux sur la notion de personne, Seeger, Da
Matta et Viveiros de Castro avaient conclu que le corps et les processus qui s'y
rattachent sont essentiels pour les Amérindiens :
«... a originalidade das sociedades tribais brasileiras (de modo mais amplo, sul-americanas)
reside numa elaboraçâo particularmente rica da noçâo de pessoa, com referência especial à
corporalidade enquanto idioma simbólico focal. Ou, dito de outra forma, sugerimos que a
noçào de pessoa e uma consideraçâo do lugar do corpo humano na visâo que as sociedades
indigenas fazem de si mesmas sào caminhos básicos para uma compreensâo adequada da
organizaçâo social e cosmologia destas sociedades. » (Seeger, Da Matta e Viveiros de Castro
1979, p. 3).
Ainsi que l'avait déjà observé Joanna Overing (1976, pp. 9-10), la structure des
sociétés amérindiennes ne se trouve pas là où les ethnologues l'ont cherchée, eux qui
ont pris comme référence des modèles importés d'autres régions ethnographiques
comme l'Afrique, l'Asie ou la Mélanésie. De l'absence de clans, de lignages et de
groupes corporés on concluait à la fluidité de ces sociétés et au manque de principes
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Fig. 2. — «... Le pelage du jaguar ne cache pas son corps » (dessin wari').
intégrateurs en leur sein. Seeger, Da Matta et Viveiros de Castro, en reprenant l'ex
amen de certaines ethnographies de l'époque, celle de C. Crocker sur les Bororo, celle de
Reichel-Dolmatoff sur les Desana du Nord-Ouest amazonien ou de Joanna [Overing]
Kaplan sur les Piaroa du Venezuela, remarquèrent que toutes accordaient une place
importante aux idéologies de la corporalité : « théories de la conception, des maladies,
rôle des fluides corporels dans le symbolisme général de la société, interdits aliment
aires,ornements corporels » (1979, p. 3). À leurs yeux cela n'était ni le fruit du hasard,
ni l'effet d'un préjugé théorique, mais bien plutôt l'expression même de la centralité
des problèmes de corporalité dans la définition de la structure de ces sociétés. La
problématique des qualités sensibles mises en relief par Lévi-Strauss à partir des
mythes américains, dans ses Mythologiques (Lévi-Strauss 1964, 1967, 1968, 1971),
s'appliquait ainsi parfaitement au niveau de l'organisation sociale (Seeger, Da Matta
et Viveiros de Castro 1979, p. 3).
Il y a peu, Viveiros de Castro a reposé le problème de la corporalité amérindienne
en en proposant une nouvelle synthèse dans sa théorie du perspectivisme ou multinaturalisme. Selon lui, pour divers peuples amérindiens « le monde est habité par
différentes espèces de sujets, ou de personnes humaines ou non-humaines qui l'appr
éhendent selon des points de vue différents » en fonction de leurs corps (1996, p. 115).
Il ne s'agit pas de ce que nous connaissons sous le nom de relativisme multiculturel qui
suppose :
«... uma diversidade de représentâmes subjetivas e parciais, incidentes sobre uma natureza
externa, una e total, indiferente à representaçào ; os amerindios propôem о oposto : uma
unidade representativa ou fenomenológica [...] aplicada indiferentemente sobre uma radical
diversidade objetiva. Uma só « cultura », múltiplas « naturezas » [...] Uma perspectiva nâo é
uma representaçào porque as representaçôes sào propriedades do espírito, mas o ponto de vista
esta no corpo. Ser capaz de ocupar о ponto de vista é certamente uma potência da aima [...] mas
a diferença entre os pontos de vista [. . .] nâo esta na alma, pois esta, formalmente idêntica através
das espécies, só enxerga a mesma coisa em toda parte — a diferença é dada pela especificidade
dos corpos. » (Viveiros de Castro 1996, p. 128).
Vilaça, A.]
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À la place d'un multiculturalisme nous aurions donc un multinaturalisme (idem,
p. 127).
Si l'on passe à présent au cas précis des Wari', il apparaît que le corps (kwere-,
toujours suivi du suffixe de possession) est le lieu de la personnalité : c'est ce qui définit
la personne, l'animal, la plante ou la chose. Tout ce qui existe a un corps, une substance
qui lui donne ses caractéristiques propres. Les Wari' ont ainsi l'habitude de dire : « Je
kwere » (« mon corps est ainsi fait »), ce qui signifie « c'est ma façon d'être », « c'est
comme ça que je suis ». Il en est de même quand ils parlent d'animaux ou de choses. Si
nous leur demandons pourquoi les pécaris vont en bandes, ils diront : « Je kwerein
mijak » (« le corps du pécari est comme ça ») ; ou bien pourquoi l'eau est froide : « Je
kwerein kom » (« le corps de l'eau est ainsi »).
Si tout a un corps, seuls les humains — ce qui inclut les Wari', les ennemis et divers
animaux — possèdent toutefois une âme, que les Wari' appellent yam-. Alors que le
corps différencie les espèces, l'âme les rend pareilles en tant qu'espèce « humaine ». En
ce sens, les Wari' sont un cas exemplaire de la pensée perspectiviste amérindienne. Tous
les « humains » partagent des pratiques culturelles analogues : ils vivent en famille,
chassent, cuisinent leurs aliments, ingèrent des boissons fermentées, organisent des
fêtes, etc. Les corps, différents, supposent malgré tout des formes différentes de
perception des mêmes choses : ainsi, les Wari' aussi bien que le jaguar boivent de la
bière de maïs, mais ce que le jaguar prend pour de la bière est du sang, de même que
l'eau boueuse est de la bière pour le tapir. Les jaguars tout comme les tapirs se
conçoivent en tant qu'humains, wari', terme, rappelons-le, qui signifie « gens »,
« nous », mais perçoivent les Wari' comme non-humains, car ces derniers peuvent
assumer la position de prédateurs quand ils les chassent et les atteignent de leurs
flèches.
Le cas des Makuna, groupe de langue tukano du rio Vaupés, illustre également fort
bien cette question de l'humanité des animaux :
« Los peces son gente [...] Las árboles frutales que crecen en las riberas son sus chagras, las frutas
son sus cultivos [...] Igual que los hombres, los peces forman comunidades [...] En sus casas
subacuáticas (invisibles al ojo humano común) los peces guardan todos sus bienes, herramientas
e instrumentos como los que la gente tiene en sus casas [...] Cuando los peces desovan, están
bailando en sus casas subacuáticas [...] Los animales de caza son gente. Ellos tienen su propria
mente [...] y sus proprios pensamientos [...], lo mismo que los hombres [...] Ellos tienen malocas
y comunidades, tienen sus proprias danzas y su propria parafernalia ritual y instrumentos [...] Es
por eso que los animales tienen aima ; ellos tienen su propria mente y pensamientos. » (Arhem
1993, pp. 112-113; 116-117).
La notion du corps comme lieu de la différence ne se limite pas aux relations
interspécifiques. La société wari' est en fait conçue comme constituée d'agrégats
corporels à plusieurs niveaux, leurs frontières étant tellement variables qu'il est
difficile de parler de société (voir Gow 1991, p. 264, pour une conception analogue
chez les Piro ; Seeger 1 980, pp. 1 28- 1 29, chez les Suyâ ; Da Matta 1976, pp. 80-8 1 , chez
les Apinayé). Ainsi, les parents proches peuvent s'éloigner et, rompant alors le contact,
se transformer en ennemis, êtres ontologiquement identiques aux Wari', tout comme,
à l'inverse, des ennemis peuvent, par le mariage, être assimilés à des parents.
Il est important de souligner que le corps amérindien n'est pas une donnée
génétique mais quelque chose qui se construit tout au long de la vie au moyen des
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relations sociales (Gow 1991, pp. 259-260 ; Da Matta 1976, p. 88). Chez les Wari',
après la naissance, le corps de l'enfant, constitué d'un mélange de liquide séminal et de
sang menstruel, est progressivement façonné par l'ingestion d'aliments et l'échange de
fluides corporels avec ses parents, ses frères et sœurs et d'autres proches. Les enfants
adoptés, par exemple, sont considérés comme consubstantiels à leurs parents adoptifs
et, de façon analogue, maris et femmes deviennent consubstantiels grâce à la proximité
physique découlant du mariage (voir Overing Kaplan 1976, p. 390 pour un comment
aire
analogue sur les Canela, apud W. Crocker). Dans la constitution de l'identité
physique, pour les Wari' comme pour les espèces animales, et nous le verrons plus
spécifiquement dans le cas des chamanes, il est important d'insister sur le fait que la
nourriture est essentielle.
Au cours de la première phase de mon travail de terrain, j'entendais constamment
des exclamations du genre : « elle n'est pas Wari', elle ne mange pas de vers ». Quand
finalement j'ai mangé devant eux quelques larves, la nouvelle s'est répandue dans le
village : j'étais devenue complètement Wari'. Cette consubstantialité produite par les
relations physiques et la convivialité (je renvoie aux Piro analysés par Gow 1991,
pp. 7-8, 114, 123-124, sur l'importance de la nourriture dans la constitution de
l'identité ; et aux Matsinguenga analysés par Baer 1994, p. 88) est aussi effective que
celle donnée à la naissance, de sorte que, ceux qui vivent ensemble, mangent ensemble,
ou partagent le même régime alimentaire deviennent consubstantiels, tout particuli
èrement
s'ils se marient entre eux. Plus qu'une simple substance physique, le corps
amérindien est, comme l'a déjà observé Viveiros de Castro, « un ensemble d'affections
ou de manières d'être qui constituent un habitus. » (1996, p. 128).
Pour en revenir à nos premières observations sur le dessin wari' et les vêtements
kayapó, il nous faut remarquer que le corps n'est pas simplement le lieu de l'expression
de l'identité sociale, mais le substrat où celle-ci est fabriquée, de telle sorte que, plutôt
qu'une « peau sociale », socialisant de l'extérieur un substrat interne naturel (voir
Turner 1971, p. 104), les ornements et habits induiraient de vrais processus métaboli
ques.
J'ai pour hypothèse qu'il n'y a pas de différence substantielle entre les vêtements
animaux employés par les chamanes et les animaux eux-mêmes — quand ils se
montrent aux Indiens — , les ornements corporels indigènes et les vêtements manuf
acturés portés par les Indiens qui sont en contact avec les Blancs. Ils constituent tous
des formes de differentiation et de transformation du corps, identiques à celles qui
découlent des pratiques alimentaires et de l'échange de substances par proximité
physique. En un certain sens, nous pourrions même dire que les vêtements occidentaux
portés par les Indiens seraient plus traditionnels ou authentiques que les parures de
plumes qu'ils revêtent en même temps, puisqu'ils seraient la façon indigène d'être
Blanc. Les parures de plumes, de leur côté, seraient la façon blanche d'être Indien.
Viveiros de Castro, dans le même article sur le perspectivisme, a attiré l'attention
sur le fait que vêtement, masque et parure sont des instruments et non des déguise
ments.À propos de l'ensemble des ornements rituels il écrit : « nous sommes face à des
sociétés qui inscrivent, dans la peau, des signifiés efficaces et qui utilisent des masques
d'animaux [...] dotés du pouvoir de transformer métaphysiquement l'identité de leur
porteur, quand ils sont employés dans un contexte rituel approprié. » (1996, p. 133).
On pourrait citer ainsi l'exemple des Yagua du Venezuela, dont les chamanes utilisent
« des habits magiques » qui leur permettent de voir sous l'eau, laquelle se transforme
Vilaça, A.]
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alors en fumée (Chaumeil 1982, p. 51) ou celui des Kogi de Colombie, chez qui un
personnage mythique se transforme en jaguar quand il ingère une substance halluc
inogène (sous la forme d'une boule bleue qu'il met en bouche) et quand il met un
masque de jaguar lui permettant de « percevoir les choses d'une façon différente de la
façon dont le jaguar les voit. » (Reichel-Dolmatoff 1975, pp. 55, 58). En ce sens, et
contrairement à ce que dit Turner (1971, p. 104), les vêtements, peintures et masques
seraient plus un moyen de naturaliser des substrats culturels indifférenciés (Viveiros de
Castro 1996, p. 130) qu'un moyen de culturaliser un corps excessivement naturel. La
différenciation s'opère par la naturalisation et non pas par la culturalisation, étant
donné que la culture est commune aux êtres divers, et c'est précisément ce qui permet
de les identifier comme humains. La « permutabilité objective des corps est fondée sur
l'équivalence subjective des esprits » (idem, p. 133). Les Makuna sont un excellent
exemple de cette permutabilité des corps :
« Aunque los peces viven en el mundo del río, fácilmente se convierten en pájaros, micos,
roedores, cerdos de monte, y otros animales de caza que comen frutas. Cuando la comida del río
esta escasa los peces se convierten en pájaros y animales terrestres para buscar comida en la
selva. » (Arhem 1993, p. 115).
Je reprendrais ici volontiers une anecdote relative aux tout premiers contacts, citée
par Lévi-Strauss dans Race et Histoire (1952) et reprise par Viveiros de Castro (1996,
p. 123) pour illustrer le perspectivisme. Alors que les Espagnols cherchaient à savoir si
les Indiens avaient ou non une âme, ces derniers noyaient les Blancs afin d'observer si
leurs cadavres étaient sujets à putréfaction. C'est-à-dire que les Indiens voulaient
savoir à quel type d'humains ils avaient à faire, et cela leur semblait possible par l'étude
des particularités de leurs corps.
Or il est possible d'établir une relation de continuité entre cet épisode, qui a eu lieu
il y a 500 ans, et certains événements récents. En 1992, à l'occasion du « Earth
Summit » (Sommet des Nations Unies sur l'Environnement), rencontre écologique
internationale qui se déroula à Rio de Janeiro, les peuples indigènes organisèrent
plusieurs manifestations. L'une d'elles eut pour cadre un « village indigène » spécia
lement construit pour l'occasion 6. Les Kayapó, jouant le rôle d'hôtes, se sont mis à
agir en portiers et à contrôler qui pouvait ou non entrer dans les huttes : à part les
journalistes et les organisateurs qui portaient un badge d'identification, seules les
personnes en habits exotiques ou parés d'ornements indigènes reçurent cette permiss
ion.Selon l'anthropologue qui rapporta le fait à Conklin, deux Indiens nordaméricains se virent refuser l'entrée, alors qu'ils portaient des vêtements communs,
mais ils purent franchir l'enceinte le jour suivant, lorsqu'ils se présentèrent ornés de
plumes. (Conklin 1997, p. 727). Conklin interprète cet épisode comme le résultat de
l'imposition faite aux Indiens d'un modèle d'indianité construit par l'Occident et
centré sur l'esthétique corporelle. Il convient de souligner ici justement l'« authentic
ité
» de ce modèle et de suggérer que, c'est précisément pour cela qu'il a été si
rapidement accepté et incorporé par les Indiens. Il s'agit, comme je l'ai proposé pour
ce qui est de la relation entre les Wari' et le christianisme de la Missâo Novas Tribos do
Brasil (Vilaça 1996a, 1996b 1997), d'une rencontre d'idéologies. Il faut donc bien
relativiser l'observation de Turner (1991) sur l'impossibilité de comprendre cette
adoption vestimentaire double en tant que transformation cognitive en termes struc-
248
JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
[85, 1999
turalistes. Si ces transformations relèvent d'une prise de conscience politique, elles
n'ont été possibles ou n'ont eu lieu de cette manière que parce qu'elles étaient
compatibles avec des aspects structurants de la pensée, comme la logique dualiste qui,
selon Lévi-Strauss, serait étroitement liée à l'ouverture structurelle des Amérindiens à
l'Autre (Lévi-Strauss 1991), et avec la notion de corporalité comme élément central de
la constitution de la personne. Pour ce qui est du premier point, l'ouverture à l'Autre,
on observera que, comme nous l'enseignent clairement ces associations vestimentaires
qui expriment des mélanges d'identités, la notion exclusiviste de tradition paraît être
étrangère à plusieurs cultures non-occidentales. Nous y reviendrons.
Passons maintenant aux chamanes, pour qui la transformation des corps constitue
l'essence même de leur activité. Dans le cas wari', le rapprochement entre les tran
smutations
chamaniques, qui assurent la connexion entre le monde des Wari' et celui
des animaux, et celles qui se jouent dans le contact interethnique, ont comme fonde
ment premier l'équivalence entre animaux (karawa) et ennemis (wijam), catégorie
dans laquelle les Wari' classent les Blancs. Les ennemis tout autant que les animaux
entretiennent avec les Wari' une relation caractérisée par la guerre et la prédation. Ce
sont ces deux activités qui produisent une rupture dans le continuum d'humanité
compte tenu du fait que les prédateurs sont définis comme humains, wari', et les proies
comme non-humaines, karawa, positions d'ailleurs éminemment réversibles.
Les chamanes
Le chamane wari' (ko tuku ninim) est « celui qui voit », un être particulier, en partie
humain et en partie animal. Tout commence par une maladie grave, au cours de
laquelle un animal agresse l'esprit du futur chamane dans le dessein d'en faire son
compagnon, un membre de son espèce. L'esprit du malade arrive à la maison des
animaux de cette espèce bien déterminée et peut déjà les voir comme des humains,
c'est-à-dire qu'il adopte le point de vue de l'animal. On le baigne avec de l'eau tiède et,
à la façon des beaux-parents wari', les animaux lui offrent une jeune fille qui deviendra
son épouse plus tard quand, une fois mort, il sera définitivement animal 7. Quand un
chamane se fait vieux, on a l'habitude de dire que son épouse animale est désormais
devenue jeune fille, et qu'il ira bientôt la rejoindre pour consommer le mariage en
même temps qu'il réalisera sa transformation définitive en animal. Comme dans le
contexte de la relation entre agrégats corporels à l'intérieur de la société, le mariage est
ici aussi essentiel pour parachever le changement.
Le futur chamane reçoit également du roucou et de l'huile de babaçu magiques,
teintures corporelles par excellence qui le caractérisent en tant que membre de l'espèce
qui agresse, et le dotent à la fois du point de vue animal et d'un pouvoir thérapeutique.
À partir de là, cet homme (rares sont les cas connus de femmes chamanes) possède un
esprit constamment présent en tant que double animal vivant par ailleurs avec ses
semblables. Sur l'esprit des chamanes, les Wari' disent, selon l'animal qu'il « accom
pagne » (nécessairement un animal d'une espèce possédant un esprit) : « il est com
plètement
pécari » (Mijak pin na), « il est parti chez les pécaris » (Mao na jami
mijak), ou bien « il est avec les tapirs » ( Peho non min). Je transcris ici les mots mêmes
de Orowam, chamane wari' :
Vilaça, A.]
CHAMANISME ET CONTACT INTERETHNIQUE EN AMAZONIE
249
« Je suis jaguar. Je suis un vrai jaguar. Je mange des animaux. Quand quelqu'un est malade, je
vais le voir et il guérit. Elle a des choses dans son cœur, la personne malade. Elle refroidit (guérit,
la fièvre baisse). J'ai de l'huile de babaçu et du roucou. Je vais dans la forêt. Je vais loin, voir
d'autres personnes. Je vois des Blancs, je vois tout le monde. Je suis un jaguar pour de vrai, pas
un faux jaguar » (Orowam en 1995).
Quelques années auparavant le même chamane affirmait aussi : « le jaguar est mon
parent véritable. Mon vrai corps est jaguar. Il y a des poils sur mon vrai corps »
(Orowam en 1987). L'identité est donc bien explicitement conçue comme située dans
le corps et liée à la parenté.
Tout comme dans la constitution des relations de consubstantialité, la convivialité
est fondamentale pour définir ce qu'est le chamane en tant que membre d'une espèce
déterminée : pour qu'il puisse « changer » d'espèce, il se met à accompagner d'autres
animaux, ce qui signifie que, non seulement il va marcher à leurs côtés, mais il va aussi
manger comme eux et avec eux. Les chamanes ont l'habitude de dire que, visuellement,
il n'y a aucune différence entre les espèces d'animaux dotés d'esprits, vu qu'ils les
perçoivent toutes sous forme humaine ; ce sont leurs habitudes qui les différencient
vraiment. La fréquente incapacité du chamane à différencier visuellement les espèces
animales, à les percevoir sous leur forme animale, fait de celui-ci un mauvais chasseur.
Maxim Hat, au grand désespoir de son épouse, n'arrive pas à tirer sur les animaux
qu'il rencontre, parce qu'il les voit comme humains. Partager la même identité rend la
prédation et la consommation irréalisables (Vilaça 1998), non pas à cause des maladies
que provoquerait la consommation d'un consubstantiel, mais à cause de la perception
de l'identité (voir Vilaça 1992 pour la description de certaines expériences d'initiation
chamanique).
Ce qui caractérise le chamane, c'est qu'il possède deux corps simultanés : un corps
visible pour les Wari' — qui entretient des relations normales avec eux en tant que
membre de leur société — et un corps animal que lui-même perçoit comme humain et
qui entretient des relations avec les autres animaux de son espèce, comme s'il s'agissait
de membres de sa société, autrement dit la société wari'. Selon les termes de Maxim
Hat, seul son corps est au village ; son esprit est avec les pécaris, jour et nuit. Ce qui
arrive parfois, c'est une sorte de dysfonctionnement : d'après son épouse en effet, il ne
dort pas bien la nuit, il claque des dents comme s'il était en train de manger des fruits.
Il en va de même pour le chamane-jaguar Orowam qui effraye ses voisins quand il rugit
en plein sommeil.
La présence du chamane au sein du groupe offre deux facettes. La première est
positive, car il agit de façon préventive et curative contre les maladies. Comme des
hommes partis pour une expédition de chasse, les esprits animaux peuvent arriver en
bande chez les Wari', poussés par le vent et crier : « Nous allons flécher l'ennemi ! ».
Certains chamanes, généralement étrangers, membres d'autres sous-groupes wari' 8,
se trouvent parfois parmi ces animaux. Si les chamanes locaux les aperçoivent, ils
essaient alors immédiatement d'établir un dialogue avec eux, évitant ainsi que les
esprits des Wari' soient atteints par les flèches et tombent malades. Ils commencent par
les obliger à ajuster leur vision : « Regardez bien, ce ne sont pas des animaux, ce sont
des wari' ! Ils sont vos parents ! ». Les animaux reconnaissent alors les Wari' en tant
qu'égaux et se retirent. Si quelqu'un tombe malgré tout malade, le chamane évite que
la victime se transforme en animal en retirant de son corps toutes les traces laissées par
250
JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
[85, 1999
l'animal agresseur et en essayant de récupérer, auprès des animaux, l'esprit qui est déjà
en train de se transformer en animal. Cette transformation peut toutefois aller
jusqu'au bout et conduire à la mort du corps, ou bien la victime non-soignée peut
continuer à vivre et se transformer en chamane. En cas de décès, l'esprit agressé va faire
partie de l'espèce qui agresse et sera dorénavant associé à un nouveau corps. Il n'est
pas sans intérêt de relever ici que, lors de morts causées par des ennemis de guerre,
l'esprit du Wari' mort devient membre du groupe ennemi et reçoit un corps d'ennemi,
devenant ainsi méconnaissable aux yeux des parents qu'il pourrait venir à rencontrer
par hasard.
La facette négative de l'action chamanique est liée à la capacité qu'a le chamane de
se transformer en ennemi à n'importe quel moment, d'attaquer ses concitoyens au
point même de causer des décès. Il agit ainsi non intentionnellement, on pourrait dire
à cause d'une « faille technique » : sa vision devient déficiente et il se met à voir ses
parents comme des ennemis ou des proies animales. Tout se passe comme si ses
différents corps se confondaient et qu'en tant que Wari', il adoptait un point de vue
animal. Les chamanes étrangers, venus d'autres sous-groupes wari' ne sont pas les
seuls à être sujets à ces crises qui rappellent celles des meurtriers de certains groupes
tupi pendant la période de réclusion (Viveiros de Castro 1995). Cela arrive également
aux chamanes locaux, classés par termes de parenté comme le veut la coutume.
L'occasion m'a été donnée d'observer le chamane Orowam, dont l'esprit est le jaguar,
se préparer à attaquer des gens qui l'entouraient comme moi-même et son petit-fils
classificatoire. Il se frottait les yeux et rugissait. Son petit-fils, qui comprit ce qui se
passait, se mit à lui parler, lui rappelant — en m'incluant par gentillesse — que tous
ceux qui étaient là étaient des parents.
La dernière impression est celle d'un jeu de miroirs où les images se reflètent à
l'infini : le chamane devient animal et c'est en tant qu'animal qu'il adopte la perspect
ive
des êtres humains, wari', et se met à voir les Wari' comme karawa, non-humains.
En ce sens, le chamane permet aux Wari', à la société comme un tout, de connaître
indirectement un autre point de vue, celui de l'ennemi : de wari', ils se mettent à se voir
comme proies, karawa, car ils savent que c'est ainsi que le chamane est en train de les
voir à ce moment-là. Une double inversion a lieu : un homme se détache du groupe,
devient animal et adopte un point de vue humain (wari' ) pour que le reste du groupe,
restant humain (Wari'), puisse adopter le point de vue animal.
Si les animaux sont potentiellement humains, les Wari' sont potentiellement des
proies, de telle sorte que l'humanité n'est pas quelque chose d'inhérent mais bien une
position pour laquelle il faut lutter sans cesse. Tout se passe comme si cette logique
sophistiquée de prédation à double sens avait comme finalité principale une réflexion
profonde sur l'humanité. Les Wari' font l'expérience d'une situation constamment
instable et courent le risque de vivre toujours à la frontière entre l'humain et le
non-humain, comme si, faute de savoir ce que c'est être karawa, ils ne pouvaient savoir
ce que c'est être humain.
Pour une physiologie du contact interethnique
La conception du chamane comme « celui qui voit » à partir de perspectives
diverses, liées à la duplicité de son corps, nous renvoie une nouvelle fois à nos premières
Vilaça, A.]
CHAMANISME ET CONTACT INTERETHNIQUE EN AMAZONIE
251
observations à propos du dessin wari' qui représente justement un homme « à deux
corps », même si l'un des corps n'est pas celui d'un animal mais d'un Blanc.
Ce qui attire l'attention dans la représentation wari' du Blanc, c'est qu'il a été, dès
le début, classé comme ennemi, wijam, catégorie dans laquelle les Wari' plaçaient les
autres Indiens contre lesquels ils guerroyaient. Au début, disent les Wari', les Blancs
étaient des ennemis pacifiques et ils ont fini par devenir belliqueux à cause des attaques
constantes menées contre eux par les Wari'. Historiquement, la première période
correspond aux rencontres fortuites entre les Wari' et certains habitants de la région,
au début du siècle. La deuxième période est liée aux persécutions que les Wari' ont
subies de la part des seringueiros 9 et autres explorateurs, à partir des années 1930 et
jusqu'à la fin des années 1950, moment de la pacification.
Quelques années après la pacification, les Wari' ne circulaient déjà plus dans leur
territoire traditionnel. Ils avaient construit des maisons à proximité des postes indigèn
es,
situés, eux, à des endroits que les Blancs estimaient plus accessibles. Dans ces
nouveaux villages, ils se sont mis à vivre non seulement avec des Blancs et des Indiens
d'autres ethnies mais également avec des Wari' d'autres sous-groupes, ces « étran
gers» qui occupaient auparavant d'autres aires connues, d'autres territoires. Pourt
ant, les Blancs sont, encore aujourd'hui, appelés wijam.
Vis-à-vis des Indiens d'autres ethnies, les Wari' vivent aujourd'hui un processus
d'incorporation : ils essayent de les affïniser et de les consanguiniser. Toujours en
minorité dans les villages, ces Indiens se marient avec les Wari', mangent leur nourri
ture
et parlent leur langue. Si, auparavant, ils étaient appelés wijam (« ennemis »), ces
Indiens sont aujourd'hui, dans plusieurs contextes, classés comme wari', plus particu
lièrement quand il s'agit de les différencier des Blancs 1(). Tandis que l'action de la
Funai (Fondation Nationale de l'Indien) et celle des missionnaires du Cimi (Conseil
Indigéniste Missionnaire) vont dans le sens de la construction d'une identité panindigène où tous les Indiens seraient pareillement Wari' par opposition aux Blancs, la
culture wari' a, quant à elle, toujours intégré l'incorporation des ennemis à travers les
mariages, la proximité physique et le partage d'aliments. Wari' et wijam sont avant tout
des positions, occupées par des êtres qui ne sont pas ontologiquement différents. Cette
ontologie unique a pour conséquence logique la conception selon laquelle tout ennemi
est originairement un Wari' qui a souffert un processus d'« ennemisation » déterminé
par un déplacement spatial et une rupture des échanges de fêtes et de femmes. Dans
cette optique, ce processus d'« ennemisation » est réversible : il suffit qu'il y ait un
rapprochement géographique et une reprise des mariages.
Il existe un bon exemple de processus d'incorporation d'ennemis. Les Oro Win qui
ont survécu au Contact — groupe txapakura, traditionnellement ennemi — ont été
sédentarisés au poste Negro-Ocaia auparavant habité uniquement par les Wari'. Au
bout d'un certain temps, des mariages mixtes ont eu lieu et des enfants sont nés de ces
unions qui ont permis aux Wari' d'établir des liens de parenté avec les Oro Win. Une
femme Wari' m'a raconté qu'à l'occasion du décès d'un homme Oro Win, les Wari', un
peu gênés au début, se sont sentis obligés de pleurer pendant les funérailles en
employant des termes technonymiques pour se référer au mort, le traitant ainsi
comme un consanguin (ce qui est la façon de traiter un mort lors d'un chant funèbre).
Les Oro Win étaient en plein processus d'incorporation ou de « warinisation », lorsque
la Funai les a déplacés à nouveau vers un autre poste, loin de Negro-Ocaia. La
252
JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
[85, 1999
distance géographique va certainement diminuer le nombre d'échanges matrimon
iaux,
mais les OroWin sont partis en emmenant des fils, des filles, des petits-fils et
petites-filles wari', ce qui stimule le contact entre les deux groupes.
De nos jours, les Blancs sont les seuls à être appelés avec insistance wijam
(« ennemi »), de sorte que wijam est devenu synonyme de Blanc. Lorsque les Wari'
disent que les wijam arrivent, ils ne prévoient pas une guerre, mais bien l'arrivée de
quelques Blancs qui viennent leur rendre visite ou leur vendre leurs produits. Ce sont
des ennemis auxquels il manque la relation de guerre, ce qui permet la formulation de
phrases jadis impensables comme : « je vais chez le wijam demander des hameçons ».
Ils occupent le même territoire, mais ne sont pas affins, ni consubstantiels comme les
autres ennemis.
Nous avons vu que, pour les Wari', l'identité entre deux personnes ou deux groupes
est conçue comme une relation de consubstantialité, déterminée par la proximité
physique qui a pour conséquence directe l'échange de substances corporelles et la
convivialité. Le mariage est tellement marqué en tant que processus de transformation
que, comme nous l'avons signalé plus haut, les Wari' pensent que le chamane ne
deviendra complètement animal, ou membre effectif de l'espèce que son propre esprit
a toujours accompagnée, que lorsqu'il se sera marié à la fiancée animale qui lui a été
promise au moment de l'initiation. C'est alors que le chamane meurt et cesse d'être
Wari'. Lorsque Wan'e, chamane pécari, était âgé, les Wari' avaient l'habitude de dire
que ses affins-animaux l'appelaient, car l'heure de son mariage était arrivée. Lorsque
je suis revenue à Negro-Ocaia, ayant appris la mort de Wan'e, que j'appelais père, les
gens ont essayé de me réconforter en me disant qu'il allait bien, qu'il avait été aperçu
par un autre chamane dans sa nouvelle demeure, qu'il avait construit une nouvelle
famille avec son épouse animale. Le changement d'identité se caractérise ainsi avant
tout comme un changement de nature.
La conception des relations et des transformations comme échanges de substances,
si prégnante dans le monde amérindien, a été soulignée par Seeger, Da Matta et
Viveiros de Castro dans l'article déjà commenté plus haut :
« A visào da estrutura social que a Antropologia tradicional nos legou é a de um sistema de
relaçâo entre grupos. Esta visâo é inadequada para a America do Sul. As sociedades indigenas
deste continente estruturaram-se em termos de categorias lógicas que definem relaçôes e
posiçôes sociais a partir de um idioma de substância ». (1979, p. 14).
Il est donc paradoxal que les études sur le contact interethnique parmi les groupes
amérindiens mettent l'accent, d'une façon générale, sur la relation entre entités
socioculturelles (groupes, institutions, individus comme « acteurs sociaux » ou
« sujets historiques ») et non entre agrégats corporels. Des travaux pionniers dans la
lignée des acculturation studies de l'école culturaliste américaine n jusqu'à ceux
inspirés par la notion de situation coloniale de Balandier (1951, 1971) '2, en passant
par les travaux de Darcy Ribeiro (1957, 1996 [1970]), ce qui est mis en valeur c'est la
rencontre entre des entités définies a priori dans les termes de l'ontologie occidentale.
Ainsi, les traits culturels passent d'une société à l'autre comme dans les « études
d'acculturation », ou bien, des institutions et des acteurs concrets (mais conçus en
termes de « rôles sociaux ») agissent en tant que médiateurs de relations complexes de
confrontation entre groupes humains qui se conçoivent comme culturellement dis-
Vilaça, A.]
CHAMANISME ET CONTACT INTERETHNIQUE EN AMAZONIE
253
tincts (sans que l'on se demande ce que ce « culturellement » veut dire), comme c'est le
cas dans les études de conflits interethniques (« fricçâo interétnica ») initiées par
Cardoso de Oliveira en 1962 et reprises, après des réélaborations successives, par ses
élèves (voir Oliveira Filho 1988, pp. 54-59). Plus que de l'ignorance des riches travaux
ethnographiques sur les groupes amérindiens, disponibles à partir des années 1960, il
s'agit de mépris envers ce que pensent les Indiens. De quelle façon conçoivent-ils la
distinction entre les groupes ? Comment comprennent-ils la façon dont se passe ce
contact ? Ce que les ethnographies auxquelles nous venons de faire allusion nous
montrent, c'est que la sociologie indigène est avant tout une « physiologie ». Voilà
pourquoi, au lieu d'une « acculturation » ou d'un « conflit » ce qui est enjeu est plutôt
une transsubstantiation, une métamorphose.
L'« ouverture à l'Autre » qui, selon Lévi-Strauss (1991, p. 16), définit la pensée
amérindienne est donc une ouverture « physiologique ». Il est curieux de voir que, bien
que la conception indigène de la société ne soit pas organique dans le sens fonctionnaliste du terme, il existe bel et bien une relation entre corps et société que les études
modernes du Contact, dans leur hâte de dissoudre et de « désorganiciser » les sociétés
indigènes, ont été incapables de percevoir (voir Oliveira Filho 1988, pp. 35, 54). Si la
société n'est pas un organisme en tant qu'ensemble de parties fonctionnellement
différenciées, elle est tout de même une entité somatique, un corps collectif formé de
corps et non d'esprits. Les frontières qui existent à divers niveaux et séparent les
parents des non-parents et ceux-ci des ennemis, sont des frontières corporelles et le
groupe consubstantiel, sorte de « collectif biologique », échange avec d'autres unités,
conçues de la même façon, des substances : aliments, liquide séminal, sueur, sang et
chair humaine (voir Gow 1991, p. 261, pour les Piro, etSeeger 1980, pp. 127-131, pour
la différenciation entre corporation et corporalité).
A partir de là, il s'avère opportun de s'interroger sur le sens que les Amérindiens
donnent à ce que nous avons l'habitude d'appeler la tradition. Dans un article sur la
conception de la tradition chez les Akha (Birmanie/Mianmar), Tooker (1992) observe
que, pour eux, le terme zân qui signifie « mode de vie », « façon de faire », « coutu
mes
», « tradition », se caractérise, en tant qu'ensemble de pratiques, et est conçu
comme une charge que l'on porte dans un panier. L'idiome de cette tradition est donc
« extériorisant », et il s'oppose à notre idée de tradition comme ensemble de valeurs
intériorisées auxquelles on adhère comme on adopte un système de croyances, ce qui,
comme l'a remarqué Viveiros de Castro (1992, p. 25) est lié à une conception « théo
logique
» bien à nous de la culture.
L'article de Tooker débute par la description du cas d'une famille chinoise qui a
décidé de devenir Akha :
« They moved into an Akha village, built an Akha-style home-house with an Akha ancestral
shrine, took on an Akha genealogy, spoke the Akha language, wore Akha clothes and became
Akha » (Tooker 1992 , p. 800, c'est moi qui souligne).
S'ils voulaient redevenir chinois, il leur suffirait de faire le chemin inverse, comme
l'a fait un couple d'Akha qui ont passé quelques jours en ville et sont devenus
chrétiens, puis se sont « reconvertis » aux coutumes Akha (idem, p. 799).
Je dirais que, pour les Amérindiens, le langage de la tradition est également
extériorisant, mais qu'il ne s'agit pas ici d'une charge en tant qu'ensemble de pratiques
254
JOURNAL DE LA SOCIÉTÉ DES AMÉRICANISTES
[85, 1999
qui se portent, car, comme nous l'avons vu, les êtres humains ont tous les mêmes
pratiques : ils boivent de la bière de maïs, vivent en famille et font la guerre. La
différence entre eux est donnée en fait par le point de vue, lequel est lui-même
déterminé par la constitution physique. Ainsi, la tradition est corps, substance. Nous
pourrions même dire que la tradition est, en un certain sens, intériorisée, toutefois pas
comme croyance ou comme attribut de l'esprit mais bien plutôt comme nourriture,
comme fluides corporels, comme substances constitutives du corps. Alors que, pour
les Akha, changer de tradition c'est changer de charge, pour les Amérindiens, c'est
changer de corps.
Dans un article sur les transformations de la notion de culture dans le Nord-Ouest
amazonien (Tukano), Jackson (1995, p. 18) s'écarte de la notion « biologique » de la
culture qui, selon elle, associerait le fait d'avoir une culture à la façon dont les animaux
ont une peau et des griffes ; elle penche plutôt pour une notion plus dynamique où la
culture serait comme un répertoire de musique de jazz, c'est-à-dire, comme quelque
chose qui s'improvise. Même si l'on prend en considération la justesse de l'observation
qui a pour intention de critiquer, à la façon de Conklin (1997), l'imposition faite aux
Indiens d'une notion d'authenticité qui leur est étrangère, on remarque que quelque
chose d'essentiel lui a échappé dans la comparaison choisie pour illustrer le modèle
auquel elle entendait s'opposer, tout comme la relation entre corps et société a échappé
aux critiques du modèle « naturalisé » de société (cf. supra). Le concept de poil
animal, du point de vue des Indiens, est en effet fondamentalement dynamique et fort
distant d'une conception taxonomique fixe. Comme Arhem l'a montré pour un autre
groupe tukano, et comme nous venons de l'analyser ici, on sait que les animaux
peuvent changer de pelage et se transformer en êtres d'autres espèces. Si la « culture »
devient « nature », elle devient intrinsèquement mutante, comme le pensent les processualistes. Il ne suffit pas pourtant d'additionner une dimension historique à la
vieille notion de culture, puisqu'un déplacement radical de perspective s'avère néces
saire et n'est possible que si nous adoptons le point de vue des Indiens.
Pour reprendre le cas des Indiens américains refoulés par les Kayapó à l'entrée de
la réunion de la Kari-Oca, il est compréhensible que ceux qui n'avaient pas été
considérés un jour comme Indiens par les videurs kayapó, l'aient été le lendemain. Il
ne s'agit pas d'une équivoque de leur part, comme nous pourrions, nous, le croire. Aux
yeux des Kayapó, le premier jour, les Indiens américains vêtus à l'occidentale n'étaient
réellement pas des Indiens, même si le lendemain ils l'étaient bel et bien. Ce genre
d'affirmation aurait, pour les Kayapó, un sens absolument différent de celui que nous
lui attribuons, et qui pourrait être rapproché du cas, décrit par Tooker, des Chinois
devenus Akha. Ce qu'affirme Marcos Terena, représentant du mouvement indigène
brésilien, est en accord avec nos idées : « La société qui nous entoure, ses coutumes, ne
serait qu'une cape. Par souci de survie, les Indiens utiliseraient cette cape, comme vous
mettez une cape pour vous protéger de la pluie » (Terena 1981). Et l'observation de
Chaumeil (1983, p. 157 note 11) se référant à la résistance à l'adoption des vêtements
occidentaux par les Yagua va également dans ce sens : « [...] car prendre l'habit des
Blancs c'est aussi, d'une certaine manière, devenir soi-même Blanc ».
Pour en revenir donc à la question des vêtements, il importe de noter que, bien que
ceux-ci puissent avoir une fonction d'équipement, ils ne sauraient être dissociés de tout
un contexte de transformation. Ainsi, quand les Wari' affirment qu'ils sont en train de
Vilaça, A.]
CHAMANISME ET CONTACT INTERETHNIQUE EN AMAZONIE
255
devenir Blancs, c'est une façon de dire qu'aujourd'hui ils mangent du riz et des pâtes,
qu'ils mettent des shorts et se lavent avec du savon, de même qu'un chamane-jaguar se
sait jaguar quand il a des poils sur le corps, mange des animaux crus et va en
compagnie d'autres jaguars. L'habit est partie constitutive d'un ensemble d'habitudes
qui forment le corps.
Un observation faite par Carneiro da Cunha (1998, p. 12) sur l'importance prise
par les voyages dans la formation d'un chamane dans l'Ouest amazonien illustre bien
notre argument. Selon l'auteur, de nos jours les déplacements dans l'espace à la façon
occidentale, impliquant des séjours dans différentes villes, sont tenus pour équivalant
à des voyages de l'âme ; ils se substituent avantageusement à l'apprentissage tradition
nel
dans des contextes particuliers comme chez certains groupes pano. L'auteur cite
comme exemple le cas de Crispim, un Yaminawa, considéré pendant des décennies
comme le plus renommé des chamanes du Haut Juruâ. Il était allé au Céarâ et à Belém,
où il aurait étudié. Carneiro da Cunha considère que c'est l'opportunité d'apprendre
des choses sur le monde des Blancs qui aurait donné un sens à ces voyages. Du fait
d'unir le global (le point de vue des villes et des Blancs) avec le local, Crispim est
devenu un traducteur, un médiateur de la relation entre des mondes différents, attribut
constitutif capital de l'activité chamanique. Mais en quoi consisteraient exactement
ces voyages, et de quelle façon se ferait « l'apprentissage » du monde des Blancs ? La
description de l'auteur nous offre une piste l3 : « À propos de sa vie, on raconte qu'il
a été élevé par un parrain blanc qui l'aurait emmené au Céarâ et, après un assassinat
qui lui aurait sali les mains, de là, à Belém où il aurait étudié et serait ensuite retourné
au Juruâ » (Carneiro da Cunha 1998, p. 12)
Ce que cette description suggère, c'est que les voyages, loin de constituer des
parcours essentiellement visuels, comme pour nous (visites de musées et autres
endroits typiques), représentent surtout l'établissement de relations sociales intenses,
une vie en commun (pacifique ou non) avec des gens de ces autres mondes. C'est
exactement ce que disent certains Wari' quand ils décrivent leurs voyages dans les
villes : ils parlent des repas qu'ils ont partagés avec les Blancs, des agressions physi
ques, et de l'étroite proximité dans leurs habitations. On en conclut que l'apprentissage
vient ici de l'expérience liée au corps et je me risque à dire que c'est précisément parce
qu'ils constituent des « parcours corporels » que ces voyages dans les villes sont des
équivalents de voyages chamaniques pour les Pano.
Revenons à la question de la tradition. Lorsqu'ils disent qu'ils sont « complète
ment
Blancs », les Wari' ne veulent pas dire qu'ils perdent leurs traditions ou leur
culture, comme nous pourrions le penser en les voyant boire de la bière de manioc ou
de l'alcool de canne, manger de la farine, utiliser des carabines et danser \eforro 14. Ce
qui se passe, c'est qu'ils ont maintenant l'expérience d'un autre point de vue. Tout
comme le chamane-jaguar peut voir le sang comme de la bière, les Wari' savent que la
farine de manioc est le gâteau de maïs des Blancs ou que leforró est leur tamara 15.
Comme me l'a appris Paleto, mon père wari', à Rio de Janeiro, il faut savoir ce
qu'est la bière des Blancs, ce qu'est la guerre pour eux ou ce qu'est leur monde
subaquatique des morts. Si, du point de vue du relativisme, l'idiome de la traduction
est celui de la culture, pour le « multinaturalisme » (Viveiros de Castro 1996) wari',
c'est celui de la nature. Lors des premiers jours de Paleto à Rio, un ami nous invita à
son anniversaire. Dès notre arrivée il nous offrit des boissons, Paleto accepta un verre
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de Coca-Cola. Il l'avala d'un seul coup et notre hôte, déduisant qu'il avait soif ou qu'il
appréciait particulièrement le Coca, lui resservit immédiatement un autre verre, que
Paleto vida sur-le-champ. Ce fut seulement après le troisième ou quatrième verre,
lorsqu'il commença à roter, que je compris qu'il prenait le Coca pour de la bière. Tout
comme les coïncidences qui ont eu lieu à Hawaii et qui, chaque fois plus, confirmaient
l'identité entre Cook et le dieu Lono (Sahlins 1981, 1985, 1995), mon ami s'est conduit
comme un hôte typique d'une fête wari' : il offrait chaque fois plus de boisson à son
invité. Paleto, en position d'invité, devait non seulement vider les verres d'un coup,
mais ne pouvait surtout pas refuser les nouveaux verres offerts. C'est ce qu'il a fait et
ce qu'il aurait continué à faire jusqu'à en vomir (pour résister plus longtemps) si je
n'étais pas intervenue en lui demandant : « Veux-tu arrêter de boire ? », ce à quoi il
répondit : « Ah, je peux ? ». La « fête de bière » des Blancs se fait avec du Coca-Cola,
mais l'important c'est qu'il ne s'agisse pas d'autre chose que d'une « fête de bière ».
Le corps et son double
S'il semble facile de comprendre pourquoi les Wari' disent qu'ils deviennent
Blancs, il nous peut nous paraître étrange qu'ils ne veuillent pas parachever le
processus, même s'ils conçoivent une possibilité de réversion qui s'engagerait dès lors
qu'ils s'éloigneraient des Blancs, retourneraient dans la forêt et recommenceraient à
manger leur nourriture. Je dis qu'ils ne veulent pas le parachever, car les Wari' insistent
sur le fait qu'ils ne veulent pas se marier aux Blancs — alors qu'ils se marient avec des
Indiens d'autres ethnies — , et c'est de cette façon, nous le savons, que prend fin le
processus de « changement d'identité » 16. Dans le cas d'Indiens d'autres ethnies,
cependant, ce qui a fini par arriver, c'est leur incorporation à la société wari'. En ce qui
concerne les Blancs, les Wari' ne sont pas intéressés par leur incorporation totale, car
ils refusent de leur donner leurs femmes. Les femmes wari' mariées à des Blancs sont
rares, et les Wari' critiquent fortement l'attitude des parents qui ont permis ces
mariages.
On pourrait s'attendre au contraire à ce que les Wari' veuillent donner leurs
femmes aux Blancs, justement pour les avoir comme gendres ou beaux-frères et les
incorporer en tant que Wari'. Pourtant, ils préfèrent les garder comme ennemis, ce
qu'ils affirment en continuant à les appeler ainsi. En même temps, ils ne renoncent pas
à la vie en commun avec les Blancs : les Wari' ne veulent plus retourner « dans la
jungle » et expliquent clairement qu'ils ont choisi de vivre avec les Blancs.
Je voudrais préciser une fois de plus que je n'affirme aucunement que des questions
d'ordre matériel ne jouent aucun rôle dans ce choix ; il est clair que les Wari' désirent
être à proximité des biens des Blancs : des machettes, des médicaments contre les
maladies qui maintenant font partie de leurs vie, mais aussi des enregistreurs, des
claviers électroniques, des matchs de football et des « films de lutte » qui passent à la
télévision. Je dirais que les Wari' veulent continuer à être Wari' tout en étant Blancs.
D'abord, parce qu'ils désirent les deux choses en même temps, les deux points de vue.
Les autres ennemis, ceux qu'ils ont rapprochés d'eux, comme les OroWin par exemple,
sont vite devenus Wari'. C'est ce qui se passe lorsqu'il y a proximité complète grâce au
mariage : l'identité. Selon moi, les Wari' ne souhaitent pas l'identité avec les Blancs ;
ils veulent au contraire garder ces derniers comme ennemis, préserver la différence tout
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en faisant l'expérience. En ce sens, leur vie s'apparente à celle des chamanes : ils ont
deux corps simultanés qui, souvent, se confondent. Aujourd'hui, ils sont Wari' et
Blancs, parfois les deux en même temps comme lors des crises des chamanes. Si,
auparavant, ils faisaient indirectement l'expérience d'une autre position, aujourd'hui
c'est corporellement qu'ils en font l'expérience *.
* Manuscrit reçu en juin 1999, accepté pour publication en juin 1999.
NOTES
.
1 . Je remercie Eduardo Viveiros de Castro et Peter Gow pour leur lecture critique d'une première version
de cet article. Le terrain chez les Wari' a été financé par les institutions suivantes : Wenner-Gren Foundation
for Anthropological Research, Finep et Fundaçào Ford. Traduction de l'article : Oiara Bonilla.
2. Gow révèle, cependant, une surprenante complexité dans ce circuit d'appropriations, quand il montre
que le chamanisme de l'Ayahuasca en Amazonie occidentale, bien que considéré par les ethnologues comme
« authentique », est probablement originaire de groupes indigènes qui ont été installés dans les missions
catholiques du xvne siècle.
3. Les Wari' sont aussi connus sous le nom de Pakaa Nova ou Pacaas-Novos. Le mot Wari' a pour
origine le mot indigène wari' qui signifie « nous », « êtres humains ». C'est par ce terme que les Pakaa Nova
souhaitent à présent être désignés par les Blancs. J'utiliserai donc ici Wari' comme synonyme de Pakaa Nova,
mais quand il s'agira de se référer au mot indigène original et à son sens, wari' sera écrit en italiques.
4. Il faut préciser que, à propos de la notion d'authenticité, Turner fait appel, non pas aux vêtements et
ornements, mais aux maisons d'un style régional qui seraient « irréelles » (« unreal»), et au « double »
village de Gorotire dont certaines maisons sont en cercle selon le mode traditionnel, alors que d'autres, en
lignes, forment une rue. Selon Turner (1991, p. 298), c'est la partie des maisons en cercle qui est considérée
comme « authentique ».
5. Il n'y a pas dans le lexique wari' un mot pour designer le vêtement, probablement parce que, avant le
Contact, ils allaient complètement nus. Aujourd'hui ils utilisent le mot awon (« coton », qu'ils cultivaient et
utilisaient pour la décoration corporelle) pour désigner les vêtements occidentaux.
6. La Conférence mondiale des peuples indigènes avait été organisée par le Comité Intertribal-500 Anos
de Resistência dans un village construit à la mode traditionnelle et appelé Kari-Oca ; celui-ci était composé
de trois bâtiments : deux malocas (maisons) du Haut-Xingu construites par des Indiens Xinguanos et un
bâtiment construit par les Tukanos du Rio Negro. La Conférence eut lieu du 21 au 3 1 mai 1992 et réunit près
de 700 participants indigènes du monde entier, des journalistes, des anthropologues, des écologistes, etc.
7. Perrin (1995, p. 39) commente la diffusion, à la fois dans les Amériques et en Asie septentrionale, du
thème de la relation du chamane avec les esprits animaux en tant que relation d'alliance.
8 Les Wari' se divisent en six sous-groupes, unités à forte connotation territoriale, et ils entretiennent des
relations d'alliance entre eux.
9. Ceux qui extraient et travaillent le latex en Amazonie [N.D.T.].
10. Cela dit, il faut reconnaître que tel n'est pas toujours le cas, et que les Wari' ne classent pas
invariablement les autres Indiens comme Wari' : cela est clairement exprimé dans les récits de guerre lorsque
des groupes étrangers sont appelés wijam et même iri wijam (« ennemi véritable »).
11. Voir ici Baldus (1937), Wagley et Galvâo (1961 [1949]) sur les Tenetehara, Silva (1949) sur les Terena
et Caduveo et Galvâo (1954, 1957) sur l'aire du haut rio Negro.
12. On citera en particulier ceux réalisés par Cardoso de Oliveira (1963, 1964, 1967), Melatti (1967),
Laraia et Da Matta (1967) et, plus récemment, par Oliveira Filho (1988).
13. Carneiro da Cunha s'efforce, dans son article, de détacher la position de médiateur du chamane de sa
constitution corporelle multiple ou « métisse ». Je renvoie plus particulièrement à la partie du texte où sa
position est différente de celle de Gow (1996) à propos de l'attribution du savoir chamanique à ceux qu'on
appelle métis. Selon elle, « ce n'est pas tellement le métissage [...] qui justifie le prestige des chamanes, mais
leur position relative dans le réseau fluvial — métaphore d'une position relative quant au degré généralisateur
du point de vue particulier » (1998, p. 1 1).
14. Musique dansante du Nord-Est brésilien [N.D.T].
1 5. Musique des hommes wari'.
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16. Contre l'argument selon lequel ce seraient les Blancs qui ne voudraient pas se marier avec eux, je
souligne que les Wari' affirment que ce sont eux-mêmes qui ne veulent pas se marier aux Blancs.
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