Que fait l`armée française en Afrique ?

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Que fait l`armée française en Afrique ?
Que fait l’armée française
en Afrique ?
Que fait l’armée française en Afrique ? De quel droit s’y trouve-t-elle encore aujourd’hui ? Si l’on en
croit les discours officiels, elle n’y aurait plus depuis longtemps que des missions humanitaires et de
maintien de la paix. Vraiment ? Silence a rencontré Raphaël Granvaud, militant de l'association Survie
et auteur d’un ouvrage publié récemment, Que fait l'armée française en Afrique ?1.
Silence : Combien de soldats français opèrent actuellement en Afrique ?
Raphaël Granvaud : Officiellement un peu moins de 5000 hommes dans les bases militaires et un peu
plus de 3000 hommes en opération, sans doute un peu plus. Compte tenu du matériel dont ils disposent,
cela représente une force de premier plan en Afrique.
Depuis quand et pourquoi l'Armée française est-elle en Afrique ?
Cela remonte évidemment à la conquête coloniale. Celle-ci a donné naissance à des entités militaires
particulières : l’Armée d’Afrique et l’Armée coloniale, qui acquièrent une importance considérable dans
l’armée française et dans la société2. Dans les années 1960, l’armée française ne se retire pas d’Afrique.
De Gaulle n’a accordé les indépendances qu’en contrepartie d’accords militaires, de coopération ou de
défense qui garantissent à l’armée française le maintien de garnisons et une libre circulation en Afrique.
Depuis les années 1960, le nombre de bases militaires françaises a fortement baissé. Il n’en reste
officiellement plus que trois au Gabon, au Sénégal et à Djibouti. Mais parallèlement, les moyens de
projection depuis la métropole ont été considérablement accrus, et ni le rythme ni le volume des
interventions militaires n’ont diminué. Au total, plus de 50 interventions officielles depuis 1960, sans
compter les opérations secrètes ou clandestines et les opérations officieuses sous-traitées à des
mercenaires sous contrôle. Sous couvert d’humanitaire ou de protection des ressortissants, il s’agit
toujours d’ingérence ou de défense des intérêts tricolores.
Comment se comportent les troupes françaises, au quotidien, par rapport à la
population ?
Je ne voudrais pas avoir l’air de faire de généralisation abusive. Tous les militaires n’ont évidemment pas
le même comportement. Mais il faut néanmoins noter qu’au mieux le paternalisme raciste semble la
norme. Et surtout, si tous les militaires ne se livrent pas à des abus, ceux qui les commettent sont en
revanche systématiquement couverts par l’institution militaire et ce sont ceux qui les dénoncent qui sont
sanctionnés, car ils sont accusés de salir l’image et l’honneur de l’armée française. Ainsi, que l’on
considère les viols commis contre les rescapés du génocide au Rwanda en 1994, les tortures pratiquées en
2003 en RDC sous les yeux effarés des soldats suédois présents aux côtés des français, les massacres
gratuits de civils ivoirens en novembre 2004, ou les meurtres « ordinaires », comme celui de l’affaire
« Mahé », du nom de ce civil ivoirien exécuté en 2005 sur ordre de la hiérarchie militaire, c’est pour
l’instant l’impunité qui est la règle.
1 Que fait l'armée française en Afrique ?, Raphael Granvaud, Agone, 2009.
2 Cf. De l’armée coloniale à l’armée néocoloniale, brochure de Raphael Granvaud, 2009, téléchargeable sur
http://survie.org
Quel a été le rôle de l'Armée française au Rwanda ? En côte d'ivoire ?
Au Rwanda, l’armée française a soutenu militairement jusqu’au bout la dictature raciste de Juvénal
Habyarimana tandis que celle-ci planifiait le génocide. Elle a formé les corps d’élite qui en seront le fer de
lance. Une fois le génocide commencé, et même une fois celui-ci quasi achevé, elle n’a jamais cessé son
soutien. Si l’on ne prend que les livraisons d’armes, c’est déjà, en droit international, constitutif de
complicité de génocide. L’armée française a également exfiltré vers le Zaïre les troupes génocidaires alors
qu’elles perdaient la guerre contre le Front patriotique rwandais, pour leur permettre de préparer « la
revanche ». C’était l’opération Turquoise.
En Côte d’Ivoire, la France est officiellement intervenue pour éviter un bain de sang, un « nouveau
Rwanda ». En fait, elle n’est pas étrangère au déclenchement de la crise : le pompier pyromane en
quelque sorte. Après avoir refusé de faire jouer les accords de défense qui la liait au gouvernement
ivoirien, elle s’est interposée et a sanctuarisé la rébellion au nord du pays, créant une partition durable
du pays. Les événements les plus marquants se sont déroulés en novembre 2004. Alors que l’aviation
ivoirienne tente une reconquête militaire du Nord du pays, les forces françaises et onusiennes censées
garantir le cessez-le-feu laissent faire. Mais deux jours plus tard, un camp français à Bouaké est
mystérieusement bombardé par un avion ivoirien piloté par un mercenaire slave. Sans prendre le temps
d’obtenir des explications, la France ordonne la destruction immédiate de toute la flotte ivoirienne,
déclenchant des représailles contres les ressortissants français orchestrées par les milices de Gbagbo,
mais aussi des manifestations patriotiques tout à fait légitimes. A plusieurs reprises, l’armée française a
tiré sur des foules désarmées, faisant des dizaines de victimes et des milliers de blessés, tandis qu’il n’y a
pas eu un seul mort de ressortissant français à déplorer. Par ailleurs, c’est la France qui s’est opposée à
l’arrestation des mercenaires impliqués dans le bombardement de Bouaké et qui maintient le secret
défense sur le sujet, à la grande colère des familles de militaires français décédés.
Il faut rappeler que ces deux opérations, Turquoise au Rwanda et Licorne en Côte d’Ivoire ont bénéficié
d’un mandat de l’ONU, ce qui n’est donc pas un gage absolu de légitimité.
Quelles sont les évolutions depuis l'arrivée de Nicolas Sarkozy au pouvoir ?
Elles sont faibles… D’un côté on continue à envoyer l’armée soutenir « nos » dictateurs au Tchad ou en
Centrafrique quand c’est nécessaire, de l’autre on tente de ripoliner l’image de la France en Afrique. Ainsi
on renégocie les accords de défense et on promet la transparence, mais l’assemblée nationale sera
simplement mise devant le fait accompli et on ne touche pas aux nombreux autres accords militaires
secrets. Suite à la réforme constitutionnelle de l’été 2008, l’Assemblée dispose aussi d’un pouvoir de
contrôle sur les interventions militaires : mais uniquement a posteriori pour le renouvellement des
opérations de plus de quatre mois. Et encore, cette règle n’est même pas strictement appliquée et ne
concerne que les interventions les plus volumineuses. A plus forte raison, les interventions secrètes des
forces spéciales du COS3 ou les opérations clandestines du service Action de la DGSE (services secrets),
qui sont de véritables gardes prétoriennes à la discrétion de l’Elysée, ne sont pas concernées. Quoi qu’en
disent certains, il n’y a aucune volonté de rupture avec l’impérialisme français en Afrique.
Propos recueillis par Samuël Foutoyet
pour la revue S!lence, mars 2010
Retrouvez cette interview et bien d'autres
sur www.les-renseignements-genereux.org
3 Commandement des Opérations Spéciales, troupe d'élite de plusieurs milliers d'hommes, contrôlée par l'Elysée.