Paul Mc Cartney

Transcription

Paul Mc Cartney
Paul McCartney
Je suis né à l’Hôpital de Walton, le 18 juin 1942.
Ma mère était infirmière et mon père représentant en coton. Maman était catholique et mon père
protestant. Ils se sont mariés assez tard et m’ont eu alors qu’ils avaient près de quarante ans. Ma mère, en
tant que sage-femme, était au bénéfice d’une maison de fonction partout où elle travaillait. On avait
l’impression d’être une famille de pionniers dans un convoi de chariots. On vivait dans un endroit, le fouet
claquait et on repartait. Les frontières étaient les faubourgs de Liverpool. J’ai, malgré tout cela, vécu une
enfance protégée avec mon frère Michael qui a un an et demi de moins que moi.
Liverpool avait sa propre identité. Et même son propre accent dans un rayon de quinze kilomètres. Audelà, c’est le Lancashire profond. Quand on vit là-bas, on ressent ce particularisme. Pour l’enfant que
j’étais, Liverpool, c’était avant tout les trams. Il y avait des traces de la guerre partout. On jouait souvent
sur les terrains dévastés par les bombardements et, pour moi, le terme « Zone bombardée » voulait
presque dire « Terrain de jeu » . On jouait aussi au milieu de millions et de millions de pneus de voitures
sur les quais. Je me souviens des hivers, Cela ressemblait à la Sibérie et, avec nos culottes courtes, on avait
les genoux gercés à cause de l’humidité et du froid. J’allais souvent sur les quais, je trouvais ça très
romantique. Il y avait aussi un marché appelé St John qui a existé jusqu’à notre adolescence. On y
entendait un type hurler « Et combien je le vends, ce lot de vaisselle? » Il empilait les assiettes n’importe
comment – tout le tas était bancal – et puis il les flanquait par terre pour bien montrer que c’était de la
super vaisselle. Il y avait toujours un type dans le public, un compère, qui disait « Je prends » et tout le
monde se précipitait. On avait envie d’acheter même sans argent ; c’était un tellement bon vendeur.
J’adorais ça. On descendait Dungeon Lane jusqu’à la plage où il y avait le phare, sur la berge de la
Mersey. Deux gars un peu plus costaud que moi m’y ont volé ma montre, un jour. J’avais dix ans. Ils
habitaient la rue voisine à la nôtre – leur jardin touchait le nôtre – alors, tout ce que j’ai eu à faire, c’est de
dire « C’est eux, papa. Ils m’ont pris ma montre ». On les a dénoncés à la police et ils ont été jugés et
condamnés, ces idiots. J’ai dû aller témoigner contre eux. C’est la première fois que j’ai mis les pieds dans
un tribunal.
L’école où j’allais était une ancienne école privée, le Liverpool Institute. Elle était très sombre, humide et
sinistre – presque du Dickens. On y entrait à onze ans et on se retrouvait directement en troisième année.
Je n’aimais pas trop l’école mais ça ne me déplaisait pas non plus. J’aimais la littérature anglaise parce
que notre maître était bon mais je n’aimais pas qu’on me dise ce que je devais faire. Le bus que je prenais
pour aller à l’école était toujours bondé quand il passait devant chez moi, mais en marchant un quart
d’heure jusqu’à son point de départ je pouvais grimper dans un autre bus, vide, et me choisir une des
bonnes places (c’est-à-dire à l’impériale et à l’avant ou à l’arrière, selon l’humeur du moment). Plus tard,
il y eut une période où je montais là-haut avec une pipe et m’asseyais là, comme si j’étais Dylan Thomas
ou je ne sais qui, pour lire des pièces de Becket ou de Tennessee Williams.
Quand j’étais gosse, on allait au catéchisme. Cela faisait plaisir à ma mère. C’était à peu près tout en
matière de religion. J’ai ainsi aimé chanter des cantiques. Je me rappelle que, quand j’ai commencé à
composer, je demandais aux gens « A quoi ressemble cette chanson ? Qu’est-ce que vous en pensez ? » Et
ils répondaient « Ca ressemble un peu à un cantique ». C’est une des critiques impitoyables que j’ai
entendues. J’ai parfait mon éducation religieuse au Môle, sur les quais. Là, c’était comme le Speaker’s
Corner. Les catholiques s’engueulaient sans cesse avec les protestants. Le problème irlandais et le MoyenOrient, ça se ramène à ça. En réalité, tout ce que les gens ont réussi à faire au cours des siècles, c’est
personnifier les deux forces du Bien et du Mal.
Il m’est arrivé une chose d’une importance capitale quand j’avais onze ans. Ma mère, mon père, mon
frère et moi sommes allés au camp de vacances de Butlins. Je me suis retrouvé devant 5 types de
Gateshead qui sortaient du Calypso Ballroom. Ils se ressemblaient tous. Petite casquette platte à carreaux,
des tennis et une serviette blanche sous le bras. Ils avançaient l’un derrière l’autre en direction de la
piscine et j’ai vu toutes les têtes se tourner vers eux. « Qui c’est ça ».
En une fraction de seconde, j’ai compris, j’ai réalisé le pouvoir qu’impliquait le fait d’avoir l’air de
quelque chose. Ils ont remporté le concours de talents de Butlins cette semaine-là – et on savait tous qu’ils
allaient gagner.
Mon père était un musicien autodidacte. Plus jeune, il avait joué de la trompette dans un petit orchestre
de jazz. Le Jimmy Mac Jazz Band. J’ai retrouvé une photo où on le voit assis en habit devant une grosse
caisse avec mon oncle Jack à côté de lui . C’était très familial. C’est de là qu’est venue l’idée de la pochette
de Sgt Pepper. Papa à joué de la trompette jusqu’à ce que ses dents n’en puissent plus. A la maison il
jouait du piano. Brian Epstein, notre futur manager du temps des Beatles, était le fils de Harry Epstein,
propriétaire du North End Music Stores, NEMS. C’est à Harry que mon père avait acheté son premier
piano (que je possède toujours d’ailleurs car il sonne terriblement bien). C’est comme ça à Liverpool, tout
est lié. J’ai de merveilleux souvenirs d’enfance de moi, allongé sur le plancher, en train d’écouter mon
père jouer « Lullaby Of The Leaves » et de vieilles chansons comme « Stairway To Paradise ». C’est lui
qui a fait mon éducation musicale. A l’école, on n’a jamais eu de cours de musique. On écoutait
récemment « Like Dreamers Do », une de mes premières chansons, et George a dit « C’est ton père. C’est
Stairway To Paradise ». Mon père s’intéressait aux mesures biscornues sans même le savoir. J’ai appris à
jouer d’oreille, comme lui. J’ai pris dix leçons mais mon professeur me donnait du travail à faire à la
maison. C’était de la torture pure et simple et j’ai rapidement abandonné. Je ne sais toujours ni écrire ni
lire la musique. Papa m’avait dit, apprends à jouer du piano, comme ça, tu seras invité à des fêtes pour le
jour de l’an. Elles restent parmi les plus agréables souvenirs parce qu’on était tous ensemble. Les enfants
aidaient derrière le bar. On servait du gin, rum, de la bière brune et blonde et tout le monde se prenait
une bonne cuite. L’oncle Jack, un vieil asthmatique, me disait « Eh, petit, tu la connais celle-là ?» Et il
racontait les meilleures blagues qui soient. Il n’en a jamais raconté de mauvaises. Puis, vers minuit, un
joueur de flûte voisin de mon oncle Joe venait et jouait. C’était charmant et très, très chaleureux. A
chaque fois que j’ai parlé à John de son enfance, je me suis rendu compte que la mienne avait été
infiniment plus chaleureuse. Je crois que c’est pour ça que je suis devenu si ouvert, en particulier en
matière de sentiments. Ensuite, j’ai remplacé mon père au piano lors de ces soirées. Un type âgé nommé
Jack Ollie venait avec sa bière et la posait sur le piano. Il restait là à m’écouter. Il disait tout le temps
« J’aime bien, j’aime bien, j’aime bien ». C’était tout ce qu’il disait et il me ravitaillait en boissons. On
sentait l’ambiance monter. Sur le coup de onze heure, mon oncle Ron surgissait, me tapait sur l’épaule et
me disait « C’est bon fiston, vas-y ». Et je jouais « Carolina Moon ». Tout le monde hurlait. Ron
m’indiquait toujours le bon timing. Plus tard, les gens ont voulu que je joue « Let It Be » à ces fêtes, mais
j’ai toujours refusé. Ca ne paraissait pas être une bonne idée.
Mon père était un amateur de mots croisés et il nous encourageait à en faire pour améliorer notre
vocabulaire. A l’école, j’étais le seul gosse de ma classe à pouvoir épeler phtisie. Il croyait en
l’épanouissement individuel comme il avait quitté l’école très tôt. Une grande part de mon ambition vient
de mes parents.
Mes parents ont essayé de me parler de sexe mais ils n’y sont jamais parvenus. J’ai donc tout découvert
avec les autres gosses vers les onze ans. Ils disaient « Tu sais pas ça, mais d’où tu sors ? »
La mort de ma mère, alors que j’avais quatorze ans, a été le grand choc de mon adolescence. J’ai appris
plus tard qu’elle était morte du cancer, mais sur le moment, je n’en ai rien su. Je me sens encore très
coupable de m’être moqué d’elle à propos de sa façon de parler. Elle voulait parler l’anglais de la haute.
Je l’ai vraiment blessée. Quand elle est morte, je me rappelle m’être dit « Petit con, pourquoi as-tu fait
ça ? » Je pense que je viens seulement d’évacuer. Sa mort a démoli mon père et ce qui a été le pire pour
moi fut de l’entendre pleurer. On ne s’attend pas à voir ses parents pleurer, ça fait grandir vite. Je me suis
entouré d’une carapace. C’est devenu un lien très fort entre John et moi parce que lui aussi avait perdu sa
mère très tôt. On pouvait en rire – seulement en surface - mais personne d’autre ne pouvait le faire. A
l’occasion durant les années suivantes, c’est revenu nous poignarder. On s’asseyait et on pleurait un coup
ensemble. Ce n’est pas arrivé souvent mais cela faisait du bien.
Comme pour John, ce sont mes tantes qui se sont occupées de moi bien que je me sois chargé des tâches
ménagères et que j’aie appris à cuisiner. J’étais assez bon cuisinier. Même quand on a commencé à être
connu, mon père se pointait à la Cavern avec une demi-livre de saucisse et me les balançait. J’étais censé
rentrer à la maison, les mettre sur le grill et préparer une purée de pommes de terre.
J’allais de temps à autre voir des matches de football. Ce sont de bons souvenirs, mais je n’étais pas aussi
mordu que ça. Les Beatles n’ont jamais été de grands sportifs. Quand j’allais au match, c’était les mots
d’esprit que j’aimais le plus. Il y a toujours des comiques dans la foule. Je me souviens d’un type qui
commentait le match en musique avec sa trompette. Un joueur tirait loin, loin au-dessus du but, et lui
jouait « Over The Mountains, Over The Sea ».
Pour mon anniversaire, mon père m’a acheté une trompette. A l’époque, c’était à la mode, on voulait tous
être trompettistes. J’ai persévéré un moment, appris « The Saints » et j’ai réalisé que je n’avais pas le
pouvoir de chanter avec ce truc en bouche. J’ai alors demandé à mon père d’échanger ma trompette
contre une guitare acoustique, une Zénith que j’ai toujours. Mon père a dit oui. Pour une première
guitare, ça allait. Comme je suis gaucher, j’en jouais à l’envers. J’ai commencé à écrire des chansons
comme je pouvais chanter et jouer en même temps. J’avais quatorze ans j’ai écrit ma première chanson.
Ca s’appelait « I Lost My Little Girl » et elle était écrite sur trois accords. Toutes mes premières chansons,
y compris « Michelle » et « I Saw Her Standing There » furent composées sur cette guitare. J’ai appris à
jouer « Twenty Flight Rock » sur celle-ci également. C’est cette chanson qui m’a fait entrer dans les
Quarry Men dont John était le leader.
John était le Ted local. C’est son enfance qui a fait de lui ce qu’il était. Mais il était toujours prêt à aimer
les gens. Il adorait sa mère comme on adore une idole. Elle était superbe et drôle, avec de longs cheveux.
Elle jouait du ukulele. Je l’aimais aussi. Elle a été tuée et la vie de John n’a été qu’une succession de
tragédies. Il était devenu Teddy boy pour se fabriquer une façade. Il aurait pu me cogner, Il était
tellement plus âgé. C’est pourquoi je le regardais de loin, depuis le bus, avant que je fasse sa connaissance.
Ivan Vaughan était un de mes amis, né exactement le même jour que moi (un type génial qui,
malheureusement, est mort de la maladie de Parkinson). Il était également copain avec John. Un jour, il
m’a dit « C’est la fête de Woolton Village samedi, tu veux venir ? » J’ai répondu « Ouais. J’ai rien d’autre
à faire ». C’était le 6 juillet 1957. Quand je me suis approché de l’estrade après être passé devant les
stands traditionnels de lancer de noix de coco et d’anneaux, j’ai entendu John qui chantait « Down, Down,
Down To The Penitenciary”. Il bouchait les trous avec des paroles de blues et je me suis dit qu’il était bon
et qu’il chantait bien. Moi et Ivan sommes allés écouter le concert du soir. Il faillit y avoir une bagarre et
je me demandais dans quel pétrin je m’étais fourré. Mais tout s’est bien passé et je me suis mis au piano.
Après, j’ai joué de la guitare à l’envers et le fameux « Twenty Flight Rock ». Ils ont été sciés que je la
connaisse en entier avec toutes les paroles. En fait j’avais commandé le disque chez NEMS ou chez Curry.
On allait souvent écouter les disques dans les boutiques sans les acheter. Ca les rendait furax mais on s’en
fichait. Ainsi, on connaissait rapidement les paroles. Ca m’a valu de faire partie des Beatles.
Pour mon premier concert, ils m’ont laissé un solo de guitare sur « Guitare Boogie ». Tout allait bien en
répétition mais quand ça a été mon tour, j’ai eu les doigts comme paralysés. Je me demandais, « Mais
qu’est-ce que je fais ici ? » C’était un moment trop intense pour moi et je n’y suis pas arrivé. Je n’ai plus
pris de solo de guitare jusqu’à tout récemment. C’est pour ça qu’on a fait appel à George.
J’ai rencontré George dans le bus alors que j’allais à l’école. Il montait à l’arrêt suivant. Il avait un an de
moins que moi et je lui parlais avec condescendance. Quand on a connu quelqu’un à treize ans et qu’on en
avait soi-même quatorze, il est difficile de le considérer comme un adulte. J’ai eu ce défaut tout au long
des années Beatles. Je pensais toujours à lui comme à un jeune garçon et j’ai ensuite considéré Ringo
comme étant très âgé parce qu’il avait deux ans de plus que moi. J’ai parlé à John et aux Quarry Men de
ce type de mon école nommé George et qui joue vraiment bien. Il jouait « Rauchy » à la perfection à tel
point qu’on aurait pu croire que c’était le disque. Il a sorti sa guitare en présence du groupe alors que
nous nous trouvions sur l’impériale d’un bus vide. Ils ont pensé, « Il est un peu jeune mais, nom de Dieu, il
sait drôlement bien jouer « Rauchy » . « On te prend, t’es reçu ». A partir de ce jour-là, George a été notre
guitariste professionnel qui prenait tous les solos. Plus tard, John a pris quelques solos à la Chuck Berry
mais il lui a rapidement laissé la place de soliste.
John était aux Beaux-Arts. Il avait dix-sept ans et j’en avais quinze. Georges lui faisait ce qu’il pouvait
pour paraître adulte à l’entrée des cinémas mais personne ne marchait. Je lui dessinais des moustaches
avec de la terre pour qu’il puisse entrer voir les films. Ca faisait farce, mais on rentrait. Je suis allé voir
Bill Haley à l’Odeon. J’étais le seul à pouvoir me payer le billet, les autres n’avaient pas assez d’argent
(j’ai économisé longtemps). C’était super mais j’étais le seul en culotte courte à un concert de rock’n’roll !
Côté cinéma, J’adorais Marlon Brando dans « L’équipée sauvage », bien que le film m’ai un peu déçu, et
Fred Astaire dont j’adorais la voix. Rob Wilton était mon comique préféré et j’ai obtenu son autographe
grâce à quelqu’un de la famille qui gardait la sortie des artistes du Liverpool Empire. Mais j’ai aussi
obtenu des autographes par moi-même. J’étais assez culotté, raison pour laquelle je suis particulièrement
bien disposé (en général) envers ceux qui m’en réclament. Je n’ai jamais oublié que certains artistes et
joueurs de football ont été gentils envers moi. Grâce à la télé, j’ai entendu pour la première fois « Rock
Around The Clock » et même le Mahrashi. Granada, la chaîne de télé locale, veillait à ce que tous ceux qui
s’aventuraient dans la région soient interceptés et interviewés. Mais je préférais écouter de la musique
quand j’avais le cafard. « Don’t Be Cruel » d’Elvis et j’étais prêt à repartir. Un jour, dans la cour de
l’école, quelqu’un a exhibé un magazine avec la photo d’Elvis pour une publicité de « Heartbreak Hotel ».
Il avait une allure fantastique « C’est lui, c’est lui – le Messie est arrivé ! » Quand on a entendu la
chanson, ça nous a été confirmé. Peu après est sorti son premier album, qui est toujours celui de ses
disques que je préfère. J’ai lâché Elvis quand il a quitté l’armée. J’estimais qu’on l’avait dompté. C’était
toujours un chanteur incroyable mais il n’avait plus cette étincelle dans les yeux comme à ses débuts, en
1956. Chuck Berry était une autre de nos influences majeure, avec « Jonny B. Goode ». On allait dans la
chambre de John et on essayait d’apprendre toutes ses chansons. Je me rappelle y avoir appris « Memphis
Tennessee ». Puis Eddie Cochran que j’ai vu à la télévision. Il fut le premier à tout à coup jouer de la
guitare en chantant « Milk Cow Blues ». Il jouait sur une Gretsch avec un virato Bigsby. Ca avait une
gueule phénoménale. « La Blonde est moi » reste le grand film de musique, avec Jane Mansfield qui faisait
exploser les lunettes des types. Au début, il y a ce passage fameux où Tom Ewell apparaît et dit « Attendez
un instant ». Il repousse l’image pour la transformer en Cinémascope et claque des doigts pour faire
passer le noir et blanc à la couleur, exactement le grand film qu’on attendait. Ensuite Little Richard
chante « The Girl Can’t Help It », Eddie Cochran « Twenty Flight Rock » et Gene Vincent “Be Bop A
Lula”. J’adore toujours ce film. Puis, apparaît Buddy Holly dans un style complètement différent. On
pensait « Ouah, il écrit ses chansons lui-même et en plus, il sait jouer ». Maintenant cela paraît évident,
mais à l’époque, personne ne le faisait. John et moi nous sommes mis à écrire à cause de Buddy Holly.
Ensuite, on décortiquait les films pour voir si les artistes plaçaient mal leurs doigts sur leur guitare. Et
c’était « Salut – on t’aime plus. Faut pas gratter la guitare si tu sais pas. Repose-là et danse ». Buddy lui
savait, ça ne faisait aucun doute. On a essayé pendant des siècle de reproduire l’intro de « That’ll Be The
Day » et c’est John qui a fini par trouver. Avant Buddy Holly, John refusait de porter ses lunettes. Avec
un copain, ils se promenaient en ville comme deux aveugles refusant de mettre leurs lunettes. Grâce à lui,
il a fini par accepter d’en mettre pour monter en scène et voir pour qui il jouait. Mais le rock’n’roll n’était
pas tout pour moi. Elisabeth, une cousine plus âgée que moi avait une collection de disques assez adultes
comme « My Funny Valentine » de Chuck Berry et « Fever » de Peggy Lee. John, George et moi avions
des goûts musicaux assez similaires et on échangeait nos influences comme des malades. On partait en
expédition chez des gens qui savaient jouer des accords de guitare pour qu’ils nous les apprennent « O,
Maître, on nous a dit que tu connaissais le si 7e. S’il te plaît, montre le nous ». Idem pour la chanson
« Searchin ‘ » qu’un type savait jouer. On l’a déchargé de son fardeau, c’était trop pour lui, et c’est
devenu un classique des Beatles au Cavern. Chris et Val, deux filles à l’accent bien prononcé de Liverpool
me criaient toujours « Chante « Searchin’ » Paul. Chante « Searchin’ ». J’ai recommencé à taquiner le
piano de mon père et j’ai composé « When I’m Sixty Four » dessus quand j’avais seize ans. C’était très
ironique et je ne l’ai jamais oublié.
Souvent, l’après-midi, je séchais l’école et John s’éclipsait des Beaux-Arts. On allait chez moi, mon père
était au boulot. On grattait nos guitares sèches l’un en face de l’autre. C’était super parce qu’au lieu de
regarder en moi pendant que je jouais, je pouvais regarder John jouer – comme s’il avait tenu un miroir
dans lequel je me voyais. On fumait du thé Typhoo dans une pipe et on se prenait pour des adultes. On
écrivait des chansons ensemble. Il n’y avait que les paroles et des indications d’accords, il fallait se
rappeler des mélodies. Je les reportaient dans un cahier d’exercices où je notais toujours « Une autre
chanson originale de Lennon/McCartney ». Les cassettes n’existaient pas. John et moi avions tacitement
décidé qu’à partir du moment où on n’arrivait pas à s’en souvenir nous-même, il ne fallait pas espérer que
des gens qui ne les avaient pas composées s’en rappellent. On a écrit « Love Me Do » et «I Saw Her
Standing There » et on a fondé les bases de notre partenariat. Les chansons se sont peu à peu améliorées
et la majorité de ce qui nous appelions nos « Cent premières » (ce qui en faisait sans doute à peu près cinq)
ont été écrites chez moi, à Forthlin Road. Après, il nous fallait dissiper l’odeur de thé-tabac, et filer avant
que mon père ne nous surprenne.
Puis, on est allé chez Phillip à Kensington, un studio d’enregistrment très rudimentaire. Il fallait se
présenter avec tout son matériel et cinq livres, ce qui était énorme pour des gamins. On entrait dans le
studio, un type venait régler quelques micros et on jouait. On allait ensuite dans la salle d’attente une
quinzaine de minutes, comme chez le médecin. John a chanté « That’ll Be The Day » et la face B était « In
Spite Of All Danger », une chanson très influencée par Elvis, que j’avais écrite. John et moi la chantions et
George prenait le solo. Il y avait encore deux autres musiciens nommés Colin Hanton et Duff Lowe.
Quand on a eu le disque, on s’est mis d’accord pour le garder chacun une semaine. Quand Duff Lowe l’a
reçu, il l’a gardé pendant vingt-trois ans. Plus tard, quand on était célèbre il nous a dit « Hé, C’est moi qui
l’ai, ce premier disque ». J’ai fini par lui racheter pour une somme très excessive. J’en ai fait faire
quelques copies. Je ne veux pas passer l’original parce que j’ai peur que la gomme-laque s’use, comme
c’était le cas pour les démos de ce temps-là. Mais je suis ravi de le posséder. On n’a jamais remporté un
seul concours de talents de notre vie et surtout, on n’était que des guitaristes. Stuart Sutcliffe était un
copain de John aux Beaux-Arts. Il peignait et avait gagné un montant de 65 livres en vendant un de ses
tableaux. On lui a dit « C’est drôle que tu aies justement cette somme, Stuart, c’est précisément le prix
d’une basse Hofner ». Il disait « Non, je peux pas dépenser tout ça ». On lui disait, « Stu, sois raisonnable,
mon chou. Une Hofner, un groupe de grande classe…la gloire ! » Il a craqué et a acheté cette grande basse
qui le faisait paraître minuscule. L’ennui, c’est qu’il ne savait pas vraiment jouer. On était déçu, mais
comme l’ensemble avait de l’allure, ça n’a pas vraiment été un problème. Lorsqu’il est entré dans le
groupe, vers Noël 1959, on a été un peu jaloux de lui. On était toujours un peu jaloux des autres amis de
John. Il était le plus âgé, on n’y pouvait rien. Ca été comme s’il prenait notre place à George et à moi. On
était plus jeune, on allait encore au lycée, on n’était pas crédible. Donc, avec les batteurs occasionnels qui
se succédaient – et il y en a eu quelques-uns – nous étions désormais cinq.
When I’m Sixty-Four
When I get older losing my hair,
Many years from now.
Will you still be sending me a Valentine
Birthday greetings bottle of wine.
If I’d been out till quarter to three
Would you lock the door.
Will you still need me, will you still feed me,
When I’m sixty-four.
You’ll be older too,
And if you say the word,
I could stay with you.
I could be handy, mending a fuse
When your lights have gone.
You can knit a sweater by the fireside
Sunday morning go for a ride.
Doing the garden, digging the weeds,
Who could ask for more.
Will you still need me, will you still feed me,
When I’m sixty-four.
Every Summer we can rent a cottage,
In the Isle of Wight, if It’s not too dear
We shall scrimp and save
Grandchildren on your knee
Vera Chuck & Dave
Send me a postcard, drop me a line,
Stating point of view
Indicate precisely what you mean to say
Your sincerely, wasting away
Give me your answer, fill in a form
Mine for evermore.
Will you still need me, will you still feed me
When I’m sixty-four.
Lennon/McCartney

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