ceci est la couleur de mes rêves », Magritte aurait

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ceci est la couleur de mes rêves », Magritte aurait
Revue Paradoxǝs, 3 : « Sagesse de l’amour »
Now/here, « Ceci n’est pas un meurtre »
Ceci n’est pas un meurtre
compte de la réalité » comme le dit (l’écrit ? l’éclaire vu que ça
s’affiche sur un écran ?) la fiche Wikipédia de La trahison des
images à propos du tableau précédant la non-pipe d’un an dans la
série, Le miroir vivant.
Agacé par un tableau de Miro intitulé « ceci est la
couleur de mes rêves », Magritte aurait peint son célèbre tableau à
la pipe en réaction. Interrogé à la télévision sur le côté
provocateur de sa légende, il nie le paradoxe apparent et affirme
au contraire que son titre est précisément descriptif : ceci n’est
pas une pipe, c’est une peinture de pipe, une image
essentiellement.
Il n’y aurait plus de référence mais une réalité du mot, plus
d’analogies vivantes mais des choses, closes. En somme, plus de
distance, d’humour, d’ironie, de deuxième degré, d’interprétation,
de nuances ni de contraste. Impossible d’avoir du style quand
l’uniforme est de rigueur. Le surréaliste belge ne peindrait pas
pour rendre compte du monde, mais pour faire des tableaux.
Trêve de… oui René, je sais qu’il n’y avait pas de guerre, donc pas
besoin de trêve, mais c’est une image, enfin non pas une image,
un mot, merde… René, tu es mort, tu sors, tu n’as plus de voix. Ce
qui nous intéresse ici et maintenant n’est pas tant cette libre
interprétation d’un tautologue oscarisé, mais la diffraction de
cette question dans le jeu vidéo : que fait-on dans un jeu ?
Faire comme si serait-il comme faire tout court ? et
puisque c’est une question qui devrait passionner les détracteurs
des jeux violents : tuer dans un jeu peut-il être assimilé à un
meurtre ?
Magritte semble figer « ceci » dans un cercueil réaliste où
le langage n’a plus aucune mobilité transitive, où « la
représentation n'existe plus, seuls les mots sont là pour rendre
Le jeu est généralement englobé dans l’univers du virtuel,
par opposition au monde réel (le lecteur notera que le virtuel
semble plus étendu que l’étant-là). Dans le virtuel, tout est
simulation, rien n’a de conséquence. Ceux qui semblent le plus
effrayés par les possibilités du jeu vidéo insistent souvent sur le
côté virtuel de cette activité, tout en redoutant une passerelle
entre ce monde d’horribles possibles et la réalité quotidienne.
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Revue Paradoxǝs, 3 : « Sagesse de l’amour »
Pourquoi parler d’univers virtuel ? Parce que personne n’est
dupe, la représentation visuelle, sonore et logique qu’offre le jeu
n’est pas le monde réel, tout le monde en est témoin, puisque cette
représentation est bornée par l’écran principalement et que le
processus de création en est transparent. Le point commun qui
semble surgir entre Magritte et les inquiets du jeu serait qu’ils
prennent un peu les gens pour des cons : l’un ignore naïvement la
fonction symbolique du langage et de la représentation quand les
autres imaginent que le joueur glissera fatalement vers la perte de
tout bon sens en confondant règles du jeu (trucider tout ce qui
bouge) et vie en société (vivre ensemble).
L’acte dans le jeu n’est pas pour autant sans conséquences
sur le monde réel :
 Jouer prend du temps et est une occupation nécessitant
une présence attentive : le corps du joueur et son attention
sont mobilisés face à l’écran.
 On apprend en jouant : outre la dextérité nécessaire à
quasiment tout type de jeu (la learning curve étant
l’indicateur de progression jusqu’à se rendre comme
maître et possesseur du monde), l’amélioration des
réflexes et de l’acuité visuelle, l’adaptabilité face à des
problématiques nouvelles ne sont pas passées inaperçues
aux recruteurs militaires. Il n’est pas rare non plus
d’entendre des anecdotes de professeurs de collège épatés
que des élèves en excursion connaissent par cœur des
palais italiens pour les avoir parcourus dans Assassin’s
Creed 2. Jacques Villeneuve est devenu champion du
Now/here, « Ceci n’est pas un meurtre »
monde de Formule 1 lors de sa première participation,
alors qu’il n’avait jamais roulé sur les circuits : il les avait
reconnus pendant des parties sur Playstation, où ils étaient
fidèlement reproduits.
 Au même titre qu’un livre, plus encore qu’un film qui se
voit d’une traite, l’imaginaire du joueur est parfois occupé
par les évolutions potentielles de l’histoire entre les
sessions de jeu. Que se passerait-il si mon personnage
faisait ceci ou cela ?
 La parenté avec le film et toute forme d’histoire est plus
proche en ce qui concerne les traces laissées par le récit.
L’édification. Le développeur de Hotline Miami 2, un jeu
aux graphismes simplistes mais aux possibilités
apparemment riches, disait lors d’une récente interview
que son but en tant que créateur de jeu était de changer le
joueur. « […]que le joueur ne soit plus le même à la fin
d’une partie, que son expérience l’ait changé ; sinon, ça
n’aurait pas de sens. » Pas de risques formels : toute
activité laisse une trace, aussi infime soit-elle, dans le
cerveau et le corps. Ce pourrait être la définition de
l’expérience.
Pour appuyer son propos et démontrer que son tableau n’est
clairement pas une pipe, Magritte posa la question suivante :
« Pouvez-vous bourrer cette pipe de tabac et l’allumer ? Non ?
Alors ce n’est pas une pipe. » Rapportée au jeu vidéo, cette
démonstration intrigue ; dans un jeu vidéo, une représentation de
pipe peut tout à fait être bourrée, allumée et fumée. La
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Revue Paradoxǝs, 3 : « Sagesse de l’amour »
Now/here, « Ceci n’est pas un meurtre »
représentation en devient-elle pipe pour autant? Non, nous
répond le bon sens. Oui, nous répondrait le personnage qui peut
effectivement la fumer. Mais une pipe évoquée dans un roman ou
un tableau a le même pouvoir pour un personnage de roman ou
de peinture : rien n'empêche le personnage de bourrer la pipe de
tabac et de l'allumer. La preuve en quelques étapes :
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Revue Paradoxǝs, 3 : « Sagesse de l’amour »
Now/here, « Ceci n’est pas un meurtre »
Magritte nous dirait que le personnage ci-dessus n'est pas un
homme, puisqu'il n'a pas de mains ni de jambes. Magritte nous
dirait que l'acte dans le jeu vidéo n'est pas un acte. Ce monsieur
manque cruellement d'imagination. Ce qui se passe dans le jeu
relève-t-il de la simple imagination ou de l'événement ? Nous
serons très tentés de répondre par l'événement imaginaire, mais
nous savons qu'il s'y passe quelque chose au-delà, car
l'interaction entre le joueur et son plan virtuel implique
nécessairement une action qui l'arrache du seul plan imaginaire
et l'ancre quelque part entre le présent du joueur (son corps), son
intention et le cadre créé par le développeur (le terrain de jeu).
Rien ne se passe réellement dans ce terrain tant que le joueur n'y
agit pas.
L'acte se mesure-t-il à son intention ou à ses
conséquences?
Et si les dessins / peintures / oeuvres de l'imaginaire /
romans / jeux vidéos n'étaient que des mots ?
Now/Here
NB : Alors que l'amour est don et que le jeu vidéo utilise souvent des
mécaniques d'accumulation, on pourrait croire leur rencontre impossible.
Chez Armor Games, on pense qu'impossible n'est pas possible. L'amour étant
le thème de ce numéro de Paradoxes, nous conseillons à nos lecteurs
l'expérience de ce jeu gratuit, Pretentious Game, qui met en scène un pixel
bleu cherchant à se fondre dans un pixel rose : http://www.zebest3000.com/jeux/jeu-7772.html
Le monde est plein d'obstacles mais l'amour est plus fort que tout.
Le pixel bleu se joue avec les flèches directionnelles et il vaut mieux avoir
Flash à jour.
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