Les f?tes de Tichrei - une justice qui est amour

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Les f?tes de Tichrei - une justice qui est amour
Les fêtes de Tichrei : une justice qui est amour
Si seul un juif est capable de nier la différence entre notre Peuple et les autres
nations, si seul un juif peut également émettre un doute sur le fait que nous ne soyons pas
seulement un peuple différent mais aussi un peuple singulier, il existe un point sur lequel
tout le monde s’accordera, juif comme non juif : la prédilection et la spécificité de notre
Peuple. Chez certains, cet accord relèvera d’un certain relent de racisme et chez d’autres,
même s’ils sont intimement convaincus de l’exactitude de cet axiome, il restera malgré
tout à leurs yeux, une idée insupportable.
Au seuil des jours solennels qui parsèment tout le début de l’année hébraïque, ces
différences et spécificités rejaillissent dans toute leur singularité et frappent notre regard. La
première fête ouvrant cette période, qui a été lentement mais sûrement introduite par le
biais de l’épanchement de tous ces cœurs juifs, chantant cette fameuse liturgie des Séli'hot
et ce, au plus profond de la nuit, est déjà, pour nous, avec la seconde liturgie de Roch
Hachana lui emboîtant le pas, une introduction adéquate à notre façon d’aborder une
nouvelle année. Et voici que ce nouvel an s’avère être, aux yeux de la Torah, tout autre
chose qu’un début d’une nouvelle année. Concernant ce nouvel an nous avons droit
uniquement à un verset laconique, le présentant de manière tout à fait surprenante : "Le
premier jour du septième mois sera pour vous un jour de sonnerie du Chofar" ! Il faut
vraiment être un peuple étrange pour considérer que la commémoration du premier jour du
nouvel an doit coïncider avec le septième mois de l’année et tout ceci sans glisser un seul
mot de son statut de nouvel an. Evidemment, une telle exposition des faits dans la Torah
constitue une véritable aubaine pour tous ceux espérant, à la moindre occasion possible,
trouver des arguments permettant de récuser l’antique et ultime vérité transmise par cette
Torah, texte sacré ne pouvant supporter une présentation journalistique dépourvue de toute
vérité, relevant du médiocre et poussant quelquefois même à la bassesse. Navrés de
décevoir ces personnes manquant de largesse d’esprit, nous leur reconnaîtrons seulement
que D. éprouve effectivement certaines difficultés à se mettre d’accord avec des esprits
étroits, dépourvus d’envergure et par là même de toute véritable liberté. Un texte divin nous
invite toujours à nous élever au-dessus de tout ce qui relève du superficiel et du matériel.
Il y a un second point qu’il nous semble important de souligner, au risque de décevoir
une nouvelle fois ces mêmes âmes égarées : le fait que la tradition hébraïque ait présenté le
jour de Roch Hachana comme la commémoration du nouvel an ne relève pas d’une
interprétation arbitraire de nos Maîtres. Pour s’en convaincre, il suffit de jeter un coup d’œil
sur le traité talmudique (Roch Hachana) que nos Sages ont consacré à ce jour particulier. Ce
traité s’ouvre sur une déclaration qui nous prouve que nos Maîtres vont bien plus loin que
cela. Ils parlent de quatre ‘nouvel an’ distincts, échelonnés tout au long de l’année. Si la
difficulté d’essayer de comprendre comment le nouvel an pouvait se situer en plein milieu
de l’année, à la lecture de leurs déclarations, la tâche devient bien plus ardue. Il s’agit
d’aborder une conception qui semble relever de l’absurde : quatre ‘nouvel an’. Y a-t-il
confirmation plus marquante de l’étrangeté de notre Peuple ?
Et bien, cette approche vient nous préciser de quelle manière un Juif se doit
d’aborder une nouvelle année. Pas de beuverie, pas de fêtes où la débauche en est
l’apanage. Le nouvel an n’est pas non plus le bouclage d’un cycle et n’est pas seulement le
début d’un autre : il constitue aux yeux de la Torah et du Juif fidèle le ‘jour du jugement’
(Yom Hadin). Nous déclarons, en ce jour solennel, devant nos frères et devant toute
l’humanité entière (que nous associons même contre sa volonté à nos prières), que
l’existence n’est pas abandonnée à elle-même et qu’elle ne relève ni de l’absurde ni de
l’anarchique. Notre monde, que nos Sages aiment appeler un ‘palais’, a à sa tête un Maître. Il
n’est pas seulement un Créateur qui aurait délaissé ses créatures dans un esprit
machiavélique ou cruel. Les créatures importent au Créateur et leurs actes aussi. Il ne
faudrait pas pour autant en déduire que les actions humaines auraient une quelconque
influence sur la nature de notre Créateur. Bien au contraire, l’instauration du Bien, le règne
de la Justice et de la Vérité constituent son aspiration au moment même où Il exige que nous
rendions compte de nos actes. La notion de jugement, avec la condamnation, qui risque
quelquefois d’en être la conséquence, a malheureusement été gommée par la chrétienté qui
n’a pas réussi à comprendre comment cette notion pouvait concorder avec l’amour de D.
pour ses créatures.
Le Peuple Juif ose affirmer en ce jour solennel de Roch Hachana, que cette notion de
jugement est justement l’expression de l’amour authentique. Annihiler le jugement, le
devoir de rendre des comptes jusque dans les moindres détails, n’est pas l’expression d’une
miséricorde mais bien au contraire, amène à donner libre cours à l’arbitraire et à
l’anarchique et, en conséquence, n’amène pas amour et pitié mais bien au contraire cruauté
incommensurable. Un amour authentique ne se restreint point à l’expression de sentiments
doux et agréables, détachés complètement d’un système de valeurs morales et d’exigences
l'accompagnant. Un amour véritable passe par l’intérêt et l’inquiétude que nous nous
devons de porter à ce qu’il est souhaitable d’atteindre : à savoir une authentique justice, non
seulement sur le plan social mais aussi dans ce qui relève de l’existence toute entière et de
tous les éléments de la réalité. Elle implique le fait d’endosser notre responsabilité vis-à-vis
de D., seul garant de l’instauration d’une justice réelle et véritable. Nous saisissons ainsi le
pourquoi de notre manière très singulière de célébrer la nouvelle année justement au milieu
de l’année. Nous avons besoin de nous trouver au milieu du temps, toujours à mi-chemin,
toujours au centre de quelque chose, afin que notre rôle, exigeant toujours une
introspection, se réalise en observant le passé afin de pouvoir réparer et améliorer notre
avenir, en gardant à l’esprit l’objectif final qui nous convie à une élévation permanente. C’est
dans cet esprit que nous acceptons de nous présenter devant D. en ce jour solennel et de
rendre des comptes.
Désormais, il n’y a plus lieu d’être surpris si la liturgie de ce jour particulier véhicule
toute la finalité de l’Histoire. Cette reconnaissance de la royauté divine dans le monde à
laquelle nous aspirons, le seul fait que le nom de D. soit sanctifié par le biais de notre Peuple,
et que Sa crainte anime toutes les créatures est notre aspiration en ce jour. Mission difficile,
irréalisable sans l’aide de D. et impossible hors de la Terre d’Israël appelée à ce juste titre
‘Terre de sainteté’. A partir du moment où nous assumons d’accepter cette responsabilité, le
texte liturgique nous permet de présenter une nouvelle requête : "D., veuille bien accorder à
Ton Peuple les honneurs qui lui sont dus… la joie sur sa terre et la réjouissance dans ta ville
de Jérusalem".
Le choix divin de ce peuple singulier ne relève pas de l’arbitraire, sa prédilection
découle de la Justice justement parce que nous constituons le seul et unique peuple doué de
cette faculté de prêter l’oreille à cet appel divin et le seul à même de remplir cette mission.
De ce fait nous n’hésitons plus dans la suite de cette liturgie à déclarer : "Tu nous a choisi
parmi les nations, par amour pour nous". Confier un rôle et une mission à celui qui est
capable de l’endosser, de la réaliser et de rendre des comptes, relève d’un amour
authentique. En parallèle, de notre côté, cette propension à rendre des comptes justifie déjà
cette volonté divine de bien vouloir nous pardonner.
C’est pourquoi à la suite toute naturelle de Roch Hachana, nous avons droit à ce jour
de Yom Kippour, jour du pardon, dont l’essence même est de transformer nos fautes les plus
graves en simples erreurs bien plus pardonnables, "car en ce jour vous serez innocenté afin
de vous purifier de toutes vos fautes". Ce mea culpa ne se réalise pas devant un Moi
inconscient ou conscient mais devant quelque chose de bien plus profond, lié effectivement
au plus profond du Moi de l’âme juive : D. lui-même. Qu’y a-t-il en effet de plus noble que
cette justice divine, sachant tenir compte du fait que tout ce peuple accepte durant toute
l’année ‘de se salir les mains’. N’est-il pas tout à fait raisonnable et équitable d’accorder
respect et miséricorde aux artisans qui, au risque de se salir les mains, n’hésitent pas à
accomplir la tâche à la sueur de leur front ? La haute responsabilité de notre Peuple et la
grandeur de sa mission entraînent parfois d’éventuelles complications. Il lui arrive de se
retrouver dans des situations regrettables et même déplorables. Mais comment lui en tenir
rigueur lorsqu’on pense aux efforts surhumains qu’il doit déployer à tout moment et à
chaque instant. Nos efforts n’ont jamais choisi comme point de mire notre bien-être et nos
plaisirs mais la réalisation de la volonté divine dans l’Histoire et dans le monde.
Pour bien mettre cette dimension en évidence, ces fêtes du mois de Tichrei
terminent leur apothéose par la fête de Souccoth pendant laquelle le Juif abandonne sa
maison, délaisse l’espace dans lequel l’être humain s’insère et s’immobilise pour sa
sauvegarde, et va établir sa résidence pendant une semaine entière à l’ombre d’une simple
Souccah (cabane) si frêle, afin de se rappeler à lui-même et affirmer devant le monde entier
que si nous acceptons de nous insérer dans ce monde-ci, comme on s’insère dans une
maison de pierre et de béton, solide et spacieuse, il ne s’agit pas d’une impossibilité de faire
autrement mais bien au contraire de marquer un choix. La preuve en est : en sortant de
cette demeure solide nous marquons notre capacité à surmonter tous les blocages de
l’existence : nous acceptons même de dormir sous ce toit fragile de la Souccah, incapable
même de nous protéger de la chaleur ou de la pluie et ceci par choix délibéré afin d’exprimer
notre confiance inconditionnelle en la protection de D.
Toute autre personne que nous aurait décelé dans ce comportement une forme
d’ascétisme. Il en relève de tout autre chose : comme le précise le Talmud, dans l’avenir,
lorsque les nations tenteront de minimiser le rôle d’Israël dans l’Histoire, et surtout leur
fidélité aux Mitsvot, et qu’elles diront à D. : "Si tu nous les avais donnés nous aurions été à
même de les réaliser", D. leur proposera d’habiter dans une Souccah. Mais chaleur venant,
les nations n’hésiteront pas à quitter la Souccah non sans la détruire d’un coup de pied. En
d’autres termes, il ne suffit pas d’être à même de bien concevoir la vérité et la justice, pour
être en droit de recevoir une récompense. Il faut être prêt à supporter le joug et les
difficultés qui en découlent dans leur réalisation dans la vie quotidienne. Ce n’est qu’en
s’élevant au-dessus de l’étroitesse d’intérêts égoïstes qu’on peut supporter ce joug
éprouvant.
70 veaux étaient sacrifiés par le passé dans le Temple en parallèle à la subdivision
théologique de l’humanité en 70 nations. Cela signifie que seul notre Peuple est capable
d’assumer une responsabilité universelle ; aucun autre ne pourra remplir son rôle, aucun
peuple ne pourra le remplacer et aucun peuple n’aura la force de se sacrifier pour cette
responsabilité.
Nous ne sommes désormais plus surpris que l’apothéose de ces jours entamés par
Roch Hachana ait lieu le huitième jour de Souccoth, jour de Sim'hat Torah, fête où le Peuple
d’Israël est le seul convié à s’asseoir à la table de D. Notre nom même, Israël, qui signifie
"Celui qui est capable de se battre avec D. et pour D.", abonde dans le sens de ce privilège.
Notre acceptation du jugement de D., le jour de Roch Hachana, nous a permis de nous élever
jusqu’au jour de la joie la plus profonde.
Le nouvel an hébraïque nous rappelle l’ordre des valeurs fondamentales. Peut-on
alors être surpris qu’il ne soit qu’un jour de ‘sonnerie du Chofar’ en plein milieu de l’année ?
Cette corne de bélier nous fait remonter à notre ancêtre Avraham, qui a réveillé en nous une
conscience endormie quelquefois, nous lie à l’échelle individuelle et collective au
personnage exemplaire qu’il représentait : l’homme de Foi profonde que D. avait désigné
comme celui qui saura enjoindre "à sa famille et à sa descendance de rester fidèle à la voix
divine et de s’adonner à la générosité et à la justice". Celui qui est à même de donner des
directives qu’aucune transformation de l’histoire ne pourra ébranler, directives relevant de
la foi et de la morale et entraînant derrière elles des révolutions permanentes jusqu’à nos
jours, celui-là même a permis qu’une voix tellement essentielle se révèle à sa descendance
sur le Mont Sinaï, également sous forme d’une sonnerie de Chofar qui n’est autre qu’un
moyen d’écouter une voix divine. Portés par cette voix qui ne cesse de retentir, nous
traversons l’Histoire, nous voyons peuples, empires, cultures s’écrouler et nous réussissons à
construire sur leurs ruines à chaque fois un nouveau monde, meilleur, plus pur, justement
parce que nous savons écouter.
Souhaitons donc à tous une année de bénédictions et que vous soyez tous inscrits
pour une longue et excellente vie, eux et ceux qui vous entourent.

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