Acquisition de la propreté ou échange de cadeaux ? Pertes et
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Acquisition de la propreté ou échange de cadeaux ? Pertes et
Médecine & enfance Acquisition de la propreté ou échange de cadeaux ? Pertes et renoncements ! A.C. Pernot-Masson, pédopsychiatre, Paris L’encoprésie a la réputation d’être un symptôme rebelle, récidivant ; elle n’est pas l’objet de beaucoup de publications pédopsychiatriques… et soulève en général chez les parents une grande agressivité contre leur enfant, entraînant des cercles vicieux relationnels dans les familles dont il est difficile de se déprendre. C’est dire l’importance de l’apprentissage de la propreté, qui doit permettre de prévenir l’encoprésie tant qu’il est encore temps. Une prise en charge précoce utilisant les thérapeutes naturels que sont les parents permet d’éviter que se fixent des comportements personnels et familiaux délétères. ylan avait trois ans et demi et il n’était pas propre du tout ! Sa maman l’avait supplié en vain, avant l’été de son entrée à l’école. Puis son papa avait décidé de prendre les choses en main. Celui-ci m’explique, deux mois plus tard, qu’il a « failli » rendre son fils propre… En effet, déçu et en colère que Dylan soit « en retard » sur sa cousine et que toute la famille s’en gausse ou s’en inquiète, il lui avait promis un jouet (un beau train en bois) s’il faisait caca dans le pot. Dès le lendemain, « l’échange » était effectif : papa avait eu un beau caca dans le pot et Dylan un train complet dans sa chambre. Mais, le jour suivant, Dylan avait fait un nouveau caca, et papa l’avait « seulement » félicité ! Dylan avait clairement exprimé son désaccord quand il avait compris qu’il n’aurait pas de deuxième train ni même un train tous les jours où il offrirait un caca… Depuis, il n’émettait ses selles que dans sa culotte, en sortant de l’école. Ensuite, son papa, excédé d’impuissance, avait commencé à le frapper. Le résultat tangible (et odorant) avait été une encoprésie : Dylan avait bien compris une partie du message et avait retenu toutes ses selles, cette D rétention active entraînant fécalome, fuites de selles par débordement, douleur à la défécation, donc rétention… Pour stopper cet enchaînement infernal, j’ai demandé que Dylan n’aille pas plus de trois heures par jour à l’école (avec une culotte) et qu’il porte une couche tout le reste du temps, sans aucun commentaire, sans allusion au pot, « comme s’il avait dix-huit mois », avec juste une « gronderie » en cas de selle émise dans la culotte. Comme il était de « nature constipée », il avait fallu adjoindre un traitement laxatif suffisant pour obtenir une selle molle par jour, en précisant bien aux parents de ne l’arrêter que plusieurs mois après l’acquisition de la propreté (et non après la « guérison », puisqu’il ne s’agit pas d’une maladie !). Le mois suivant, la situation s’était ainsi stabilisée : Dylan était « propre » pendant quatre heures le matin, quatre jours par semaine, le temps d’aller à l’école, et émettait une selle par jour dans sa couche sans aucune douleur ni peur. Parallèlement, j’avais expliqué aux parents que, avant que leur enfant ne puisse respecter la règle sociale concernant la défécation, il fallait qu’il apprenjanvier 2007 page 12 ne à obéir « tout court », c’est-à-dire sans menace ni promesse. En effet, Dylan était tellement « drôle, gentil, mignon » quand il disait non que chacun lui cédait. Ses parents lui reconnaissaient ainsi un « fort caractère », dans lequel ils ne repéraient aucun trouble. L’enfant imposait sa loi à chacun, tout devait tourner autour de lui à la maison. Il faisait souvent des scènes quand il était « contrarié ». A l’école, il avait des relations difficiles avec les autres enfants, n’obéissait pas à un ordre collectif ; la maîtresse avait découvert la vivacité de son intelligence lors des occasions où il était seul avec elle, mais alors, comme avec ses parents, il affirmait savoir comme elle, posséder les mêmes objets qu’elle… et avoir les mêmes droits ! En fait, il cherchait à contrôler chacun comme il contrôlait ses selles. Que s’était-il passé ? Les parents de Dylan avaient lu que le caca dans le pot représentait un cadeau fait par l’enfant à sa mère et ils avaient interprété cette notion sur le plan concret, et non sur le plan symbolique. Un échange de cadeaux leur semblait la meilleure façon pour que leur fils « acquière » la propreté… sans rien perdre ! Médecine & enfance En outre, imprégnés sans en être conscients par les principes subversifs de la société actuelle, ils voulaient rendre leur fils « heureux » en le protégeant de toute frustration. Malheureusement, le type de protection qui est indispensable à un nourrisson lui devient grandement néfaste à trois ans ! Un des buts de l’éducation est en effet de rendre progressivement les enfants, futurs adultes, capables de se protéger eux-mêmes et de dépasser les inévitables frustrations de la vie. Il m’a fallu expliquer à ces trop gentils parents que nul ne pouvait grandir sans renoncer à la toute-puissance des bébés (ce que Freud a appelé la castration), et qu’il fallait donc que leur « bébé » paye effectivement, en acceptant de perdre la liberté de faire ses selles où et quand il voulait, pour gagner le droit d’entrer dans la société humaine ! La question de l’étiologie de ces difficultés d’acquisition de la propreté est complexe : ces enfants ont souvent été des nourrissons constipés. Cette constipation précoce, en général fonctionnelle, dans la constitution de laquelle des facteurs psychogènes entrent probablement en jeu, favorise une dilatation colique et rectale, et amorce les phénomènes rétentionnels ; certains de ces enfants ont souffert d’une perte affective trop massive et trop précoce, qui a pu entraîner chez eux la nécessité, en réaction, de tenter de maîtriser et leurs selles, et leur mère, et leur avenir [1] ; le plus souvent, je constate que les parents, surtout depuis quelques années, éprouvent de grandes difficultés à fixer des limites à leurs enfants et à créer un espace pour eux-mêmes et pour leur couple. L’enfant reste ainsi dans l’illusion qu’il contrôle sa mère et son père, et qu’il garde une relation exclusive à chacun d’eux individuellement, excluant notamment l’autre parent et les frères et sœurs rivaux : il ne peut accepter la réalité du couple (a) de ses parents. La maîtrise que l’enfant exerce sur l’émission de ses selles peut être vue à la fois comme : une résistance au contrôle tenté par l’adulte ; le signe de la persistance de son illusion de maîtrise de l’adulte ; enfin, un déni de sa dépendance aux soins de nettoyage, donc de maternage, de sa mère. Le « traitement » de Dylan a fait appel à la méthode qui m’est apparue, au fil des ans, la plus efficace dans ces situations : considérant les parents, éducateurs naturels de l’enfant, comme les plus à même de le faire évoluer, j’ai aidé les parents à fixer deux points bien concrets qu’ils feraient respecter tous les jours sans exception à leur fils. Ils se sont mis d’accord (b) pour : lui imposer de donner la main dans la rue, où sa sécurité n’était pas assurée ; lui interdire de grignoter la baguette de pain en dehors des repas. Dylan a lutté et tempêté quelques jours, mais ses parents sont restés fermes sur ces deux exigences qu’ils avaient choisies. Le mois suivant, ils ont pu m’annoncer qu’un jour ils avaient retrouvé Dylan assis sur le pot, qui, inutilisé, s’empoussiérait depuis plusieurs semaines dans les toilettes… qu’il y avait fait une selle et avait recommencé naturellement le lendemain. A quel niveau ce « traitement indirect » a-t-il pu intervenir ? Les traitements ha- [1] BARROWS P. : « Les enfants encoprétiques », L’enfant, ses parents et le psychanalyste, Bayard compact, 2003 ; p. 645-63. [2] NEUBURGER R. : Nouveaux couples, Ed. Odile Jacob, 1997. [3] GREEN A. : Le complexe de castration, coll. Que sais-je ? PUF, 1995. (a) Un enfant élevé par un parent seul doit, de la même manière, renoncer à être l’unique raison de vivre de ce parent. La condition préalable en est que ce parent ait d’autres raisons de vivre ! (b) En cas, fréquent, de divergences éducatives entre les parents, la solution la plus respectueuse de chacun est celle de la «responsabilité alternée» [2], dans laquelle chaque parent est alternativement le «chef des enfants» pour huit ou quinze jours. Cette technique d’une grande efficacité confronte les enfants à la réalité du couple de leurs parents, avec leur coopération et leur respect mutuel de leurs différences. janvier 2007 page 13 bituels cherchent à obtenir de l’enfant une augmentation de sa maîtrise de son sphincter « récalcitrant » (selon le point de vue des adultes). Pour ma part, j’utilise au contraire le précepte de Lénine « Organiser ce qu’on ne peut empêcher » : ces enfants ne maîtrisent que trop bien leur sphincter ; je conseille donc aux parents de ne plus demander à leur enfant la maîtrise de ses selles. En parallèle, je leur permets de prendre appui sur moi pour présenter à leur enfant la réalité d’un fonctionnement de couple qui affirme, respecte et fait respecter la différence des générations, la différence des sexes et la différence des individus entre eux, malgré les colères et les coups de boutoir de leur rejeton. L’enfant expérimente ainsi à la fois les capacités de coopération du thérapeute avec ses parents et de ses parents entre eux. Cette résistance nouvelle du couple des parents est extrêmement rassurante et contenante pour l’enfant. En effet, la tâche de « chef de famille » est épuisante pour lui, et très angoissante, derrière tous les bénéfices secondaires apparents immédiats qu’il en retire. Quand l’enfant renonce à usurper cette position, il peut alors accepter de se conformer à la demande de la société d’exonérer ses selles dans l’endroit approprié ; il pourra ensuite se tourner vers d’autres découvertes. Ainsi l’exprime le psychanalyste A. Green à propos de la castration en général : ce « sacrifice est nécessaire pour qu’individu et société survivent et se développent » [3]. Références