Syndrome de Rett : un déficit noradrénergique à l`origine

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Syndrome de Rett : un déficit noradrénergique à l`origine
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Syndrome de Rett : un déficit noradrénergique à
l’origine des troubles respiratoires dans le modèle
animal
par Laurent Villard et Jean−Christophe Roux
Notre équipe, dans l’unité 491 à Marseille, étudie les aspects génétiques des
retards mentaux et des malformations corticales. Depuis 2002, nous menons
un programme de recherche spécifiquement axé sur la physiopathologie du
syndrome de Rett. Nous venons d’obtenir des résultats originaux importants,
qui pourraient avoir une application à moyen terme pour traiter certains
aspects du phénotype des patients. Ce travail a été réalisé en collaboration
avec l’équipe de G. Hilaire (CNRS FRE2722) et de J.M. Ramirez (University
of Chicago).
Laurent Villard est généticien moléculaire, CR1 Inserm et responsable de
l’équipe 3 de l’unité 491. Il est membre du Conseil Médical et Scientifique de
l’Association Française du Syndrome de Rett (AFSR) depuis 2000.
Jean−Christophe Roux est neurophysiologiste, spécialiste de la fonction
autonome et de la respiration. Il vient d’être recruté comme CR1 à l’Inserm.
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Le syndrome de Rett
Le syndrome de Rett (SR) a été décrit pour la première fois en 1966 par un
pédiatre autrichien du nom d’Andréas Rett (Rett, 1966). Ce syndrome
représente 2 à 3% de l’ensemble des cas de retard mental sévère et 10% des
cas de retard mental profond chez les femmes. En dépit de ces chiffres
importants, les mécanismes physiopathologiques à l’origine du syndrome
restent très obscurs.
On n’observe que des filles atteintes par cette pathologie car il s’agit d’une
maladie génétique liée au chromosome X qui ne permet pas aux garçons
atteints de survivre au−delà de l’âge de 1 an. Au point de vue clinique, les
patientes présentent un développement normal in utero et pendant les 6 à 18
premiers mois après la naissance. Leur développement est ensuite ralenti,
puis s’arrête. Il se produit une période de régression rapide au cours de
laquelle les acquisitions éventuelles vont être perdues (langage, marche).
Une encéphalopathie sévère s’installe alors et l’on assiste à une inflexion très
nette de la courbe du périmètre crânien traduisant un arrêt brutal dans le
développement du cerveau. Des problèmes supplémentaires sont rencontrés
chez la majorité de ces patientes (scoliose, spasticité, anomalies du rythme
respiratoire, épilepsie, problèmes de circulation sanguine).
Le gène responsable du syndrome de Rett a été identifié à la fin de l’année
1999 (Amir et al., 1999). Il s’agit du gène MECP2 qui code pour une protéine,
la methyl−CpG binding protein 2, ayant une fonction supposée de répresseur
transcriptionnel. Des mutations dans ce gène sont retrouvées aujourd’hui
chez plus de 90% des patientes présentant un syndrome de Rett typique.
Anomalies respiratoires dans le SR
L’existence d’anomalies respiratoires dans le SR est largement documentée
(Julu, 2001). Les patientes ont une respiration irrégulière, de fréquence
élevée, comprenant des apnées de longue durée qui conduisent à une
hypoxie importante. Ces arrythmies respiratoires sont intriguantes car elles
dépendent de l’état de veille des patients. En effet, la respiration est normale
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pendant le sommeil et oscille entre la régularité et de sévères anomalies
pendant la veille (Kerr, 2001). Puisque la respiration peut être régulière chez
ces patientes, on suppose que le générateur du rythme respiratoire est
fonctionnel mais que son fonctionnement serait perturbé à l’état d’éveil suite à
une mauvaise régulation par les afférences qu’il reçoit.
On estime que 25% des décès de patientes atteints de SR pourraient être
dûs à un sévère dysfonctionnement de la fonction cardio−respiratoire (Kerr,
1999). Par ailleurs, la quasi−totalité des patientes présente, à un moment ou
à un autre de leur existence, des troubles respiratoires importants. Etudier les
aspects cellulaires et moléculaires de cette fonction nous paraissent donc
particulièrement importants.
Un bref rappel : le contrôle de la respiration chez les mammifères
Chez les mammifères, la respiration est un mécanisme rythmique complexe
dans lequel le diaphragme joue un rôle important. Cependant, pour que le
diaphragme puisse jouer correctement son rôle, une centaine d’autres
muscles est nécessaire. La contraction de ces muscles va rigidifier la cage
thoracique pour éviter qu’elle ne se déforme sous l’effet de la contraction du
diaphragme. L’ensemble de ces muscles est innervé par des motoneurones
dont les corps cellulaires sont situés à plusieurs niveaux. L’activité des
motoneurones respiratoires est contrôlée par des groupes cellulaires
localisés dans le tronc cérébral.
Plusieurs groupes de neurones sont responsables de la génération du rythme
respiratoire. Ces neurones génèrent spontanément des décharges
rythmiques qui initient la respiration. Le nerf phrénique transmet les potentiels
d’action jusqu’au diaphragme. Deux groupes sont particulièrement importants
: les groupes respiratoires dorsal (GRD) et ventral (GRV). La figure 1 montre
la localisation de ces groupes dans le tronc cérébral. Le contrôle volontaire
de la respiration, quant à lui, trouve sa source dans le cortex cérébral (il
permet de retenir sa respiration lorsque l’on plonge, par exemple).
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Figure 1 : Représentation schématique des voies nerveuses respiratoires et
cardiovasculaires (cliquer pour agrandir). A1, A2, A5, A6 : Groupes de
neurones noradrénergiques du tronc cérébral. C1 et C2 : Groupe de
neurones adrénergiques du tronc cérébral. NTS : Nucleus Tractus Solitarius.
VLM : Ventrolatéral Medulla. GRV : Groupe Respiratoire Ventral ; GRD :
Groupe Respiratoire Dorsal. Les groupes A1C1 et A2C2 présentés en rouge
sont les goupes catécholaminergiques sévèrement touchés chez les souris
Mecp2−déficientes.
Un modèle animal disponible et utile
Pour conduire ces études, nous tirons parti d’un modèle murin de la maladie
créé en 2001 (Guy, 2001). Ce modèle a été mis à la disposition de la
communauté scientifique dès sa création ce qui est assez rare pour mériter
d’être souligné. Les animaux déficients pour la protéine Mecp2 reproduisent
plusieurs des aspects du syndrome de Rett. En particulier, on observe une
période anté− et péri−natale normale suivie de l’apparition des premiers
signes cliniques vers l’âge de 30 jours. Ce développement apparemment
normal suivi d’une courte période libre est l’une des caractéristiques du
syndrome de Rett.
Puisque nous souhaitions étudier la respiration, nous étions particulièrement
intéressés par la disponibilité de ces animaux, que nous nous sommes
rapidement procurés. Si la respiration est une fonction facilement
enregistrable et quantifiable dans l’espèce humaine, l’étude de la biologie du
tronc cérébral aurait été impossible ou très difficile à mener sans disposer
d’un tel modèle.
Nous avons décidé de tester si les anomalies respiratoires présentes dans le
SR pouvaient être causées par des anomalies dans le tronc cérébral, et en
particulier par l’absence de certains neuromodulateurs nécessaire à la
régulation du rythme respiratoire. En effet, cette hypothèse
“neuromodulatrice” avait déjà été évoquée pour le syndrome de Rett mais elle
n’avait jamais été démontrée (Zoghbi et al., 1989 ; Dunn and MacLeod,
2001).
Les souris “Rett” ont des problèmes respiratoires importants
Nous avons tout d’abord étudié le rythme respiratoire chez les souris Mecp2
déficientes. Nous avons montré que la respiration des animaux était normale
jusqu’à 30 jours après la naissance puis que le rythme et la fréquence
respiratoire devenaient irréguliers, les animaux présentant des apnées
importantes quelques jours avant leur mort (Figure 2). Une anesthésie légère
permet de supprimer ces anomalies respiratoires. A l’image de ce qui se
passe dans l’espèce humaine, nous pensons que le générateur de rythme est
capable de fonctionner normalement mais que ce sont les afférences
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régulatrices sur ce centre qui conduisent aux anomalies respiratoires
observées. Ce point est particulièrement intéressant si l’on envisage
d’intervenir pharmacologiquement pour tenter de corriger les déficits
observés.
Figure 2 : Enregistrements du rythme respiratoire des souris Mecp2
déficientes entre 30 jours (P30) et 60 jours (P60) (cliquer pour agrandir). La
fréquence et la durée des apnées augmentent avec l’âge des animaux.
Certains animaux présentent des apnées de 10 secondes ce qui est
excessivement long lorsque l’on sait que les souris respirent à 160
mouvements par minutes.
Les anomalies respiratoires sont sous−tendues par des anomalies
cellulaires dans le tronc cérébral
Dans une seconde partie de notre travail, nous avons voulu savoir si ces
anomalies respiratoires étaient consécutives à des anomalies
neurochimiques. Nous avons donc mesuré, grâce à la chromatographie
liquide haute performance, les contenus en divers métabolites dans
différentes régions du cerveau des animaux KO. Nous avons eu la surprise
de constater qu’il existe, avant même les premières manifestations cliniques,
un déficit important des contenus en noradrénaline dans le tronc cérébral des
souris (environ 30% de perte). Un marquage spécifique (Figure 3) nous a
permis de mettre en évidence un déficit cellulaire au niveau de deux groupes
de neurones impliqués dans la modulation du rythme respiratoire (groupes
A1/C1 et A2/C2). Il s’agit de la première mise en évidence d’un déficit
cellulaire majeur (40% de neurones en moins chez les animaux KO par
rapport aux contrôles) dans ce modèle.
Nous avons également montré que cette perte cellulaire était spécifique à ce
type de neurones, il ne s’agit pas d’une perte neuronale généralisée. En effet,
nous n’avons observé aucun déficit dans les autres populations neuronales
testées (neurones sérotoninergiques ou neurones des groupes moteurs X et
XII).
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Figure 3 : Marquage immunohistofluorescents pour la protéine tyrosine
hydroxylase (cliquer pour agrandir), qui permet de localiser les neurones
catécholaminergiques. Les flèches montrent l’emplacement des neurones
catécholaminergiques du groupe A2C2 chez la souris sauvage. Grâce à ce
marquage, nous avons pu mettre en évidence, dans les structures
bulbo−pontiques, un déficit du nombre de neurones catécholaminergiques
A1C1 et A2C2 chez la souris Mecp2−déficiente.
Nos résultats montrent que la déficience en protéine Mecp2 entraîne des
altérations des systèmes bioaminergiques chez la souris qui, à leur tour,
pourraient expliquer les altérations du rythme respiratoire. Potentiellement,
cet important déficit cellulaire pourrait également expliquer d’autres
anomalies de la fonction autonome.
Perspectives
Ces travaux offrent des perspectives très intéressantes pour progresser dans
la compréhension de certains aspects du phénotype du syndrome de Rett.
Les questions auxquelles nous allons maintenant tenter de répondre sont
multiples. Nous devons savoir si les anomalies cellulaires observées dans le
tronc cérébral des souris Mecp2 déficientes sont une cause ou une
conséquence des anomalies respiratoires. Pour répondre à cette question,
l’étude d’animaux très jeunes chez lesquels la respiration est encore normale
sera instructive. Etant donné la fonction supposée de la protéine Mecp2 dans
la régulation de l’expression des gènes, nous avons également entamé un
programme d’étude du transcriptome du tronc cérébral de ces animaux à
différents stades de développement. Enfin, nous voudrions savoir s’il est
possible de prévenir ou de traiter les troubles respiratoires en proposant une
intervention pharmacologique appropriée. C’est dans ce domaine que nous
avons le plus progressé puisque nous venons de mettre en évidence une
molécule active qui est capable, en stimulant le métabolisme de la
noradrénaline, de normaliser temporairement le rythme respiratoire
d’animaux traités et d’augmenter significativement leur durée de vie. Des
études complémentaires sont nécessaires pour renforcer ces premiers
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résultats mais ils sont déjà suffisamment significatifs pour que nous ayons
dores et déjà déposé une demande de brevet international avec l’Inserm pour
protéger cette découverte. Notre souhait est de pouvoir à moyen terme faire
bénéficier de ces travaux les nombreuses familles qui sont confrontés au
quotidien avec les difficultés respiratoires de ces enfants. Un essai clinique
est envisagé pour la fin de l'année 2006 en collaboration avec le Centre de
Pharmacologie Clinique et d'Evaluations Thérapeutiques (Olivier Blin), essai
qui sera coordonné par Josette Mancini, chef du service de neurologie
pédiatrique à l'Hôpital d'Enfants de La Timone à Marseille.
Présentation de l'équipe
Equipe "Génétique des retards mentaux et des malformations corticales"
Direction Laurent Villard
Adresse :
Inserm U491 "Génétique médicale et développement"
Faculté de Médecine La Timone
27, Bd Jean Moulin
13385 Marseille cedex 5
Tél : 04 91 78 44 77
Fax: 04 91 80 43 19
www.team3−u491.net
Contacts : Laurent Villard et Jean−Cristophe Roux
La composition de l'équipe est la suivante :
Jean−Christophe ROUX, CR1 Inserm
Carlos CARDOSO, CR1 Inserm
Anne−Marie LOSSI, Ingénieur de Recherche
Véronique SAYWELL, Etudiante en thèse
Vincent CANTAGREL, Etudiant en thèse
Ana BORGES, Assistante Ingénieur Inserm
Emmanuelle DURA, Etudiante en M2
Anne MONCLA, PU−PH
Nicole PHILIP, PU−PH
Chantal MISSIRIAN, PH
Quelques références bibliographiques de l’équipe dans le domaine du
SR
Viemari JC, Roux JC, Tryba AK, Saywell V, Burnet H, Pena F, Zanella S,
Bevengut M, Barthelemy−Requin M, Herzing LB, Moncla A, Mancini J,
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Remerciements
Nos travaux ont été rendu possibles, outre le soutien de l’Inserm, grâce au
soutien financier de l’Association Française du Syndrome de Rett (AFSR) et
de la Rett Syndrome Research Foundation (RSRF).
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