Consulter le recueil - CCB - Collège Coopératif en Bretagne
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Réseau de l’Économie Sociale et Solidaire Pour l’Égalité des Chances et la Conciliation des Temps Chambre Régionale de l’Économie Sociale et Solidaire Rhône-Alpes Collège Coopératif Rhône-Alpes Handicap et management Contribution à l’élaboration d’une politique handicap et à sa mise en œuvre Recueil des productions 2006 – 2007 [décembre 2007] Les partenaires : • CRESS RA • ADECAMB/CCB • AFP/ESAT «Ateliers du Haut Vignage» Cette contribution se range sous l’axe III du Projet Respect « Professionnalisation et qualification des nouveaux champs de pratiques. La connaissance produite et diffusée tant lors de la journée de présentation publique de décembre 2007 que par le présent recueil, apporte sa pierre à la consolidation des savoirs, outils et méthodes, et partant à la professionnalisation des acteurs des processus de maintien et d’intégration au travail des personnes handicapées, particulièrement à ceux qui agissent au sein des entreprises de l’Economie sociale et solidaire. 2 RESPECT Sommaire 1. Introduction.......................................................................4 2. Monographie 2.1. Monographie MACIF................................... 6 2.2. Monographie Leroy-Merlin........................26 2.3. Présentation EDF/GDF...............................46 3. Maintien et intégration dans l’emploi : facteurs clés de succès.........................................47 4. Pistes pour demain............................................51 En cliquant avec l’outil main sur les chapitres de ce sommaire, vous accédez directement à la page indiquée. 3 RESPECT 1. Introduction La Chambre Régionale de l’Economie Sociale et Solidaire (CRESS) et le Collège Coopératif Rhône-Alpes (CCRA), ont assuré la maîtrise d’œuvre conjointe du présent travail. Celui-ci, en décrivant et outillant, par l’intermédiaire de deux monographies approfondies MACIF & LEROY MERLIN et de la présentation EDF/ GDF, apporte sa contribution à l’objectif de consolidation des ressources managériales pour le maintien et l’intégration en milieu ordinaire de travail. Ce compte rendu comprend deux parties. Une première partie qui présente des points de vigilance pour la conduite et l’analyse des investigations à venir ; une seconde, qui propose en synthèse des apports, quelques enseignements marquants. A propos de la conduite de l’action Pour tenir l’ambition de ce travail, à savoir : la production d’une connaissance en GRH par la mobilisation d’entreprises1 auxquelles nous demandions d’exposer dans le menu leurs politiques et pratiques d’intégration, et partant de s’exposer 2, un des atouts clés aura été la qualité du fonctionnement du groupe de pilotage institué fin 2006. La variété de sa composition3, source de diversité, a été un aiguillon positif tout au long du travail. Elle a introduit une plus grande exigence d’explicitation tant des notions – celle qui vont de soi quand on est entre soi, par exemple les différences des entreprises de l’ESS postulées comme des évidences–, que de la méthode de travail, par exemple le choix de décrire et non pas de caractériser ; elle a par ailleurs facilité l’élargissement de l’investigation hors Economie sociale et solidaire : Leroy/Merlin, EDF/GDF. La constance de l’engagement du noyau dur de ce groupe a été elle, précieuse pour procéder aux ajustements de l’action rendus nécessaires par la difficulté (parfois) et la longueur (toujours) de l’obtention des accords et des rendez-vous, ainsi que pour la production à proprement parler des monographies : validations et enrichissement des productions intermédiaires, mise en forme et validation finales par les entreprises. 1. Dont il est toujours utile de se rappeler qu’à priori elles ne nous demandent rien… ! 2. Dans la cadre de la présentation publique du 20 décembre 2007 et par la publication du présent recueil. 3. Composition du groupe : Sylvain Brun, Chargé de mission Projet Respect - Alain Charvet, Chargé de mission ARAVIS Lyon Serge Chomienne, Maître de conférences Lyon II - Denis Colongo, Secrétaire général de la Cress - Michel Duchamp, Administrateur CCRA - Christophe Everaere , Professeur des Universités – Lyon III - Patrice Gonzalez, Chargé de mission Economie Sociale , Fondation MACIF - Arielle Hyver , Consultante en ESS, Coach - Capucine Roux, Stagiaire CCRA (Master RH & Organisation Lyon III) - Michel Ronzy , Responsable département ESS du CCRA. 4. Patrick Cohendet, Frédéric Crépet, Olivier Dupouët, « Innovation organisationnelle, communautés de pratique et communautés épistémiques, le cas Linux, Revue française de gestion, n°146, septembre /octobre 2003, p.105. 5.Ibid. p.105. Cette réussite, ressource « inattendue » du projet, consiste à avoir réuni un groupe de personnes « partageant un objectif commun de création de connaissance et une structure commune permettant une compréhension partagée », et la réalisation d’une production collective. Nous venons de reprendre là, une définition succincte de la « communauté épistémique4 » et de nommer ainsi de manière plus générale cette ressource « inattendue ». ◗ Prolongeons un peu la définition : La finalité des communautés épistémiques se trouve placée au-dessus des membres de la communauté. Ce qui définit une communauté est l’existence d’une autorité procédurale qui peut être explicite ou non. Une autorité procédurale correspond à un ensemble de règles ou à un « code de conduite » définissant les objectifs de la communauté et les moyens à mettre en œuvre pour les atteindre et régissant les comportements collectifs au sein de la communauté. […]. De plus, l’autorité procédurale véhicule l’idée de progrès vers le but cognitif fixé par la communauté.5 Il nous paraît donc vraiment souhaitable et possible de prendre appui sur cette stimulante ressource qu’est la « communauté épistémique4» pour poursuivre, avec ténacité, le travail d’incitation et d’appui à l’adresse des entreprises de l’ESS. Nous savons tous et de mieux en mieux, qu’en leur sein, des marges de progression pour l’intégration et le maintien en milieu ordinaire de travail, existent. ◗ A propos de l’inscription institutionnelle dans le champ de l’ESS Le projet RESPECT concernant la CRESS, s’est inscrit dès son origine dans le cadre de sa mission générique ; à savoir la structuration de l’Economie Sociale et Solidaire. Celle-ci répond aux logiques suivantes : 4 RESPECT – Produire de la cohérence – Produire un environnement propice au développement de l’ESS et de ses entreprises – Créer entre les acteurs de l’ESS les conditions pour œuvrer collectivement. Il convient de noter que mouvement de structuration de l’ESS et mouvement de structuration de la CRESS sont concomitants. Parmi d’autres, l’un des axes sur lequel porte la structuration de l’ESS concerne la « fonction employeur ». C’est ainsi que dans le courant de l’année 2007, après avoir accueilli comme adhérents les syndicats d’employeurs de l’Economie Sociale, la CRESS a créé en son sein, sur le plan opérationnel, un « pôle employeur ». La réflexion action menée dans le cadre de RESPECT a fortement contribué à alimenter celle plus large du que faire ?, et du comment faire ?, tant au niveau de l’ESS, qu’au niveau de la CRESS pour poser concrètement la question de l’intégration et du maintien des personnes handicapées en milieu ordinaire de travail. Ainsi, celle-ci ne pouvait être dissociée de celle relative à la structuration de la fonction employeur. Aussi, le projet RESPECT s’est-il donc identifié comme un élément constitutif du système d’actions de la CRESS pour conduire son travail de structuration. La question de l’appropriation des situations de handicap ne pouvait se faire que de manière progressive tant il est vrai qu’il convenait de créer les conditions de cette appropriation ; ces dernières reposant sur : – La nécessaire mobilisation des acteurs de l’ESS, et notamment des réseaux et/ou «familles» sur la thématique du handicap. – La nécessité de produire la logistique opérationnelle et structurante permettant de piloter, conduire, coordonner des actions auprès des entreprises. Or, en ce domaine, beaucoup reste encore à faire. C’est dans ce contexte que la réflexion action menée dans le cadre de RESPECT, outre les actions directement liées à la question du handicap, a suscité des mises en œuvre d’initiatives telles que : – la proposition de création d’un pôle GRH pour l’ESS dont la dynamique de réflexion et d’actions est directement inspirée de celle mise en place dans le groupe de pilotage « RESPECT » – cette communauté épistémique –, qui devra pérenniser le souci de prise en compte de la question du handicap. – La création d’un « espace régional de dialogue social » associant les partenaires sociaux (syndicats d’employeurs de l’ESS et syndicats de salariés). Cet espace régional a mis en place deux grandes thématiques de travail : • Initiation et gestion des parcours professionnels en ESS • Mutations économiques et sociales et développement territorial. Dans le cadre de la réflexion portant sur les parcours professionnels, devra, entre autres, être abordée la thématique du handicap. La structuration de l’ESS nécessite de s’interroger, au regard d’un point de vue particulier, (la question du handicap), sur le positionnement de l’ESS en général, de ses entreprises, en particulier par rapport aux autres types d’économie et / ou d’entreprises. Les analyses de pratiques effectuées au sein d’une entreprise de l’ESS (la Macif) et d’une entreprise « capitaliste » (Leroy Merlin), enrichies du témoignage d’une entreprise de service public (EDF/GDF), par le croisement qu’elles proposent des expériences déployées au sein de formes d’entreprises différentes, nourrissent utilement cette interrogation. Mais elles font un peu plus à notre sens : par «les bonnes pratiques » qu’elles dégagent, elles fournissent des ressources pouvant fonder des initiatives nouvelles pour l’ESS. Autrement dit, des éléments pour ne pas laisser les deux questions que faire ?, et du comment faire ?, sans réponse. Pour la CRESS RA, Denis Colongo Pour le CCRA, Michel Ronzy 5 RESPECT 2. 1. Monographie Macif rhône-Alpes Rédaction : Arielle Hyver, avec la contribution de Sylvain Brun Au moment d’entamer cette monographie consacrée à l’observation de la politique d’intégration des personnes en situation de handicap au sein de la MACIF Rhône–Alpes, nous pouvons souligner que cette politique a déjà une longue histoire au sein de l’organisation, et cette caractéristique nous offre l’opportunité de pouvoir observer son évolution dans le temps. Ce sujet sera traité dans le cadre de la deuxième partie. Les supports utilisés pour la présentation de cette monographie sont accessibles en sélectionnant, avec l’outil main, le lien ci-après : presentation macif.ppt 6 RESPECT 2. Monographie Première partie le contexte de l’action « Nous montrons que l’on peut réussir en respectant l’environnement, en respectant les hommes, en respectant ceux qui travaillent dans les entreprises. Notre politique sociale volontariste se distingue très sensiblement de la politique sociale des entreprises capitalistes. Nous cherchons à faire de nos salariés, des militants mutualistes. » Jacques Vandier, Président d’honneur MACIF, site Macif.fr (2003) 1. Activités et stratégie Un poids lourd du secteur assurance des biens, lancé dans une diversification depuis le début des années 2000. Assureur automobile à l’origine, la Macif est aujourd’hui devenue un groupe mutualiste aux activités diversifiées. Créé en 1960 à Niort, la Macif, Mutuelle d’Assurance des Commerçants et Industriels de France et des Cadres et Salariés de l’Industrie et du Commerce, appartient à la famille d’origine des mutuelles d’assurance traditionnellement spécialistes des assurances automobile et habitation. Devenue à partir des années 80, leader français de l’assurance automobile, elle est restée longtemps « le premier assureur français de la famille ». Depuis le début des années 2000, face à la détérioration du marché de l’assurance automobile et à l’intensification de la concurrence, la mutuelle a opté pour une stratégie de diversification en élargissant son offre sur de nouveaux marchés tels que la Santé1, la Prévoyance, l’épargne, l’Assurance Vie ou encore, plus récemment, les Services à la personne. Aujourd’hui le groupe Macif regroupe plus de 4,6 millions de sociétaires, et réalise avec près de 8000 salariés un chiffre d’affaires consolidé de 4,7 milliards d’euros en 2006, en légère baisse par rapport à 2005, après trois années de croissance portée par les 3 nouveaux secteurs d’activité (+ 22 % depuis 2003). Le marché de l’assurance française enregistre en effet pour la cinquième année consécutive une forte croissance du secteur de l’assurance des personnes (+ 13 % en 2006), tandis que se confirme le ralentissement sur le secteur de l’assurance des biens (+ 2% seulement). Globalement le marché connaît une profonde mutation depuis les années 2000 du fait de facteurs conjugués. La loi Chatel en 2004, en facilitant pour le consommateur la résiliation de contrats reconductibles a accru la volatilité du portefeuille clients. L’instauration de nouvelles obligations comptables et financières et l’évolution des règles prudentielles issues du nouveau code de la mutualité, ont conduit en quelques années à une forte concentration du secteur des mutuelles. 7 RESPECT Les frontières de métiers tendant à se recomposer, on assiste à l’offensive de nouveaux entrants, tels les bancassureurs dans le domaine de l’assurance Dommages. Pour la MACIF, la diversification se poursuit, avec à l’horizon 2010 un rééquilibrage de ses activités entre assurances des biens et des personnes ainsi que le développement de nouvelles activités : intégration des services à la personne, et mise à disposition d’une offre bancaire venant en complément des activités de crédit à la consommation. Ces deux derniers projets, s’inscrivent dans le cadre d’une alliance stratégique conclue avec la Maif et les Caisses d’Épargne. Répartition 2006 du chiffre d’affaires 2006 • 40 % véhicules 4 et 2 roues • 10% habitation • 35% épargne, assurance vie • 11% prévoyance et santé • 4% autres activités Ces orientations stratégiques se traduisent sur le plan des ressources humaines par une forte évolution des métiers et par une exigence de dynamique commerciale, encore assez nouvelle pour une entreprise dont la croissance a pu se faire pendant plusieurs années sur le mode de la réception et du traitement de la demande spontanée. En termes d’organisation, le groupe est segmenté depuis 1987 en 11 régions très autonomes qui gèrent 530 points d’accueil physique (PAP) et 33 points d’accueil téléphonique (PAT). C’est donc le niveau régional qui constitue le niveau le plus pertinent d’observation de la politique en faveur des personnes handicapées. ◗ En 2007, Macif Rhône–Alpes2 compte environ : – 600 000 sociétaires, – 850 salariés, dont 110 managers, répartis entre le siège, les 70 points d’accueil physique, les plateformes téléphoniques (Vénissieux, Andrézieux, Romans), et les sites de gestion (Andrézieux, Romans). 2. Le statut mutualiste ■ Une caractéristique identitaire qui colore sensiblement l’approche choisie pour l’intégration des travailleurs handicapés. Régie depuis son origine par le code de la mutualité, La MACIF revendique de « n’être pas tout à fait une entreprise d’assurance comme les autres ». « La MACIF n’est pas tout à fait une entreprise d’assurance comme les autres. Elle le doit à son histoire, à ses principes et à ses règles de fonctionnement. Nous avons communément l’habitude de rappeler que les adhérents de la Mutuelle sont à la fois individuellement ses clients et collectivement ses patrons ». édito site MACIF.fr, signé de Gérard Andreck, Président du groupe 1. À partir de 2002, en lançant la création d’un pôle assurance santé, baptisé Macif–Mutualité, elle rompt avec l’accord tacite qui réservait autrefois ce secteur d’activité à l’autre catégorie de mutuelles, celles des mutuelles de santé, regroupées au sein de la FNMF, Fédération Nationale de la Mutualité Française. 2. Région administrative élargie, ajoutant aux 8 départements Rhône–alpins les deux départements des Hautes–Alpes et de la Haute–Loire. ■ Une identité d’économie sociale vécue comme différenciatrice Inscrite dans ses statuts dès l’origine, cette caractéristique identitaire a été portée et affichée fortement, notamment en la personne de Jacques Vandier, qui fut son président pendant trente ans, et qui rappelle volontiers le combat qu’il dut mener lors d’une assemblée de sociétaires à Lille en 1973 contre « une offensive qui visait le mutualisme et ses valeurs ». Ce conflit interne semble avoir fortement marqué les mémoires, et constitue un élément de repère fondateur. En plus de son ancrage historique fort, cette caractéristique identitaire s’est trouvée renforcée ces dernières années du fait des incertitudes pesant sur la pérennisation du statut des mutuelles dans le cadre de la construction européenne. Les principes différenciateurs du mutualisme, et plus largement de l’économie sociale, ont en effet dû, dans les années 2000, être expliqués et communiqués 8 RESPECT largement afin de faire reconnaître par la commission européenne la nécessité de penser des statuts spécifiques pour préserver leur existence au niveau européen. C’est ainsi que ce contexte a pu conduire à mettre l’accent sur le mutualisme comme caractéristique identitaire différenciatrice sur le plan stratégique. Cela conduit la MACIF à afficher clairement son appartenance au secteur de l’économie sociale, ce qu’elle développe dans de très nombreux documents de communication expliquant les particularités du secteur : gestion démocratique, non lucrativité, et solidarité en sont les maîtres mots. « Quels sont ces engagements qui, au fond, sont ceux de l’économie sociale ? La liberté d’adhésion, la gestion démocratique, la juste répartition des excédents (que nous réinvestissons dans un meilleur service rendu à nos adhérents), la propriété collective, la solidarité. Au final, tous ces principes contribuent au dessein social qui est le nôtre : jouer un rôle régulateur du marché en mettant des produits de qualité à la portée du plus grand nombre de personnes. Cela n’exclut pas pour autant que nous visions, comme les sociétés de capitaux, la performance économique sans laquelle notre pérennité serait compromise. » Interview de Gérard Andreck, Président du groupe MACIF. Depuis 2006, avec la création d’une nouvelle identité de marque, la MACIF a inscrit la solidarité au cœur de sa communication, en choisissant de s’adresser à la fois « au cœur et à la raison ». D’autre part, au delà de l’affichage, il est vrai que la MACIF s’attache avec constance, à traduire ses valeurs de référence en actions, comme le donnent à voir certaines réalisations telles que le fonds de solidarité en direction des sociétaires, quels que soient les accidents de vie rencontrés (déficience consécutive à une maladie ou à une difficulté sociale), ou son engagement envers ses adhérents en étant le seul assureur à proposer une garantie «chômage» au titre des contrats d’assurance Dommages des particuliers, ou encore le projet MACIF Sourds initié en 2001. « Loin d’être une notion du passé, le mutualisme fait écho à une aspiration humaine d’honnêteté, de transparence et, par conséquence, de confiance. Il est en mesure de répondre, de façon optimale, à ce qui constitue une tendance profonde de la société : le besoin de sécurité collective. » Extrait du projet mutualiste adopté en 2005 Comme on le voit, les aspects du métier et du fonctionnement sont ici reliés par des liens de sens. Cette identité s’exprime spécifiquement dans le mode de gouvernance, et elle se traduit également dans la gestion des ressources humaines. ■ Le mode de gouvernance et ses liens avec la politique choisie Si l’on devait résumer la particularité du mode de gouvernance que l’on de la MACIF, on pourrait retenir trois mots : démocratie, pluralisme et culture du consensus. Tous peuvent être mise en lien avec les choix qui ont été faits en matière d’accueil des travailleurs handicapés. ◗ Fonctionnement démocratique « Le sociétaire est individuellement assuré et collectivement assureur » La Mutuelle appartient à ses sociétaires3 avec un pouvoir politique partagé (1 sociétaire = 1 voix) qui s’exerce par l’intermédiaire des représentants élus. Chaque région MACIF compte de 100 à 300 délégués régionaux, ce qui représente environ un élu pour 2 000 sociétaires. 3. Ce qui a également l’avantage d’éviter à la Mutuelle d’avoir à rémunérer des apporteurs de capitaux, mais aussi l’inconvénient de ne pas lui faciliter l’accès aux capitaux en cas de besoin. En 2006, la MACIF comptait 1888 délégués régionaux, qui ont élu, lors de leurs assemblées régionales 144 délégués nationaux. Les délégués nationaux, élisent les 24 membres du conseil d’administration (hors administrateurs salariés, au nombre de quatre), ultime instance de décision à la MACIF. Chaque année, les délégués régionaux se réunissent en assemblée régionale. Ils prennent connaissance des comptes de leur région, présentent leurs «vœux», débattent de la marche des affaires et des objectifs à atteindre. L’assemblée générale annuelle a lieu après les onze assemblées régionales. 9 RESPECT Indicateur de la vitalité de cette vie démocratique, le taux de présence aux assemblées : en 2006, il a varié de 78 à 93 % dans les assemblées régionales, tandis que l’assemblée générale ordinaire enregistrait un taux de participation de 97 %. Lien avec la politique en faveur des travailleurs handicapés : les premières expériences dites « pionnières » en faveur des personnes handicapées ont surtout concerné les sociétaires. Il est aussi souvent rappelé que le projet emblématique MACIF Sourds trouve son origine dans l’idée d’un sociétaire de l’Ouest. Récemment, avec la montée de la pression concurrentielle et l’évolution des métiers de conseillers vers une dimension commerciale plus proactive, la question s’est posée : maintenons–nous cette politique ? La réponse apportée au niveau politique par les élus a été de choisir le maintien « parce que cela appartient à notre identité ». ◗ Fonctionnement pluraliste En 2004, les cinq principales confédérations syndicales représentatives participaient à la célébration de « vingt ans de partenariat » avec la MACIF. Cette circonstance peu banale s’explique par le fait que le système de démocratie représentative de la MACIF se conjugue à une représentation du pluralisme syndical. Au cours des assemblées qui organisent les scrutins, il revient aux centrales syndicales d’établir la liste des candidats du collège salarié, en fonction de leur poids électoral respectif mesuré lors des élections prud’homales. Le pluralisme syndical se trouve ainsi représenté jusqu’au conseil d’administration. « La vie démocratique est le moteur de l’entreprise, le partenariat avec les syndicats est le carburant », résume un dirigeant de la MACIF. (L’Humanité 17 septembre 2004) Lien avec la politique en faveur des travailleurs handicapés : dès son origine, après les expériences dites pionnières, cette politique s’est trouvée inscrite dans un accord cadre avec les syndicats. Et c’est encore aujourd’hui le cas dans le cadre élargi de la diversité. ◗ Culture du consensus Le débat et la prise de décisions collectives constituent des caractéristiques recherchées par les entreprises de l’économie sociale. Dans le projet mutualiste 4 adopté lors du congrès de Chantilly en 2005, la notion de consensus tient une place particulière : « Le consensus n’est pas l’absence de désaccord ; ce n’est ni l’harmonie universelle, ni l’unanimité. C’est le consentement à quelques règles, l’adhésion à quelques valeurs tenues pour essentielles et l’acceptation d’une procédure pour surmonter les désaccords. En se référant à cette définition, les militants de la MACIF feront du consensus une pratique dynamique et constructive. Toutefois, s’agissant des questions liées aux phénomènes de société, la MACIF prendra soin de rapprocher les points de vue, mais s’interdira de trancher à l’encontre des positions affirmées nationalement par les institutions partenaires. » Lien avec la politique en faveur des travailleurs handicapés : dans le cadre du premier accord d’entreprise, l’accueil de travailleur handicapé n’a été imposé à aucun manager. On a choisi de s’appuyer d’abord sur les candidats volontaires afin que la démarche « fasse ses preuves ». ◗ évolutions récentes : audit RSE Les changements intervenus en 2006 à la tête de la MACIF ne paraissent pas devoir modifier fondamentalement la situation. Au cours des deux dernières années, le groupe MACIF semble avoir conservé, en les modernisant, les grandes lignes de sa gouvernance, en l’élargissant notamment au domaine de la responsabilité sociale de l’entreprise (RSE). Accroître la transparence est le sens donné à la mission d’audit RSE confiée à VIGEO en 2006. 4. Document qui formalise « l’ensemble des valeurs, règles morales et principes d’action au travers desquels on reconnaît l’authenticité d’un groupement mutualiste ». Figurent, parmi les six domaines de responsabilité analysés, le respect des droits humains, qui contient notamment la prévention des discriminations, sujet en rapport naturel avec la politique concernant les travailleurs handicapés. 10 RESPECT Au titre de la modernisation et d’une traduction des engagements qui soit en phase avec les préoccupations sociétales, nous pouvons également citer la création en 2006 d’une direction dédiée au Développement Durable. 3. Gestion des ressources humaines ■ Caractéristiques des postes et recrutement des travailleurs handicapés Les métiers MACIF Rhône Alpes se répartissent entre deux grandes catégories. D’une part les métiers dits gestionnaires, au siège et dans les sites de gestion, généralement pourvus au niveau Bac+4. D’autre part les métiers commerciaux, en lien avec le public, qui représentent l’essentiel des postes (environ 550). Il s’agit soit d’accueil physique, dans le réseau des 70 agences réparties sur le territoire, soit d’accueil téléphonique, dans l’une des trois plateformes d’appel de la région. Les plateformes téléphoniques, actuellement en développement, constituent souvent « une porte d’entrée » à la MACIF, accueillant des jeunes recrutés dès la sortie de l’école, lesquels peuvent évoluer ensuite en interne vers des points d’accueil physiques. Pour ces métiers, le niveau de recrutement est fixé à Bac + 2. Lorsque les pré–requis de formation sont remplis, les candidats handicapés peuvent être embauchés sur des postes commerciaux. Les aménagements mobiliers sont gérés par le service logistique. Son responsable estime que pour les aménagements mobiliers, même s’il faut y mettre des moyens5 « on finit toujours par trouver une solution ». En revanche, le poste informatique, qui n’est pas un problème pour un handicap moteur, est beaucoup plus compliqué à aménager pour les personnes souffrant de handicap sensoriel (sourds et non voyants). L’intégration de personnes sourdes et non voyantes a cependant fait l’objet de dispositifs spécifiques qui seront présentés plus loin. Le recrutement est décidé et géré au niveau du siège. Lors du deuxième entretien, le manager concerné est invité à participer. Les critères jugés essentiels pour la tenue de ces postes sont : – le niveau de culture générale, – la qualité d’élocution, – le niveau d’empathie, 5. Du fait d’avoir choisi de signer un accord d’entreprise, les dépenses d’aménagement ne peuvent pas être prises en charge. Pour le recrutement de personnes handicapées, il arrive que l’on soit moins exigeant sur le niveau de formation, du moment que la personne est jugée apte à tenir son poste, indépendamment de tout critère de productivité. On peut donc parler d’une pratique de discrimination positive en faveur des personnes handicapées. En pratique, au moment des décisions de recrutement, la question est posée et envisagée avec le manager concerné pour savoir si l’on peut ouvrir le poste à une personne handicapée. Si le poste le permet, une candidature de personne handicapée est retenue, parmi d’autres, puis engagée dans la procédure habituelle d’embauche (CV, lettre de motivation, entretien). Elle est ensuite soumise au chef de service. Si la personne handicapée détient les compétences requises pour exercer les fonctions, sa candidature sera choisie en priorité. Dans les années antérieures, cette procédure était facilitée par le fait que l’entreprise avait constitué un « vivier » de candidats potentiels, en présélectionnant parmi les candidatures spontanées et les personnes rencontrées sur les salons dédiés au handicap, ceux qui avaient un profil de compétences leur permettant à priori d’intégrer la MACIF. 11 RESPECT Aujourd’hui, les candidatures étant plus rares, il est plus difficile d’organiser ces recrutements. De ce fait, les services supports , c’est–à–dire la Direction qui gère l’immobilier, les achats, les véhicules, l’intendance, l’informatique, sont davantage sollicités. Par la diversité de ses activités, ils représentent un environnement favorable pour accueillir une personne en situation de handicap, et ce d’autant plus qu’ils nécessitent un niveau de formation moins élevé que les deux autres pôles. Désormais, cet aspect est pris en compte dans tout recrutement des services supports, mais aussi dans son organisation : ainsi le réaménagement du magasin qui vient d’être réalisé a été pensé de manière à pouvoir accueillir des travailleurs handicapés. Au total, la MACIF Rhône Alpes compte aujourd’hui 43 personnes physiques handicapées en CDI. Mais seulement 10 à 20 % des managers sont concernés par la présence d’une personne handicapée dans leur équipe. ■ Politique générale des ressources humaines et ouverture d’un chantier sur la diversité Au niveau de la Direction des Ressources Humaines, la volonté affichée est de « faire vivre au quotidien notre différence », ce qui s’est traduit par des actions comme le passage aux 35 heures dès 1985, et, depuis 1999, à 31h 30, un effort de formation représentant 4,72 % de la masse salariale, ainsi que par des rémunérations et conditions de travail qui font référence au niveau de la profession. Lors d’une enquête d’opinion interne réalisée en 2004, 79 % des salariés du groupe MACIF se déclaraient fiers et satisfaits de travailler dans l’entreprise, et 71% reconnaissaient apprécier le niveau de rémunération et les avantages sociaux. [Cependant les deux tiers d’entre eux attendaient davantage de reconnaissance et de meilleures opportunités de promotion et de carrière.] De cette situation a découlé naturellement pendant plusieurs années une forte attractivité de la MACIF en tant qu’employeur, et un afflux régulier de candidatures spontanées, ressource précieuse pour la politique de recrutement. S’y ajoute un turn over quasi inexistant. Depuis le début 2007 la MACIF a mis en place un nouvel accord d’entreprise. Destiné à « moderniser son statut social pour préserver la performance mutualiste », ce nouvel accord répond en partie aux attentes identifiées lors de l’enquête de 2004, et permet surtout d’intégrer la forte évolution des métiers au sein du groupe liée d’une part à la diversification entreprise et d’autre part à l’accroissement de la pression concurrentielle, qui impose une meilleure prise en compte de la dimension commerciale6. Cet accord comprend notamment l’ouverture d’un chantier dédié à la diversité au sein du groupe MACIF. 6. L’accord formalise les changements suivants : – répertorier l’ensemble des nouveaux métiers développés au sein de l’entreprise au cours des dernières années, – définition d’un statut social « moins égalitaire et plus équitable », avec l’introduction d’augmentations individualisées en plus des primes collectives – accompagnement de l’évolution professionnelle de manière plus structurée : 30h de formation sur trois ans pour tout salarié de plus de deux ans d’ancienneté. Au titre de la diversité, l’accord prévoit de garantir à l’ensemble de ses salariés « l’égalité des chances à toutes les étapes de leur vie professionnelle ». Il a donné lieu à des programmes d’actions spécifiques pour différentes catégories de publics : – les jeunes, et notamment ceux issus de l’immigration – les femmes, qui ont vu leur effectif augmenter sensiblement chez les cadres – les seniors, – les militants syndicaux – ainsi que les personnes handicapées. Cet engagement s’est trouvé mis en lumière le 10 octobre dernier par la signature de la charte de la diversité, et l’annonce de la création, en partenariat avec l’ENASS (École Nationale d’Assurance) de la première formation qualifiante à destination des personnes handicapées. 12 RESPECT Deuxième partie décrire et outiller Observations, enseignements et questions qui nous paraissent pouvoir être tirées de la pratique MACIF en matière d’intégration et de maintien des travailleurs handicapés « Il a fallu 15 ans pour que l’ensemble des acteurs acceptent que la différence ne génère pas de différence » Un dirigeant MACIF en 2004 1. Une trajectoire déployée dans le temps : premiers pas et effet d’apprentissage La politique historique vis–à–vis des personnes handicapées, tant sociétaires que salariés, a déjà connu différentes étapes, et se trouve aujourd’hui intégrée dans une politique en faveur de la diversité. ■ Les différentes étapes ◗ Première étape : actions et expériences pionnières sans cadre politique formalisé pendant dix ans (1984–1999) Pendant une longue période, la question de l’accueil des personnes handicapées n’a pas été formalisée au sein de la MACIF, mais diverses expériences régionales l’ont en quelque sorte préparée. Tout d’abord sur le terrain, en direction de collectivités ou organismes clients, différentes initiatives de prise en compte du handicap se sont développées. Exemples : • Initiative terrain : gestion de l’accès à la plage pour les personnes en chariot dans les résidences touristiques gérées par les Comités d’entreprises • Au niveau national, à partir de 2001 : le projet d’adaptation des services MACIF à destination d’une population de 5 millions de personnes sourdes ou malentendantes en France, grâce à l’initiative des élus des sociétaires. Ces expériences «pionnières» tournées vers l’externe, ont peut–être contribué à l’émergence d’une action davantage centralisée et structurée, visant cette fois l’intégration de personnes en situation de différences comme salariées de la Macif. Elles auront du moins constitué un terreau favorable à cette émergence. D’autres expériences en direction cette fois de travailleurs handicapés ont également eu lieu dans des périodes antérieures. Elles présentaient alors la caractéristique d’être ciblées sur des lieux définis, et adressées à des handicaps spécifiques. Ainsi entre 85 et 88 a été créé sur Lyon le premier centre d’appel avec des non voyants et mal voyants. ◗ Deuxième étape : le premier accord d’entreprise 1999–2002 : principe de volontariat En 1999, le premier accord d’entreprise formalisant un engagement d’accueil – et de maintien dans l’emploi – de travailleurs handicapés est signé par la MACIF. Le déclic initial de cette démarche semble avoir été une intention politique d’implication « citoyenne », et d’affirmation de « la différence économie sociale », faisant suite à une incitation forte des partenaires publics. 13 RESPECT Lors de cette étape, la stratégie choisie pour la mise en place de l’accord a été de faire appel aux volontaires en prenant appui sur un groupe moteur d’une dizaine de cadres (sur un effectif de 110) convaincus et désireux d’agir. C’est ainsi que les postes ouverts aux travailleurs handicapés ont d’abord été définis par la capacité d’accueil de ceux qui allaient les encadrer. Un accompagnement et un soutien dans la durée ont été procurés aux cadres qui s’étaient engagés, et il a été fait appel à l’appui d’experts externes. à l’issue de cette période, la réussite de l’intégration des travailleurs handicapés avait été démontrée. Il en ressortait qu’il était inutile de prévoir des emplois « réservés ». L’objectif affiché étant au contraire de faire en sorte que lorsqu’ un travailleur handicapé entre, il soit considéré comme tout autre salarié, et ait droit au même environnement professionnel. Ce qui devint l’orientation de la troisième période. ◗ Troisième étape : généralisation, dans le cadre du deuxième accord d’entreprise 2003 –2006 Pour respecter l’esprit des engagements pris (ouverture générale à l’accueil de la différence), mais aussi, de façon pragmatique, pour que l’intégration soit réussie, et pour qu’elle perdure dans le temps, il est apparu qu’elle ne devait pas rester un phénomène isolé, réservé à certains volontaires. Une généralisation des recrutements de travailleurs handicapés a donc été initiée, avec comme corollaire une action de sensibilisation systématique de tous les chefs de service. À ce stade, un certain nombre de résistances se sont manifestées : moindre taux de présence que prévu aux journées de sensibilisation, mise en avant de spécificités liées au poste interdisant l’accueil de travailleurs handicapés… C’est donc ici que la capacité de maintenir le cap avec fermeté s’est trouvée sollicitée avec insistance. ◗ Quatrième étape : inclusion de l’action dans le cadre élargi de la gestion de la diversité En 2006, le troisième accord en faveur de l’insertion et de la promotion des personnes handicapées a été signé, en complément d’un accord d’entreprise portant sur tous les volets de la diversité7. S’agissant des personnes handicapées, il comprend deux objectifs majeurs : • recruter 10% de personnes handicapées sur la totalité des recrutements en France, soit 50 personnes, • atteindre un taux de 4 % de personnes handicapées en 2008, puis le faire progresser à 6 %. Aujourd’hui la MACIF compte 253 travailleurs handicapés au niveau national sur un effectif global de près de 8000 personnes, soit 3 %. Sur ce total, la région Rhône–Alpes représente 15 % du national, et affiche un taux sensiblement supérieur à la moyenne nationale avec 5 % de travailleurs handicapés. Avant 2005, ce taux était de 9 %, mais le nouveau mode de calcul introduit en 2005, l’a fait tomber à 5 %. ◗ Contexte actuel La MACIF Rhône Alpes s’est donnée l’objectif d’atteindre dès 2008 un taux de 6 % de salariés en situation de handicap. Mais pour la première fois, du fait de la tension sur le marché du travail, la tendance s’inverse en matière de recrutement : les candidatures spontanées qui représentaient en Rhône–Alpes jusqu’à cent CV par jour se font aujourd’hui beaucoup plus rares. Parmi celles–ci, malgré les informations en bonne place sur le site internet indiquant que tout recrutement leur est ouvert, et la présence sur les salons liés au handicap, il y a très peu de candidatures spontanées de la part de personnes handicapées. Le problème est d’autant plus aigu que le besoin de formation pour les postes qui sont à pourvoir (en majorité télé conseillers à vocation commerciale) est du niveau Bac +2. 7. Les jeunes, et notamment ceux issus de l’immigration ; les femmes ; les seniors ; ainsi que les personnes handicapées. En 2006 un seul recrutement a eu lieu, et en 2007 aucun, malgré 50 candidatures examinées, dont 4 ayant fait l’objet d’un rendez–vous. Cela s’explique notamment par le trop faible niveau de formation des personnes. 14 RESPECT En effet, parmi les candidats handicapés qui postulent, beaucoup le font dans le cadre d’une démarche de reconversion après une perte de poste liée à un accident de la vie. Mais ils viennent de métiers très différents qui souvent correspondent à une formation de type CAP. Or, même lorsqu’on met en place une formation interne, l’expérience montre que souvent, les candidats qui n’ont pas le niveau bac au départ ont beaucoup de mal à la valider. Pour pallier cette difficulté de recrutement, la MACIF a annoncé en octobre qu’elle créait avec l’ENASS (École Nationale d’Assurance) la première formation qualifiante en assurance à destination de personnes handicapées possédant un niveau Bac. Elle indique souhaiter intégrer les stagiaires à l’issue de leur année de formation sur des postes de télé conseillers. Parallèlement, une sensibilisation est lancée en interne, afin que les personnes qui rencontrent des difficultés de maintien dans leur poste du fait d’un handicap survenu puissent le faire reconnaître officiellement (RQTH). Mais le handicap restant un peu « tabou », la démarche n’est pas toujours faite. Pourtant, lorsqu’un handicap est présent, cette reconnaissance officielle clarifie les choses au niveau de l’employeur, dit–on à la MACIF, car il devient plus clair qu’on doit tenir compte du handicap dans le rythme de travail. Enfin, beaucoup d’énergie continue d’être consacrée aux actions de maintien en poste et/ou d’évolution des personnes handicapées qui voient leur situation se dégrader, soit du fait de l’évolution du travail, soit du fait de l’évolution de leur handicap. Nous y reviendrons ultérieurement. 2. Un discours partagé : la nécessité d’une volonté politique Lorsqu’on leur demande quelles sont les conditions qui ont permis à cette expérience de se réaliser et qui leur paraissent devoir être transmises à d’autres organisations, les interlocuteurs MACIF, à quelque niveau qu’ils soient, et chacun à leur manière, reviennent à une même idée : la nécessité d’une volonté politique claire et manifeste. L. T. conseillère formée à la langue des signes le dit à sa manière directe et spontanée : « Je me suis demandée ce qu’on attendait de moi : s’agissait–il de faire de l’argent sur le dos des sourds » ? Elle a posé la question à la direction, et dit avoir reçu des réponses qui l’ont rassurée sur ce point. Et de préciser : « Au départ, quand on m’a parlé de l’opération à la MACIF, j’ai pensé que ce n’était pas sérieux. Je venais d’une entreprise qui n’avait pas du tout la même éthique. » « Quand le projet est porté par la direction, c’est toujours porteur et moteur. Cela ne veut pas dire qu’il ne faut pas également mener une action plus élargie », dit de son côté François Eugène, Directeur des Services logistiques. Jean Octave Dupont, Directeur régional, et autrefois DRH, souligne qu’une volonté politique claire, constante, progressive, pragmatique et persévérante a été nécessaire pour encourager et pour continuer d’impulser cette politique tout en la dotant de moyens conséquents. 8. Toutefois, en signant un accord, l’entreprise s’engage à fournir les moyens nécessaires, et ne plus bénéficier des aides de l’Agefiph. Michel Gauthier actuel Directeur de Ressources humaines, le dit aussi : « La première clé, fondamentale, c’est d’avoir un texte de référence, un engagement de l’entreprise 8. La deuxième, c’est la volonté de le mettre en pratique, car ce n’est pas facile, il n’y a rien d’acquis. Il faut en permanence expliquer et ré expliquer le sens du projet, et pourquoi on ne peut exiger la même cadence de travail, avec pourtant le même salaire. Accompagner et soutenir le manager qui se fatigue de devoir tout redire à une personne qui perd la mémoire immédiate, trouver une solution de changement de poste pour la personne qui développe une pathologie supplémentaire générant des crises d’agressivité lorsqu’elle est sous pression. Alors on ré explique le pourquoi : imaginez si c’était à vous que cela arrivait ; réalisez que pour une personne handicapée, perdre son emploi, c’est un peu perdre une famille » 15 RESPECT La nécessité de ce volontarisme politique s’explique notamment à ses yeux par le fait qu’il existe deux niveaux de difficulté à franchir : • au départ, avant le recrutement, il faut lever l’obstacle de la représentation du handicap et l’ouverture à la différence ; • ensuite, dans la durée, l’évolution de carrière et le maintien en poste des personnes handicapées génèrent « un chantier permanent d’innovations afin de lever les contraintes ». D’où l’importance, ajoute–t–il, de n’être pas seul face aux problèmes soulevés : « On est toujours plus intelligents à plusieurs ». 3. Problématiques du suivi, du maintien dans le poste et de l’évolution de carrière Avec le recul du temps, la MACIF Rhône–Alpes a pu mesurer l’importance et les particularités de l’évolution de la personne handicapée dans son poste. À la base, il s’agit déjà de comprendre qu’une personne handicapée demandera plus d’attention et un suivi plus rapproché de la part de son manager, car des difficultés restées inaperçues par l’entourage peuvent se présenter régulièrement et générer des blocages sérieux s’il n’existe pas la confiance et l’ouverture suffisante pour en parler rapidement. Il faut aussi prévoir les adaptations et traductions nécessaires dans de multiples situations : traduction en braille, restitution directe ou sur cassette audio des comptes rendus de réunions de l’équipe, du comité d’entreprise, du journal d’entreprise … Par effet rebond, le manager dont l’équipe comprend des travailleurs handicapés aura lui aussi besoin de pouvoir compter sur un soutien particulier pour dépasser les moments de lassitude ou de découragement, et faire face aux difficultés qui surviennent avec la personne elle–même ou au sein de son équipe. À la Direction des ressources humaines de la MACIF, on parle de « ligne ouverte » pour les managers, pour indiquer la volonté de disponibilité en continu afin de ne jamais laisser l’un d’entre eux seul face à une difficulté. Des moyens d’accompagnement externes peuvent également être mobilisés. Mais au–delà de ce suivi de base, se présentent des problématiques plus spécifiques. Trois problématiques ont été rencontrées : le maintien dans l’emploi pour une personne dont le handicap s’aggrave, le maintien dans le poste lorsque le métier ou l’organisation du travail évolue, et enfin la question de l’évolution de carrière du travailleur handicapé. François Eugène et Michel Gauthier, vers qui remontent ces questions, en sont d’accord : les solutions se trouvent au cas par cas : « On fait de la haute couture ». Certains dossiers se traitent comme « naturellement », d’autres prennent un an avant qu’une solution ne puisse être trouvée. Un ensemble de partenaires et de moyens sont mobilisés : bilan de compétences, avis d’un médecin et d’un psychologue du travail, réflexion sur l’aménagement du poste ou sur la réorganisation des tâches… On explore toutes les possibilités d’aménagement : achat de matériel, adaptation du temps de travail, arrêt de travail, mi temps thérapeutique, etc. Dans le cas où le maintien en poste s’avère impossible, ou n’est pas souhaité par le salarié, le reclassement sur un autre poste est privilégié. C’est à ce moment que la personne fait un bilan de compétences, tandis que l’encadrant examine toutes les pistes de reclassement en interne. Cette étape associe l’ensemble des parties prenantes : le DRH, le chef de service, les collègues, le salarié. 16 RESPECT « Ce que nous avons en tête dit François Eugène, ce sont trois objectifs : • le maintien dans l’emploi, • sortir la personne de la situation infernale dans laquelle elle se trouve, et l’entreprise avec elle, • lui trouver un travail qui ait une vraie utilité, car la mettre dans un coin serait encore plus difficile à vivre. » Il s’agit donc, en priorité, de ne pas fabriquer d’exclusion, car intégrer une personne handicapée engage l’employeur à envisager toutes les solutions de placement. Parmi les cas que la MACIF Rhône–Alpes a été amenée à traiter : Celui d’une personne affectée à la distribution du courrier, à laquelle le médecin vient à interdire la station debout et les déplacements. La distribution du courrier lui étant désormais interdite, la tâche est répartie au sein de l’équipe, et la personne est réorientée sur un poste dédié à l’immobilier, sur un temps partiel. Il faut convaincre la personne concernée que son travail reste utile, car elle– même vit mal la perte de sa tâche. Une autre personne, quinze jours après son recrutement, se voit arrêtée pour plus d’un an. La question se pose : doit–on mettre fin à la période d’essai ? Le choix a été fait de lui conserver sa place pendant douze mois. Aujourd’hui de retour à temps partiel la personne bénéficie d’un plan de formation individualisé pour lui permettre de s’approprier sa fonction. La question reste ouverte également des personnes non voyantes qui ont été recrutées voici plusieurs années sur des postes de conseillers téléphone, et qui souhaitent évoluer. Le sentiment de ne pas évoluer génère de l’amertume et de la frustration. Pour l’une d’entre elles qui avait l’informatique pour hobby, une solution vient d’être trouvée dans les services support. Cette personne travaille aujourd’hui à distance et ne se rend à la MACIF qu’une fois par semaine. Le constat de ces difficultés pourrait paraître aride. Pourtant, ce n’est pas l’impression que dégagent les entretiens avec nos interlocuteurs de la MACIF. Voici ce qu’ils en disent. Pour eux, la personne handicapée est certes un peu moins performante mais cela est pris en compte dès le départ dans les objectifs, et en même temps cela crée un regard différent chez les autres membres de l’équipe. On doit parfois apprendre à accepter qu’il y ait des erreurs, mais cela peut créer de l’entraide. D’autre part, à constater la motivation et l’engagement dont font preuve la plupart des travailleurs handicapés, on est moins enclin à se plaindre de ses propres difficultés, et il se crée une forme d’émulation. Cela permet aussi à chacun de se dire : si quelque chose de grave m’arrivait, l’entreprise serait quand même là. Pour la MACIF, il est vrai que cela rend visible, en le matérialisant et le crédibilisant le nouveau slogan au cœur de son identité stratégique : « la solidarité est une force ». Au final, selon F. Eugène et M. Gauthier, il semble que l’intégration de personnes handicapées dans une équipe représente un facteur global de facilitation du travail d’équipe, un renforcement du sentiment d’appartenance et aussi de l’ouverture à l’autre, à la différence et au changement. Autant de résultats que certaines organisations recherchent aujourd’hui dans le but d’améliorer la performance collective ! Mais n’oublions pas le paradoxe qui existe au cœur de ce constat : c’est justement parce que ce n’est pas l’effet recherché, parce qu’on ne peut être soupçonné de « calcul » que ce résultat peut–être espéré. Car ce qui est en jeu, c’est l’authenticité de l’engagement d’ouverture aux personnes handicapées, et, plus généralement, la capacité à accepter chacun tel qu’il est, avec ses différences. 17 RESPECT ■ Zoom sur le projet Sourds Le projet MACIF sourd est très emblématique de la politique MACIF. En effet il associe la prise en compte du handicap chez les sociétaires et le recrutement d’une personne sourde. D’autre part il contribue à sensibiliser clients et salariés à la problématique du handicap. Ce projet s’est mis en place au niveau national suite à une suggestion faite en 2001 par une déléguée de la Région Centre Ouest Atlantique. La déléguée ayant rapporté le besoin émergent en Région de mieux répondre aux attentes de la clientèle sourde, une première étape a consisté à faire réaliser un site Internet par une personne sourde, à Niort au siège de la MACIF. Grâce à cet outil informatique, les sociétaires sourds et les conseillers peuvent communiquer très facilement entre eux. ◗ Formation de conseillers à la langue de signes Un appel à candidatures a ensuite été lancé aux conseillers de la MACIF pour une formation à la langue des signes. Une soixantaine de personnes se sont portées volontaires, dont cinq ont été retenues. Un cadre, JPR, a été associé au projet. Une formation s’est déroulée entre 2003 et 2004, à laquelle ont participé pour la région Rhône Alpes JPR et une conseillère, LT. La formation a duré huit semaines, et s’est révélée très éprouvante. Être du matin au soir avec une personne sourde (le formateur), demande beaucoup de concentration. LT se rappelle s’être sentie en grande difficulté. « Ce monde n’était pas le mien, explique–t–elle. Au bout de quinze jours, j’ai craqué : désolée, je m’arrête, je n’en peux plus ». Finalement LT est restée, et elle ne l’a vraiment pas regretté. Dès son retour en agence, l’information avait déjà circulé, et des sourds se sont présentés. « Au début, c’était du théâtre, se souvient–elle. Je n’avais pas un niveau important en langue des signes, alors je me mettais debout, je mimais, j’écrivais, pour me faire comprendre. Et eux, cela les amusait. Ils n’avaient pas en face d’eux quelqu’un qui se sentait supérieur, cela les mettait à l’aise. » Aujourd’hui LT reçoit 30 à 40 personnes sourdes par mois, ce qui représente près d’un tiers de ses rendez–vous. Elle parle d’un « rapport de confiance extrême » qui s’est créé avec eux. ◗ L’embauche d’une personne sourde La mise en place de ce projet a favorisé l’embauche d’une personne sourde. CR a un niveau Bac +2 (BTS informatique). Il avait entendu parler du projet par le biais d’associations de sourds, et envoyé une candidature. Il a été contacté en février 2004 pour des premières missions sous statut de vacataire. Il s’agissait d’organiser des réunions en direction des sociétaires Sourds. Puis, en avril 2005, CR a été recruté en CDI. Pour répondre aux critères de qualification requis, il a reçu une formation d’une durée de 2 mois en assurance. Cette formation a été assurée en LSF sur le site par JPR. En outre, comme tout nouveau salarié, il a été formé aux principes mutualistes et a été présenté auprès des instances de représentation du personnel. L’arrivée de CR au sein du Point Accueil n’a pas nécessité d’investissement matériel particulier. Seule a été repensée la disposition des bureaux. Ainsi, le bureau de CR a été placé en fond d’agence pour garantir le secret professionnel aux clients sourds. Ce positionnement pallie l’impossibilité de CR à recevoir l’ensemble des clients ; ces derniers s’adressant d’abord à la personne dont le bureau est le plus proche de l’entrée. ◗ L’intégration de C.R au sein de l’équipe Bien que seul le responsable de l’agence ait été formé à la LSF, la présence de CR a amené l’ensemble de l’équipe à apprendre quelques notions de LSF, par curiosité ou par nécessité, pour pouvoir échanger des informations avec CR. L’intégration de CR n’a pas posé de problèmes au reste de l’équipe. JPR va même plus loin en disant que face à C.R, la situation de handicap s’inverse. 18 RESPECT Ce sont finalement les personnes qui entendent qui se retrouvent en situation de handicap, face à une personne sourde qui a appris à comprendre la langue française et qui parvient à lire sur les lèvres. Pourtant, CR est conscient que la relation avec les membres de l’équipe est décalée. L’information lui parvient la plupart du temps par synthèse, si bien qu’à ce jour, il ne participe pas aux réunions d’équipes. JPR se charge de lui faire des comptes rendus de réunions. JPR estime que dans le schéma de pérennité du projet sourd, CR tient un rôle essentiel puisqu’il assure auprès des conseillers formés à la LSF une pratique continue de ce langage. Il est le référent LSF au sein de la MACIF. Sans cela, les efforts de formation demeureraient vains. Pour éviter cet écueil, chaque conseiller prévoit de manière régulière une plage d’échanges par webcam avec un autre conseiller. Ces échanges permettent de maintenir une pratique de la LSF mais également d’échanger sur les situations de travail quotidiennes. ◗ L’activité en direction des sourds En complément de leur activité de conseillers accueillant des personnes sourdes, CR et les conseillers formés à la LSF ont des contacts avec les associations de sourds de la région. Ils participent aux réunions d’information initiées et organisées par JPR dans les locaux des associations de sourds, sur le thème de l’assurance (contrats, services, assistance, rédaction de constat amiable). Cette activité de prospection et de partenariat menée sous la responsabilité de JPR en direction des associations représente un enjeu important car il est très difficile de toucher le public sourd sans passer par les associations. Des contacts réguliers ont été noués avec une trentaine d’associations de sourds œuvrant dans les domaines du sport, des loisirs, de la culture, et de la formation à la LSF. Au sein du groupe de conseillers formés à la langue des signes, un lien fort s’est créé, qui les conduit à s’entraider pour des opérations de communication qui peuvent avoir lieu en dehors du cadre des horaires de travail. La MACIF compte aujourd’hui près de 1800 sociétaires sourds au niveau national, dont 350 en Rhône-Alpes. ◗ Les équipements utilisés Pour les prises de rendez–vous : le site MACIF Sourds, permet de se connecter avec une web cam. À certaines heures, les conseillers LSF se mettent en disponibilité et peuvent dialoguer en direct, via la web cam, en langue des signes. Le reste du temps, il est possible d’inscrire une demande de rendez–vous sur le planning mis à disposition. ◗ Pour les malentendants Un tapis de sol, sous le siège du client sourd, et relié au micro, supprime les interférences et lui évite d’être dérangé par tous les bruits d’ambiance, ce qui lui permet d’entendre la voix du conseiller en restant détendu. ◗ Les effets d’apprentissage L’arrivée de CR et la formation de conseillers à la LSF ont permis d’améliorer le service rendu aux clients sourds. « Ils redécouvrent leur contrat » et sont bien plus au fait de leurs droits. Le mode de fonctionnement a changé également. Dorénavant, chaque client sourd est renvoyé soit vers CR, soit vers un conseiller LSF. Progressivement, les difficultés rencontrées ont été résolues. Ces difficultés d’adaptation ont été diverses. Au départ la communication en langue des signes était fatigante et encore lente pour les conseillers formés. LT, par exemple, devait parfois donner plusieurs rendez–vous pour clore un dossier. Elle avait en effet pris comme règle de ne pas dépasser une demi–heure par rendez–vous, afin de ménager sa capacité de concentration. Aujourd’hui, elle concrétise plus rapidement. Autre difficulté : la tentation pour certains sourds de profiter de ce qu’elle les comprenne pour lui demander de petits services connexes, tel appeler le garagiste pour eux. Il a fallu mettre les choses au point, expliquer qu’elle n’était là 19 RESPECT que pour l’assurance, et qu’à se lancer dans autre chose, elle risquait de faire des erreurs. Le message est passé. Une autre différence qu’a découvert LT et à laquelle elle a dû s’adapter, c’est le côté très direct de la communication. Ainsi « Tu signes mal », constitue une remarque normale et dont il n’y a pas lieu de se fâcher, car en langue des signes, les formes de politesse n’existent pas. Ce qu’elle a également découvert, en connaissant mieux les sourds, c’est le niveau de difficulté qu’ils rencontrent lorsqu’on ne parle pas la langue des signes : • contrats mal adaptés : garantie au tiers proposée pour une voiture neuve, appartement assuré partiellement. • démarches inachevées : tel ce jeune sourd venu après un vol et auquel un conseiller avait donné une déclaration à remplir. Deux jours après, comme il ne l’avait toujours pas fait, il s’avéra qu’il ne savait pas écrire, mais n’avait pas osé le dire. En pratique, une bonne part des sourds n’ont pas eu accès à une éducation adaptée, et ne savent pas correctement lire et écrire. Mais ils n’osent pas toujours dire qu’ils ne comprennent pas. (Problème de constat à l’amiable par exemple, écrit en langue française, donc en langue étrangère pour les sourds). Aujourd’hui, il y a donc une prise en compte et une meilleure connaissance des spécificités des clients sourds. D’autres handicaps auraient sans doute posé d’autres types de difficultés, et suscité d’autres effets d’apprentissage. Du point de vue des salariés formés à la LSF, l’expérience a été transformatrice. « C’est devenu une passion pour moi », déclare LT. Elle ajoute qu’elle a lié des amitiés dans le milieu des sourds, que cela a pris de l’importance dans sa vie personnelle. Elle considère que « c’est une chance et une force » pour elle d’avoir appris la langue des signes. Cette expérience l’a également sensibilisée à d’autres formes de handicap. Du coup, elle a participé au salon Handica sur le stand MACIF, témoigné de son expérience et rencontré beaucoup d’associations. « Quand tout va bien, conclut–elle, le handicap, on ne le voit même pas. C’est incroyable comme nous sommes en retard sur ce point. Je ne m’en rendais pas compte. On ne connaît pas ce monde là tant qu’on ne s’est pas investi ». ◗ L’évolution professionnelle de CR Comme tout salarié de la MACIF, CR a un entretien annuel, avec le responsable du Point Accueil. Sont abordés les problèmes rencontrés et les perspectives d’évolution de poste. JPR souhaite à terme proposer des pistes d’évolution à CR. Il considère l’évolution de carrière d’une personne handicapée comme un véritable challenge personnel et collectif. Il ne peut envisager un quelconque échec. Pour cela, il souhaite développer des activités faisant appel aux compétences initiales de CR, à savoir l’informatique. CR de son côté est conscient des difficultés que pose son handicap dans l’évolution de carrière. Néanmoins, il espère devenir responsable du projet sourd au niveau national. La région Rhône–Alpes, étant la plus avancée dans cette démarche, l’expérience de CR permettrait de dupliquer cette action dans les régions où l’accueil des clients sourds n’a pas été pensé, ou n’est pas satisfaisant. Il souhaite en outre faire évoluer son activité de conseiller vers le « sinistre » en recevant une formation spéciale. 20 RESPECT 4. Zoom sur le projet MACITEL C’est entre 1984 et 1988 qu’a été créé sur Lyon le premier centre d’appel avec des non–voyants et mal–voyants. ■ le contexte Les plateformes téléphoniques régionales sont implantées sur trois sites (Vénissieux, Andrézieux, Romans) et se différencient en deux catégories principales : • les PATE, points d’accueil téléphoniques pour les appels Entrants (spécialisés sinistres ou non) • les PATS, Plateformes pour les appels Sortants, également appelées points d’accueil commercial Sur les PATE, 95% des personnes sont en contrat à durée indéterminée, dont une partie de temps partiel, et les présences sont réparties sur des plages horaires de 8h30 à 18h. Les flux d’appels sont gérés au niveau régional, ce qui permet de dispatcher les appels reçus sur les différents sites selon leur fréquence. Le site de Vénissieux emploie aujourd’hui 6 personnes handicapées, dont quatre sont non voyants ou mal voyants, sur un effectif de 55. Du fait qu’elle accueille beaucoup de jeunes qui évoluent ensuite vers d’autres postes, la plateforme se distingue par un turn over très important. ◗ Recrutement et intégration des travailleurs handicapés Le repérage des besoins de recrutement se fait en amont, au niveau de la direction régionale, en lien avec le suivi des flux d’appels. « Ce sont des choix qui nous échappent » dit CM, responsable de site. Pour le recrutement de personnes handicapées, deux étapes d’entretien sont réalisées. Une première sélection est faite par l’intermédiaire de la personne chargée de recrutement, au siège régional. Le premier entretien se fait avec cette personne, le responsable du service développement, coordinateur du Macitel en région, le Directeur RH régional. Au second entretien, on retrouve les mêmes protagonistes, accompagnés cette fois du responsable du site. Selon CM, la présentation des nouveaux aux anciens est un moment décisif. C’est le temps de l’apprentissage et de la prise en considération de la différence. À l’arrivée d’une personne handicapée, elle est accueillie par le responsable de l’équipe. C’est la personne handicapée qui choisit de divulguer ou non la nature de son handicap. Pendant longtemps, cette démarche s’est effectuée « à l’instinct ». Aujourd’hui CM apprécie le fait qu’aient été introduites des formations systématiques pour la sensibilisation des managers à la gestion de la diversité. L’équipe a désormais l’habitude de recevoir des personnes handicapées. Il n’y a donc plus les craintes du départ faisant obstacles. On peut parler d’un phénomène de banalisation de l’accueil de personnes handicapées. De plus, selon CM, la prise en charge de travailleurs handicapés développe la compétence d’ajustement de l’équipe, une compétence utile pour une équipe soumise en permanence à des variations de personnes. ◗ Les équipements informatiques utilisés pour les non voyants La MACIF détient le logiciel Pacmate qui permet aux personnes de rédiger en braille grâce à un clavier spécial. Un autre logiciel traduit automatiquement le braille en langue française. Un zoom texte est à la disposition des mal voyants pour focaliser sur une partie d’un texte et en grossir la police de caractère. Mais l’aménagement des postes informatiques pour les travailleurs mal voyants ou non voyants bute aujourd’hui sur des limites fortes. Face à la rapidité d’évolution des technologies, l’effort de traduction s’alourdit. Il est particulièrement difficile de transposer les logiques de navigation hypertexte, (notamment celles supposant de cliquer sur des images) actuellement très utilisées, pour des non voyants. 21 RESPECT ◗ Management L’organisation de la plateforme limite l’impact de l’intégration d’une personne handicapée sur le travail de l’équipe. En effet, la gestion des flux se faisant en amont, avec un dispatching automatisé entre les sites, la plateforme de Vénissieux n’est pas soumise à des normes collectives de productivité. L’intégration de personnes handicapées ne présente donc pas aux yeux de l’encadrant ni à ceux de l’équipe une prise de risque sur les résultats collectifs. Dans un collectif de travail où chacun est très autonome, elle ne nécessite pas non plus de réorganisation du travail et de la répartition des tâches. Du point de vue du manager, le suivi du travail et des objectifs fonctionnent de la même façon que pour tout salarié valide. Les objectifs généraux sont repartis selon les capacités de chacun. Comme tout salarié, les collaborateurs handicapés sont demandeurs d’objectifs. Mais leur niveau de productivité étant moins élevé qu’un salarié valide, leurs objectifs sont réduits. Cela est d’autant plus nécessaire que l’outil informatique pour les non voyants, bien qu’adapté, est moins rapide, et nécessite davantage de maintenance. Cependant, le management des salariés handicapés demande un accompagnement supplémentaire, qui exige, selon CM de la patience, de la disponibilité et de l’écoute. Les non voyants sont très demandeurs, et ont besoin d’un suivi spécifique. Le manager doit veiller à l’environnement de travail de la personne, car il est important que l’entreprise constitue un cadre rassurant pour la personne handicapée. Pour les personnes non voyantes ou mal voyantes, il faut être très vigilant sur l’aménagement de l’espace. Concrètement, l’encadrant doit s’assurer en permanence à ne pas modifier l’espace de travail et de déplacement : organisation des meubles, cartons dans les allées, afin d’éviter qu’un mal voyant ou non voyant se blesse. En conclusion, CM estime que la relation avec un travailleur handicapé est riche sur le plan humain, mais elle demande donc une forte implication du manager. C’est pourquoi, pour elle, l’embauche de personnes handicapées ne doit pas être imposée aux managers. ◗ Évolution et maintien en poste Sur la vague de recrutements initiale de mal voyants et non voyants, seules 4 personnes sont encore en poste. Ce constat renvoie à la problématique d’évolution de carrière, et également au fait que les recrutements de personnes non voyantes ont été suspendus. Lorsque c’est possible, il est proposé aux personnes handicapées des possibilités d’évolution au même titre que les salariés valides. Pour exemple, à l’entrée du site, une personne en fauteuil accueille les clients et les redirige vers les services de leur choix. Cette personne a débuté à la MACIF comme télé conseillère et a depuis évolué vers un poste d’hôtesse d’accueil. Son espace de travail a été aménagé, la porte d’entrée agrandie. Mais pour les non voyants, le problème est rendu plus difficile à résoudre du fait de l’inadaptation actuelle des postes informatiques. Lors de l’introduction du support informatique pour les postes de téléconseillers, au début des années 90, il avait été possible, avec un accompagnement individualisé dans la durée, et grâce à l’aménagement de claviers braille, de permettre aux salariés non voyants d’évoluer vers ces nouveaux postes, sans perte d’efficacité. Malheureusement, les évolutions informatiques actuelles ne sont pas aisément transposables en braille, et les non voyants ne peuvent pas conserver la même cadence de travail et la même rapidité de réponse aux clients. Aujourd’hui, compte tenu de cette situation, le service n’embauche plus de non voyant, car ce serait risquer de les mettre en échec. 22 RESPECT Conclusion générale L’expérience d’intégration de salariés handicapés à la MACIF Rhône–Alpes sur une longue période le montre bien : la chose ne va pas de soi. Elle demande en continu attention, ouverture et capacité d’innovation. ■ Les freins ne se situent pas sur le plan économique. Les surcoûts liés à l’intégration de personnes handicapées ne sont pas jugés trop importants : ils sont évalués à 30 %, mais seulement au moment de l’intégration. De plus ils sont au moins partiellement compensés. ■ L’effort demandé est ailleurs. L’intégration de travailleurs handicapés demande une énergie spécifique, qui s’oriente de manière déterminée et continue en vue de lever tous les freins et résistances qui peuvent s’y opposer. Au final la décision d’intégrer des travailleurs handicapés ne peut pas être le résultat d’un calcul, faisant la part des coûts et des gains. Il s’agit donc d’un processus, toujours en construction, jamais gagné. Le risque à ce niveau étant de « s’essouffler », risque renforcé si l’initiative n’est pas suffisamment partagée au sein de la structure. Dans le cas de la MACIF, il semble que la volonté politique a pu s’appuyer sur une cohérence «naturelle» entre le métier de l’assurance qui vise à prendre en compte le traitement des « accidents de la vie », et la capacité à en tenir compte dans le recrutement et la gestion de ressources humaines. Il serait intéressant d’observer si ce constat se vérifie dans d’autres structures où l’activité s’oriente ver les « accidents de la vie ». Une particularité identitaire vient s’y ajouter, qui a visiblement coloré l’approche retenue par la MACIF. Il s’agit du statut mutualiste tel qu’il est vécu, et encore plus fortement affiché et revendiqué dans le cadre de la reconfiguration stratégique initiée dans les années 2000. En témoigne, la récente redécision des élus, qui, malgré des circonstances de marché devenues plus difficiles, ont souhaité poursuivre la politique en faveur des salariés handicapés parce que « cela appartient à notre identité ». Au final, il apparaît que cette politique fait l’objet d’un discours extrêmement cohérent et partagé aux différents échelons de l’organisation. Il nous semble que ce constat peut s’expliquer notamment par la recherche continue de cohérence entre les valeurs et principes de la gouvernance, les actions terrain, et le management. De ce fait, la politique prend sens pour tous les salariés concernés par l’accueil des personnes handicapées, et ils peuvent s’y investir sans réserve. et comme dit l’un d’eux : « C’est une charge de travail supplémentaire mais je ne m’en plains pas. Cela solidifie les équipes, ça ouvre les gens. Cela donne un peu plus d’humanité dans le travail. » 23 RESPECT ANNEXES méthodologiques ■ Processus d’intégration ◗ Pour le cadre accueillant • Une journée formation spécialisée sur le handicap (MG3C) • Une entretien avec le DRH en anticipation • Une accès possible à un accompagnement spécialisé (avec un psychologue clinicien) ◗ Pour le cadre accueillant et la personne accueillie La définition d’un plan de formation (actions de formation spécifiques) pour le cadre et pour le « travailleur handicapé » accueilli ◗ Pour l’équipe ou le collectif de travail Une action de préparation de l’équipe de travail9 Faire en sorte que chacun soit clairement informé de ce que la personne handicapée peut, ou ne peut pas faire. ◗ La prise de fonction : prévoir un temps d’ajustement Adaptation de la durée de la période d’essai pour le travailleur handicapé, si la situation le justifie. Au démarrage, un temps d’ajustement est nécessaire, pour le travailleur handicapé lui–même, et pour les équipes qui l’accueillent. [Pour les observateurs, il apparaît que l’essentiel de la démarche d’intégration se joue au démarrage. ] ■ Écueils et difficultés (extrait étude 2004) Parmi les difficultés rencontrées : ◗ « Vindicte » dans les équipes : Il s’agit souvent de problèmes liés à une crainte de manque de performance du service ou de surcroît de travail pour les collègues du TH, voire d’effets de groupe. Cela se produit dans les services soumis à une forte pression, notamment lorsque le service est en contact direct avec la clientèle. La réponse apportée par la MACIF, outre la sensibilisation et l’accompagnement par des experts spécialisés, peut être d’affecter un personnel supplémentaire en cas de besoin. ◗ Volonté d’aide exagérée tournant à « l’assistanat » : Cela déresponsabilise le TH. La négociation d’heures spécifiques pour les collègues, conduisant à désigner un « tuteur » en vue d’aider le TH semble à cet égard devoir être écartée, comme « fausse bonne idée ». Mieux vaut éviter ce traitement d’exception et privilégier la voie hiérarchique classique pour l’accompagnement du TH. En revanche, ce qui est aidant est la capacité à mettre des moyens pour parer aux difficultés concrètes : aménagements de postes, et si besoin établissement d’un Plan Individuel de Formation privilégiant un formateur pour une seule personne. ◗ Enfin l’attitude des travailleurs handicapés eux–mêmes peut jouer : Comme ailleurs, la motivation, la capacité à positiver, l’humour, seront des puissants facteurs d’intégration. Mais à l’inverse une personne qui n’assume pas son handicap pourra échouer. Ainsi, le travailleur handicapé aura le même devoir de respect envers ses collègues le même devoir de respect que ces derniers l’ont envers lui. ■ Attitudes ressources (extrait étude 2004) Parmi les principes qui ont guidé l’action à la MACIF et favorisé sa réussite : 9. 82 Plans Individuels de Formation réalisés au cours de l’année 2004. • Attente du résultat lié au travail : même exigence de compétence pour un TH 24 RESPECT • Prise en compte des caractéristiques de la personne pour aller vers la meilleure adéquation personne/situation de travail (les aspects matériels inclus, semblent ne pas générer de difficultés) • Passage par le hiérarchique classique, quitte à devoir au départ « imposer » la règle de recruter un TH • Préservation de la liberté de la personne concernée de faire savoir (rendre publique) sa situation de handicap. En pratique, lorsque le handicap est visible, c’est inévitable. • Pas de « sauvetage » : ne pas anticiper inutilement une incapacité, un manque d’autonomie ; et selon ce principe, pas de tutorat systématique • Accompagnement des managers encadrant des TH : accès permanent à la DRH. • Dès qu’il y a une difficulté, le hiérarchique est invité à le faire savoir au service des ressources humaines, qui « prend la main », quitte à gérer une mutation de la personne concernée s’il le faut. • Prise en compte de la possibilité de l’échec : « l’échec fait partie du jeu » ■ Pour compléments voir aussi Des ressources pour l’intégration Première étude réalisée en 2004 dans le cadre du programme européen « RESPECT/ Manager les différences » Cette étude est disponible auprès du Collège Coopératif Rhône-Alpes [email protected] 25 RESPECT 2.2. Monographie Leroy-Merlin Rédaction : Christophe Everaere Cette synthèse est le fruit de plusieurs entretiens menés chez Leroy Merlin auprès de différents acteurs : ◗ Au niveau de la Direction Régionale Rhône-Alpes Centre : • Frédéric Rochaix : responsable des ressources humaines • Laurent Gabard : référent Handicap ◗ Au niveau du magasin de Bron : • Jean-François Ferrier : directeur du magasin de Bron • Daniel et Régine : deux personnes en situation de handicap ◗ Au niveau du magasin de Tassin : • Blandine Omont : responsable du personnel et des ressources humaines • Guy Dubié : directeur du magasin (entretien conjoint) • Lise Wagner (personne non voyante, affectée au standard téléphonique) Pour essayer de dépasser la simple description du cas et mettre les observations en perspective, des références à des statistiques et à quelques publications seront mentionnées dans le corps du texte. Les supports utilisés pour la présentation de cette monographie sont accessibles en sélectionnant, avec l’outil main, le lien ci-après : presentation leroy-merlin.ppt 26 RESPECT Insertion et maintien dans l’emploi des personnes handicapées Afin de rendre compte de cette monographie, nous allons procéder en deux temps. Tout d’abord une analyse globale au niveau de l’ensemble de l’entreprise pour cerner son identité, son domaine d’activité, la place occupée par la question du handicap dans la stratégie de l’entreprise, les effets de la structuration particulière de l’entreprise en réseau de magasins autonomes et une présentation des conditions de travail, en général, communes à la grande distribution de bricolage et leurs incidences sur le handicap. Puis, dans une deuxième partie, nous allons analyser la question du handicap, à l’échelle des magasins pour rendre compte à la fois des pratiques, des enjeux et des conditions nécessaires à l’intégration et au maintien dans l’emploi des personnes handicapées. IDentité de l’entreprise Cette première partie vise à présenter l’entreprise dans ses grandes traits : identité, effectif, appartenance à l’AFM (Association Famille Mulliez), domaine d’activité, positionnement concurrentiel, conditions de travail et leurs effets sur le handicap, pratiques générales en matière d’emploi des personnes handicapées à l’échelle du secteur d’activité. Nous allons également présenter la place qu’occupe le handicap dans la stratégie de l’entreprise en montrant comment le handicap constitue à la fois une préoccupation de nature « humaniste » et aussi une opportunité de nature « commerciale » en raison du nombre important de personnes – potentiellement clientes – qui présentent une diminution de capacités (notamment les personnes âgées vivant à domicile) ou un handicap. La structuration particulière de l’entreprise en réseau de magasins autonomes et répartis sur le territoire sera l’objet de la troisième partie. Ce point est important car il explique pourquoi il est nécessaire de descendre au niveau de chaque magasin pour comprendre les pratiques en matière d’emploi des personnes handicapées. Enfin, pour clore cette première partie de cadrage, nous allons insister sur les conditions de travail particulières dans ce secteur spécifique de la grande surface de bricolage (GSB). Ceci afin de comprendre le constat établi au niveau des statistiques macro-économiques et sociales selon lesquelles, globalement, le taux d’emploi des personnes handicapées est relativement moins important dans le secteur du service et du commerce que dans les autres secteurs d’activité. Leroy Merlin France est une grande entreprise qui emploie environ 17 000 personnes sur le territoire français. Mais ce n’est qu’une partie d’un ensemble plus vaste composé d’autres enseignes (Aki, Bricocenter, Bricoman, Dompro, Weldom,) réunies au sein du groupe Adeo. Les entreprises du groupe Adeo emploient 40 000 personnes et sont implantées dans 9 pays. Le domaine d’activité de Leroy Merlin est celui de la grande distribution dans le secteur particulier du bricolage. La stratégie de l’entreprise est d’être un multispécialiste de l’aménagement et de la décoration de la maison. Leroy Merlin a comme actionnaire principal depuis 1979 l’Association Famille Mulliez (AFM) dont font partie d’autres enseignes telles que le groupe Auchan, Décathlon, Boulanger, Saint Maclou, Kiabi, Norauto, Flunch, Banque Accord, etc. Le groupe Adeo, tout comme les entreprises de l’AFM, a comme 27 RESPECT particularité notoire de ne pas être coté en bourse (le groupe dispose donc d’une complète autonomie financière et stratégique). Une autre spécificité des entreprises de l’AFM est d’associer largement les salariés au capital et au résultat de l’entreprise. Le groupe Auchan, en particulier, est la propriété à hauteur de 13,5 % de ses salariés ; ce taux d’actionnariat salarié constitue un record en France pour les entreprises classiques. Leroy Merlin est aujourd’hui leader en France sur son secteur d’activité, ayant dépassé en 2004 son principal concurrent Castorama. Les données statistiques sont peu abondantes, de même que les déclarations officielles (chartes, effet d’annonce, etc.) conformément à une politique de communication globalement assez discrète et modeste. Quelques chiffres toutefois : le taux d’emploi des TH est de 2,75 % au niveau national et de 3,1 % pour la région Rhône-Alpes Centre. Le nouveau mode de calcul (depuis la loi du 10 février 2005) a contribué à dégrader ce score9 . L’entreprise connaît globalement une excellente santé : croissance à deux chiffres, leader dans son secteur, extension internationale, recrutements massifs : Leroy Merlin est le 17è recruteur français en volume (2 500 personnes recrutées par an) ; 40 % des recrutements se font à partir de candidatures spontanées. Le turnover est limité à 8 %. L’investissement en formation s’élève à 6,5 % de la masse salariale : un taux important à l’image de la politique sociale et humaine particulière des entreprises de l’AFM. Dans la rubrique « Match » qui compare deux entreprises équivalentes, le mensuel Liaisons Sociales faisait état de résultats contrastés entre Castorama et Leroy Merlin : 22 % de turnover et 4,2 % d’investissement formation pour le premier ; 8,2 % de turnover et 5,6 % d’investissement formation pour le second ; ces chiffres portant sans doute sur l’année 2002, compte tenu du moment de parution de l’article (septembre 2003)10 . La philosophie de l’entreprise Leroy Merlin en matière de politique sociale est exprimée de la façon suivante (source : site Internet de l’entreprise) : Le travail d’équipe, le goût de la performance et le professionnalisme sont les valeurs partagées qui fondent notre culture. La satisfaction du client implique l’honnêteté, la compétence, l’exigence, l’initiative et l’engagement. Notre philosophie repose sur la conviction que les Hommes constituent l’une des principales richesses de toute entreprise, c’est la raison pour laquelle chez Leroy Merlin chaque salarié est étroitement associé à la vie et au développement de son secteur, de son magasin et de son entreprise. Cette philosophie de participation s’appuie sur le triple partage du savoir, du pouvoir et de l’avoir. ◗ Le partage du savoir : l’information et 9. L’assiette de calcul des effectifs intègre désormais tous les effectifs alors qu’auparavant les effectifs correspondant à des activités incompatibles avec le handicap n’entraient pas en ligne de compte. L’autre changement dans le mode de calcul est la suppression des anciennes catégories de handicap établies par la Cotorep. développer personnellement et professionnellement. ◗ Le partage du pouvoir : se traduit par la responsabilisation, l’autonomie et l’invitation à s’exprimer sur l’avenir souhaité par l’entreprise. ◗ Le partage de l’avoir : Leroy Merlin croit au travail d’équipe et privilégie les victoires collectives. Les collaborateurs sont intéressés aux résultats de leur magasin comme à ceux de l’entreprise, à court terme et à moyen terme. En outre, ils ont la possibilité de devenir actionnaires de Leroy Merlin, en France, en Espagne et en Pologne. Cette politique de partage très dynamique favorise un état d’esprit de progrès et de travail en équipe. la formation des collaborateurs sont privilégiées pour leur permettre de se 10. S. Béchaud, « Le rayon social est moins garni à Casto qu’à Leroy Merlin », Liaisons Sociales, octobre 2003. 28 RESPECT Les commentaires de la presse concernant l’entreprise sont plutôt élogieux, comme en témoignent ces quelques extraits : leroy merlin primé au palmarès des entreprises où il fait bon travailler... pour la troisième année consécutive, leroy merlin est lauréat au palmarès des 25 « best workplaces en france » avec un prix spécial pour son management participatif. elle est la seule entreprise de distribution a être primée. notre enseigne se distingue notamment sur la participation des collaborateurs aux bénéfices (troisième place), l’accueil des nouveaux collaborateurs (troisième place) et les avantages offerts dans l’entreprise (cinquième place). deuxième prix des trophées management et compétences organisé par le magazine enjeux–les echos et le groupe de formation cegos... leroy merlin est récompensé pour ses actions innovantes de formation et de développement des compétences ! le 6 décembre 2005, leroy merlin a remporté le deuxième prix des trophées management et compétences. elle est, pour cette sixième édition, la première entreprise de grande distribution primée. ce trophée vient saluer la démarche et les actions innovantes de formation et de développement des compétences engagées par leroy merlin en 2005. « leroy merlin soigne ses salariés...» «appartenant à la famille mulliez depuis 1979, leroy merlin n’a rien à envier aux autres enseignes du groupe. après avoir détrôné castorama de sa place de leader du bricolage, leroy merlin affiche une santé presque insolente : une croissance à deux chiffres depuis vingt ans, dont 20 % sur le dernier exercice. de quoi faire pâlir d’envie les concurrents... et leurs salariés, qui regardent sûrement avec intérêt les conditions de travail réservées à leurs homologues. (...) » les echos du 27 juin 2006 p. 12 un récente enquête du figaro place le spécialiste du bricolage en 22è position des entreprises qui recrutent sur 117 entreprises interrogées, avec des volumes qui tourneront comme l’an passé autour de 2000 recrutements. ■ Une politique sociale (et commerciale) active en matière de handicap marquée par un engagement fort de la direction de Leroy Merlin France Le sujet du handicap constitue une préoccupation forte exprimée de façon explicite par la direction générale de l’entreprise et par l’ensemble des collaborateurs. Une preuve tangible de l’intérêt de l’entreprise pour le sujet du handicap réside dans le lancement en 1998 en partenariat avec Handicap International du concours intitulé « papa-bricoleur » (voir ci-dessous) destiné à aider les parents d’enfants handicapés. objectif du concours « papa–bricoleur » : la survenue d’un handicap dans une famille implique nécessairement l’aménagement de son habitat et l’acquisition d’aides techniques pour faciliter sa vie quotidienne. mais le matériel spécialisé est souvent très onéreux et les aides financières peu connues, ce qui conduit les familles à créer, innover, et à pratiquer « le système d ». C’est pourquoi, depuis 1998, Handicap International et Leroy Merlin proposent aux parents d’enfants handicapés, papas bricoleurs, mamans astucieuses, à tous les membres de la famille ainsi qu’à leurs amis, de participer au concours des Papas Bricoleurs. Un seul objectif : faire circuler, entre les familles, les idées qui améliorent la vie quotidienne des enfants. 29 RESPECT suite : objectif du concours « papa–bricoleur » : chaque année, les innovations primées en juin sont éditées dans un guide gratuit diffusé à plus de 60 000 exemplaires, disponible dans tous les magasins Leroy Merlin et sur simple demande à Handicap International. Les lauréats reçoivent des bons d’achat Leroy Merlin et des abonnements gratuits à Déclic, le magazine de la famille et du handicap, publié par Handicap International. Par ailleurs, une fondation a été créée en 2006 disposant d’un budget de 3 millions d’Euros et dont l’objectif est de contribuer à l’amélioration de l’habitat des personnes en situation de handicap et de dépendance. Les projets financés par la Fondation sont portés et accompagnés par les collaborateurs de l’entreprise. Sur le plan de l’offre produit, Leroy Merlin a construit une gamme de produits « ADAPT » qui répond à des besoins d’amélioration de l’habitat pour les personnes à capacité réduite, notamment les personnes âgées vivant à domicile, ainsi que pour les handicapés. La gamme des produits ADAPT fait partie des « combats » (sic.) de l’entreprise. Voir ci-dessous un extrait du site Internet de l’entreprise qui présente cette gamme de produits : baisse de force par manque de force, certains gestes simples de la vie quotidienne, comme ouvrir une fenêtre ou jardiner, deviennent parfois difficiles, voire impossible. notre gamme manipuler... 11. On recense, en 2005, 13,5 millions de retraités (tous régimes confondus). Source: Drees, Etudes et Résultats, n° 587, juillet 2007. 12. Sur les 38 millions de personnes en âge de travailler (15 – 64 ans), 9,2 millions déclarent avoir un problème de santé de plus de 6 mois ou un handicap (1/4) = population A (ce sont donc des clients potentiels de Leroy Merlin). Parmi ces derniers, 4,9 millions indiquent que ce problème de santé ou ce handicap limite l’accès à l’emploi, la quantité ou la nature du travail qui peut être réalisé ou encore les possibilités de déplacement entre le domicile et le lieu de travail = population B. Et seulement, 1,3 M bénéficie d’une reconnaissance officielle de leur incapacité ou invalidité = population C (source : Amira S., Meron M., 2006, « Où sont les travailleurs handicapés ? » in Triomphe A. (Dir.), Economie du Handicap, Paris, PUF, p. 103). « adapt » propose des outils plus légers, plus simples et faciles à Une étude interne intitulée « Leroy Merlin et la problématique Dépendance et Handicap » rédigée par Pascal Dreyer en janvier 2005 montre à quel point cette entreprise est sensible à l’adaptation de ses produits et services à une clientèle à mobilité réduite que ce soit en raison de l’âge ou du handicap. 92 % des directeurs de magasin interrogés dans le cadre de cette étude ont, par exemple, repéré des produits adaptés aux situations de handicap ou de mobilité réduite dans leurs rayons. 50 % des directeurs de magasin ont perçu une évolution de leur clientèle, notamment la présence croissante de seniors et de personnes handicapées. Plusieurs magasins ont adapté leurs services classiques aux demandes de leurs clients à mobilité réduite ; 10 magasins (sur 35 répondants) ont mis en place des services spécifiquement réservés aux personnes handicapées ou à mobilité réduite (accueil sur RDV, accompagnement du client à mobilité réduite dans le magasin ; centralisation de la commande en magasin). Par contre, aucun magasin ne proposait (à l’époque de l’enquête) un accueil en langue des signes pour les personnes sourdes et malentendantes. Mais des initiatives locales ont pu être mises en œuvre, à l’initiative personnelle de certains conseillers-vendeurs, pour développer une compétence particulière en matière d’accueil et de conseil à des clients handicapés (le cas du magasin de SaintEtienne a été cité). On peut constater ici qu’une sensibilité à la question du handicap, des déficiences ou des réductions de capacités, sous un angle « humaniste », n’est pas incompatible avec des préoccupations de nature plus commerciales. En effet, l’allongement de la durée de vie combinée à l’arrivée prochaine à la retraite des baby-boomers va générer une masse importante de clients en situation de capacité réduite en raison de leur âge, mais aussi en situation de disponibilité pour travailler dans la maison et bricoler en raison de leur statut de retraités11. De la même façon, le « marché » des personnes qui déclarent avoir un problème de santé de plus de six mois par an ou un handicap s’élève à près de 10 millions de personnes en France 12 . 30 RESPECT Cette sensibilité au handicap manifestée au sommet de l’entreprise trouve un écho dans les régions au niveau de la gestion des collaborateurs. Ainsi, le responsable RH de la région Rhône-Alpes Centre rencontre tous les mois les responsables RH de chacun des 12 magasins de son secteur géographique. La thématique du handicap constitue l’un des points qui est systématiquement abordé. La nomination récente, à l’échelle de la région, d’un référent Handicap, lui-même en situation de handicap, avec une expérience de conseiller de vente en magasin, constitue un indice supplémentaire de la politique active de l’entreprise en matière d’emploi des personnes handicapées. L’un des magasins du secteur, en vertu de l’autonomie qui est accordée aux directeurs locaux et de leur sensibilité relative à cette question, a même inscrit le handicap dans sa « lettre de mission », donc à un niveau stratégique. D’où l’intérêt d’aborder maintenant la structure particulière de l’entreprise qui fait de chaque magasin une unité d’action et de décision autonome. ■ Une structure décentralisée qui favorise l’adaptation et l’autonomie locale au niveau de chaque magasin, mais qui nécessite une démultiplication des efforts de sensibilisation des managers locaux à la question du handicap. L’une des raisons du succès de l’entreprise réside dans la couverture du territoire. L’unité organisationnelle de base de l’entreprise est donc le magasin (il y en a plus d’une centaine en France : 105 ayant le statut de magasin intégré et 4 le statut de franchisé). Lesquels sont implantés à proximité des grandes agglomérations13 et emploient en moyenne 130 personnes. Chacun des magasins constitue, à une échelle locale, une structure de type PME chargée d’appliquer une stratégie commune : même logo, même architecture, niveaux de prix et de qualité identiques, communication commerciale et pédagogique partagée. C’est la force d’une enseigne commune que de délivrer partout le même type de services où que soient les clients, en bénéficiant de la force d’achat d’une grande entreprise. Cependant, chacun des managers (en particulier les directeurs de magasin et les chefs de secteurs commerciaux : voir les descriptifs des métiers et des champs de responsabilité de ces deux personnages-clés des magasins ci-dessous) dispose d’une véritable autonomie pour s’adapter aux spécificités de son territoire et pour recruter ses collaborateurs : « Un des facteurs clé de succès du développement de Leroy Merlin réside dans sa capacité à adapter son concept à la réalité locale et à responsabiliser les équipes au plus près de l’action. C’est pourquoi, Leroy Merlin a choisi une organisation matricielle qui privilégie le développement de l’autonomie et la prise d’initiatives tout en favorisant l’échange, le partage d’expériences et l’optimisation des moyens » (extrait du site Internet de l’entreprise). ◗ Directeur de magasin : Patron du magasin, il est responsable de la satisfaction de ses clients, du développement de son équipe (50 à 400 collaborateurs) et de l’animation de son Comité de Direction, de la gestion et du développement commercial de son centre de profit en vrai patron de PME. Il contribue à ancrer le magasin dans l’environnement marché, économique et social. 13. Leroy Merlin aide chacun de ses clients à rêver sa maison et à la réaliser. Implantés à proximité des grandes agglomérations, les magasins Leroy Merlin sont des grandes surfaces de bricolage (9.000 m2 en moyenne) en libre service et vente assistée. Organisés autour de 5 univers (bricolage, construction, jardinage, sanitaire et décoration), ils déclinent une gamme de produits adaptée aux attentes de leurs clients… au meilleur prix. Leroy Merlin, ce sont aussi plus de 300 services adaptés dans chaque pays pour faciliter l’achat, la mise en œuvre et le suivi des projets : devis, commande, livraison, location de véhicule, service après–vente ; et aussi pose, cours de bricolage, librairies spécialisées dans certains magasins. ◗ Chef de secteur commercial : Membre – acteur du Comité de Direction de son magasin et patron de son secteur (un ou plusieurs rayons), il anime son équipe en complète autonomie (recrutement, formation...), et développe son commerce (choix des gammes, prix de vente, actions commerciales…). Il est le garant de la satisfaction du client sur son secteur. Ce qui est une force au niveau commercial (autonomie et réactivité locale pour s’adapter aux spécificités du territoire) peut constituer une difficulté quand il s’agit d’appliquer une politique commune en matière d’emploi des personnes handicapées. En effet, en vertu de l’autonomie locale des managers (directeurs de magasins et chefs de secteurs), il nous a été répété plusieurs fois que l’emploi de personnes handicapées ne pouvait pas être imposé aux responsables locaux. De la même façon, si l’obligation légale des 6 % est connue, le choix des 31 RESPECT modalités d’acquittement de cette obligation relève de la direction locale des magasins. Il faut donc démultiplier aux niveaux des responsables locaux un travail important d’information, de sensibilisation et de conviction. Or, en matière de sensibilité des managers de magasins à la question du handicap, il semble y avoir une certaine hétérogénéité. Le paramètre de la « générosité » a été plusieurs fois exprimé lors d’un des entretiens pour qualifier le profil des managers sensibles ou non à la question du handicap. L’évocation de cette notion de générosité peut surprendre lorsqu’elle est exprimée dans le contexte d’une entreprise capitaliste soumise à des obligations de performance et confrontée à une concurrence impitoyable14. Dans tous les cas, elle complexifie beaucoup l’analyse des facteurs-clés de succès de l’intégration et du maintien dans l’emploi des personnes handicapées, car cette générosité oblige à prendre en compte la psychologie ou les valeurs propres à chacun des managers de proximité. Finalement, l’analyse de « l’entreprise » Leroy Merlin nous oblige à descendre dans le cas particulier de chacun des 109 magasins qui constituent autant de structures de type PME dirigées par des patrons locaux très autonomes, lesquels respectent l’autonomie de chacun de leurs chefs de secteurs qui sont souverains en matière de recrutement. Il n’est donc pas étonnant que les écarts de taux d’emploi des TH varient beaucoup d’un magasin à l’autre. Certains dépassent le seuil des 6 %, d’autres magasins n’en ont aucun en dépit des efforts déployés localement. Aux paramètres subjectifs liés à la personnalité, aux valeurs, à la « générosité » des managers locaux, s’ajoutent aussi des paramètres plus objectifs liés en particulier à l’âge du magasin, ainsi qu’au marché de l’emploi local. Par exemple, certains magasins créés depuis moins de deux ans sont exonérés de l’obligation d’emploi de personnes handicapées. D’autres, récents également, ne sont pas encore concernés par des problématiques de maintien dans l’emploi parce qu’ils ont la chance de ne pas avoir encore subi d’accidents du travail générateurs de handicap. D’autres magasins voudraient embaucher des personnes handicapées, mais n’en trouvent pas dans leur bassin local d’emploi. Cette combinaison de facteurs subjectifs (générosité des managers) et de facteurs objectifs (date de création du magasin, disponibilité de personnes handicapées sur leur bassin d’emploi) peut contribuer à expliquer la grande variété des scores en matière d’emploi de personnes selon les magasins. Une certitude est que si la volonté des managers locaux est indispensable, elle n’est pas suffisante. Une autre certitude exprimée par le référent Handicap est que le taux d’emploi des personnes handicapées par magasin n’est pas forcément proportionnel aux efforts fournis localement par les managers locaux. En d’autres termes, la personnalité des directeurs de magasin n’explique pas tout pour comprendre les écarts de taux d’emploi des personnes handicapées. 14. Ce principe de générosité exprimé ici de façon explicite par des responsables de Leroy Merlin comme valeur forte et fondatrice de l’entreprise permet d’établir une passerelle solide et féconde avec les entreprises de l’économie sociale et solidaire. Certes, c’est plutôt le principe de solidarité qui y est revendiqué. Mais la générosité d’un côté, la solidarité de l’autre ; n’est ce pas l’indice du partage d’une certaine vision relativement concordante de l’Humain, qu’il soit collaborateur, client, actionnaire ou citoyen ? 15. On trouve plus de 50 000 références en magasin et 20 000 autres articles disponibles sur commande dans les différents domaines du bricolage, matériaux, menuiserie, décoration, outillage, revêtements, carrelage, sanitaire, plomberie, quincaillerie, peinture, luminaire, électricité et jardin (information extraite du site Internet de Leroy Merlin). Il importe maintenant de prendre en compte les conditions particulières de travail propres à la grande distribution en général et à celles du bricolage en particulier. Ceci afin d’anticiper sur l’analyse des conditions favorables ou restrictives à l’emploi des personnes handicapées, et aussi pour comprendre pourquoi au niveau macroscopique, le secteur du commerce et des services enregistre relativement moins de personnes handicapées que les autres secteurs d’activité. ■ Le commerce de détail : un métier physique… Le cœur du métier de la grande distribution est de mettre à disposition du public une gamme aussi large que possible de produits15 dans des rayons bien présentés, bien rangés, remplis, et accessibles avec des indications claires. La devise des 3 P : « plein – propre – prix » résume cet objectif. Un conseiller de vente (voir le résumé de sa fiche de fonction ci-dessous), par exemple, quel que soit son rayon, doit s’en occuper en appliquant cette devise qui nécessite des déplacements permanents, une manipulation constante de produits et exige donc des efforts phy32 RESPECT siques non négligeables. « Dans le commerce et les services, 76 % des employés de commerce disent rester longtemps debout, 57 % porter des charges lourdes et 46 % rester longtemps dans des postures pénibles »16. ◗ Conseiller de vente Il accueille, écoute, conseille et sert les clients pour répondre à leurs besoins. Il joue également un rôle dans l’élaboration des gammes, par ses remontées d’informations, et participe à la mise en valeur de son rayon. Cette double composante du travail : physique (manipulation de produits) et relationnelle (disponibilité permanente pour conseiller les clients) qui caractérise le travail en magasin est éprouvante. Les spécialistes du travail ont bien mis en évidence les exigences particulières induites par un contact avec le public : disponibilité qui oblige à interrompre souvent le travail en cours, adaptation, capacité d’improvisation, capacité d’empathie, maîtrise des interactions sociales, compétences de civilité et de communication, etc.17 Ceci peut expliquer que, selon l’un des directeurs de magasin rencontré, affecter une personne handicapée sur la surface de vente (donc le magasin) est difficile. Le cas d’un conseiller de vente handicapé qui travaille à temps plein dans son magasin (défaut de vision d’un œil) lui paraît être une exception. Pourtant, nous avons rencontré le référent Handicap pour la région Rhône-Alpes Centre qui a été conseiller de vente en magasin en rayon décoration pendant plusieurs années en dépit d’une tétraparésie. Très peu de postes dans les magasins, réservés à des fonctions essentiellement administratives en back office dans les bureaux (une dizaine sur un effectif complet moyen de 130 personnes) échappent à cette composante physique du travail et aux exigences commerciales. Les possibilités sont donc réduites d’affecter les travailleurs handicapés à des postes en back office. ■ Un métier physique… et accidentogène Sans qu’il nous ait été possible de disposer de chiffres précis à ce sujet, l’activité en magasin est source d’accidents du travail générateurs de handicap. A l’échelle de l’ensemble du secteur, la situation s’est globalement dégradée : « Les maladies professionnelles ont été multipliées par six dans la grande distribution entre 1995 et 2004. La fréquence des accidents du travail y est supérieure à l’industrie chimique et au secteur de la manutention et des transports. 85 % des salariés déclarent leur travail physiquement fatigant (contre 75 % en 1998), 40 % s’estiment stressés, et 80 % jugent la pression temporelle forte »18 . 16. N. Guignon et S. Hamon–Cholet, « Au contact avec le public, des conditions de travail particulières », Premières Informations et premières synthèses, DARES, février 2003, n° 09.3. 17. Rogard V., 2000, « La relation de service et ses implications dans la gestion des ressources humaines » in Lévy–leboyer C., Huteau M., Louche C., Rolland JP., RH : les apports de la psychologie du travail, Paris, Editions d’Organisation. 18. L. Jeanneau, « Souffrance à tous les rayons », Alternatives Economiques, n° 255, février 2007, p. 62, dans un dossier consacré à la seconde vie du taylorisme. 19. S. Amira et M. Meron, « L’emploi des travailleurs handicapés dans les établissements de 20 salariés et plus : bilan de l’année 2004 », Premières Informations et premières synthèses, DARES, janvier 2007, n° 01.1. Le handicap induit par l’activité professionnelle le plus souvent évoqué dans l’entreprise Leroy Merlin est celui généré par des problèmes de dos, en rapport avec le port et la manipulation de charges. Nous avons rencontré deux travailleurs handicapés en magasin qui ont connu leur handicap suite à un accident de travail. Perte d’un œil suite à une manipulation de tiges métalliques dans un cas ; chute d’une échelle dans le cadre d’un travail d’inventaire réalisé par une personne habituellement affectée à un travail administratif. Il convient de préciser que la culture d’entreprise engendre des affectations parfois inhabituelles pour mener à bien un travail d’inventaire qui mobilise l’ensemble des salariés des magasins, même ceux dont ce n’est pas l’affectation régulière. Cette relative variété des tâches confirme un principe important de la culture interne qui est celui de la polyvalence. Nous y reviendrons ensuite pour expliquer pourquoi cette exigence de polyvalence peut poser problème pour l’emploi de personnes handicapées dans les magasins. Cependant, au vu des statistiques macroscopiques, le secteur du commerce et des services est celui qui génère le moins de handicap à partir d’accidents du travail et de maladies professionnelles : 14 % des handicapés travaillant dans le commerce et les services le sont suite à un accident du travail et de maladies professionnelles contre 56 % dans le secteur du bâtiment, 35 % dans l’agriculture, 34 % dans les transports, 29 % dans l’industrie19. 33 RESPECT ■ La grande distribution : un secteur éprouvant en termes de disponibilité Une autre caractéristique forte de ce secteur d’activité concerne les horaires de travail. Le souci d’adaptation aux clients induit des horaires d’ouvertures extensifs (9 heures jusque 20 heures dans les magasins) ainsi que des pics d’activité en particulier le samedi20. Ces horaires sont souvent jugés contraignants pour la vie privée des collaborateurs en général ; il est donc possible que certaines déficiences exacerbent ces contraintes lorsque le handicap fragilise l’état de santé. Même si le recours au travail à temps partiel est fréquent dans la grande distribution et vivement recommandé pour les personnes handicapées, il ne suffit pas toujours pour absorber des rythmes de travail éprouvants. Les statistiques relatives aux secteurs d’activité recherchés par les demandeurs d’emploi montrent une faible attractivité du secteur tertiaire marchand : 20 % des demandeurs d’emploi (DE) handicapés manifestent une attirance pour le secteur tertiaire marchand (dont fait partie Leroy Merlin). Ce taux est identique pour les demandeurs d’emploi valides21. Alors que le secteur le plus attractif pour les deux populations de demandeurs d’emploi (handicapés et valides) est celui du tertiaire non marchand : ce secteur attirant respectivement 43 % des DE handicapés, et 46 % des DE valides. ■ Le secteur du bricolage comporte une dimension conseil plus exigeante Par rapport à la grande distribution classique, le secteur du bricolage est plus exigeant en termes de compétences requises car la vente d’un outil, d’un produit de décoration ou d’aménagement induit souvent un conseil. « Leroy Merlin c’est plus de 300 prestations pour faciliter vos achats, vous aider dans la mise en œuvre et le suivi de vos projets. Le service fait partie intégrante de notre métier » (extrait du site Internet de l’entreprise). Cette volonté de « rendre service » rend le critère du savoir-être déterminant dans les critères de recrutement et l’évaluation des compétences du personnel. Cela signifie être à l’écoute du client, tout mettre en oeuvre pour l’aider, le satisfaire, et le faire revenir dans le magasin. Etre leader de la satisfaction client constitue le premier pilier du projet d’entreprise. Pour spécifier l’importance de ce critère du savoir-être et montrer comment il constitue une composante essentielle de la culture d’entreprise Leroy Merlin, l’un des directeurs de magasins a employé l’expression « avoir le sang vert », en rapport avec la couleur du logo de l’entreprise, pour désigner telle personne, handicapée en l’occurrence, qui a cet esprit service et donc le savoir-être adéquat. 20. A l’échelle de la grande distribution, 40 % des personnes interrogées (dans le cadre d’une enquête réalisée par la Fédération patronale du commerce et de la distribution (FCD) et le Centre Interservices de santé et de médecine du travail en entreprise (CISME), dépassent les horaires normaux, et plus de 30 % ne connaissent pas leur planning au moins deux semaines à l’avance. 80 % des salariés d’hypermarchés embauchent avant 7 heures du matin et 38 % travaillent la nuit » L. Jeanneau, op. cit. p. 62. 21. « L’image de la grande distribution est peu valorisante. L’image est si négative qu’elle a souvent une répercussion directe sur une auto–dépréciation des salariés (notamment les caissiers) », A. Agathocoulos, « Grande Distribution : les conditions de travail passées au peigne fin », Travail & Changement, Anact, décembre 2002. 22. « Le chômage des personnes handicapées en décembre 2006 », publication du Ministère du Travail, des relations sociales et de la solidarité », 1er mars 2007. Ce critère du savoir-être est tellement important, et en même temps relativement rare (dans la population en général), que lorsqu’une personne handicapée fait acte de candidature, en disposant de cette compétence, elle est embauchée, même en l’absence d’affectation immédiate (propos d’une responsable RH en magasin). Les exigences induites par les relations avec la clientèle expliquent aussi pourquoi le recours à des personnes handicapées mentales sont très rares. Un seul cas nous a été relaté qui n’a pas duré. Il n’y a pas de niveau d’étude minimum requis pour être recruté en magasin. Cependant, le niveau Bac constitue un indicateur significatif du potentiel d’évolution des personnes dans l’entreprise. Ce qui ne facilite pas le recrutement de personnes handicapées. En effet, le niveau de qualification des personnes handicapées est globalement inférieur aux personnes valides : « Dans la tranche d’âge de 25 à 49 ans, une personne sur deux ayant un handicap limitant sa capacité de travail ou reconnu par l’administration ne possède aucun diplôme professionnel ou supérieur au brevet (contre 30 % pour l’ensemble de la population). La proportion de celles qui détiennent un CAP ou un BEP est proche de la moyenne, mais les bacheliers sont relativement rares : 15 % des personnes handicapées ont un niveau scolaire supérieur au égal au Bac » (Amira et Meron, 2006, p. 104). Ces statistiques rejoignent celles relatives aux demandeurs d’emploi handicapés qui sont par définition disponibles pour occuper un emploi : « Les demandeurs d’emploi handicapés ont très souvent un niveau de formation égal ou inférieur au BEP (82 %). Cette proportion est supérieure à celle des demandeurs d’emploi non handicapés (58 %) »22. 34 RESPECT Dans ce contexte de compétences rares et critiques, nous avons évoqué le recours à la cooptation qui consiste à faire de chaque collaborateur (handicapé ou non) un recruteur potentiel en puisant dans son vivier de connaissances des personnes (handicapées ou non) susceptibles d’être recrutées avec lesquelles ils partagent des valeurs ou des compétences communes. La responsable RH en magasin a signalé que cette pratique existe déjà dans l’entreprise, mais qu’elle pourrait être relancée et développée s’agissant des personnes handicapées. ■ Le secteur du commerce et des services recourt peu à l’emploi direct de travailleurs handicapés Ces caractéristiques : travail relativement physique, horaires de travail contraignants, niveau d’exigence relativement élevé, contribuent à expliquer le faible recours des entreprises du commerce et des services (en général) à l’emploi direct de personnes handicapées comme modalité d’acquittement de leurs obligations légales. Les statistiques de recours aux personnes handicapées par secteur d’activité semblent le confirmer : « Les travailleurs handicapés reconnus par la loi sont plus présents dans les établissements industriels (où ils représentent 3,2 % des effectifs) que dans les services ou le commerce (2,3 %), même à taille comparable d’établissements (Amira et Meron, p. 108). En zoomant sur les situations les plus contrastées, c’est le secteur de la construction (certes marginal en termes d’emploi des TH : 4 % des personnes handicapées y travaillent) qui recourt le plus à l’emploi direct pour remplir son obligation d’emploi : près d’un établissement sur deux n’utilise que cette modalité et un établissement sur quatre la combine avec d’autres modalités (soustraitance et/ou cotisations AGEFIPH) (Dares 2007, p. 2). En revanche, le secteur du commerce et des services (dont fait partie Leroy Merlin) se distingue par le taux le plus faible de recours à l’emploi direct (exclusif ou combiné) des TH comme mode d’acquittement de l’obligation d’emploi, alors que le tertiaire accueille 58 % des travailleurs handicapés23. Donc logiquement, c’est le secteur qui recourt le plus à la seule contribution financière (AGEFIPH) pour s’acquitter de ses obligations : 33 % contre 20 % pour les autres secteurs d’activité. La sous-traitance au secteur protégé est également la formule la moins utilisée dans le secteur du commerce et des services. A l’issue de ce cadrage général sur l’entreprise dans son ensemble, son domaine d’activité, les spécificités qui en découlent et leurs impacts sur l’employabilité des personnes handicapées, nous allons affiner l’analyse en zoomant sur les pratiques dans les magasins (même si en l’occurrence, nous avons limité notre investigation à deux magasins). Quelques leçons tirées de l’intégration et du maintien dans l’emploi des personnes handicapées chez Leroy Merlin, au niveau des magasins 23. Carrefour dont le métier est proche de celui de Leroy Merlin même si les produits vendus sont différents, se targue d’enregistrer un taux d’emploi de personnes handicapées de 6,7 % (J.C. Lewandowski, « Carrefour promeut son rayon embauche », Les Echos, n° 19466, 29 juillet 2005). Nous nous plaçons maintenant au niveau des magasins pour rendre compte des pratiques de gestion des personnes handicapées. Mais au delà de ces pratiques, notre objectif est aussi de repérer ce qui nous semble être des enseignements ou des conseils applicables à d’autres entreprises. Il s’agit également de mettre en évidence des particularités dans l’identité professionnelle et le management des personnes handicapées. Des champs de contradictions apparaissent entre des pratiques courantes en entreprise (le développement de la standardisation notamment au niveau des outils de travail, et la promotion du changement permanent) avec la population des personnes handicapées qui nécessite – parfois – une adaptation des outils à des handicaps par définition spécifiques, et qui a besoin de repères relativement stables. D’autres points émergent également qui font ressortir l’importance de nommer un(e) responsable en charge de l’insertion des personnes handicapées, l’importance aussi de disposer de méthodes adaptées à la gestion de personnes handicapées. La question du reclassement 35 RESPECT automatique des personnes concernées par des accidents du travail dans des postes administratifs est abordée, ainsi que la question en suspens de l’opportunité ou des risques à faire mention du handicap dans les fiches de postes. ■ L’aide de structures spécialisées est indispensable Les situations de handicap sont très variées et font s’entremêler des questions de « déficience / incapacité / désavantage » qu’il est difficile de bien appréhender pour des non-spécialistes du sujet24. Les représentations du handicap les plus familières sont celles du fauteuil roulant ou de la canne blanche. Cependant, le handicap recouvre une réalité bien plus large : allergies, hernies discales, asthmes, maladies invalidantes (VIH, hépatites, diabète, cancer, etc.), troubles du comportement induits par des psychoses, des TOC ou des phobies25. Le handicap n’est visible que dans 15 % des cas. Et dans plus de 80 % des cas, l’embauche de personnes handicapées ne nécessite aucun aménagement du poste de travail26 . L’impact du handicap sur les comportements et la manière dont il affecte les capacités de travail dépendent de très nombreux facteurs qu’il est difficile de connaître et d’anticiper dans leur intégralité. Par exemple, le degré d’autonomie des personnes ou leur niveau de disponibilité est très différent selon que le handicap relève d’une déficience visuelle, une déficience auditive, une déficience de motricité, une maladie ou un trouble mental, ou encore des contraintes induites par la maladie du diabète. La sensibilité des personnes est également affectée par la nature, l’origine et le moment du handicap. Par exemple, les travailleurs sourds ont tendance à former une communauté, à se retrouver entre eux en raison de leur mode spécifique de communication (langage des signes) ce qui est moins le cas pour les déficients visuels27. Il n’est pas évident de connaître toutes ces particularités qui sont spécifiques à la nature du handicap, sachant qu’elles restent d’ordre général, car des facteurs spécifiques à chaque individu peuvent déjouer la prévisibilité du diagnostic et des comportements. Le handicap lui-même peut évoluer dans ses impacts sur la santé, la disponibilité et les capacités professionnelles des personnes. De fait, de nombreux organismes existent en fonction de la nature du handicap. Aux dires de nos interlocuteurs, il est très important, pour ne pas dire indispensable, de les solliciter. Ceci à la fois pour anticiper les points de vigilance relatifs à l’intégration professionnelle des personnes en fonction de leur handicap, et aussi pour se procurer des ressources nécessaires à la gestion de ces personnes (par exemple, trouver des interprètes en langue des signes). 24. L’OMS (Organisation Mondiale de la Santé) opère une classification du handicap en trois composantes distinctes : – la déficience qui correspond à une perte de substance ou altération d’une fonction psychologique, physiologique ou anatomique ; – l’incapacité qui correspond à une réduction (résultant d’une déficience) partielle ou totale de la capacité d’accomplir une activité de façon normale – le désavantage qui est le préjudice résultant d’une déficience ou d’une incapacité et qui limite ou interdit l’accomplissement d’un rôle considéré comme normal. 25. Sur le handicap psychique, voir l’appel à projets de recherche lancés par la MIRE– DRESS en mars 2005. 26. « Recrutement : pourquoi si peu d’handicapés ? », Stratégies, n° 1403, 2 mars 2006, p. 56. 27. JL. Metzger et C. Barril, « L’insertion professionnelle des travailleurs aveugles et sourds : les paradoxes du changement technico–organisationnel », Revue Française des Affaires Sociales, n° 3, 2004. 28. URAPEDA : Union régionale des Associations de Parents d’Enfants Déficients Auditifs. La surdité a été plusieurs fois évoquée dans les entretiens, car elle concerne plusieurs expériences menées en magasin à des postes de caisse. Le référent Handicap a insisté sur les impacts psychologiques de la surdité. Selon notre interlocuteur, ce handicap est peut-être plus lourd que celui de la mal-voyance. « Le moindre malaise personnel, familial ou professionnel, peut prendre d’énormes proportions. On ne communique pas de la même manière avec une personne sourde, il faut la regarder dans les yeux, il faut articuler davantage ; ce n’est pas évident. Il faut apprendre. Et en même trouver la bonne distance : on peut avoir de la compassion, mais il ne faut pas que ce soit de la pitié ». Ces facteurs d’ordre psychologique ont été invoqués pour expliquer (en partie) les deux démissions successives de personnes malentendantes affectées en caisse dans l’un des magasins étudiés. Dans tous les cas, l’aide des structures spécialisés (l’URAPEDA28, en l’occurrence) a été indispensable pour prévenir les conditions nécessaires à l’intégration de ces personnes malentendantes, et aussi pour comprendre et accompagner, a posteriori, les raisons de leur démission. ■ Le handicap nécessite une hyper motivation à travailler ou une hyper résistance à la peine (lorsque le handicap survient suite à un accident du travail). Les rencontres avec quelques personnes handicapées salariées de Leroy Merlin nous ont fait prendre conscience d’un phénomène qui concerne la motivation exceptionnelle à travailler des personnes handicapées. La métaphore du « parcours du combattant » est souvent employée pour évoquer les difficultés d’insertion professionnelle des personnes handicapées. 36 RESPECT Pour l’une des personnes rencontrées, nous avons été surpris par l’écart entre le niveau de qualification (diplôme de niveau Bac + 5 d’interprétariat) et le poste occupé (à mi-temps) de standardiste téléphonique. Le handicap de mal voyance est invoqué en l’occurrence pour justifier l’occupation de ce poste qui ne requiert pas de qualification. On peut imaginer à quel point ce déclassement n’est pas satisfaisant pour la personne considérée. De plus, celle-ci a évoqué les difficultés objectives induites par sa cécité pour faire le trajet de son domicile au magasin (les voitures sont parfois mal garées sur les trottoirs, il lui est arrivé de se tromper de ligne de bus et d’arriver dans un territoire inconnu). Ces épreuves ne sont en rien compensées par l’argument financier puisque l’allocation handicapée incite peu à occuper un emploi. La même personne exprimait également une frustration ne pas pouvoir aider davantage ses collègues en raison d’un outil de travail (plateforme téléphonique) inadapté à son handicap. Une démarche d’adaptation de la plate-forme téléphonique est en cours dans le magasin en question. 29. Ce désir de travailler des personnes handicapées a été repéré dans d’autres études : « Il ressort des entretiens réalisés avec des personnes handicapées qu’elles travaillent d’abord pour obtenir une reconnaissance sociale, ensuite pour gagner en autonomie. Ainsi, montrer qu’elles sont aussi capables qu’une personne valide, pouvoir discuter de leurs journées de travail… sont autant d’éléments qui les motivent à exercer une activité professionnelle. « Etre comme tout le monde ; […] C’est de pouvoir dire, quand je vois des gens, de pouvoir dire, moi je fais quelque chose, moi j’ai une vie, vous avez un boulot, moi aussi, j’ai un boulot, moi aussi j’ai des collègues, je fais des choses, être un peu comme tout le monde. […] Certaines personnes devenues handicapées suite à un accident ont refusé de se voir diminuées au point de rester chez elles à ne rien faire et ont souhaité exercer une activité professionnelle dès leur sortie de l’hôpital. « Je voulais absolument retravailler, je voulais faire quelque chose parce que rester chez soi à ne rien faire, ce n’est pas possible, surtout quand on a fait une école de commerce et qu’on sait qu’on devait faire un bon boulot, etc., on n’a pas envie de rester chez soi». C. Fanjeau, « Accès à l’emploi et qualité de l’insertion professionnelle des personnes handicapées en milieu ordinaire », document d’études DARES, juin 2007, n° 126, p. 15. 30. Le repérage des produits en stocks dans les rayons ne faisait pas partie de ses attributions habituelles, mais la coutume veut que pour ces jours (ou nuit) d’inventaire, l’ensemble du personnel en magasin (administratifs compris) participe à ce travail. 31. La métaphore de la « double peine » renvoie à un principe de droit pénal selon lequel, un étranger en situation régulière commettant un crime ou un délit peut être condamné à la prison ou à la réclusion (première peine) puis à l’interdiction du territoire français, entraînant de plein droit sa reconduite à la frontière, après avoir purgé sa peine de prison ou de réclusion (deuxième peine). 32. C. Fanjeau, « Accès à l’emploi et qualité de l’insertion professionnelle des personnes handicapées en milieu ordinaire », document d’études DARES, juin 2007, n° 126, p. 15 33. E. Guillermond, « L’objectif des 6 %, ce n’est pas gagné », Liaisons Sociales, février 2007, p. 60. Et pourtant, cette personne veut travailler…29 Cela nous suggère l’idée que la motivation à occuper un emploi, pour cette personne en particulier, mais aussi pour d’autres personnes handicapées en situation comparable, doit être exceptionnelle. Ne s’agirait-il pas d’un phénomène de sur-motivation auquel les entreprises devraient être sensibles ? Le cas d’une autre personne handicapée rencontrée, à la suite d’un accident de travail cette fois, suggère un autre phénomène potentiellement difficile à supporter. Pour cette personne qui occupait un poste administratif en magasin, l’accident (chute d’une échelle) s’est produit lors d’un jour d’inventaire30. L’arrêt de travail a duré plus d’un an et les séquelles médicales ont été lourdes puisqu’elle ne peut plus supporter la station debout et le port de charges lourdes lui est interdit. La peine ressentie à l’évocation de cet accident et de ses conséquences était très perceptible lors de l’entretien. Mais elle s’est accompagnée de deux autres douleurs : celle de ne pas pouvoir retrouver son poste d’origine (avant l’accident), et celle d’avoir entendu des remarques assez blessantes du type « on m’a dit que je n’étais plus bonne à rien… ». Cette accumulation de douleurs : la perte de capacités suite à l’accident, le regret de l’ancienne affectation et les remarques blessantes, suggère l’image un peu brutale de la double, voire ici, de la triple peine31. Une fois de plus, en dépit de la rancœur exprimée, cette personne travaille, occupe un emploi (à temps plein en l’occurrence) alors que le différentiel entre son salaire et les revenus générés par l’allocation handicap dont elle pourrait bénéficier, est modeste. A ce sujet C. Fanjeau parle d’un coût engendré par le fait de travailler ! : « selon le type de handicap dont souffrent les personnes handicapées, exercer une activité professionnelle peut avoir un coût important. Les personnes handicapées reconnues aptes à l’exercice d’une activité professionnelle ne perçoivent pas l’Allocation pour Adulte Handicapé (AAH). Allocation qui est versée aux personnes handicapées sous conditions de ressources et d’incapacité. Au 1er janvier 2005, son montant a été réévalué et s’élève à 599.49 Euros (www.unapei.org) »32 . Les deux exemples de personnes rencontrées en magasin ne seraient pas isolés. « Les études et enquêtes démontrent qu’à niveau de compétences égal, les salariés handicapés font preuve d’un investissement dans le travail souvent plus important que leurs collègues valides – selon un sondage LH2 – Manpower – AGEFIPH, 93 % des entreprises qui emploient des personnes handicapées se déclarent satisfaites »33. Pour aller dans le même sens, « malgré les difficultés que pose la quantification des bénéfices et des résultats directs, les entreprises qui développent une politique déterminée de recrutement de personnes handicapées font état d’un ensemble de résultats positifs. La loyauté, la fiabilité et l’esprit de coopération figurent parmi les bénéfices engrangés qui sont considérés comme d’importance capitale pour l’efficacité des organisations et la lutte contre la fuite des 37 RESPECT cerveaux et les changements fréquents d’emploi. L’imagination créatrice, un haut niveau de productivité, une motivation accrue, et un absentéisme diminué figurent aussi parmi les facteurs mis en exergue pour leur contribution à la réussite financière des firmes »34 . Dans une problématique de maintien dans l’emploi, le directeur de l’un des magasins étudié insistait sur les efforts nécessaires pour maintenir dans l’emploi des personnes handicapées victimes d’accident du travail : « Leroy Merlin n’a pas intérêt à se séparer de ces personnes, mais au contraire à se servir de leur expérience. Leur ancienneté dans l’entreprise leur confère une culture d’entreprise inégalable ». ■ Un souci de normalisation des outils alors que chaque handicap est spécifique La pression est forte depuis longtemps pour normaliser, dans le sens standardiser, les outils de production ou de travail. Les arguments en faveur de cette uniformisation sont de réaliser des économies d’échelle en achetant un seul système en grand nombre, et aussi de faciliter la mobilité des collaborateurs puisqu’ils retrouvent des outils communs où qu’ils aillent. Ces arguments sont très convaincants d’un point de vue économique et sont largement appliqués, davantage encore sous la pression des démarches de normalisation et de certification. L’exemple des plateformes téléphoniques employées dans les magasins Leroy Merlin en est un bon exemple, elles sont standards, donc identiques, pour les raisons évoquées plus haut. Le problème est que cet outil standard ne convient pas au handicap de la cécité35. Donc la personne malvoyante qui occupe le standard le matin (elle occupe ce poste à mi-temps) ne peut pas utiliser les nombreuses applications de cette plateforme alors que l’autre personne, également handicapée en raison d’une déficience motrice peut utiliser toutes les potentialités de l’outil. Le magasin tente aujourd’hui d’adapter le standard téléphonique en mettant en place une interface en braille. 34. S. Gröschl, «L’intégration des personnes handicapées, atout sous–estimé», Les Echos, 15 juin 2006. 35. Les nouveaux standards téléphoniques ont été conçus pour être reliés avec l’informatique de sorte que les standardistes puissent décharger les conseillers de vente en magasin d’un certain nombre d’appels téléphoniques à faible valeur ajoutée (disponibilité des produits, réceptions des commandes, etc.). Donc ce travail suppose de pouvoir accéder et visualiser des informations qui apparaissent sur écran d’ordinateur. D’où le problème de cette nouvelle plateforme téléphonique pour les personnes mal voyantes dans cette entreprise. Pourtant, des non-voyants parviennent à travailler dans des centres d’appel grâce à des interfaces qui transposent les informations disponibles sur écran en informations tactiles sur un clavier braille ou en informations vocales (JL Metzger et C. Barril, op. cit. p. 69). Mais ce dispositif n’est pas employé dans le magasin Leroy Merlin en question. Du moins pour l’instant car une démarche est en cours. 36. S. Gröschl, « L’intégration des personnes handicapées, atout sous-estimé », Les Echos, 15 juin 2006, dossier spécial « L’art de l’innovation ». Un autre exemple de problème d’inadaptation d’un poste de travail standard à des handicaps, par définition, spécifiques est celui des caisses. L’expérience de l’un des magasins en matière d’affectation des personnes handicapées aux postes de caisse montre que des personnes malentendantes souffraient de relations parfois tendues avec certains clients (un problème relationnel, en l’occurrence). Alors que pour une autre personne handicapée en fauteuil roulant, le problème venait du fait qu’un minimum de mobilité est exigée pour manipuler certains produits et qu’il faut parfois aussi se contorsionner pour vérifier que tous les produits ont bien été sortis du chariot pour être posés sur le tapis roulant et être enregistrés à la caisse (un problème ergonomique dans le cas présent). Mais ici aussi, on pourrait imaginer qu’un miroir correctement placé permettrait de vérifier le contenu des chariots sans exiger de la personne (qu’elle soit handicapée ou non) un effort de contorsion. Existe-t-il une solution technique ou ergonomique à toutes les situations de handicap ? Il est difficile de répondre dans l’absolu. Par contre, une certitude est que chaque situation de handicap est spécifique. De plus, cette situation n’est pas figée, elle peut évoluer de façon positive ou négative. D’où le devoir de vigilance permanent des managers à ce sujet : « La réalité complexe que recouvre la notion de handicap, du point de vue de sa nature, de son stade d’évolution et de sa gravité, requiert que les organisations abordent chaque situation isolément et ne considèrent pas les employés handicapés comme un groupe homogène »36. ■ Le management des personnes handicapées est exigeant et génère des relations quasiment affectives Les personnes handicapées que nous avons rencontrées ont exprimé l’importance d’entretenir de bonnes relations avec les managers de proximité : « J’ai eu de la chance d’avoir à l’époque un directeur de magasin qui a été sensible à mon accident… ». La démission d’une personne handicapée malentendante a été expliquée, parmi d’autres facteurs, par un changement de responsable hiérarchique. Pour souligner l’importance de ce paramètre, notre interlocutrice (responsable RH en magasin) a expliqué que le premier manager (qui est parti) « était à fond là-dedans », sous-entendu, il était très impliqué et sensibilisé à la question du handicap. Ce qui semblait être moins le cas de son successeur. 38 RESPECT On peut effectivement comprendre que dans un contexte où le travail en luimême peut manquer d’intérêt en raison des postes peu ou pas qualifiés souvent affectés à des personnes handicapées, le paramètre de l’ambiance au travail en général, et la qualité des liens avec le responsable hiérarchique, en particulier, prend relativement, par compensation en quelque sorte, plus d’importance. Par ailleurs, si notre hypothèse de la grande motivation au travail des personnes handicapées est correcte, on peut imaginer également que ces mêmes personnes auront à cœur de bien faire leur travail, pas uniquement d’être présentes au poste, mais de réaliser le travail en faisant bien, le mieux possible, bref d’être « à la hauteur ». Or qui mieux que le manager de proximité est en mesure d’évaluer et d’apprécier le travail réalisé ? Cette importance de l’évaluation du travail réalisé et des efforts fournis peut aussi permettre de comprendre la grande sensibilité des personnes handicapées à la qualité des liens avec leur responsable hiérarchique direct. La responsable RH de l’un des magasins étudiés parlait même de « relations affectives » pour caractériser les liens entre les collaborateurs handicapés et leur responsable hiérarchique direct. Cette intrusion de l’affect, de sentiments ou d’émotions dans le management des personnes handicapées remet en cause les dogmes habituellement affirmés en matière de management canonique où l’on dit généralement que le management doit être objectif, rationnel et faire précisément abstraction des sentiments37. A défaut de trancher cette question sensible, une préconisation explicite en matière de management des personnes handicapées qui ressort d’un entretien avec une responsable RH en magasin, et qui confirme son caractère « exigeant », est que les entretiens entre les collaborateurs et leur responsable hiérarchique qui se font habituellement tous les six mois pour les salariés dits valides, devraient se faire tous les mois avec les salariés handicapés. Cela dit, pour éviter un risque de stigmatisation, même pour des salariés valides, certains managers pourraient témoigner que le besoin d’encadrement varie beaucoup d’un individu à l’autre : certains ont plus besoin que d’autres d’être encadrés, en fonction de leur personnalité, de leur ancienneté, et aussi en fonction de leur rythme personnel de progression dans l’aisance ou la capacité à occuper leur poste de travail. 37. Dans une étude consacrée aux défauts du management dans les hôpitaux, A Mucchielli voit dans le management affectif l’un des sources principales de ces dysfonctionnements (« le management hyper-affectif est une des grandes plaies des établissements de santé ») et il considère que le management affectif traduit un manque pathologique de confiance des responsables hiérarchiques (A. Mucchielli, « soigner l’hôpital » in Ph. Cabin (dir.), Les organisations. Etat des savoirs, Editions Sciences Humaines, 2005. 38. Dans le cas de l’entreprise Leroy Merlin cependant, aucune obligation n’est imposée de muter en cas de progression de carrière ou lorsqu’une certaine ancienneté est atteinte (tous les deux ans, par exemple, comme cela se pratique dans certaines entreprises). ■ Les changements peuvent perturber certaines personnes handicapées selon la nature de leur déficience Si le lien entre les managers de proximité et les personnes handicapées est critique, dans le sens « décisif », ce lien est très fragile en raison de la gestion de carrière des managers qui associe généralement la progression verticale (promotion) à la mutation (déplacement, mobilité géographique)38. Or, ces mutations (des managers en particulier) participent d’un processus généralisé de changement, et elles peuvent s’avérer problématique pour certaines personnes handicapées. Après les pratiques de management affectif semble-t-il nécessaires pour les personnes handicapées mais désapprouvées selon les dogmes officiels, on trouve ici une nouvelle remise en cause des schémas classiques. En effet, si les changements sont généralement vertueux (ou présentés comme tels) car ils sont censés résoudre un problème ou apporter une amélioration ; pour les personnes handicapées, en revanche, les changements sont généralement sources de perturbations. Le discours lancinant qui est tenu dans les entreprises est celui de la nécessaire adaptation à des changements permanents et imprévisibles. Et les entreprises attendent de leurs collaborateurs qu’ils s’y adaptent. Il n’y a plus de position acquise, les technologies évoluent en permanence, il n’y a plus de carrière à vie dans la même entreprise, les métiers évoluent, il faut accepter de s’adapter, etc. Les formations à la « conduite du changement » font florès. Certains magasins bouleversent délibérément l’emplacement de leur rayons pour casser les routines de leurs clients et les contraindre à emprunter des chemins inhabituels. C’est moins le cas dans les grandes surfaces de bricolage. 39 RESPECT Or s’il est une chose dont les personnes handicapées ont absolument besoin, quel que soit leur handicap, c’est de stabilité dans toute une série de repères notamment logistiques (apprendre à se déplacer pour une personne non voyante, par exemple), professionnels (apprendre à maîtriser une situation de travail en développant des stratégies pour compenser telle ou telle déficience) et relationnel (connaître les collègues et se faire connaître auprès d’eux, en levant un certain nombre de préjugés qui peuvent mettre du temps à être dissipés). Pour prendre un exemple emprunté aux changements problématiques d’outils pour les personnes non-voyantes : « les logiciels (pour voyants) connaissent régulièrement des modifications, des mises à jour, soit pour des raisons fonctionnelles (on fait évoluer les procédures de travail), soit pour des raisons techniques (on change de logiciel de développement, on change d’architecture) ou encore pour des raisons organisationnelles (on restructure). Mais ces évolutions, fruits de décisions stratégiques, s’effectuent le plus souvent sans prendre en compte les utilisateurs non-voyants. Aussi, à chaque changement de version, ces derniers se retrouvent dans l’impossibilité (ne serait-ce que provisoirement) de poursuivre leur activité. (…) Ces périodes sont sources d’inquiétude et de découragement »39. Mais, encore une fois, pour éviter les risques de stigmatisation, est-on sûr que les salariés valides n’éprouvent pas une certaine inquiétude et ne se découragent jamais sous la pression de changements permanents auxquels ils sont supposés devoir s’adapter ? ■ L’importance accordée au handicap doit se traduire par la nomination de responsables dédiés à cette question Les entreprises qui parviennent à des résultats sensibles en matière d’emploi de personnes handicapées ont en commun d’avoir identifié et nommé un(e) responsable en charge de cette question. C’est le cas d’entreprises bien connues telles que Total, Dassault, Thalès, Air France, SNCF, le Crédit Agricole. Rappelons les principes et les fonctions de ces responsables. « Total s’engage à créer les conditions pour que soit atteint le taux d’emploi légal de 6 %. Un responsable insertion coordonnera la déclinaison de l’accord [un accord-cadre signé avec les organisations syndicales qui prévoit une forte sensibilisation des salariés], signé pour trois ans dans l’entreprise »40. «Déployer un dispositif d’intégration des salariés handicapés et mettre en place une politique de sensibilisation est un travail de fond qui doit être structuré, pensé stratégiquement, soutenu par les dirigeants. Pour mener ce travail efficacement, nous avons recruté un pilote, une personne opiniâtre, entièrement dédiée à cette question : Marie-Noëlle Bordier »41. « En 2001, Thalès a organisé une structure spécifique « Mission insertion », partie intégrante de la DRH France. Cette entité est le centre de gravité de toutes les actions liées à l’emploi des personnes handicapées dans le groupe. Elle accueille, forme, informe, conseille. Elle est en prise directe avec les associations et tous les acteurs, qui travaillent de près ou de loin pour l’intégration »42. 39. JL Metzger et C. Barril, op. cit. p. 73. 40. Liaisons Sociales Quotidien – BREF Social – juillet-août 2006. 41. « Dassault Système s’engage en faveur de l’intégration des handicapés », Grandes Ecoles Magazines, avril 2006. 42. « Thalès : démontrer que compétence et handicap sont une réalité », Grandes Ecoles Magazines, avril 2006. 43. « L’emploi des travailleurs handicapés, une question d’étique pour Air France », Grandes Ecoles Magazines, avril 2006. 44. M. Couybes, « Laurent Thevenet : social au cœur » Etre handicap Information », n° 83, mai 2006. « A la tête du projet handicap et ressources humaines chez Air France, les missions de Catherine Millous sont de plusieurs types : chargée de veiller à l’accessibilité de l’ensemble de nos locaux, je conseille nos architectes pour qu’ils prennent en compte toutes les infirmités, non seulement motrices, mais aussi sensorielles ou encore mentales. J’assiste également nos acheteurs dans leurs rapports vis-à-vis du secteur protégé »43. « Laurent Thévenet (le nouveau responsable de la Mission centrale des travailleurs handicapés de la SNCF) s’inscrit dans la continuité des actions entreprises et cite parmi ses priorités : le respect de l’obligation légale, le suivi de l’accord, l’animation des réseaux de correspondants Handicap et de correspondants d’orientation chargés du reclassement. Mais il insiste pour dire qu’il se préoccupe également des salariés en place, handicapés ou non, pour lesquels il souhaite améliorer les conditions de travail et favoriser les facteurs humains dans l’organisation car dit-il «certains aménagements mis en place pour les salariés handicapés profitent également aux seniors et à l’ensemble du personnel »44. 40 RESPECT Ce petit verbatim est très important car il signale que si des progrès sont mis en œuvre pour faciliter l’insertion professionnelle des personnes handicapées dans leur travail, ils ne seront pas les seuls à en profiter. Pour reprendre l’un des arguments de Jérôme Adam, patron non-voyant d’Easylife45 : « Qui se souvient que la télécommande du téléviseur a été inventée pour les tétraplégiques ? ». « Comment sensibiliser tout le management de proximité à l’intégration des personnes handicapées ? Nous avons 46 correspondants handicap chargés de veiller à la mise en œuvre de l’accord et de faciliter l’intégration de ces salariés. Ils aident, par exemple, au recrutement, supervisent l’aménagement des postes »46. Chez Leroy Merlin et à l’échelle de la région Rhône-Alpes Centre, Laurent Gabard en tant que référent Handicap, constitue une personne ressource destinée à favoriser la prise en compte du handicap dans les magasins. On peut préciser que cette personne semble avoir parfaitement le profil pour remplir cette mission. Tout d’abord il a exercé le métier de conseiller de vente en magasin pendant sept ans, ce qui lui donne une bonne expérience du terrain. Par ailleurs il est lui-même handicapé (tétraparésie) depuis l’âge de 15 ans. Enfin, il fait partie du comité de pilotage de l’ADAPT depuis 2000 ; l’ADAPT étant une association pour l’insertion sociale et professionnelle des personnes handicapées47. 45. « Je suis avant tout un chef d’entreprise », témoignage paru dans « Le guide de l’emploi des personnes handicapées », AGEFIPH - Liaisons Sociales, 2007, p. 7. 46. S. Delattre, « Le Crédit agricole dope la formation de ses salariés », Liaisons Sociales, octobre 2007, p. 63. 47. Depuis plus de 75 ans, L’ADAPT s’attache à apporter le maximum de services et d’informations aux personnes handicapées en cours d’insertion ou de réinsertion sociale et/ou professionnelle. L’ADAPT essaie de répondre au mieux aux difficultés que rencontrent les personnes handicapées qui font appel à elle. Grâce à l’action de nos professionnels, mais également à travers la Semaine pour l’emploi des personnes handicapées, le réseau des Réussites ou encore les Job Datings®. (extrait du site Internet). 48. Les Etablissements ou Services d’Aide par le Travail (ESAT) qui ont succédé aux Centres d’Aide par le Travail (CAT) sont des établissements médico-sociaux. Ils permettent aux personnes handicapées qui n’ont pas acquis suffisamment d’autonomie pour travailler en milieu ordinaire, y compris en entreprise adaptée ou de façon indépendante, d’exercer une activité professionnelle dans un milieu de travail protégé, où elles bénéficient en fonction de leurs besoins, d’un suivi médico-social et éducatif (Ph. Hélis, « L’amélioration de l’employabilité des personnes handicapées », Performances, n° 34, mai-juin 2007). Il importe de rappeler que son travail n’est « que » un rôle de sensibilisation, de conseil et d’animation. En aucun cas, il ne peut imposer aux responsables hiérarchique locaux le recrutement ou le maintien dans l’emploi d’une personne handicapée. En revanche, il assiste aux réunions mensuelles animées par le responsable Ressources Humaines de toute la région Rhône-Alpes Centre. Tous les mois donc, les responsables ressources humaines des 12 magasins du territoire se retrouvent et font systématiquement un point sur le handicap dans leurs magasins respectifs. Ceci lui permet d’avoir une connaissance globale de la situation des personnes handicapées, et le cas échéant de proposer des conseils ou une assistance. Rappelons que ces responsables ressources humaines, en magasin, ont directement en charge l’objectif des 6 % de personnes handicapées par magasin. Trouver et établir des contrats avec des ESAT48 pour sous-traiter certaines activités fait intégralement partie du travail de ces responsables locaux des ressources humaines. Parmi les opérations qu’il a menées figurent une action de sensibilisation en magasin destinées à faire éprouver, ne serait-ce quelques minutes, la situation des personnes handicapées, en les invitant à se déplacer dans un fauteuil roulant ou en leur mettant un bandeau sur les yeux. Etaient conviés à participer à cette expérience aussi bien le personnel de Leroy Merlin que les clients. Que les clients soient invités à participer à cette action de sensibilisation nous semble particulièrement judicieux dans la mesure où les clients participent pleinement à la relation de service. Ils sont donc en partie co-responsables de l’échec ou du succès de l’intégration des personnes handicapées en magasin (rappelons que très peu de personnes en magasin travaillent en back office complet, sans être confrontés au clients). Des cas d’impatience, d’incompréhension ou de rejet ont été évoqués pour décrire la réaction des clients à l’endroit de personnes handicapées (conseiller de vente, hôtesses de caisse). Pour rester sur cette question essentielle des représentations, Laurent Gabard a relaté, à titre d’anecdote, la réaction d’un collaborateur qui, invité à s’asseoir dans un fauteuil roulant lors de cette journée de sensibilisation, a refusé sèchement, au prétexte que cela porte malheur… Une autre contribution du référent Handicap consiste à encourager les personnes de l’entreprise concernées par un handicap à se faire connaître et reconnaître, ceci notamment pour atteindre le taux des 6 %. Curieusement, mais cela peut aussi se comprendre en raison des formes de rejet ou de méfiance dont les personnes handicapées sont victimes, un certain nombre de personnes, par définition difficile à estimer, ne « disent » pas leur handicap ; c’est d’autant plus facile à dissimuler que le handicap est invisible dans 85 % des cas. Pour inciter les salariés de Leroy Merlin à se déclarer, le référent Handicap a participé à l’élaboration de plusieurs outils de communication dont une bande dessinée qui explique l’intérêt et les démarches nécessaires pour obtenir la reconnaissance de la qualité de travailleur handicapé. 41 RESPECT Au moment où nous l’avons rencontré, Laurent Gabard faisait état de son engagement dans un projet de signature de convention avec l’AGEFIPH qui lui tenait à cœur. Cette convention lui paraît importante car il est convaincu du poids plus important d’un engagement écrit et signé avec une structure officielle : « L’écrit formalise les engagements ; il faut rendre des comptes à des échéances précises auprès d’une structure externe capable d’évaluer et d’aider ». ■ Handicap et compétence, trouver la bonne articulation : mais c’est la compétence qui prime Si un minimum de sensibilité à la question du handicap est indispensable, il convient de ne pas tomber dans un excès inverse qui serait une forme de commisération faisant de la gestion du handicap une fin en soi. Autrement dit, le recrutement et le maintien dans l’emploi de personnes handicapées doit se faire, d’abord et avant tout, en fonction des compétences de la personne en question. L’évocation d’une entreprise citée pour afficher un label « handi accueillante » a suscité un certain agacement de la part du référent Handicap de l’entreprise Leroy Merlin. Pour ce dernier, le risque de cette démarche est de tomber dans le piège de l’entreprise « ghetto ». « On n’est pas la cour des miracles » a-t-il lâché pour signifier son hostilité à une démarche trop ostentatoire en matière de sensibilité à la question du handicap. « Il faut partir des compétences, sinon on va faire venir des personnes handicapées dont les compétences n’ont rien à voir avec celles dont l’entreprise a besoin ». Ce point de vue rejoint nettement celui d’un responsable de magasin qui affirmait que lors d’un processus de recrutement (d’une personne handicapée), il disait ne vouloir entendre parler que de compétences. L’intrusion dans le dialogue d’arguments incitatifs émis par la personne handicapée pour faire valoir que son recrutement donnerait lieu à des aides financières étant même rédhibitoire pour ce directeur de magasin. Guy Tisserant, qui dirige un cabinet conseil en formation et recrutement de salariés handicapés, confirme avec un peu plus de nuances la nécessité de donner le primat aux compétences sur les incitations induites par le handicap : « Faut-il évoquer les subventions versées aux employeurs pour l’embauche d’un collaborateur ? On peut en parler mais seulement après avoir évoqué ses compétences (…) Le candidat doit garder à l’esprit qu’il est recruté pour ses compétences et pour aucune autre raison »49. ■ Gérer des personnes handicapées requiert de la « méthode » … Un exemple de défaut de méthode évoqué est celui d’une personne handicapée employée dans le rayon sanitaire, qui a rencontré des problèmes de santé (problèmes de dos et de cœur). Le médecin du travail avait donc signé une restriction de travail spécifiant que cette personne ne pouvait pas rester debout plus de 2 heures d’affilée, et qu’elle devait donc travailler à temps partiel. Or le magasin a contourné cette contrainte de disponibilité en concentrant le temps partiel de cette personne sur deux jours de travail consécutifs. 49. Source : entretien dans 20 minutes, supplément spécial diversité et entreprise, 21 mars 2006. 50. F. Aizicovici, « Prévenir l’exclusion des salariés handicapés », Le Monde, 22 novembre 2005. Un autre aspect important est celui de la formation, ou même de la simple information des collègues de travail au sujet de l’intégration de personnes handicapées. Les craintes ou les appréhensions des collègues valides sont nombreuses (notamment la récupération des tâches que les personnes handicapées ne peuvent pas accomplir). Il convient donc de les informer et de leur expliquer la nature des compétences du nouvel arrivant et les éventuelles adaptations de l’environnement ou de la charge de travail induites par l’arrivée de la personne handicapée. L’exemple de Air France paraît de ce point vue une bonne pratique : « Pour sensibiliser son personnel, Air France propose un stage baptisé Vulcain d’une journée à l’équipe qui va accueillir un handicapé. « Les différentes formes de handicap sont présentées, puis les salariés échangent sur le sujet, expriment leurs craintes, leurs préjugés. Cela permet de recentrer le problème sur son aspect le plus important : les compétences du futur collègue »50 . 42 RESPECT Le cas de l’un des magasins étudiés, ouvert récemment, montre qu’il est possible et vivement souhaitable d’intégrer les personnes handicapées, le plus en amont possible dans le dispositif de formation des nouvelles équipes. L’expérience partagée d’une formation de plusieurs jours, loin du magasin (séjour à l’hôtel, soirées passées en commun, etc.) a permis à ce collectif d’une quinzaine de personnes dont deux personnes malentendantes, de créer des liens, de lever des préjugés, d’apprendre à se connaître et donc de souder ce collectif. De plus, ce collectif a vécu ensemble l’aventure du démarrage du magasin. Toutes ces personnes ont donc pu s’entraider dans un moment partagé de stress et d’incertitudes et ainsi, mesurer leur interdépendance et leur solidarité, au delà de la surdité des deux personnes de ce collectif. ■ Éviter la facilité du reclassement – par défaut – dans l’administratif… Un autre point de méthode concerne les règles de réaffectation des personnes handicapées dans des fonctions ou des postes administratifs, suite à un accident du travail. Règle qui s’explique selon l’un des directeurs de magasins parce que les conditions de travail y sont plus « clémentes ». Le référent Handicap déplore que le réflexe courant soit de chercher une affectation dans les services administratifs, en back office. Or, comme nous l’avons dit plus haut, les postes administratifs en back office sont rares dans les magasins (une dizaine sur un effectif complet moyen de 130 personnes). Cette pratique lui paraît regrettable à double titre. En effet, il y a à la fois une perte de compétence pour le magasin (là où se produisent généralement les accidents du travail). Et il y a aussi une forme de traumatisme supplémentaire vécu par la personne handicapée qui doit apprendre à exercer un métier complètement différent (du métier physique et relationnel en magasin, au métier purement administratif et isolé des bureaux). L’explication de cette pratique de reconversion dans les postes administratifs tient au principe de polyvalence que nous avons évoqué plus haut. L’organisation du travail en magasin est en effet conçue de telle sorte que n’importe qui est appelé à exercer un travail très varié : manipulation de produits, approvisionnement, nettoyage du rayon, mise à jour des prix, mise en valeur des produits, conseils auprès des clients, etc. Une mobilité constante est exigée dans un contexte de disponibilité totale aux clients. Or, le handicap, quel qu’il soit, est susceptible de réduire le spectre de variété des tâches que l’on attend des collaborateurs en magasin. Untel ne peut plus monter sur les échelles, tel autre ne peut plus pousser un transpalette, etc. La réaction engendrée par l’organisation est donc de type « tout ou rien ». La réduction de capacité dans l’une des tâches possibles que l’on est censé exercer produit l’exclusion complète du magasin. Or, prenant son cas personnel, le référent Handicap admettait que certes, compte tenu de son handicap il ne pouvait plus manipuler de palettes, ni grimper sur des échelles, mais il pouvait toujours donner des conseils aux clients, assurer des commandes, réaliser des calculs de surface, vendre des produits, etc. On en revient donc à la nécessité, mais aussi la difficulté, de faire du sur-mesure, c’est-à-dire d’adapter la charge de travail au handicap spécifique de chacun. Ceci suppose un connaissance détaillée des compétences de la personne, de repérer les tâches que celle-ci ne peut pas ou ne peut plus réaliser en raison de son handicap, et à adapter la charge de travail en conséquence pour préserver au maximum la compétence initiale. Cette solution est certes plus compliquée que la reconversion – par défaut – de la personne handicapée dans l’administratif. Solution qui ne satisfait ni les managers (que faire de cette personne dans un poste qui lui est complètement inconnu ?) ni les personnes handicapées qui ne sont plus en situation d’exercer leur compétence. ■ Prédéfinir les champs de compatibilité des postes de travail en fonction des handicaps : les avis divergent Pour rester dans cette problématique de méthode d’intégration ou de maintien dans l’emploi des personnes handicapées, nous avons voulu soumettre au référent Handicap l’intérêt de prévoir au stade même de l’élaboration des fiches de postes, les handicaps qui seraient incompatibles avec la tenue des postes en question. 43 RESPECT Notre interlocuteur confirme que la tentation existe d’aboutir à ce type de démarche. Mais il s’y oppose car il y voit un risque d’automatiser les procédures de sélection des personnes, alors que le handicap requiert fondamentalement une approche réfléchie au cas par cas. « Automatiser ou faire des cases empêche de réfléchir… ». Ce point de vue rejoint celui de Guy Tisserant qui considère que la définition de poste a priori est un non sens : « En matière d’emploi des personnes handicapées, le bon sens apparent n’est pas toujours le meilleur allié du recruteur. Croyant bien faire, beaucoup d’entreprises s’attachent à définir des postes de travail en fonction d’une hypothétique adéquation avec tel ou tel handicap. C’est une erreur car cela ne fait que limiter encore le nombre de candidats potentiels sur un marché qui est déjà extrêmement restreint. Cela revient aussi à considérer que le poste proposé est immuable alors que l’entreprise est en mouvement. Enfin, c’est méconnaître toutes les modalités de compensation qui pourraient être envisagées. Au final, cela ne fait que renforcer la vision stéréotypée du handicap et des réflexes de clonage. Il est plus pertinent de s’inscrire dans une logique d’ouverture au cas par cas »51. Pourtant des entreprises tentent de formaliser le recrutement des personnes handicapées en identifiant a priori les contre-indications en termes de handicap dans les fiches de poste : « Carrard services (société de nettoyage industriel qui emploient 250 personnes handicapées, soit 5 % de ses effectifs) a créé une fiche handicap qui fait le parallèle entre le type de poste (matériel utilisé, cadences, postures), les contre-indications médicales et les handicaps compatibles. Conforama, qui emploie 260 personnes handicapées, a réalisé en partenariat avec l’AGEFIPH, Cap Emploi et l’Opcareg une cartographie des emplois pour identifier les incompatibilités et les aménagements de postes nécessaires » 52. En conclusion En dépit d’un contexte assez difficile (métier physique et exigeant en termes de disponibilité et de savoir-être requis), l’entreprise parvient à des résultats. Certes le taux des 6 % n’est pas atteint dans tous les magasins. Mais on a vu que si la volonté de la direction, partagée par les collaborateurs, ainsi que l’allocation des moyens correspondants sont fondamentales, tout autant que les efforts quotidiens des managers locaux pour mettre en œuvre cette intention, il ne faut pas oublier le contexte économique et social des magasins. L’entreprise ne peut pas « décréter » la présence et la disponibilité de personnes handicapées compétentes pour occuper les emplois disponibles dans le bassin d’emploi des magasins. Une autre dimension essentielle que l’entreprise ne maîtrise pas est celle des représentations. Quand un client manque de patience à l’endroit d’un collaborateur handicapé ou qu’une personne refuse de s’asseoir dans un fauteuil roulant sous prétexte que cela porte malheur, cela montre aussi à quel point l’entreprise ne peut pas résoudre, à elle seule, cette question déterminante des préjugés que l’on peut tous avoir en face de la diversité en général et de celle du handicap en particulier. Or cette question de la représentation dans l’acceptation et la possibilité de « gérer » des personnes handicapées en entreprise est déterminante. Ce chantier de l’intégration et de l’emploi des personnes handicapées est donc aussi une affaire de « société ». A titre de citoyens, de clients, de collaborateurs, etc. chacun d’entre nous a un rôle à jouer. 51. Témoignage de Guy Tisserant (consultant TH Conseil) dans « Le guide de l’emploi des personnes handicapées », AGEFIPH - Liaisons Sociales, 2007, p. 15. 52. S. Delattre, « Des initiatives encourageantes dans l’entreprise » in Dossier Handicap, l’emploi toujours à la traîne, Liaisons Sociales Compte tenu des effets de la loi en vigueur (cf. pénalités pour manquement à l’obligation d’emploi de personnes handicapées), et aussi, dans certains cas, des difficultés de recrutement de personnes compétentes et désireuses de travailler dans certains secteurs jugés peu attractifs, les enjeux de l’intégration et du maintien dans l’emploi de personnes handicapées iront croissants. Le défi est de taille pour faire du « cas par cas » et « prendre le temps… » ; alors que la logique dominante, inspirée par une recherche de productivité et d’économie d’échelle, incite plutôt à des solutions rapides, toute faites, « clés en main », standardisées et uniformes. Au contraire, chaque handicap est spé44 RESPECT cifique, et encore plus dans ses conséquences sur l’exercice d’un métier ou le déploiement d’une compétence dans un contexte professionnel précis. Le choix d’une entreprise du secteur capitaliste classique comme Leroy Merlin pour inspirer les entreprises du secteur de l’économie sociale et solidaire était risqué et peut continuer à faire débat. Mais nous sommes persuadés que des enrichissements mutuels sont possibles et féconds. Nous en voulons pour preuve les passerelles possibles entre la notion de générosité mise en avant chez Leroy Merlin comme trait de personnalité nécessaire chez les managers de proximité ; et la notion de solidarité comme valeur cardinale des entreprises de l’économie sociale et solidaire. 45 RESPECT 2.3. Présentation de la politique du handicap EDF/GDF Bernard Pichon, Mission Insertion des Personnes Handicapées, Rhône-Alpes-Auvergne Les supports utilisés pour la présentation de cette monographie sont accessibles en sélectionnant, avec l’outil main, le lien ci-après : presentation EDF-GDF.ppt 46 RESPECT 3. Maintien et intégration dans l’emploi : Facteurs clés de succès Nous souhaitons compléter les monographies et présentation précédentes, par la note de compte rendu d’une réunion d’ Experts tenue à l’initiative du groupe de pilotage le 24 mai 2007, en amont du travail d’investigation à proprement parler, afin : • d’enrichir notre connaissance des données contextuelles (données de cadrage), • d’enrichir notre connaissance des ressources de tous ordres, y compris des pratiques et outils, • d’affiner notre méthode d’investigation, • de préparer notre stratégie de diffusion. Ce compte rendu comprend deux parties. Une première partie qui présente des points de vigilance pour la conduite et l’analyse des investigations à venir ; une seconde, qui propose, en guise de synthèse des apports, quelques enseignements marquants. 1. Points de vigilance pour les investigations à venir ☛ Une analyse de données statistiques, à partir de seuls chiffres globaux ou moyens, peut polluer la compréhension des caractéristiques de la population handicapée. Ce type d’analyse a tendance à donner du Travailleur Handicapé un portrait caricatural de ce type : ◗ Le « travailleur handicapé » est un homme, plutôt âgé et de faible niveau de formation et de qualification. ➜ Prudence d’usage dans le traitement de ces données, notamment en détaillant et en délimitant au mieux. ☛ Faire attention aux « à priori » : une entreprise dont le taux est de seulement 2% peut faire plus d’effort qu’une entreprise dont le taux dépasse les 6%, et ce, parce que certaines entreprises « fabriquent » énormément de TH (tâches susceptibles de provoquées des maladies professionnelles, postes de travail mal adaptés, etc.). ➜ L’analyse doit tenter de saisir les flux. 2. Enseignements marquants Nous proposons dans les tableaux qui suivent, une présentation synthétique des apports donnés à partir de la question guide suivante : « Pourriez-vous nous exposer, à vos yeux, ce qui constitue des facteurs clés de succès (ou d’échec) des politiques et pratiques visant le maintien et l’intégration dans l’emploi (milieu ordinaire) de personnes en situation de handicap; politique et pratiques développées, observées, analysées… ? ». 47 RESPECT Facteurs clés de succès / Leviers Facteurs d’échec / Freins La représentation du handicap (frein déterminant) • Le handicap fait l’objet de beaucoup de stéréotypes et de préjugés de la part de tous. Le monde du travail, dans lequel l’idéal de normalité tient une place prépondérante (l’employabilité d’une personne se mesure de plus en plus à sa capacité d’être mobile, à son efficacité, etc.) rappelle qu’une démarche d’intégration passe d’abord par la lutte contre tous les « clichés et images, qui polluent la compréhension » et qui « omettent une partie de la réalité ». Ex : les travailleurs handicapés sont généralement âgés. Ce cliché évacue la réalité suivante : le handicap survient souvent en cours de vie professionnelle. La formation et son accès • Depuis 2 ans, le budget en formation des ASSEDIC et de l’ANPE a largement diminué. ☛ Beaucoup de TH se sont retirés de l’ANPE. • Cependant, des efforts notables ont été faits à ce niveau pour les TH, notamment avec le nouveau dispositif (2006) Agefiph « Handicompétence » (opération destinée à répondre aux besoins de préparation à l’emploi, de formation et de qualification des personnes handicapées). • D’autre part, les ASSEDIC financent principalement des formations aux « métiers sous tensions », pas toujours appropriés aux situations de handicap des personnes. L’origine du handicap • Le handicapé de naissance bénéficie d’un « background institutionnel » qui le place dans un processus d’inclusion sociale, contrairement à une personne dont le handicap survient au cours de sa vie. La survenance du handicap, qui n’arrive pas seulement en fin de vie professionnelle. L’usure au travail ou l’AT… arrivant souvent dès l’âge de 30 ans. L’âge • Cependant, l’effort de formation (plan de formation) peut-être considéré comme un levier à la gestion des âges. • Pour les demandeurs d’emploi de plus de 50 ans reconnus TH, l’espérance de retrouver un emploi est très faible (5 fois plus faible que pour les personnes de plus de 50 ans qui n’ont pas de handicap). Pourtant, ces personnes ont très souvent une réelle envie de travailler, ne serait-ce que pour disposer d’un revenu décent. 48 RESPECT Le projet politique de l’entreprise Facteurs clés de succès / Leviers Facteurs d’échec / Freins • Affirmation dans le projet politique de l’entreprise d’une volonté de maintien et d’intégration et considération du dialogue social comme une condition de mise en œuvre d’une politique d’insertion TH. • Si les entreprises n’ont pas un projet socio-économique qui inclut la question du handicap, cette question ne sera jamais soulevée. • Mise en place d’un plan d’action cohérent (cf. accords d’entreprise) soucieux de pédagogie. – Nécessité d’une allocation de moyens correspondants – Nécessité de la constance dans l’action – Importance de viser : le partage des objectifs à tous les niveaux d’encadrement, l’implication de l’environnement de travail direct des travailleurs handicapés La « roue vertueuse » de l’expérimentation/ l’apprentissage • Ou la saisie des moments opportuns. Exemple de moment opportun : celui d’une collectivité territoriale qui, sous l’impulsion des dispositions de la loi de 2005, se met en marche sur les questions du maintien et de l’intégration des personnes en situation de handicap. Elle ouvre le cycle opérationnel suivant : diagnostic, concertation, mise en place d’expériences pionnières qui marchent... et ces premières étapes constituent de fait un point d’appui pour élargir et ancrer l’action initiée. La procédure de maintien dans l’emploi • Pour que l’entreprise envisage une procédure de maintien dans l’emploi, il faut que le salarié soit reconnu inapte à l’emploi par le médecin du travail. Sans ça, l’entreprise ne bénéficie d’aucune aide de l’Agefiph pour maintenir la personne dans l’emploi. • Les délais légaux trop contraignants de la procédure (2 examens médicaux espacés de 2 semaines) rendent difficiles la capacité des entreprises à anticiper des actions de reclassement ou de maintien dans l’emploi. Le risque associé à ses délais trop lourds est de voir les déclarations d’inaptitude se solder par un licenciement. L’obligation d’emploi, argument incitatif • L’argument financier peut convaincre certaines structures (pouvoirs publics, PME, etc.) qu’il est plus intéressant pour elles d’intégrer en leur sein un travailleur handicapé plutôt que de s’acquitter de la taxe. • Cependant, l’argument financier ne permet pas d’inciter un certain nombre de grandes entreprises, qui ne veulent même pas entendre parler de l’obligation d’emploi. Ces entreprises ont assimilé la contribution volontaire à l’Agefiph comme une charge sociale. 49 RESPECT Facteurs clés de succès / Leviers L’intérêt d’une approche pluridisciplinaire Facteurs d’échec / Freins • Les questions des restrictions d’aptitudes sont très rarement maîtrisées par les entreprises. L’employeur doit veiller à se doter d’une vision pluridisciplinaire de la problématique de l’intégration en s’appuyant sur des points de vue de médecins du travail, d’ergothérapeutes, etc. (idée de démédicalisation) 3. Pour élargir La séance de recueil de points de vue des experts amène à faire le lien entre la problématique de l’intégration et du maintien dans l’emploi de personnes handicapées et des thématiques plus générales auxquelles il a plusieurs fois été fait référence. • La question du temps (anticipation : restriction d’aptitudes) et de l’articulation vie privée / vie professionnelle • La question du passage au droit commun des personnes handicapées (accès à la formation) • La question des relations sociales au sein de l’entreprise • La question de la santé au travail 50 RESPECT 4. Pistes pour demain Nous choisissons ici de reprendre la totalité des phrases des participants à la journée de présentation du 20 décembre 2007, comme matériau de base pour les prochains plans d’action. Un matériau à travailler pour progresser. Qu’est-ce que vous avez appris ? 1. Respect de la personne humaine 2. Nécessité de valeurs « humanisantes » au sein de l’entreprise 3. Conscientisation commune au personnel et à la hiérarchie de l’intérêt d’ouvrer sur cette thématique 4. Investissement 5. Volonté de la direction, volonté de l’entreprise 6. Favoriser l’ouverture de tous dans l’entreprise 7. Pour faciliter l’intégration, sensibiliser les acteurs de l’entreprise 8. Former sur la diversité du handicap 9. Diversité, invisibilité du handicap 10. Processus d’intégration au jour le jour, politique des petits pas 11. Travail adapté 12. Vivier de TH, écart entre le vivier de TH et les « compétences » demandées, difficulté de trouver des personnes en situation de handicap avec les compétences attendues 13. Adaptation des postes de travail de l’entreprise 14. La volonté des entreprises d’évoluer sur le sujet du handicap : embauche du personnel 15. Changer les pratiques de recrutement 16. Parcours du combattant 17. Différence selon nature du handicap et intégration en entreprise 18. Lisibilité des contrats 19. Expliquer et former Que souhaiteriez-vous approfondir, quelles ressources vous seraient utiles ? 1. Expliquer et former 2. Un accompagnement personnalisé 3. Dialoguer avec sa direction 4. Nous ne sommes pas seuls, impliquons nos collègues 5. Adaptations aux besoins du marché (métiers) 6. Formation dès le plus jeune âge 7. Développer la formation professionnelle : contrat d’apprentissage, contrat professionnalisation, 8. Former les TH pour un emploi futur 9. Levier du contrat de professionnalisation 10. Formations 11. Elargir la problématique du maintien à la santé au travail 12. Travail ou activité 13. Informer afin de changer toutes les idées reçues sur les handicapés 14. Développer la formation des personnes en situation de handicap : sensibilisation handicap, handicap n’est pas la personne, handicap = situation 15. Informations des équipes à la problématique du handicap 16. Intégrer avec l’équipe 17. Sensibiliser le public ordinaire = lever les peurs de l’inconnu ou du méconnu 18. Le levier de la formation Métiers 19. De l’utilité du travail de chaque personne 51 RESPECT Qu’est-ce que vous avez appris ? 1. Avoir souligné le rôle-clé des managers de proximité 2. Idem, l’impulsion indispensable (mais non suffisante) de la haute direction 3. Attention aux écarts possibles entre ceux qui décident d’intégrer er ceux qui mettent en œuvre 4. Importance du temps découvrir les problèmes au fil de l’eau, maintenir les efforts 5. Attention à la tolérance des collègues / (in)égalités de traitement : charges de travail, rythmes 6. Attention aux cloisonnements inter- institutions (emploi des TH), barrages ? 7. Bienfaits de l’effet « Réseaux » , ESS « + perméables » ? 8. Attention au manque de regard sur passerelles milieux protégés milieux ordinaires 9. Point positif : les ESAT deviennent des partenaires positifs grâce à la loi 10. S’agit-il de manager des handicapés ou des personnes qui sont handicapées ? 11. Volonté des dirigeants, implication des salariés, méthodologies existantes sur lesquelles s’appuyer 12. Le travailleur handicapé ne se limite pas à l’aménagement de son poste de travail 13. Peu de commentaires sur l’intégration des personnes déficientes intellectuelles 14. Rentrer dans la logique entreprise, faire du lien entre associations et entreprises Que souhaiteriez-vous approfondir, quelles ressources vous seraient utiles ? 1. Le levier (majeur) de la prévention et du maintien de la santé au travail 2. La formation et l’accompagnement sont indispensables 3. Formation & information 4. Négocier un « DIF » différent adapté aux personnes handicapées 5. Avoir plus de temps pour échanger et capitaliser 6. Mobiliser les plateformes de vocation / habiletés 7. Se « greffer » à des lieux et moments de rencontre pour diffuser - Veille, événements 8. La cooptation ? 9. Centraliser et vulgariser les bases de données existantes 10. Quels sont les interlocuteurs privilégies des entreprises et des associations 11. Créer ou renforcer des moyens pour inciter et accompagner les entreprises de l’ESS 12. Un engagement national du CEGES et de la CN CRESS ? 13. Arriver à sensibiliser les petites organisations 14. Valeurs de l’ESS et intégration des personnes en situation de handicap 15. Convaincre les responsables : chefs d’entreprise, administration ou administrateurs, ressources humaines 16. Référence à l’insertion des personnes handicapées etc… dans la Charte de l’ESS 17. Prolonger cette formation pour maintenir la pression 18. Temps de rencontre pour échanger et avancer ensemble 19. Témoignages à plus grande échelle qui englobe également les difficultés (moyens) éducation/ formation 20. Développer les témoignages d’employeurs et de salariés 21. Diffusion des « études de cas » – Ressources en ligne 52 RESPECT Qu’est-ce que vous avez appris ? 1. Comment encadrer le handicap en entreprise ? 2. Handicap et diversité ? 3. Education à la différence 4. Comment faire le lien ESAT-Entreprise ? 5. La nécessité de « durer » dans l’action 6. Le statut de l’entreprise ne fait pas beaucoup de différences 7. Nécessité d’une incitation 8.Sensibilisation, information – Richesse de la diversité – Formation 9. Esat = Accompagnement en entreprise 10. Les volontés des dirigeants ne suffisent pas à l’intégration des TH. Le projet doit être porté par les équipes de terrain 11. Rôles des cadres – 2 entreprises exemplaires et performantes – Cloisonnement 12. (La personne), le salarié se résume-t-il à son handicap ? Le qualifie-t-il ? 13. Se poser la question de la compétition 14. Fonder et refonder le sens de ce souci d’autrui en interne et en externe 15. Management des situations de handicap 16. Difficultés d’intégration en général 17. Pauvreté de l’intégration des handicapés intellectuels 18. Danger de la dérive d’actions vers les ressources et terrains des associations d’insertion 19. Besoin d’échanges, de partage d’expériences entre entreprises 20. Maintien dans l’emploi, solution peu évoquée 21. Nécessité d’une politique soutenue /portée par la DRH Que souhaiteriez-vous approfondir, quelles ressources vous seraient utiles ? 1. Assumer une fonction d’observatoire pour avoir des données chiffrées et poser, reposer cette problématique 2. Intégration pédagogique : formation cadres, enseignants et formateurs 3. Réalisation d’un mini-diagnostic avant toute mise en place d’une politique TH, par un cabinet conseil plutôt qu’en interne. 4. Intégrer la problématique « handicap » dans une réflexion globale sur la santé au travail 5. Intégrer la question « TH » dans les outils d’évaluation : bilan sociétal ? RSE ? Révision Coopérative ? 6. Accompagnement et pas seulement financement par AGEFIPH, OETH, pour l’insertion des TH 7. Les ESAT = un outil d’accompagnement pour l’insertion 8. Club d’entreprises TH 53 RESPECT