"Le créole est-il une langue en exil dans son propre

Transcription

"Le créole est-il une langue en exil dans son propre
"Le créole est-il une langue en exil dans
son propre chez soi ?
Non… !
L'exemple de Marie-Galante" !
Par Bernard LECLAIRE, poète-écrivain
marie-galantais
Avant de commencer cette intervention, je dois vous avouer que je
l’aborde dans l’esprit d’un échange fraternel, d’autant plus que lorsque je
suis en Martinique je me sens chez moi. Avant d’aller plus loin
néanmoins, permettez-moi de remercier les organisateurs de cette
manifestation. D’abord « Tous Créoles » qui fait un travail remarquable
et remarqué sur notre « créolitude » ainsi que mon Éditeur, Monsieur
Jean-Benoît DESNEL, qui, dès nos premières rencontres, a cru en moi.
C’est aussi une immense joie pour moi de partager cet instant avec
une assistance pour qui notre part de créolité constitue un pan
primordial de notre quête identitaire !
Il m’est demandé ici d’examiner la question du créole à travers une
problématique, ô combien complexe ! Et pour cause, puisqu’il s’agit de
son statut sociolinguistique dans nos espaces historiques et
géographiques qui sont précisément les espaces natifs de la langue et de
la culture créoles.
La problématique est ainsi formulée : Le créole est-il une langue en
exil dans son propre chez soi ? En d’autres termes, la langue créole a-telle, chez nous, un statut de « langue paria » (si je puis me permettre
cette apposition quelque peu audacieuse) ?
Ma communication va se structurer autour de quelques questions
rhétoriques auxquelles j’essaierai d’apporter les réponses les plus claires
et qui me semblent les plus justes possibles. Bien entendu, nul n’étant
titulaire de la science infuse et l’histoire de l’humanité étant là pour
témoigner que, même dans le domaine des sciences exactes, la réalité
est d’une telle densité et d’une telle complexité qu’elle échappe toujours
au Logos, je dois avouer que j’aborde cette question avec une certaine
humilité.
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Toutefois en tant qu’écrivain, et surtout en tant qu’écrivain antillais
et donc créole, je considère que mon expérience de créateur est, d’une
certaine manière, exemplaire de cette civilisation et de cette culture qui
irriguent et enrichissent mon expérience scripturale et romanesque.
Ma première interrogation sera celle-là :
Qu’est-ce que le créole ? D’où sort-il et pourquoi existe-t-il ?
Existe-t-il aussi un ou plusieurs créoles ?
L’homme n’est pas un solitaire, il est avant tout un animal qui vit en
collectivité et par essence dans une structure sociale élaborée. Vivre
ensemble exige de nous une qualité fondamentale, c’est notre capacité à
communiquer.
Les esclaves venant d’Afrique disposaient déjà de leurs moyens de
communications langagiers ! L’Afrique noire est un vaste continent –
d’un coin à l’autre, les langues – les coutumes – les rites … les cultures
changent et parfois de manière considérable !
Ne voilà t-il pas que, tous ces hommes, unis certes par un même
continent et une même couleur de peau se retrouvaient dans une
cargaison commune, mais privés des moyens de communiquer les uns
avec les autres !
On pourrait sans se tromper, affirmer que dès ce moment
s’enclenchait déjà, de par la situation imposée, le mécanisme propice à
l’élaboration d’une langue – d’un langage - d’un patois ! Autrement dit, le
créole qui allait permettre à tous ces hommes « démoulés »,
déshumanisés dans le laminoir esclavagiste de communiquer, de se
comprendre, de rêver, et de se battre pour exister, et pour cela de
fonder une culture et de combattre l’entreprise de deshumanisation à
laquelle ils étaient confrontés !
Il aura fallu beaucoup de temps pour favoriser l’émergence de la
langue et de la culture créoles, puisque ces deux processus, qui sont
concomitants, s’accompagnent toujours, et pour cause ! De
l’appropriation de l’espace et de l’univers de la terre d’accueil. Mais dès
l’arrivée des premiers bateaux négriers en 1665, on assistait ipso facto
aux balbutiements d’un langage plus ou moins inefficace qui allait
inévitablement se perfectionner et s’imposer comme une réalité de
communication, de vie et surtout de survie dans l’univers clos qui
constituait désormais le quotidien des expatriés de la terre originelle !
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La multitude de langues africaines allait, à plus ou moins court terme
péricliter puisque le maître, dès le départ, avait interdit l’utilisation de ces
résonances hermétiques.
Il est compréhensible que dès lors, les esclaves ne pouvaient pas – ne
pouvaient plus, s’approprier les langues terroirs, ils allaient par obligation
se mettre à capter et à comprendre, bon gré malgré, la langue du
maître ! Ils n’avaient pas le choix sinon de mourir et de disparaître à
jamais !
Le maître lui aussi est condamné à communiquer avec les esclaves
pour leur donner des ordres plus ou moins complexes…
C’est la fameuse dialectique du maître et de l’esclave. Le maître est
un élément de la créolisation, puisqu’il est lui aussi prisonnier de l’enfer
colonial et esclavagiste, comme l’a montré Césaire dans "Une Tempête"
et Shakespeare avant lui.
La malédiction coloniale ne frappa pas que les esclaves. Le créole ne
concerne pas que la langue, mais aussi la culture, car la langue n’existe
pas que pour elle-même mais pour véhiculer une culture et une vision du
monde !
Non seulement, il fallait prendre en unique référence le français
comme la langue obligatoire, mais plus important encore, il fallait
embrasser la culture – la religion – les rites et coutumes françaises en
délaissant totalement tout ce qui pouvait relever d’une certaine
africanité !
Nous pouvons aisément dire par déduction, que partout où il y eut
un apport de bras pour la rentabilité – pour les travaux forcés - pour la
construction de la richesse et du capital en général,
il y eut
simultanément une dynamique ou une mécanique de création d’un
« créole » et d’une « créolisation » inéluctable !
La Caraïbe renfermerait alors dans cette mouvance des formes de
créole avec une domination anglophone – hispanophone – néerlandaise
etc. …. en fonction de la domination du pays colonisateur. Ainsi, on peut
affirmer qu’il existe plusieurs créoles qui traduisent en même temps,
l’influence initiale et dominatrice des pays exploitants. Ceci est un fait !
Pour ce qui est du nôtre, c'est-à-dire de notre « créole », on peut
aisément remarquer qu’il est à 90% constitué de consonances et de
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résonances lexicales ressortissant à la langue française, bien que la
syntaxe soit plus problématique à définir, puisqu’elle semble provenir
pour partie des langues africaines, de la langue française et
probablement d’un compromis psychologique ou, à tout le moins mental
entre la langue française et les langues africaines.
Les esclaves n’ayant pas droit à l’alphabétisation devaient
essentiellement se contenter de répéter quelques mots qui devenaient
une espèce de verlan du français où les articles étaient
systématiquement rejetés après les noms et en féminisant toutes
« choses » appelées ou nommées par simplification !
Exemples : Chaise-la – table-la – chien-la etc. … On a connu aussi le
oui Moussié et le oui Madanm !
Après 1848, pourquoi nos parents ont-ils voulu nous faire
taire notre créole ? La période de « singification » !
Dès le début du XIXème siècle, nous pouvons penser que le langage
créole était déjà entré dans la tradition orale de tous les esclaves. Nous
avons préalablement affirmé que ce créole en devenir et en mouvance
dans son essence s’était constituée sur les bases du français mais
certains mots d’origine africaine ont aussi résisté et font aujourd‘hui
encore toute la beauté de la langue. (Exemple du Grap a Kongo célébré
tous les premiers novembre en Guadeloupe par la famille Masembo).
Les esclaves ont perpétué leurs rites et coutumes après les avoir
coulés dans le creuset de leur créolisation ! Nous retrouvons le rythme
du tam-tam africain [Gwoka en Guadeloupe, Bèlè en Martinique, les
différents rythmes que l’on retrouve dans le vaudou haïtien, etc.] dans
les danses – dans les chants, dans toutes les musiques dans ce monde
nouvellement créolisé ! Mais aussi dans les contes, les proverbes, les
« kwayandiz » où souvent la gyablès est représentée sous la forme
d’une femme blanche.
Il a fallu dans une étrange fusion mixer le blanc et le noir – mélanger
l’Afrique et l’Occident en un seul « migan » qui allait donner une saveur
jusqu’ici inconnue du monde entier et ô combien magnifique !
Jusqu’à l’abolition de l’esclavage, il n’a jamais été question pour les
esclaves de ne pas parler leur créole, bien qu’ils devaient tous, vis-à-vis
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du maître, s’égosiller à répondre même très maladroitement par un
français qui faisait rire la galerie !
À partir de 1848, la vision du monde du ci-devant esclave nouveau
récipiendaire de la liberté allait changer ! Le maître était sa référence de
raffinement et de réussite ! Il n’est pas étonnant que la majorité de ces
peuples n’ait eu qu’un objectif inconscient, « singer » son maître. On se
souvient de cette pantomime qui a prévalu en Haïti après l’indépendance
et que les intellectuels haïtiens ont défini par la très suggestive de
« bovarisme haïtien ».
Pour ce faire, il n’était plus question d’enfermer sa vie essentiellement
dans la terre ! Les colons aussi se rendaient vite compte des difficultés à
avoir à payer les travailleurs des champs et des usines.
Un autre monde s'ouvrait où il allait falloir réinventer les relations
sociales dans une perspective de moins en moins ethniquement et
explicitement verticale, mais de plus en plus horizontale !
Ainsi, dès la fin du XIXème siècle, les usiniers furent contraints de
faire venir de France des contingents de « blancs pauvres et
malheureux » pour cultiver la canne.
En 1854, on faisait déjà appel massivement à la main-d’œuvre
indienne pour compenser la perte de main-d’œuvre et assurer le
maintien de la productivité !
On fit aussi venir même des Chinois et des Russes pour les mêmes
raisons. Mais, tout cet apport humain, manifestement ne faisait pas
l’affaire des grands planteurs en termes de production. Le manque à
gagner par rapport à la période de la traite était abyssal !
C’est alors au Congo Belge, en passant par le Comptoir de Régis, un
ancien esclavagiste marseillais, que l’on fit venir en Guadeloupe 12000
Congolais – 10000 en Martinique et 6000 à Marie-Galante entre 1875 et
1890. Il fallait une main-d’œuvre forte et vaillante pour supporter la
pénibilité et la dureté du travail de la canne.
Cette main-d’œuvre fut très mal accueillie par les anciens esclaves qui
traitaient de mauvais et de nuisible tout ce qui était Congo ! D’où
quelques réflexions encore vivantes dans l'inconscient collectif : « kongo
ki vwè kalson ta – nwouè kon lèni a kongo – kongo ka palè wanni-wanan
etc… ».
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Les Indiens aussi ont eu leur part de mépris et l’on retrouvait encore
jusqu’à il n’y a guère, des appellations et des sobriquets pour les
rabaisser par rapport aux noirs anciennement esclaves.
Les Congo et les Indiens ainsi que les autres d’ailleurs de cette
époque post-esclavagiste qui sont tous venus sous « contrats de
travail » n’étaient pas des esclaves – ils étaient payés et dans leur
contrat, il était question même de les rapatrier dans leur pays d’origine.
Mais ces contrats n’ont jamais été respectés par les usiniers, alors
pour dédommager ces travailleurs, les colons furent obligés de leur
attribuer des lopins de terres en compensation.
C’est ainsi qu’en Guadeloupe, aujourd’hui presque tous les indiens
sont grands propriétaires terriens, ce qui explique en partie leur
présence prépondérante dans l’économie du pays ! Les Congo, eux, ont
hérité de modestes parcelles mais, sont tout de même tous devenus
propriétaires. Or, en 1848 les esclaves libérés n’ont pas été dédommagés
alors que l’état français de l’époque a jugé indispensable de le faire pour
les anciens maîtres.
À ce moment, les Noirs ont voulu se glisser dans une forme
d’imitation intellectuelle par rapport aux anciens maîtres. Il fallait rivaliser
au niveau de l’intelligence et de la connaissance. C’est l’époque où le
degré d’appropriation de la culture, mais surtout de la langue française,
celle du maître donc est un signe de prestige et de distinction sociale.
Ainsi les parents délaissant la terre, demandaient à leurs enfants de
ne pas ou de ne plus parler le créole ! Au début du XXème siècle, l’heure
était à la scolarisation et à l’alphabétisation. Il fallait devenir quelqu’un !
Les villes commencèrent à devenir des lieux d'attraction et de
réussite sociale pour ne pas dire une réussite !
Il fallait de toute façon devenir un citadin.
Le « ka » dévalorisé mais on survalorisait le quadrille – la biguine – la
mazurka – la valse et nombre de noirs commençaient à aborder
l'apprentissage des autres instruments comme le piano – le violon – le
saxophone … etc.
L’île de Marie-Galante va subir le même essor structurel mais à
moindre échelle par rapport à la Guadeloupe et la Martinique ! Les
habitants ont su sauvegarder la beauté et la joie de la ruralité et même
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quand certaines familles investissaient en ville, les gens rentraient chez
eux dans les campagnes le soir.
Les villes sont habitées par des commerçants et des fonctionnaires et
les week-ends, il était courant que ces derniers aillent en « changement
d’air » à la campagne, comme on disait à l’époque. Le peuple mariegalantais est très terroir et souvent chacun garde la tradition de cultiver
son petit jardin tout en s’occupant d’un petit élevage pour le
« débrouillardisme » !
Le créole est et a toujours été omniprésent. Les familles de l’ancienne
génération parlent à 80% le créole et Marie Galante est un berceau de
mots typiquement créoles n’ayant même pas la traduction française
quand ce n’est pas directement un mot d’origine africaine. (tolinanni –
tchoukoudmèl etc.).
Très souvent, déjà dans les années 60, certains enseignants du
primaire et des collèges affinaient leur pédagogie pour une meilleure
compréhension en expliquant en créole. Dans les campagnes les gens
ont toujours parlé le créole – dans les champs – sur les marchés – etc. …
Ainsi, pour mieux comprendre l’épopée de cette langue il serait
intéressant en parallèle de suivre la trace des courants de pensées qui
serviront de repères pour l’évolution culturelle et sociologique de nos
îles.
Le premier mouvement littéraire de Guadeloupe et de Martinique fut
qualifié de « Doudouisme » ou de « régionalisme » avec des poètes tels
que Daniel Thaly ou Victor Duquesnay. Il était question de remettre de
délicate dissertation qui plagiaient les textes français de l’époque et en
faisant avant tout l’apologie de l’esthétique occidentale ou en magnifiant
la beauté de nos paysages et de nos doudous.
Ce terme de « doudouisme » et la littérature qu’il a engendrée sont
restés comme des formes d’insulte à l’égard de nos pays qui
commençaient à percevoir au fil du temps les limites économiques et
sociologiques de la colonisation.
La langue et le parler créoles connurent une longue période
d’obscurité voire d'obscurantisme et la réussite d’une famille quelconque
venait de la réussite scolaire des enfants et surtout de leur degré de
reniement de leur socle culturel créole.
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Ainsi, dès les années 1910 – 1920, il y avait déjà des Noirs qui
« faisaient la classe », comme on disait à l'époque !
Être instituteur était le signe d’une évidente réussite et l’ascenseur
social a bien fonctionné jusqu’à la première crise du pétrole en 1973.
En 1946, avec la Départementalisation et l’arrivée de la Sécurité
Sociale, nos territoires allaient sortir de l’insalubrité et les infrastructures
modernes donnaient encore plus de valeur aux villes au détriment des
campagnes de plus en plus délaissées ! Grâce à la scolarisation
obligatoire l’alphabétisation était en marche !
Il fallut attendre les années 30 pour oser entendre le grand cri de la
Négritude, éructé par les plumes du Martiniquais Césaire, du Guyanais
Damas, du Sénégalais Senghor et du Marie-Galantais Tirolien !
On entrait dans l’histoire de la littérature en rivalisant directement
avec les grands lettrés de France et de ce monde ! Le « Doudouisme »
avait vécu et dès lors, la grande période d’exigence et de revendication
pointaient à l’horizon !
La Négritude n’a pas tenu compte du créole puisqu’elle est née
directement par et dans cet effort des parents à vouloir faire réussir
leurs enfants dans un esprit de rivalité et d’égalité d’intelligence avec les
anciens maîtres. Dans la problématique que sous-tendait la revendication
des auteurs de la négritude, chez Damas et Césaire en particulier, c’està-dire de la part de ceux qui avaient subi la déportation et la traite, il ne
suffisait plus de devenir quelqu’un, il fallait être quelqu’un !
Ces mêmes parents, de 1848 à 1959, n’ont jamais parlé de
l’esclavage – il ne fallait pas remuer ce passé – le sujet était tabou tout
comme le créole ! C’était leur façon de faire le deuil d’une tragédie qu’il
devait d’abord oublier et enfouir dans le ciment de l’histoire.
Après l’irruption de la Négritude, la question de l’esclavage sera de
moins en moins taboue. Les intellectuels antillais (Fanon, Manville,
Glissant, Niger, Tirolien, Rupaire etc.) exhument les grandeurs de
l’Afrique sans défaillir. Il y a des résistances et c’est longtemps après que
nous avons recueillis les fruits de leurs efforts, mais le séisme culturel
était déjà à l’œuvre !
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Nos aînés baragouinaient un français mais ils voulaient et ils tenaient
à le parler ! Ils parlaient créole entre eux mais les enfants devaient
s’adresser à eux essentiellement en français et en bon français. C’était
comme une façon de voir et de vérifier que l’enfant évoluait bien à
l’école et dans le bon sens de l’éducation !
Je relève un extrait de « Rue Monte au ciel » de Suzanne Dracius
qui dit : « En classe, au premier mot de patois, on vous punissait d’un
carreau noir doublé d’un pensum. À la sonnerie, l’élève qui détenait
encore le carreau d’infamie prenait un zéro pointé ». Elle rajoute un peu
plus loin : « Sous le couvert de la promotion et de l’éducation, on
jugulait la langue créole, tout en cultivant, entre Créoles, la plus
mesquine délation, la moquerie, les miasmes du mépris ».
S’il est vrai que le Créole est longtemps resté une langue paria en exil
dans son propre berceau nous constatons au fil du temps que cet outil
indispensable a permis de sauvegarder l’âme de la culture antillaise. Cet
exil en fait était une apparence mais les gens pour survivre ne pouvaient
plus se passer de l’élément majeur de leur communication et de leur
consolation.
Qu’est-il advenu du Créole après le Mouvement de la
Créolité ? Le Mouvement des Créolistes.
Avant d’en venir directement au courant de la Créolité, Edouard
Glissant en 1967, souligne tout particulièrement l'importance des
métissages culturels entre les civilisations européenne et africaine sur le
territoire des Antilles. « Il utilise alors des exemples concrets comme
celui du recours aux médecins et aux sorciers en Martinique et en
Guadeloupe. Il est aussi d’accord sur le fait que la pratique de la langue
française aux Antilles résulte du métissage de ces deux cultures ».
« Ce qui lui paraît intéressant dans la civilisation des Antilles, c'est
qu’elle témoigne d'un effort pour harmoniser des éléments de civilisation
très divers qui se sont affrontés au cours de l'histoire, qui n'ont pas été
mariés sans combat, sans heurts, sans fracas, mais qui réussissent petit
à petit à créer un nouveau style de civilisation qui emprunte à la fois aux
civilisations africaines et aux civilisations occidentales ».
Il propose également le concept de « créolisation » qu'il définit
comme le « métissage qui produit de l'imprévisible » et qui est pour lui
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le « mouvement perpétuel d'interpénétrabilité culturelle et linguistique »
qui a pour vocation d’accompagner la mondialisation culturelle. Cette
mondialisation met en relation des éléments culturels éloignés et
hétérogènes, avec des résultantes imprévisibles ». Glissant, qui est à la
fois poète, romancier, dramaturge, essayiste et philosophe définit cette
forme très particulière de la dialectique par une expression explosive qui
n’est pas sans rappeler le big-bang primordial : « l’esthétique du
chaos » !
Ses derniers travaux s'articulent autour du concept de « toutmonde » et interrogent l’universalité. « Il cherche à développer une
approche poétique et identitaire pour la survie des peuples au sein de la
mondialisation au travers de concepts comme la « mondialité » en
opposition à la mondialisation économiste ou d'identité-relation contre
l'affirmation des identités-racines qui génèrent d'innombrables conflits à
travers le monde ».
Le processus de créolisation étant, bien sûr, dans la logique de son
discours la dynamique qui est chargée de servir d’épine dorsale à cette
mondialité.
Ses réflexions sur l’identité antillaise ont inspiré une génération de
jeunes écrivains antillais qui formera le mouvement de la créolité. Nous
retrouvons alors au début des années 90 ce courant mené par Bernabé,
Confiant et Chamoiseau.
En 1989 paraît un manifeste littéraire intitulé Éloge De La Créolité.
« La Créolité chante la totalité du réel antillais et pas seulement la
mer bleue, le sable blanc et les colibris. Elle s'intéresse aux
quimboiseurs, aux djobeurs, aux coupeurs de canne, aux femmes de
mauvaise vie, etc., brisant ainsi le cliché des îles paradisiaques.
Elle écarte toute connotation raciale ou raciologique. Le mot
« créole » viendrait du latin creare qui signifie « créer/se créer » et
désigne les nouvelles réalités des Amériques à la suite de la conquête
européenne, en particulier dans l'archipel des Antilles.
La Créolité ne se résume pas à ce seul archipel puisqu'elle vise,
dans un premier temps, à englober les zones créolophones des îles du
Cap Vert et de l'océan Indien (Maurice, Seychelles, Réunion), puis dans
un second temps, les populations mixtes apparues dans les banlieues
des grandes métropoles du monde occidental (Paris, Londres, New-York
etc. ...) ».
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Les auteurs du mouvement défendent une certaine écriture créole
mélangée avec le français, ce qui donne une nouvelle couleur de
littérature dans le fond comme dans la forme.
Plus qu’une langue, le Créole est devenu un « état d’être »
voire une « raison d’être » ! Procédé identitaire et sociologique
par la réalité créole dans la Caraïbe !
On peut dire de ce nouveau mouvement littéraire, même si on
n’est pas toujours d’accord avec ses fondements, qu’il a permis de
donner naissance à un nouveau courant littéraire, celui des
« Créolistes » qui défendent eux la langue en écrivant et publiant sans
proscrire le créole de leurs créations littéraires. Alors que les auteurs de
la Créolité écrivent et publient certes en créole, mais il faut remarquer
que leur publication majeure est souvent en langue française.
Avec l’historique des différents courants nous observons la
progression intellectuelle des Antilles – nous voyons aussi la progression
et la percée de la langue qui, sortant du domaine de la singerie est
aujourd’hui un étendard portant en avant tout les apports de l’histoire en
un seul et même bouquet, pour un seul et même pays et un seul et
même peuple.
Peuple naissant dans les tumultes de l’histoire se retrouvant pour
un même avenir.
Dans l’effort de la démocratisation du créole, on constate que
toutes les races des Antilles se sont approprié ce parler. À partir de
l’abolition de l’esclavage les usiniers ont fait l’effort pour s’exprimer dans
la langue du pays. En réalité les usiniers, békés, blancs-pays ou blancs
créoles ont toujours parlé le créole ; c’est dans cette langue qu’ils
donnaient des ordres aux esclaves. Ils parlent le créole aussi bien que
n’importe quel créole !
Ainsi, dés le début XXème siècle tout le monde économique
échangeait en créole. Les colons se mirent très rapidement à pratiquer
cette langue car il fallait bien faire fonctionner les distilleries et les
usines. À force, il a fini par faire l’unanimité.
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Ce qu’il y a de beau aujourd’hui, c’est que toutes ces composantes
des sociétés créoles revendiquent aussi leur part créole. Le Blanc –
l’Indiens – le Libanais - le Noir … tous les mélanges du métissage - tout
le monde est fier et revendique haut et fort son antillanité – sa créolitude
et son apport dans ce gigantesque bouillon de culture.
En Guadeloupe aujourd’hui, il y a autant de Noirs dans les
cérémonies indiennes que des Indiens ! Même le métro qui arrive se
créolise en moins d’un an, contrairement à une certaine époque où ils
vivaient sans se mêler à la population locale.
Il prend des cours de créole et veut s’intégrer à la culture. Il y a
autant de métro défilant dans le carnaval que des Antillais.
Il faut définitivement noter que la Caraïbe est enfin devenue un
sixième continent et que l’histoire de la renaissance du monde ne
passera peut-être pas ou plus, par des sociétés un peu à bout de souffle,
mais par les sociétés émergentes – nouvelles – récentes où le mélange
des hommes ouvrent désormais sur une humanité nouvelle !
Mouvement de la Caribénitude !
Après le Doudouisme, la Négritude, l'Antillanité et la Créolité, datant
de 1990, je pense qu'il est temps de tourner ces pages un peu jaunies et
tristement poussiéreuses par rapport à la vraie réalité de nos îles qui
souffrent d’une violence dont nous savons tous quelles en sont les
causes !
« Nous devons désormais nous instituer dans la réalité de notre pays,
de notre histoire, mais aussi dans notre géographie pour une économie
mieux réussie et mieux maîtrisée ! Plus que penser la Caraïbe, nous
avons le devoir de la vivre, de la faire, et surtout d'en prendre
goulûment part. La francité nous a écartés de nos frères caribéens,
parfois en les regardant de haut ou de trop loin. Nos enfants et notre
peuple réclament dès lors un sentiment pro-caribéen davantage tourné
dans le réel que dans le virtuel ! Il est temps pour nous, Guadeloupéens,
Martiniquais et Guyanais, de proclamer notre appartenance totale à cette
âme caribéenne ».
« La Caribénitude » est un courant de revalorisation et d'affirmation
définitive du positionnement des populations de la Caraïbe dans leur
histoire, leur espace et dans la perspective d'un avenir commun où
l’économie équitable sera un outil prédominant et primordial.
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Caribénitude, celle qui allie la Négritude de Césaire, le Tout-Monde
de Glissant dans sa créolisation généralisée et enfin la Créolité de
Bernabé, sans oublier l'apport des Créolistes. La boucle sera ainsi
bouclée en synthétisant les différentes approches en un seul bouquet
triomphant, en une oriflamme commune, défendant une Caribénitude
universelle comme le projet d’un humanisme nouveau où l’homme doit
être le véritable centre de tous les débats.
Nous voyons l'unification culturelle de la Caraïbe comme possibilité
d’assoir un avenir solide et efficace. Devenir et être résolument
caribéens, fiers de l'être et frères de sang, quel que soit l'endroit
d'origine de la Caraïbe anglophone, hispanophone, néerlandaise ou
francophone. La Caraïbe est l’affaire de tous !
Conclusion
La réalité de la langue a engendré une sociologie – une façon de
marcher – une façon de manger – de danser etc. … et notre créole,
malgré ses particularismes, dans son essence et dans son histoire est le
même !
Martinique – Guadeloupe – Guyane – Marie Galante - Haïti ou
ailleurs en dehors de l’accent, nous nous comprenons tous et nous
pouvons même dire, grâce à la mobilité des hommes et de leur
intelligence, qu’il commence à prendre forme un créole commun
mélangeant toutes ces îles de la Caraïbe. Dans cent ans, il est probable
que le ich, le to, le map, le ija, le ida, le menm biten menm bagay … ne
feront plus qu’un.
Le créole appartient à toutes les composantes de cette société
multiculturelle et multiraciale ! Le créole appartient à qui l’aime – à tout
le monde et pourquoi pas déjà à l’universel comme une pierre sacrée à
l’édifice de l’humanité !
Bernard Leclaire
Marie-Galante, le 26/10/2013
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