Révision École Roselière - CBC Ombudsman - Radio

Transcription

Révision École Roselière - CBC Ombudsman - Radio
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Révision par l’ombudsman de Radio-Canada d’une plainte à propos d’un
reportage sur un conflit opposant la Commission scolaire des Patriotes à
l’école de la Roselière.
LA PLAINTE
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La plaignante, M Chantal Lapointe, s’indigne d’un reportage de la journaliste Émilie Dubreuil
sur le conflit opposant la Commission scolaire des Patriotes aux parents et enseignants de l’école
de la Roselière. Elle estime inéquitable ce reportage, diffusé le 29 mars au Téléjournal midi de
Radio-Canada, parce qu’on n’y donne, dit-elle, que le point de vue de la commission scolaire, et
non celui des parents et des enseignants de l’école.
Pour contexte, je rappelle que l’école de la Roselière, à Chambly, au sud de Montréal, est une
école alternative où on utilise la pédagogie Waldorf, basée sur les théories éducatives de
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Rudolf Steiner, un philosophe spiritualiste de la fin du XIX siècle. Celui-ci est le créateur de
l'anthroposophie, un courant de pensée qui tente d’appréhender les phénomènes spirituels de
manière scientifique.
Il y a quelque temps, la Commission scolaire des Patriotes, dont relève l’école de la Roselière, a
décidé de retirer à l’institution son permis d’établissement à vocation particulière qui lui permet
d’utiliser la pédagogie Waldorf. Pour en arriver à cette décision, les commissaires se sont fondés
sur un rapport d’expertise qu’ils avaient commandé, et qui conclut que l’école ne respecte pas
toutes les normes ministérielles en matière de contenu enseigné.
Depuis, parents et enseignants se sont mobilisés pour forcer la commission scolaire à revenir sur
sa décision. Mais en vain. C’est cette situation que la journaliste Émilie Dubreuil a voulu exposer
dans le reportage qui fait l’objet de la plainte.
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Lapointe estime que le reportage est inéquitable parce que « la journaliste n'a accordé
aucune attention à ce qui constituait le point de vue des enseignants quant aux reproches de la
commission scolaire ».
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Dubreuil, explique-t-elle, a bien utilisé certains propos des opposants (la mère d’un élève et
une enseignante), mais seulement pour illustrer les bienfaits de la pédagogie Waldorf et non pour
leur permettre de réfuter les allégations de la commission scolaire.
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M Lapointe reproche aussi à la journaliste d’avoir dit qu’il y avait déjà eu des plaintes contre
l’enseignement prodigué à l’école de la Roselière alors que les plaintes en question datent « de
plus de 15 ans et (…) n'ont rien à voir avec ce dont il est question aujourd'hui ».
Et elle ajoute :
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http://www.radio-canada.ca/audio-video/#urlMedia=http://www.radiocanada.ca/Medianet/2013/CBFT/2013-03-29_11_30_00_tjmidi_0005_05_500.asx&pos=0
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« En faisant ainsi référence à un dossier qui date de plus de 15 ans, sans
préciser que les reproches étaient de natures totalement différentes, la
journaliste fait encore le jeu de la commission scolaire dont le discours
reprend cette idée qu'il y a eu de nombreux rappels du ministère. »
Enfin, la plaignante n’a pas apprécié que la journaliste mentionne « que les livres du fondateur de
la pédagogie Waldorf se vendent dans la section nouvel âge des librairies ». Cela, écrit-elle,
« peut être interprété comme une façon de discréditer la pédagogie Waldorf ».
LA RÉPONSE DE LA DIRECTION DE L’INFORMATION
M. André Dallaire, directeur, Traitement des plaintes et Affaires générales, a répondu à
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M Lapointe au nom de la direction de l’Information.
Il rappelle d’abord que la journaliste devait, en moins de deux minutes, « expliquer en quoi
consiste la pédagogie Waldorf, (…) le conflit entre les parents et la commission scolaire ainsi que
sa conséquence très probable, la fermeture de l’école et la démarche des parents pour défendre
l’école ».
Il ajoute que, dans ce contexte, la journaliste a choisi de faire état de la situation conflictuelle
entre l’école et la commission scolaire, mais sans aller au fond de l’argumentaire des deux
parties, ce qu’elle ne pouvait d’ailleurs faire dans le peu de temps qui lui était accordé.
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« Les choix éditoriaux faits par M Dubreuil, écrit-il, sont conformes aux
normes qui régissent le travail de nos journalistes. »
M. Dallaire indique ensuite que contrairement aux prétentions de la plaignante, comme en font foi
les reportages diffusés il y a une quinzaine d’années et qu’il dit avoir revus, « les problèmes
soulevés à l’époque à l’égard de l’école de la Roselière sont comparables à ceux qui confrontent
l’école aujourd’hui : carences dans le programme des apprentissages des matières de base et
dans l’application du régime pédagogique, questionnements sur les aspects anthroposophiques
de la pédagogie alternative… ».
Et il conclut :
« Le reportage de M
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Dubreuil s’efforçait de rendre compréhensible pour
l’ensemble des citoyens un conflit qui a en toile de fond une méthode
pédagogique et qui allait se solder par la fermeture éventuelle d’une école,
fermeture contestée par des parents et des enseignants de l’école.
(…)
Nos journalistes sont au service des citoyens et non pas au service d’une
cause, quelle qu’elle soit. Ils se gardent de prendre parti, c’est le garant de
leur crédibilité, et la crédibilité est le bien le plus précieux des journalistes. »
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LA DEMANDE DE RÉVISION
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Lapointe a jugé « tout à fait insatisfaisante » la réponse de M. Dallaire.
Elle réitère qu’à son avis « un traitement équitable aurait permis que les différents intervenants
donnent leur point de vue sur le même sujet, à savoir les reproches de la commission scolaire ».
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M Lapointe ajoute que les choix éditoriaux de la journaliste vont dans le même sens que le
rapport sur lequel se base la commission scolaire pour retirer à l’école son statut d’établissement
à vocation particulière.
« Mais, ajoute-t-elle, (la journaliste) ne dit jamais que ce fameux rapport a
été jugé non scientifique par une spécialiste de l'UQAM. Même si ce rapport
n'a aucune valeur scientifique, la journaliste continue d'y référer comme s'il
était porteur d'une vérité et elle organise son reportage pour tenter de
démontrer que ce qu'il contient est vrai. »
Et elle conclut :
« Le directeur a eu droit d'énoncer clairement son message alors que la
journaliste a choisi, dans plus d'une heure d'entrevue avec les enseignants
et les parents, les extraits qu'elle a voulus, et comme par hasard, ces
extraits présentés hors contexte desservaient les parents et les
enseignants. »
LA RÉVISION2
Je peux comprendre l’insatisfaction de la plaignante qui aurait aimé, en fin de compte, que le
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reportage de M Dubreuil aborde le fond de la question, soit les arguments du rapport
d’expertise qui ont amené la Commission scolaire des Patriotes à ne pas renouveler le permis de
l’école alternative de la Roselière.
Mais ce n’est pas le choix qu’ont fait la journaliste et sa direction éditoriale. Pourquoi?
D’abord, m’a expliqué M
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Dubreuil, parce que ce n’est pas le genre de sujet dont on traite
habituellement dans un reportage de moins de deux minutes conçu pour un bulletin de nouvelles.
Pour en traiter correctement, il aurait fallu du temps, le genre de temps dont disposent les
émissions d’actualités qui ont justement pour mandat d’approfondir les sujets abordés dans les
bulletins de nouvelles.
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http://blogues.radio-canada.ca/ombudsman/mandat
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Ensuite parce que, ce jour-là, les parents et enseignants de l’école de la Roselière manifestaient
à nouveau pour tenter de faire renverser la décision de la commission scolaire de fermer leur
établissement et que la journaliste voyait là l’occasion de rendre compte d’une situation dont on
avait peu parlé sur les ondes de Radio-Canada.
Enfin, parce que, estime-t-elle, lorsqu’on présente un sujet avec lequel l’auditoire n’est pas
familier, par exemple parce qu’il ne fait pas la manchette depuis des jours, il faut commencer par
le début et expliquer aux auditeurs de quoi il retourne.
Je rappelle que les Normes et pratiques journalistiques (NPJ) de Radio-Canada, qui balisent le
travail de ses journalistes, établissent le principe de leur indépendance éditoriale comme celle
des émissions d’information.
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Dubreuil et sa direction éditoriale étaient donc tout à fait libres de choisir l’angle qu’ils
voulaient pour rendre compte du conflit entre la Commission scolaire des Patriotes et les parents
et enseignants de l’école de la Roselière.
Et ils ont choisi de brosser un tableau très général du conflit lui-même, en expliquant au passage
la vocation particulière de l’école la Roselière. Pour la journaliste, le sujet du reportage n’était pas
le rapport commandé par la commission scolaire et sur lequel elle s’est appuyée pour ne pas
renouveler le permis de l’école.
D’ailleurs, ce rapport n’est jamais mentionné dans le reportage, même quand on y entend le
directeur général de la commission scolaire expliquer sa décision par le fait qu’il y a « des
carences significatives dans ce qui est enseigné et ce qui devrait être enseigné ». Il est donc
inexact de dire, comme l’affirme la plaignante, que la journaliste réfère à ce rapport « comme s'il
était porteur d'une vérité ».
La plaignante aurait souhaité que la journaliste permette aux parents ou aux enseignants de
réfuter l’affirmation du directeur général de la commission scolaire et de faire valoir leurs
arguments. Il aurait peut-être été souhaitable d’entendre un parent ou un enseignant la rejeter
clairement; mais, encore une fois, la journaliste avait tout à fait le droit de ne pas vouloir
transformer son reportage en débat sur la valeur des arguments de chacun, et de s’en tenir à
l’angle qu’elle avait choisi. M
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Dubreuil m’a fait remarquer qu’elle n’a pas non plus donné au
directeur général l’occasion d’expliquer comment la commission scolaire était parvenue à ses
conclusions.
Cela dit, tout le reportage est construit de façon à démontrer que les parents et les enseignants
s’opposent à la décision de la commission scolaire.
Déjà, dans l’introduction du reportage, l’animatrice du bulletin de nouvelles explique que « les
parents des élèves (…) manifestent à nouveau pour sauver leur école » et demander à la
commission scolaire « de revenir sur sa décision ».
Dans le reportage même, la journaliste dit :
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« Depuis la décision de la commission scolaire de mettre fin à la vocation
particulière de l’école, ils manifestent, publient des rapports, des
communiqués de presse, donnent des entrevues. »
À l’évidence, le reportage est très clair sur le fait que les parents et les enseignants ne sont pas
d’accord avec les motifs invoqués par le directeur général de la commission scolaire.
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Lapointe soutient aussi que la journaliste a fait référence à d’anciennes plaintes contre
l’école, « sans préciser que ces plaintes ont eu lieu il y a 15 ans », laissant ainsi entendre que
ces plaintes étaient récentes et de semblable nature, ce qui, selon elle, n’était pas le cas.
Je cite donc ici le contenu exact du reportage sur cet aspect précis.
Apparaît d’abord à l’écran un bref extrait du Téléjournal midi de 1997 dans lequel on voit et
entend l’animatrice d’alors, M
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Pascale Nadeau, dire ceci :
« Il y a eu des plaintes, et le ministère de l’éducation a dû s’en mêler. »
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Puis, M
Dubreuil enchaîne avec les propos suivants :
« Ce n’est pas la première fois qu’on rappelle l’école à l’ordre. À la fin des
années 90, Pauline Marois, alors ministre de l’Éducation, avait demandé
qu’on rectifie le tir. »
Il m’apparaît donc évident que la journaliste parle d’anciennes plaintes datant d’une quinzaine
d’années.
Mais ces plaintes étaient-elles semblables en nature à celles d’aujourd’hui? Ou étaient-elles
différentes, comme le soutient la plaignante?
D’après les vérifications que j’ai pu faire moi-même, en revoyant les reportages de l’époque, et
en vérifiant auprès du ministère de l’Éducation, les griefs retenus contre l’école de la Roselière il
y a quinze ans étaient pour la plupart de la même nature que ceux d’aujourd’hui.
Le dernier aspect de la plainte porte sur un extrait du reportage de M
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Dubreuil à propos de la
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pédagogie Waldorf et des ouvrages de son concepteur. Pour contexte, M Dubreuil vient de
nous faire entendre la mère d’un élève qui qualifie cette pédagogie de « recette miracle » contre
le décrochage scolaire.
Voici les propos de M
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Dubreuil :
« Cette recette miracle pour eux c’est la pédagogie Waldorf, un type
d’apprentissage par le jeu, les arts, la danse, inventé par Rudolf Steiner,
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philosophe autrichien du début du XX siècle, dont les ouvrages se vendent
dans la section nouvel âge des librairies. »
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Lapointe estime que la référence au nouvel âge « peut être interprétée comme une façon de
discréditer la pédagogie Waldorf ».
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Dubreuil m’explique qu’il n’y avait aucune malice de sa part dans cette mention tout à fait
vérifiable, qu’elle avait estimé que cette particularité faisait rapidement comprendre dans quels
courants d’idées se situaient la pédagogie Waldorf et la pensée de son concepteur.
J’ajoute, à cet égard, que d’être associé au courant nouvel âge n’est pas une tare, que les gens y
sont en général plutôt sympathiques, au pire indifférents.
Par ailleurs, si la journaliste avait vraiment voulu « discréditer » la pédagogie Waldorf et
Rudolf Steiner, elle aurait pu facilement s’alimenter au bassin de critiques qui associent Steiner et
sa pensée (anthroposophie) à une doctrine ésotérique, sectaire ou presque, qui jongle, selon
eux, avec la réincarnation, la nature solaire du Christ et le karma, etc. Ou encore, puiser dans le
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rapport intitulé Les sectes et l’argent , publié en 1999 par une commission d’enquête de
l’Assemblée nationale de France, qui y qualifie l’anthroposophie de « mouvement sectaire » en
précisant qu’il s’est attaché « à créer ou à prendre le contrôle d’établissements d’enseignement
privés ».
CONCLUSION
Le reportage de la journaliste Émilie Dubreuil sur le conflit opposant la Commission scolaire des
Patriotes et l’école de la Roselière, diffusé le 29 mars 2013 au Téléjournal midi, respecte les
Normes et pratiques journalistiques de Radio-Canada.
Pierre Tourangeau
Ombudsman des Services français
Société Radio-Canada
Le 6 mai 2013
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http://www.assemblee-nationale.fr/dossiers/sectes/sommaire.asp