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Tout est dans le cœur
Y aura-t-il seulement quelqu’un pour planter un cactus sur ma tombe1 ?
Martha Jane Canary Hickok, dite Calamity Jane
Martha Jane Canary, alias Calamity Jane, est sans
doute une des figures les plus paradoxales du « Wild
West ». Elle est davantage une représentation mythique et légendaire qu’un personnage historique dont
on pourrait sans faille tracer la biographie. Et les récits qui forment sa légende montrent aussi bien la brutalité d’une existence livrée à la sauvagerie des espaces
et à la barbarie des hommes que la détermination sans
faille d’une femme qui s’est arrachée à un destin tout
tracé dans une très jeune Amérique puritaine. Les errances de Calamity Jane dessinent une vie sous une
forme pure où tout acte est absolument déterminant
en même temps qu’il est parfaitement gratuit.
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 Une vie comme on la raconte
La vie de Calamity Jane est une vie présentée, racontée, jouée, et dont la
représentation forme la substance. L’existence de Calamity tient totalement,
jusqu’à son nom, au récit que l’on en fait. Jusqu’au Wild West Show auquel elle
participe à la fin de sa vie et où elle joue son existence aventureuse. Existence
dont l’authenticité ne sera finalement avérée que par les dires d’une vieille
dame, qui, en 1941, prétend être la fille de Martha Jane Canary, tenant pour
preuves les lettres que lui aurait écrites en selle la pétroleuse Calamity. On ne
peut cependant se contenter de ranger la vie de Calamity au niveau d’une simple fable dont on n'aurait qu’à se divertir. Car si de fable il s’agit, elle raconte
une vie à l’état pur, une vie à inventer intégralement dans un monde qui ne
tient lui aussi encore qu’à sa nouveauté. Un monde où le réel n’advient que par
ce qu’on en dit, les maigres épisodes attestés de l’existence de Martha Jane tirant leur réalité de cette puissance narrative. Au point que, depuis la naissance de Calamity dans une
famille
de mormons en quête d’une
depuis [sa] naissance dans
nouvelle terre sainte et jusqu’à sa
une famille de mormons(...)
rupture
et sa difficile émancipaapparaît en fond un mythe
tion, apparaît en fond un mythe
constitutif de la naissance
constitutif de la naissance de la
de la nation américaine.
nation américaine.
Martha Jane Canary est née le
1er mai 1852 à Princeton, dans le Missouri, de Robert et de Charlotte Canary.
Elle était l’aînée de cinq enfants. La famille a vécu dans le plus extrême dénuement et elle a été très tôt confrontée à une grande pauvreté et à des privations extrêmes. Son père était prêcheur mormon, d’une foi inhumaine, violent
et intolérant... Martha Jane avait 8 ans quand la pauvreté les a fait fuir vers
Salt Lake City, lieu de rassemblement des mormons. Le voyage dura cinq mois,
pendant lequel sa mère mourut. Martha Jane vécut jusqu’à l’âge de 15 ans avec
son père remarié et ses frères et sœurs, puis, en 1867, elle profita de la mort du
père pour fuir cette vie misérable. La misère non seulement parce qu’on meurt
de faim, mais parce que, pour une femme, rester en vie dans ces conditions signifie aux yeux de Martha Jane se perdre définitivement.
Dans une lettre datée de 1880, qu’elle aurait adressée à sa fille, Martha
Jane Canary lui fait cette confidence :
« Je hais les femmes d’ici. [de Deadwood, où elle vit désormais] La majorité d’entre
elles n’est pas meilleure que moi, mais elles traversent la rue plutôt que de me parler
ou de me croiser. Si seulement elles savaient ce que je sais, que leurs pères rigolaient
en faisant une encoche à leur fusil chaque fois qu’une autre de leurs filles venait de
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se marier. Ça leur ferait sûrement mal de savoir qu’un autre bâtard était en fabrication, et ces mêmes salopes me montrent du doigt et m’appellent Jane Hickok, un ricanement sur leurs figures de coyotes. Si j’étais un homme, il me suffirait de leur
flairer une seule fois les aisselles pour être dégoûté2 ».
Le 1er août 1903, meurt Martha Jane, depuis longtemps devenue Calamity et déjà aussi une figure emblématique du Far-West. Première Cow Girl,
seule femme ayant jamais conduit la célèbre diligence Poney express, buveuse,
joueuse et sachant manier colt et winchester. À sa mort elle aurait confié les
lettres qu’elle aurait écrites durant 25 ans à un ami prêtre qui les envoya au
Capitaine O’Neil, lequel les aurait remises, peu avant sa mort, à sa fille adoptive. C’est donc à sa fille qu’elle dit : « je hais les femmes d’ici ». Il y a chez Calamity un sens aiguisé de la féminité. Une vraie ambition d’exister pleinement
– comme une femme – dans un milieu sauvage et où la barbarie figure d’abord
dans les coups de fouets que lui assène son père. Prédicateur, il pensait qu’il
pouvait « combattre la nation indienne toute entière avec une bible3 ». Elle se
promit de ne jamais être une femme comme sa mère, assujettie à un homme :
« […] et puis l’idée d’être pendue à la chemise d’un homme me rend malade »,
aurait-elle encore écrit à sa fille.
Elle vécut donc de 1852 à 1903 au sein d’une Amérique puritaine qui considérait les femmes, en dehors de quelques figures d’héroïnes célèbres, comme
des mères ou comme des filles de joie. Elle aurait ainsi écrit dans une de ses lettres :
« Mais rappelle-toi toujours que s’il y a une chose que le monde déteste, c’est une
femme qui se mêle de ce qui la regarde. On raconte des choses horribles sur moi. Rien
de cela n’est vrai. Chaque fois que je parle à un homme, on m’accuse d’être une roulure sans moralité4. »
 La vie comme un « acte pur »
La vie de Calamity est « pur agir ». Nous
pouvons pour nous éclairer faire retour sur
le concept de générosité tel que le définit
Descartes.
« Ainsi je crois que la vraie générosité, qui fait
qu'un homme s'estime au plus haut point qu'il se
peut légitimement estimer, consiste seulement en
ce qu'il connaît qu'il n'y a rien qui véritablement
lui appartienne que cette libre disposition de ses
volontés, ni pourquoi il doive être loué ou blâmé
sinon pour ce qu'il en use bien ou mal, et partie
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en ce qu'il sent en soi-même une ferme et constante résolution d'en bien user, c'est-àdire de ne manquer jamais de volonté pour entreprendre et exécuter toutes les choses
qu'il jugera être les meilleures ; ce qui est suivre parfaitement la vertu5. »
Cette référence peut sembler paradoxale de prime abord. Cependant, il
s’agit là de choisir une voie et de s’y engager, non point par aveuglement mais
parce que celle-ci dessine le sujet à mesure qu’il agit. Nous y voyons bien la pureté d’une vie dont l’expression est de se décider à être. À Salt Lake City la vie
de Martha Jane n’advient que parce qu’elle décide de la faire advenir. Elle advient à elle-même comme un « homme qui s’estime » et qui ne supporte plus
les mormoneries de son père, à l’instar de la célèbre proposition cartésienne
vantant le cheminement du penseur solitaire, de l’homme qui ne cède rien de
son libre arbitre, ou du légendaire coureur des bois solitaire.
à Salt Lake City la vie de
L’effort de résistance aux pasMartha Jane n’advient que
sions, la nécessité de sans cesse
parce qu’elle décide de la
exister face à soi-même, n’interfaire advenir.
disent pas pour autant à Calamity de participer à des
beuveries. « Suivre parfaitement
la vertu » c’est pour Martha Jane oser ouvrir une voie, traverser les Rocheuses,
s’éloigner de Salt Lake, renoncer au mariage. être un homme au sens de la générosité cartésienne, c’est-à-dire être à l’origine de son existence. Ce qui implique aussi de tenir ensemble le fait d’être une femme et le fait d’avoir à le
devenir. Et cela ne peut tenir que par le récit, la représentation sans cesse répétée d’elle-même.
Cependant, rien n’est véritablement en devenir dans la vie de Calamity
car son existence ne tient en effet qu’à elle-même. À elle-même, c’est-à-dire
non seulement à ce qu’elle fait mais encore, et même surtout, au récit qu’elle
en fait. La vie de Calamity n’a d’autre épaisseur que celle de l’histoire qu’elle
peut en tirer. Et cela tient non pas au fait qu’elle ne s’attache à nulle histoire
qui la précéderait mais bien plutôt à celui que sa vie n’a d’autre consistance
que le récit qui pourra en être fait. Une vie inaugurale en quelque sorte, Martha Jane se fait en un lieu où se dessine un ordre nouveau. Reprenons à notre
compte ce que Ricœur appelle son hypothèse de base : « Que le temps devient
humain dans la mesure où il est articulé sur un mode narratif, et que le récit
atteint sa signification plénière quand il devient une condition de l’existence
temporelle6 ». La vie de Calamity n’est qu’une succession de péripéties et
d’accidents. Sa vie est pour l’essentiel un récit. Elle ne tient même qu’au
récit. On peut à ce titre voir en Calamity une représentation pure de l’existence où il s’agit de passer d’une figure à l’autre. Nous entendons par récit :
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« l’agencement des faits », la vie de Calamity correspond entièrement à ce
que Paul Ricœur nomme « une mise en intrigue ». Il affirme alors le point
de vue, fondamental pour nous, selon lequel le récit n’achève sa course que
dans l’expérience du lecteur dont il « refigure » l’expérience temporelle. Pour
ce qui est de Martha Jane Canary, cela est d’autant vertigineux que sa première lectrice est en même temps celle qui écrit sa vie, c’est-à-dire celle qui
désespérément maintient, contre les allégations des historiens, être sa fille.
 Calamity, sa fille, le Wild West Show7 et la radio
Dans le cadre du Wild West Show, et comme elle l’a toujours fait, Martha
Jane joue sa vie, il s’agit là cependant d’une mise en scène dans la scène. Alors
qu’elle est aux abois elle participe aux différents spectacles formant le Show.
Elle « se joue » et recourt comme toujours à l’invention. Le Wild West Show
auquel elle aurait participé – car tout, avec Martha Jane, est au conditionnel–
est un spectacle populaire que Buffalo Bill8 dirige de 1882 à 1912. Une tournée le conduit lui et sa troupe dans toute l’Amérique du Nord et en Europe.
Sitting Bull9 y participe aussi en 1885 aux états-Unis et au Canada.
Affiche du Buffalo Bill Show
Martha Jane accède ici à sa propre vie et ce, par ce qu’elle en donne à voir.
Cette tournée triomphale l’inscrit définitivement dans l’histoire. Ainsi, cependant que l’authenticité de son existence disparaît s’opère un double mouvement ; Martha Jane s’efface et devient et de plus en plus seule à mesure que
Calamity occupe le devant de la scène. Martha Jane advient donc à l’existence
comme une figure, c’est-à-dire à la fois comme une image – creuse et lisse – et
une allégorie par laquelle elle se transcende. Encore une fois, Calamity semble
composer son existence, ce qui revient « à composer l’intrigue » ainsi que Ricœur le définit : « faire surgir l’intelligible de l’accidentel, l’universel du singulier, le nécessaire ou le vraisemblable de l’épisodique. »
Les dernières années de la vie de Martha Jane sont marquées par la pauvreté. En 1901 elle se produit à l'Exposition Pan-American à Buffalo, dans
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l'état de New York où elle vendait des copies de son autobiographie. Un
dénommé Mulog lui demande d’écrire l’histoire de sa vie. Elle écrit alors un
court texte pour la postérité dans lequel elle donne quelques éléments d’une
histoire qui n’est en rien la sienne, ce qui la conduit, dans une lettre du 20 janvier 1901, à préciser à sa fille :
« Tu aurais dû entendre les mensonges que je lui ai racontés. Le vieil abruti. Il a dit
qu’il ferait de l’argent pour moi en les vendant […]. Et s’il veut imprimer des mensonges en les vendant, pour en tirer de l’argent, c’est son affaire. […] Comme histoire
de ma vie, ce sera donc soigné10 »
Elle aurait été aussi engagée par le Palace Museum à Minneapolis pour –
encore – raconter sa vie devant le public, comme les hommes célèbres. Sa vie
a été toute autre et elle s’emploie à brouiller les pistes, précisant encore dans
une lettre à sa fille : « Je leur raconte toutes sortes de mensonges juste pour entendre les écervelés agiter leurs langues pourries11. »
Bien après sa mort, la vie de Martha Jane se joue encore et pour longtemps. Car il faut compter avec « sa fille », Jean. Le 6 mai 1941, une femme
de 68 ans parle au micro de la radio CBS. Elle se présente comme la fille cachée
de Calamity Jane. Elle en tient pour preuve les lettres que lui aurait écrites Calamity, « sa mère », pendant vingt-cinq ans.
Jean en a extrait un passage particulièrement émouvant pour la populaire
émission « We, the People » :
« Ma chérie, j’aime penser à toi en train de me lire, page après page, après que je
serai partie. Je suis seule dans ma cabane ce soir, et fatiguée. C’est ton anniversaire,
tu as 4 ans aujourd’hui. Ce matin, je suis allée sur la tombe de ton père à Ingleside.
Une année et quelques semaines ont passé depuis qu’il a été tué et on dirait un siècle :
sans vous deux, les années à venir m’apparaissent comme une piste solitaire12. »
Les lettres édifiantes de Calamity Jane à sa fille Jean sont un succès immédiat et seront publiées dans le monde entier.
En France, les éditions Rivages rééditent régulièrement ce « formidable témoignage d’amour
maternel ». La possibilité d’un faux ne semble
pas effleurer l’éditeur.
Aux états-Unis non plus, au début.
En 1949, paraît aux états-Unis la première
édition des « lettres ». Jean en écrit la préface :
« Calamity Jane n’avait qu’un seul ami, un prêtre,
qui accourut à sa demande le jour où elle rendit l’âme.
Il la trouva aveugle, sans un sou et seule. Pendant ces
Buffalo Bill
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années, elle avait survécu grâce à l’argent envoyé d’Angleterre par le capitaine Jim
O’Neil, issu d’une grande lignée d’aristocrates, à qui Calamity Jane confia sa fille en
1874, avant de disparaître pour toujours de sa vie, consciente de la différence qui existait entre leurs deux mondes. Chaque page du manuscrit envoyé au capitaine par
l’ami prêtre témoigne de l’amertume d’une femme pour la vie rude à laquelle elle était
confrontée, ainsi que de son dévouement à sa fille… Telles sont les confidences du
vieil album dans lequel elle écrivait, assise seule auprès des feux de camp de la vallée
de Yellowstone où les sauvages rôdaient13 ».
Suivent quelques récits de coyotes et d’Indiens, et des recettes de cuisine !
La fille de Calamity Jane sur les ondes, passait encore. Mais le livre déclenche
les sarcasmes : d’abord Calamity était analphabète, et puis, ces lettres visent
trop, du point de vue des féministes, à réconcilier la figure de la première américaine émancipée avec la femme au foyer, la mère aimante des années cinquante.
En réalité, Calamity n’a sans doute pas été à l’école. Cependant sa « fille »
défend sa version. Elle explique avoir reçu l’album en héritage de son père
adoptif, le fameux Jim O’Neil, dix
ans après la mort de Calamity Jane.
Mais le livre déclenche les
Par un miracle inexplicable, elle possède aussi la correspondance entre
sarcasmes : Calamity était
Jim et Calamity, de style et de callianalphabète
graphie assez comparables par ailleurs. Et, encore un heureux hasard,
toute les réponses aux polémiques se trouvent dans le manuscrit que sa mère
lui aurait laissé. Comme si dans sa tendresse maternelle Martha Jane avait
tout prévu, une mère providentielle en quelque sorte. Ainsi, par exemple :
comment Calamity a-t-elle appris à écrire ? Martha Jane l’a écrit : « J’ai cherché à m’éduquer afin de pouvoir lire, épeler et écrire. Je prends un livre et regarde dans le dictionnaire chaque fois que je ne connais pas le sens14. »
Jean McCormick doit sa brève célébrité à l’enthousiasme de Vivien Skinner, journaliste à CBS en 1941.Fasciné par McCormick, celui-ci a entrepris une
biographie qu’il finira par abandonner, découragé par les incohérences et « le
caractère pénible de la dame15 ». Il abandonne le projet en 1944.
Plus de soixante ans plus tard, « le canular des lettres ne fait plus de doute
aux états-Unis16 ». Reste la personnalité de Jean McCormick, manifestement
l’auteure des écrits de Calamity. Un Français, Gregory Monro17 tourne
l’énigme en tous sens. En 2007, il a racheté aux enchères le fameux manuscrit
« pour le prix de deux voitures18 ». Personne ne se l’arrachait, dit-il. Dans son
livre sur Calamity, Monro, captivé par « la femme aux yeux tristes », consacre un long chapitre aux étranges lettres :
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« Pendant des années, j’ai suivi la trace de Calamity Jane, comme une obsession.
Mais finalement, c’est Jean McCormick qui me passionne. Aujourd’hui tout le
monde est à peu près d’accord pour dire que Calamity Jane n’a pas écrit les lettres. Si
c’est Jean McCormick, l’histoire reste palpitante ! C’est une légende dans la légende !19 »
Dans le lot du manuscrit oublié, il y avait aussi les photos accumulées par
Jean pour accréditer sa fabuleuse histoire.
La première apparition de Jean McCormick date de 1936, lorsqu’elle se
présente aux services sociaux de la ville de Billings. À 63 ans, elle vit dans un
hôtel minable entre deux boulots de cuisinière ou de femme de salle dans les
ranchs du Montana et du Wyoming. Là, on l’a vue raconter des histoires à dormir debout aux cow-boys, et noircir des cahiers le soir dans sa petite
... Si c’est Jean McCormick,
chambre.
« Comme acte de naisl’histoire reste palpitante ! C’est une
sance, afin de décrocher une petite
légende dans la légende ! »
pension qui lui évitera la misère,
Jean Hickok McCormick produit
le manuscrit de sa mère. Et, calligraphié sur une feuille arrachée à la sainte
Bible, l’acte du mariage de ses parents Jane et Bill, célébré secrètement
en 1870 »20.
Sur une dernière photo, la seule authentifiée de sa riche existence, Jean
apparaît, pauvre chose menue d’une soixantaine d’années, sous un chapeau de
cow-boy trop large. Le cliché date des années quarante, sa petite gloire est
déjà faite.
La « fille de Calamity Jane » vit alors à Billings, hébergée par le Wonderland Museum, parmi les « Trésors de l’Ouest ». Chaque matin, elle raconte son
histoire et vend le petit livre rouge qui retrace sa vie, comme le fit Calamity
Jane dans ses vieux jours. Ce n’est pas la seule similitude entre « mère et fille ».
Comme Calamity, Jean affirme s’être engagée comme infirmière de guerre.
Comme elle, Jean aurait perdu deux enfants, et comme elle, elle termine sa
vie dans la misère. Jean McCormick est morte seule à 77 ans, un 21 février.
Elle n’écrivait plus, répétant inlassablement la fabuleuse histoire de la fille de
Calamity Jane et de Wild Bill Hickok. À la dernière page du vieux manuscrit
signé Calamity, il y a ces mots, qui pourraient être les derniers de Jean McCormick : « J’emporte de nombreux secrets avec moi. Ce que je suis et ce que j’aurais pu être. »
En octobre 2010, à l’initiative de Grégory Monro, avait lieu à Paris une
exposition sur Calamity Jane et où l’on pouvait lire la légende suivante en
guise de publicité :
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« L'histoire d'une femme " hors norme ", qui s'habillait en homme, fumait, buvait,
portait des armes... L'histoire d'une femme d'action qui s'est engagée auprès de l'armée, a participé à des campagnes contre les Indiens, fait de la prospection d'or,
convoyé du bétail, tenu des hôtels, joué son propre rôle dans des spectacles... C'est ce
que raconte l'exposition qui démarre fin octobre à l'adresse Musée de La Poste ».
Rien de la vie de Martha Jane Canary ne semble donc échapper à la légende. Rien ne subsiste y compris son incroyable courage qu’elle semble aussi
avoir fini par parodier. Comme si elle avait été enfin contenue. Seule l’existence hallucinante de sa fille « d’adoption » déborde le cadre du show et du
folklore. Ce testament d’une femme à une autre dont nous ne chercherons plus
à établir la filiation, n’est pas seulement une autre mise en abîme du tableau
de l’existence tumultueuse de Martha Jane Canary. Ce lien est comme un scrupule qui dérange le bon déroulement du spectacle. L’existence de Calamity
Jane accède alors à son authenticité parce qu’elle est écrite par une femme qui
Nadia Taïbi
peut se la représenter pour elle-même.
Sitting Bull en 1885
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1. Hortense Dufour, Calamity Jane, Le Diable blanc, Paris, Flammarion, 1998, p. 9.
2. Calamity Jane, Lettres à sa fille, Rivages, Paris, 2007, pp. 31-32.
3. Ibid., p. 30.
4. Ibid., p. 67.
5. Descartes, Les Passions de l’âme, Article 153.
6. Paul Ricœur, Temps et récit, tome I. L’intrigue et le récit historique, Seuil, Paris, 1983, pp. 66-104.
7. Dans une biographie de Buffalo Bill, Jacques Portes affirme qu’elle n’a jamais travaillé dans le fameux
Wild West Show, « en dépit de ses affirmations », ajoute-t-il ; de la même façon, il laisse planer le doute sur
le fait qu’elle ait été l’épouse de James Hickok. C’est sans doute pour cette raison qu’elle se promenait toujours avec son certificat de mariage sur elle. Jacques Portes, Buffalo Bill, Paris, Fayard, 2002, p. 201-202.
C’était un cirque de plein air que Buffalo Bill Cody avait monté et qui eut un immense succès. Il est venu
en France au moment de l’exposition universelle en 1889, et plus de deux millions de Français ont assisté
au spectacle. Des Indiens y travaillaient.
8. William Frederick Cody dit Buffalo Bill, (26 février 1846, North Plate, Comté de Scott, Iowa - 10 janvier 1917, Denver, Colorado) est une figure mythique de la Conquête de l'Ouest. Il fut notamment chasseur
de bisons et dirigea une troupe théâtrale populaire.
9. Sitting Bull, né vers 1831 dans le Dakota du Sud et mort le 15 décembre 1890 dans la réserve indienne
de Standing Rock, est un chef de tribu et médecin des Lakotas Hunkpapas (Sioux). Il est un des principaux
amérindiens résistants face à l'armée américaine, notable pour son rôle dans les guerres indiennes et plus
particulièrement la bataille de Little Big Horn du 25 juin 1876 où il affronte George Armstrong Custer.
10. Lettres à sa fille, op. cit. p. 112.
11. Ibid., p. 67.
12. Ibid., pp. 17-18.
13. Ibid., pp. 13-16.
14. Ibid., p. 57.
15. Libération, le 18 octobre 2010 : « Celle qui rêvait d'être la fille de Calamity Jane » P. Nivelle.
16. Ibid.
17. Gregory Monro est un auteur, acteur et réalisateur français né le 10 septembre 1975. épris d’une véritable passion pour l’Ouest Américain et le personnage de Calamity Jane, il acquiert après plusieurs années
de recherches le précieux manuscrit de Calamity Jane, plus connu sous le nom de « Lettres à sa fille de Calamity Jane » . En attendant de porter à l’écran un long métrage inspiré de l’histoire vraie de ces lettres, il
a initié la nouvelle édition inédite des « Lettres à sa fille », parue en 2007 aux éditions Payot et Rivages, déjà
vendu à plus de 40 000 exemplaires. Il y a aussi apporté sa contribution. Gregory Monro est également en
production d’un documentaire retraçant le mythe de Calamity Jane.
18. « Celle qui rêvait d'être la fille de Calamity Jane », op. cit.
19. Calamity Jane, Mémoires de l’ouest, Hoëbeke p. 15.
20. « Celle qui rêvait d'être la fille de Calamity Jane », op. cit.
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