Page 5 ARCHIVES DE NOS JOURNAUX, RECUEIL - notre beni-saf
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5 Les archives de nos journaux... Recueils de mémoire envoyaient 1983 journal 13 : Nos ancêtres n'étaient pas des Gaulois Yolande Tuso- Fernandez uan n'avait pas vingt ans quand, pour la première fois, il arriva en Algérie à bord d'un voilier espagnol, en provenance d'Alméria. Le chargement se composait uniquement d'hommes valides s'apprêtant à passer la saison de l'alfa sur les hauts-plateaux algériens. Juan n'avait pour tout bagage qu'un maigre baluchon sur l'épaule; mais il portait en lui l'immense désir de réussir dans ce pays neuf qu'était l'Algérie de 1885. J A Oran, sur le quai de débarquement, après les formalités de police, il fut embauché par une compagnie oranaise d'exploitation de l’alfa, qui organisa immédiatement un convoi de travailleurs et le dirigea vers les hauts-plateaux. Sitôt le lever du jour, les coupeurs d'alfa étaient à pied d'oeuvre. Chaussés d'espadrilles de corde, coiffés de chapeaux de paille à larges bords, ils avançaient au milieu des touffes vertes, leur couteau bien tranchant à la main. Ils se baissaient et se relevaient régulièrement, sans jamais s'abandonner à la monotonie du geste, afin d'éviter les piqûres de scorpion ou le face-à-face avec un serpent. . Certains coupeurs avaient adopté la manière de travailler des nomades du pays et pour cela, ils utilisaient un bâton autour duquel ils enroulaient les extrémités des longues et fines feuilles. Leurs mains calleuses et dures ne cessaient de s'agripper à ces plantes coriaces et de tirer sur leurs tiges. Ils les liaient ensuite en gerbes que des mulets et des ânes transportaient jusqu'au campement. Seul l'homme de garde, qui veillait à la sécurité du groupe, semblait indifférent au résultat des anecdotes… de leurs efforts, mais sa tâche n'en était pas moins utile. A midi, ils s'arrêtaient pour manger leur quignon de pain accompagné d'un morceau de morue, d'une sardine salée ou d'un oignon tendre ? Parfois, lorsque leur approvisionnement le permettait, ils se régalaient d'un "gaspacho" andalou, sorte de salade de tomates, rafraîchissante, préparée sur Ie champ et très appréciée par temps chaud. Ils se contentaient d'arroser ce maigre repas de quelques gorgées d'eau, bues à tour de rôle à la gargoulette d'argile qu'ils avaient pris soin de placer dans un coin d'ombre durant la matinée. Puis le travail reprenait, sous un soleil de plomb qui leur brûlait la nuque et séchait rapidement leurs chemises trempées de sueur. Malgré sa jeunesse, Juan se montrait prudent et sage. Son regard vif, toujours aux aguets, fouillait devant lui les bouquets insolites de lentisques et de palmiers nains qui, pareils à des récifs mystérieux, surgissaient ça et là, au milieu de la mer d'alfa verdoyante et inoffensive en apparence. Un jour, à l'heure du repas de midi, Juan s'était couché à même le sol, sous un olivier sauvage dont l'ombre était très recherchée dans la steppe déserte. Adossé au tronc de l'arbre, le fusil à portée de la main, son ami Pedro assurait la garde. Tout à coup, "Cuidado !", le cri d'alerte du veilleur retentit, suivi de près par un coup de feu. Les hommes bondirent immédiatement "sur leurs pieds. Les plus rapides eurent juste le temps de voir s'effondrer devant eux une superbe panthère que Pedro, tout ébaubi par sa réussite, continuait à viser. Au cri d'agonie et de mort de la bête succéda un court silence, bientôt rompu par l'exposion de joie des coupeurs d'alfa. Ils acclamèrent. Pedro avec effusion. Puis, comme des enfants, ils formèrent une ronde autour de l'animal, dont la mince et longue queue traînait au milieu d'une touffe de lavande aux fleurs pâles. Quand leurs chants s'éteignirent, Juan s'approcha de la panthère qui, allongée sur le sol, avait cessé de vivre. Quelques gouttes de sang perlaient autour du cou, là où les cercles sombres contrastaient avec sa robe fauve. La petite colonie connut un moment de liesse, rompant avec la monotonie des jours : ce fut quand les autorités félicitèrent Pedro et lui demandèrent de leur remettre l'animal afin de l'exposer à Oran, où son succès fut éclatant. Ils se retrouvèrent tous à la cantine de Manuel et, contrairement à ses habitudes, Juan se joignit à la bande pour fêter la chasse miraculeuse. Tard dans la soirée, leurs rires et leurs chants retentirent dans le village. Manuel eut grand peine à fermer sa cantine où, "l'agua ardiente" aidant, ces hommes avaient oublié leur servitude. . . A l'automne, la saison de l'alfa terminée, Juan repartit vers l'Espagne en compagnie de quelques-uns de ses camarades. Le voyage fut long et lui permet de réfléchir tout à loisir sur son avenir. Le capital amassé pendant ces durs mois où .il avait vécu très sobrement, capital déjà entamé par le prix du voyage, lui apparaissait bien léger en comparaison de ses ambitions. Il songeait tristement qu'il lui faudrait revenir au printemps prochain. Près de lui, ses compatriotes, tout à la joie de fouler bientôt le sol natal, retrouvaient avec plaisir les refrains des vieilles chansons de leurs provinces. Tandis que leurs voix montaient. vers le ciel, le vent gonflait les voiles du navire et l'entrainait vers les côtes espagnoles. En souvenir de Yolande Tuso-Fernandez et de son mari Joseph Fernandez o