LA KONTINENTAL HOCKEY LEAGUE, MIROIR D`UNE RUSSIE EN

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LA KONTINENTAL HOCKEY LEAGUE, MIROIR D`UNE RUSSIE EN
LA KONTINENTAL HOCKEY
LEAGUE, MIROIR D’UNE RUSSIE
EN RENOUVEAU
(Première partie)
UNE GRILLE DE LECTURE GEOSPORTIVE, GEOECONOMIQUE,
GEOCULTURELLE ET GEOPOLITIQUE POUR COMPRENDRE LA RUSSIE
DE 2012
Par Frédéric JARROUSSE,
Professeur d’histoire-géographie et de D.N.L,
S’
Lycée Ambroise Brugière (Clermont-Ferrand)
il existe un club de hockey sur glace emblématique de la Russie, c’est bien le
CSKA Moscou, le club de l’Armée Rouge1, l’un des plus anciens du pays
(1946), évoluant actuellement en KHL. Emblématique pour sa cascade de
titres à l’échelle nationale (32 titres de champion d’URSS entre 1948 et 1989, 15
coupes d’URSS) mais aussi continentale (20 titres de champion d’Europe entre 19691974 puis entre 1978-1990). Emblématique, le CSKA l’est aussi pour sa route vers le
renouveau sportif qui ressemble à celui de la Russie, puissance en souffrance et qui se
réaffirme peu à peu. Un club-phénix dans une Russie ré-émergente. La situation du
CSKA est en effet plus que désolante depuis 1990 : disette de titres, problèmes
d’argenterie, un public rare (à l’inverse de celui qui afflue en masse en Sibérie ou
même à Saint-Pétersbourg)… Comme si le club avait été emporté dans la chute de
l’URSS2. Et malgré un redressement temporaire (5e en 2009), le club a surtout
1 L’autre club de l’Armée, présent dans le championnat de KHL, est le SKA Saint-Pétersbourg. Tous les deux
portent encore l’étoile rouge sur leur maillot. Le CSKA n’est pas le seul club de Moscou à jouer en KHL : le
Dynamo, par tradition le club de la classe dirigeante russe et de la police, compte à son actif quatre titres de
champion d’URSS (1947, 1954, 1990, 1991), autant de Russie (1993, 1995, 2000, 2005), une coupe d’Europe
(2006) et un titre de KHL (2012). On trouve aussi le Spartak, par tradition, le club du peuple, 4 fois champion
d’URSS (1962, 1967, 1969, 1976). On rajoutera au trio moscovite un club proche, situé dans la banlieue de la
capitale russe (à environ 20 km), l’Atlant Mytischi qui a changé de nom à plusieurs reprises : installé à
Voskresensk (sous le nom de Khimik Voskresensk), il s’est scindé ensuite en deux clubs, une partie restant à
Voskresensk, l’autre déménageant à Mytischi dans la banlieue de Moscou (sous le nom de Khimik Mytischi). Le
Khimik Mytischi devient ensuite en 2007 le Khimik Moskovskaïa Oblast (Khimik Région de Moscou), avant de
devenir en 2008 l’Atlant Mytischi. Enfin, assez proche de Moscou (environ 70 km) se trouve le Vityaz
(« Chevalier ») Tchékhov.
2 De son côté, l’équipe soviétique de hockey sur glace a été entre 1954 et 1991, la meilleure du monde,
cumulant 21 titres (dont 9 consécutifs entre 1963 et 1971), 7 médailles d’argent et 5 de bronze, soit 33
médailles sur 35 championnats du monde, laissant deux années vierges dans cet impressionnant tableau de
chasse (1955, 1962). A cette moisson, s’ajoutent 7 titres olympiques entre 1956 et 1988 (dont 4 consécutifs
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1
accumulé les mauvaises places, hantant les bas de classement ; bref, il n’est plus que
l’ombre de lui-même : 13e de KHL en 2010, 19e en 2011 et enfin 16e en 2012. Pourtant,
le club semble aujourd’hui sortir de l’impasse : nouvel encadrement3 et surtout
nouveau partenaire, le géant pétrolier Rosneft, déjà sponsor officiel des prochains
Jeux Olympiques d’Hiver de Sotchi (2014)4, et nouvelles recrues parmi les
meilleures5. La nouvelle manne financière tirée des pétro-roubles conjuguée à l’action
volontaire des dirigeants ont amené le club à renouer avec le succès6.
Quelle est donc cette KHL qui s’abreuve de la puissance énergétique russe ?
Quelle est cette Ligue-pieuvre aux ambitions débordantes qui attire les grandes
entreprises industrielles et pétrolières jusqu’aux stars de la NHL en panne de
championnat dès le début de la saison 20127 ? Quels sont ses caractères et ses rouages
? En quoi la KHL est-elle représentative du dynamisme russe actuel ?
La réflexion que nous proposons entend montrer en quoi la KHL peut être
considérée comme une clé de lecture géosportive, géoéconomique, géoculturelle et
géopolitique (sinon politique) de la Russie actuelle.
NOTA : Je souhaite adresser un très sincère et profond remerciement à
Philippe Rouinssard, journaliste à Hockey Hebdo, spécialiste de la KHL,
qui a accepté de correspondre avec moi et n’a pas compté son temps
pour répondre à plusieurs de mes interrogations.
entre 1964 et 1976), une médaille d’argent et une de bronze. La Russie a connu sur glace, depuis l’implosion de
l’URSS, une longue traversée du désert (sic) : le premier titre mondial du nouvel Etat russe (1993) n’a pas
vraiment été suivi d’effet (malgré deux titres olympiques : 1992, 1998), puisqu’il faut attendre 2002 (bronze) et
surtout 2007 (bronze) pour retrouver une Russie à nouveau conquérante et plus régulière dans ses résultats (3
titres mondiaux : 2008, 2009, 2012).
3 L’ancien joueur vedette de NHL Sergeï Fedorov a pris en main la direction générale du club ; quant à
l’entraîneur, il s’agit de Valéry Bragin, qui a brillé en tant qu’entraîneur de l’équipe junior russe.
4 Ville balnéaire russe située sur le littoral de la Mer Noire. On pourra consulter avec intérêt un article de
Courrier International (2007) qui présente l’un des grands projets de la ville, l’Ile de la Fédération, une île
artificielle de 250 ha,
sur le modèle de « The World » à Dubaï et financé par les EAU :
http://www.courrierinternational.com/breve/2007/10/01/rien-n-est-trop-beau-pour-sotchi. La construction
doit se dérouler de 2008 à 2013 ; elle a été confiée à un architecte néerlandais. Compléter avec
http://www.alltrends.fr/article-27323929.html
5 Soulignons à ce titre l’arrivée de la star russe Aleksandr Radulov, auparavant en NHL (Nashville Predators).
Son salaire annuel est de 10 millions de dollars par an.
6 http://www.hockeyhebdo.com/article-khl-l-armee-rouge-est-de-retour,3844.html
7 La NHL ou championnat professionnel d’Amérique du Nord (réunissant des franchises essentiellement
américaines et canadiennes) est actuellement bloquée depuis la fin de l’été 2012 en raison de divergences de
salaires entre les dirigeants et les représentants des joueurs. Un grand nombre de joueurs russes évoluant en
NHL, ont signé des contrats avec des clubs de KHL, dans l’attente d’une résolution du conflit salarial.
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2
1. La trame sportive : la KHL, une NHL façon russe ?
Anatomie de l’aigle américain et de l’ours russe en patins
La KHL est un acronyme signifiant Ligue de Hockey Continentale (voir logo cicontre), du russe Kontinentalnaïa Hokkeïnaïa Liga (Континентальная хоккейная
лига). Fondée en 2008, elle s’est substituée au championnat d’élite russe connu sous
le nom de Superliga (en vigueur de 1996 à 2008). Le changement de nom est
nettement porteur : KHL concurrence déjà par la rime sa grande rivale à l’échelle
mondiale, la NHL (North American Hockey League, 1917), la grande ligue
professionnelle nord-américaine. Les trois initiales donnent aussi au championnat
russe une référence spatiale explicite. Alors que la NHL se détermine comme « nordaméricaine », la KHL se dote d’un cadre géographique plus large en se donnant une
envergure « continentale », c’est-à-dire eurasienne, et non strictement russe. La
KHL se définit d’ailleurs, officiellement, comme « une ligue internationale
promouvant le développement du hockey en Russie et dans plusieurs pays d’Europe
et d’Asie »8. Transfrontalière, la KHL l’est en effet davantage que son homologue de
NHL à cheval seulement sur les Etats-Unis et le Canada. Car si la KHL réunit une
majorité de clubs russes, elle intègre aussi cinq autres équipes situées à l’étranger.
On trouve ainsi un club tchèque, (Lev Praha), un slovaque, (Slovan Bratislava),
un letton (Dinamo Riga), un ukrainien (Donbass Donetsk), un biélorusse
(Dinamo Minsk) et un kazakh (Barys Astana). Cette dimension eurasienne
devrait d’ailleurs être approfondie dans les saisons prochaines avec l’intégration
possible de nouveaux clubs provenant d’Europe centrale ou orientale.
La KHL n’est pourtant pas un cas unique de compétition transfrontalière en
Europe ou aux abords du Vieux continent. On peut ainsi citer l’exemple du
championnat autrichien de hockey sur glace connu sous le nom de ÖEL
(Österreichische Eishockey Liga) et plus familièrement sous celui de EBEL (Erste
Bank Eishockey Liga), en référence à son principal sponsor, Erste Bank. A côté des
clubs autrichiens logiquement prépondérants (Dombirner EC, EC Salzburg, EHC
Linz, Graz 99ers, HC Innsbruck, Klagenfurter AC, Vienna Capitals, Villacher SV),
figurent un club slovène (Olimpija Ljubljana), un hongrois (Székesfehérvár), un
tchèque (Orli Znojmo) et un club croate (le KHL Medveščak de Zagreb).
La KHL et la NHL sont-elles pour autant entièrement comparables ? Peut-on
considérer la KHL, plus récente, comme une imitation de la NHL qui aurait servi de
modèle, de référence ? Cette idée est en partie fondée… A commencer d’abord par la
structure globale du championnat.
La NHL regroupe 30 équipes (ou franchises) ; sur ce total, 6 seulement sont
canadiennes et 24 américaines. Ces clubs sont répartis dans 6 divisions
géographiques constituées de 5 équipes chacune. Les divisions sont ensuite intégrées
8 http://gazprom.com/social/supporting-sports/hockey/khl/
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3
par groupe de 3 dans des Conférences. Ainsi, les divisions Nord-Ouest9, Centrale10 et
Pacifique11 forment la Conférence de l’Ouest ; les poules Atlantique12, Nord-Est13 et
Sud-Est14 composent la Conférence de l’Est. Au terme de la saison régulière, longue
de 82 matches, les 8 meilleures équipes de chaque Conférence s’affrontent dans une
phase de série éliminatoire au meilleur des 7 matches, ce sont les play-off. La finale
du trophée suprême, la Coupe Stanley, oppose chaque année le vainqueur de la
Conférence Ouest à son homologue de l’Est. La saison est aussi ponctuée par le match
des étoiles (All Star Game), rassemblant les meilleurs joueurs de chaque Conférence,
l’Ouest affrontant ainsi l’Est le temps d’un match symbolique.
De son côté, la KHL englobe 26 clubs pour une saison longue de 56 matches
(chaque club dispute 4 matches contre les membres de sa propre division et 2 contre
des rivaux extérieurs à sa division) ; sur ce total de 26 équipes, 20 sont russes, 6 nonrusses. Deux Conférences géographiques, Occidentale (de la République tchèque à la
Volga15, en gros la Russie d’Europe) et Orientale (de la Sibérie à l’Extrême-Orient),
regroupent respectivement 14 et 12 équipes. Chaque Conférence est ensuite
subdivisée en deux divisions portant le nom de joueurs ou entraîneurs célèbres. Le
championnat de KHL fonctionne en deux phases comme en NHL (saison régulière
puis play-off). L’équipe vainqueur des séries éliminatoires remporte la Coupe
Gagarine et le titre de champion KHL.
On retrouve également en KHL le principe du match des étoiles16 : le 1er a eu
lieu en 2009 à Moscou, sur une patinoire de circonstance dressée sur la Place Rouge ;
les suivants se sont déroulés à Minsk (2010), Saint-Pétersbourg (2011) et Riga (2012).
Le 5e, pour la saison en cours, est prévu en janvier 2013 à Tcheliabinsk. On notera, au
passage, l’alternance des sites, entre villes russes et non russes.
9 Calgary Flames, Edmonton Oilers, Vancouver Canucks, Colorado Avalanche, Minnesota Wild.
10 Chicago Blackhawks, Detroit Red Wings, Nashville Predators, Saint-Louis Blues, Columbus Blue Jackets.
11 Los Angeles Kings, Phoenix Coyotes, San José Sharks, Dallas Stars, Anaheim Ducks.
12 Pittsburgh Penguins, Philadelphia Flyers, New York Rangers, New York Islanders, New Jersey Devils.
13 Toronto Maple Leafs, Ottawa Senators, Canadiens Montréal, Buffalo Sabres, Boston Bruins.
14 Carolina Hurricanes, Florida Panthers, Tampa Bay Lightning, Washington Capitals, Winnipeg Jets.
15 La limite de la Conférence occidentale se trouve au niveau du club Torpedo de Nijni Novgorov, situé dans la
région du même nom (ex-région Gorki, 1936-1991).
16 Voir http://www.khlallstar.com/en/history/2009/ pour l’historique du « All Star Game » russe.
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4
CLUBS DE KHL
CONFERENCE OCCIDENTALE
CONFERENCE ORIENTALE
Division BOBROV
Division KHARLAMOV
Dynamo Moscou, SKA Saint-Pétersbourg,
Vityaz Tchékov, Dinamo Riga, Donbass
Donetsk, Lev Prague, Slovan Bratislava
Ak Bars Kazan, Avtomobilist Iekaterinbourg,
Metallurg Magnitogorsk, Neftekhimik Nijnekamsk,
Traktor Tcheliabinsk et Yugra Khantis-Mansis
Division TARASOV
Division CHEMYSHEV
Dinamo Minsk, Atlant Mytischi, Lokomotiv
Iaroslavl, Severstal Tcherepovets, Torpedo
Nijni Novgorod, Spartak Moscou et CSKA
Moscou
Avangard Omsk, Amur Khabarovsk, Metallurg
Novokuznetsk, Salavat Yulaev Oufa, Sibir
Novosibirsk et Barys Astana
Source : http://www.eliteprospects.com/league_home.php?leagueid=192
En KHL comme en NHL, il n’existe pas de système de relégation / promotion avec
l’échelon inférieur. Seuls des problèmes financiers, des rachats ou des
déménagements d’équipes expliquent la disparition de certains clubs17. En Amérique
17 C’est le cas par exemple des Atlanta Trashers en NHL, une franchise de courte durée en Géorgie (1999-2011)
et qui fut par la suite déménagée au Canada, à Winnipeg, en 2011 (les Jets) ; bien avant, on avait eu le
déménagement des Nordiques Québec (1979-1995) à Denver (Colorado Avalanche) en 1995. En KHL, on peut
citer le malheureux Lev Poprad qui ne fit qu’une saison en KHL (2011-2012) avant de disparaître ou le Lada
Togliatti qui participa au championnat de KHL de 2008 à 2010 avant d’être relégué pour raisons financières en
VHL.
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du Nord, la NHL vit en parallèle avec la AHL (American Hockey League), une Ligue
« mineure » regroupant des équipes américaines et canadiennes. Les clubs
professionnels de NHL ont mis en place un système d’affiliation avec leurs
homologues de AHL : les équipes affiliées constituent une réserve de talents pour les
franchises de la Ligue majeure qui font ainsi appel à ces joueurs au gré des blessures
et/ou méformes des membres de l'effectif professionnel de départ. Les affiliations
sont conclues en règle générale par un contrat scellant une entente d'une ou plusieurs
saisons entre une ou plusieurs équipes de NHL avec une ou plusieurs équipes de
AHL. Certains clubs de NHL sont, il faut le noter, parfois propriétaires de leur équipe
de ligue mineure. La KHL a développé une ligue parallèle, connue sous le nom de
VHL18 (Высшая хоккейная лига ou Vyschaïa Hokkeïnaïa Liga), qui concentre des
« clubs-fermes » des grandes équipes de la ligue majeure russe. Par exemple, le HK
VMF Saint-Pétersbourg est affilié au SKA Saint-Pétersbourg ; autre exemple, le
Krylia Sovetov, de Moscou est partenaire du Spartak ; le Toros Neftekamsk l’est avec
le Salavat Yulaev Oufa etc… Notons que le championnat de VHL est lui aussi
structuré sur une base transfrontalière avec, sur les 27 clubs, deux clubs du
Kazakhstan (Kazzinc-Torpedo, Sary-Arka Karaganda) et un de Biélorussie (Yunost
Minsk).
CLUBS DE VHL
Ariada-Akpars Volzhsk
Buran Voronezh
Chelmet Tcheliabinsk
Dizel Penza
Dynamo Balashikha
HC VMF St. Petersbourg
HK Ryazan
HK Sarov
Izhstal Izhevsk
Kazzinc-Torpedo
Kristall Saratov
Kuban Krasnodar
Lada Togliatti
18 Le vainqueur de la VHL remporte la Coupe Bratine.
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Lokomotiv Iaroslavl 2
Molot-Prikamie Perm
Neftyanik Almetievsk
Rubin Tioumen
Sary-Arka Karaganda
Sokol Krasnoïarsk
Sputnik Nijny Tagil
THK Tver
Titan Klin
Toros Neftekamsk
Yermak Angarsk
Yunost Minsk
Yuzhny Ural Orsk
Zauralie Kurgan
6
7
Source : http://www.eliteprospects.com/league_home.php?leagueid=133
Une première différence entre KHL et NHL tient à la part des étrangers dans les
effectifs des clubs. Cette proportion est variable en NHL mais s’avérer importante. Si
on prend comme exemple le cas des Red Wings de Detroit, on s’aperçoit qu’il y a 11
joueurs européens sur 24. La KHL se montre plus restrictive à ce sujet. Sur les 25
joueurs prévus par équipe, elle n’autorise que 5 étrangers maximum 19 ; un seul
gardien étranger est accepté par club. Cette « législation » ne vaut cependant que
pour les clubs russes et pas pour les clubs extra-frontaliers.
Une autre différence majeure repose sur le degré d’ouverture des ligues. La NHL
est une Ligue très conservatrice, peu encline à remodeler la structure de son
championnat, à accepter des déménagements d’équipe20, à encourager la création de
nouveaux clubs. Cet immobilisme trouve son illustration aujourd’hui dans le lock-out
qui secoue la Ligue, le second en moins de dix ans (voir ci-après). La KHL est,
19 Est considéré comme étranger un joueur ne possédant pas de passeport russe.
20 On peut citer en exemple la franchise d’Arizona des Phoenix Coyotes, déménagée en 1996 de Winnipeg
(Canada) à la banlieue de Phoenix, à Glendale. En faillite, le club est racheté par la NHL. Divers entrepreneurs
(comme Greg Jamison) ont déclaré vouloir racheter le club. Des projets de déménagement vers le Canada
(Hamilton dans l’Ontario, Québec) accompagnent ces propositions de rachat. Mais la NHL s’oppose à tout
transfert et impose que les Coyotes restent dans l’Arizona. Pourtant, la Ville même de Phoenix, serait prête à se
débarrasser de l’équipe en raison des coûts d’exploitation de l’Arena où elle joue. La mairesse, Mme Sruggs,
déclare même : « Je ne payerai pas plus de 11 millions $ par année pour la gestion de l’aréna. Donner de
l’argent au propriétaire pour que les investisseurs fassent des profits n’est pas la bonne façon de procéder en ce
moment. Un locataire autre que les Coyotes pourrait amener plus d’argent à la Ville si le tout est bien géré.
Nous avons d’autres options qui sont peut-être meilleures que celle des Coyotes.». Tiré de Cours 101 sur la saga
des Coyotes par Patrick Caisse ,19 avril 2012, http://patrickcaisse.tvasports.ca/generale/cours-101-sur-la-sagades-coyotes/
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inversement, nettement plus souple et flexible : des équipes ont disparu depuis la
première saison de championnat (pour raisons financières21), d’autres ont été
intégrées ; les arrivées de nouvelles équipes en provenance d’Europe centrale (Lev
Praha, Slovan Bratislava) et orientale (Donbass Donetsk) ont amené la Ligue à
restructurer ses divisions : le CSKA Moscou est ainsi passé de la division Bobrov à
la division Tarasov.
2. La KHL : une ligue professionnelle en pleine
affirmation
Les déclinaisons du succès russe
En l’espace de seulement 4 saisons (la 5e étant en cours), la KHL a réussi à
s’imposer aux côtés de la puissante NHL comme une Ligue de référence à l’échelle
mondiale. Les racines du succès russe peuvent être abordées selon deux angles bien
distincts.
La KHL tire profit actuellement du lock-out qui touche sa rivale nord-américaine.
En effet, le championnat outre-atlantique est actuellement en panne (lock-out) en
raison d’un rude conflit social qui oppose les propriétaires des franchises ainsi que le
patron de la NHL, Gary Bettmann, aux représentants des joueurs (NHLPA) au sujet
de la convention collective fixée en 2005 et arrivée à expiration le 15 septembre 2012.
Le salaire des joueurs et en particulier la répartition des recettes générées par la NHL
constitue le nœud du problème : la Ligue cherche à réduire les coûts salariaux et veut
diminuer, sur six ans, de 57% à 47% la part des joueurs dans le partage des bénéfices.
De son côté, le syndicat des joueurs ne veut pas descendre en-dessous de 52%. Le
NHLPA défend l’idée que la NHL a, depuis 2005, enregistré une progression de 50%
de son chiffre d’affaires. Cette situation de « grève »22, qui suspend les contrats en
cours pour les joueurs professionnels, est durement vécue en Amérique du Nord où
l’on garde comme un « traumatisme » le souvenir du lock-out de 2004-2005 qui avait
conduit à l’annulation de la saison de hockey.
Sans championnat, les professionnels de la NHL ont été en partie reversés dans
les équipes de AHL. D’autres, notamment les Européens ou les Russes, ont souvent
choisi de retourner sur le Vieux continent où ils ont signé des contrats provisoires
dans leur pays natal (Suisse, Suède, République tchèque…). Quelques nordaméricains les ont accompagnés. Ainsi, c’est environ une quarantaine de « lockoutés » de la NHL, en majorité russes, qui ont rejoint la KHL entre septembre et
octobre 201223. Dans ce lot de migrants sportifs, on retrouve de grandes stars
consacrées en Amérique du Nord comme Alexander Ovechkin (Washington Capitals)
qui a rejoint le Dynamo Moscou à la fois son club de cœur, de formation … et où il
21 C’est le cas par exemple du Lada Togliatti, qui a joué deux saisons de KHL (2008-2010) avant d’être reversé
en VHL ou du club Lev Poprad, installé en Slovaquie, qui n’a duré qu’une saison (2011-2012) avant de péricliter.
22 Cette situation de grève est fréquente en Amérique du Nord en NBA (basket-ball : lock-out de 5 mois en
2011), NFL (football américain) et NHL.
23 http://www.lexpress.fr/actualite/sport/hockey-la-greve-en-nhl-profite-a-l-europe_1164267.html.
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8
possède aussi un siège au conseil d’administration ; c’est le cas encore de Ilya
Kovalchuk (New Jersey Devils) recruté par le SKA Saint-Pétersbourg ou de Evgueni
Malkin, meilleur joueur NHL de la saison 2011-2012 (Pittsburgh Penguins) de retour
au Metallurg Magnitogorsk où il avait évolué trois saisons (2004-2006) ou encore de
Alexander Semin (Carolina Hurricanes) parti jouer gratuitement pour le petit club du
Sokol Krasnoïoarsk… Si le lock-out se maintient, davantage de joueurs de NHL, et pas
seulement européens ou russes, pourraient rejoindre les championnats européens et
en particulier la KHL24. Le lock-out nord-américain est donc une véritable
opportunité pour la jeune KHL, ce dont s’est fait l’écho le vice-président de la Ligue,
Ilya Kochevrin : « J’estime que l’arrivée des joueurs de la ligue nord-américaine
représente un énorme potentiel de marketing additionnel pour notre compétition.
Les stars de la NHL suscitent de l’intérêt de beaucoup de gens et pas seulement des
personnes qui suivent le hockey régulièrement. Comme outil de marketing, c’est une
belle vitrine pour nous. 25» On pourrait encore ajouter cette phrase du Suédois
Nicklas Backstrom, recrue NHL (Washington Capitals) du Dynamo Moscou :
«C'est le plus beau défi de hockey actuellement disponible. C'est pour cette raison
que j'ai accepté l'invitation du Dynamo»26.
La KHL a donc le vent en poupe. Seule grande ligue professionnelle actuellement
en activité, elle valorise sa notoriété par la signature de nombreux contrats TV. Ainsi,
au cours du mois d’octobre 2012 la chaîne ESPN3 (73 M d’abonnés aux Etats-Unis et
en Grande-Bretagne) s’est engagée à diffuser pour commencer quelques matches de
KHL afin que les fans des joueurs russes évoluant en NHL puissent suivre leurs idoles
dans leur nouveau championnat27. Une révolution médiatique quand on connaît la
frilosité nord-américaine à l’égard de la KHL ! Le vice-président d’ESPN, John
Lasker, a même déclaré que cette Ligue est « un excellent produit » et qu’il se trouvait
satisfait de la qualité d’image qu’elle exportait. Succès sur le long terme ? Au moins le
temps du lock-out, une façon de « combler le vide que ressentent en ce moment les
amateurs de hockey aux Etats-Unis ». « Nous espérons, déclare John Lasker, que les
amateurs de hockey des États-Unis verront dans la KHL un produit de
remplacement de haute qualité. Même si la LNH revient sur la glace, nous croyons
que la KHL gagnera un nouveau groupe d’amateurs28». Des accords de
retransmission de matches ont également été signés en novembre 2012 avec le
24 Si la KHL se félicite d’attirer de nombreux joueurs de NHL, elle a toutefois établi une règlementation
spécifique adaptée à cette situation particulière et momentanée du lock-out. Ce recrutement encadré
s’applique uniquement aux clubs russes et ne concerne pas les 6 équipes localisées à l’extérieur de la Russie.
Chaque équipe ne pourra pas mettre sous contrat plus de trois joueurs venant de NHL dont un seul étranger
(c’est-à-dire non russe) ; de plus leur salaire ne pourra pas dépasser 65% du salaire qu’ils auraient touché en
restant en Amérique du Nord cette saison. L’objectif de ces mesures est d’empêcher que trop de joueurs
étrangers ne prennent les places des joueurs russes, au risque de freiner leur progression d’ici aux prochains
Jeux Olympiques d’Hiver de Sotchi en 2014.
25 Idem.
26 http://www.lapresse.ca/sports/hockey/201210/22/01-4585645-a-la-decouverte-de-la-khl.php
27 http://en.khl.ru/news/2012/10/09/24768.html
28http://gazetteduhockey.com/news/168/KHL-%C2%AB-Un-excellent-produit-%C2%BB-%E2%80%94ESPN.html
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9
Royaume-Uni29 puis, début décembre 2012, avec le groupe Eurosport Asia-Pacific,
l’une des plus importantes chaînes sportives d’Asie et d’Océanie (incluant la
couverture du Japon et de la Chine)30.
Le lock-out de NHL est évidemment un élément circonstancié qui donne
aujourd’hui une visibilité médiatique très importante à la KHL. Cependant, d’autres
facteurs, plus profonds et inhérents au cadre russe, peuvent être avancés31.
1. Un championnat de qualité. Le renforcement en amont du sponsoring a
amené une hausse des budgets, ce qui a aussi entraîné à terme un redressement
avantageux des salaires même si ces derniers restent en moyenne inférieurs à ceux
pratiqués en NHL. L’argent neuf qui inonde la KHL profite aux grandes comme
aux petites équipes. Les premières assurent des recrutements médiatiques ; les
secondes essayent de redresser leur potentiel de jeu. Le championnat se
rééquilibre, les écarts sont de plus en plus resserrés. L’issue en devient plus
incertaine, ce qui donne finalement plus de crédibilité sportive à la Ligue russe :
ainsi, au 31-10-2012, après une vingtaine de matches disputés, les 8 premières
équipes de la compétition se tenaient dans un intervalle compris entre 38 (8 e) et
45 points (1ère) ; le 7e club n’était qu’à 5 points du premier. En milieu de
classement, le constat était le même : le 9e possédait 34 points, guère plus que le
16e qui n’en avait que 31…
2. Un cadre global avantageux. Les hauts salaires sont une chose mais ne
suffisent pas à expliquer l’attrait de la KHL pour de nombreux joueurs russes mais
aussi étrangers. On peut avancer différents facteurs, comme par exemple un coût
de la vie intéressant et une fiscalité moins gourmande qu’en Amérique du Nord.
Pour les joueurs russes, l’avantage repose aussi sur le fait de pouvoir évoluer dans
un championnat de qualité sans avoir à partir en NHL, ce qui implique souvent
déracinement ou éloignement familial. C’est un argument évoqué par la star
Alexandre Ovechkin, du Dynamo Moscou : «Chez soi, c'est chez soi. Ma famille,
mes amis, tous les gens qui n'auraient pas la chance de me voir autrement,
peuvent venir me voir jouer. Et aussi, je suis content de pouvoir rembourser ma
dette à l'endroit du Dynamo. C'est le club qui m'a permis d'être prêt pour les
grandes ligues.»32 Même des joueurs non russes finissent par se plaire en Russie :
ainsi en va-t-il du gardien numéro un du Sibir (« Sibérie ») Novosibirsk, le
canadien Jeff Glass. Ce dernier, qui entame sa 4e saison en KHL, qualifie
maintenant la Russie de «nouveau chez-soi» : «On dirait que seules les histoires
négatives sur la KHL et la vie ici traversent l'Atlantique. Mais les bonnes restent
29 http://en.khl.ru/news/2012/11/22/24871.html
30 Le contrat est d’une durée de deux ans et porte sur la retransmission de 60 matches de KHL :
http://en.khl.ru/news/2012/12/02/24892.html
31 Philippe Rouinssard, http://www.hockeyhebdo.com/article-la-khl-mais-ou-s-arretera-t-elle-,3526.html
32 http://www.lapresse.ca/sports/hockey/lock-out-dans-la-lnh/201210/12/01-4582858-les-hockeyeursprennent-de-plus-en-plus-racine-eneurope.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4585645_articl
e_POS1
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10
cachées. Je considère essentiel de rétablir le plus souvent possible les faits. Je le
dois à cette ligue, qui me fait bien vivre en me donnant la chance de jouer du très
bon hockey, et aux villes où j'ai vécu». Et d’ajouter : «Mon appartement est
semblable à celui que j'ai à Calgary. Ma qualité de vie est équivalente. Ma fiancée
et moi sommes heureux. Mon chien aussi [sic].»33 Voilà quelques ingrédients qui
expliquent que la KHL réussisse à maintenir en Russie des joueurs de bon niveau
(exemple du Norvégien
Thoresen qui a préféré rester au SKA SaintPétersbourg plutôt que de revenir en NHL) ou parvienne à en faire revenir
certains (exemple de Alexander Radulov qui a quitté les Nashville Predators pour
le CSKA Moscou).
3. Une Ligue rentable. La KHL est en effet une Ligue rentable qui attire
nombre de supporteurs, même si les patinoires ont une capacité inférieure à celles
de leurs homologues nord-américaines (elles sont plus petites qu’en NHL ; leur
capacité est comprise entre 5 000 et 15 000 places). Les affluences sont très fortes
en particulier dans la Conférence Est, regroupant les équipes « sibériennes », où
de nombreux matches se jouent à guichet fermé. Le record d’affluence pour un
match a même été battu récemment, le 10 octobre 2012, dans la patinoire de
Prague, lors de la rencontre entre le club local, le Lev Praha et le Dynamo
Moscou avec 16 304 spectateurs34.
4. Une Ligue qui veut se faire connaître en Occident. La KHL soigne
également son image par les médias. Elle cherche à accroître sa visibilité en Russie
mais aussi et surtout au-delà : elle dispose ainsi d’un site officiel (disponible en
russe et en anglais)35, de sa propre diffusion vidéo (« KHL TV »36) où elle propose
des émissions, des entrevues, des extraits de match etc…. Les télévisions russes
retransmettent des matches de KHL en direct et notamment aux heures de grande
écoute. La KHL cherche à se faire connaître et reconnaître auprès des Européens et
surtout des Nord-Américains, plus réticents : en 2013, deux matches de la saison
régulière se disputeront aux Etats-Unis, au sein du tout nouveau Barclay’s Center
de Brooklyn à New York (14 500 places) ; ils opposeront deux poids lourds de la
compétition, le SKA Saint-Pétersbourg et le Dynamo Moscou (champion
sortant). La recherche d’une meilleure visibilité a amené également la KHL à
amené également la KHL à transcrire les noms figurant au dos des maillots des
joueurs en alphabet latin et non plus en cyrillique comme c’était le cas auparavant.
Cette mesure d’ouverture culturelle et d’accessibilité renforcée a cependant ses
limites dans la mesure où la plupart des clubs maintiennent leur site officiel en
langue russe ; rares sont ceux qui proposent une version en anglais comme par
exemple le AK Bars Kazan.
33 http://www.lapresse.ca/debats/chroniques/francois-gagnon/201210/29/01-4587990-khl-le-meilleur-resteavenir.php?utm_categorieinterne=trafficdrivers&utm_contenuinterne=cyberpresse_lire_aussi_4585645_article
_POS2
34 http://en.khl.ru/news/2012/10/10/24773.html
35 Le site officiel de la KHL est sur http://en.khl.ru/ (version en anglais).
36 KHL TV est disponible sur http://www.youtube.com/khl
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11
On peut illustrer le succès de la KHL par l’incorporation récente de nouveaux
clubs non russes. Quels facteurs peuvent pousser un club à délaisser son propre
championnat national pour partir à l’aventure dans un championnat où il n’a aucun
repère sportif et où ses chances de briller sont incertaines ? L’exemple, à ce titre, du
Slovan Bratislava37 est pertinent. En effet, c’est la première fois qu’un club
étranger, non-russe, mais à forte stature nationale et européenne rejoint la KHL.
Après 91 années passées en championnat tchécoslovaque puis en Extraliga slovaque,
avec un palmarès enviable, après avoir été pendant longtemps le vivier de l’équipe
nationale, le Slovan Bratislava a choisi de quitter l’environnement familier du
championnat slovaque pour rejoindre la KHL38. C’est dire si l’attraction de la KHL est
forte ; c’est aussi peut-être l’indice que le club se sentait à l’étroit dans son propre
championnat où les défis commençaient peut-être à manquer faute de concurrence
majeure. Le changement de cap du Slovan Bratislava tient sans aucun doute à la
recherche de nouvelles ambitions sportives. Il est aussi lié à d’importants enjeux
économiques. Peu après l’intégration officielle en KHL, le club a vu les demandes
d’abonnement pour la nouvelle saison exploser et se diversifier géographiquement.
Les fans ne viennent désormais plus seulement de Bratislava mais aussi de toute la
Slovaquie, de l’Autriche (n’oublions pas que Vienne n’est qu’à 60 km de Bratislava) et
même la Hongrie. Le Slovan Bratislava a déjà vendu 4500 abonnements sur
l’année (soit à peu près l’équivalent de 50% de sa capacité d’accueil ; valeur unitaire :
260 euros) ; de même, la location des loges et sièges VIP s’est rapidement envolée. Le
public se déplace désormais en masse : en pré-saison, le 31 juillet 2012, lors d’un
match d’exhibition contre le SKA Saint-Pétersbourg, en plein contexte des Jeux
Olympiques de Londres, la patinoire a accueilli pas moins de 8700 spectateurs. Cette
affluence est très significative lorsqu’on la rapporte, pour la saison 2011-2012, à la
moyenne de supporteurs en Extraliga (2700) ou à celle du Slovan (5900). Notons
toutefois que malgré tous ces points positifs, le Slovan Bratislava dispose encore
d’un trop petit budget et ne tire pas assez de bénéfices des ventes de billets (entre 10
et 16 euros) en raison du coût de la vie assez bas en Slovaquie (le salaire moyen
mensuel slovaque est inférieur à 1000 euros).
Si la KHL attire, séduit, elle fait aussi l’objet de critiques, en particulier de la part
du monde de la NHL39. Sur quoi reposent-elles ? Les Nord-Américains, qui sousestiment volontiers la KHL avec une petite pointe de mépris, la voient comme :
1) Un éteignoir. “Faire le saut dans la KHL peut s’avérer très bénéfique pour
les hockeyeurs nord-américains, mais les joueurs qui prennent cette voie
doivent être conscients des sacrifices qu’implique leur décision”, note le
journal Metro qui cite à ce titre le témoignage du joueur canadien Eric Landry,
37http://www.iihf.com/home-of-hockey/news/newssingleview/recap/7185.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=955&cHash=74dc29db3b
38 Champion de Tchécoslovaquie (1979) et d’Extraliga slovaque (1998, 2000, 2002, 2003, 2005, 2007, 2008 et
2012) ; une coupe européenne (2004).
39 « KHL : une bonne option, mais pas à tout prix », http://journalmetro.com/uncategorized/94676/khl-unebonne-option-mais-pas-tout-prix/,
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qui joua en Russie entre 2007-2010 (Dinamo Moscou et Atlant) avant de
s’expatrier en Suisse : «Ils doivent tout d’abord se demander s’ils sont prêts à
abandonner leur rêve de jouer dans la Ligue nationale [NHL]. S’ils viennent
jouer ici, il y a très peu de chance qu’ils reviennent, ou qu’ils accèdent à la
NHL. » Pour certains nord-américains, la KHL a un problème d’image en
raison du profil de ses joueurs : on y trouve soit d’anciennes gloires de la NHL,
soit des hockeyeurs n’ayant pas réussi à forcer les portes de cette Ligue…
2) Un chemin de croix. Les critiques portent ensuite sur la difficulté
d’intégration en Russie en raison de la barrière de la langue ; on évoque aussi
l’isolement dans des villes parfois petites (en comparaison des métropoles
nord-américaines) et moins dynamiques. D’autres remarques portent aussi sur
les changements de repères pour les Nord-Américains : patinoires de type
olympique, plus larges (4 m), parfois vétustes ou moribondes car héritées de
l’époque soviétique, un style de jeu basé sur la vitesse et la technique et moins
sur le physique. Si la NHL tolère en grande partie le jeu dur, la KHL le punit
plus sévèrement. Les joueurs nord-américains issus de la NHL ne parviennent
d’ailleurs pas tous à percer en KHL : on peut évoquer le cas de la star des
Winnipeg Jets, Evander Kane. Arrivé cette saison au Dinamo Minsk, en
plein lock-out de la NHL (voir plus loin), l’attaquant a fait un séjour éclair en
Biélorussie avant d’être congédié en novembre 2012 en raison de ses
mauvaises performances sur la patinoire. Un but en 12 matches, maigre bilan
pour un joueur qui avait totalisé l’an passé 57 points en 74 matches de NHL
(30 buts, 27 assistances). Le directeur général du Dinamo Minsk a jugé qu’il
n’avait « malheureusement pas été en mesure de s’adapter au jeu de la
KHL »40…
3) Des déplacements qui manquent de sécurité. L’accident qui a frappé
l’équipe du Lokomotiv Iaroslavl (à 250 km au nord-est de Moscou), l’une
des plus fortes équipes de KHL, en septembre 2011 a renforcé la position de
certains détracteurs de la Ligue russe41. L’avion qui transportait l’équipe à
Minsk, pour l’ouverture du championnat, a heurté au décollage une antenne
située au-dessus d’une tour météo de l’aéroport local (Tunoshna) puis il s’est
brisé en deux avant de s’écraser au sol : sur les 45 passagers, on dénombre 44
victimes (un joueur, Alexander Galimov, qui survit au crash, meurt plus tard à
l’hôpital de ses blessures et brûlures) ; seul un membre d’équipage a survécu
mais reste dans un état très critique. On relève parmi les victimes des
personnalités fortes du hockey sur glace, comme l’entraîneur, le Canadien
Brad Mac Crimmon (venu des Detroit Red Wings), des internationaux
tchèques (Josef Vasicek, Karel Rachunek), slovaques (Pavol Demitra), lettons
(Karlis Skrastins) ou biélorusses (Ruslan Saleï) ayant brillé notamment en
NHL… L’impact de l’événement a mis en question la sécurité des transports
40 http://www.journaldemontreal.com/2012/11/16/evander-kane-est-congedie-dans-la-khl
41 http://www.radio-canada.ca/sports/hockey/2011/09/07/001-yaroslavl-avion-accident.shtml
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aériens en Russie ; or, à l’échelle de cet Etat-continent, c’est l’avion qui est
privilégié comme mode de transport rapide pour les déplacements sportifs.
L’appareil qui transportait l’équipe a été mis en cause (il semblerait pourtant
et après enquête qu’il s’agit à l’origine d’une erreur de pilotage) : « le Yak-42
est un avion russe conçu dans les années 1970. Il visait à remplacer des
appareils Tupolev vieillissants. Il peut accueillir jusqu'à 120 passagers. Au fil
des années, plusieurs exemplaires ont été vendus en Chine, à Cuba et en
Macédoine. Il y a déjà quelque temps, le président Dimitri Medvedev avait
indiqué que la Russie retirerait tous les Yak-42 de la circulation à compter du
début de 2012. Le président de la Fédération russe de hockey, Vladislav
Tretiak, a aussi indiqué que l'équipe nationale n'utiliserait plus jamais ce type
d'appareils »42.
3. La KHL : une Ligue conquérante.
La « pieuvre » par quatre
Le président de la KHL, Alexander Medvedev, développe actuellement toute une
stratégie d’extension géographique de la Ligue professionnelle russe visant à
renforcer mondialement son influence et son image. Telle une pieuvre agitant ses
tentacules aux quatre coins du globe, la KHL cherche donc à intégrer, au-delà de la
Russie, de nouveaux clubs à son championnat. Cette politique d’extension s’inscrit
dans un projet ambitieux que A. Medvedev (cf photo) a présenté récemment, à
Barcelone, en juin 2012, et qui repose sur la mise en place d’une grande compétition
« eurasiatique » de hockey sur glace portant sur un vaste territoire compris entre
Atlantique et Pacifique. Le championnat réunirait en tout 64 clubs qui seraient
répartis équitablement en deux Conférences pour une saison de 62 matches. La
Conférence européenne comprendrait différentes poules géographiques : l’une serait
établie en Scandinavie (Suède, Finlande, Danemark, Norvège), une autre dans une
Europe centrale aux contours un peu excentriques (Allemagne, Suisse, Autriche,
République tchèque, Slovaquie, Slovénie, Croatie, France, Italie, Grande-Bretagne,
Pays-Bas). L’autre Conférence regrouperait les équipes russes et celles de l’étranger
proche. Pour couronner le tout, une rencontre annuelle entre le vainqueur de la
Coupe Stanley et celui de la Coupe Gagarine a été également envisagée. Alexandre
Medvedev a déclaré vouloir ce grand championnat opérationnel d’ici à 2014 ou
201543.
Un tel projet de refonte de la KHL à plus ou moins long terme suppose de recruter
des clubs à l’échelle de l’Eurasie. Et ce n’est pas tâche aisée.
Entrer en KHL sous-entend déjà, pour l’équipe intéressée, de posséder un budget
suffisamment important pour relever ce défi (déplacements lointains et onéreux)
ainsi qu’une patinoire assez grande (plus de 5000 places) pour accueillir un public
42 Ibidem
43
Andrew
Podnieks
singleview/recap/7042.html
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et
Martin
Merk,
http://www.iihf.com/home-of-hockey/news/news-
14
nombreux et régulier. De plus, ne va pas en KHL qui veut. Car le club doit obtenir le
feu vert de sa fédération pour passer de son championnat national à celui de Russie.
Or, les fédérations sont en majorité réticentes à l’idée de perdre de bons clubs et de
dévaloriser ainsi leur compétition. Des oppositions ont déjà eu lieu, comme ce fut le
cas en République tchèque avec le club du Lev (« Lion ») Hradec Kralové qui s’est vu
refuser son bon de sortie pour jouer en Russie lors de la saison 2010-2011 ; la
relocalisation de l’équipe en Slovaquie, à Poprad, a permis finalement son entrée en
KHL avant que des déboires financiers ne la fassent disparaître puis renaître sous le
nom de Lev… Praha. Les fédérations cherchent donc à se protéger des clubs
aspirant à faire sécession. Pourtant, les motivations des clubs séparatistes masquent
parfois de faux objectifs : par exemple, en 2009, plusieurs grands clubs suédois (HV
71, Linköpings HC, Färjestad BK, Frölunda HC et Djurgårdens IF) ont agité la
menace d’un départ vers la KHL afin de renégocier leur situation auprès de leur
fédération…
En cas de refus d’une fédération, quelle solution reste-t-il ? La démarche la plus
« facile » est la fondation ex-nihilo d’une équipe, ce qui la rend de fait indépendante
de toute instance nationale. La KHL n’ayant pas réussi à provoquer jusqu’à
aujourd’hui la sécession de clubs suisses, l’opposition de la fédération nationale et
celle du président (suisse) de la Fédération internationale de hockey sur glace (ou
IIHF), René Fasel, étant trop forte, elle a soutenu, en décembre 2011, le projet de
création d’une équipe à Huttwil (dont le nom serait les Helvetics), une petite ville de
4000 habitants ; les Helvetics pourraient ainsi rejoindre sans difficulté la Ligue russe
en 2014-2015 le temps de mettre leur budget et infrastructures aux normes. Mais
créer un club ex-nihilo à Huttwil, à moins de 40 km de la ville de Berne, reviendrait
par ailleurs à « tuer » sportivement le club local du SC Bern… On peut en effet
aisément imaginer que des matches entre Huttwill et des clubs étrangers, issus de la
réputée KHL, attireront sans doute plus de public que des matches internes à la
Suisse, même joués par de équipes de 1ère division (NLA)44.
Quels sont les pays ou clubs actuellement visés par la KHL ? En fait, les Russes
prospectent dans 4 directions :
1) La Russie même. L’extension de la KHL est prévue d’abord à échelle locale.
Au bénéfice de clubs de VHL très intéressés par cette perspective de monter en
catégorie (Rubyn Tioumen, Molot Prikamié Perm, Sputnik Nijni Tagyl, Neftyanik
Almetievsk, Toros Neftekamsk). Comme le note Philippe Rouinssard dans un
numéro de Hockey Hebdo, certains clubs sont même prêts à tout pour jouer en
KHL. C’est le cas du Rys Podolsk, équipe d’une ville située au sud de Moscou, déjà
prétendant l’an dernier à une éventuelle incorporation en KHL : « mais on lui
avait rétorqué qu’il évoluait sur la même glace que le Vityaz Tchekhov (déjà en
KHL) et qu’il fallait être un peu sérieux. Qu’à cela ne tienne, les Lynx avaient
44 http://www.planetehockey.com/news-bientot-une-equipe-suisse-en-khl,30133.html. René Fasel a d’ailleurs
déclaré : « Je crois maintenant que le hockey sur glace suisse ne veut pas d’une équipe de KHL en Suisse et nous
ferons tout pour qu’il n’y en ait pas. J’ai besoin de parler à Alex Medvedev (président de la KHL et membre du
comité directeur de l'IIHF). On ne peut pas faire cela. Nous allons faire pression et si nécessaire nous
menacerons la KHL de l’exclusion de la fédération internationale ».
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proposé un déménagement à l’autre bout de la Russie et se proposaient de jouer à
9 000 kilomètres plus à l’Est à Yujno-Sakhalinsk, sur l’île de Sakhaline (dans la
Mer d’Okhotsk au Nord du Japon). La ville de 175 000 habitants avait très bien
accueilli la proposition de Podolsk mais le club, en rupture de sponsors, a dû
déposer le bilan et pour l’instant ne joue plus nulle part.» Il est aussi question de
créer puis d’intégrer dans un avenir proche un club qui serait basé à Sotchi, sur les
bords de la Mer noire, afin de rentabiliser les investissements en infrastructures
réalisés pour les Jeux Olympiques de 2014 (notamment la grande patinoire du
Bolshoï Ice Palace de 12 000 places) ; on parle également d’une nouvelle équipe à
Vladisvostok ce « qui permettrait (…) de mettre un club à portée raisonnable de
Khabarovsk qui se sent bien isolé en Extrême-Orient ».
2) L’étranger proche et l’Europe orientale. Les pays de cet ensemble
régional voient en général d’un bon œil la KHL ; des noms de clubs circulent et
leurs chances semblent actuellement très variables (question de sponsors) du côté
du Kazakhstan (Kazzinc-Torpedo), de la Lituanie (Vetra Vilnius), de la Biélorussie
(Yunost Minsk, HK Gomel) ou encore Ukraine (Berkut Kiev). En Europe centrale,
l’intérêt pour la KHL se fait sentir en République tchèque (Karlovy Vary). Dans les
Balkans, la Croatie fait les yeux doux à la ligue russe par l’entremise du KHL
Medveščak Zagreb, qui évolue dans le championnat autrichien de hockey sur glace
depuis 2009, et qui avance des arguments séduisants en termes de patinoire (la
nouvelle Zagreb-Arena réunit 12 000 places) et d’affluence (200 000 fans durant
toute la saison dernière).
3) L’Asie. Une ouverture à l’Est a été évoquée45 en direction du petit
championnat d’Asia League, à des fins sans doute de rééquilibrage de la
Conférence Orientale : « Deux équipes sud-coréennes, une équipe chinoise et
quatre équipes japonaises luttent dans un championnat peu médiatique avec un
niveau faible46, composées de joueurs hétéroclites et peu connus. (…) Les
ressources financières et l’intérêt du public sont faibles, même si l’Asie est la
nouvelle terre promise de tous les investisseurs, pour le hockey il semble que
l’intérêt soit proche de zéro. Evoqué depuis désormais quatre années, ce projet
semble être au point mort et ressemble plus à un vœu pieu de Medvedev qui ne
veut pas oublier l’Orient alors qu’il consacre ses principales forces et roubles vers
l’Occident. »
4) L’Europe occidentale. Cette zone géographique intéresse davantage la KHL
que l’Asie, en raison des nations traditionnelles du hockey mondial qui s’y
trouvent (Finlande, Suède, Allemagne, Suisse, Autriche, République Tchèque,
Slovaquie). Le projet d’extension de la KHL ne peut se faire sans l’incorporation de
45 Voir en seconde partie l’étude de cas réalisée sur l’Extrême-Orient russe.
46 Le Japon est la 22e nation mondiale ; la Corée du Sud est au 28e rang ; quant à la Chine, elle occupe la 38e
position. Voir http://www.iihf.com/home-of-hockey/championships/world-ranking/mens-world-ranking/2012ranking.html. Voir étude de cas sur l’Amour Khabarovsk en fin de dossier.
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grands clubs originaires de ces grands pays du hockey. Notons au passage que la
Ligue russe ne délaisse pas pour autant les puissances mineures (Italie, France…).
Les tractations vont bon train : Scandinavie (échec patent), Autriche (contacts
avec Salzbourg), Suisse (projet de Huttwil), Allemagne où les refus (Eisbären
Berlin ; Kölner Haie) s’emmêlent avec des possibilités : la KHL s’intéresse par
exemple au petit club de Leipzig (les Icefighters), évoluant dans une très modeste
3e division (Oberliga)… Si le niveau de l’équipe n’est évidemment pas l’élément
déterminant, c’est la localisation géographique de la ville de Leipzig, dans l’exRDA, qui semblerait primer dans ce choix : on se trouve en effet dans une
proximité relative avec la Russie (soit à 1750 km de Moscou).
La KHL est également en tractations avec le club italien des Rossoblu de Milan
ère
(1 division dite Série A), ce qui peut paraître surprenant dans la mesure où
l’Italie n’est que la 16e nation mondiale du hockey sur glace en 2012… (soit quinze
rangs derrière la puissante Russie47 ) et dans la mesure aussi où le hockey est loin
d’y être le sport roi ! Quoi qu’il en soit, Milan prend le projet très au sérieux : le
maillot des joueurs porte déjà, avant l’heure, le logo de la KHL (voir photo), une
façon de suggérer « qu’ils vont quitter le monde des gueux pour rejoindre la cour
des seigneurs » ? Le président du club souhaite profiter de l’intégration en ligue
russe pour restructurer le hockey à Milan (notamment dans une verticale allant
des jeunes aux pros) et progresser en professionnalisme ; mais, à l’inverse des
clubs se disposant à sacrifier leur championnat national, les Milanais s’y refusent
et souhaitent maintenir un effectif en Série A qui jouerait alors le rôle d’équipeferme pour le groupe prévu en KHL. Concourir sur deux niveaux professionnels
oblige évidemment Milan à revoir dès maintenant son budget à la hausse mais
aussi sa couverture médiatique ; sans parler du public encore faible d’un point de
vue russe (1880 spectateurs environ : loin des 5000 minimum exigés en KHL ! Or,
c’est pourtant 800 de plus que la moyenne italienne…48.
47 Le classement mondial est disponible sur le site de la Fédération internationale de hockey sur glace
(http://www.iihf.com/home-of-hockey/championships/world-ranking/mens-world-ranking/2012ranking.html). Après la Russie (1ère) viennent la Finlande (2e), la République tchèque (3e), la Suède (4e), le
Canada (5e), la Slovaquie (6e), les Etats-Unis (7e), la Norvège (8e), la Suisse (9e), l’Allemagne (10e), la Lettonie
(11e), le Danemark (12e), la Biélorussie (13e), la France (14e), l’Autriche (15e). Le Kazakhstan est 17e, la
Slovénie 18e, la Hongrie 19e et l’Ukraine, 20e.
48 Joeri Loonen, 2012, http://www.iihf.com/home-of-hockey/news/newssingleview/recap/7280.html?tx_ttnews%5BbackPid%5D=955&cHash=097cc663b7
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4. La KHL : reflet ou outil de la puissance
économique russe ?
La KHL entre vie de palet et nage en eaux-roubles
La KHL est une Ligue professionnelle créée le 28 mars 2008. Sa particularité est
d’échapper au contrôle de la Fédération russe de hockey sur glace et d’être en
définitive une Ligue « privatisée ». Privatisée, car
les droits d’organiser le
championnat élite ont été cédés par ladite Fédération à un groupement d’hommes
d’affaires russes de 2008 à 2010 avant d’être prolongés jusqu’au terme de la saison
2013-201449. La KHL est aujourd’hui dirigée par un homme très emblématique,
Alexander Medvedev50, qui est aussi un des membres du comité de direction de
Gazprom Neft51. A l’instar du patron de la KHL, trônant sur deux royaumes, la Ligue
russe révèle que les liens entre le sport, l’énergie et le monde des affaires sont souvent
fort étroits. Dans quelle mesure la KHL est-elle une vitrine de la puissance russe
renaissante ? Quel rôle très particulier joue aussi Gazprom dans le monde du hockey
sur glace ?
Les sponsors officiels de la KHL
Sur la page officielle de la KHL, dans sa version anglaise comme dans sa version
russe, apparaît un bandeau récapitulant les noms et logos des 11 sponsors majeurs de
la Ligue. On peut regrouper ces derniers en trois catégories. Dans la première (6
sponsors) figurent les grandes sociétés liées au monde de l’énergie.
Sogaz52 est un sponsor essentiel et très visible, son nom apparaissant sur tous les
casques des joueurs. Il s’agit d’une compagnie d’assurances fondée en 1993, expossession de Gazprom ; un des cousins de Vladimir Poutine en est le viceprésident53. Sur la page de son site officiel, elle met nettement en évidence son
implication dans le sport, étant le partenaire officiel du championnat de football russe
(celui-ci porte d’ailleurs son nom) mais aussi de l’équipe nationale. Côté entreprises,
elle valorise, logos à l’appui, ses « partenaires stratégiques » : Gazprom (qui est aussi
son « meilleur client »), la Banque Rossiya et … Gazprombank. Sogaz se définit
comme une compagnie assurant les entreprises versées dans les domaines de
l’énergie, des transports (par exemple les chemins de fer russes), la métallurgie
(Severstal), la construction mécanique, l’aérospatiale… et en particulier celles qui
forment la colonne vertébrale de l’économie russe comme Gazprom, Rosneft,
Rosatom (nucléaire d’Etat) ; de même, Sogaz participe à de nombreux projets en
49 http://gazprom.com/social/supporting-sports/hockey/khl/
50 Né le 14 août 1955 à Shakhtersk (Oblast de Sakhaline). Son parcours professionnel est disponible sur
http://www.gazprom.com/about/management/board/medvedev/
51 Neft signifie « pétrole » en russe.
52 http://en.sogaz.ru
53 Marie Simon, « Poutine se berlusconise-t-il? », L’Express, 29-02- 2012 ;
http://www.lexpress.fr/actualite/monde/poutine-se-berlusconise-t-il_1087392.html
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matière de transfert d’hydrocarbures (Blue Stream, pipeline d’Europe du Nord). C’est
aussi la seule compagnie d’assurances membre du Comité d’affaires de l’Organisation
de Coopération de Shanghai.
Deux autres groupes également financent la KHL : les entreprises tchèques
MND54 spécialisée dans l'exploration et le forage d’hydrocarbures en République
tchèque et à l’étranger (Europe, Proche et Moyen Orient, Afrique du Nord, ex-URSS)
et Eriell55, fondée en 1999, entreprise de prospection pétrolière et de maintenance de
puits, implantée en Russie, Asie Centrale, Afrique du Nord et Moyen Orient. Le
principal actionnaire d’Eriell est … Gazprombank ; ses partenaires signalés sont,
entre autres, Gazprom, Lukoil, Petronas, TNK-BP. Au-delà de BP-Visco, gamme de
lubrifiants pour voitures, il faut mentionner deux autres sponsors du domaine
énergétique ayant rejoint la KHL lors de cette saison 2012-2013 : le premier est
l’autrichien Ostchem (2004), une holding viennoise investie dans la production et le
commerce de produits chimiques en Europe centrale et orientale (notamment en
Ukraine), qui a remplacé l’ancien sponsor Itera56, une compagnie internationale
privée russe (1992) basée en CEI et dans les Etats baltes, spécialisée dans la
production et l’exportation de gaz. Le second est Severneftgazprom, officiellement
partenaire depuis le 13 décembre 201257. Cette société, dirigée actuellement par
Stanislav Tsygankov, appartient au groupe Gazprom ; elle a été fondée en 2001 afin
d’exploiter le grand gisement de Yuzhno-Russkoye dans la région de Tioumen en
Sibérie occidentale. Elle exploite et commercialise le gaz naturel issu de cette zone et
destiné à alimenter le gazoduc North Stream. Deux entreprises allemandes, E.ON
E&P GmbH et Wintershall sont des actionnaires minoritaires de
Severneftgazprom ; l’entreprise met d’ailleurs en avant sur son site cette
coopération technologique germano-russe58.
Le deuxième groupe (5 sponsors) réunit les inclassables :

Mégaphone, dont le nom figure sur les culottes des joueurs de la KHL
ainsi que sur les manches de leur maillot ; c’est l’une des trois grandes
compagnies russes de télécommunications avec VympelCom et MTS. Elles
font partie toutes les trois des cinquante plus grands opérateurs de
téléphonie mobile du monde (selon la société TASS-télécom). Mégaphone a
gagné 7,6 milliards de dollars de chiffre d’affaires en 2011, ce qui place
l’entreprise au 29e rang mondial (contre 20 milliards et une 13e place pour
VympelCom ; 10,5 milliards et une 22e place pour MTS)59.
54 http://www.mnd.cz/?lang=en
55 http://www.eriell.com/en/
56 http://www.itera.ru/isp/eng/
57 http://en.khl.ru/news/2012/12/13/24912.html
58 http://en.severneftegazprom.com/
59 http://french.ruvr.ru/2012_07_19/telecom-russe-top-50-mondial/. La première place est tenue par
l'opérateur chinois China Mobile, dont les recettes ont dépassé 78 milliards de dollars en 2011. Le groupe de
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19




l’Américain Chevrolet
Nikon (pour la médiatisation photographique des matches de KHL)
Cinémapark qui a remplacé Lutchsport (entreprise vendant des articles
de hockey sur glace)
enfin, depuis le 14 décembre 2012, Baltika60 est devenue la « bière
officielle de la KHL » jusqu’ en 2014…, ce qui lui permet d’apposer le logo
de la Ligue sur toutes ses bouteilles et cannettes. Baltika est une brasserie
pétersbourgeoise fondée en 1990, leader du marché russe de la bière (sa
part est estimée à environ 37,4%), implantée en Russie (11 brasseries) et en
Azerbaïdjan (1 brasserie)61.
Certains sponsors officiels ont disparu ; deux d’entre eux appartenaient au monde
de la finance avec deux banques importantes, Gazprombank (GPB), ex-filiale de
Gazprom, troisième banque de Russie, qui investit dans des sociétés des secteurs clés
en Russie et dans le monde62 et le groupe SMP63 (fondé en 2001) très implanté en
Russie et en Lettonie.
Des transnationales russes, tchèque, autrichienne, japonaise, américaine ou
encore britannique financent la KHL. La diversité comme la nature et l’origine de ces
sponsors officiels de la KHL sont la marque évidente d’une Russie désormais
capitaliste et intégrée dans la mondialisation. La forte place occupée par les
entreprises productrices d’hydrocarbures est nette en surface ; elle mérite maintenant
d’être observée en profondeur. A commencer par le role de Gazprom.
Gazprom et la KHL 64: une Kremlin Hockey League ?
La mainmise de Gazprom sur la KHL ne laisse aucun doute : elle repose déjà sur
la tête de proue, Medvedev ; elle se décline ensuite au gré des sponsors officiels plus
compagnies britannique Vodafone est deuxième avec 74,3 milliards de dollars et l'américain Verizon est sur la
troisième marche du podium avec 70,2 milliards de dollars.
60 http://en.khl.ru/news/2012/12/14/24916.html
61 http://eng.baltika.ru/m/41/the_history_of_baltika_breweries.html
62 Une filiale de Gazprombank, OJSC, a récemment a acquis en mai 2012 « une participation de 21,74% dans la
société Energie du Porcien SAS aux côtés d’Akuo Energy SAS. Energie du Porcien SAS détient et exploite deux
parcs éoliens d’une capacité totale de 39 MW en France dans les Ardennes et en Champagne. Les deux parcs
ont été mis en service avec succès à la fin de l’année 2011. Akuo Energy SAS reste l’actionnaire majoritaire de la
société Energie du Porcien SAS. GPB (OJSC) et Akuo Energy SAS envisagent un partenariat à long terme dans le
secteur des énergies renouvelables en Europe et en Russie. » « Akuo Energy SAS est un groupe français
indépendant qui développe, construit et exploite des centrales de production d’énergie à partir de sources
renouvelables. Akuo Energy SAS dispose d’un portefeuille de 33 projets en exploitation (…) et de 100 projets en
développement, (…). Akuo Energy SAS a des bureaux et développe des projets en France, Pologne, Turquie,
Uruguay,
Croatie,
Monténégro,
Indonésie
et
aux
Etats
Unis.
http://www.akuoenergy.com/fileadmin/media/pdf/news/_Communiqu%C3%A9_GB_FR_Gazprombank_versio
n_fran%C3%A7aise_.pdf.
63 http://smpbank.com/
64 On pourra consulter à ce sujet le site http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieVoc.htm#f
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20
ou moins liés au géant russe de l’énergie (Sogaz, Eriell, Severneftgazprom). La KHL
vit bien au travers de Gazprom. Une présentation de l’entreprise et de ses actions
dans le monde du hockey sur glace s’impose…
« Premier producteur et exportateur mondial de gaz (21,5% de la production
mondiale), [Gazprom] est assis sur 20% des réserves de gaz de la planète. Vitrine
de la puissance russe, le groupe pèse 8% du PIB national, emploie 436.000
personnes, assure les besoins énergétiques en gaz de tout le pays et exporte un quart
de sa production vers les gros marchés européens (la France est son 4e client après
l'Allemagne, l'Italie et la Turquie) et les anciens satellites de l'URSS comme
l'Ukraine ». L’entreprise est publique, détenue à 50, 002% par le Kremlin. Les
revenus de Gazprom assurent 20% des recettes budgétaires de l’Etat russe… Un
trésor d’Etat en somme fermement défendu par le pouvoir : « le groupe est un jeu de
poupées russes d'hommes d'affaires et d'oligarques. Le Kremlin chapeaute le tout et
place ses têtes. Les exemples abondent. Le Président russe, Dimitri Medvedev, est
l'ancien patron de Gazprom. Il a été remplacé à la tête du groupe par Alexeï Miller,
proche de Vladimir Poutine. L'ancien président russe a été et continue d'être un
grand artisan de la montée en puissance de Gazprom. Aujourd'hui premier
ministre, Vladimir Poutine a remplacé Viktor Zoubkov au gouvernement qui a
trouvé un point de chute à…Gazprom, au Conseil d'administration. 65». Géant
énergétique, financier, Gazprom joue aussi un rôle géopolitique comme cela s’est
produit lors des récentes crises russo-ukrainiennes dites « guerres du gaz »66. Mais
Gazprom est, il ne faut pas l’oublier, à la base, un conglomérat dont les activités
dépassent le strict cadre gazier : en effet, l’entreprise russe possède
-
différents médias67
 des chaînes de télévision NTV et TNT : « première chaîne privée, [NTV]
(…) talonne, en audience, les deux premières chaînes, et est aujourd’hui
une généraliste faisant une large place à l’information et au sport.
NTV est, en quelque sorte, la vitrine de la télévision russe dans le
monde » ; « TNT TV, la chaîne qui monte, s’adresse aux jeunes actifs
en faisant la part belle aux émissions de télé-réalité ».
 6 stations de radio
 8 quotidiens dont Izvestia (quotidien datant de l’URSS et grand journal
d’information, propriété de sa filiale Sogaz) et Trud, « organe officiel du
mouvement syndical sous l’ère soviétique, il est aujourd’hui un tabloïd
65 Thibaud Vadjoux, http://www.20minutes.fr/article/549449/Economie-Gazprom-le-deuxi-egrave-me-Etatrusse.php. On pourra lire à ce sujet, avec profit et aussi avec recul, un dossier réalisé en ligne par le
Mouvement Démocratique Solidarnost, intitulé « La vérité sur le clan Poutine ou les Pétersbourgeois », qui
montre les liens politico-financiers qu’entretient le président russe actuel avec ses principaux soutiens,
collaborateurs et amis, sous forme de places et postes gratifiants. http://www.russie.net/article6263.html
66 Op. cit. « La position de monopole de Gazprom lui permet d'utiliser l'arme tarifaire à discrétion. Si l'Ukraine
se rapproche de l'Europe de l'Ouest alors elle paiera le tarif européen, soit 250 dollars les 1.000 mètres cubes
contre 50 dollars auparavant. Et si Kiev refuse de rentrer dans le rang, notamment en payant sa dette à la
Russie, la facture passera à 418 dollars et les robinets seront coupés ».
67 Nicolas Priou, http://www.tarifmedia.com/dossiers/les-medias-en-russie
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21
traitant de faits divers et d’entertainment. Il appartient à la banque
Promsvyazbank et à Gazprom. »Il y a aussi la « marque média »
(quotidien, hebdomadaire, web, TV, radio) Kommersant : « le titre
économique de référence des décideurs. Il appartient à Alisher
Usmanov, magnat de l’acier et dirigeant d’une filiale de Gazprom. »
-
une compagnie d’assurances (Sogaz)
-
une compagnie aérienne (Gazpromavia)
Il n’est donc pas surprenant que le puissant Gazprom consacre une partie de
ses bénéfices au sponsoring de clubs sportifs dits d’excellence 68. Les choix sont liés à
la réputation des clubs concernés mais aussi à une localisation bien spécifique. Le
siège social de Gazprom étant à Saint-Pétersbourg, c’est d’abord dans cette ville
qu’elle effectue son sponsoring principal. Les équipes bénéficiaires sont, en football,
le Zénith et, en hockey sur glace, le club de KHL du SKA. Ensuite, ses activités
gazières amenant Gazprom dans la région d’Omsk et dans les Balkans, on retrouve
donc deux autres clubs sponsorisés : d’un côté le club de KHL, l’Avangard d’Omsk,
de l’autre, en football, l’Etoile Rouge de Belgrade, qui est, à la base, soit dit en
passant, comme le SKA, un club de l’Armée. Le site internet propose un historique
sportif des différents clubs et d’attarde sur les résultats obtenus : succès du Zénith sur
les terrains russes (Championnat 2007, Supercoupe 2008) ou européens (Coupe de
l’UEFA et Supercoupe 2008), succès de l’Etoile Rouge (Coupe de Serbie 2012), de
l’Avangard Omsk (championnat de Russie, 2004 ; Coupe d’Europe 2005 ; 2e de la
Coupe Gagarine en 2012) ou du SKA (accessits en KHL).
Sponsor accompli, auréolé de succès sportifs médiatisés, partenaire crucial de
la KHL, Gazprom cherche aussi à développer le hockey mineur. Le 22 avril 2012 s’est
justement tenu à Omsk69 le sixième tournoi international de hockey pour enfants,
appelé « Gazprom Neft Cup », créé en 2007. Seize équipes rassemblant quatre cents
joueurs ont participé à la compétition. Celle-ci se veut organisée à la manière des
tournois pour adultes, et de la manière la plus professionnelle qui soit. Le succès
grandissant laisse présager la participation d’équipes suédoises et finlandaises pour la
VIIe édition.
C’est encore à Omsk, le 24 octobre 2012, que le dirigeant actuel de Gazprom,
Alexei Miller, en compagnie du gouverneur de la région d’Omsk, Viktor Nazarov, a
posé la première pierre de l’Académie de Hockey Avangard 70: il s’agit d’un projet
visant à développer le hockey mineur en Russie. L’Académie d’Omsk est la tête d’un
futur réseau d’écoles que Gazprom entend développer dans d’autres villes de Russie.
Elle aura pour fonction d’attirer et de former de jeunes enfants ou adolescents
talentueux issus des régions de l’Oural et de Sibérie : l’objectif est d’assurer un vivier
sinon une élite pour la KHL et même l’équipe nationale russe.
68 http://www.gazprom-neft.com/social/sport.php
69 http://www.gazprom-neft.com/press-center/news/162621/
70 http://en.khl.ru/news/2012/10/24/24805.html et
http://www.gazprom.com/press/news/2012/october/article146816/
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22
Au-delà de la mainmise de Gazprom sur la KHL, il est intéressant de voir que les
différentes équipes de ce championnat sont toutes plus ou moins financées par de
grands groupes industriels ou énergétiques russes, faisant finalement de cette Ligue
un miroir du potentiel économique russe et un aboutissement des bénéfices de
l’économie de rente de ce pays. Quelques exemples peuvent être développés dans ce
sens, faisant la part belle au monde des pétro-roubles.
La vie en Rosneft : Poutine, pétrole, patinoires et pollution
Rosneft71 est le sponsor privilégié du CSKA Moscou (ville où se trouve par
ailleurs son siège social), mais aussi des futurs Jeux Olympiques d’hiver de Sotchi.
« Première compagnie russe par la production, elle est l'émanation de l'ancien
ministère soviétique du Pétrole. Elle s'est transformée en société par actions à la fin
des années 1980, avant de voir son patrimoine pillé par les oligarques entre 1994 et
1995, lors des grandes privatisations de l'ère Eltsine. Réduite à peu de chose, elle a
repris force grâce au rachat, en décembre 2004, de Yuganskneftegaz, la principale
filiale de Yukos, dont le patron, Mikhaïl Khodorkovski, avait été arrêté en octobre
2003. »72
Rosneft est une entreprise d’Etat, contrôlée à 75 % par le Kremlin, et dirigée par
Igor Setchine (voir photo). Qui est le PDG de Rosneft ? C’est « l'homme clé du
système de pouvoir mis en place par Vladimir Poutine. Il est à l'origine de la montée
en puissance de Rosneft, dont il prend la présidence en juillet 2004, au début du
second mandat de Vladimir Poutine dont il est au Kremlin, le plus proche
collaborateur ».73 « Pourquoi Igor Setchine s'est-il pris d'intérêt pour Rosneft ? Pour
créer un contre-pouvoir à Gazprom, construire un grand groupe pétrolier national
qui puisse être le rival du géant gazier en termes d'influence et de pouvoir. Setchine
n'est pas étranger au dépeçage des actifs de Yukos, grâce auxquels Rosneft s'est
reconstruit »74.
Déjà « numéro un mondial des pétroliers publics en termes de réserves dès son
introduction sur les marchés boursiers en 2006 »75, Rosneft a dépassé en 2011, en
71 http://www.rosneft.com/
72 François Roche, « Le pavillon russe va flotter sur le pétrole américain », 01/09/2011,
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/20110901trib000646072/lepavillon-russe-va-flotter-sur-le-petrole-americain.html
73 François Roche, « Igor Setchine, le grand ordonnateur », 01/09/2011, http://www.latribune.fr/entreprisesfinance/industrie/energie-environnement/20110901trib000646073/igor-setchine-le-grand-ordonnateur.html.
L’auteur note que Setchine (né en 1960) a commencé sa carrière au Mozambique, au milieu des années 80,
officiellement comme traducteur et interprète en portugais puis l’a poursuivie probablement comme membre
du premier directorat du KGB avant de rencontrer Poutine à la mairie de Saint-Pétersbourg (1991-1996). Les
deux hommes ne se quittent plus depuis cette date. Chef adjoint de l’administration présidentielle pendant 10
ans, Setchine devient par la suite 1er vice-premier ministre, ministre de l’Industrie et de l’Energie (2008). Il
« passe pour être le chef du clan des « faucons » du Kremlin proche des organes de force et inspirateur de la
politique de reprise en mains par l'État des actifs industriels privatisés par Eltsine ».
74 Ibidem.
75 Emmanuel Grynszpan, « Rosneft devient le premier pétrolier public mondial », 25-12-2011,
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energieenvironnement/20111226trib000673609/rosneft-devient-le-premier-petrolier-public-mondial-.html
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23
volume de brut, la major américaine Exxon Mobil, devenant ainsi le « premier
pétrolier public mondial ». Le changement de hiérarchie tient à plusieurs facteurs :
d’un côté, les effets du printemps arabe qui ont affecté Exxon Mobil ; de l’autre,
Rosneft « dont les actifs sont essentiellement situés en Sibérie, a bénéficié d'une
augmentation de 2,7 % de sa production, notamment grâce aux performances
obtenues sur Yuganskneftegaz, l'ancien gisement phare de Yukos ». Rosneft vise une
augmentation significative de sa production « d'ici à 2020 grâce à de nouveaux
gisements en Sibérie orientale et dans la zone Arctique ». Elle vise aussi à étendre
son influence. Récemment, en septembre 2012, Rosneft a conclu un accord avec la
société publique Petroleos de Venezuela (PdVSA) afin de mettre en place une
coentreprise pour exploiter le champ Carabobo-2 (dont les réserves sont estimées à
6,5 milliards de tonnes de pétrole) dans le bassin de l'Orénoque. « Les parties ont
également signé un mémorandum de compréhension, ainsi que deux accords
supplémentaires prévoyant le paiement par Rosneft d'un bonus de 1,1 milliard de
dollars à Caracas et l'octroi au groupe vénézuélien d'un prêt de 1,5 milliards de
dollars pour un délai de cinq ans »76.
En 2011, Rosneft a cependant échoué à conclure un accord d'échange de
participations avec BP, car les actionnaires russes de TNK-BP, groupe privé, 3e
producteur russe, dont le géant britannique possédait 50% du capital, ont fait capoter
l'opération en portant le dossier en justice. BP voulait vendre ses parts afin de
changer de partenaire local, car « comme la plupart des groupes pétroliers privés
russes, TNK-BP n’a pas accès aux gisements offshore russes, qui sont réservés aux
grands groupes d’Etat (Gazprom et Rosneft), ce qui chagrinait BP »77. L’échec avec
BP a amené Rosneft à se rapprocher d’un autre géant, l’Américain Exxon Mobil. Le
30 août 2011, à Sotchi, dans la résidence d’été de Vladimir Poutine, alors premier
ministre, les deux géants ont finalisé un partenariat stratégique : « le numéro un du
pétrole russe Rosneft va faire ses débuts dans l’exploration pétrolière sur le
territoire américain tandis que le géant américain Exxon Mobil va accompagner le
russe pour explorer l’Arctique »78. Aux termes de cet accord « ExxonMobil sera
associé à hauteur de 33,3 % à l'exploration d'une zone de 126.000 kilomètres carrés
dans la mer de Kara, au nord de la Sibérie occidentale ainsi qu'à un bloc moins
important en mer Noire, des projets dont Rosneft se préserve 66,6 % des droits. En
76
« Pétrole: le russe Rosneft crée une coentreprise avec le Venezuela », 28/09/2012,
http://www.alterinfo.net/notes/Petrole-le-russe-Rosneft-cree-une-coentreprise-avec-leVenezuela_b4764385.html. Vladimir Poutine a profité du voyage de Setchine au Venezuela pour offrir à son
homologue latino-américain, Hugo Chavez, un chiot, un terrier noir russe, appelé parfois « chien de Staline »,
une race créée par les chenils de l’Armée Rouge après la Seconde Guerre mondiale. Issue de différents
croisements (dont le rottweiler), cette race de chiens aurait porté le nom de Staline car le dictateur avait
ordonné qu’elle soit dressée pour surveiller les détenus dans les camps de Sibérie.
77 Emmanuel Grynszpan, « Pétrole : trois milliardaires russes défient le pétrolier public Rosneft », 26/09/2012,
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energieenvironnement/20120926trib000721456/petrole-trois-milliardaires-russes-defient-le-petrolier-publicrosneft.html
78 La Tribune, « Rosneft et Exxon Mobil finalisent leur partenariat stratégique aux Etats-Unis et en Arctique »,
16/04/2012,
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energieenvironnement/20120416trib000693816/rosneft-et-exxonmobil-finalisent-leur-partenariat-strategique-auxetats-unis-et-en-arctique.html
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24
contrepartie, l'accord permet à Rosneft d'obtenir des participations (via ses filiales
Rosneft Neftegaz Holding America Limited, RN Cardium Oil Inc) dans un certain
nombre de projets et de forages d'ExxonMobil en Amérique du Nord, y compris dans
le golfe du Mexique, au Texas et au Canada (…). 79 Enfin, les deux compagnies vont
créer à Saint-Pétersbourg un centre de recherche sur l'Arctique où travailleront des
ingénieurs russes et américains ». Comment justifier un tel partenariat ? « La Russie
est confrontée aujourd'hui à un épuisement relatif de ses gisements classiques de
Sibérie occidentale et du Caucase. De vastes réserves ont été identifiées dans
l'Arctique, en Sibérie orientale et dans l'Extrême-Orient russe, dont l'exploration et
la mise en production nécessiteront l'apport financier et technologique des
compagnies internationales. L'accord entre Rosneft et ExxonMobil est le signe que
les autorités russes assouplissent leur attitude concernant la participation des
étrangers au domaine minier de la Fédération. Mais l'objectif est aussi d'accroître la
valeur des compagnies russes en les faisant accéder à des technologies nouvelles et à
des projets de classe mondiale. »80
Le cas Rosneft est très intéressant : emblème de la puissance énergétique russe,
fer de lance d’un pays qui regarde de plus en plus vers l’Arctique, il est aussi un des
plus grands pollueurs de Russie81 et serait responsable de « trois quarts des dégâts
écologiques » du pays : « un rapport du Service d’Inspection Fédéral pour les
Ressources Naturelles a décompté 2.727 fuites attribuées à Rosneft, soit 75% du total
des fuites recensées dans la région Khanti-Mansiisk. Le rapport pointe du doigt les
efforts très insuffisants du pétrolier (…) par rapport à ses concurrents privés. Entre
2010 et l’année dernière, Rosneft n’a réduit que de 20% le nombre de ses fuites,
tandis que le second pétrolier russe Lukoil les a divisé par deux et demi. Le
quatrième pétrolier russe, Sourgoutneftegaz, dont l’essentiel des actifs se situent
dans cette région, affiche, lui, 160 fois moins de fuites accidentelles. TNK- BP (…) est
le second pollueur dans la région, avec 784 fuites. En termes de volume, ce sont
5.288 tonnes qui se sont déversés dans la nature, à peine moins que les 5.781
tonnes de 2009. En termes de dépenses destinées à la protection de l’environnement,
Rosneft est également à la traîne.». La Russie connaît une pollution importante : le
pays aurait environ 1% de sa production annuelle dispersé dans la nature, soit 5
millions de tonnes. Elle est due en majeure partie à des infrastructures vétustes
soumises à des conditions climatiques extrêmes. Les groupes pétroliers, coupables de
pollution, font des efforts très variables en matière d’environnement. Les entreprises
privées sont les plus actives car leur licence d’exploitation pourrait leur être retirée.
Pour les entités publiques, ce risque n’existe pas ; quant aux sanctions financières,
79 François Roche, « Le pavillon russe va flotter sur le pétrole américain », 01/09/2011,
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/20110901trib000646072/lepavillon-russe-va-flotter-sur-le-petrole-americain.html
80 Ibidem et Emmanuel Grynszpan, "Les feux du Nouveau Monde brillent pour Rosneft...", 01/09/2011,
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/energie-environnement/20110901trib000646074/lesfeux-du-nouveau-monde-brillent-pour-rosneft.html
81 Emmanuel Grynszpan, « Le pétrolier russe Rosneft pollue en toute impunité », 16/08/12,
http://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/agroalimentaire-biens-de-consommationluxe/20120816trib000714684/-le-petrolier-russe-rosneft-pollue-en-toute-impunite.html
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25
elles ne sont pas suffisamment dissuasives : «côté sanctions, le régulateur a réclamé
un total de 36 millions de roubles (à peine 900 000 euros) à l’ensemble des groupes
pétroliers ». Rosneft a donc bien peu à craindre…
Des sponsors industriels actifs
Un autre exemple peut être présenté, c’est celui des AK Bars, auréolé de deux
titres consécutifs en KHL (2009, 2010). Le club tatar, installé à Kazan sur le bassin de
la Volga, à 720 km à l’est de Moscou, est sponsorisé par l’entreprise Tatneft 82 , l’une
des 6 plus grandes entités productrices d’hydrocarbures en Russie, et joue dans la
patinoire qui porte le nom de son bienfaiteur, la Tatneft Arena (8000 places). A
l’inverse des clubs précédents, le sponsor est nettement mis en évidence sur le site
officiel : logo voyant et rappels que Tatneft est le sponsor général et officiel de Kazan.
Un lien permet d’ailleurs de passer du club de hockey à l’entreprise83.
Un autre club tatar, le Neftekhimik (« Pétrochimique ») de Nijnekamsk, tire
aussi avantage de la manne pétrolière. En effet, le club tatar est sponsorisé par le
groupe OAO "Nijnekamskneftekhim" (1967) tout comme le club de football de la ville
84.
Il n’y a pas que les grandes compagnies pétrolières qui investissent en KHL.
D’autres grands groupes industriels cherchent à y placer des investissements. C’est le
cas par exemple de Severstal installé à Tcherepovets, une ville à 500 km au nord
de Moscou. L’équipe de hockey porte le nom de son sponsor, Severstal,
littéralement « Acier du Nord » mais aussi, sur le maillot (à gauche), le logo de
l’entreprise (à droite). En effet, Tcherepovets est l’un des plus grands centres
industriels de la Russie du Nord et c’est là que figure la très grande usine
sidérurgique, OAO Severstal85 dont l’activité dépasse la Russie (Etats-Unis, en
Ukraine, Lettonie, Pologne, Italie, Libéria et Brésil.)
Que dire enfin des liens industriels et sportifs qui unissent le club du Metallurg
de Magnitogorsk, installé dans une ville minière connue pour son combinat
métallurgique MMK ou encore du Metallurg de Novokuznetsk, implanté en
Sibérie.
En conclusion, on peut dire que la KHL est une Ligue dynamique et en plein essor,
qui s’affirme aujourd’hui à l’échelle mondiale. Même si elle profite des difficultés de
sa rivale nord-américaine, la NHL, elle parvient à asseoir sa notoriété d’un point de
vue avant tout sportif et médiatique. La KHL, de gestion privée, vit et s’embellit grâce
à l’économie de rente russe et aux nombreux sponsors énergétiques qui la financent.
C’est là un atout pour son développement mais aussi à terme un talon d’Achille car
82 http://eng.ak-bars.ru/
83 http://www.tatneft.ru/wps/wcm/connect/tatneft/portal_eng/homepage/
84 http://nknh.ru/about_company_en.asp
85 http://www.severstal.com/eng/index.phtml
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26
son avenir dépend de celui des hydrocarbures russes. Portée par de très puissants
groupes comme Rosneft, la KHL est avant tout noyautée par Gazprom, donc
contrôlée de près ou de loin par le Kremlin. Vitrine d’une Russie moderne, attractive,
à économie de marché, ouverte sur la mondialisation, la KHL fait aussi rejaillir les
vieilles ambitions d’extension ou de domination sur l’étranger proche et l’Europe
orientale comme occidentale : le projet d’une grande Ligue eurasiatique, soutenu par
Alexander Medvedev, enterre les anciennes césures géographiques (l’Oural) ou
historiques (le rideau de fer). Et à l’image de l’aigle bicéphale russe, qui regarde
autant vers l’Ouest que vers l’Est, la KHL rêve d’un championnat entre Atlantique et
Pacifique… A l’image d’une Russie re-émergente qui se redécouvre de nouvelles
ambitions géopolitiques.
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27
ANNEXE : L’ouverture internationale de la KHL
(Répartition des joueurs et entraîneurs étrangers par club)
Les clubs russes de la KHL
(Etat au 31-10-2012)
CLUBS
Dinamo
Moscou
Vytiaz
Tchékhov
SKA SaintPétersbourg
Atlant
Lokomotiv
Iaroslav
Severstal
Cherepovets
Spartak
Moscou
Torpedo
Nijni
Novgorod
CSKA
Moscou
Avtomobilist
Ekaterinburg
AK Bars
Kazan
Metallurg
Magnitogorsk
Neftekhimik
Nizhnekamsk
Traktor
Tchéliabinsk
Yugra
KhantyMansis
Avangard
Omsk
Amur
Khabarovsk
Metallurg
Novokuznetsk
Salavat
Yulaev Oufa
Sibir
Novosibirsk
TOTAUX
% (sur la
base de 103
joueurs
étrangers)
Entraîneurs
TCHQ
SLVQ
LETT
BIEL
2
1
0
0
0
0
0
Tchèque
1
0
Suédois
Américain
0
0
Joueurs
SWE
FIN
NOR
CAN
2
1
0
0
0
0
0
0
2
3
0
0
1
0
1
1
0
0
0
1
1
0
0
3
1
1
2
0
0
0
2
0
0
1
0
0
0
3
2
0
1
2
0
0
0
0
0
2
0
0
0
0
0
2
2
0
1
0
0
1
1
1
1
1
0
0
1
2
2
0
0
0
0
0
0
1
0
0
1
0
0
4
0
0
0
0
0
0
0
0
1
1
2
0
3
1
0
0
0
1
0
1
0
1
0
0
1
0
1
0
1
1
1
1
1
1
1
0
0
0
0
Finlandais
0
1
1
1
0
3
0
0
0
Finlandais
1
1
0
0
0
3
0
0
0
0
0
0
0
0
0
0
4
0
2
1
0
0
0
2
0
0
0
0
1
1
0
0
2
0
1
0
9 /21
15
12
7
4
14
26
2
17
6
42,8%
14,6%
11,6%
6,8%
3,9%
13,6%
25,3%
1,9%
16,5%
5,8%
Allemand
Finlandais
Kazakh
Canadien
[Tapez un texte]
E.U
0
28
0
Les clubs de « l’étranger proche » et d’Europe de
l’Est
CLUB
Entraîneurs
Dinamo
Riga
(LETT)
Dinamo
Minsk
(BIEL)
Donbass
Donetsk
(UKR)
Lev
Praha
(TCHQ)
Slovan
Bratislava
(SLVQ)
Barys
Astana
(KAZ)
Finlandais
Slovaque
Joueurs
nationaux TCHQ SLVQ
20
(77%)
11
(44%)
3
8
(26%)
3
23
(85%)
NOR RUS CAN E.U
1
4
4
1
2
1
2
2
29
15
(52%)
Tchèque
Joueurs étrangers
LETT BIEL SWE FIN
4
1
1
8
2
4
0
1
1
7
(25%)
1
1
1
1
6
10
7
0
1
4
1
1
13
3
3
23
14
7
17%
8,5%
3/6
TOTAUX
7
12
1
1
8,5%
14,6%
1,2%
1,2%
1
50%
% (sur la
base de 82
joueurs
étrangers)
[Tapez un texte]
7,3% 12,2% 1,2% 28%
LA KONTINENTAL HOCKEY
LEAGUE :
EXPLOITATION PEDAGOGIQUE
Seconde partie
UNE GRILLE DE LECTURE GEOSPORTIVE, GEOECONOMIQUE,
GEOPOLITIQUE ET GEO-ENVIRONNEMENTALE POUR COMPRENDRE
LA RUSSIE DE 2012
Par Frédéric JARROUSSE,
Professeur d’histoire-géographie et de D.N.L, Lycée Ambroise Brugière
(Clermont-Ferrand)
Le dossier qui fait suite est constitué de plusieurs études de cas.
Chacune s’ouvre par la présentation d’une équipe de la KHL. L’objectif
est d’appréhender la Russie de 2012 par le biais du hockey sur glace en
jouant sur les différents niveaux d’étude possibles (géoéconomique,
géoculturel, géo-environnemental et géopolitique). Le dossier qui suit est
avant tout structuré autour d’articles, de documents iconographiques ou
statistiques. La carte, support imposé du nouveau programme de
terminale pour la Russie, n’a pas été valorisée dans notre réflexion, dans
la mesure où les études de cas proposées ont d’abord été pensées comme
matière à approfondir le cours : il s’agit de donner aux élèves des
éléments complémentaires de compréhension de la Russie d’aujourd’hui
à travers des exemples concrets et géographiquement variés. Les
ressources numériques ont été volontairement privilégiées afin de
permettre aux collègues intéressés par notre projet de réaliser des
séances de travail en salle informatique, dans le cadre par exemple de
séances d’accompagnement personnalisé. Un exercice de type devoir
maison peut aussi être envisagé. Plusieurs sites étant disponibles en
anglais, un travail de fond peut également être mené avec profit en DNL.
Les études de cas ont été construites avant tout pour les collègues
enseignants, avec l’objectif de faire un point rapide sur les informations
disponibles, leur intérêt, et sur leur utilisation possible dans le cadre
d’une démarche réflexive (découpage des études de cas en plusieurs
activités). La trame proposée n’est qu’informative ou suggestive ; le
principe de la liberté pédagogique permettra évidemment à chacun de
bâtir ses propres exercices et questionnaires.
[Tapez un texte]
30
COMPRENDRE LA COMPLEXITE
ADMINISTRATIVE DE LA RUSSIE : UNE
PREMIERE ETAPE ESSENTIELLE
Certaines équipes de KHL font référence à
leur territoire d’origine par des symboles
explicites. C’est le cas par exemple du
Torpedo de Nijni Novgorod (en haut à
gauche) qui reprend le cerf aux bois noirs,
au sabot levé, que l’on retrouve sur le
blason officiel de l’Oblast de Nijni Novgorod
(en bas à droite). On peut également citer le cas du club Amur
Khabarovsk (en haut à gauche) : outre le fait de rappeler sa localisation particulière
par l’allusion géographique au fleuve Amour qui baigne la ville, cette équipe a choisi de
porter sur ses maillots les symboles officiels du Kraï de Khabarovsk (en
bas à droite). On y voit un ours noir puissant, la
gueule ouverte, la langue et les yeux rouges, et
qui presse contre sa poitrine en partie blanche,
et en s’aidant de ses pattes de devant, le blason
historique de la ville de Khabarovsk86. Plus
rares sont les clubs ayant choisi de préciser leur
origine géographique : on a le cas unique du Sibir
Novosibirsk qui fait ainsi état de son inscription géographique dans le vaste monde
sibérien (Sibir signifiant Sibérie en russe).
L’exemple des deux premiers clubs précités (oblast, kraï) permet d’aborder la
question de l’organisation administrative de la Russie dans le cadre d’un Etat qui est
fédéral. Les études de cas proposées ont ainsi toutes pour base une référence à la
structure administrative du pays. Aussi, un décryptage du découpage régional s’impose
auprès des élèves afin de clarifier la donne, à travers les deux documents suivants
(disponibles en ligne) :
86
L’explication
du
blason
est
détaillée
en
anglais
sur
http://gov.khabkrai.ru/invest2.nsf/General_en/4BD59BE95F8EA7B6CA256CA900236AAA?OpenDocument
[Tapez un texte]
31
Document 1 : Un fédéralisme formel reposant sur les « sujets de la
Fédération »
« D'après la Constitution du 12 décembre 1993, la Russie est un État fédéral dont les entités
fédérées, ou « sujets de la Fédération », sont égales en droit. Elles se répartissent en six
catégories : les républiques, les kraïs (territoires), les oblasts (régions) et oblasts autonomes,
les okrugs autonomes (districts) et les villes d'importance fédérale. Sur le plan administratif,
il n'existe pas de différences substantielles entre ces catégories. Les territoires (kraïs) sont
identiques aux régions (oblasts) dans leur fonctionnement. Cette appellation, issue d’avant la
Révolution, désigne en fait des entités territoriales situées à la périphérie du pays (« kraï »
signifiant « marge, confins » en russe) et comptant au moins un arrondissement autonome.
Quant aux républiques, elles ne se distinguent plus aujourd’hui des régions et des territoires
que par des éléments formels : elles ont une constitution (au lieu de statuts), un Président de
la République (au lieu d’un gouverneur) et une langue nationale propre en plus du russe. En
2010, à la suite de la fusion de plusieurs entités, le nombre de « sujets de la Fédération » a
été ramené à 83. Il existe actuellement 21 républiques, 9 kraïs, 46 oblasts et un oblast
autonome (la région juive de Birobidjan), 4 okrugs autonomes et deux villes d'importance
fédérale (Moscou et Saint Pétersbourg). Chaque « sujet » est doté d’un « chef
d'administration » (généralement appelé Gouverneur, sauf dans les républiques où il s'agit
d'un Président et à Moscou d'un « Maire ») et d’une assemblée régionale (la douma). Le
Gouverneur, à la tête d'un gouvernement régional, assure à la fois le pouvoir exécutif fédéral
territorial et le pouvoir exécutif régional. Précédemment élus au suffrage universel, les
Gouverneurs ou Présidents sont directement nommés par le Président depuis 2004. Véritable
ossature du pouvoir sous Boris Eltsine, les chefs d'administration des « sujets de la
Fédération » ont vu leur rang atténué par Vladimir Poutine dès sa première élection pour
enrayer le «fédéralisme différentiel », à savoir le règlement bilatéral de la répartition des
compétences entre le centre et chaque région, qui s'était développé depuis les années 1990.
- Le renforcement du centralisme depuis 2000: la création des « districts fédéraux »
Créés par décret présidentiel du 13 mai 2000 pour restaurer ce que Vladimir Poutine appelle
la « verticale du pouvoir», les sept « districts fédéraux » (Nord-Ouest, Centre, Sud, Volga,
Oural, Sibérie et Extrême-Orient) auxquels a été rajouté en 2010 un huitième district fédéral
du Nord-Caucase, regroupent plusieurs « sujets de la Fédération ». Sorte de « super-régions
», ils ont à leur tête un « Représentant Plénipotentiaire du Président » (en russe « Polpred »)
nommé et révoqué par ce dernier. Les « Polpreds » ont quatre grandes compétences : le
contrôle de l’application des lois, des décisions présidentielles ou gouvernementales et des
programmes fédéraux ; la coordination de l’action des gouverneurs ; le contrôle des
nominations dans la fonction publique de l’Etat, y compris les forces de l’ordre ; la stratégie
du développement économique. Ils peuvent également destituer les fonctionnaires en poste
dans les régions et disposent de pouvoirs militaires et de sécurité exceptionnels. »
Source : http://coopregion.ru/fr/presentation/organisation-territoriale-et-administrativede-la-russie/
[Tapez un texte]
32
Approfondissements possibles :
 Faire découvrir aux élèves la structure politique de la Fédération de Russie par le
biais de la représentation des « régions » au sommet de l’Etat (Conseil de la Fédération :
deux représentants par « sujet de la Fédération »). Une mise au point sur le Conseil de la
Fédération, réalisée par le Sénat en mars 2009, est disponible sur
http://www.senat.fr/senatsdumonde/russie.html.
 S’interroger sur la composition actuelle du gouvernement russe (mise à jour récente :
mai
2012)87
à
partir
du
site
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zonesgeo/russie/presentation-de-la-russie/article/composition-du-gouvernement-2399.
On pourra faire remarquer aux élèves la présence de deux ministères liés aux régions : l’un
sur le « Développement Régional » (Oleg Govoroun), l’autre sur le « Développement de
l’Extrême Orient russe » (Victor Ichaev).
A noter également que sur les 5 vice-premiers ministres en titre, le 5e, Alexandre Khloponine,
est le seul à avoir en charge un District fédéral, le Caucase du Nord. Une autre page du site
gouvernemental88 permet de mieux comprendre cette nomination :
« Le Nord Caucase russe est en proie à une instabilité persistante : attentats suicides,
attaques armées contre les forces de l’ordre, assassinats ciblés, enlèvements, tant de
responsables politiques locaux que de collaborateurs d’ONG. Cette violence s’est également
étendue, au-delà de la Tchétchénie, aux républiques limitrophes, en particulier du Daghestan,
d’Ingouchie et de Kabardino-Balkarie. Les causes en sont multiples : guérilla islamiste ;
luttes entre clans et groupes d’intérêts rivaux ; corruption élevée, situation économique et
sociale difficile, radicalisation de la jeunesse… La nomination en février 2010 de M.
Khloponine (connu pour ses succès en Sibérie en termes de développement économique et
social) comme « super préfet » en charge de la région du Nord Caucase témoigne de la
conscience qu’ont les autorités moscovites des limites de l’approche sécuritaire dont Ramzan
Kadyrov est localement le maître d’oeuvre. Les attentats meurtriers du métro de Moscou le 29
mars 2010 et de l’aéroport de Domodedovo du 24 janvier 2011, revendiqués par le chef de
l’Emirat islamique du Caucase, D.Oumarov, de même que la multiplication des attentats dans
la région (cf. les attaques quasi quotidiennes au Daghestan, l’attentat du 9 septembre 2010 à
Vladikavkaz en Ossétie du Nord…) confirment la difficulté de la tâche ».
87http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/russie/presentation-de-la-russie/article/composition-dugouvernement-2399
88
http://www.diplomatie.gouv.fr/fr/pays-zones-geo/russie/presentation-de-la-russie/article/presentation2400
[Tapez un texte]
33
Document 2 : Carte de la Russie administrative
34
Source : http://www.diploweb.com/Carte-de-la-Russie-administrative.html
Carte extraite du livre Russie, les chemins de la puissance publié par Isabelle Facon aux
éditions Artège, Coll. Initiation à la géopolitique, 2010, 191 p.
[Tapez un texte]
ETUDE DE CAS 1 :
La république de Bachkortostan
La porte d’entrée : la KHL
L
e club de KHL Salavat Yulaev Oufa (division Chemyshev, Conférence de
l’Est) a été fondé en 1961. Il possède un titre de champion de Russie en
Superliga, obtenu en 2008 et un en KHL (2011). Il s’est distingué en KHL par
des résultats bons et constants sur les 4 dernières saisons : 9e, 3e, 1er, 9e. La photographie cicontre d’un gardien
de but de l’équipe
est intéressante sur
le plan symbolique :
les
couleurs
tricolores
(bleu,
blanc,
vert)
et
l’emblème de la
république
de
Bachkortostan
apparaissent sur le
maillot du joueur ;
le nom de l’équipe
est
celui
d’un
personnage
historique clé dont
le visage apparaît
sur le maillot :
Salavat Yulaev.
ACTIVITE 1 : découvrir les spécificités d’une république
russe, le Bachkortostan, à travers ses symboles identitaires,
son histoire et sa complexité ethnico-religieuse
La république socialiste soviétique des Bachkirs ou de Bachkirie (23 mars 1919) a
cédé sa place en 1990 à une nouvelle république qui a pris le nom de Bachkortostan89 en
1992. Elle appartient au District fédéral de la Volga. Elle est située dans l’Oural méridional,
dans le district de la Volga. Sa superficie est de 143 600 km² (soit un territoire compris
approximativement entre la taille de l’Islande, autour de 103 000 km², et de l’Uruguay, autour
de 177 000 km² ; 550 km du nord au sud pour plus de 430 km d’est en ouest). Le
Bachkortostan est bordé au nord / nord-est par les régions de Perm et de Sverdlovsk, au nordouest par la république d’Oudmourtie, à l’ouest par la république du Tatarstan, à l’est par la
89 Pour les informations générales : http://www.bashkortostan.ru/republic/
[Tapez un texte]
35
région de Tcheliabinsk, au sud-ouest par celle d’Orenbourg. Sa capitale est Oufa90 (1 090 644
h en 2005) le long des rives de la Bielaïa, affluent de la Kama, et au voisinage de sa
confluence avec l’Oufa.
On distingue d’autres villes importantes au Bachkortostan comme Sterlitamak, Salavat,
Neftekamsk et Octobre.
République,
le
Bachkortostan dispose d’une
Constitution,
et
de
symboles
d’Etat
(drapeau,
emblème,
hymne) définis en 1999.
Les bandes tricolores
rappellent la vertu et la
pureté (bleu), la paix et
la coopération (blanc), enfin la liberté et la vie éternelle (vert).
Une fleur dorée, nommée « kuraï », au cœur de la partie centrale
du drapeau, se veut le symbole de l’amitié ; les sept pétales représentent les tribus qui établirent
les fondations de l’unité du peuple bachkir. Les armoiries d’Etat, ci-contre, adoptées en 1993,
reprennent les symboles nationaux vus précédemment et y ajoutent un monument dédié à
Salavat Yulaev. La statue équestre, qui se détache sur un fond de soleil levant, est pourtant bien
réelle et se trouve à Oufa. Réalisée par le sculpteur Soslanbeck Tavasiev (1967), elle a une
hauteur de 10 m environ et d’un poids de 40 tonnes et surplombe la rivière Belaya. C’est la plus
haute statue équestre de Russie91.
90 « Forteresse russe, créée en 1574 pour veiller à la sécurité du bassin de la Bielaïa, conquis sur les
Bachkirs nomades, Oufa reçut en 1586 le statut de ville et devint d'abord le point de rassemblement
des minerais extraits dans l'Oural méridional, puis le centre manufacturier le plus actif de la région. La
ville, pourtant, ne comptait que 49 000 habitants en 1897 et à la veille de la révolution d'Octobre
n'accueillait encore que de petites entreprises industrielles spécialisées dans la transformation des
denrées agricoles, ou le travail du bois et des métaux. Ensuite, Oufa a pris rang parmi les grands
centres industriels soviétiques puis russes. Elle profite d'une excellente situation géographique, au
cœur de la région la plus peuplée de l'Oural occidental, non loin du gisement de pétrole du Second
Bakou auquel elle est reliée par voie ferrée et oléoduc. L'éventail de ses industries est très grand
(équipements électriques, matériel de recherche pétrolière, pétrochimie, raffinage pétrolier,
élastomères, industries alimentaires). Capitale politique et administrative, ville industrielle et
commerciale, Oufa est également un centre universitaire, spécialisé comme Bakou dans la formation
de techniciens de la recherche pétrolière, mais aussi en matière d'aviation, d'architecture,
d'agriculture. » Pierre Carrière in http://www.universalis.fr/encyclopedie/oufa/
91 http://russiapedia.rt.com/prominent-russians/history-and-mythology/salavat-yulayev/ pour la présentation
de Salavat Yulaev. Voir http://unesco.bashkortostan450.ru/en/7wonders/salavat/ pour la statue équestre.
[Tapez un texte]
36
Salavat Yulaev (Tekeïevo, 16 juin 1754 – Paldiski, 26 septembre 1800) est un
personnage historique bachkir de premier plan qui a donné son nom à une
ville (Salavat), à une avenue à Oufa et à l’équipe de hockey sur glace de la
ville d’Oufa. Il est difficile de trouver des sources complètes, fiables,
accessibles en français concernant le personnage de Salavat
Yulaev92. C’est par des biais détournés que l’on finit par
retracer les grandes lignes de sa vie, en particulier celles qui
nous intéressent dans cette étude de cas.
Un film en noir et blanc de 1940 a été consacré à Salavat Yulaev par Yakov
Protazanov (scénario : Galina Spevak et Stepan Zlobine), le nom du personnage faisant office
de titre éponyme. Il est sorti en URSS le 21 février 1941. Le film a été remis à l’honneur
récemment lors du 19e Festival « Vive le cinéma de Russie »93, organisé à Saint-Pétersbourg
du 12 au 15 mai 2011 où un hommage a été rendu à l’œuvre de Yakov Protazanov (18811945) comme à celles d’autres anciens cinéastes soviétiques d’ailleurs (Ivan Pyriev, Igor
Ilinski, Boris Tchikov, Nikolaï Krioutchkov, Evgueni Leonov). Le synopsis du film permet de
dépeindre en accéléré la biographie de notre héros : « Le poète-improvisateur bachkir Salavat
Youlaev était mobilisé dans la guerre contre Pougatchev en octobre 1773. Il est passé, avec
son bataillon, du côté des insurgés qui faisaient le siège d'Orenbourg. Pougatchev lui donna
le grade de commandant. Après l'arrestation de Pougatchev, il a continué la lutte jusqu'en
novembre 1774 où il a été fait prisonnier. Son œuvre a été transmise par voie orale. »94
Pour comprendre Salavat Yulaev, il faut d’abord comprendre celui qu’il accompagna
dans son insurrection populaire : Iemelian Ivanovitch Pougatchev (Zimoveïskaïa, vers 1742 –
Moscou, 1775), révolutionnaire d’origine ukrainienne. Ce dernier déclencha, en septembre
1773, un puissant mouvement antiféodal, une grande jacquerie, en se faisant passer pour le
tsar Pierre III (1728-1762) ressuscité95. « L’imposteur » rallia à lui les Cosaques de l’Oural et
du Don, les populations non russes de ces régions, Bachkirs et Kirghizes, qui combattaient le
servage aux côtés des paysans russes. La révolte menée par Pougatchev prit une grande
ampleur car elle s’étendit au-delà de l’Oural : au nord jusqu’à la région de Perm, à l’ouest,
jusqu’à Tambov et Nijini Novgorod, à l’Est jusqu’en Sibérie. Elle prit de l’ampleur également
au regard des violences commises par les révoltés qui s’en prenaient aux propriétaires terriens
et exigeaient la suppression du servage, du service militaire et des impôts. La révolte connaît
son apogée en 1774 avec la prise de Kazan, dans le Tatarstan. Mais trahi par les siens pour
100 000 roubles, Pougatchev fut vendu aux troupes de Catherine II menées par Souvarov,
enfermé dans une cage en fer, conduit à Moscou où il fut décapité. Cette révolte eut pour
conséquence les réformes administratives de 1775, l’extension du servage en Ukraine et la
suppression des dernières franchises cosaques (disparition de la siètche ou camp fortifié des
Cosaques Zaporogues96)97. Une Histoire de Pougatchov a été écrite par Pouchkine en 183398.
92 Une version développée de sa biographie est proposée sur Wikipédia… mais en anglais, sur
http://en.wikipedia.org/wiki/Salawat_Yulayev. Le portrait présenté ci-dessus est extrait de
www.gorod.tomsk.ru.
Lire
également
une
biographie
succincte
sur
http://unesco.rb450.ru/en/celebrities/salavat-yulaev/
93 http://www.kinoglaz.fr/u_fiche_evenement.php?num=1159
94 http://www.kinoglaz.fr/u_fiche_film.php?lang=fr&num=6821
95 Pierre III, d’origine allemande (né à Kiel) devint tsar en 1762. Il était l’époux de la future Catherine II (17621796). Il fédéra contre lui et autour de sa femme « le parti russe » (en particulier la noblesse) qui se trouvait
exaspéré par sa germanophilie. Il dut abdiquer en 1762. Il fut arrêté et étranglé une semaine plus tard par l’un
des frères Orlov, Alexeï, qui se partageaient les faveurs de Catherine.
96 « La Siétch (« essart ») avait été, depuis le XVIe siècle, le siège de la communauté des Cosaques Zaporogues,
sur les îles en aval des rapides (porogui) du Dniepr. Catherine II, après avoir progressivement aboli les franchises
[Tapez un texte]
37
Il y évoque, bien que brièvement, le personnage de Salavat Yulaev dans le chapitre VI (« Le
Bachkir Salavat ») :
«Pougatchov se déplaçait rapidement d’un endroit à un autre. Toute une populace
recommença à affluer autour de lui ; les Bachkirs, déjà presque pacifiés, s’agitèrent de
nouveau. Le commandant du fort du Haut-Yaïk, le colonel Stoupichine, pénétra en Bachkirie,
incendia quelques localités désertes, et, s’étant saisi d’un agitateur, lui fit couper les oreilles,
le nez et les doigts de la main droite et le relâcha, menaçant d’agir de même avec tous les
rebelles. Les Bachkirs ne se calmèrent pas. Un de leurs anciens meneurs, Youlaï, qui avait
échappé en se cachant à la répression de 1741, réapparut parmi eux avec son fils Salavat99.
Toute la Bachkirie se souleva, et l’incendie reprit avec plus de violence que jamais. Freiman
devait traquer Pougatchov ; Mikhelson100 s’efforçait de lui couper la route ; mais la
raspoutitsa, l’état des routes embourbées par le dégel, le sauvait. Les chemins étaient
impraticables, les hommes s’enlisaient dans une boue sans fond, les rivières débordaient sur
plusieurs verstes de largeur, les ruisseaux devenaient fleuves. Freiman s’arrêta à
Sterlitamatsk. Mikhelson, ayant encore réussi à traverser la Viatka sur la glace et l’Oufa sur
huit barges, poursuivit sa route en dépit de tous les obstacles, et le 5 mai, à la fabrique de
Simsk, il accrocha une bande de Bachkirs ayant à leur tête le féroce Salavat. Mikhelson les
mit en déroute, libéra la fabrique et reprit sa marche un jour plus tard»101.
Ce passage est intéressant à plusieurs titres : il donne vie à Salavat Yulaev en en
faisant un meneur d’hommes vraisemblablement charismatique (en tout cas un meneur
légitime par son père) et un chef « féroce ». Combattant de la liberté, pourfendeur de
l’oppression tsariste, fer de lance de la résistance contre le monde slave et orthodoxe,
défenseur de la cause bachkir… Le récit montre aussi la violence de la répression russe dans
un espace que Moscou a du mal à contrôler (« les Bachkirs, déjà presque pacifiés »), sans
oublier l’évocation du cadre naturel russe (les contraintes de l’hiver). Pouchkine mentionne
sporadiquement le personnage de Salavat Yulaev dans ce même chapitre102, avant de le faire
disparaître complètement du récit (sans doute en raison de sa capture) : on le voit
« brigander » dans les environs de la fabrique de la Satka « avec une nouvelle bande » après
avoir « déjà pillé et incendié la fabrique de Simsk » avant de faire jonction avec les troupes de
Pougatchov au bord de l’Aï, toujours sous la menace des troupes russes de Mikhelson. Ce
dernier met en déroute les rebelles et leurs chefs : « Pougatchov, Bièloborodov et Salavat
blessé ne s’échappèrent qu’à grand-peine ».
Salavat Yulaev fut capturé par les Russes puis emprisonné 25 ans durant,
apparemment avec son père, dans la forteresse du port de Rogervik. Cet édifice, construit à
l’époque du tsar Pierre le Grand, se trouve sur la Baltique. Rogervik est l’ancien nom de la
cosaques, fit finalement détruire la Siétch par Potiomkine en 1775 ; un certain nombre de Cosaques passèrent
alors en Turquie. » in Pouchkine, Histoire de Pougatchov, 1833, La Pléiade, 1973 (note du traducteur p 1242).
On aura une pensée pour Apollinaire qui, dans Alcools, qui évoque justement les Cosaques Zaporogues
« ivrognes pieux et larrons » dans leur correspondance avec le Sultan (poème « Réponse des Cosaques
Zaporogues au Sultan de Constantinople ».
97 Michel Mourre, Dictionnaire d’histoire universelle, Bordas, 1981.
98 Ce cadre historique est repris dans un autre ouvrage de Pouchkine, La Fille du capitaine (1836).
99 La biographie en anglais sur Wikipédia (réf. cit.) lui donne l’âge de 19 ans. Les Bachkirs se sont soulevés en
1724 ; ils sont soumis par les Russes en 1741.
100 Ivan Mikhelson (1740-1807) : un des meilleurs généraux de Catherine II. Il détruisit une à une les bandes de
Pougatchov et acheva sa défaite en 1774.
101 Pouchkine, Histoire de Pougatchov, 1833, La Pléiade, 1973, chapitre VI, page 584.
102 Op. cit. pages 588-589
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38
ville de Paldiski, en Estonie. C’est là que le héros bachkir s’éteint en septembre 1800. Le site
de la ville de Paldiski103 mentionne l’existence d’un monument érigé en sa mémoire dans un
parc de la ville ; une photographie est disponible sur Wikipédia104.
La république de Bachkortostan maintient des liens très étroits avec l’Estonie. En
septembre 2004, une délégation officielle bachkire, menée par Khelef Ishmoratov (à la fois
Premier Ministre, Ministre de la Culture et de la Police) s’est rendue en Estonie pour
commémorer le 250e anniversaire de la naissance de Salavat Yulaev105. En juillet 2012, une
coopération culturelle et économique a été mise en place entre les deux républiques lors d’une
rencontre entre le Premier Ministre bachkir, Salavat ( !) Sagitov et les autorités baltes à …
Paldiski même. L’un des projets en cours serait de créer un parc et d’ouvrir un musée au nom
de Salavat Yulaev106. En octobre 2012, une délégation estonienne constituée de représentants
de la ville de Padilski, du port de Tallinn et d’industriels (notamment dans le secteur des
hydrocarbures), ayant à sa tête le maire de Paldiski, Kaupo Callas, a fait le voyage jusqu’au
Bachkortostan107.
L’histoire de Salavat Yulaev nous amène à aborder maintenant les spécificités du
peuple bachkir en Russie.
Les Bachkirs sont un peuple d’origine mongole, converti à l’Islam entre les XIIIe et
XIVe siècles (comme musulmans sunnites) qui, successivement assujettis aux Bulgares de la
Volga, à la Horde d’Or (XIIIe-XIVe) et au Khanat de Kazan (XVe-XVIe), ont opposé une
longue résistance aux Russes : même s’ils reconnaissent la suzeraineté du tsar Ivan IV le
Terrible en 1572, ils se soulèvent à différentes reprises contre Moscou aux XVIIe et aux
XVIIIe siècles (en 1724 notamment et entre 1774 aux côtés de Pougatchov)108. Leur
intégration est lente : « En 1798, Catherine II mit en œuvre une politique de conciliation ; elle
créa des régiments bachkirs, armés d’arcs et de flèches, qui furent employés au temps des
guerres napoléoniennes : il y eut des bachkirs, en costume national, parmi les troupes russes
qui occupèrent Paris en 1814. Puis ces farouches guerriers devinrent peu à peu des sujets du
tsar avec le même statut que les Russes (1872) »109.
Aujourd’hui, la population du Bachkortostan est estimée à 4 072 100 habitants, ce qui
la place au 7e rang régional en Russie. La structure de la population est cosmopolite : 36,3%
est russe, 29,8% est bachkire, 24,1% tatare. D’autres groupes ethniques vivent dans cette
république mais forment un ensemble très minoritaire : Tchouvaches, Mari, Ukrainiens,
Mordves et Allemands110. On pourra s’étonner de l’importance du groupe russe par rapport au
groupe autochtone. Différents facteurs peuvent cependant l’expliquer, en particulier la forte
immigration russe : peupler pour contrôler les Bachkirs ? Ou peupler pour contrôler le pétrole
des Bachkirs ?
103 http://www.paldiski.ee/index.php?id=11912
104 http://en.wikipedia.org/wiki/File:Julajev,_Salavat.IMGP6718.JPG
105 Tatar-Baskir report : September 27, 2004 sur http://www.rferl.org/content/article/1345398.html
106 http://www.bashinform.ru/eng/479190/
107 http://www.bashinform.ru/eng/499755/
108 Un condensé de l’histoire du Bachkortostan est à lire en anglais sur http://unesco.rb450.ru/en/rb/history/.
Le document iconographique proposé sur cette page en est extrait.
109 Roger Caratini, Dictionnaire des nationalités et des minorités de l’ex-URSS, Larousse, 1992.
110 http://www.bashkortostan.ru/republic/
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39
ACTIVITE 2 : découvrir les spécificités d’une république
russe, le Bachkortostan, à travers l’économie
Le site de la Chambre de commerce et d’industrie franco-russe111 est très intéressant
pour brosser un « portrait » assez précis de l’économie du Bachkortostan. La CCIFR est
installée à Moscou ; elle se présente comme « une force de lobbying et d’action
indépendante » représentant « les intérêts économiques franco-russes et de ses entreprises
membres ». Au départ, la CCIFR était un Club d’Affaires (1997) qui a par la suite évolué en
Chambre de commerce et d’industrie « en rejoignant en 2006 l’Union des Chambres de
Commerce et d’Industrie Françaises à l’Etranger (UCCIFE), premier réseau privé
d'entreprises françaises dans le Monde, représenté dans 77 pays et réunissant plus de 28.000
entreprises »112. La CCIFR est financée par les cotisations de ses adhérents (300) et gérée par
18 administrateurs bénévoles : « ne bénéficiant d’aucune subvention publique et n’étant
soumise à aucune tutelle administrative, [elle] est la voix légitime, objective et indépendante
de la communauté d’affaires franco-russe ». Son action repose sur trois axes d’activité : la vie
associative (organisation et animation de présentations économiques,
délégations
d’entreprises en régions…), le lobbying (consultations et interventions auprès des décideurs
publics et privés français et russes) et l’appui aux entreprises (support à l’implantation et au
développement français en Russie, et à l’investissement russe en France).
Des accords de coopération ont été signés entre la CCIFR et la République de
Bachkortostan en novembre 2010 et en janvier 2011.
L’économie bachkire113 repose essentiellement sur ses ressources minérales (minerais
polymétalliques, minerais ferreux et non ferreux : cuivre, zinc, fer ; charbon), énergétiques
(pétrole, gaz exploités depuis les années 40) et forestières. Le Bachkortostan reste une région
très industrielle (29,8% du produit régional) ; suivent les services (19,8%), l’agriculture
(12,5% ; cultures industrielles, céréales, pommes de terre et légumes, apiculture, aviculture,
élevage de chevaux, élevage de bétail pour la production de lait et de viande, élevage ovin), la
construction (8,6%) et les transports (7,2%). Les principales industries sont celles du secteur
des hydrocarbures (35% du produit régional). Le Bachkortostan produit environ 11,4 millions
de tonnes de pétrole (13,3% de la production nationale du pétrole issus d’un traitement
primaire) et 355 millions de m³ de gaz. L’industrie pétrochimique représente 15% de la
production industrielle. Le Bachkortostan fournit la plus importante production de produits
pétroliers, chimiques et pétrochimiques du pays : plus de 50% de l’alcool isobutyle et butyle,
de la soude et des pesticides fabriqués en Russie, 50% des plastifiants et polystyrènes, 25% du
PVC, et 20% de l’hydrate de sodium et du caoutchouc synthétique. Le Bachkortostan se
distingue aussi par la construction de machines de haute technologie (17% du produit
régional), l’automobile, les machines et équipements agricoles, les machines outils, les
composants aéronautiques…Le produit régional brut est estimé à 25 507 millions de dollars.
Le Bachkortostan exporte environ 30% de sa production industrielle (produits issus du
complexe pétrolier et pétrochimique, machines et métaux) à destination des Pays-Bas, de la
Chine, de la Grande Bretagne, de l’Allemagne, et du Kazakhstan.
111 http://www.ccifr.ru/fr/la-russie-a-la-loupe/les-regions-de-russie/?show=bahkyrtostan
112 http://www.ccifr.ru/fr/la-chambre/presentation/
113 http://www.ccifr.ru/fr/la-russie-a-la-loupe/les-regions-de-russie/?show=bahkyrtostan
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40
Il est confronté à des problèmes urgents, en particulier l’épuisement des ressources
pétrolières et le manque d’exploration afin d’en découvrir de nouvelles mais également
l’épuisement des ressources en métaux non ferreux. Le taux de chômage est évalué à 8,2% de
la population active.
La CCIFR, enfin, pointe comme perspectives de développement la croissance des
activités de raffinage du pétrole et la production d’engrais minéraux.
Différentes entreprises françaises sont implantées au Bachkortostan, comme Alstom,
Auchan, Bureau Veritas, Danone, Decathlon, Legrand (Firelec), Leroy Merlin, Orange,
Peugeot Citroën ou encore Schneider Electric.
ETUDE DE CAS 2 :
La république de Tatarstan (ou Tatarie)
La porte d’entrée : la KHL
e club de KHL AK Bars Kazan (division Kharlamov, Conférence de l’Est) a
été fondé en
1956.
Il
évolue sous ce nom depuis
1995 après s’être appelé SK
im. Uritskogo (1958-1990) et
Itil (1990-1995) dans le
passé.
Il
présente
un
palmarès
assez
flatteur,
émaillé de titres en Superliga
(1998, 2006), en KHL (2009,
2010) et en Europe (coupe
des clubs champions 2007 ;
coupe Continentale 2008)114.
L
L’examen
de
la
photographie
ci-contre
permet d’entrer un peu plus
dans la réalité tatare, en
mettant en évidence cinq
éléments : la tenue tricolore
(vert, blanc, rouge) du
hockeyeur, le blason sur la
poitrine, la mention de la
capitale, Kazan, le nom du
club (AK Bars) enfin le nom
de l’entreprise TatNeft sur le
bas du maillot et les manches. Ces différents éléments évoqués permettent d’aborder la Russie
114 Le site des AK Bars Kazan est l’un des rares de la KHL à être disponible dans une version anglaise. On peut y
trouver en particulier le palmarès complet du club : http://eng.ak-bars.ru/history/
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41
sous deux angles forts : la symbolique identitaire d’une république russe et le développement
économique.
ACTIVITE 1 : découvrir les spécificités d’une république
russe, le Tatarstan, à travers ses symboles identitaires et sa
complexité ethnico-religieuse
Le Tatarstan115 est une république russe située à la confluence de la Volga et de la
Kama ; sa superficie est de 67 836 km² pour 3 786 400 habitants (2010)116. Sa capitale, Kazan
(1 144 000 h), se trouve à environ 800 km à l’est de Moscou ; c’est la troisième plus grande
ville de Russie. Le Tatarstan appartient au District fédéral de la Volga.
Les républiques, en Russie, disposent d’avantages d’ordre
formel : constitution, présence d’un Président de la
République, hymne,
langue nationale reconnue
officiellement en plus du russe. Les emblèmes nationaux
tatars117 datent des années 1991-1992. La République
actuelle est l’héritière de la République socialiste soviétique
autonome du Tatarstan créée en 1920. Le drapeau est symbolisé par trois
bandes de couleur qui représentent des valeurs fortes : le vert représente
le printemps et le renouveau (celui du Tatarstan) ; le blanc, la pureté
des citoyens tatars et le rouge, la maturité, l’énergie, la force et la vie
de la république. Il est complété par un blason qui figure un léopard
blanc ailé (à sept plumes) portant sur le côté un bouclier rond avec un
aster à huit pétales. Sa patte droite est levée. L’animal se détache sur
fond de soleil rouge placé dans un cadre d’ornement traditionnel tatar.
On retrouve les couleurs nationales tatares sur le blason. Celui-ci
est vecteur de nombreuses valeurs symboliques : succès, bonheur et
vie (soleil rouge) ; justice, sécurité (bouclier) ; longévité (aster) ;
autorité et grandeur (patte levée) ; influence sur Terre et dans les
cieux (plumes)… Le léopard tient une place importante à différents
niveaux : symbolique, déjà, mais aussi sportive et avant tout
naturelle. En effet, la panthère des neiges ou léopard des neiges, dont le pelage est clair et
tacheté (on la connaît aussi en français sous le nom d’once118) est un chasseur redoutable qui vit
dans les montagnes d’Asie centrale, à haute altitude et qui apprécie les climats froids et secs. Le
club de hockey sur glace de Kazan a repris ce félin comme emblème et nom (AK Bars).
La dimension culturelle du Tatarstan, ethnique et religieuse, peut être appréhendée à
travers son histoire et les résultats du recensement russe de 2010.
115 Voir le site officiel de la république du Tatarstan qui dispose d’une version en anglais :
http://tatarstan.ru/eng/about.html
116 Le Tatarstan est la 8e région plus peuplée de Russie après Moscou, Saint-Pétersbourg, le territoire de
Krasnodar, la république du Bachkortostan, les régions de Moscou, Sverdlovsk et Rostov. C’est la 2e à l’échelle
du District fédéral d’Oural. http://tatarstan.ru/eng/about/population.htm
117 http://tatarstan.ru/eng/about/symbols.htm
118 Lire à ce sujet l’article de Matthieu Combe, « La panthère des neiges », 20-7-2012, sur http://www.naturasciences.com/biodiversite/especes-menacees/panthere-des-neiges.html
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42
L’histoire119 de cette république remonte aux IXe-Xe, époque où elle est dominée par
les Bulgares de la Volga (centrés sur la ville de Bolgar) qui se convertissent à l’Islam en 922.
Leur déclin au XIIIe amène l’incorporation de leur territoire dans l’Empire de Gengis Khan
(1236). Il faut attendre 1438 pour que le Tatarstan refasse surface sous le nom de Khanat de
Kazan avant d’être ensuite intégré à la Russie en 1552. Il est possible d’opérer une première
approche culturelle via le site de l’UNESCO (http://whc.unesco.org/fr/list/980) qui a placé dans
la liste du patrimoine mondial de l’humanité le Kremlin de Kazan (voir photo page précédente).
Construit sur un site antique, cet édifice « remonte à la période musulmane de la Horde d’or et
du khanat de Kazan. Il fut conquis par Ivan le Terrible en 1552 et devint le centre chrétien des
pays de la Volga. Seule forteresse tatare subsistant en Russie et lieu de pèlerinage important, le
Kremlin de Kazan forme un groupe exceptionnel de bâtiments historiques datant du XVIe au
XIXe siècle et intégrant les vestiges de structures plus anciennes du Xe au XVIe siècle. »
On peut ensuite approfondir cette approche par l’examen du recensement russe de
2010 qui définit la république de Tatarstan par une très forte diversité ethnique. On pourra
mentionner également que ce territoire se distingue par l’absence de tensions
intercommunautaires. Le recensement de 2010 fait état de 115 groupes ethniques. Son
multiculturalisme120 est fondé sur une triple influence culturelle (turque, slave et finnoougrienne) et deux groupes principaux : on compte environ 2 M de Tatars musulmans sunnites
(soit 52,9% de la population totale), 1,5 M de Russes orthodoxes (39,5%) ; suivent ensuite les
Tchouvaches (126 500 personnes soit 3,4%) le reste de la population est composé de groupes
ethniques ou religieux minoritaires (Oudmourtes, Ukrainiens, Mordves, Hmaris et Bachkirs).
Surtout, cette république ne subit aucune confrontation interreligieuse. On a donc une situation
inverse à celle du District fédéral du Caucase du Nord (voir plus haut), ce qui permet de
nuancer le problème de tensions intercommunautaires en Russie.
ACTIVITE 2 : découvrir les bases générales du dynamisme
économique tatar par la confrontation de sources
Sur son site internet officiel121, le Tatarstan, se présente comme l’une des régions les
plus économiquement développées de Russie, l’une des plus prospères et l’une des meilleures
en termes d’investissements et de gestion d’entreprises (en prenant appui sur Forbes). La
localisation géographique du territoire est jugée avantageuse : « La République est située au
centre d’un vaste territoire de la Fédération de Russie, au carrefour de routes majeures reliant
l’Est à l’Ouest, le Nord au Sud ». Et de vanter sa richesse en ressources naturelles, son tissu
industriel puissant et diversifié, le haut degré de qualification de sa population… Le Tatarstan
fait également état de ses performances économiques sur l’année 2011 : 2nd pour
l’agroalimentaire (pour 5% de la production agricole russe), 4e pour la construction de
logements et le montant des investissements ou encore 5e pour le volume de sa production
industrielle… Echangeant avec 130 pays du monde, ses principaux partenaires économiques de
119 http://tatarstan.ru/eng/about/human.htm
120 http://fr.euronews.com/2012/05/21/le-tatarstan-une-republique-au-double-visage/ et
http://tatarstan.ru/eng/about/human.htm
121 http://tatarstan.ru/eng/about/economy.htm
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43
l’UE sont l’Allemagne, la France, l’Italie et la Finlande. Le secteur phare de l’économie tatare
reste l’industrie, qui pèse 44,1% dans le produit régional brut, en particulier grâce à un
important complexe pétrochimique (production de pétrole, fabrication de caoutchouc
synthétique, pneus, polyéthylène etc…), des entreprises d’ingénierie mécanique (camions et
utilitaires, hélicoptères, avions, matériel de pompage pour les hydrocarbures…) et électronique.
Un second site peut être utilisé, c’est celui de la Chambre de commerce franco-russe
(CCIFR)122, déjà mentionné dans l’étude de cas précédente.
Quelles informations complémentaires peut-on trouver sur ce site ?

La liste des différentes entreprises françaises implantées au Tatarstan (ABCD
international, Aliage, Armadillo, BNP Paribas, Bureau Veritas, Cetelem, Peugeot, Rhodia,
Accor, Yves Rocher, Danone ou encore Legrand…)

La présence d’une ZES (Zone Economique Spéciale) à Alabuga qui intéresse
l’entreprise française Air Liquide (voir Activité 3)

Le taux de chômage du Tatarstan (6,7%)

Des données démographiques : un accroissement naturel négatif compensé par une
attractivité migratoire forte.

Un PIB régional estimé à 30 milliards de dollars (soit un PIB par habitant de 7995
dollars). « La région du Tatarstan fait partie des 5 régions les plus importantes de Russie avec
un produit régional équivalent à 2,8% du produit national ».

La répartition de la population active : industrie (42,2%) ; services (28,5%),
construction (9,5%), agriculture (7,9%) et transports (5%).

Les ressources naturelles sont précisées : « La région est riche en pétrole, gaz,
calcaire, dolomite, sable de mortier, terre à brique, roche de construction, gypse et tourbe et
elle possède des gisements de bitume de pétrole, de charbon, de lignite, d’huile de schiste, de
cuivre et de bauxite ».

Le poids des PME : « La région compte plus de 16 000 petites entreprises qui
emploient 19% de la population active et représentent environ 16% du produit régional ».

Les productions agricoles : céréales, pommes de terre, légumes, betteraves à sucre,
colza, lait, viande, porcs et volailles.

Le détail des principales industries. L’industrie pétrolière représente 33,8% de la
production industrielle totale : production de pétrole, gaz associé, diesel et mazout. La
production annuelle est de 30 millions de tonnes de pétrole soit 6,7% de la production nationale
de pétrole. L’industrie chimique et pétrochimique porte sur la production de plastique et de
résines synthétiques, polyéthylène, caoutchouc synthétique, pneus, films et tuyaux polymères,
chaussures en caoutchouc, médicaments, carbone industriel. La fabrication de machines et
d’instruments : principalement spécialisée dans l’aéronautique et les moteurs pour automobiles
mais aussi, production de compresseurs, équipements d’évacuation et réfrigérants, machines et
équipements pour l’industrie pétrolière et pétrochimique...
122 http://www.ccifr.ru/fr/la-russie-a-la-loupe/les-regions-de-russie/?show=tatarstan
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44

Le Tatarstan exporte du pétrole brut, des produits pétroliers, du caoutchouc
synthétique et des machines et équipements. 75% des exportations de la région se font avec des
pays autres que ceux de la CEI. Les principaux partenaires sont : la Suisse, l’Ukraine, la
Finlande, et l’Allemagne. Il importe des machines et équipements et des véhicules. Ses
principaux partenaires sont l’Ukraine, l’Allemagne, l’Ouzbékistan, les Pays-Bas.

Les problèmes majeurs de la république viennent de ses besoins énergétiques élevés et
de la « faible rentabilité d’un nombre important d’industries dû au vieillissement des outils de
production ».
RMQ : Le Tatarstan est aussi connu pour être le siège de l’entreprise de camions et moteurs
KAMAZ, implantée à Naberejnye Tchelny.
Notons, pour information complémentaire que le Tatarstan, territoire dynamique sur le
plan sportif123, via la ville de Kazan, accueillera des matches de la coupe du monde de football
2018 attribuée en 2012 à la Russie par la FIFA124. Onze villes et douze stades russes
accueilleront la compétition : Moscou (2 stades), Saint-Pétersbourg et Kaliningrad, NijniNovgorod, Samara, Saransk, Volgograd, Rostov, Sotchi et Ekaterinbourg.
ACTIVITE 3 : Le dynamisme économique par le
changement d’échelle. L’exemple de la ZES d’Alabuga
Une présentation simple et rapide de la ZES (SEZ en russe) d’Alabuga peut être
trouvée sur le site http://www.ambafrance-ru.org/Remise-du-Certificat-de-Resident : « La
zone économique spéciale « Alabuga » (…) représente actuellement la plus grande zone
économique industrielle de ce type en Russie. Sur près de 20 kilomètres carrés, les meilleures
conditions de travail sont offertes les sociétés russes et étrangères qui y sont installées. Des
facilités douanières et fiscales sont notamment proposées aux entreprises implantées sur cette
zone, une fois que celles-ci disposent d’un statut de résident. A ce jour, dans la ZES «
Alabuga » sont enregistrées 9 sociétés résidentes spécialisées dans les domaines de
l’automobile, la pétrochimie et la production de matériaux de construction. Conformément à la
stratégie à long terme pour le développement de la ZES « Alabuga », d’ici à 2013, le nombre
de résidents attendus devrait atteindre la quarantaine, permettant ainsi la création de 16
mille emplois. »
L’étude de cette ZES peut se faire à travers l’exemple de l’entreprise française Air
Liquide dont on possède une présentation succinte sur le site sus-mentionné : « Grâce à des
solutions innovantes s’appuyant sur des technologies sans cesse renouvelées, Air Liquide
123 Le site http://tatarstan.ru/eng/about/sport.htm rappelle la vitalité sportive de cette république et insiste
en particulier sur les performances tatares aux derniers JO de Londres durant l’été 2012 : les 22 athlètes tatars
en lice dans l’équipe nationale russe ont gagné 3 médailles d’or, une d’argent et deux de bronze.
124 Information sur
http://www.fifa.com/worldcup/russia2018/organisation/media/newsid=1711717/index.html
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45
contribue à la fabrication de nombreux produits de la vie quotidienne et s’inscrit dans une
démarche de développement durable. Air Liquide (…) compte 43 000 collaborateurs (…).
Depuis la publication des premiers comptes consolidés en 1971, le Groupe a maintenu une
croissance régulière de ses résultats. En 2008, son chiffre d’affaires s’est élevé à 13 103
millions d’euros dont près de 80% hors de France. Air Liquide est coté à la Bourse de Paris
et membre des indices CAC 40 et Eurostoxx 50 ». On peut compléter cette fiche rapide
d’identité par une mise en perspective des stratégies globales de l’entreprise à l’échelle de la
Russie : « AIR LIQUIDE, arrivé en Russie en 1989, investit depuis 2005 en Russie. La société
a annoncé en 2009 un investissement prochain de 54 millions de dollars pour développer une
usine à gaz à Alabuga (…). La compagnie a également investi 122 millions de dollars dans un
complexe de production de gaz à Tcherepovets dans la région de Vologda. Elle est également
présente dans la région de Saint-Pétersbourg, de Nijni Novgorod (construction usine à
Kstovo) et de Samara (construction usine à Balakovo). La société envisage d'avoir engagé
jusqu’à 1 milliard d'Euros d'investissements d’ici 2015 »125.
Une seconde approche peut aussi être menée à travers le site officiel des ZES russes
(http://eng.oao-oez.ru/special_economic_zones/industrial_zones/alabuga/) qui donne des
informations simples et pratiques en anglais ainsi qu’une image de la ZES tatare : date de
création (loi du 21 décembre 2005 sur les ZES ; mise en place en 2006), superficie (20 km²
c’est-à-dire environ 45 fois le Vatican !), industries prioritaires (moteurs pour voitures,
activité pétrochimique, matériaux de construction, biens de consommation…), liste de
résidents sans oublier les avantages de la ZES (pas de taxe foncière, pas de taxe sur les
transports de marchandises, faible taxe sur les entreprises, exemption de droits de douane,
acquisition de terrains à faible coût, etc…). On y apprend également la présence du chemin de
fer et d’un terminal de conteneurs.
Enfin, en complément, on peut se connecter au site officiel de la ZES d’Alabuga
(http://alabuga.ru/en/). Les entreprises résidentes par secteur y sont plus détaillées ainsi que
les avantages financiers (par exemple la par fédérale sur la taxe portant sur les entreprises est
de 2% pour les 5 premières années, puis de 7% pour les 5 années suivantes avant de passer à
15,5% jusqu’en 2054).
ACTIVITE 4 : une entreprise puissante, TatNeft, sponsor
des AK Bars Kazan
TatNeft est présente dans la ZES d’Alabuga
125 http://www.ccifr.ru/fr/la-russie-a-la-loupe/les-regions-de-russie/?show=tatarstan
[Tapez un texte]
46
COMPLEMENT SUR LE TATARSTAN :
UNE AUTRE EQUIPE TATARE EN KHL, LE
NEFTEKHIMIK NIJNEKAMSK
Approche géoéconomique et géo-environnementale
Ce club tatar, fondé en 1968, est également engagé en KHL
(division Kharlamov, Conférence Est). Ses
résultats en championnat sont modestes (15e,
6e, 15e et 18e lors de ses dernières saisons).
Le club est surtout intéressant, au même
titre que les AK Bars Kazan, pour son
sponsor officiel, l’entreprise pétrochimique
Nijnekamskneftekhim, qui a donné à l’équipe son
nom
(Neftekhimik signifie « pétrochimique ») ainsi que son logo (cicontre à gauche).
Le site du club de hockey sur glace met nettement en évidence son sponsor : il suffit
d’ailleurs de cliquer sur le bandeau publicitaire pour se retrouver sur le site de l’entreprise126.
Un descriptif de cette dernière est proposé en anglais : on y apprend que
Nijnekamskneftekhim appartient au groupe TAIF et qu’elle produit du caoutchouc
synthétique (7 variétés différentes), des plastiques (polystyrène, polypropylène, polyéthylène),
des produits pétrochimiques comme de l'oxyde d'éthylène, de l’oxyde de propylène etc… La
société exporte ses produits vers près d’une soixantaine de pays européens, asiatiques et sudaméricains. Son chiffre d’affaires, estimé à 94,4 milliards de roubles est en hausse. Une des
rubriques du site officiel de Nijnekamskneftekhim est consacrée … au sport. L’entreprise
montre son investissement moral et financier dans ce domaine en proposant des installations
sportives à ses employés (complexe sportif, patinoires, salle de sport, ball-trap, piscines…)
mais aussi en développant et promouvant le sport au sein de l’entreprise (organisation de
compétitions).
Plus intéressante est la rubrique consacrée par l’entreprise à l’écologie127.
La société déclare, dès les premières lignes, faire, de la protection de l’environnement,
une de ses priorités (mise en place d’un programme spécial sur les années 2004-2008
reconduit jusqu’en 2015) tant au niveau de la recherche que des mesures adoptées : traitement
interne des eaux usées et des eaux pluviales ; rejet de gaz dans l’atmosphère après traitement
ou neutralisation ; stockage des déchets solides dangereux, réduction de la consommation
d’eau ; contrôle environnemental par des laboratoires accrédités par l’entreprise.
Nijnekamskneftekhim ajoute qu’au cours des dernières années, les activités de la société n’ont
causé aucun impact négatif notable sur l’environnement et que la qualité de l’air, à proximité
du site industriel, est dans les limites normales.
126 http://nknh.ru
127 http://nknh.ru/ecology_en.asp
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47
Le nouveau programme écologique de la société (valable jusqu’en 2015), qui s’élève à
5,3 milliards de roubles, prévoit de réaliser des économies en matière de consommation
énergétique, de réduire les émissions de gaz dans l’atmosphère, de mieux gérer encore les
eaux usées. Un projet de reboisement (100 ha) est également envisagé sur le site de
l’entreprise et dans la ville. L’entreprise s’engage aussi à financer la mise aux normes des
canalisations d’eau de la ville de Nijnekamsk.
La stratégie environnementale de Nijnekamskneftekhim
a fait l’objet d’une
reconnaissance à l’échelle du Tatarstan (concours ECOleader) et de la Russie (prix national
Ecoworld)128.
48
ETUDE DE CAS 3 :
L’okroug autonome de Khantys-Mansis : «les Emirats
sibériens unis»
La porte d’entrée : la KHL
e club Ougra Khantys-Mansis (division Kharlamov, Conférence de l’Est)
est récent (2006) ; il évolue en KHL depuis deux saisons seulement (11e en
2011 et 14e en 2012). Le nom de cette équipe fait référence à trois réalités :
géographique, historique et ethnographique.
La ville de KhantysMansis, où évolue le
club de KHL, est
éloignée de près de
2800 km de Moscou.
Elle se situe dans la
plaine de Sibérie
occidentale. Elle a
donné son nom au
district
qu’elle
chapeaute.
Cette
région administrative
fut appelée Ougra au
Moyen Age par les
marchands russes ;
elle fut intégrée à la
principauté
de
Moscou en 1478
après le rattachement de la principauté de Novgorod, dont elle dépendait depuis le XIIIe
siècle, à cette dernière. L’annexion est aboutie au XVIe siècle ; la colonisation de l’Ougra
commence au XVIIIe siècle (développement de villes, monastères et routes commerciales)129.
L
128 http://nknh.ru/reward_en.asp
129http://fr.rusbiznews.com/regions/District_F%C3%A9d%C3%A9ral_d%E2%80%99Oural/District_Autonome_
Khanty-Mansi_-_Yougra/Ressources_sociales_et_naturelles.html
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La Fédération de Russie possède 9 okrougs ou districts
autonomes, « définis selon des critères ethniques mais
placés sous l’autorité des oblasts et des kraï, auxquels ils
se rattachent. Ainsi, l'okroug des Khanty-Mansisk et celui
des Yamalo-Nenets relèvent de l'oblast de Tioumen »130. En
général, les okrougs, ou districts autonomes, occupent une
grande superficie avec une faible population. C’est le cas du district de Khantys-Mansis,
étendu sur 534 800 km², soit pratiquement la taille de la France, mais avec une population
dérisoire (1 532 000 h). Le nom de la ville et du district provient des deux peuples
autochtones de l’Ougra. D’un côté, les Khantys appelés aussi Ostyaks ; de l’autre, les Mansis
ou Vogouls, deux populations formant le sous-groupe des langues ougriennes de l’Ob131. Ces
deux populations conservent leurs dialectes aujourd’hui en péril : ils figurent d’ailleurs sur la
liste des langues menacées établie par l’UNESCO132. On estime « que le nombre de locuteurs
potentiels oscillent entre 10 000 et 30 000 personnes 133». Un reportage de Fabrice NodéLanglois, de 2008, permet d’appréhender la difficile survivance du « petit peuple » khanty134
sur un territoire traditionnel que l’exploitation pétrolière ravage peu à peu :
« Ils ne comptent plus que pour 0,2% des 1,5 million d’habitants de l’Ougra (…). Soit
environ 30000 descendants des hommes qui chassaient le mammouth il y a 5000 ans sur ces
terres hostiles, où la température baisse à -40°C l'hiver, et où l'été est un enfer grouillant de
moustiques. (…) Les «petits peuples» comme les Russes les appellent, ont souffert sous le
régime communiste qui leur interdisait le nomadisme. Une révolte éclata dans les années 30
dans l'Ougra, réprimée à coups de bombardements. Aujourd'hui, les peuples khanty et mansii
sont pris en considération, et bénéficient d'aides diverses. Samedi , Dmitri Medvedev a
prolongé son séjour à Khanty Mansiisk, la capitale de l'Ougra, après le sommet Russie-UE
[juin 2008] pour présider à l'ouverture du congrès des peuples finno-ougriens en présence
des présidents estonien, hongrois et finlandais. Les archives du KGB sur l'épisode méconnu
de la répression des années 30 contre les "petits peuples" sont encore fermées. (…) Les
Khanty misent en effet sur le tourisme pour perpétuer leurs traditions chamanistes et
païennes. Beaucoup d’immigrés venus d’Asie centrale ont peuplé Kychik. Les mariages
mixtes se multiplient, explique Lidia Soudmanova, ethnologue. Ils réduisent les risques de
consanguinité mais diluent la culture. «Les femmes khanty préfèrent souvent des hommes
d’autres nationalités, poursuit Lidia, car l’alcool fait des ravages parmi les nôtres». «Depuis
que le pétrole est exploité, raconte-t-elle, il y a moins de poisson et d’animaux. La chasse à la
martre et à la zibeline devient difficile. Les pétroliers ne respectent pas la taïga». «Le comble,
c’est que notre région envoie de l’énergie à l’Europe et que nous n’y avons pas accès». Le
village n’a ni gaz ni eau courante. Au moins, grâce au sommet et à la visite de Medvedev, il a
reçu deux générateurs neufs. Certains Khanty se plaignent des dégâts sur la faune provoqués
par l'exploitation du pétrole mais dans le dédale d'affluents de l'Ob, le poisson est encore
abondant. Les Khanty le font sécher avant de le déguster cru et salé ou fumé, ou encore
130 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieDoc4.htm
131 Roger Caratini, Dictionnaire des nationalités et des minorités de l’ex-URSS, Larousse, 1992
132 Atlas des langues menacées en ligne : http://www.unesco.org/culture/languages-atlas/fr/atlasmap.html
L’examen de la carte pour la Fédération de Russie fait état de 131 langues en danger : 20 sont jugées
vulnérables, 49 en danger, 29 sérieusement en danger, 22 en situation critique et 15 sont déjà éteintes.
133 Simone Schlindwein, Sommet UE-Russie : l’or noir au quotidien, 26 juin 2008,
http://www.cafebabel.fr/article/25260/trans-eu-russland-gipfel-nomaden-gegen-olgiganten.html
134 Fabrice Nodé-Langlois,
La survie du « petit peuple » khanty, 29 juin 2008,
http://blog.lefigaro.fr/russie/2008/06/la-survie-du-petit-peuple-khan.html
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49
bouilli. Les Khanty nomades (il n'en reste plus guère ou alors saisonniers) vivent dans les
tipis locaux, appelés "tchoums". Les femmes les montent en un quart d'heure. Les enfants (…)
apprennent les rites ancestraux, les danses qui évoquent la chasse et le sacrifice de l'ours.
Mais ils ne parlent presque plus la langue khanty »135.
La région de l’Ougra possède un paysage sylvestre mais aussi marécageux
caractéristique : « plus d’un tiers du territoire est occupé par les forêts, dont 80% sont des
conifères – pin, cèdre 136». La couverture forestière est estimée à « 49,9 millions d’ha, soit
87% du territoire régional, (…) [et] 4,5% des ressources forestières de Russie137 ». L’une des
principales industries du district est justement l’industrie du bois et de la menuiserie.
Elle est aussi « riche en or alluvial, filon de quartz, charbon, lignite, fer, cuivre, zinc,
plomb, niobium, tantale, bauxite… Il existe également des gisements de pierres ornementales,
terreau, argile halite, sables de mortier et eaux minérales. Mais ses ressources principales
sont le pétrole et le gaz, la région étant la plus riche de Russie en pétrole et en gaz et la
productrice la plus importante de pétrole au monde. C’est une région créditrice qui a une
position leader selon différents indicateurs économiques, y compris celui du volume de
production industrielle.138 »
ACTIVITE 1 : Khantys-Mansis, la force de l’or noir
Document 1 : Sommet UE-Russie dans l'eldorado sibérien
« Le Koweït City de Sibérie, le Dubaï russe. Ainsi les plumes les plus lyriques ont-elles
surnommé Khanty Mansiisk, la ville de Sibérie occidentale qui accueille le sommet Union
européenne-Russie. Cette cité de 65 000 âmes est la capitale administrative de la région
d'Ougra, grande comme la France, qui produit à elle seule 8 % de l'or noir mondial, soit 60
% des barils russes. Les gratte-ciel ne hérissent pourtant pas l'horizon de Khanty Mansiisk, à
la différence des villes champignons bâties sur l'or noir kazakh, Astana ou Atyrau. Ici, le sol,
véritable éponge, n'autorisait pas jusqu'à présent les constructions de plus de douze étages.
L'omniprésent britannique Norman Foster projette néanmoins d'élever une tour de cinquante
étages.
Khanty Mansiisk est telle une île posée au milieu des plus grands marécages du monde
qui s'étalent autour du confluent de l'Ob et de l'Irtych. Cela n'a pas empêché les architectes
d'exprimer leur créativité. Plusieurs édifices sont surmontés de grands cônes qui évoquent les
«tchoums», les tentes des nomades khanty, descendants des chasseurs de mammouths d'il y a
5 000 ans. Toits rouges ou vert vif, façades en verre bleuté, revêtements d'aluminium colorés
laissent une impression de ville en Lego. «Il y a vingt ans, il n'y avait que de la boue,» se
souvient Lioudmila, qui devait traverser toute la ville pour conduire sa fille à l'école.
Aujourd'hui, un asphalte lisse comme on n'en voit guère en Russie et des trottoirs impeccables
ont remplacé le cloaque. Les écoles se sont multipliées. La rue Karl-Marx est toujours la rue
135 En complément, on pourra lire un rapport européen officiel de Mme Saks (Estonie) sur la situation des
populations
finno-ougriennes
et
samoyèdes
(2006)
sur
http://assembly.coe.int/Mainf.asp?link=/Documents/WorkingDocs/Doc06/FDOC11087.htm
136 Voir note 41 pour la référence
137 http://www.ccifr.ru/fr/la-russie-a-la-loupe/les-regions-de-russie/?show=khanty-mansy
138 Même référence que la note précédente.
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50
Karl-Marx, mais elle est devenue une plaisante artère piétonnière où poussettes et étudiants
absorbent les premiers soleils de l'été.
Ici, les pétrodollars n'ont pas atterri que dans les poches de quelques oligarques. Sous
la férule d'Alexandre Filipenko, inamovible gouverneur depuis l'ère soviétique139, la richesse
semble profiter à tous. Comme à Moscou, les vieilles Lada disparaissent au profit des 4 x 4
japonais, voire des Porsche Cayenne. Lioudmila est guide au Musée des beaux-arts.
L'établissement est exceptionnel pour une petite ville de Sibérie, tant par son agencement
moderne que par sa collection d'icônes rares et d'impressionnistes russes constituée en dix
ans seulement, grâce aux pétroliers mécènes. Le Musée d'histoire naturelle n'est pas en reste,
avec sa scénographie digne du Quai Branly qui expose animaux empaillés et scènes de la vie
des «petits peuples», comme on appelle ici les indigènes.
«Les trois quarts de notre budget sont consacrés à l'homme, martèle fièrement le
gouverneur Filipenko, c'est-à-dire à l'éducation, la culture, le social.» L'homme fort de
l'Ougra, dont les cheveux blancs, les yeux fendus et le nez rappellent un peu Boris Eltsine,
dresse un tableau flatteur de sa région : la natalité en hausse, aussi élevée qu'aux États-Unis
; l'espérance de vie bien supérieure à la moyenne russe ; les 12 000 interventions
chirurgicales effectuées en 2007 qu'on n'aurait jamais pratiquées ici auparavant.
Alexandre Filipenko prépare déjà l'après-pétrole. En 2020, l'or noir fournira moins de
la moitié du PIB régional. L'Institut des technologies de l'information préfigure l'Ougra de
demain, avec ses 120 chercheurs. Le centre de recherches abrite l'ordinateur le plus puissant
de Russie à l'est de l'Oural. Ses activités sont tournées vers la recherche pétrolière (les
compagnies lui assurent 60 % de ses revenus) mais se diversifient, par exemple dans la
télémédecine. La «prime du nord» assure à un jeune programmeur un salaire de 35 000 à 40
000 roubles (autour de 1 000 €). Des revenus moscovites avec une qualité de vie bien
meilleure, résume Anton, face à son ordinateur et le dos tourné à la baie vitrée plongeant sur
l'océan de bouleaux et de sapins.
La prospérité pétrolière a ses laissés-pour-compte. En plein centre-ville, entre deux
quartiers rénovés, se dressent encore de grandes maisons de bois à deux étages datant des
années 1930. «Venez voir», s'indigne Alec, électricien. La bâtisse, construite sans fondation,
craque de partout. À l'étage, un plafond s'est effondré d'un coup et dévoile les charpentes
pourries. L'hiver, les fenêtres disjointes laissent pénétrer le froid sibérien. Et l'été, l'odeur des
toilettes, cabanes en bois posées dans la cour jonchée d'immondices, devient pestilentielle. Un
couple d'alcooliques promenant leur bambin opine du chef au récit d'Alec. Il n'y a pas l'eau
courante. «Beaucoup d'argent a été dépensé pour le sommet, enrage Oksana, une voisine. Le
gouverneur gaspille l'argent avec les feux d'artifice. Avec l'argent qu'ont coûté les statues de
mammouths géantes au bord du fleuve, on aurait pu reloger des familles.» Alec a beau
toucher un bon salaire 30 000 roubles, affirme-t-il, il ne peut s'offrir un studio dans les
immeubles neufs à 20 000 roubles par mois, comme à Moscou. Un policier du quartier
confirme que des centaines de familles sont encore mal logées en ville. Un journal local a
conseillé aux habitants de bien nettoyer la ville avant le sommet, rapporte Alec, «car les
journalistes étrangers aiment bien mettre leur nez dans les trous». Un conseiller du
gouverneur l'assure, dans trois ans, toutes les maisons anciennes auront disparu et, avec
elles, les «trous» pour les vilains curieux. »
139 Le nouveau gouverneur est désormais une femme, Natalia Komarova.
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51
Source : Fabrice Nodé-Langlois, Le Figaro, 26 juin 2008,
http://www.lefigaro.fr/international/2008/06/26/01003-20080626ARTFIG00010-sommetue-russie-dans-l-eldorado-siberien.php
Document 2 : Ruée vers l’est à la ville de Khantys-Mansis en Sibérie
occidentale
« Khanty-Mansiysk n’a rien d’une cité russe ordinaire. Inutile de chercher les toits
rouillés caractéristiques des villes moyennes de la gloubinka (province). Tout est neuf ou
fraîchement repeint. Avec ses toitures rutilantes, ses immeubles colorés, ses rues proprettes
bordées d’arbres, la ville, située à 2 000 km de Moscou, au milieu d’un marécage au
croisement des fleuves Ob et Irtych, en Sibérie occidentale, a l’air d’une construction de Lego
au coeur de l’austère taïga sibérienne…Capitale d’un territoire grand comme la France, d’où
est extrait 60 % du pétrole russe, Khanty- Mansiysk, 65 000 habitants, est devenue le symbole
de cette Russie où « il fait bon vivre » promise par le Kremlin…
En quinze ans, grâce aux retombées de l’or noir, la ville a fait peau neuve. Elle s’est
dotée d’un hôpital ultramoderne qui soigne toute la région. Son directeur adjoint, Alexeï
Dobrovolski, 37 ans, est fier de montrer son « robot chirurgical », dernier cri. « Les EtatsUnis en ont 500, la Russie seulement 2, l’un est à Ekaterinbourg, l’autre ici. » Alexeï vient
tout juste de suivre une formation à Strasbourg pour se servir de ce robot. Il a « opéré des
cochons » pour se faire la main. Le centre-ville arbore des fontaines kitsch, une salle de
concert futuriste, un « centre artistique pour les enfants doués du Nord ». La galerie d’art fait
ses emplettes chez Sotheby’s et Christie’s…
« J’aime ce qui est beau », confie [le gouverneur] un apparatchik à la crinière
blanche. En place depuis dix-neuf ans, il a traversé sans encombre la chute de l’URSS, les
persécutions contre Ioukos, l’annulation de l’élection des gouverneurs au suffrage
universel… Depuis l’imposition par Vladimir Poutine de la « verticale du pouvoir », la région
donne l’essentiel de ses revenus à Moscou, qui lui en reverse ensuite une partie. « Nous
n’avons pas tant d’argent que cela ! Il en manque toujours ! », soupire le gouverneur. (…)
Colonisés sous les tsars, peuplés à marche forcée par le pouvoir soviétique à coups de
goulags et de zones de relégation, devenus à la fin des années 1960 le centre de l’attention
des planificateurs communistes, la Sibérie et le Grand Nord détiennent la plupart des
ressources naturelles du pays. Le territoire Iamalo-Nenets est riche en gaz, la région de
Khanty-Mansiysk regorge de pétrole, la république de Sakha (ex-Iakoutie) recèle de l’or et
des diamants.
Avec 1,5 million d’habitants seulement, la région de Khanty-Mansiysk, vaste territoire
marécageux semblable à une éponge imbibée de pétrole, est la quatrième de la Fédération
russe en termes de richesse. Le revenu moyen par habitant y est plus élevé qu’à SaintPétersbourg (653 euros par mois et par habitant contre 420 pour l’ancienne capitale
impériale). Plus au nord, les habitants du district Iamalo-Nenets ont un niveau de vie plus
élevé que les Moscovites (1 411 euros mensuels contre 868).
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52
Attirés par les primes et le « paquet social » (crèches, écoles, hôpitaux hors normes,
vacances payées), les ouvriers du pétrole et du gaz affluaient à l’époque soviétique. Mais ils
ne restaient pas. Sitôt leurs contrats achevés, ils rejoignaient « la grande terre », la Russie
d’Europe où le climat est plus clément et les infrastructures mieux développées. Depuis dix
ans, les nouveaux migrants s’installent dans le long terme. « Il y a quarante ans, le territoire
de Khanty-Mansiysk comptait 120 000 habitants. Aujourd’hui, il y en a dix fois plus », insiste
le gouverneur.
Ukrainien de Kharkov, Viktor Sosietch, 36 ans, est venu tenter sa chance il y a treize
ans. Il a trouvé à s’employer comme géologue pour un salaire de 650 euros mensuels. Il a fini
par faire venir sa femme, Natalia, qui travaille dans une banque locale pour un salaire
équivalent. Trois filles sont nées. Le ménage a commencé à vivre mieux lorsque Viktor, avec
deux associés, a créé sa propre société de transport. Les bénéfices de l’entreprise assurent à
la petite famille un revenu mensuel de 13 000 euros. Elle a acheté un appartement, voyage à
l’étranger « au moins deux fois par an ». Valera, 7 ans, aime par-dessus tout « aller à la mer
Rouge ». Malgré le climat – neuf mois d’hiver et quatre semaines d’été infestées de
moustiques -, ils n’envisagent pas de vivre ailleurs. Une piste de ski avec remonte- pentes va
être installée au pied de leur immeuble, l’école des filles est toute proche et « la ville connaît
un faible taux de criminalité ».
Arrivés il y a douze ans de Magnitogorsk, grosse ville industrielle de l’Oural, les
époux Chatskikh, la cinquantaine, enseignants au « centre artistique pour les enfants doués
du Nord », ne quitteraient la ville pour rien au monde. Leurs salaires sont trois fois plus
élevés que dans la partie européenne de la Russie. Et puis « la vie culturelle est telle ici que
nous n’avons plus rien à envier à Moscou ! C’est la fin du complexe d’infériorité de la
province russe ! », s’exclame Vladimir Vassilievitch. Selon l’opposant Iouri Chagout, « 41 %
des logements en ville sont vétustes ». Il faudrait construire davantage de logements sociaux,
mais l’heure est à la spéculation immobilière. En vingt ans, la population de la ville a doublé.
Grâce aux encouragements matériels prodigués aux jeunes mères, le taux de natalité est plus
élevé (17 pour 1 000) qu’à Moscou (9 pour 1 000). »
Source : Marie Jégo, Le Monde, 27 juin 2008, article reporté dans
http://cbhg.org/blog/2012/09/21/russie-ruee-vers-lest-ou-pas/
Document 3 : Bons baisers de Sibérie. Le pétrole transforme
l’immense territoire
Cet article, de Paul Starobin, non disponible en ligne, peut être aussi utilisé en classe.
Il est consultable dans la revue National Geographic N°105, juin 2008 (pages 74-99).
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53
Document 4 : La ville de Khantys-Mansis, une ville transformée
par le pétrole ?
Le site de la ville, http://www.admhmansy.ru/eng/aboutcity/symbols/, peut être utilisé
avec profit, notamment en consultant la rubrique « Photo Album » qui montre une vue
panoramique de Khantys-Mansis ainsi que la nouvelle architecture urbaine.
ACTIVITE 3 : Exploitation des hydrocarbures et
environnement dans le district de Khantys-Mansis
Document 1 : L'exemple de l'Arrondissement autonome de
Khantys-Mansis (Nijnevartovsk)
« L'Arrondissement autonome
de Khanty-Mansisk (AAKh-M),
à deux fuseaux horaires de
Moscou et d'une superficie
presque équivalente à celle de la
France (523 000 km²), fait
partie administrativement de
l'oblast de Tioumen. À partir
des années 1970 et 1980
arrivent Russes, Ukrainiens et
Tatars, en grande partie attirés
par les incitations du pouvoir
pour la mise en valeur des
gisements de pétrole et de gaz.
En 1995, la population de
l'AAKh-M est évaluée à 1,340
millions d'habitants, les Russes
étant majoritaires (66%). Avec
le premier puits productif du gisement de Samotlor (mars 1965), commence la geste du
"troisième Bakou". Actuellement, un peu plus de 50% du pétrole extrait de la Fédération de
Russie provient de l'AAKh-M. En trente ans de mise en valeur, 6 milliards de tonnes de
pétrole ont été extraites et 500 milliards de m3 de gaz. Mais, depuis 1987, la production
diminue, non à cause d'un épuisement des champs pétrolifères mais à cause de problèmes
techniques et économiques. En effet, les investissements, déjà insuffisants, ont chuté de façon
spectaculaire à la fin de la période soviétique. Par ailleurs, les conditions climatiques sévères
réduisent les périodes favorables pour les chantiers qui sont menés sans précaution pour
l'environnement (voir diaporama ci-dessous). Les sites sont constitués de batterie de puits
("buissons"). Leur multiplication répond à leur faible productivité : 1/3 de ceux-ci seraient
inefficaces par entrée d'eau ou pression insuffisante. Le degré de vulnérabilité du milieu
naturel de ces régions de Sibérie est varié mais, d'une manière générale, les différents
géosystèmes ont une mauvaise aptitude d'autoépuration. Les sols podzoliques sableux ne
retiennent que 10 à 15% des polluants pendant une année, ce qui augmente la dispersion des
hydrocarbures par migration. Au contraire, les sols hydromorphes des zones marécageuses
ont une bonne capacité de rétention, mais l'auto-épuration y est très lente. Lors de la débâcle
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54
printanière, les inondations dispersent les hydrocarbures, créant une pollution diffuse sur de
grands espaces, mais cette dilution favorise aussi sa résorption. L'immensité, l'isolement et la
faible densité de population de cette région incitent à relativiser l'importance de ces impacts.
Les principaux responsables administratifs ou des entreprises impliquées dans la mise en
valeur des ressources pétrolières font confiance aux capacités naturelles d'auto-épuration du
milieu. »
Yvan Carlot, http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieDoc2.htm
Document 2 : Un diamant écologique en Sibérie
« Le cabinet d’architecture Foster and Partners va inaugurer cette année une tour
écologique à Khanty Mansiysk en Sibérie (Russie).
Implantée sur une colline de Kanty Mansiysk, la tour écologique à usage mixte comptera deux
podiums de 35 m de 7 étages chacun. Les deux constructions dépasseront de la tour, tels des
carreaux de diamant. Ces derniers, qui feront office de capteurs solaires, permettront à la
lumière de se refléter et d’illuminer l’intérieur des podiums d’une lumière naturelle. D’une
hauteur de 280 mètres, la tour à usage mixte se développera sur 140.000 mètres carrés dont
82.500 mètres carrés de bureaux, un hôtel de 49.000 mètres carrés, 15.500 mètres carrés de
logements et 14.500 mètres carrés de commerces et de loisirs. Au sommet, une plate-forme
d’observation et un restaurant offriront une vue panoramique sur la ville. »
Source : http://www.batiactu.com/edito/un-diamant-ecologique-en-siberie-6376.php, 15
juin 2007
Document 3 : Un incendie dans une usine pétrolière fait huit
morts (29 septembre 2012)
« Huit personnes ont été tuées dans un incendie qui a ravagé samedi deux dépôts dans
une usine de traitement de boues de pétrole située dans le district autonome russe des
Khantys-Mansis, a annoncé le ministère russe des Situations d'urgence. « Selon les dernières
informations, huit personnes ont été tuées et huit autres blessées », a indiqué l'antenne
régionale du ministère. Les flammes ont ravagé deux dépôts métalliques sur une superficie de
2.300 m². Les blessés ont été hospitalisés à Khanty-Mansiïsk, le chef-lieu du district. L'usine
de traitement de boues d'hydrocarbures se trouve au 66e kilomètre de la route reliant
Tioumen à Khanty-Mansiïsk. »
http://larussiedaujourdhui.fr/articles/2012/09/29/un_incendie_dans_une_usine_petrolier
e_fait_huit_morts_15955.html
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55
Document 4 : La toundra, ses rennes, son pétrole
Nota : l’article est basé en partie sur la république des Komis dans le district de l’Oural à
l’est de l’okroug des Khantys-Mansis et sur ce dernier également. L’intérêt est de mettre
en perspective les effets de la pollution des hydrocarbures en Sibérie.
« (…) A la frontière de la république des Komis et des “territoires nationaux” des
Nenets, on recense déjà plus de cent gisements de pétrole. Si les projets pétroliers de la
Russie se réalisent, dans dix ans, deux cents gisements seront mis en exploitation dans cette
région. Cette partie de la toundra est en train d’accoucher d’un Koweït russe. En une courte
période, des années 1960 à nos jours, l’homme a détruit ce qui jusqu’alors avait constitué la
nature immaculée du Nord et de l’Arctique. Lorsque l’explorateur et homme de science
finlandais Matias Aleksanteri Castrén descendit la rivière Petchora, au milieu du XIXe siècle,
la région était “si déserte et si vide que, comme les pasteurs du coin le disent, Dieu n’a pas
pu la créer ; elle a dû naître seulement après le déluge”. Castrén nommait la région “la
toundra du Grand Pays”, un territoire gouverné par une rivière capricieuse, avec des
cultures sombres et mélancoliques. Aujourd’hui, la terre occidentale de l’Oural n’est pas
seulement sombre, mais noire. Une promenade en hélicoptère permet de se faire rapidement
une idée d’ensemble. Dans un rayon de dix kilomètres autour du point de rencontre des
pipelines, je ne vois que de la neige noire, des tuyaux qui fuient et des mares de pétrole en
feu. Si la Russie possède une législation sur l’environnement, montrez-la-moi ! Des nuages
noirs obscurcissent le ciel ; les flammes éternelles des puits de pétrole répandent de la suie
partout ; et la catastrophe écologique est encore aggravée par les poids lourds et autres
engins à chenilles qui sillonnent la toundra, répandant boue et saleté, marquant la terre de
leur empreinte pour de longues années.
On aperçoit des troupeaux de plus de mille rennes qui slaloment entre les champs
pétrolifères et les pipelines. Sous les tout derniers oléoducs, on a aménagé des espèces de
tunnels pour permettre aux rennes de passer, mais ils n’ont pas encore appris à les utiliser.
Ils ont leurs propres chemins. On les voit paître aussi au milieu des vestiges de champs
pétrolifères désaffectés, datant du temps de l’Union soviétique. Là, au moins, il y a un peu de
végétation propre. (…)
Les traditions sont cependant sur le point de se perdre. Le nombre de rennes est en
baisse et les bandes de loups se multiplient. Le pire ennemi, cependant, reste l’homme. La
toundra est grande, mais la catastrophe écologique l’est aussi. En 1994, la presse
internationale s’était intéressée à la région car 200 000 tonnes de pétrole échappées d’un
oléoduc endommagé s’étaient déversées dans les eaux de la Petchora. Or ce sont les mêmes
pipelines qui serpentent aujourd’hui à travers la toundra. La Russie a mis en place une
nouvelle législation environnementale, bien plus stricte, mais on n’en trouve guère trace dans
la pratique. “Ici, les lois sont rarement respectées”, explique le représentant des éleveurs de
rennes, Konstantin Lichoutine. Les eaux, les baies et les lichens sont pollués. Les rennes
tombent malades et les hommes aussi. C’est ainsi. On demande rarement l’avis des éleveurs
de rennes lors des différentes négociations. Selon lui, même le président du comité des
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ressources naturelles s’est sali les mains. Avec les forages pétroliers, la situation économique
des Komis ne s’est pas améliorée. Lichoutine raconte également qu’une loi a été votée
l’année dernière, suivant laquelle 80 % des gains réalisés par les entreprises pétrolières vont
officiellement à Moscou. De plus, la république des Komis a privatisé tout son patrimoine de
valeur : son industrie pétrolière et houillère, et la majeure partie de son industrie forestière.
Seul un champ pétrolifère a la bénédiction des éleveurs de rennes, celui de Severtek, au sud
de Chapkino. Il s’agit d’un projet russo-finlandais, pilote en matière de protection de
l’environnement, qui a démarré en août 2003. A la cantine de l’entreprise pétrolière
finlandaise Fortum [copropriétaire de Severtek avec le russe Loukoïl], dont les locaux sont
flambant neufs, on peut manger du coq au vin préparé par un chef français. La technique
utilisée par ce champ pétrolifère est également dernier cri, et on ne voit pas de pollution aux
alentours. Malheureusement, c’est une exception au milieu de cent autres gisements.
De l’autre côté de l’Oural, en Sibérie occidentale, quand on se promène dans le
district des Khantys-Mansis, ce ne sont que champs pétrolifères, routes et oléoducs. A perte
de vue, un paysage désertique dévasté, des forêts entières brûlées. La terre polluée dégage
une amère odeur de pétrole. Les enfants attrapent des maladies chroniques en buvant l’eau de
la nappe phréatique contaminée.Selon la firme néerlandaise de consulting Iwaco, dans la
région largement pétrolifère de Nijnevartovsk, environ 840 000 hectares sont pollués et
inutilisables. Dans la capitale du district, Khanty-Mansisk, une ville de 20 000 habitants, la
rue principale est dallée de marbre. Il s’agit de la ville la plus riche de Russie après Moscou.
Je participe à un congrès dans l’un des nombreux palais de la ville. C’est l’occasion d’une
rencontre entre les firmes pétrolières, les représentants des peuples indigènes et des juristes
envoyés de Moscou. Même les juristes moscovites sont perplexes au sujet des lois qu’il
convient d’appliquer. Des Khantys ou des Nénets en pleurs montent à la tribune pour
raconter comment ils ont tout perdu le jour où l’hélicoptère de la compagnie pétrolière s’est
posé sur leur territoire. Les représentants de la compagnie pétrolière prétendent qu’ils paient
des dédommagements suffisamment importants à la région. Certains de ceux qui ont perdu
leur terre n’en ont jamais vu la couleur. Les pourparlers dureront deux jours, et les résultats
seront bien maigres. A Moscou, on écrit des lois qui sont contournées ici. La “compensation”
est le terme le plus en vogue à l’heure actuelle en matière de politique territoriale. Il s’agit
d’un dédommagement versé à ceux qui ont perdu un territoire de chasse ou de pâture en
raison de l’exploitation du pétrole. Il est néanmoins difficile de mesurer la justesse de cette
“compensation” et de savoir dans quelles poches elle atterrit. Loukoïl, l’une des plus grandes
exploitations pétrolières du district des Khantys-Mansis, a cependant mis en place des
normes de dédommagement. Selon le directeur du service de la Sibérie occidentale, Vladimir
Nekrassov, chaque famille reçoit une motoneige (de la marque russe Boura), un bateau à
moteur, des voyages gratuits en hélicoptère, une aide alimentaire, du bois de scierie et des
vêtements pour enfants. Quatre fois par an, chaque adulte touche 3 500 roubles [environ 100
euros] et chaque enfant, la moitié. Selon lui, il est inconcevable de verser une somme plus
importante aux Khantys, car l’argent corrompt moralement.
Les peuples khantys et mansis, dont les langues s’apparentent au finnois, ces peuples
découverts par les grands explorateurs finlandais de la fin du XIXe siècle, ont perdu leur
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activité économique. Aujourd’hui, la plupart des familles que les scientifiques peuvent
rencontrer ont été déplacées de leurs lieux d’habitation, de leurs villages d’hiver et d’été,
vers les agglomérations, des bidonvilles ou dans des réserves créées pendant la période
soviétique. Cette même politique s’applique progressivement à l’est. Sur la presqu’île de
Iamal, région riche en gaz et en pétrole, on a le projet de déplacer les Nenets des toundras
vers les réserves.
Le pétrole supplante les hommes. Dans les territoires du Grand Nord, la lutte
politique pour l’argent du pétrole est si acharnée qu’en deux ans déjà deux gouverneurs sont
morts dans un accident d’hélicoptère. Les petits peuples ne parviennent pas à défendre leurs
intérêts, même s’ils commencent à avoir leurs propres juristes. Dans les territoires de
l’Arctique, des organes internationaux ont été mis en place. Le plus important est le Conseil
de l’Arctique, qui a été présidé par la Finlande jusqu’en 2002. Le poète nenets Iouri Vella dit
à voix haute ce que personne n’ose évoquer : “La vie dans la toundra pourra reprendre dans
cent ans, lorsque le pétrole aura disparu, mais, à ce moment-là, nous n’existerons plus, ni
nous ni les rennes. Il ne restera plus que des tuyaux rouillés écartelés dans toutes les
directions et des villes fantômes complètement désertes gémissant dans le vent, et dans
lesquelles, jadis, habitaient des millions d’hommes venus avec le pétrole.”
Source : http://www.courrierinternational.com/article/2004/11/10/la-toundra-ses-rennesson-petrole (10 novembre 2004)
Complément sur le thème des minorités en Russie
Document : Minorités, vers une renaissance culturelle ?
« Et si le prochain prix Nobel de littérature était décerné à un auteur sibérien ? C’est
en tout cas ce que voudraient les écrivains finno-ougriens. Dans la déclaration finale de leur
VIIIe Congrès, qui s’est tenu à Khanty-Mansisk du 21 au 23 septembre 2004, ils demandent
la “nobélisation” du romancier khanty Eremej Ajpin. “L’importance morale et politique
d’une telle nomination serait inouïe pour les communautés finno-ougriennes de Russie”, note
un des participants de la conférence, le poète et traducteur hongrois István Kovács, dans le
quotidien Magyar Nemzet. Dans son roman La Mère de Dieu dans des neiges de sang, Ajpin
rend hommage à l’insurrection des Khantys qui a eu lieu en 1933 et 1934. “Après avoir
protesté, en vain, contre la limitation de leur libre circulation, indispensable pour l’élevage
des rennes et la pêche, et contre l’envoi forcé de leurs enfants en internat par le pouvoir
soviétique, les Khantys, désespérés, ont tourné leurs armes de chasse contre les
administrateurs impitoyables, puis les unités spéciales. Outre les bombardements et autres
fusillades, ces dernières n’ont pas hésité à utiliser des massues de pin rouge pour massacrer
bébés, enfants, femmes et vieillards. Le chef-d’œuvre d’Ajpin rappelle La Dernière Frontière
[10/18, coll. “Domaine étranger”, 1996], ce roman de Howard Fast qui rend hommage aux
Indiens d’Amérique massacrés à la fin du XIXe siècle”, note Kovács. Dans cette région,
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quand on est poète ou écrivain, on est aussi homme politique ou militant. Ainsi le poète Iouri
Aïvaseda Vella est-il éleveur de rennes et collaborateur de l’Institut de la renaissance des
peuples ougriens. Le romancier Eremej Ajpin, quant à lui, est l’un des cinq députés khantys et
mansis qui siègent au Parlement régional. »
Source : http://www.courrierinternational.com/article/2004/11/10/la-toundra-ses-rennesson-petrole (10 novembre 2004)
ETUDE DE CAS 4 :
Le kraï de Khabarovsk : un parfum de Far East
La porte d’entrée : la KHL
L’Amour Khabarovsk est un club de hockey sur glace situé dans l’Extrême Orient
russe. Fondé en 1958, il participe au championnat de KHL. Ses résultats sont pour l’instant
assez modestes : 20e, 21e, 22e et 12e. Avec le club de l’Amour Khabarovsk, on entre dans une
nouvelle réalité russe.
Construite en 1858 sur la rive droite du fleuve Amour, la ville de Khabarovsk vit à
l’intersection de deux mondes. Elle partage ce fleuve avec la Chine, que son puissant voisin
nomme Heilong Jiang. Formé par la réunion de l’Argoun et de la Chilka, celui-ci se jette au
bout d’un périple de 4440 km dans la mer d’Okhotsk. Ce fleuve fait office de frontière entre la
Russie et la Chine. C’est le 4e fleuve le plus abondant de Russie, derrière l'Ienisseï, la Lena et
l'Ob et le plus grand d’Extrême-Orient.
« Pour les Russes, l'Extrême-Orient se distingue de la Sibérie par le fait que le
premier voit ses fleuves se jeter dans le Pacifique, la seconde, dans l'océan glacial Arctique.
Alors que les cours d'eau sibériens, coulant du sud au nord, nécessitaient pour la colonisation
russe des transbordements pour avancer d'ouest en est, les fleuves d'Extrême-Orient allaient
dans le même sens que la conquête. C'est dire l'importance du plus grand d'entre eux, l'Amour.
Mais ce dernier est aussi chinois et, depuis l'arrivée des Slaves au début du XVIIIe siècle, le
fleuve est devenu un enjeu militaire et est resté jusqu'à aujourd'hui une limite disputée.140. »
L’autre réalité propre à Khabarovsk est celle de la distance et de son isolement à
l’autre bout de l’Etat-continent russe. Un petit passage par Google earth permet justement de
s’en rendre compte. Khabarovsk est en effet isolé dans son pays comme dans son championnat,
étant le club le plus excentré et le plus à l’est. La distance qui le sépare de Moscou, à vol
d’oiseau, est de 6187 km.... Le Lev de Prague, qui est la formation la plus éloignée de
Khabarovsk est à 7679 km : dix fuseaux horaires les séparent ! L’équipe géographiquement la
plus proche du club est celle du Metallurg Novokuznetsk… qui se trouve pourtant à 3364 km
soit à 5h de vol ; la suivante, le Sibir Novosibirsk est à 3602 km. En fait, Khabarovsk est plus
proche de Sapporo au Japon qu’il ne l’est de son plus proche rival, Novokutznetsk. A titre de
comparaison, en NHL, la distance la plus grande existant entre deux formations est de 3965 km
(Montréal / Los Angeles).
140 Laurent Touchart, article Amour, http://www.universalis.fr
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Ce problème d’éloignement a d’abord une incidence sportive avant d’avoir des
répercussions politiques et économiques (maîtrise du territoire). En effet, au début du
championnat de KHL, le 29 septembre 2012, l’entraîneur finlandais de l’ Amour Khabarovsk,
Hannu Jortikka, suite à une défaite de son équipe contre l’Avangard Omsk (à 4218 km), s’est
justement plaint de la fatigue permanente qui assaille ses joueurs, obligés de voyager
constamment vers des villes très lointaines. La KHL a répondu que la mise en place du
calendrier de matches était pensée pour éviter au maximum le désagrément de déplacements
fréquents mais qu’elle devait aussi prendre en compte les intérêts de toutes les équipes et pas
seulement ceux de l’Amour. La KHL a souhaité rappeler que Khabarovsk n’était pas la seule
équipe à souffrir des déplacements et que les clubs du Sibir Novosibirsk et du Metallurg
Novokuznetsk se trouvaient dans une situation comparable. La KHL a également précisé que
des jours de repos étaient prévus entre les matches pour permettre une bonne récupération141.
On pourrait croire, au regard de cette anecdote, que la KHL ne se préoccupe pas plus
que cela de l’éloignement de Khabarovsk et de ses conditions sportives finalement très
particulières. En réalité, c’est bien le contraire. Le président de la KHL, Alexsandr Medvedev,
envisage de développer le hockey dans l’Extrême-Orient russe et se dit prêt à la création d’un
club à Vladivostok. « La construction d’une nouvelle patinoire est évidemment requise pour ce
projet qui permettrait de redonner de l’éclat à une ville sur le déclin et de mettre (enfin) un
club à portée raisonnable de Khabarovsk (630 kilomètres) qui se sent bien isolé en ExtrêmeOrient »142. Au-delà, et dans un souci d’expansion géographique constant, la KHL a déjà
avancé la possibilité d’intégrer des équipes de hockey sur glace de l’Asia League « qui
rassemble le modeste hockey asiatique. Deux équipes sud-coréennes, une équipe chinoise et
quatre équipes japonaises luttent dans un championnat peu médiatique avec un niveau faible,
composées de joueurs hétéroclites et peu connus143. On ne voit guère quel intérêt la KHL peut
avoir à intégrer ces équipes dans son championnat, excepté peut-être pour équilibrer les
conférences qui, en effet, penchent du côté d’un Occident vorace. Les ressources financières et
l’intérêt du public sont faibles, même si l’Asie est la nouvelle terre promise de tous les
investisseurs, pour le hockey il semble que l’intérêt soit proche de zéro. Evoqué depuis
désormais quatre années, ce projet semble être au point mort et ressemble plus à un vœu pieu
de Medvedev qui ne veut pas oublier l’Orient alors qu’il consacre ses principales forces et
roubles vers l’Occident. 144» Tout reste malgré tout envisageable sur le long terme ; n’oublions
pas qu’entre 2004-2005, l’équipe B de Khabarovsk (Golden Amur) avait fait un passage éclair
dans le championnat d’Asie…
141 http://en.khl.ru/news/2012/10/03/24758.html
142 Philippe Rou Hockey Hebdo
143 http://www.alhockey.com (site officiel du championnat d’Asie) : les équipes sud-coréennes sont celles de
Anyang Halla et de High1 ; l’équipe chinoise, transférée à Shangaï, est nommée China Dragon. Les quatre
équipes japonaises sont Nikko Icebucks, Nippon Paper Cranes, Oji Eagles et Tohoku Free Blades.
144 Même référence que précédemment.
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61
http://www.eliteprospects.com/league_home.php?leagueid=147
Khabarovsk, dont le nom a pour origine celui d’un explorateur du XVIIe siècle (E.P
Khabarov), est la tête de pont (578 000 habitants en 2006) et le pivot directionnel d’un
territoire administratif qui porte son nom et possédant le statut de kraï. Rappelons que les
kraïs sont des territoires à part dans la Fédération de Russie et notamment d’un point de vue
étymologique : le terme désigne les confins, les marches. Ce sont « des espaces de
colonisation récente et soumis comme tels à une plus forte autorité militaire du pouvoir
central »145. Le kraï de Khabarovsk n’est qu’une partie (12,7%) du grand Extrême-Orient
russe : d’une superficie de 787 000 km², il représente 4,5 % du territoire national. Il s’étend du
nord au sud sur 1800 km et, d’est en ouest sur une distance fluctuant entre 125 et 750 km. La
région est baignée par la mer d’Okhotsk et celle du Japon ; elle possède environ 3390 km de
côtes ainsi que diverses îles, les plus importantes étant celles de Shantarsky. Le kraï est situé à
430 km du Pôle Nord. Les territoires limitrophes, outre la Chine, à l’échelle de la Russie, sont
le kraï de Primorie, l’oblast autonome des Juifs (l’ancien Birobidjan), les oblasts Amour et
Magadan et la république de Sakha-Iakoutie. La population, en baisse, suite à de forts
mouvements migratoires (départ des jeunes) et une décroissance naturelle (arrivée à majorité
des premières générations post-soviétiques nées entre 1991-1992), est estimée à 6,46 millions
de personnes en 2010 (contre 8,05 en 1990 et 6,91 en 2000)146.
La ville de Khabarovsk possède une situation de carrefour globale. Il est amusant
d’ailleurs de remarquer que dans leur rubrique d’information générale sur le kraï, dans la
partie « localisation géographique », les autorités précisent, dès la deuxième phrase, que les
« routes terrestres, maritimes et aériennes traversent ce territoire, connectant ainsi l’intérieur
du pays avec les ports du Pacifique, de la même façon qu’elles connectent les membres de la
CEI et les pays d’Europe de l’Ouest avec les pays de l’Asie pacifique »147. Sa position sur
l’Amour fait de la ville de Khabarovsk un carrefour fluvial ; c’est aussi un carrefour
145 http://geoconfluences.ens-lyon.fr/doc/etpays/Russie/RussieDoc4.htm
146 http://gov.khabkrai.ru/invest2.nsf/General_en
147 Même référence.
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ferroviaire car elle se trouve sur le parcours du Transsibérien 148. C’est enfin un carrefour
aérien avec le 2e aéroport de Russie d'Asie après Novossibirsk.
Isolement, interface avec la Chine, voilà déjà deux thématiques propres au kraï de
Khabarovsk. On peut aussi en rajouter une troisième : les richesses minérales et énergétiques
(le club de KHL est d’ailleurs sponsorisé par une Compagnie d’exploitation de minerais) ; et
une quatrième, celle du renouveau pour une région longtemps boudée par Moscou.
Khabarovsk est la capitale officielle du district fédéral d’Extrême-Orient représenté
aujourd’hui dans le gouvernement russe par un ministère spécifique chargé de son
développement (dominé par Victor Ichaev).
APPROFONDISSEMENT 1 :
KHABAROVSK (kraï et ville)
Document 1 : Présentation du Kraï de Khabarov par son Gouverneur,
Vyacheslav Shport
« Ce qui caractérise les hommes d’affaires, ceux d’hier comme ceux d’aujourd’hui,
c’est leur désir de nouveauté mais également leur capacité à évaluer les risques ; ils ont un
don particulier de visionnaires. L’Extrême-Orient russe est justement l’endroit tout désigné
où ils pourront exprimer ces qualités. L’esprit pionnier y est toujours vivant au même titre
que le frisson de la réussite. C’est l’esprit pionnier qui nous permet de réaliser le meilleur
avion au monde dans la région de Khabarovsk, de produire de l’or de grande qualité, de
fabriquer de l’acier et de construire des stades couverts. C’est aussi pour cela que les
habitants de la région de Khabarovsk prennent soin de leur nature qui est unique. Des sapins
argentés au tronc desquels s’enlace du raisin sauvage dans la taïga d’Extrême-Orient, les
plus gros tigres de Sibérie du monde, raviront tout un chacun. C’est là, dans les ruisseaux des
montagnes, dont l’eau est cristalline, qu’un pêcheur chanceux pourra capturer le taimen (le
saumon de Sibérie). La région regorge d’abondantes ressources minérales. On recense 118
minerais différents, dont du charbon, de la platine, de l’étain et des pierres précieuses. On y
trouve des champs pétrolifères et gaziers. La région de Khabarovsk se distingue par une
économie dynamique et un cadre socio-économique stable. Plus de 600 entreprises ou
organisations venus de l’étranger ont investi dans la région de Khabarovsk et y opèrent. Les
partenaires commerciaux et technologiques de la région de Khabarovsk sont des compagnies
originaires de Chine, des Etats-Unis, de Corée du Sud, d’Australie, de Nouvelle-Zélande, de
Singapour et de l’Union européenne. La structure des investissements étrangers dans la
région de Khabarovsk révèle que les compagnies européennes ont investi presque trois fois
plus que celles venant des pays riverains (Asie du Sud-Ouest et du Nord-Est). Toutefois, on ne
peut occulter que les liens économiques avec les régions de l’Asie pacifique s’accroissent
148 Le site officiel du Transsibérien, http://www.transsib.ru/Eng/city-dvost.htm, qui propose une version en
anglais, indique que la jonction Khabarovsk-Vladivostok date de 1897. Plus généralement, le site délivre des
informations générales (économiques, culturelles, architecturales, historiques…) sur les villes traversées.
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62
progressivement. Les axes de transport entre Asie, Europe et Amérique, passent par la région
de Khabarovsk. « Le grand oléoduc Sibérie orientale – Océan Pacifique » comme le grand
gazoduc « Sakhaline-Khabarovsk-Vladivostok » sont sur le point d’être finalisés et
traverseront la région de Khabarovsk au même titre que les liaisons terrestres, maritimes et
aériennes existantes. Le gouvernement de la Fédération de Russie a approuvé la construction
d’une zone économique spéciale portuaire dans la région de Khabarovsk. Il est prévu
d’installer le hub dans le voisinage du port de Sovetskaya Gavan. La mise en place de la ZES
donnera un élan certain au développement de nouveaux projets d’infrastructures dans le
domaine minier, de l’énergie, de l’industrie et des transports, de même qu’à d’autres projets
de production de biens de consommation ou de services pour les habitants de la région de
Khabarovsk. Ces projets figurent sur notre site officiel. Nous sommes ouverts à toute nouvelle
forme de coopération. Nous continuerons à offrir à la région de nouvelles opportunités
commerciales. Nous sommes ouverts à des coopérations bénéfiques pour nos partenaires et
nous-mêmes. Bienvenue dans la belle et prometteuse région de Khabarovsk. »
Source : http://gov.khabkrai.ru ; traduction F. Jarrousse
Document 2 : Khabarovsk, un confin russe passé à l'heure chinoise
« Lorsque les glaces ont libéré ce bras de l'Amour, comme à chaque printemps, le pont
flottant a été monté. Il y a cinq ans, un étranger aurait pu le traverser sans formalité. Son
accès est désormais fermé par une barrière et gardé par des militaires armés. «C'est une zone
frontière !», aboie un fonctionnaire de passage. C'est dans ces confins de l'Extrême-Orient
russe que le président Medvedev reçoit jeudi soir et vendredi son homologue tchèque pour le
sommet annuel Russie-UE.
Sur l'autre rive de l'Amour, l'île de Bolchoï Oussouriski, autrefois entièrement russe, a cédé
en 2004 une douzaine de kilomètres, soit le tiers de sa longueur, à la Chine. Cette amputation
de l'île, où vivent encore 170 Russes, et la perte de deux îlots voisins ont été vécues par
beaucoup d'autochtones comme une humiliation imposée de Moscou. Mais elle a réglé un
contentieux territorial vieux de 150 ans. «Ce n'est pas une tragédie, tempère Sergueï
Mikhaïlov, un homme d'affaires russe au service d'investisseurs chinois dans le charbon. Cela
a permis d'améliorer la relation entre Pékin et Moscou.»
Les grands projets bilatéraux en ont été accélérés. À commencer par l'oléoduc SibériePacifique, en voie d'achèvement. En 2006, 6 % seulement de l'or noir russe exporté allait en
Chine, par train. Grâce au pipeline, Moscou veut porter cette part à 33 % en 2020. Dans cet
Extrême-Orient russe, Pékin achète surtout du bois et du charbon.
À trente kilomètres en aval sur l'Amour, Khabarovsk, la métropole régionale (570 000
habitants), vit à l'heure chinoise. Les immeubles soviétiques en briques grossières ou en
panneaux de béton préfabriqués s'alignent entre la place Lénine et l'avenue Karl-Marx.
Comme partout en Russie ont poussé les coupoles dorées des églises restaurées ou
construites. Une différence : celles-ci l'ont été par des ouvriers chinois. Autre signe
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d'exotisme : la plupart des voitures ont le volant à droite, des Mitsubishi, Toyota et autres
Nissan d'occasion achetées au Japon.
«Bien sûr que j'ai peur des Chinois, ils sont si nombreux», reconnaît sans peine Larissa.
Cette blonde décolorée lourdement fardée sait de quoi elle parle : elle vend au grand
«marché chinois» des sacs à main et des sous-vêtements «made in China» pour le compte
d'un patron chinois. Dans les longues allées de conteneurs transformés en échoppes, les
marchands chinois prennent le soleil. Ils n'ont pas le droit de vendre eux-mêmes la
marchandise depuis une loi de 2007 (d'abord tournée contre les Géorgiens). Larissa, payée
environ 12 000 roubles par mois (275 €), se réjouit de ce texte qui, selon elle, a sauvé des
emplois russes.
Le péril jaune ? «Aliocha», un Chinois de 32 ans qui a russifié son prénom, en rigole. «Ce
sont les Chinois qui ont peur des Russes, même s'il y a moins de hooligans (des racistes
violents) qu'avant.» Propriétaire d'une échoppe d'accessoires pour téléphones portables, il
emploie un vendeur kirghiz doté d'un passeport russe. «Je vis dans un foyer où je partage une
chambre de 20 mètres carrés avec trois compatriotes, pour 20 000 roubles par mois (460 €)»,
raconte-t-il. Malgré tout, il gagne mieux sa vie que s'il était resté au pays.
À Khabarovsk, la peur de l'invasion chinoise a fait long feu. Selon le représentant du Kremlin
dans la région, Viktor Ichaev, il y a seulement 10 000 migrants chinois, la plupart
saisonniers, qui vivent discrètement. Ce sont surtout les marchandises chinoises, qui
déferlent. Elles sont en vente sur les marchés, mais les habitants de Khabarovsk adorent les
acheter eux-mêmes en Chine.
C'est l'affaire d'une heure de vedette rapide qui mène à Fu Yuan. Dans ce village devenu ville
en quelques années, les Chinois se sont mis au russe, et baptisent leurs boutiques «soleil» ou
«mer» en cyrillique.
Les Russes achètent vêtements, pièces détachées pour voitures ou articles de sex-shops. On
passe une nuit à Fu Yuan éventuellement pour s'encanailler, reconnaissent à demi-mot deux
solides gaillards qui débarquent à Khabarovsk les bras chargés de leurs emplettes.
Il existe même des nouveaux émigrés russes en Chine, raconte Maria Netchiporouk,
rédactrice en chef de l'édition locale du quotidien Kommersant. Des retraités, misérables côté
russe, se paient sur l'autre rive de l'Amour un deux-pièces et s'habillent décemment.
Comme beaucoup de gens modestes, à 19 ans, Vadim n'a jamais mis les pieds à Moscou. Trop
cher par avion, trop loin en train, sept jours de Transsibérien. Étudiant, il apprend depuis
trois ans la langue de Confucius. Pour Vadim, l'Europe est un autre monde. Il voit
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64
naturellement son avenir avec les Chinois. «Ce n'est pas exotique, ils font partie de notre
vie.»149
Source : http://www.lefigaro.fr/international/2009/05/21/01003-20090521ARTFIG00014khabarovsk-un-confin-russe-passe-a-l-heure-chinoise-.php
APPROFONDISSEMENT 2 :
L’EXTREME-ORIENT RUSSE
65
Document 3 : L’Extrême-Orient russe depuis les années 90, un espace de
diversités
« On a beaucoup parlé après la chute de l’« Empire éclaté » d’une « Russie en
lambeau » (…) dans une Fédération où les régions russes étaient livrées à une autonomie
dont elles faisaient un usage inégal. En Extrême-Orient, l’éloignement du Centre et la quasidestruction de l’économie conduisirent dans les années 1990 au démantèlement de
l’institution de l’État. Le danger ne venait nullement du risque peu réel d’une république
d’Extrême-Orient séparatiste. Dès août 1990 avait été fondée une « Association
interrégionale de coopération économique des sujets de la Fédération de Russie de
l’Extrême-Orient et de la Transbaïkalie » qui ne réussit jamais à rassembler, face à une
Chine ne proposant qu’un seul front, la province du Heilongjang, avec laquelle chaque sujet
du sud de l’Extrême-Orient russe avait signé indépendamment des autres des accords de
coopération ! Les gouverneurs de l’époque instaurèrent donc des relations bilatérales avec
des pays étrangers (Chine, Japon) et les accords le long de la frontière fleurirent au cas par
cas selon des initiatives non coordonnées et directement entre régions voisines dans une
révolte à caractère économique nourrie par des forces centrifuges, à savoir un marché
asiatique proche et dynamique. La menace se trouvait donc plutôt dans l’arrivée au pouvoir à
Vladivostok et Komsomolsk d’une criminalité organisée. Les structures mafieuses achevèrent
de décrédibiliser les organes officiels d’administration, disséquèrent leurs infrastructures et
se muèrent en citadelles du business criminel international. Du point de vue local, il
s’agissait officiellement de s’opposer à une exploitation, jugée « coloniale », des réserves
extrême-orientales par le Centre. Dans la pratique les administrations locales poussaient
leurs propres intérêts, notamment les services des douanes notoirement corrompues (…).
En outre, il n’existe pas de véritable identité régionale sur un territoire qui représente
un tiers de la superficie de la Fédération de Russie. Même après la nouvelle carte des fuseaux
horaires décidée lors du dernier passage à l’heure d’été, le 28 mars 2010, et qui «rapproche
» d’une heure la Tchoukotka et le Kamchatka de Moscou, la région reste étalée sur trois
149Fabrice Nodé-Langlois, http://www.lefigaro.fr/international/2009/05/21/01003-20090521ARTFIG00014khabarovsk-un-confin-russe-passe-a-l-heure-chinoise-.php, 20 mai 2009
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fuseaux, en décalage par ailleurs avec les pays asiatiques qui sont plus en phase avec Moscou
de 1 à 2 heures.
(…) C’est ce Sud de l’Extrême-Orient qui rassemble l’immense majorité du
peuplement et qui se distingue par un PIB régional par habitant bien inférieur au Nord et une
certaine dépendance des subsides de Moscou. Certes, il reste fractionné entre une façade
pacifique (Vladivostok se vit comme une île reliée directement à Moscou, Sakhaline ou Séoul
mais pas à l’intérieur des terres) et le haut Amour plus continental (héritier des premiers
colons, plus agricole et plus pauvre). (…) Même l’axe Khabarovsk-Vladivostok, moteur du
développement de la région, est contrasté. La première, capitale officielle de la Région
fédérale de l’Extrême-Orient russe, est titulaire pour la troisième année consécutive du titre
de la ville la mieux aménagée, ce qui lui a sans doute valu l’organisation du sommet RussieUE en 2009. Elle accueille par ailleurs régulièrement le forum économique de l’ExtrêmeOrient russe. La seconde, érigée sur un site compliqué de baies et de collines, est un exemple
d’anarchie urbaine entretenue par des années d’une gestion conflictuelle entre la ville et la
région, et ponctuée d’affaires de corruption. La ville est aujourd’hui, après plusieurs années
de tergiversations, lancée dans une course contre la montre pour l’accueil du sommet de
l’APEC à l’automne 2012. (…) »
Source : Vycheslav SHVEDOV, Cédric GRAS, Géopolitique de la Russie, Hérodote, 3e
trimestre 2010, n°138, http://www.herodote.org/IMG/pdf/Gras-Shvedov138.pdf
Document 4 : L’Extrême-Orient russe, colonie chinoise ?
« (…) La rumeur colporte des chiffres effrayants sur le nombre de Chinois installés
illégalement ou non en Extrême-Orient russe, repris allègrement dans les journaux, allant de
plusieurs centaines de milliers à quelques millions (5 millions cités parfois, soit presque
l’équivalent de la population russe d’Extrême-Orient !) et parlant même de villages cachés !
On parle aussi d’une revendication chinoise matérialisée par exemple par l’inclusion de
l’Extrême-Orient russe sur les cartes de Chine des manuels scolaires, mais aussi par un
programme gouvernemental de conquête démographique via des aides à ceux qui
épouseraient un ou une Russe ou des aides administratives pour une installation en ExtrêmeOrient. Il semble que la Russie soit en train de perdre une guerre des représentations en
Extrême-Orient même, ce qu’elle ne devrait pas dédaigner. Si dans les esprits la Chine est
déjà maîtresse de l’Extrême-Orient, qui se trouvera révolté si un tel scénario advient ?
D’autre part, un climat de défiance pourrait avoir des conséquences à l’image de la
compagnie SlavNeft vendue contre toute attente à BP alors qu’elle semblait promise aux
Chinois de CNPC (Le Courrier de Russie, 29 janvier 2010). Ces rumeurs s’appuient sur
quelques faits avérés saisissants, comme le comblement de bras de l’Amour menant à la
modification de la frontière (qui passe par le bras le plus important) et donc à la
revendication d’îles, pour attribuer aux Chinois les pires intentions. À Tchita, la place
centrale récemment recouverte par des dalles achetées en Chine et portant une inscription en
caractères chinois est à l’origine d’une rumeur qui voudrait que soit écrit « Cette terre est à
nous » ! Il ne s’agit évidemment que du nom de l’entreprise qui a livré la commande... Après
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plusieurs années de spéculations, il paraît assez clair aujourd’hui que le nombre de Chinois
en Extrême-Orient russe est tout à fait modeste et des spécialistes comme V. Larin sont même
passés de la phobie à un discours intégrant les Chinois au développement de l’ExtrêmeOrient. Les témoins qui ont vu en deux décennies la rive droite de l’Amour ou la rive gauche
de l’Oussouri se métamorphoser jusqu’à être dominées à Blagovetshensk par quelques hauts
immeubles (qui cachent une ville bien plus basse par ailleurs) ne croient plus en une invasion
qui aurait pu avoir lieu alors dans les années 1990 tant la situation était dégradée. La plupart
des migrants de l’époque ont profité du laxisme et de l’anarchie ambiante pour filer à l’ouest
de la Russie. Il est en effet fréquent de voir des Chinois monter dans le Transsibérien à la
gare d’Oussourisk avec un billet pour Omsk, Ekaterinbourg, Moscou ou Saint-Pétersbourg.
Pour eux non plus, l’Extrême-Orient n’est pas forcément riche en opportunités. Être
clandestin n’est pas aisé, la frontière est relativement imperméable et le risque est grand, les
hôtels des villes frontalières sont sous contrôle étroit, le chaos qui suivit l’éclatement de
l’URSS est déjà loin. Les rares exemples ces dernières années de passage clandestin de la
frontière sont ceux d’un Russe ivre rentré chez lui à la nage depuis Heihe, d’un Ghanéen
voulant passer en Europe via la Russie (des Nord-Coréens empruntent aussi cette voie) ou de
braconniers chargés de peaux de tigres... Ainsi, un oblast comme celui de l’Amour n’accueille
qu’environ 16 000 citoyens chinois. Dans ce chiffre, il faut distinguer les étudiants et les
saisonniers de ceux installés pour de bon, mariés à une Russe (rarement l’inverse) et dont les
enfants fréquentent l’école locale. Ce qui fait dire à beaucoup que l’assimilation d’une
population d’origine chinoise au sein de la Fédération multiethnique de Russie est tout à fait
envisageable. L’expérience montre que les Chinois apprécient la vie en Russie et sa liberté, il
n’est pas sûr qu’élevés dans un environnement russe ils ne jouent pas alors le jeu de la
Fédération de Russie. D’autant que ce ne sont pas tous les Chinois (loin de là) qui rêvent
d’une vie en Russie. Presque tous les hommes et femmes d’affaires établis (provisoirement)
côté russe acquièrent de l’immobilier dans le sud de la Chine. Quelques exemples de réussite
sociale sont ainsi colportés parmi la population chinoise, comme l’histoire d’une femme de
Heihe (ville frontalière, en face de Blagoveshensk) désormais propriétaire d’un magasin à
Pékin après quelques années de commerce côté russe ! Pour les populations pauvres du nord
de la Chine, la Russie est une chance unique d’émigration économique dans l’optique d’une
migration valorisante interne à la Chine. Souvent, d’ailleurs, un des conjoints reste en Chine.
Côté russe, l’heure est donc à un développement économique réorienté vers l’Asie.
Pragmatique, elle est le pendant de la géopolitique des affaires et le fait d’une génération
résignée, dans l’espoir d’une carrière brillante, à abandonner ses tropismes européens
traditionnels. La Chine encourage d’ailleurs avec force le moindre intérêt pour sa culture. À
travers l’Extrême-Orient existent désormais trois Instituts Confucius sur la base d’universités
(les Russes exigent en retour des ouvertures en Chine). Ainsi, à Blagovetshensk, alors que
2010 est déclarée en Russie année de la France et année de la langue chinoise, l’université
pédagogique n’a reçu aucune dotation française comparée aux 150 000 dollars attribués par
la partie chinoise pour divers événements. La chaîne CCTV « russkii » diffuse quant à elle
des émissions en russe par satellite mais aussi grâce à une nouvelle antenne à Heihe sur le
bord de l’Amour... L’Extrême-Orient russe doit surtout éviter d’être transformé en un marché
à sens unique où le consommateur aidé par Moscou achèterait des biens transformés en
Chine à partir de matières premières russes. C’est pourtant une voie sur laquelle le Kremlin
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semble s’être engagé le 23 septembre 2009 lors de la signature par D. Medvedev de l’«
accord de partenariat entre les régions d’Extrême-Orient et de Sibérie orientale et le NordEst chinois jusqu’en 2018 », qui prévoit l’exploitation commune des ressources de l’ExtrêmeOrient russe, avec notamment une main-d’oeuvre et des investissements chinois alors que le
territoire chinois devrait accueillir des productions à plus forte valeur ajoutée. Cet accord se
veut une aide substantielle aux programmes de développements nationaux en oeuvre des deux
côtés de la frontière (Développement économique et social de l’Extrême-Orient et de la
Transbaïkalie et Programme pour la renaissance du Nord-Est) ; il porte cependant les
signatures de Moscou et de Pékin. Toutes les régions russes (sauf la République de Sakha) se
retrouvent unies malgré elles (la coordination sera assurée par le ministère du
Développement des Régions) dans un accord avec leur voisin chinois alors que beaucoup
accusent Moscou de condamner, en l’exploitant, l’Extrême-Orient russe. La question de son
développement revient encore une fois sur le devant de la scène. »
Source : Vycheslav SHVEDOV, Cédric GRAS, Géopolitique de la Russie, Hérodote, 3e
trimestre 2010, n°138, http://www.herodote.org/IMG/pdf/Gras-Shvedov138.pdf
Document 5 : La stratégie fédérale de développement de l’Extrême-Orient
russe
« Dans un Nord-Est asiatique dominé par la triade Japon-Corée-Chine (qui ne
participent à aucune forme d’union douanière), il s’agit pour l’Extrême-Orient russe de ne
pas se retrouver sur le banc de la Corée du Nord et de la Mongolie et de ne pas rater le train
de l’intégration via ses atouts en approvisionnement énergétique. (…). Les principaux
investisseurs étrangers, cruciaux pour le développement de l’Extrême-Orient russe, sont
néerlandais (Sakhalin), anglais (mines) ou japonais avant d’être chinois (1 % seulement en
2007) malgré quelques exemples comme la joint-venture Vostok Energy (CNPC et RosNeft).
La RPC [République populaire de Chine] s’efforce de développer son propre Nord-Est en
soutenant les exportations (…) et ne voit pas d’intérêt à investir dans la transformation côté
russe. Il existe en revanche une concurrence pour l’accès aux ressources qui a pu par
exemple influencer le tracé du pipeline de Sibérie orientale initialement prévu pour filer
directement sur Daqing en RPC et que les Japonais ont dévié jusqu’au Pacifique. Pour
changer cette situation, la Russie s’est à nouveau lancée dans de grands programmes de
développement. (…)
Autrement dit, la reconquête de l’Extrême-Orient russe passe par une reconquête
économique grâce à un soutien fédéral significatif qui établirait quelques locomotives
régionales conduisant à une économie concurrentielle. Pour ce faire, le gouvernement fédéral
a entériné le 28 décembre 2009 la nouvelle « Stratégie de développement socio-économique
de l’Extrême-Orient et de la Transbaïkalie (incluant aussi la région d’Irkoutsk et la
Bouriatie) jusqu’en 2025 », qui se présente comme une « entreprise géopolitique de fixation
de la population » sur la base d’une croissance économique et d’une amélioration des
conditions de vie alignées sur la moyenne russe. L’idée est de créer une dynamique
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économique au service de la Russie et non de ses voisins, ce que certains résument en
affirmant qu’il n’y a pas à avoir peur d’un voisin puissant, mais seulement à trouver le moyen
de mettre à profit cette puissance.
Les objectifs officiels de la Russie dans la région sont l’établissement d’une influence
politico-militaire et économique dans la zone Pacifique, le contrôle des ressources naturelles
stratégiques et leur exploitation avec profit dans cette même macro-région. La lutte pour faire
passer côté russe de la frontière les entreprises de transformation a commencé de manière
parfois très politisée comme l’annonce par V. Poutine d’une usine Sollers à Vladivostok
(assemblage des pick-up coréens SangYong, de UAZ Patriot et peut-être de poids lourds
japonais Isuzu, Kommersant, 31 mars 2010) dans les anciens chantiers navals de Dalzavod.
(…) Le gouvernement a par ailleurs annoncé l’octroi de subventions au transport par voie
ferrée d’automobiles achetées dans la partie européenne du pays. La Chine assemble
désormais aussi des moissonneuses-batteuses dans l’oblast de l’Amour et un nouveau
chantier naval est en construction à Bolshoï Kamen avec l’aide d’investisseurs sud-coréens
(Daewoo Shipbuilding). Il produira des tankers et des gaziers. Le plan prévoit aussi
l’exploitation et la transformation des dérivés du bois pour contrer le développement dans le
nord de la Chine d’un complexe comptant sur les ressources russes. Plus ambitieux encore, il
s’agit d’attirer une main-d’oeuvre qualifiée depuis les régions occidentales de la Russie en
rétablissant certains avantages salariaux pour les régions extrême-orientales, un système de
crédit immobilier pour les arrivants du Grand Nord ou des ex-républiques (auxquels on
accorderait plus vite la citoyenneté). Les réductions offertes sur les vols vers la partie
européenne de la Russie ont repris depuis 2009 avec succès (…).
Structuré par tranches, le plan prévoit sur la période 2009-2015 des investissements
doubles de la moyenne nationale et une légère baisse du chômage dans un contexte de risques
conjoncturels liés à une économie peu diversifiée avant ; à partir de 2016, des réalisations
importantes dans le domaine de l’énergie grâce à des investissements russes et étrangers et à
un réseau de transport considérablement amélioré. La « karkass » constituée par le
Transsibérien et le BAM doit à terme être complétée dans le sens nord-sud par l’achèvement
du tronçon Berkatit-Tommot-Yakoutsk. La troisième étape de 2021 à 2025 doit consacrer un
Extrême-Orient et une Transbaïkalie capables d’extraire, transformer et livrer les
hydrocarbures, jouant de leur situation géographique avec un système efficace de transport et
d’économie concurrentielle dont profite une population enfin alignée sur les standards du
pays. L’enthousiasme qui naît de ces nombreux projets, motivés par les réserves en
ressources que les Russes aiment à croire infinies, a pu par le passé être cassé par les
complications sur le terrain. La région immense et rude a toujours nargué les chiffres
fantastiques de ses supposées réserves, brandis à l’époque soviétique en mettant en échec la
mise en valeur des ressources naturelles. Le kosmodrom « Vostohyi », dont la construction
doit commencer à partir de 2012 afin de prendre le relais de Baïkonour au Kazakhstan,
cherche par exemple encore les 500 milliards de roubles nécessaire jusqu’en 2020 à sa
construction (…). D’autre part, jusqu’à vingt-neuf programmes fédéraux sont à l’oeuvre en
Extrême-Orient et il est difficile d’en estimer l’efficacité. (…) »
Source : Vycheslav SHVEDOV, Cédric GRAS, Géopolitique de la Russie, Hérodote, 3e
trimestre 2010, n°138, http://www.herodote.org/IMG/pdf/Gras-Shvedov138.pdf
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APPROFONDISSEMENT 3 :
VLADIVOSTOK
Document 6 : Vladivostok, la métamorphose
« Il y a cent cinquante ans, la taïga s’étendait à perte de vue. Il y a un siècle se
bouclait ici le terminus du Transsibérien. Il y a vingt-cinq ans, la ville restait un port militaire
fermé. Et il y a seulement cinq ans, la cité était aux mains de la mafia. Aujourd’hui, la
capitale de l’Extrême-Orient vient d'accueillir le sommet de la Coopération Asie-Pacifique
(APEC). Du bout de son continent, Vladivostok revient de loin…
En l’espace de quelques années, l’arrivée à Vladivostok a bien changé. Fini le temps
où le visiteur empruntait une route cahoteuse pour rejoindre le centre-ville. Aujourd’hui,
l’asphalte flambant neuf déroule son ruban lisse à travers les immeubles délabrés de la
périphérie. Le symbole est fort. Réputée il y a peu dans tout le pays pour ses coupures d’eau
et d’électricité, la capitale de l’Extrême-Orient russe nourrit de nouvelles ambitions. Pour
s’en convaincre, il suffit d’énumérer les nombreux chantiers qui métamorphosent la ville :
deux ponts, un train express, un nouvel aéroport, une université fédérale, une station
d’épuration, une usine de traitement des déchets… La mairie avance un budget de plus de 10
milliards de dollars, une somme en bonne partie financée par la Russie de Vladimir Poutine.
Pourquoi une telle effervescence ? Parce que Vladivostok accueille le sommet de la
Coopération économique de la zone Asie-Pacifique (Apec). La Russie entend en imposer
auprès de ses voisins chinois, japonais ou américains. Fin juin, le gouverneur de la région,
Vladimir Miklouchevski, a même demandé aux habitants de sourire davantage pour donner
une bonne image aux étrangers ! Vladivostok, villégiature balnéaire où il fait bon vivre… La
carte postale prête pourtant à sourire. Entre ses collines, elle déroule son fourbi
architectural, colosses soviétiques, tours vitrées modernes et bâtisses impériales. Sur les rives
de la mer du Japon, non loin de l’unique rue piétonne et de ses boutiques, une promenade est
en construction. Cet été, elle accueille les touristes, en majorité chinois ou japonais, les
gargotes à brochettes et les stands de souvenirs marins. Mais difficile encore de se baigner
dans l’eau sombre, où rouillent une poignée de bateaux militaires d’un autre âge. Car la cité
portuaire revient de loin.
Ville militaire bouclée sous l’URSS, elle s’enlise dans l’anarchie pendant les années
90. L’Etat s’effondre et Vladivostok, située à quelque 9 000 kilomètres de Moscou, est livrée à
elle-même. L’industrie de l’armement qui la faisait vivre est détruite. Le chômage mine la
population. Des petits business se développent : textile, produits manufacturés en provenance
de Chine. On ouvre des casinos pour attirer la clientèle chinoise. La ville devient un haut lieu
de la contrebande de bois, de pêche, de voitures japonaises. Des Honda, des Toyota, des
Nissan achetées au Japon sont revendues du côté russe, sans taxes. Grâce à ce commerce,
certains ont monté des entreprises prospères. Dmitry Tsarev, le directeur général de Shintop,
une entreprise d’import-export de pneus, incarne cette réussite. A 39 ans, ce fils de marin
affiche des allures de self-made-man, en jean et polo, décontracté. Dans son bureau, situé
non loin de « Zeleny Ugol » (le « Coin vert en français), le marché des voitures où sont
parquées des centaines de japonaises, il raconte : « Tout a commencé dans les années 90. On
prenait le bateau, on allait acheter des pneus usagés au Japon. Puis on les revendait dans des
dépôts du côté russe. A l’époque, il y avait une grosse demande. C’est simple, sous l’URSS,
presque personne n’avait de voitures, sauf les taxis. A l’ouverture du pays, on a construit des
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routes et bien sûr les gens ont voulu rouler. C’était l’âge de l’argent facile même si le
business était chaotique, avec pas mal de délinquance. » Beaucoup de familles achètent
quelques voitures par mois et les revendent. Alexei Gorbunov, aujourd’hui la trentaine, faisait
des affaires dans les pièces détachées. « J’ai fait ça pendant huit ans. Deux ou trois fois par
mois, J’allais acheter des pneus usagés au Japon. Les douaniers ne nous demandaient rien ;
puis on revendait au marché noir. Je pouvais gagner jusqu’à 8 000 dollars par voyage. »
Mais dès 2008, le gouvernement russe décide de mettre de l’ordre et impose des taxes.
Les affaires deviennent moins rentables. Ils sont nombreux à rester sur le carreau. A ce moment – fait alors assez rare en Russie – des milliers de Russes descendent dans la rue.
C’est un mouvement spontané, sans leader ni discours politique, juste des gens qui perdent
leur gagne-pain. Quelques années plus tard, comme beaucoup d’autres, Alexei s’est rangé. Il
a monté sa boîte de location de bureaux. Réaliste : « C’était évident que ça ne pouvait pas
durer. » Dmitry, lui, est resté dans le business mais en basculant dans le légal. Sa compagnie
s’est étendue dans le pays. Elle compte à présent 43 magasins, 640 employés et affiche une
croissance annuelle de 50 %. Si certains ont fait fortune, d’autres se sont lancés en politique.
L’ancien maire de Vladivostok, Vladimir Nikolaev – en poste de 2004 à 2008 et surnommé
« Winnie l’ourson » à cause de son physique bedonnant – était un des parrains de la
contrebande. Reconnu coupable de détournements de fonds, il a quitté la Russie et vivrait à
présent à Pattaya, en Thaïlande… Vladivostok la Sulfureuse : au bout du monde, une zone de
non-droit, livrée à la mafia. Stepan Zemtsov, chercheur en géographie économique à Moscou,
rappelle : « A l’ouverture du pays, beaucoup d’investisseurs – Japonais, Chinois, Coréens –
ont voulu monter leur boîte à Vladivostok. A chaque fois, ils étaient rackettés par des bandits
locaux, sans personne ni aucune institution pour les protéger. Ils en ont eu marre et sont
partis. » Dommage. Baignée par la mer du Japon, la ville occupe une place de choix dans le
Pacifique. Dans le port, grâce aux brise-glace, les cargos en transit s’activent toute l’année
et, en arrière-plan, l’Extrême-Orient fait scintiller ses richesses : bois des immenses forêts de
la région, pétrole et gaz à Sakhaline, pierres précieuses. Aujourd’hui, on aimerait construire
les infrastructures pour exploiter le sous-sol. Passer d’un système mafieux à une honorable
économie de service, spécialisée dans la logistique. Dmitry Tsarev, l’homme d’affaires, se
réjouit du sommet de l’Apec et de ses perspectives. « Nous espérons attirer l’attention des
entrepreneurs étrangers. Dans dix ou quinze ans, je suis sûr qu’on en verra les retombées. »
Pour sûr, la criminalité a chuté à Vladivostok. L’époque est révolue où l’on ne s’y
baladait pas de nuit. Désormais, on peut aussi bien y dîner japonais qu’italien, tandis que
bars et clubs raniment les nuits de cette cité portuaire longtemps réputée pour ses marins et
ses cabarets enfumés. Mais cette modernité ne masque pas tout. Et, question corruption, c’est
une autre histoire. Vasily Avchenko travaille pour le très critique quotidien d’opposition
« Novaya Gazeta » et a publié plusieurs livres sur Vladivostok. « Le gouverneur [de la
région] a été remplacé en mars par Dmitri Medvedev, explique-t-il. Depuis, on entend le refrain habituel : “Ils vont faire le ménage”. On parle de décriminalisation. Mais, pour
l’instant, on ne sait pas. Nous sommes dans une des régions les plus corrompues de Russie.
Ici, il faut une “protection” quoi que tu fasses. C’est une tradition économique pour tous les
secteurs, le braconnage, la contrebande de poissons, les coupes illégales de bois… Une seule
personne ne peut pas améliorer le système dans son entier. »
Sur les travaux engagés pour l’Apec, les bruits courent. On se demande comment les
marchés ont été attribués. On évoque le chantier de l’université remporté par le milliardaire
Aras Agalarov, un proche d’Igor Chouvalov, vice-Premier ministre de Poutine. Autre affaire,
sortie sur le site Rospil de l’avocat Alexei Navalny qui lutte contre la corruption : l’appel
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d’offres pour l’informatisation de l’université gagné par un proche de l’ancien recteur
Vladimir Miklouchevski, devenu gouverneur de la région en mars dernier… Pour le
journaliste Vasily Avchenko, « au point de vue politique, rien ne change vraiment. Vladivostok comme Sotchi (qui doit recevoir les Jeux olympiques d’hiver en 2014) sont des
villes arrosées par le budget fédéral et le contrôle de Moscou devient de plus en plus fort. »
Beaucoup redoutent cette mainmise. Alexander Samsonov, qui milite pour la défense des
droits des citoyens, constate : « Lors des dernières élections, la population a moins voté pour
Russie unie, le parti au pouvoir. Question prospérité, tout le monde se demande ce qui nous
attend après l’Apec. »
Les sujets d’inquiétude sont nombreux, et on donne peu de crédit aux promesses du
pouvoir. « Que va devenir la main-d’œuvre immigrée d’Asie centrale quand les travaux
seront terminés ? Comment rejoindre la nouvelle université, construite sur l’île Roussky alors
que certains professeurs, avec un salaire mensuel de 500 euros, ne peuvent même pas se
payer une voiture ? Comment affronter l’hiver sur cette île exposée au vent et au froid ? »
Loin des projets pharaoniques des autorités, les mêmes questions reviennent chez les
habitants, des préoccupations de la vie de tous les jours. Pour les comprendre, il suffit de
s’éloigner du centre-ville, de monter sur une des collines de Vladivostok et rejoindre une des
cités-dortoirs. Ici, la réalité est tout autre : immeubles décrépis, terrains vagues jonchés de
détritus, ascenseurs toujours en panne, chômeurs en errance…
Originaire de Vladivostok, Alexei Koropsky travaille à OTV, la télévision officielle et
la chaîne la plus regardée de la région. Directeur des programmes, ce trentenaire met les
choses au clair : « Notre mission, c’est de transmettre le point de vue officiel. Bien sûr, on ne
critique ni l’Etat ni le gouverneur. Notre mission n’est pas politique. » Ça ne l’empêche pas
de parler, et lui aussi concède : « C’est vrai qu’on ne sait pas grand-chose. Le maire a promis
des transports publics pour rejoindre l’île. Pour l’instant, on n’a encore rien vu […]. En
même temps, je préfère positiver. En dix ans, Vladivostok a été transformée et est devenue
plus moderne. Les salaires ont augmenté même si la hausse des taxes a coûté aux ménages. »
Car derrière les travaux de l’Apec se profile un autre enjeu, bien plus important : le
développement d’une région minée par l’exode. « Autour de moi, beaucoup de jeunes sont
partis : à Moscou, au Canada, en Nouvelle-Zélande, en Thaïlande… C’est à cause de la
situation politique, de l’instabilité, du fait qu’il y a peu de travail qualifié. La question se pose
toujours de l’avenir à offrir ici à ses enfants. » Les chiffres parlent d’eux-mêmes : en 1992, la
ville comptait 648 000 habitants. En 2010, ils n’étaient plus que 578 000. Avec ses
infrastructures, Vladivostok doit maintenant améliorer le quotidien de ses habitants pour
stopper l’hémorragie.
Mais à 9 000 kilomètres de là, le Kremlin veille, décidé à prendre la main dans cette
région stratégique. En janvier 2012, une Compagnie pour le développement de la Sibérie et
de l’Extrême-Orient a été créée. Elle doit encourager l’extraction des ressources avec des
mesures très favorables aux investisseurs. Dans la même veine, un ministère pour le
Développement de l’Extrême-Orient a vu le jour en mai 2012. Un oléoduc et un gazoduc
sillonneront bientôt la région et exporteront pétrole et gaz vers l’Asie notamment. Après des
années de torpeur, sonné par Moscou, le réveil de l’Extrême-Orient semble donc imminent.
Mais en Russie on ne sait jamais de quoi demain sera fait… »
Source : Marie Dumeurger, Paris-Match, 12 septembre 2012,
http://www.parismatch.com/Actu-Match/Monde/Actu/Vladivostok-la-metamorphose428611/
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Document 7 : Vladivostok et les ponts géants
« En prévision du sommet de l’APEC les 8 et 9 septembre 2012, Vladivostok mène
plus de 40 chantiers, dont deux ponts qui enjamberont la baie de la Corne d'Or et le détroit
du Bosphore Vostochny. Ainsi le plus grand d’entre eux, le pont de l’île Russky à Vladivostok
sera inauguré début juillet 2012. Le plus long pont à haubans du monde reliera au continent
la petite île sibérienne de Russky, où se déroulera le sommet. Après le sommet, l'île
accueillera l'Université fédérale d'Extrême-Orient.
Après la construction, en 1994, du pont de Normandie d'une portée de 856 mètres,
Freyssinet regagnera ainsi un nouveau record. Freyssinet a également réalisé la pose des
haubans du pont de la Corne d’Or, toujours à Vladivostok. Ce dernier, d’une portée de 737
mètres, figurera ainsi parmi les 10 plus grandes travées au monde.
Conçu par la société russe Mostovik et construit par l’entreprise générale russe USK
Most, qui en a sous-traité la réalisation à sa filiale SK Most et à Mostovik, le pont de l’île
Russky aura une longueur totale de 1 872 mètres avec la plus longue portée haubanée au
monde soit 1 104 mètres. Il est composé d’une travée centrale en caisson métallique
orthotrope de 28 mètres de large, de deux pylônes en A de 320 mètres de hauteur, de 168
haubans à torons parallèles et d’amortisseurs disposés sur chacun de ces haubans.
Pour cet ouvrage, Freyssinet a réalisé les études, la fabrication et la pose des haubans
sans oublier bien sûr, la mise en en place des amortisseurs. En outre, Freyssinet a réalisé
pour le compte du ministère de la Construction russe une mission d’expertise visant à valider
les solutions retenues pour la conception de l’ouvrage. »
Source : Dossier de presse Vinci-Freyssinet
http://www.vinci.com/commun/dossiers_presse.nsf/7F724DE8615333E4C1257A320045E
D61/$File/DP_Ponts_a_haubans_Extreme-Orient_fr.pdf
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