PROJET DE CODE DE BONNES PRATIQUES POUR LA
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PROJET DE CODE DE BONNES PRATIQUES POUR LA
PROJET DE CODE DE BONNES PRATIQUES POUR LA PREVENTION DE LA VIOLENCE ET DES ABUS A L’EGARD DES PERSONNES AUTISTES Décembre 1998 1 L’initiative européenne DAPHNE, adoptée en 1997, a pour objectif d’appuyer les activités des organisations non gouvernementales (ONG) qui visent à lutter contre la violence exercée contre les enfants, les adolescents et les femmes. Nous accueillons avec intérêt la proposition de la Commission européenne de mettre en œuvre un programme d’action de quatre à cinq ans pour assurer le suivi de la première initiative. Un tel programme est en effet indispensable pour répondre aux besoins cruciaux identifiés lors de la première phase et pour promouvoir une meilleure coordination des actions de prévention à l’échelle européenne. (Septembre 1998) 2 Remerciements Au nom d’Autisme-Europe et de toutes les personnes autistes et de leurs familles, j’aimerais remercier ici tout particulièrement Yvette Dijkxhoorn de l’Université de Leiden (NL), André Foubert, directeur d’une Maison d’Accueil Spécialisée (F), Dr Paula Freitas, pédopsychiatre de l’APPDA de Porto (P), Bill Meldrum de la Scottish Society for Autistic Children (GB), Dr Donata Vivanti, Présidente d’ANGSA Lombardia (I) et Dr Christopher Williams de l’Université de Londres (GB) qui ont accepté de rédiger bénévolement ce Code de Bonnes Pratiques et de nous faire ainsi profiter de leur expérience. La tâche qui leur a été confiée était à la mesure des attentes exprimées par de très nombreux parents : ardue et délicate. Malgré des délais très courts, le groupe d’experts a mené à bien sa mission avec le soutien d’Anne-Sophie Parent, Directeur Administratif d’Autisme-Europe et coordonatrice du projet. Je tiens à les remercier de tout cœur pour leur enthousiasme et leur soutien à notre projet de Code de Bonnes Pratiques. Je tiens également à remercier les intervenants au séminaire organisé en septembre 1998 qui, par leur présentation, ont apporté une dimension plus vaste à notre projet de Code, notamment le Dr Joaquim Fuentes, psychiatre pour enfants et adolescents de l’hôpital de San Sebastian (E), le Professeur Ernesto Caffo, Président de l’association italienne de lutte contre la violence à l’égard des enfants Telefono Azuro, Dr Theo Peeters, Directeur du Opleiding Centrum Autisme à Anvers (B), Dr Rita Jordan, de l’Université de Birmingham (GB), ainsi que le consortium qui travaille au projet sur les procédures inacceptables : Pat Matthews, Vice-President Autisme-Europe et Directeur de l’Irish Society for Autism (IR), Isabel Cottinelli-Telmo, Vice-Présidente d’Autisme-Europe et Présidente de l’Associacio Portuguesa para Protecao aos Deficientes Autistas (P), Dr Paul Shattock, Secrétaire honoraire Autisme-Europe, Université de Sunderland (GB) et Gloria Laxer, spécialiste en Sciences de l’Education et Communication (F). Un tout grand merci aussi à Gunilla Gerland, personne autiste se représentant elle-même, qui a accepté de partager avec nous son point de vue sur les dangers de la psychanalyse. Merci également à tous les participants au séminaire dont les commentaires et contributions vont grandement aider à faire avancer ce projet de Code. J’aimerais aussi remercier ici Phil Scott pour le merveilleux travail de traduction qu’il a fait pour certains passages de ce document. J’aimerais aussi remercier tout particulièrement les nombreuses personnes et associations qui nous ont envoyé des témoignages et des documents très utiles à notre travail et sans qui ce projet n’aurait pas vu le jour. C’est pour eux et leurs enfants que nous nous sommes lancés dans cette tâche délicate et pour répondre à la demande pressante de très nombreux parents qui veulent que les mauvaises pratiques cessent et que les bases nécessaires soient définies pour garantir à toutes les personnes autistes un avenir digne. Nous sommes tout à fait conscients que ce Code de Bonnes Pratiques n’est qu’une étape vers une meilleure reconnaissance des droits des personnes autistes. Ce document n’a pas la prétention d’établir une fois pour toutes des grands principes immuables, mais j’espère qu’il servira à jeter les premières bases d’une coopération européenne qui aura pour objectif d’améliorer la vie des personnes particulièrement vulnérables que sont les personnes autistes et de leur éviter des souffrances inutiles. Ce Code de Bonnes Pratiques s’inscrit à la suite de la Charte des e Droits des Personnes autistes présentée en mai 1992 lors du 4 Congrès d’Autisme-Europe et de la Déclaration écrite du Parlement européen adoptée le 9 mai 1996. Chaque étape de notre action nous mène un peu plus loin vers un meilleur respect des droits des personnes autistes. Enfin, j’aimerais remercier le Parlement européen et M. Monfils en particulier pour l’intérêt qu’ils portent à l’une préoccupation majeure de nombreux citoyens européens, c.-à-d. la violence à l’égard des personnes vulnérables. Un grand merci aussi à l’initiative DAPHNE de la Commission européenne pour son soutien à notre projet et tout particulièrement M. Anthony Simpson et son équipe de la « Task Force Cooperation on Justice and Home Affairs » pour leur aide précieuse et leurs conseils amicaux. Gilbert Huyberechts Président Autisme-Europe 3 TABLE DES MATIERES INTRODUCTION .................................................................................................................................. 5 CHAPITRE 1: APERCU GENERAL Christopher Williams.............................................................................................................................. 7 CHAPITRE 2 : PARTICULARITES DE L’AUTISME Yvette Dijkxhoorn.................................................................................................................................. 17 CHAPITRE 3 : FACTEURS DE RISQUE DE MALTRAITANCE DANS LE MILIEU FAMILIAL Dr Donata Vivanti CHAPITRE 4: IL EST BIEN TEMPS ! L’AUTISME ET LA PSYCHANALYSE Gunilla Gerland CHAPITRE 5 : FACTEURS DE RISQUE INHERENTS AU PERSONNEL ET AUX STRUCTURES DES INSTITUTIONS André Foubert ...................................................................................................................................... 36 CHAPITRE 6 : PREVENTION DE LA VIOLENCE / INTERVENTION SUR LA PERSONNE ATTEINTE D’AUTISME Dr Paula Pinto de Freitas .................................................................................................................... 48 CHAPITRE 7 : PREVENTION DE LA MALTRAITANCE EN FAMILLE Dr Donata Vivanti ................................................................................................................................ 56 CHAPITRE 8 : PREVENTION AU SEIN DES SERVICES ET ETABLISSEMENTS Bill Meldrum......................................................................................................................................... 63 CHAPITRE 9 : L’IMPORTANCE DE LA FORMATION DANS LA PREVENTION DE LA VIOLENCE ET DES ABUS ENVERS LES PERSONNES AUTISTES Theo Peeters & Rita Jordan................................................................................................................. 69 CHAPITRE 10 : UN CODE DEONTOLOGIQUE POUR UNE UTILISATION ADEQUATE DES MEDICAMENTS ADMINISTRES AUX PERSONNES AUTISTES Paul Shattock........................................................................................................................................ 89 CHAPITRE 11 : DIMENSION EUROPÉENNE Dr Christopher Williams ...................................................................................................................... 97 CHAPITRE 12 : LES POSSIBILITES DE CHANGEMENT - ETUDE DU CAS DE LA GRANDEBRETAGNE Dr Christopher Williams .................................................................................................................... 108 CHAPITRE 13 : CONCLUSIONS ET RECOMMENDATIONS 4 INTRODUCTION Depuis quelques années, les préjudices subis par les personnes handicapées suscitent une inquiétude accrue. 1 Le style de vie engendre fréquemment des vulnérabilités particulières et dans certains cas, les difficultés intellectuelles ne facilitent pas la révélation au grand jour et la présentation de preuves formelles. Mais ces souffrances restent habituellement ‘imperceptibles’ aux yeux du grand public, des décideurs et des politiciens. 2 La documentation actuellement disponible revêt un caractère national car le droit constitue un élément central et la majeure partie de la législation applicable relève du niveau national. 1 Jusqu’à présent la perspective européenne a fait défaut. En outre, la plupart des recherches englobent toutes les personnes handicapées mentales en un même groupe et la spécificité éventuelle des personnes autistes n’a pas encore été prise en considération. C’est donc pour remédier à ces lacunes qu’Autisme-Europe a décidé d’entreprendre ce travail avec le soutien de l’initiative européenne DAPHNE. Ce projet de Code a été rédigé dans le cadre des principes directeurs de la Charte des Droits d’Autisme-Europe par une équipe internationale d’experts composée de : Yvette Dijkxhoorn de l’Université de Leiden (NL), André Foubert, directeur d’une Maison d’Accueil Spécialisée (F), Dr Paula Freitas, pédopsychiatre de l’APPDA de Porto (P), Bill Meldrum de la Scottish Society for Autistic Children (GB), Dr Donata Vivanti, Présidente d’ANGSA Lombardia (I) et le Dr Christopher Williams de l’Université de Londres (GB). Une personne autiste se représentant elle-même, Gunilla Gerland, a contribué son point de vue sur la psychanalyse et ses dangers pour les personnes autistes. Des experts indépendants ont également participé au travail : Dr Rita Jordan, University of Birmingham (GB), Dr Theo Peeters, Opleiding Centrum Autisme (B) et Paul Shattock, University of Sunderland (GB). Le projet a été coordonné par Anne-Sophie Parent, Directeur Administratif d’Autisme-Europe. 11 Sobsey, D. (1994) Violence and abuse in the lives of people with disabilities - the end of silent acceptance, Paul H. Brookes Publishing: Baltimore. 2 Williams, C. (1995) Invisible victims: crime and abuse against people with learning disabilities, Jessica Kingsley: London. 5 L’objectif de ce Code est d’établir les bases pour une action coordonnée visant à prévenir la violence et les abus à l’égard des personnes autistes. Le Chapitre Un ébauche le problème en termes généraux. Les chapitres suivants identifient les facteurs de risque spécifiques à l’autisme, des mesures de prévention et des recommandations en terme de bonnes pratiques. Finalement, les chapitres de conclusion donnent un aperçu des domaines où une approche d’envergure européenne serait susceptible d’ajouter une nouvelle dimension et analysent un exemple de proposition de loi tenant compte des besoins spécifiques des personnes vulnérables. Le Code conclut en résumant les mesures de prévention destinées à divers groupes : personnes autistes, parents et personnel, associations de parents, institutions, législateurs nationaux et institutions européennes. 1 For example: Brown,H. Stein, J. & Turk, V. (1995) ‘Report of a second two-year incidence survey on the reported sexual abuse of adults with learning disabilities: 1991-1992,’ Mental Handicap Research, 8, 1. 6 CHAPITRE 1: APERCU GENERAL Christopher Williams Institut de Pédagogie, Université de Londres (GB) 1 PREJUDICES ET SOUFFRANCES - UNE PERSPECTIVE EUROPEENNE Envisager, sous l’angle européen, un problème généralement étudié en termes de législation nationale n’est pas aisé. Des actes qualifiés d’illégaux dans un pays peuvent s’avérer licites dans un autre. Des termes tels que ‘violence’ sont largement compris, mais omettent des formes significatives de préjudices imputables à la négligence. Le terme ‘abus’ est fréquemment usité, mais son utilisation peut dénaturer la perception d’actes graves qui devraient être qualifiés d’illégaux. Qualifier un viol ‘d’abus sexuel’, une agression ‘d’abus physique’ ou un vol ‘d’abus financier’ édulcore la perception de la souffrance et dissimule le fait que ces agissements enfreignent la loi. Lorsqu’un acte dommageable perpétré contre une personne handicapée s’avère illégal, il est vital de le dénommer clairement, à l’instar de ce qui se ferait si ce préjudice frappait n’importe qui d’autre. Pour simplifier, l’objet de cet article est de traiter des circonstances dans lesquelles des individus subissent un préjudice en raison des actes ou omissions d’autrui. Des actes spécifiques ou des omissions peuvent s’avérer illégaux ou non selon les différents pays, mais dans le cadre de cette définition, il est possible d’identifier des catégories de préjudices et de souffrances qui sont généralement d’application à travers toute l’Europe. 1.1 Infraction. Une infraction peut résulter d’un acte (ex. une personne en frappe une autre) ou, moins fréquemment, d’une omission, à savoir le non-respect d’une obligation qui débouche sur un préjudice (ex. un directeur d’une usine qui ne s’assure pas de la sécurité des machines). Les infractions peuvent être le fruit d’un acte délibéré ou d’une omission (ex. un coup de poing), voire parfois d’un comportement téméraire (ex. conduire un véhicule de manière imprudente). Techniquement, l’infraction est commise contre l’Etat et non contre la victime. Par conséquent, la justice entamera des poursuites sans se référer aux souhaits de la victime. S’il est déclaré coupable, l’auteur de l’infraction est puni par le tribunal au nom de l’Etat : il est rare qu’un dédommagement soit octroyé à la victime. Exemples des infractions dont sont victimes les personnes présentant des troubles du développement: Homicide, meurtre, décès suite au non-respect de l’obligation de prudence. Enlèvement – être emmené, sans son consentement, de force ou sous la menace, sans la moindre excuse légitime d’agir de la sorte. 7 Agression – techniquement toute forme d’attouchement non désiré constitue une agression ; de même, certains actes qui n’impliquent aucun contact, comme par exemple des coups de téléphone menaçants, peuvent également être assimilés à une agression. Empoisonnement – la souffrance ou le décès causé par une substance nocive, y compris des médicaments administrés sans consentement. Abus sexuels - être victime d’attouchements sexuels sans consentement. Menaces verbales susceptibles d’engendrer la crainte de violences. Séquestration – être maintenu à un endroit de force ou sous la menace, excepté si un motif légal le justifie ou en cas d’urgence afin d’éviter de porter préjudice à un individu ou à autrui. Atteinte à la propriété – ravir illégalement des biens avec l’intention d’en priver définitivement le propriétaire - vol, cambriolage. Escroquerie – emporter de l’argent ou des biens sans que le propriétaire le comprenne parfaitement et sans son accord quant à l’affectation - ‘abus de confiance’, fraude. Dommage – destruction et dégradation de biens personnels. Incitation – être amené ou incité à faire quelque chose de mal, comme par exemple briser la vitrine d’un magasin. (NB: De légères différences se présenteront selon les pays.) 1.2 Infractions d’ordre civil. Certaines infractions relèvent du civil et non du pénal (ex. la diffamation); d’autres relèvent tant du civil que du pénal (ex. l’agression). Techniquement les infractions d’ordre civil sont perpétrées contre des individus qui ont subi un préjudice personnel, et non contre l’Etat. Ainsi, l’Etat n’entamera pas une procédure au nom de la victime et, généralement, le tribunal ne punit pas l’auteur de l’infraction. Une procédure civile peut généralement être intentée lorsque la victime a subi une forme de préjudice en raison des agissements ou de l’omission d’une autre personne ou d’une organisation et que la victime cherche à obtenir le paiement d’un dédommagement en guise de réparation. Le préjudice peut être de nature financière, avoir trait à la santé (physique ou mentale), voire entraîner des conséquences futures (ex. aptitude à obtenir un emploi). Le préjudice s’avère parfois être uniquement symbolique et un dédommagement symbolique est accordé ; cette procédure reconnaît le caractère injustifié, mais mineur de l’acte en question. Le niveau de preuve requis pour gagner une procédure civile est généralement moindre par comparaison à une procédure pénale de sorte que les tribunaux civils sont fréquemment saisis lorsqu’une affaire est ardue à prouver ou si le procès intenté au pénal s’est soldé par un échec. Les procédures civiles peuvent avoir trait à un acte ou, plus fréquemment, à une omission, particulièrement en matière de non-respect de l’obligation de prudence. Exemples des infractions d’ordre civil subies par les personnes présentant des troubles du développement: Non-respect de l’obligation de soin, un membre du personnel d’une institution ne fournit pas de médicaments ou de denrées alimentaires par exemple. Erreurs évitables qui induisent préjudices et souffrances. Erreurs administratives. Ex. : non-paiement d’une allocation de l’Etat à laquelle un individu a droit. Diffamation – y compris des accusations non fondées selon lesquelles une personne a commis une infraction, par exemple dans le cas d’un membre du personnel qui affirme 8 fallacieusement que “Jean a frappé Marie”. Un journal britannique a été poursuivi avec succès pour avoir traité de ‘pire gosse d’Angleterre’ un enfant de 6 ans qui présentait des problèmes comportementaux des suites d’une méningite. 1.3 Mauvaises pratiques. La plupart des souffrances endurées par les personnes présentant des troubles du développement ne relèvent ni de l’infraction pénale, ni de l’infraction civile, mais n’en restent pas moins absolument inacceptables. De nombreux établissements et la plupart des professions disposent de codes déontologiques formels qui définissent des normes (ex. Le code déontologique de la British Psychological Society 1 ). Si un acte ou une omission enfreint un code (national ou international), ou ne concorde pas avec les normes de comportement professionnel que l’on est raisonnablement en droit d’attendre d’un professionnel formé (qui constituerait un modèle typique), il existe généralement des procédures susceptibles de déboucher sur une action disciplinaire, sanctionnée par le licenciement, des amendes légères ou la résiliation comme membre d’une association professionnelle. Certaines formes de mauvaises pratiques n’enfreignent pas les codes déontologiques, mais sont contraires aux déclarations des droits de l’homme 2 ou aux normes de comportement admises, comme par exemple l’expérimentation clinique pratiquée sur un patient sans son consentement. Exemples de mauvaises pratiques endurées par les personnes présentant des troubles du développement: Non respect de la dignité humaine. Ex. : laisser une personne sortir faire des courses vêtue d’un pyjama, attacher la personne à son lit (en particulier des enfants), laisser une personne nue toute la journée pour éviter d’avoir à la changer. Non-évaluation des besoins, éducatifs ou médicaux, par exemple. Défaut d’assurer les examens et traitements médicaux adéquats - dentiste, opticien, hygiène féminine. Abus pharmacologique – utilisation incorrecte ou non appropriée de médicaments. Défaut de prise en charge par l’Etat qui conduit à l’abandon d’enfants handicapés car les parents ne peuvent faire face. Expérimentation – recherche clinique, psychologique ou pédagogique menée sans consentement. En 1994, des révélations ont indiqué que dans des institutions américaines, des personnes présentant une déficience intellectuelle avaient été utilisées pour des recherches sur les effets des radiations qui comprenaient des injections de plutonium. Non-identification et non-diagnostic de l’autisme et autres déficiences qui conduit à une prise en charge inadéquate, voire même dans certains cas, à la détention abusive de personnes dont le comportement “antisocial” est mal interprété. 1.4 Harcèlement. Les personnes handicapées mentales subissent couramment le comportement non approprié et déplaisant de leurs pairs et autres non-professionnels. Cet état de fait est source de tourment et d’affliction. Ces agissements ne relèvent pas des ‘mauvaises pratiques’ car, en l’espèce, ils ne sont pas couverts par des codes déontologiques. 1 BPS (1985) Code of Conduct for psychologists, British Psychological Society: London. Gunn, M.J. (1986) ‘Human rights and people with mental handicaps’ Mental Handicap, 14, September, pp116-120 2 9 D’ordinaire, le harcèlement n’est pas contraire à la loi, mais s’avère clairement dérangeant, en particulier s’il se produit de manière récurrente et inéluctable. (Néanmoins, si le harcèlement inclut une menace de violence, il est vraisemblablement illégal.) Dans certains pays, des groupes extrémistes harcèlent les personnes handicapées comme ils le font avec des personnes issues de groupes ethniques minoritaires ; parfois, ils se fondent sur des convictions néo-fascistes. Le harcèlement sur base de l’appartenance raciale est illégal dans de nombreux pays, mais ce n’est pas le cas pour le harcèlement fondé sur le handicap. Le principe directeur de riposte au harcèlement est la réciprocité - “comportez-vous envers autrui comme vous souhaiteriez qu’il se comporte envers vous”. Exemples de harcèlements subis par les personnes présentant des troubles du développement: Injures - “stupide”, “imbécile” “crétin”, “débile”, “idiot”. Taquineries – remarques déplaisantes au sujet de l’aspect physique ou des habitudes personnelles. Commentaires raciaux – remarques déplaisantes inhérentes à l’appartenance raciale ou ethnique d’une personne. Commentaires à caractère sexuel – commentaires déplaisants ou non désirés sur le sexe d’une personne. Aliénation – être contraint de quitter le groupe principal. Harcèlement sur le lieu de travail, qui a souvent pour conséquence le départ de la personne concernée ou la perte de son emploi. 1.5 Abus de pouvoir En connaissance de cause ou non, des organisations et services sociaux font fréquemment subir des préjudices et des souffrances aux personnes handicapées en raison du déséquilibre des relations de pouvoir. Ce phénomène n’est généralement pas reconnu car les victimes sont rarement capables de réagir en protestant publiquement. La souffrance peut découler du harcèlement, de la mauvaise gestion ou des systèmes administratifs qui sont conçus pour répondre aux besoins de la majorité de la population, mais ne tiennent pas compte des spécificités des personnes handicapées. Exemples d’abus de pouvoir endurés par les personnes présentant des troubles du comportement: Internement dans des institutions fermées - hôpitaux, établissements scolaires, “homes”, prisons alors que des dispositions de prise en charge au sein de la communauté s’avéreraient plus appropriées. (Cette situation survient fréquemment car les professionnels désirent préserver leurs “empires” édifiés dans le sillage de l’institution.) Pratiques inhumaines et dégradantes dans les institutions, notamment faire porter, durant la journée, des pyjamas à des personnes qui ne séjournent pas pour raison clinique, les punitions pour les infractions aux règles de l’institution, à savoir être privé de repas ou de télévision, être envoyé au lit, l’interdiction de visite des proches, etc. 10 Comportement inopportun de la police – les personnes handicapées mentales sont fréquemment détenues de façon inopportune, simplement en raison d’une plainte émanant d’un membre du public. Harcèlement par l’administration publique, à titre d’exemple, les personnes qui ne disposent pas d’un téléviseur (peut-être parce qu’elles sont aveugles), sont invitées, par les services de délivrance des licences, comme par exemple la BBC, à signer des déclarations stipulant qu’elles n’ont pas de téléviseur ; mauvaise administration par les fonctionnaires de la sécurité sociale qui débouche sur le sous-paiement des allocations. Abus au sein de la justice, par exemple, les formes d’interrogatoire au tribunal ou le classement d’une affaire : des pratiques qui ne seraient pas tolérées si le témoin n’était pas handicapé. Manipulation – certaines personnes présentant des troubles du développement peuvent aisément être persuadées de faire ou dire des choses qu’elles ne comprennent pas, ce qui est susceptible de leur causer à elles ou à autrui des préjudices. A titre d’exemple, un thérapeute peut inviter une jeune femme à dire qu’elle a été sexuellement agressée par un beau-parent. Dans certaines circonstances, un tribunal peut reconnaître que la manipulation constitue une incitation, mais en règle générale, la manipulation n’est pas couverte par la loi car la loi est rarement conçue pour répondre à la situation unique des personnes mentalement vulnérables. 11 Un film relate l’existence des ‘malchanceux’ Kamal Ahmed Le programme Innocents Lost présente un catalogue de plaintes au sujet des institutions établies par les autorités grecques dans les années 60 afin de prendre en charge des enfants exclus de leurs familles en raison d’un hypothétique handicap mental ou physique. Utilisant une camérra cachée, Brain Woods et Kate Blewett montrent des enfants et des adultes qui ont passé leur vie attachés à leur lit et étaient alimentés de force avec du lait et du pain. Les enfants jugés inguérissables sont envoyés dans des institutions car de nombreuses familles grecques craignent que le fait d’avoir un enfant handicapé ne soit une source de malchance pour elles. Ces institutions dénommées Kepeps sont connues localement comme les instituts pour les malchanceux. Souvent, les enfants ne reçoivent aucun soin spécialisé durant le restant de leur vie. Dans un institut à Sarrai, ils ont trouvé des enfants cloîtrés dans de grand lits fermés par des barreaux. Un enfant âgé de 10 ans portait un lange, les autres étaient nus. Une jeune femme prénommée Anastastia, a vécu dans le même lit durant 15 ans et ce depuis l’âge de 10 ans. Bien qu’elle puisse communiquer, le personnel a toujours ignoré ses implorations pour obtenir une chaise roulante. Un autre patient, Stelios, a été attaché à un lit dans l’unité pour enfants durant pratiquement ses 35 années d’existence. Aucun spécialiste ne l’a vu depuis son admission alors qu’il était enfant. La Grèce, signataire de la Convention des Nations Unies sur les Droits de l’Enfant, a très largement bénéficié de l’aide européenne, mais la requête des institutions pour obtenir des kinésithérapeutes a été rejetée. (The Guardian, 4 décembre, 1997 p.14.) 12 1.6 Autres formes de préjudices Outre ces catégories, deux autres formes significatives de souffrances doivent être reconnues, bien que ce chapitre n’ait pas pour objectif d’aborder les stratégies spécifiques en matière de prévention et de réparation. Les causes du handicap découlent souvent d’actes illégaux ou inopportuns, voire encore d’omissions. Les agressions ou un piètre suivi médical lors de la grossesse peuvent engendrer des déficiences chez l’enfant à naître. Au civil, dans certains pays européens, les réparations liées à des négligences médicales peuvent aboutir à l’octroi d’indemnités substantielles, mais pas dans d’autres. Un traumatisme crânien acquis résulte souvent de soins inadéquats prodigués à l’enfant (chute sur la tête). L’environnement cause de plus en plus fréquemment des déficiences intellectuelles (par exemple, pollutions liées au plomb, au mercure, aux PCB, aux radiations). Il est rare que l’on obtienne réparation car les lois sur l’environnement ne protègent pas les êtres humains. De plus, dans la plupart des pays européens, il est difficile de déterminer si les enfants à naître, qui sont généralement les plus vulnérables aux influences environnementales, jouissent ou non du statut légal de victime. La Violence politique (guerre, conflit civil, terrorisme) est également une cause significative de handicap et de souffrances accrues pour les personnes handicapées. Il est notoire que le traumatisme et l’absence de soins de santé endurés par les femmes enceintes dans les zones de conflit des Balkans ont accru le nombre de naissances de bébés handicapés. Depuis la fin de la Guerre Froide, les conditions inhumaines en vigueur dans les orphelinats d’Etat des pays d’Europe centrale et de l’Est ont été étalées au grand jour. Lors des conflits dans les Balkans, les personnes internées dans des institutions ont souffert davantage que d’autres car l’instinct de survie du ‘chacun pour soi’ en cas de conflit place le plus faible de la communauté en position de vulnérabilité exceptionnelle. 13 Des enfants cherchent refuge pour fuir une ville qui a sombré dans la folie Alfonso Rojo à Sarajevo Chaque soir, ils réclamaient leurs parents. Lorsque les obus ont commencé à tomber, plus de 40 enfants se sont pressés autour de Vasilija Veljkovic dans un abri situé en plein cœur de Sarajevo. Les enfants n’ont pas quitté leur refuge souterrain durant 25 jours. Avant le début des combats, ils vivaient dans un centre éducatif pour enfants présentant un retard mental. “Lorsque les combats ont commencé, nous avons téléphoné aux parents et leur avons demandé de venir récupérer leur enfant.” “Certains des parents se sont présentés, quarante-quatre enfants sont restés”. “Nous avons réuni tous les enfants dans la cave. Toutes les cinq secondes, il y avait des tirs de mortier et tout tremblait...” “Il ne restait rien du centre. J’ai assisté à de nombreux spectacles douloureux dans ma vie, mais le plus triste fut sans aucun doute le regard de désolation affiché sur les visages des 44 enfants lorsqu’ils ont découvert que leur maison avait été rasée.” Actuellement, les enfants résident dans un abri nucléaire construit à l’époque du Maréchal Tito. Il comporte deux grandes pièces aux murs de béton nus et trois petites salles de bain ruisselantes d’humidité. Le seul mobilier se compose de quelques étagères métalliques. Stipo, est un grand gaillard qui semble être âgé de 13 ans et qui doit fermer les yeux et entortiller sa langue pour prononcer quelques mots. “Pourquoi êtes-vous ici?” “Parce qu’ils nous tirent dessus.” répondit-il. Je demandai s’il savait pourquoi ils tiraient. Stipo nous a regardés avec ses grands yeux bleus et a déclaré très sérieusement: “Il n’y a pas de raison. Ils sont devenus fous.” (The Guardian, 5 juin, 1992, p1) 14 1.7 Un aspect unique - la “réaction en chaîne” Les corrélations entre les types de préjudices subis dépendent fréquemment des spécificités propres aux personnes handicapées. Pour appréhender le problème dans son ensemble, il s’avère crucial de percer à jour ces connexions et l’accumulation de l’effet de “réaction en chaîne” (à savoir comment une forme de préjudice en engendre une autre, puis une autre, etc.) Le point de départ de cet effet de réaction en chaîne réside souvent dans le non-diagnostic de l’autisme et des autres troubles du développement. Cette carence est susceptible d’induire une prise en charge inadéquate et, éventuellement, un comportement asocial chez l’individu. En guise de résultat, l’individu en question peut être condamné pour une infraction pénale et être incarcéré. En prison, il est susceptible d’endurer de graves persécutions et intimidations qui susciteront ou amplifieront son agressivité. A sa libération, cet individu pourra éventuellement récidiver et le cercle vicieux recommencera à nouveau. L’injustice alimente l’agressivité chez tous les êtres humains. Un thérapeute britannique qui travaille avec des victimes handicapées mentales conclut “La justice constitue la meilleure forme de thérapie.” Si une personne présentant un trouble du développement est constamment victimisée sans jamais obtenir réparation, il en découlera éventuellement un comportement agressif envers autrui susceptible d’être sanctionné, voire d’aboutir à l’incarcération ou à l’internement dans un hôpital, mesures qui exacerberont le sentiment de victimisation. Cette situation peut survenir, même si la victimisation initiale se situe à un moindre niveau. Un jeune homme qui avait cassé la vitrine d’un magasin a imputé son geste aux taquineries des enfants dont il était victime. Il a déclaré “Je ne pouvais pas me venger en frappant les enfants, n’est-ce pas ? Alors, à la place, j’ai brisé la vitrine du magasin.” Lorsque les familles expérimentent la victimisation d’un proche handicapé et qu’il s’avère ardu d’obtenir justice, elles volent souvent en éclat. La longue bataille menée pour convaincre les professionnels, la police, le ministère public et les tribunaux que de graves atteintes aux droits ont été commises engendre souvent des dissensions et des disputes généralement entre ceux qui désirent se battre et ceux qui ne le souhaitent pas. VOICE, une organisation britannique de parents pour les victimes handicapées mentales a déclaré que dans presque toutes les familles qu’elle accompagnait, cette expérience se soldait par une séparation ou par un divorce. Dans un registre nettement plus grave, il est apparu que des parents ont tué leur enfant handicapé car le soutien inadéquat prodigué par les services publics avait engendré une situation désespérée apparemment sans issue. Cet accompagnement inadapté peut se traduire par la non-prévention de la victimisation par ses pairs d’un enfant handicapé. Au RU, des parents se sont suicidés après avoir mis fin aux jours de leur fille en reliant le pot d’échappement à un tuyau relié à l’intérieur. Cette issue fatale mettait un terme à vingt années de plaintes au sujet des services dont ils bénéficiaient. Les parents ont laissé une note qui déclarait : “Nous avons tenu aussi longtemps que nous pouvions, mais les médecins et les assistants sociaux...s’en fichaient complètement ... et finalement nous avons renoncé.” Lors de l’enquête, de nombreux exemples de mauvaises pratiques ont été étalés au grand jour. La mère avait confié à un psychiatre qu’elle mettrait fin aux jours de sa fille, mais il n’a pris aucune disposition. Les parents s’étaient également plaints auprès des services sociaux d’une agression dont leur fille avait été victime. La jeune fille présentait notamment une ecchymose de 10 centimètres de diamètre. Le personnel soignant a déclaré qu’elle se l’était infligée elle-même alors que l’hématome en question était situé sur la partie supérieure de son bras et était manifestement le résultat d’une morsure. L’assistant social qui supervisait l’enquête dans le cadre de cette affaire a déclaré publiquement : “Je sais que ce type de chose est inacceptable pour les personnes handicapées, mais cela se produit tout le temps.” 15 Une des principales tâches des professionnels est de détecter et de prévenir l’accumulation ainsi que l’aggravation des effets de réaction en chaîne suscités par les préjudices ou les souffrances. 16 CHAPITRE 2 : PARTICULARITES DE L’AUTISME Yvette Dijkxhoorn Université de Leiden (NL) 2. INTRODUCTION Les troubles du spectre autistique sont des troubles du développement d’origine neurobiologique dont la cause spécifique est encore inconnue. Ces troubles se manifestent dès la plus tendre enfance et sont incurables. Le trouble autistique est relativement rare, son taux de prévalence est de 4 sur 10.000 naissances. Le taux de prévalence pour le groupe dans sa totalité, officiellement dénommé Troubles pervasifs du développement, est néanmoins estimé 6 à 7 fois supérieur . Ces données signifient que parmi la population de la Communauté européenne estimée à 375.000.000, environ 1.000.000 de personnes présentent un trouble pervasif du développement. La prévalence chez les garçons est 4 fois supérieure à celle enregistrée chez les filles. Les troubles affectent tous les niveaux d’intelligence. Cependant, 7580%, se situent à un niveau intellectuel et d’adaptabilité significativement inférieur. D’autres problèmes connexes comprennent, par exemple, l’épilepsie présente chez plus de 30% des personnes atteintes d’un trouble pervasif du développement (Berckelaer-Onnes & Engeland, 1986). Les descriptions des syndromes portent sur les niveaux biologiques (le cerveau), psychologique (l’esprit) et comportemental. Un consensus général prévaut quant aux symptômes comportementaux sur lesquels la classification du syndrome repose. Les descriptions comportementales des deux principaux systèmes de classification, la Classification Internationale des Maladies (OMS, 1977, 1992) et le Manuel Diagnostique et Statistique des Troubles Mentaux (APA, 1980, 1987, 1994), se révèlent pratiquement identiques. Elles sont approximativement fondées sur la 'triade de déficiences’ formulée par Lorna Wing (1993). Les théories sur les niveaux biologique et psychologique relèvent encore de l’hypothétique. En revanche, les résultats des recherches sur les liens génétiques sont sur le point d’être confirmés. Dans le chapitre suivant, nous proposerons une description des syndromes et examinerons les implications qu’ils engendrent pour une personne tout au long de son existence. 2.1 Vision historique de l’autisme Les premières descriptions sont attribuées à Leo Kanner (1943) ; elles avaient trait à onze enfants qui présentaient une maladie qui 'diffère de manière flagrante et exceptionnelle de tout ce qui a été signalé jusqu’à présent; chaque cas mérite, et bénéficiera, je l’espère, d’un examen détaillé de ses spécificités pour le moins fascinantes' (p. 217). Il pensait que le repli social constituait la principale caractéristique, d’où son choix du terme 'autisme' (tiré du terme grec autos =soi). En Europe, Asperger (1944), publia un article similaire qui resta inconnu jusque dans les années 80. Il décrivait également un groupe de garçons présentant des problèmes sociaux spécifiques. Bien que ces descriptions soient à présent considérées comme les premiers articles officiels, des rapports anecdotiques ont été rédigés bien avant les années 40. A titre d’exemple, Victor, l’enfant sauvage de l’Aveyron, est actuellement considéré comme un enfant autiste abandonné par ses parents (Brauner & Brauner, 1978). 17 Grâce aux travaux de Creak (1961), Rutter (1978) et Wing (1979; 1993) des critères de diagnostic clairs existent de nos jours. Les deux systèmes de classification s’accordent plus ou moins sur les caractéristiques de diagnostic fondamentales. Ils comptent tous deux une catégorie intitulée 'Troubles pervasifs du développement', qui répertorie cinq diagnostics (trouble autistique, syndrome d’Asperger, syndrome de Rett, Childhood Disintegrative Disorder et trouble pervasif du développement qui n’est pas autrement spécifié ou autisme atypique, dans la ICD 10). Dans l’Annexe I figure une liste de ces diagnostics. Le terme 'Troubles pervasifs du développement' se révèle assez vague et dénué de signification. La plupart des praticiens et des associations de parents lui préfèrent le terme de 'troubles du spectre autistique’ (Wing, 1993). 2.2 La Triade de déficiences Lorna Wing (1993) a formulé une 'triade de déficiences'. Les personnes atteintes d’un trouble du spectre autistique présentent des déficiences en matière d’interaction sociale, de communication et d’imagination. En raison de ces déficiences, elles démontrent un type de comportement rigide, y compris une insistance sur les similitudes, des mouvements stéréotypés et des centres d’intérêt limités etc. 2.3 Déficiences de l’interaction sociale Kanner (1943) et Asperger (1944) ont été frappés par les déficiences sociales des enfants qu’ils décrivaient. Les problèmes d’interaction des personnes présentant un trouble du spectre autistique constituent les principaux critères de diagnostic. Parfois, pratiquement aucune interaction n’est possible, parfois l’interaction existe, mais la réciprocité fait défaut. Wing (1996) a répertorié 4 sous-groupes en ce qui concerne l’interaction sociale. - le groupe « distant » n’établit pas et ne réagit pas à l’interaction sociale; - le groupe « passif » répond à l’interaction sociale, mais n’établit pas le contact; - le groupe « actif mais bizarre » établit le contact, mais la réciprocité fait défaut. L’interaction peut être qualifiée d’interaction à sens unique; - le groupe « guindé » établit et maintient le contact, mais il se révèle fréquemment formel et rigide. Ces sous-groupes sont utiles pour décrire le fonctionnement social de l’individu. Au cours de son développement, la personne autiste peut passer d’un groupe à l’autre, par exemple du sous-groupe « actif mais bizarre » au sous-groupe « passif » chez les personnes autistes de haut niveau après la puberté. Ces catégories démontrent également qu’en dépit d’une appartenance à une même classification, le profil de la déficience sociale peut receler des différences colossales. En raison des disparités inhérentes au parcours de développement, en particulier le développement social, les personnes présentant un trouble du spectre autistique ne parviennent généralement pas à comprendre pleinement leurs émotions, n’ont pas la capacité à l’âge adulte de s’engager dans des relations réciproques et ne réussissent pas davantage à développer intégralement la conscience. 2.4 Déficiences de la communication Les problèmes de communication des personnes présentant un trouble du spectre autistique se manifestent tant au niveau des composantes verbales que non verbales de la communication. Etre capable d’utiliser la communication constitue à quelque niveau que ce soit une condition essentielle pour pouvoir fonctionner dans la société. 18 Communication pré/non verbale Les problèmes de communication surgissent dès la plus tendre enfance. Les enfants présentant un trouble du spectre autistique éprouvent d’énormes difficultés à acquérir des comportements d’attention réciproque. Il s’agit, entre autres, de demander un objet en le désignant du doigt, de montrer et donner des objets à d’autres personnes et de partager des centres d’intérêts. Les personnes présentant un trouble du spectre autistique établissent rarement des interactions sociales (Lord & Magill, 1989). Les personnes qui n’ont pas recours à la communication verbale n’élaborent pas spontanément des alternatives. Il s’avère dès lors nécessaire de leur enseigner une méthode de communication augmentative. Communication verbale En dépit de légères différences de pourcentages, on estime qu’environ 50% des personnes présentant un trouble du spectre autistique ne développent jamais un langage efficace. D’un point de vue fonctionnel, elles sont muettes. Le groupe qui développe un langage démontre un large éventail de caractéristiques inhabituelles, à savoir écholalie, inversion du pronom, néologismes, langage métaphorique, utilisation littérale du langage. Elles éprouvent également des problèmes avec les systèmes de langage: forme de la langue (phonétique, prosodie, syntaxe) ainsi qu’en matière de sémantique et de pragmatique. Même les personnes autistes de haut niveau éprouvent des problèmes de langage, en particulier en ce qui concerne les aspects pragmatiques (Fay & Schuler, 1980; Tager-Flusberg, 1989). Apprendre aux personnes autistes à communiquer, avec quelque moyen que ce soit, permet de réduire les comportements difficiles (Van Berckelaer-Onnes, Dijkxhoorn & v.d. Ploeg, 1996). 2.5 Déficiences de l’imagination Les enfants présentant un trouble du spectre autistique ne développent pas spontanément le jeu imaginaire. Leur jeu se révèle répétitif et le principal objectif a fréquemment trait à l’autostimulation, ex. faire tourner des objets, cacher deux objets ensemble etc. (Van Berckelaer-Onnes, 1994). Le manque d’imagination induit un type de comportement rigide et un manque de compréhension d’autrui (carence d’une théorie de l’esprit). Bien que cette déficience soit davantage frappante chez les enfants, elle subsiste tout au long de l’existence. Comme Lorna Wing (1996, p. 99) l’a déclaré: 'La valeur de la véritable imagination et de la créativité réside dans l’association des expériences passées et présentes. Faire des projets pour l’avenir va du banal que faire demain aux projets grandioses pour l’existence entière'. 2.6 La cognition chez les personnes présentant un trouble du spectre autistique Depuis les travaux de pionniers accomplis par Hermelin et O'Connor (1970), il a été généralement admis que les personnes présentant un trouble du spectre autistique souffrent d’un déficit cognitif spécifique. Comme préalablement indiqué, 75-80% présentent également un handicap mental, mais les personnes dotées d’une intelligence normale sont également atteintes de déficits spécifiques. Trois théories ont été formulées quant à la recherche de ces déficits spécifiques. La première est la Théorie de l’Esprit (Baron-Cohen, Leslie & Frith 1985). La théorie de l’esprit est la capacité de la personne à s’attribuer à elle-même et à autrui des états mentaux. Les mesures de la théorie de l’esprit portent sur les tests de fausses croyances, les tâches apparence/réalité et les tâches relatives aux séquences d’une histoire. Il est manifeste que les personnes présentant un trouble du spectre autistique souffrent d’une déficience de la théorie de l’esprit, mais il n’est pas pour autant évident que cette théorie puisse expliquer l’autisme. La théorie de l’esprit ne survient pas chez un enfant normal avant l’âge de quatre ans et l’autisme est clairement visible avant cet âge. La seconde théorie émane d’Ozonoff (1995), elle implique que les personnes présentant un trouble du spectre autistique aient une fonction d’exécution déficiente. La fonction d’exécution 19 fait référence à l’aptitude de libérer l’esprit de la situation immédiate et du contexte pour guider les comportements par le biais de modèles mentaux ou de représentations internes. En essence, il s’agit de l’aptitude à planifier. Il est flagrant que les personnes présentant un trouble du spectre autistique échouent souvent lors de l’accomplissement de tâches liées à la fonction d’exécution, mais cette caractéristique n’est pas exclusive à l’autisme. La troisième est la théorie de la cohérence centrale (Frith, 1989). Selon Frith, les personnes autistes ne disposent pas de 'formes innées pour donner une cohérence au plus large éventail de stimuli possible et généraliser dans le plus large éventail possible de contextes'. Les personnes présentant un trouble du spectre autistique expérimentent le monde par fragments et ne sont pas capables d’entrevoir les fragments en relation à un ensemble. Ces problèmes d’intégration affectent tous les sens. Pour certaines personnes autistes, le toucher est une sensation douloureuse, d’autres, en revanche, resteront complètement indifférentes à des stimuli extrêmes (ex. chaleur, son, douleur). La théorie de la cohérence centrale est à l’heure actuelle l’explication la plus plausible aux comportements observés chez ces personnes. 2.7 Récits du vécu personnel Certaines personnes présentant un trouble du spectre autistique sont capables de (et désirent) partager leur vécu personnel et de relater leur cohabitation avec les problèmes spécifiques décrits ci-avant. Leurs récits constituent probablement la plus importante source de connaissances susceptible de nous permettre de comprendre ces troubles. Le plus frappant dans ces récits est la façon dont elles décrivent leur perception. Donna Williams a écrit dans son ouvrage ‘Autism and Sensing’ (1998): 'Jusqu’à l’âge de quatre ans, ma perception reposait sur des schémas et sur leur modification. Mon aptitude à interpréter ce que je voyais était déficiente car je prenais chaque fragment sans comprendre sa signification dans le contexte de son environnement'. Je voyais les narines, mais le concept du nez me faisait défaut ..'. Kees Momma (1996) décrit les difficultés éprouvées lorsqu’il rencontre de nouvelles personnes: 'Bien qu’une personne paraisse aimable ou intéressée au premier regard, son caractère m’apparaît imprévisible'. Toutes ces personnes relatent les taquineries, les préjudices subis en raison de l’incompréhension de leurs comportements et de leur propre incompréhension des règles sociales et de la communication du monde dans lequel elles vivent. Lors d’un entretien avec Oliver Sacks (1993), Temple Grandin a déclaré ne pas pouvoir comprendre 'les émotions simples, fortes, universelles' , mais se sentait embarrassée face aux émotions plus complexes et aux jeux auxquels les gens s’adonnaient. Elle se sent souvent perplexe et comme elle l’a déclaré 'La plupart du temps, je me sens comme un anthropologue sur Mars'. 2.8 L’étiologie des troubles du spectre autistique Les troubles du spectre autistique sont réputés d’origine neurobiologique. A l’heure actuelle, des études génétiques sont effectuées dans le monde entier. Les premières suggestions selon lesquelles les influences génétiques jouent un rôle dans la pathogénèse de l’autisme ont été émises dans une étude sur les jumeaux réalisée par Rimland (1964), un pionnier en la matière. Le facteur héréditaire est important, mais n’est pas exclusif. Certains troubles génétiques, à savoir le X fragile et la sclérose tubéreuse, comprennent également un pourcentage élevé d’autisme. Un autre domaine de recherche se concentre sur la découverte de dysfonctionnements cérébraux spécifiques. Une série de dysfonctionnements sont répertoriés dans différentes régions et systèmes cérébraux. Dawson (1996) a indiqué l’existence de quasi-certitudes quant 20 au rôle joué par différentes déficiences neuropsychologiques dans un large éventail de domaines car l’autisme implique des dysfonctionnements localisés dans de multiples régions cérébrales et non confinés à une seule. En conclusion, il convient d’admettre que les personnes présentant un trouble du spectre autistique souffrent à vie d’un trouble handicapant caractérisé par des déficiences de la socialisation, de la communication et de l’imagination. Bien qu’aucune cause spécifique n’ait encore été découverte, un consensus s’est dégagé quant à la classification des troubles. 2.9 Prise en charge les personnes présentant un trouble du spectre autistique La 'triade de déficiences' préalablement mentionnée et le déficit cognitif sous-jacent peuvent provoquer, s’ils ne sont pas compris, des comportements difficiles. Leurs déficiences requièrent une prise en charge spécifique. Malheureusement, la plupart des personnes présentant un trouble du spectre autistique nécessitent un accompagnement tout au long de leur existence. Kok, un pédagogue néerlandais, a élaboré un modèle de traitement (1972, 1978) qui s’est avéré très utile dans le domaine des troubles du spectre autistique. Il a réparti les interventions dans trois groupes: - La stratégie du premier niveau porte sur les conditions de vie. Les conditions de vie doivent être adaptées aux besoins de la personne pour obtenir un développement optimal. - La stratégie du second niveau se décline sous forme de thérapies individualisées. - La stratégie du troisième niveau intègre des variantes personnalisées à la première et à la seconde stratégie. Rutter (1985) a mis au point quatre stratégies générales de traitement: une à l’intention de la famille et trois destinées à l’individu présentant un trouble du spectre autistique. Les objectifs se déclinent comme suit: - soulager le stress familial (par le biais d’un accompagnement pratique et psychologique et grâce à la formation) ; - promouvoir le développement normal (à savoir, socialisation, communication, jeu, aptitudes moteur, aptitudes cognitives etc.) ; - réduire les problèmes spécifiques à l’autisme (à savoir, rigidité/comportements stéréotypés) ; - éliminer les comportements non spécifiques inadaptés (à savoir crises de colère, problèmes de sommeil et d’alimentation). Ces objectifs peuvent être essentiellement atteints lors de la stratégie du premier degré. Les personnes présentant un trouble du spectre autistique ont besoin d’un environnement structuré où elles peuvent atteindre leur épanouissement optimal. Les objectifs doivent être fonctionnels, fondés sur leur fonctionnement dans la vie quotidienne. Les thérapies individuelles (second degré), par exemple, orthophonie, formation au jeu, thérapie liée à l’intégration sensorielle peuvent constituer d’excellents suppléments, mais doivent toujours être incorporées à un plan global. La stratégie du troisième degré est la plus importante. Chaque personne présentant un trouble du spectre autistique est un individu unique ; il en va de même pour son environnement. Les nuances individuelles doivent être en adéquation avec l’individualité. Dans ce cadre, un plan d’accompagnement individuel peut être concocté et s’appliquer à tous les âges et tous les niveaux de fonctionnement tant dans les situations survenant à la maison que dans des centres (semi) résidentiels. Vulnérabilité des personnes présentant un trouble du spectre autistique La triade de déficiences préalablement décrite implique une vulnérabilité extrême des personnes autistes à toutes les formes d’abus. En raison des problèmes afférents à l’interaction sociale, elles éprouvent des difficultés en matière de relations amicales et il leur est 21 d’autant plus difficile de comprendre ce que n’est pas un ami. Pour cette raison, elles sont fréquemment exploitées (Howlin, 1997). Elles ne parviennent pas à comprendre les émotions et sentiments d’autrui, y compris les mauvaises intentions de tierces personnes. Les femmes présentant un trouble du spectre autistique sont extrêmement vulnérables aux abus sexuels en raison de leur incapacité à déchiffrer les signaux sociaux . Dans l’ensemble, il convient de conclure à l’existence chez les personnes présentant un trouble du spectre autistique d’un handicap colossal en matière de communication; la plupart d’entre elles sont incapables de faire part de leurs sentiments, leurs émotions, leurs craintes, voire même la douleur physique. Un des problèmes les plus frappants est l’utilisation fréquente d’un langage caractérisé par l’écholalie. Cette ‘aptitude’ à répéter ce qui a été dit a suscité une exploitation flagrante. Un exemple a été signalé en France où des personnes non handicapées ont été invitées à répéter des mots clés suggérés par des professionnels afin de mettre en exergue l’origine psychogénique de l’autisme ou pour dissimuler des négligences ou des abus, voire pour exercer un chantage sur des parents considérés comme gênants. En raison de leurs problèmes de communication, les personnes autistes ne sont pas capables de partager leurs sentiments, ni leurs expériences de sorte que si elles subissent des préjudices, elles sont peu susceptibles d’en faire part à autrui. Cela ne signifie absolument pas qu’elles ne peuvent pas être blessées! Au contraire. Les personnes présentant un trouble du spectre autistique n’acquièrent probablement jamais l’aptitude à tromper. Howlin (1997, p.74) affirme que 'la notion d’innocence peut avoir ses attraits, mais dans un monde qui est loin d’être innocent, la vulnérabilité et l’honnêteté des personnes autistes peut trop aisément être exploitée ou abusée'. Bien que les personnes autistes éprouvent des problèmes à tenir le coup devant un tribunal, elles sont très peu susceptibles de mentir. Peu de preuves étayent une propension éventuellement accrue des personnes autistes à avoir un comportement criminel, néanmoins certains rapports anecdotiques existent (Howlin, 1997). Le manque de compréhension sociale, les intérêts obsessionnels et les conséquences de leurs comportements peuvent conduire à des infractions. Howlin (1997) suggère que la principale stratégie d’intervention afin d’aider les personnes autistes à communiquer est de former les non-autistes à communiquer avec elles. Une tâche titanesque se profile à l’horizon, à savoir former le personnel du secteur de la santé/de la prise en charge, les professeurs, les agents de police et les juges! Réferences American Psychiatric Association, Diagnostic and Statistical Manual. Washington DC. APA, DSM III, 1980; DSM III-R, 1987; DSM IV, 1994. Asperger, H. (1944). Die Autistischen Psychopathen im Kindesalter. Archiv für Psychiatrie und Nervenkrankheiten, 117,76-136. Baron-Cohen, S., Leslie, A.M. & Frith, U. (1985). Does the autistic child have a theory of mind: a case specific developmental delay. Cognition, 21, 37-46. Berckelaer-Onnes, I.A. van & Engeland H. van (1986). Kinderen en autisme. Meppel: Boom. Berckelaer-Onnes, I.A., van (1994). Playtraining for autistic children. In: Hellendoorn, v.d. Kooij & Sutton-Smith (eds.). Play and Intervention. Albany: State University of New York Press. 22 Berckelaer-Onnes, I.A. van, Dijkxhoorn, Y.M. & v.d. Ploeg, D.A. (1996). Categoraal en/of Integraal? 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Geneva: WHO, 1993. 24 CHAPITRE 3 : FACTEURS DE RISQUE DE MALTRAITANCE DANS LE MILIEU FAMILIAL Dr Donata Vivanti Présidente ANGSA LOMBARDIA Mère de jumeaux autistes J’aimerais tout particulièrement remercier les parents qui, non seulement par lettre, mais également au cours de conversations que nous avons eues pendant toutes ces années, m’ont confié leurs problèmes et leurs chagrins et qui sont les vrais auteurs du texte que j’ai rédigé. 3. INTRODUCTION On ne répétera jamais assez que la famille n’a aucune responsabilité dans l’autisme de son enfant. De même, aucun parent ne peut malheureusement lui éviter d’être atteint d’autisme. Cela dit, l’enfant autiste n’est évidemment pas à l’abri des maltraitances dans le milieu familial. Au contraire les caractéristiques mêmes de l’autisme représentent un facteur de risque de maltraitance dans le milieu familial, en constituant dès les premiers mois de vie un facteur de stress supplémentaire pour les parents. La beauté physique des enfants autistes est plus un mythe qu’une règle: en effet, même si la plupart des enfants autistes présentent un aspect physique non particulier, certains enfants cumulent l’autisme avec un ou plusieurs autres handicaps et en présentent les caractéristiques physiques. Si le handicap même est un facteur aggravant de la violence - l’enfant court d’autant plus de risque que l’écart entre ce qu’il est et ce que ses parents espéraient est grand – l’absence de caractéristiques physiques chez l’enfant autiste peut créer chez les parents des attentes bien supérieures aux possibilités réelles de l’enfant, et entraîner un risque accru de maltraitance. En effet, il est d’autant plus dramatique pour les parents de faire le deuil de l’enfant imaginé, que l’enfant autiste est beau malgré sa différence et ne présente pas toujours de caractéristiques physiques visibles comme c’est le cas avec la plupart des handicaps. Un autre facteur de risque est la difficulté qu’a l’entourage d’identifier les signes d’abus chez un enfant autiste, à cause de ses problèmes de communication, des comportements bizarres et des épisodes d’automutilation très fréquents. C’est pourquoi il est d’autant plus important d’agir sur la prévention des abus en diminuant les facteurs de stress que l’enfant autiste représente pour sa famille . 25 La famille est le premier environnement social dans lequel la vie de n’importe quel enfant se déroule: l’intégration dans le milieu familial doit donc être le premier objectif éducatif à l’égard de l’enfant autiste. Aider l’enfant autiste à développer ses capacités sociales et ses intérêts dans l’environnement familial doit constituer le premier pas vers sa réhabilitation et avoir pour objectif une meilleure qualité de vie: le bien-être de l’enfant et de sa famille sont indissociables. 3.1 FACTEURS DE STRESS DANS LE MILIEU FAMILIAL 3.1.1 TROUBLES DE L’INTERACTION SOCIALE Témoignage : Au début, nous ne savions pas que notre fils était autiste. Il était si mignon, si vif, si dégourdi ; il semblait tout comprendre, du moins quand cela l’arrangeait car s’il ne voulait pas, il faisait la sourde oreille. Nous devions alors crier pour qu’il écoute. Quand mon mari ou moi nous nous fâchions, il daignait faire attention. Nous le pensions paresseux et têtu, nous ignorions qu’il était autiste. (témoignage oral de parents d’un jeune enfant autiste). L’indifférence de l’enfant autiste, qu’elle soit vraie ou apparente, à l’égard des parents qui ont déjà placé leur amour et leur dévouement dans ce petit être apparemment parfait, constitue une véritable tragédie affective pour les parents qui se sentent refusés par cet enfant qui ne répond pas à leurs sentiments, mais qu’ils ne peuvent ni veulent abandonner. Certains enfants autistes peuvent montrer beaucoup d’attachement pour leurs parents; mais même dans ce cas, le sentiment de responsabilité à l’égard d’un être qu’ils sentent sans défense face au monde et dont ils comprennent bientôt les souffrances les pousse à chercher à l’aider de toute façon, sans réussir à traduire l’attachement de l’enfant en participation émotive à la vie de la famille ou en apprentissage. Parfois, dans le but louable de l’aider et de le stimuler, les parents peuvent en arriver à lui imposer une promiscuité sociale excessive, sans se rendre compte que son incompréhension de l’environnement et de la complexité des règles implicites dans nos relations l’exposent à la souffrance, à l’humiliation et au sentiment d’inadéquation. Ces échecs ne représentent pas seulement une violence psychologique, mais aussi un facteur de risque de maltraitance physique: l’enfant, qui ne répond pas aux soins et aux essais éducatifs de ses parents peut être considéré paresseux et têtu, et devenir victime de punitions injustifiées. 3.1.2 TROUBLES DE LA COMMUNICATION Dès les premiers mois de vie, la relation du nourrisson avec ses parents se développe par une communication non verbale, et tout le monde connaît la correspondance profonde qui s’établit spontanément dès le début entre la mère et son enfant tout simplement sur la base de regards, de gazouillements, de petits gestes encore maladroits. De même, le développement du langage chez l’enfant, qui est lié à une aptitude innée, s’effectue de façon spontanée au contact de son entourage lui permettant de devenir vraiment une personne entre ses semblables. L’acquisition du langage par les tout-petits a ainsi quelque chose d’ extraordinaire. 26 Mais voilà un enfant qui, dès la naissance, est privé de la possibilité de recevoir et de rendre les messages d’amour, de faire part de ses besoins et de ses sentiments. Voilà un être naïf et sans défense dont la vie est marquée dès le début par la solitude: l’enfant autiste. Les parents s’aperçoivent bientôt des problèmes de communication de leur enfant, mais souvent ils cherchent à apaiser leur angoisse en s’accrochant comme à une planche de salut aux mots de consolation des amis, voire à l’incompréhension des professionnels incompétents (“Chaque enfant à son propre rythme de croissance...Il n’a rien, c’est vous qui devriez soigner votre anxiété...). L’échec de leur tâche éducative les énerve et empoisonne les relations familiales, et le manque apparent de collaboration de la part de l’enfant, mal interprété, expose l’enfant au risque accru de punition pour désobéissance, ce dont il n’est pas du tout responsable. En un mot, il est puni à cause de son handicap. Les enfants autistes verbaux ne sont pas plus à l’abri des malentendus, à cause des phénomènes d’écholalie très fréquents et parce que pour comprendre un message, il faut non seulement être capable de décoder des mots et des phrases, mais aussi de les placer dans un contexte présent et passé. Ce que l’enfant autiste même verbal ne parvient pas toujours à faire. Il a du mal à s’imaginer ce que nous comprenons et la présence du langage verbal l’expose au contraire au risque accru de maltraitance que peuvent représenter les attentes excessives de ses parents à son égard. 3.1.3 PROBLEMES DE COMPORTEMENT La vie familiale est bientôt bouleversée par les problèmes de comportement de l’enfant autiste, surtout si l’enfant développe une attitude agressive ou d’automutilation: rien n’est plus douloureux pour les parents qu’assister impuissants au drame de son enfant qui se bat, se griffe, ou se frappe la tête contre les murs, ou bien qui, accompagné, le coeur plein d’espoir, au milieu d’enfants du même âge, les repousse à coups de pieds et de morsures. Même des manifestations moins graves - cris, éclats de rire ou pleurs sans motif apparent, lancement d’objets ou n’importe quelle activité stéréotypée - peuvent parfois pousser les parents exaspérés à avoir recours aux punitions. Là encore, l’enfant sera puni à cause de son handicap. Les problèmes de comportement représentent donc un risque accru d’abandon éducatif ou d’abus de moyens de correction. Ce qui est communément considéré comme une violence à l’égard d’un adulte – le fait de le bloquer ou de le punir physiquement à cause de ses comportements troublants - peut être considéré comme un moyen éducatif ou une intervention nécessaire lorsqu’il s’agit d’un enfant, bien qu’il soit plus faible et sans défense. 3.1.4 USURE DE LA FAMILLE La vie avec un enfant autiste est très dure: souvent l’hyperactivité et les problèmes de sommeil ou d’alimentation s’ajoutent aux problèmes de comportement, déjà si difficiles à gérer. L’enfant hyperactif, inconscient des dangers, ne laisse aucun répit, et la maison ressemble plus à une prison nue qu’à un foyer: portes et fenêtres barricadées, bibelots cachés, produits dangereux placés hors de portée, tout cela ne suffit pas: il vous reste encore à surveiller les robinets, les fourneaux, les provisions, les boissons, et ainsi de suite. Sortir de chez soi n’apporte aucun soulagement: une promenade au parc peut vite tourner en poursuite essoufflante, un instant de distraction peut être fatal. Même les parents d’un enfant tranquille bien qu’autiste ne sont pas à l’abri de l’usure: l’isolement de leur enfant, ces heures passées à se regarder les mains ou à jouer avec une 27 ficelle les angoissent et les poussent à chercher à l’impliquer dans n’importe quelle activité, même si, en général, leurs efforts ne se solderont que par plus de frustration. Les vacances n’existent pas, tomber malade est un luxe, se reposer impossible: la fatigue est écrasante, les rapports familiaux sont bientôt compromis, les frères et soeurs forcement négligés; le stress de la famille devient chronique et le risque de maltraitance en est grandement accru. 3.2 FACTEURS DE RISQUE LIES A L’ENVIRONNEMENT 3.2.1 FAUSSES CROYANCES SUR L’AUTISME La croyance selon laquelle l’autisme serait imputable à une mauvaise relation entre la mère et l’enfant représente un facteur de stress supplémentaire: même dans la famille la plus avertie et compétente, le doute s’insinue. On remâche le passé, et le sens de culpabilité use le couple et détériore fatalement le rapport déjà problématique avec l’enfant parce qu’il est difficile, pour des parents disqualifiés dans leur rôle, de garder la sérénité indispensable pour aborder un problème tellement lourd. Même lorsque les parents ne sont pas explicitement culpabilisés, la conception psychogénétique de l’autisme peut avoir pour conséquence d’augmenter les attentes à l’égard de l’ enfant: en encourageant la croyance que l’enfant refuse lui même de s’épanouir et qu’il suffit de trouver la clef de son refus pour qu’il devienne un enfant “normal”, mais également en poussant les parents à renoncer à leur tache éducative de peur d’intervenir négativement dans cet improbable processus de guérison. Le même risque est évidemment entraîné par la fausse croyance que les enfants autistes sont tous très intelligents. C’est oublier que 3 personnes autistes sur quatre présentent également une déficience intellectuelle. 3.2.2 INCOMPREHENSION SOCIALE Il arrive très souvent que les comportements bizarres des enfants autistes soient considérés dans le milieu social comme des manifestations d’impolitesse dont la famille est responsable: des phrases telles que “Si c’était mon enfant, moi je saurais bien comment l’éduquer...” sont bien connues de presque tous les parents d’enfants autistes. Même la famille la plus unie et la plus compétente doit ainsi faire face non seulement aux difficultés liées à la vie avec un enfant tellement difficile, mais aussi au jugement, aux critiques et à l’intolérance des voisins, des amis et des parents, alors qu’ils ont au contraire énormément besoin de leur solidarité. 3.2.3 INCERTITUDE POUR L’AVENIR “Qu’arrivera-t-il à mon enfant quand nous ne serons plus là pour nous en occuper, pour l’aimer?” Cette question, liée à l’attente normale de vie, accompagne comme un cauchemar toute l’existence des parents de personne autiste. On peut bien avoir dépassé le désespoir, avoir compris le handicap de son enfant, avoir appris comment se comporter avec lui; la peur pour son avenir est là tous les matins, à chaque instant des jours qui s’écoulent inexorablement. 28 Témoignage : J’aimerais apporter mon triste témoignage. En 1994, j’ai préféré mettre un terme aux souffrances de ma fille (autiste) plutôt que de lui faire revivre les horreurs de l’hôpital psychiatrique de Montpellier ou de nombreux hôpitaux, sans doute, car en France on ne propose rien aux adultes en crise d’angoisse aiguë sauf la camisole chimique et l’internement à temps complet dans une pièce ne comportant qu’un matelas par terre. Après mon terrible geste le 7 août 1994, je me suis livrée à la police ; je suis passée aux Assises. J’ai fait six semaines de prison au moment du drame et j’ai été condamnée à 5 ans de prison avec sursis. Moi j’ai été jugée et condamnée ; l’hôpital n’a pas été jugé pour non-assistance à personne en danger. (M-J Prefaut a écrit un livre «Maman, pas l’hôpital » publié aux Editions Laffont en juin 97). La famille n’est pas seulement rongée par l’incertitude concernant l’avenir de solitude qui attend la personne autiste lorsque ses parents seront trop âgés, malades ou morts, mais aussi par l’incertitude concernant l’avenir proche, ce qui se passera le lendemain ou dans quelques instants: même quand tout semble se passer bien, on sait qu’un nouveau problème peut surgir à tout instant. Le manque de solution adaptée et digne pour la vie à l’âge adulte de son enfant peut bientôt transformer le stress en désespoir, et il n’existe pas un parent de personne autiste qui n’ait souhaité survivre à son enfant, de ne devoir jamais l’abandonner à la solitude et à la marginalisation. Ces sentiments ne font qu’accroître le sentiment de culpabilité et d’impuissance des parents qui peuvent parfois, en conditions extrêmes d’abandon par les services, représenter un risque réel pour la vie de la personne autiste: il est en effet déjà arrivé que certains parents aient préféré mettre fin à la vie de leur enfant que de l’abandonner à son triste sort. 3.2.4 ISOLEMENT La peur et l’angoisse engendrées par les comportements bizarres et incompréhensibles de la personne autiste, la honte d’être considérés comme des parents incapables, le sentiment d’inadéquation peuvent pousser les parents à s’enfermer à la maison avec leur enfant et à renoncer à leur tâche éducative, plongeant l’enfant dans le chaos et la famille dans l’isolement social. Les conséquences de l’incompréhension sociale sont encore plus dévastatrices lorsque l’enfant est refusé par les institutions à cause de ses problèmes ou en raison du manque de services spécialisés ou de personnel formé et motivé: en effet le droit qu’a chaque enfant de développer ses potentialités est refusé à la plupart des enfants autistes. Les parents doivent souvent implorer comme une faveur ce qui, pour les autres, est un droit acquis. Il leur faut parfois même s’excuser du handicap de leur enfant. C’est pourquoi ils se sentent eux mêmes refusés et repoussés vers l’isolement, seuls contre tout le monde. Souvent la mère, par manque d’aides adaptées, est obligée de renoncer à son travail et se trouve peu à peu emprisonnée avec son enfant autiste dans une relation exclusive qui la détache de tout autre intérêt, de tout loisir, l’isole du reste du monde qui ne comprend pas ses problèmes. Existe-t-il un seul parent d’enfant autiste qui n’ait pas songé, après le choc du diagnostic, « s’il y a une seule chance qu’un enfant soit guéri de l’autisme, ce sera mon enfant ? ». Y-at-il une seule mère qui, déçue par l’échec et l’incompréhension de professionnels, n’ait jamais été tentée de déclarer la guerre à l’autisme seule et de toutes ses forces; une guerre 29 qui risque vite de tourner en guerre contre son enfant ? L’amour et les soins des parents les plus affectueux ne suffisent pas et ne leur donnent pas le droit de priver leur enfant de soins adéquats à l’extérieur. Je voulais tellement être une bonne mère et je pensais pouvoir m’occuper de mon fils seule. J’ai essayé si fort que j’en suis tombée malade et j’ai dû reconnaître que je n’étais pas cette « maman infaillible » que je pensais être. J’ai eu du mal au début à admettre que je devais chercher de l’aide, mais je l’ai fait pour le bien de mon fils. (Témoignage d’une mère au séminaire Daphné, septembre 1998). 30 CHAPITRE 4: IL EST BIEN TEMPS ! L’AUTISME ET LA PSYCHANALYSE Gunilla Gerland Personne autiste se représentant elle-même 4. L’AUTISME ET LA PSYCHANALYSE Jusque il y a peu, l’autisme était considéré comme un handicap mystérieux, enseveli sous les mythes et les idées erronées. Néanmoins, ceux d’entre nous qui présentent cette affection ne la jugent pas spécialement mystérieuse. Problématique, certes, voire parfois difficile, mais à peine mystérieuse. Nous avons été assimilés à des enfants enfermés dans des « bulles de verre », « beaux, mais inaccessibles » qui ont dû endurer une kyrielle d’expériences horribles pour devenir si visiblement indifférents au monde qui nous entoure, comme c’est le cas de nombre d’entre nous. Nous avons titillé l’imagination des gens et inspiré un grand nombre de théories plausibles ou non à notre sujet. Je ne connais aucun handicap, à part le mien, à propos duquel tant de gens prétendent détenir autant de « connaissances » et se sentent habilités à formuler autant d’opinions bien qu’étant si mal informés. Cette situation est extrêmement frustrante et de plus, a l’origine d’une diffusion très répandue d’un mode erroné de traitement des personnes autistes, particulièrement des personnes autistes de haut niveau. Parfois, cela aboutit même à la prescription du mauvais traitement. J’ai rencontré un nombre incalculable de psychologues et psychothérapeutes qui prétendaient connaître les problèmes liés à l’autisme, mais une fois mis à l’épreuve, il s’avérait qu’ils n’avaient rien lu depuis Bettelheim et avaient rencontré quelques enfants autistes dans les années 1960 et 1970. Cette tournure des choses est sans doute compréhensible, précisément parce que l’autisme est un handicap qui a semblé si incompréhensible aux personnes soi-disant normales. Néanmoins, ce qui est à la fois incompréhensible et impardonnable, c’est la façon dont le système délaisse les personnes autistes aujourd’hui. Cet échec consiste en un détournement du regard par les gens formés à la méthode psychodynamique et à la psychanalyse, qui choisissent de ne pas voir ou de ne pas entendre quand on leur présente les connaissances actuelles sur l’autisme. 4.2 LES CAUSES DE L’AUTISME SONT UNIQUEMENT BIOLOGIQUES Au fur et à mesure que la société reconnaissait et diagnostiquait mieux l’autisme et le syndrome d’Asperger (une forme d’autisme), de plus en plus de jeunes et d’adultes ont fourni des récits autobiographiques de leur handicap. Des ouvrages et des articles ont été publiés et des conférences ont été organisées. Nous avons décrit ce que c’était que d’être incompris, ce que c’était que de vivre avec un système nerveux qui ne fonctionne pas normalement ou ce que ce que c’était que d’être différent. Pour nous tous, il est manifeste que les causes de l’autisme sont biologiques. Néanmoins, à l’instar du reste de la population, les personnes autistes sont issues de différentes familles. Certains d’entre nous ont des parents merveilleux et évoluent dans un environnement social propice ; d’autres n’ont pas eu cette chance. Cet état de fait est susceptible d’avoir affecté notre personnalité de diverses manières, mais n’a rien à voir avec notre handicap. Une personne autiste, comme une personne atteinte de trisomie 21, peut naître dans n’importe quelle famille. En conséquence, il est vain et vexant de traiter les symptômes 31 associés à ce handicap au moyen de thérapies centrées sur la situation familiale ou d’interpréter ces symptômes comme des éléments quelque chose d’autre qu’une indication d’un trouble du système nerveux/cérébral d’origine génétique et acquis au début de l’existence. Nombre d’entre nous qui sont autistes de haut niveau ont été analysés en vertu du modèle psychodynamique/psychanalytique, souvent par des thérapeutes bien intentionnés, mais la plupart d’entre nous n’en a retiré aucune aide, beaucoup se sont sentis dégradés, et certains en ont été blessés. Naturellement, nous pouvons présenter des problèmes « en plus de » notre handicap, mais comme notre mode de fonctionnement est si fondamentalement différents, toute personne désireuse de nous aider doit impérativement se familiariser avec le psychisme de l’autisme. Afin d’acquérir ce type de savoir, il faut mettre de côté toutes les théories relevant de la psychologie développementale et tenter d’atteindre à une compréhension de la façon de penser et de ressentir des personnes autistes. La meilleure méthode d’y arriver consiste bien évidemment à écouter et lire des récits de jeunes gens et d'adultes ayant ce handicap. 4.3 NOTRE REALITE EST NIEE L’échec auquel je me réfère est vraisemblablement en train de se produire ici et maintenant, à ce stade de rédaction de mon article. Je viens de mettre sous vos yeux cette information, mais certains d’entre vous décident de ne pas ôter leurs ‘lunettes psychodynamiques’ parce qu’elles sont collées à leur nez. C’est à cet instant précis que j’ai le sentiment que vous niez notre réalité, que vous nous ignorez, que nous ne sommes autorisés à exister que si nous sommes conformes à votre théorie. Par le passé, j’ai comparé les théories psychodynamiques au conte de Cendrillon. J’ai écrit : « La théorie psychodynamique offre une forme d’espoir qui semble être vitale à des adeptes convaincus ; la promesse d’un conte de fées pour adultes où on donne au thérapeute le rôle de la bonne fée. Mais si le patient présente un trouble autistique qui, pour l’essentiel, résulte d’un dommage du système nerveux, cette personne n’ira jamais au bal et ne rencontrera pas son prince. Ainsi, le thérapeute ne peut disparaître sur le coup de minuit en ayant le sentiment d’avoir rempli avec succès sa mission de bonne fée. J’imagine que « la bonne fée » aura du mal à gérer cet état de fait et par conséquent tout simplement ne reconnaîtra pas notre réalité ». A présent, je voudrai franchir une étape supplémentaire dans cette comparaison en affirmant que les psychologues/psychothérapeutes se donnent souvent le rôle de la « méchante bellemère ». Ils préfèrent couper le talon ou le doigt de pied de leur patient afin qu’il entre dans la chaussure (à savoir leur théorie). Telle est l’ardeur du thérapeute à transformer son patient en « princesse » afin de lui permettre d’être aidé/soigné/sauvé grâce à l’approche que le thérapeute a été formé à suivre. Je suis intéressée par la psychologie, je connais assez bien les théories psychodynamiques et j’en sais bien plus sur l’autisme que la plupart d’entre vous qui lisez ceci. En premier lieu, j’ai moi-même cette affection et, deuxièmement, je connais de nombreux enfants et adultes autistes, certains de haut niveau, d’autres présentant des troubles du développement. J’espère que vous voudrez bien me faire confiance sur le fait que je sais de quoi je parle, ôter les lunettes fournies par votre formation théorique et recommencer du début. Lisez à nouveau cet article et peut-être oserez-vous envisager de nouvelles pensées, des pensées que vous n’aviez jamais eues auparavant. 4.3 UN DEVELOPPEMENT DIFFERENT Il existe encore des cas où les causes de l’autisme sont inconnues, mais, dans le monde entier, les chercheurs s’accordent à reconnaître leur origine génétique à concurrence de 32 90% et que pour les 10% attribués à des facteurs environnementaux, ils n’impliquent pas de causes psychosociales, mais bien plutôt des lésions survenues à la naissance, etc. Si un enfant naît avec une lésion cérébrale ou souffre d’une telle lésion au début de son existence en raison d’une infection, ce qui veut dire que la structure de son cerveau est différente et qu’il devra utiliser des zones du cerveau pour des activités pour lesquelles elles ne sont pas conçues, il ne passera pas par les mêmes phases de développement que les autres enfants. Je pense, que jusque là, la plupart des gens seront d’accord avec moi. Néanmoins, l’erreur commise à ce stade par de nombreuses personnes dotées d’un bagage psychodynamique/psychanalytique est de penser que l’enfant développe des « déficiences » dans ces domaines et que, vraisemblablement, il lui serait bénéfique de « retourner en arrière » et de les corriger. Il est également erroné de croire que les êtres doivent se développer psychologiquement selon un certain ordre, notamment en matière de relations. Ceux qui en sont convaincus n’ont pas compris le développement normal ni que le développement psychologique de l’individu doté d’un psychisme fondamentalement différent peut être complètement parallèle et ne jamais opérer d’intersection. Certains d’entre vous peuvent tressaillir à cette évocation. Mais pourquoi cette pensée estelle si horrible? Probablement parce que si ce principe est corroboré, vous ne comprenez plus, cela ne correspond plus à votre vision actuelle du monde. Cependant, vous savez que c’est lorsque vous osez aller au-delà du carcan de vos propres idées que vous grandissez et apprenez de nouvelles choses. Alors, quel est le problème? Peut-être ce que d’aucuns ont exprimé, l’impression d’avoir trompé les gens par le passé, de les avoir mal compris et interprété. Il s’agit d’une impression inconfortable dont l’impact ne doit pas être sous-estimé, bien que de nombreuses personnes puissent être si rompues à l’utilisation des thérapies et du soutien socio-psychologique estiment pouvoir la gérer. A de nombreux égards, les théories psychodynamiques font office de ‘mentor’, un système où votre thérapeute devient votre professeur et par conséquent le représentant d’une certaine école de pensée et où donc vous choisissez votre conseiller en fonction de cette théorie. En conséquence, accepter et comprendre ce que j’exprime dans cet article peut impliquer d’avoir à se démarquer de cette ‘famille’ et risquer de perdre une partie de votre sentiment d’appartenance. Cette attitude requiert du courage. 4.4 LA THEORIE DE LA RELATION A L’OBJET N’EST PAS PERTINENTE En ce qui concerne la théorie de la relation à l’objet, à titre d’illustration, il faut réaliser qu’elle n’est applicable qu’aux personnes qui ne présentent pas de troubles envahissants des fonctions cérébrales, comme par exemple l’autisme ou le syndrome d’Asperger. Le fait que je n’ai intégré aucune représentation de l’objet n’a en aucun cas induit les problèmes que cette situation engendrerait chez d’autres individus. Je n’ai jamais ressenti leur besoin fondamental de proximité envers d’autres individus, ou du moins, pas dans la même mesure. Le fait que je n’ai intégré aucune représentation de l’objet ne signifie pas nécessairement que mes représentations sont désintégrées! Au même titre que l’on pourrait dire que je n’ai aucune représentation de l’objet quelle qu’elle soit, on pourrait dire que mes représentations de l’objet sont extrêmement bien intégrées et ces deux déclarations seraient également vraies ou fausses. Pour me comprendre, il faut dépasser la théorie de la relation à l’objet. Je ne suis pas née du tout avec cette structure, pas plus que je n’en n’ai besoin. Cela ne signifie pas nécessairement que mon existence n’est pas tout autant remplie, mais qu’elle est tout simplement différente. J’apprécie différentes choses dans la vie et, à l’instar d’autres individus autistes, je veux être respectée et considérée pour ce que je suis. Lorsque vous essayez d’appliquer sur moi ou d’autres personnes qui présentent le même handicap des théories psychodynamiques, je trouve cela aussi offensant que lorsqu’il y a cent ans, les gens regardaient un garçon présentant de légers troubles du développement et 33 qu’ils croyaient que son état était imputable à des masturbations excessives. Dans la foulée, ils pensaient que les personnes épileptiques étaient névrotiques. La perception de la société envers les individus et comportements anormaux semble parfois évoluer lentement, parfois extrêmement rapidement. Les attitudes que nous considérons comme obsolètes peuvent avoir prévalu jusque il y a peu. Par exemple, dans les années 70, l’homosexualité était toujours considérée comme une maladie psychologique et même dans les années 80 des individus sourds dont le handicap sous-jacent n’avait pas été découvert étaient enfermés dans des unités psychiatriques. C’est à vous qu’il incombe de changer la façon dont l’autisme est perçu. Pourquoi les théories dites psychodynamiques ne doivent pas être utilisées lors de thérapies avec des clients présentant un trouble du spectre autistique - - - - Le thérapeute peut (va) perdre le contrôle d’outils thérapeutiques tels que transfert/contre-transfert en raison de la manière radicalement différente dont les personnes autistes interagissent. Cette situation se produit généralement sans que le thérapeute comprenne qu’il/elle a perdu le contrôle. (L’effet se traduit parfois par ce que le thérapeute assimile à un contre-transfert difficile, ex. des sentiments de dégoût envers le client). Dans le cadre des paradigmes où ces théories sont utilisées, la connaissance du mouvement de défense des personnes handicapées se révèle médiocre. La sensibilisation à l’importance de développer une identité positive du handicap fait défaut, par exemple le fait d’avoir comme modèles de rôle positifs des personnes autistes plus âgées. On note également une absence de discussion éthique afin de déterminer si la façon utilisée par une majorité pour nouer des relations, doit être perçue comme étant la « meilleure ». Il ya de nombreux rapports émanant de personnes autistes de haut niveau victimes de mauvais traitements et de préjudices ou ayant l’impression de na pas être écoutées ni comprises lors de traitements psychodynamiques. Dans la pratique, tous les cas faisant état de « succès » sont fondés sur des rapports de présentant uniquement le point de vue subjectif du thérapeute. Les théories psychodynamiques n’ont pas été élaborées pour des personnes présentant des psychismes radicalement différents pas plus que les outils fondés sur ces théories n’ont été conçus à cette fin. Cela signifie que la théorie de la relation à l’objet, extrêmement populaire en Suède par exemple, ne sera pas applicable. Le même principe prévaut pour les interprétations symboliques ou l’utilisation de théories sur la projection et les mécanismes de défense. Certains psychothérapeutes ne reconnaissent néanmoins pas ce point de vue et estiment savoir ce qui se produit, comme cela transparaît dans les nombreux récits officiels ou non de personnes autistes et de leurs parents, alors qu’en fait ils n’en n’ont pas la moindre idée ! Veuillez noter que ceci ne signifie pas que la vie intime des personnes autistes est insignifiante ni qu’elles ne peuvent tirer profit (si elles disposent du niveau de fonctionnement approprié/QI) d’un soutien socio-psychologique. Cela signifie tout simplement que le conseiller doit faire fi des outils et théories psychodynamiques susmentionnés et se concentrer en lieu et place sur les sentiments, les pensées et les actions à un niveau plus concret. Cela implique également que le thérapeute dispose d’un niveau de connaissance de l’autisme (et des handicaps, plutôt que des maladies) approprié, mis à jour et détaillé. Il est également important de reconnaître que ce n’est pas et ne doit pas être l’autisme même qui est traité par le counseling (assistance sociopsychologique), mais les syndromes secondaires ou le fait de vivre avec l’autisme. Cela peut être comparé au soutien des personnes sourdes ou aveugles ; vous ne pouvez vous attendre à ce qu’elles entendent ou voient mieux des suites de leur traitement, mais 34 devez veiller à ce qu’elles puissent faire face à l’existence, une existence qui intègre un handicap présent à vie. Gunilla Gerland. © 1998 Gunilla Gerland Cet article peut être photocopié ou diffusé dans son intégralité pour autant qu’aucun ajout ou omission ne soit opéré. 35 CHAPITRE 5 : FACTEURS DE RISQUE INHERENTS AU PERSONNEL ET AUX STRUCTURES DES INSTITUTIONS André Foubert Directeur de Maison d’Accueil Spécialisée (F) 5. INTRODUCTION Au delà du handicap de l’autisme, nos sociétés découvrent avec effroi les statistiques de violence, y compris sexuelles, à l’intérieur même des familles et des institutions établies (entre autres les écoles, les paroisses ou les mouvements de jeunesse). Des faits divers sordides réveillent en nos populations des sentiments confus d’horreur mêlés d’incrédulité. En effet, certaines situations d’extrême pauvreté et de misère ne sont pas, comme beaucoup le pensait, les seules à générer ces comportements déviants. Un cadre de loi destiné à sanctionner les coupables existe, mais la menace de la punition ne paraît pas suffisamment ferme pour prévenir et empêcher les passages à l’acte. N’est-il pas paradoxal de constater que des milieux dont le rôle est de soigner ou d’éduquer génèrent des actes de violence ponctuels ou structurels ? Une réflexion sur les facteurs de risque de violence et de maltraitance au sein des milieux institutionnels doit témoigner de la volonté de nos sociétés dites civilisées d’améliorer le sort de chacun, y compris des plus faibles. C’est le cas des personnes autistes dont l’accueil pose question au sein d’institutions traditionnelles. Bien des professionnels reconnaissent leur impuissance et leur découragement face à ce handicap si déroutant. La tendance à l’isolement, le repli, l’apparente indifférence aux autres et aux choses, l’intolérance au changement sont autant d’obstacles à une vie communautaire harmonieuse. La méconnaissance de ces difficultés propres à l’autisme entraîne souvent de la part des adultes intervenants, parents ou professionnels, des réponses inadaptées. Celles-ci renforcent les problèmes de comportement et ouvrent la voie à des formes diverses de maltraitance que nous allons tenter de définir. De nombreux témoignages relatent de pratiques inacceptables à l’encontre des personnes autistes accueillies dans des institutions, qu’elles soient hospitalières ou médico-sociales. En effet, comme nous le verrons, si les personnes autistes ne sont pas hélas les seules victimes de maltraitance au sein des milieux institutionnels, elles présentent un risque de plus grande vulnérabilité compte tenu de leurs difficultés voire de leur impossibilité à communiquer leur vécu et leur ressenti. C’est donc en relation avec la condition de la personne autiste qu’il nous faudra identifier, à l’intérieur des structures de nos organisations, les situations qui peuvent induire cette violence. 5.1. LES FORMES DE MALTRAITANCE DANS LES INSTITUTIONS Les mauvais traitements font bien souvent référence aux brutalités, absences de soins et négligences qui entraînent des troubles graves de l’état général ou des lésions physiques. Il nous faudra notamment parler du risque d’abus et d’agression sexuelles que certaines situations peuvent engendrer. La maltraitance concerne toutefois bien d’autres pratiques souvent plus insidieuses et de ce fait, tout aussi préoccupantes. 36 Malgré nos préoccupations et contre notre gré, notre fille a été mise sous traitement médicamenteux très lourd par le médecin responsable de son centre. On lui a donné des doses très lourdes de neuroleptiques malgré le fait qu’ils la paralysaient dangereusement. De retour à la maison, elle tombait dangereusement en avant, nous devions marcher devant elle pour lui éviter les chocs, lèvres fendues, genoux blessés, mains abîmées, elle tombait bloquée. Un jour elle a failli se noyer à la piscine. Quand je me suis plainte que les médicaments l’abrutissaient complètement, le médecin m’a répondu : “ C’est pour se faire accueillir dans vos bras qu’elle tombe ” !. Et les éducatrices de lui faire les gros yeux et de la gronder devant moi pour qu’elle marche droit et ne bave plus. Pourquoi personne ne fait quoi que se soit pour protéger ces innocentes victimes de leurs bourreaux ? A présent et depuis trois ans, elle est avec nous et vit sans médicament. Nous avons fini par trouver un neuropsychiatre qui comprend réellement ses problèmes. Nous avons enfin à nouveau une vie de famille heureuse. (L.P.) En 1994, Eliane Corbet définit les violences en institution comme “ tout ce qui contredit et contrevient aux lois du développement (le développement est ici entendu dans ses différentes dimensions psychoaffective, cognitive, physique, sociale), tout ce qui donne prééminence aux intérêts de l’institution sur les intérêts de l’enfant ”. L’auteur énumère les pratiques suivantes : 37 • violences psychiques :(qui portent préjudice à l’équilibre psychique futur), • langage disqualifiant (propos insultants, injurieux, humiliations), qui portent atteinte à l’estime de soi ou de la famille), • menaces (qui planent sur la continuité de la relation, de la prise en charge) parfois mises à exécution, • chantage à l’efficacité, • contrôle minutieux jusque dans l’intimité qui dénote une volonté d’emprise sur la personne. • soustraction de l’enfant ou de l’adolescent à sa famille arbitraire ou excès d’interdits, • violences “ par omission ”, inconséquence, par “oubli ” de l’enfant, laissé à l’écart. Nous ajouterons à cette liste les abus suivants trop souvent rencontrés dans la prise en charge des personnes autistes : • prescriptions médicales non appropriées données davantage pour le confort du personnel que dans le bien de la personne, • non prise en compte de problèmes de santé physiques (entre autres des douleurs dentaires ou intestinales qui expliquent de nombreux problèmes de comportement) • négligences dans les tâches d’hygiène (dans l’attente du désir de la personne de prendre soin d’elle même), • Ignorance des intérêts de la personne et de ses préférences alimentaires (entre autres l’imposition de menus sans égard pour ses goûts personnels), • activités inexistantes ou répétitives, non adaptées aux difficultés et aux compétences de la personne, • temps d’attente injustifiés (source d’anxiété et par suite, d’agitation) liés au bon vouloir du personnel. Pour Stanislaw Tomkiewicz et Pascal Vivet (1991), il n’y a pas de typologie particulière des victimes. “ On peut donc dire qu’aucune catégorie des enfants institutionnels n’a le triste monopole de violences institutionnelles ni que, à l’inverse, elle en est à l’abri ; ce sont les formes prédominantes de violence qui changent avec la catégorie des enfants : les polyhandicapés incitent plutôt au désintérêt, à la négligence et à l’absence de soins, les déficients mentaux à l’abus de techniques de conditionnement, les cas sociaux à la discipline exagérée, à la répression et aux abus sexuels”. Témoignage : Un soir de retour de l’hôpital de jour, et comme d’habitude, nous lui faisons prendre son bain. Au moment de le déshabiller, nous nous rendons compte qu’il a des blessures profondes sur tout le dos, hématomes au cou sur les épaules, les bras… Nous faisons appel immédiatement au médecin de famille qui constate et certifie l’état dans lequel C. se trouvait après la journée passée à l’établissement. Nous décidons donc de l’accompagner le lendemain matin. L’équipe n’était pas contente de nous voir car nous ne l’avions pas avertie de notre venue. Nous insistons pour être reçus par la Surveillante-chef. Nous estimions avoir droit à des explications. Nous finissons par obtenir une audience auprès d’elle. Nous lui remettons le certificat médical. Elle s’étonne des faits et dit : “ Ce n’est pas ici que cela s’est passé ”. Nous répondons que ce n’est pas à la maison non plus et ajoutons que rien ne s’est passé dans le véhicule de ramassage… Le chauffeur nous en aurait parlé, car en fait, il était la seule personne avec qui nous pouvions échanger sur le comportement de notre enfant. La fin de prise en charge de C. nous a été annoncée par le médecin psychiatre de l’hôpital de jour le tout dernier jour sans la moindre préparation ni ménagement et surtout sans la moindre perspective de prise ne charge 38 future hormis l’internement en CHS que nous avons refusé. Prenant conscience de notre impuissance à lutter seuls contre ce type de malveillance nous décidâmes de ne plus confier C. en telles mains et de le garder à la maison. Aujourd’hui, avec un recul de cinq ans, nous sommes convaincus que c’était encore la meilleure des solutions. Mais pour cela mon épouse a dû interrompre ses activités professionnelles et demander sa retraite de la fonction publique. (M. A.) Les faits de mauvais traitement y compris sexuels ne sont malheureusement pas isolés et le recensement de ces abus amène bien des réflexions sur nos impuissances non seulement à les prévenir mais également à les dénoncer. Certains textes de loi obligent les professionnels à les signaler mais d’autres textes protègent les droits des salariés qui peuvent parfois en abuser dans des procédures compliquées qui découragent les employeurs. Le plus souvent le réflexe corporatif de défense de la profession joue en défaveur des victimes. La crainte de la mauvaise réputation engendrée par de telles publicités et de tels débats entraîne le plus souvent une occultation des faits qui réduisent les victimes et leur famille à encore plus d’injustice. Toutefois, comme nous l’avons vu, la maltraitance à l’encontre de “ clients ” institutionnels ne se situe pas forcément dans le passage à l’acte du geste de violence. Elle peut bien plus souvent être banalement insidieuse. Afin d’illustrer notre propos nous citerons l’exemple de l’envahissement par les professionnels des lieux de vie sans égard pour les personnes (deux professionnels s’interpellent par exemple bruyamment pendant de longues minutes au milieu du salon dans lequel plusieurs personnes handicapées regardent une émission de télévision, deux autres échangent d’un étage à l’autre à propos de l’état de santé d’une résidente étalant à autrui des détails intimes sur la vie et la santé de cette personne). Incapables d’émettre la moindre protestation, les personnes autistes se trouvent particulièrement démunies et constituent pour cette raison et pour d’autres que nous allons aborder une population particulièrement vulnérable. La vulnérabilité particulière des personnes autistes Peut-être devrions-nous accepter que la première violence faite à la personne autiste est celle d’être née autiste. La première injustice n’est-elle pas d’être enfermée dans ce handicap dont la science nous apprend aujourd’hui que l’on ne guérit pas ? Le moindre détail à pour elle son importance, l’absence inopinée d’un éducateur, la modification d’un programme d’activité, le manque de prévisibilité dans les emplois du temps,... autant de situations concrètes qui peuvent prendre pour un individu autiste des proportions considérables. La difficulté à initier et à organiser une action, les problèmes de généralisation, le manque d’expression verbale ou l’utilisation non appropriée du langage compliquent encore la relation entre la personne autiste et son entourage. Les manifestations de l’autisme mal prises en compte accentuent la solitude et la détresse de la personne. Placées souvent brutalement sans préparation particulière dans un milieu institutionnel dont la plupart des règles lui échappe, la personne autiste réagit le plus souvent par une recrudescence des problèmes de comportement qui compromettent ainsi son acceptation par l’entourage, y compris professionnel. La seconde violence est celle que connaît la famille placée dans une situation de grand désarroi. Faute de soutien dès l’apparition des troubles, elle se voit parfois contrainte à la discorde et au désespoir qui dans certains cas conduit à la maltraitance (voir un exemple plus loin). 39 Certains praticiens prônaient il y a peu le salut et la guérison de la personne autiste en dehors des liens naturels et de l’affection de sa famille. Cette violence de la rupture condamnait la personne autiste à une exclusion sociale et familiale que rien ne justifiait. Montrés du doigt et en même temps démunis de réels conseils devant leur permettre d’accepter ou d’accompagner leur enfant, les parents vivaient une situation de violence que les approches actualisées de l’autisme devraient aujourd’hui nous permettre d’éviter. Certains milieux thérapeutiques refusent pourtant encore toute collaboration avec les parents, considérés comme “ difficiles ” ou “ pathologiques ”. Ils véhiculent les informations médicales sous plis cachetés et confidentiels sans que ni la personne autiste ni ses parents, premiers concernés, puissent y avoir accès. Mais surtout, ils refusent à la personne autiste le soutien affectif que seuls ses parents et ses proches sont à même de lui donner. 5.2. LES FACTEURS DE RISQUE : LES SITUATIONS QUI INDUISENT LA VIOLENCE 5.1. Un manque de structures adaptées Les enfants et adolescents autistes sont pour la plupart exclus du monde de l’éducation, même spécialisée. En France, il apparaît que plus d’un tiers des enfants autistes restent sans solution et sont pris en charge tant bien que mal par leur famille. Avec l’adolescence et l’âge adulte, le manque de structures d’accueil se fait encore plus cruellement sentir. Pour certains, le placement dans un milieu hospitalier à vie demeure une solution fatale où des pratiques de contention physique ou par chimiothérapie entraînent la personne dans des régressions intolérables. L’hôpital, lieu de soin, tremplin de guérison, se métamorphose en lieu de sclérose et d’ennui. Ce terrible constat, qui ne peut mettre en cause la qualité professionnelle des soignants, doit être dénoncé. Témoignage : Mon enfant, D., âgée de 20 ans est accueillie à l’hôpital psychiatrique de V. faute de place dans une Maison d’accueil spécialisée. Je ne peux pas dire qu’elle souffre de maltraitance, mais de manque de soins et de prise en charge. Suite à des problèmes de manque d’effectifs et d’eau chaude, D. a connu des périodes de bains à raison de deux fois par semaine alors qu’elle est incontinente urinaire. Egalement par manque d’effectifs, D. est très souvent attachée à sa poussette pendant la journée et attachée à son lit à l’aide de liens aux poignets et aux chevilles pour la nuit. Comment voulez-vous qu’un être humain puisse se sentir bien dans ces conditions de vie ? Heureusement, j’ai encore la santé pour l’accueillir une fois par semaine. Elle peut alors être baignée, promenée et bénéficier de nombreux câlins dont elle a besoin énormément. Cette journée là, je la surveille constamment, mais au moins elle est libre de ses mouvements. Pour moi c’est très dur, mais que deviendra D ; le jour où je ne pourrais plus assurer sa prise en charge. Parents de laissez pas tomber vos enfants, le peu que vous leur apportez, cela les aide à vivre. (M.F.) 40 Un article du journal Le Monde du 23 mai 1998 rapporte, dans un établissement hospitalier spécialisé, les pratiques de contention physique à l’égard de personnes autistes manifestant des comportements d’automutilation ; ces pratiques étant, selon le Médecin psychiatre responsable du service : “ un choix cruel mais bien souvent le seul moyen de protéger les gens contre eux-mêmes ”. Il y a quelques années, en France, une maman mettait fin à la vie de son enfant à qui elle refusait un tel avenir alors qu’elle même et son entourage étaient à bout de ressource pour lui apporter aide et assistance. Cet acte de violence, mais aussi de désespoir ultime, n’a fait l’objet que d’une peine de prison avec sursis; comme si notre société reconnaissait ne pas avoir apporté à cette jeune fille et à sa famille les soutiens qui auraient pu éviter un tel drame. Même lorsque de jeunes enfants ou adolescents ont bénéficié d’aides éducatives ou thérapeutiques correctes pendant plusieurs années, à l’âge adulte, leurs parents assistent impuissants à la détérioration de leur état physique et mental faute de lieux d’accueil adaptés. Cette carence dans les dispositifs de prise en charge constituent à nos yeux une nouvelle violence à l’égard des personnes autistes et de leur famille. De même que le manque de contrôle des pouvoirs publics dans les dispositifs de recrutement des établissements privés. Des dérives quant aux décisions d’orientation et d’accueil sont ainsi notées. Les cas dits “ lourds ” dans les familles aux revenus modestes seront les plus souvent laissés pour compte; la tentation des équipes étant de recruter des personnes d’un niveau d’autonomie plus important et de sélectionner les admissions en vue de la constitution de groupes de personnes posant moins de problèmes de comportements. 41 5.2.2. Un manque de formation des professionnels. Témoignage : Il n’y avait aucun dialogue avec les parents. Le diagnostic d’autisme qui nous avait été confirmé par notre médecin traitant avait toujours été nié lorsque nous l’évoquions. Au bout de quelques mois, G. a été privé de piscine à notre grand étonnement car il avait toujours adoré l’eau. “ Cela lui donnait trop de plaisir et pouvait nuire au développement de la communication ! ” (sic). La méthode de communication par l’image proposée par le centre de C. donnait des résultats très positifs, mais l’hôpital de jour a refusé catégoriquement de l’utiliser. “ Il devait se sortir lui-même de son état ”. “ On n’est pas là pour éduquer ” ! Dans la vie courante, l’enfant était livré à lui-même, les éducateurs ne sachant pas où il se trouvait à la sortie de 16 heures. Il nous était rendu sale, sans ceinture au pantalon, lacets défaits, sentant le tabac. Les enfants vivaient dans une tabagie constante, les éducateurs passant leur journée à fumer près du radiateur l’hiver et au soleil l’été. Notre fils est rentré plusieurs fois avec des traces de coups, agressé par un autre enfant. Le manque de surveillance favorisait bien sûr cet état de fait. Un accident qui aurait pu être tragique s’est produit un jour à la sortie de 16 heures : la porte extérieure étant ouverte sans la présence physique et vigilante d’un éducateur, notre fils s’est échappé et a traversé sous mes yeux la route nationale. Miraculeusement, à ce moment il n’est passé qu’un vélo ! J’en tremble encore aujourd’hui. A douze ans, nous avions un enfant qui n’était plus propre, ni le jour ni la nuit, mangeant avec ses mains, révolté, violent, barbouillant les murs de sa chambre avec ses excréments, cassant les carreaux… Enfin en 1991, G. a été accepté dans un centre spécialisé pour sourds-aveugles à P. Professionnellement nous avons tout quitté, nous avons déménagé. Au bout d’un mois nous avons retrouvé un enfant calme, détendu (sans traitement médicamenteux). En quelques mois il est redevenu propre, a appris à se tenir à table…Le centre a repris avec lui une communication par l’image et en gestuel. Ce centre fait avant tout un travail éducatif : apprentissage de l’autonomie, de la vie sociale. Il existe aussi un gros travail d’échange avec les familles (week-ends Parents, concertation dans l’éducation). Depuis sept ans, G. a progressé, il est heureux et nous avons retrouvé une vie presque normale : partir en vacances, aller au restaurant, etc. Il est bien sûr très handicapé et aura toujours besoin d’une vie protégée, mais l’essentiel est qu’il s’épanouisse à son niveau et c’est le cas. Que dire des années perdues quand on sait que les apprentissages se font dans l’enfance. Quel gâchis pour ces enfants et leurs familles. C’est arrivé il n’y a pas longtemps. Plus jamais ça ! (M. B.) Tout particulièrement en matière d’autisme, définir la violence en institution comme étant “ tout ce qui contredit et contrevient aux lois du développement ” (E. Corbet,1994), nous oblige à un devoir de réévaluation de nos connaissances. Comme tout être humain, la personne autiste est avide d’apprendre et d’agir, mais elle ne peut le faire que dans un cadre adapté à son niveau développemental. En 1983, Alfred et Françoise Brauner avaient, au travers de “ progressions éducatives ” clairement explicitées, pris le pari de la confiance en donnant notamment à ces “ enfants des confins ” les possibilités de dévoiler leurs potentialités et aux intervenants les moyens de les y aider. 42 Les travaux menés en Caroline du Nord (USA) par et autour de l’équipe du Pr. Eric Schopler, ont montrés que le dépistage et l’aide éducative précoce peut apporter à l’enfant autiste et à sa famille l’espoir d’une meilleure insertion sociale. Nous devons pour ce faire mettre en oeuvre des démarches éducatives bien comprises, orientées sur les seules réussites ou émergences de la personne et bannissant toute idée de répression ou de punition, absolument inadaptées. Les accompagnants ont donc aujourd’hui les moyens de comprendre les particularités essentielles de l’autisme et notamment les désordres sensoriels de mieux en mieux cernés. Des outils méthodologiques appropriés permettent aux professionnels d’appréhender avec plus de justesse les compétences et les difficultés de chacun, d’évaluer la compréhension et de mettre en place des modes de communication adaptés, source d’échange et d’action entre la personne autiste et sa famille ou les intervenants. Les témoignages récents d’autistes dits de haut niveau ne peuvent que nous encourager à développer ces relations d’aide active à l’égard des personnes autistes et de leur famille. Les formations traditionnelles ne préparent toujours pas les futurs praticiens ou, plus grave, les préparent mal à être confronté à des personnes atteintes de trouble envahissant du développement. Comme c’est le cas dans l’opinion, l’autisme reste perçu pour beaucoup de professionnels comme la manifestation de comportements bizarres ou agressifs ; ces comportements faisant l’objet d’interprétations sans lien avec les difficultés inhérentes au handicap. Les recherches récentes sur l’autisme obligent donc les professionnels déjà en fonction à un devoir de formation permanente, à une nécessaire “ révolution culturelle ” afin de mieux comprendre les difficultés des personnes autistes qui leur sont confiées. 5.2.3. Un faisceau de paramètres psychologiques et sociaux. Dans un mémoire présenté en 1988 à la faculté de Médecine de Créteil (Université de Paris Val de Marne), le Docteur Michel Preel propose une “ réflexion sur l’agression des éducateurs d’un Institut Médico-éducatif sur des enfants déficients intellectuels ”. Il s’agit d’une étude des motivations d’actes moralement mais pas pénalement répréhensibles dont le caractère gênant et déviant apparaît à leurs auteurs. Celle-ci est complétée d’une approche neurologique, d’une analyse comparative avec l’éthologie animale et d’études sociologiques. Certaines conclusions de Dr Preel peuvent nous aider dans notre travail de réflexion : “- De la neurobiologie, nous avons appris que le comportement d’agression ne peut être perçu comme une entité isolée mais qu’il s’inclut dans l’ensemble des comportements. - L’éthologie animale nous fait concevoir l’agression comme un phénomène normal présent dans toutes les structures groupales. Elle assure la cohésion de la communauté et permet le respect des individualités. Ainsi, l’agression pour l’éducateur représente une défense contre l’envahissement de son territoire ou contre l’impression d’être dominé par l’enfant dont il a la charge. - Des études sociologiques, nous apprenons que l’environnement peut être responsable d’une exacerbation de l’agression ou d’un contrôle de celle-ci. ... - Des études spécialisées sur la relation thérapeutique, nous dégageons la notion de mécanismes de défense. Il semblerait que la relation avec l’enfant déficient intellectuel, d’autant qu’il souffre de carence affective et de troubles de la personnalité, crée chez chacun des éducateurs, un sentiment d’angoisse... ”. 43 Ainsi, “ l’agression apparaît bien souvent comme le paradigme de l’échec de tous les espoirs portés sur lui (l’enfant) ”. La conclusion générale de l’étude du Dr Preel débouche sur une impasse. En effet, les motivations de tels comportements d’agression dépendent d’un faisceau de paramètres. Il s’agit donc le plus souvent d’examiner les phénomènes qui déclenchent les actes d’agression. C’est ce qu’ont tenté de faire Stanislaw Tomkiewicz et Pascal Vivet (1991), Ces auteurs illustrent par des exemples concrets des situations avérées de maltraitance institutionnelles et présentent quelques caractéristiques des institutions propres à favoriser les violences. Ils relèvent ainsi : L’application à outrance d’une idéologie : “ lorsqu’elle est considérée comme transcendante, et ses intérêts comme supérieurs à ceux des usagers ; peu importe qu’elle soit comportementaliste, psychanalytique, marxiste ou catholique ”. “ Partout où l’on attache plus de valeur et d’importance à la théorie qu’aux enfants et aux adolescents, la violence risque un jour d’apparaître ” L’absence de personnel qualifié : “ La qualité des éducateurs semble capitale. En effet, le manque de qualification rend le personnel fragile, lui enlevant toute sécurité d’emploi et le mettant à la merci de la direction dans la perspective économique actuelle ”. La toute puissance du directeur : le plus souvent obnubilé par une idéologie, mais aussi à contrario “ une institution soumise à une dictature syndicale est à risque de maltraitance par négligence et abandon des enfants ”. le discours institutionnel : “ commun à la direction et à ceux qui lui sont dévoués, il a comme but implicite de glorifier plutôt que de justifier, la méthode de l’institution et de prévenir toute remise en cause et surtout toutes accusations de violence ”. Témoignage : FRUSTRATION : Le Médecin-chef et son équipe avaient tenté de nous convaincre sans succès que leur pratique qui consistait à infliger continuellement des contrariétés aux autistes était en fait “ une méthode thérapeutique visant à évaluer leur résistance et leur réaction à la frustration ”. Il y avait là une grande incohérence car sitôt qu’un enfant réagissait à la frustration, il était immédiatement conditionné par l’administration de neuroleptiques ! CONVOCATION : de C. et de ses parents devant un “prétoire ” présidé par le MédecinChef assisté de Mme la Surveillante-chef. Lors de ce prétoire, notre fils était mis en accusation avec obligation pour les parents de porter remède à la situation. EXCLUSION : allant de 24 heures à 3 jours sans se soucier nullement du problème posé par la garde puisque la mère travaille. Tout cela faisant partie de la thérapie, disaient-ils (M. A., France) 44 5.3. LA PREVENTION DES RISQUES DE MALTRAITANCE Les professionnels doivent toujours se situer dans des pratiques respectueuses de l’intégrité physique et morale de la personne. Même si nous sommes conscients que le rassemblement de personnes contraintes de par leur condition de personne handicapée de vivre ensemble au sein de collectivités ne représente pas des conditions de vie naturelles auxquelles chacun de nous aspire, il importe de toujours bien mesurer le niveau de contrainte et d’acceptation du placement institutionnel. Les acquis et les succès ne peuvent s’obtenir que par la collaboration et la compréhension. La personne handicapée ne peut être privée de la liberté de développer en toute autonomie son projet de vie, et l’humanisation des lieux de vie doit passer par la réalisation d’objectifs prenant en compte cette aspiration, éventuellement de façon symbolique. Quelque soit son handicap et quelque soit son niveau de compréhension, elle doit avoir la possibilité de percevoir ce qui se passe pour elle, pourquoi elle ne vit plus avec ses parents, pourquoi elle doit assumer sa vie d’adulte. Des activités adaptées doivent donner sens à sa vie et développer ses compétences et ses centres d’intérêt. Des moyens appropriés doivent lui permettre d’exprimer des choix quant à son travail ou à ses loisirs. En matière d’autisme, les enjeux se traduisent en terme de formation mais aussi d’observation et surtout d’action et d’imagination créatrice pour pallier aux troubles de la personne. En terme de prévention, il nous appartiendra d’entamer une réflexion sur les critères de recrutement des personnels dans les établissements et de déterminer les moyens d’encadrement et de supervision du travail au travers des protocoles d’intervention précis et avérés évitant les confusions et les équivoques. Pour faire face au phénomène de maltraitance dont l’ampleur est de plus en plus évidente dans nos sociétés, l’accent est désormais mis sur des mesures de prévention nouvelles et originales : l’information précoce aux enfants, lieux de parole, associations d’accueil aux victimes, numéro téléphonique d’appel de détresse, etc. Il doit en être ainsi en matière d’autisme. 5.4 CONCLUSION Nous affirmons, et l’expérience nous renforce dans cette conviction, que l’accumulation des difficultés résultant du tableau complexe de l’autisme entraîne cette catégorie de handicapés dans une vulnérabilité accrue. La caractéristique rigide de la personnalité autistique tend à renforcer en nous cette violence, ultime recours face à l’incompréhension, le découragement ou l’usure. De plus, chez beaucoup de personnes autistes, la dimension du handicap mental est difficilement mesurable. Bien des troubles du comportement peuvent de prime abord être faussement interprétés comme résultant d’une pathologie caractérielle. La tentation est grande d’interpréter les comportements comme du refus ou de la provocation entraînant une escalade de répression et de sanction. Nous attendons des chercheurs et des scientifiques qu’ils multiplient les travaux et les expériences pour mieux mettre en lumière la nature des nombreux déficits de la personne autiste et nous éclairent notamment sur les problèmes sensoriels encore mal connus. 45 L’espoir est de voir s’arrêter la spirale de la violence dans laquelle ni la famille ni le professionnel, ni la personne autiste, ne se reconnaît ni ne se complaît. Pour cela, nous devons : • convenir que la seule thérapie bien intentionnée est de chercher à mieux décrire la réalité et le fonctionnement particulier de la personne autiste si différent de nos codes et de nos normes, • nous entraîner à une approche active en déterminant de façon concrète les niveaux d’aide à mettre en place pour atteindre des objectifs parfois bien modestes mais dont le réalisme même sera le gage de la réussite, • être à l’écoute des difficultés de la famille et considérer comme objectif prioritaire tout ce qui peut améliorer l’organisation du jeune au sein de la cellule familiale, • travailler en partenariat étroit avec les familles pour profiter des observations judicieuses qu’elles apportent sur leurs enfants et échanger sans réserve les informations et les résultats obtenus, • savoir qu’accompagner la personne autiste peut parfois aussi être accompagner l’échec, mais qu’il faut pouvoir s’émerveiller devant le plus petit progrès. REFERENCES Ouvrages : Brauner, A. & F. (1976) Les enfants des confins. Grasset Brauner, A. (1983) Progressions éducatives pour handicapés mentaux. Paris, PUF Schopler, E. & Mesibov, G.B. (eds) (1984) Autism in adolescent and adults. New York, Plenum Publishing corporation. Schopler, E., Lansing, M., Wauters, L. (1993) Activités d’enseignement pour enfants autistes. Paris, Masson. Tomkiewicz, S. et Vivet, P. (1991) Aimer mal, châtier bien. Paris, Seuil. Articles : Corbet, E. (1994) Violence en institution. A la recherche d’outils de prévention. Handicaps et Inadaptations - Les cahiers du CNTERHI n° 61 Rosenczveig, J.P. (1997) Les problèmes liés à l’obligation de signalement. Association Nationale des Communautés Educatives, Paris. Preel, M. (1988) Réflexion sur l’agression des éducateurs d’un Institut Médico-Educatif sur des enfants déficients intellectuels. Mémoire pour l’obtention du CES de Psychiatrie, Faculté de Médecine de Créteil, Université de Paris Val-de-Marne Actes de colloques : Prévention de la maltraitance et des abus en milieu institutionnel accueillant des personnes handicapées (1995). Département de la prévoyance sociale et des assurances., Actes du colloque du 21 avril 1995, Lausanne. Soin de la violence, violence du soin (1997). 46 Commission “ Maltraitance et Handicap ”, Département de la prévoyance sociale et des assurances, Actes du colloque du 16 avril 1997, Lausanne. Numéros spéciaux de revues : La maltraitance de l’enfance (1997) Réalités familiales. Revue de l’Union Nationale des Associations Familiales. N° 45 47 CHAPITRE 6 : PREVENTION DE LA VIOLENCE / INTERVENTION SUR LA PERSONNE ATTEINTE D’AUTISME Dr Paula Pinto de Freitas Université de Porto (P) APPDA 6. INTRODUCTION Nous croyons que l’enfant, l’adolescent ou l’adulte atteints d’autisme constituent, du fait de leurs handicaps, un « groupe à risques » et peuvent faire l’objet de négligences ou subir de mauvais traitements. Pour prévenir la violence, il faut tout d’abord la reconnaître et la définir, et dans le cas des personnes autistes la définir par rapport à la personne autiste. Violence active (maltraitance) et passive (négligence, abandon) - corporelle/physique, psychologique ou sociale. 6.1 VULNERABILITE La triade de perturbations au niveau de la communication, des interactions sociales et de l’imagination qui caractérisent l’autisme, les altérations comportementales, particulièrement les comportements d’auto et hétéro-agressivité, la déficience mentale qui y est associée dans 75-80 % des cas, le non-développement du langage (50 % des cas) ou leurs difficultés dans l’utilisation du langage pour communiquer avec les autres (langage fonctionnel), leur hypersélectivité de certains stimuli sensoriels qui leur fait percevoir certains stimuli (par exemple sonores) comme très agressifs, rendent les personnes autistes particulièrement vulnérables aux mauvais traitements et en font un groupe à risques. Les déficiences cognitives des personnes atteintes d’autisme, particulièrement leurs difficultés à développer une « théorie de l’esprit » (theory of mind), font qu’on les considère comme aveugles du point de vue social (mindblindness). Elles ont une grande difficulté à lire les émotions, les intentions ou les pensées des autres. Uta Frith les appelle des « behaviourists » parce que le sens qui se cache derrière les comportements leur échappe souvent et à cause de cela, seul le comportement manifeste prend à leurs yeux de l’importance. Du fait de leurs difficultés à comprendre le sens caché des actes des autres personnes, les personnes autistes font souvent preuve d’une grande ingénuité. Ce qui fait d’elles des personnes à haut risques susceptibles d’être victimes d’abus. Les autres aspects qui doivent être pris en considération sont les difficultés qu’elles ont à donner un sens général aux perceptions (a weak drive for central coherence). comme par exemple la valorisation d’une attitude ou d’un comportement particulier dans des contextes différents. A notre avis, elles sont, de ce fait, encore plus vulnérables. De plus, une intervention pédagogique pour leur enseigner ce que sont les comportements abusifs, en particulier ceux qui peuvent être nuancés selon le contexte relationnel et social devient d'autant plus difficile. Les perturbations au niveau des fonctions d’exécution concernent les capacités nécessaires à définir des stratégies pour résoudre des problèmes. Ces capacités incluent la possiblité de : désengagement du contexte externe, inhibition des réponses impropres, planification des 48 séquences d’actions désirées, contrôle de l’exécution et utilisation du feedback, flexibilité de l’attention. Ces perturbations peuvent nous aider à comprendre les difficultés qu’ont les personnes autistes à évaluer les comportements des autres personnes dans différents contextes sociaux et en particulier les comportements abusifs, et à donner les réponses adaptées, qui leur permettent ainsi de se défendre contre les abus. 6.2 PREVENTION Nous croyons qu’un des aspects à faire prévaloir dans la prévention de la violence est justement la promotion d’une croissance et d’un développement harmonieux chez les personnes autistes, en les élevant dans l'environnement le moins restrictif possible. On peut parvenir à ces objectifs en respectant les Droits des Personnes Autistes. A - Le droit pour les personnes autistes à d’un diagnostic et à une évaluation clinique précise, accessible et sans parti pris (Droit n°2 de la Charte des Droits des Personnes Autistes) Ce diagnostic devra être fait le plus tôt possible. C’est difficile de faire un diagnostic d’autisme avant les trois premières années, et il faut être prudent avec les programmes de diagnostic précoce parce qu’il y a un risque de faux diagnostic (positif et négatif). Mais, de toutes façons, il est possible d’identifier des enfants perturbés au niveau de la communication, de la relation et de l’imagination dès 18 mois. La Checklist for Autism in Todlers (CHAT) de Baron-Cohen entre autres, est un instrument utile à un diagnostic précoce. Les enfants qui ont des troubles touchant deux ou plusieurs aires développementales déjà évaluées (jeu du « comme si » (pretend play), attention partagée, montrer du doigt, intérêt social et jeux sociaux) constituent un groupe à haut risque pour un futur diagnostic d’autisme. Les enfants atteints d’autisme devront toujours bénéficier d'une évaluation médicale permettant le diagnostic des maladies organiques associées (35 % des enfants atteints d’autisme ont une maladie organique qui peut être diagnostiquée - C. Gillberg et M. Coleman - 1992). L’évaluation neuropsychiatrique proposée par Gillberg (1992) peut être un guide utile. L’importance d’un diagnostic précoce n’est pas tant le diagnostic en lui-même que le fait qu’il permette la définition d’un plan de prise en charge et une intervention précoce. B - Le droit de recevoir une éducation appropriée, accessible à tous, en toute liberté (Droit n°3 de la Charte des Droits des Personnes Autistes) L’autisme est un trouble envahissant du développement, ce qui veut dire que plusieurs domaines (communication, compréhension sociale, imagination) sont touchés par les « troubles qualitatifs » du développement. La plupart des personnes atteintes d’autisme auront donc besoin d’une prise en charge et d’une éducation spécialisée durant toute leur vie. L’enfant atteint d’autisme a droit à une éducation individualisée, planifiée, incluant une participation active de sa famille, et considérant la spécificité, les besoins et les potentialités de chaque enfant, qui aura auparavant bénéficié d'une évaluation individualisée. 49 Un programme personnalisé devrait être établi afin de répondre aux besoins de la personne. Celui-ci pourrait inclure une intégration aux systèmes scolaires « normaux » avec éventuellement des programmes spéciaux. Dans tous les cas, les enseignants devront être conscients des besoins particuliers de la personne et de la famille. L’éventail d’options disponibles devrait inclure la possiblité de classes spéciales ou d’écoles pour personnes atteintes d’autisme. Les parents et les autres membres de la famille devraient être des partenaires activement impliqués dans le programme éducatif ; l’expérience montre qu’une telle participation est particulièrement bénéfique. Toute prise en charge éducative devra être planifiée, devra expliciter ses raisons d'être, les progrès envisagés, les moyens de les obtenir et devra être soumise à des évaluations périodiques. Les facilités d'éducation adéquate ne devraient pas être un fardeau financier pour les familles des personnes atteintes d’autisme, qui devront jouir des mêmes droits à l’enseignement que les familles ayant des enfants sans handicap. Objectifs du traitement éducatif : Favoriser le développement de la communication verbale et non-verbale, de la compréhension sociale, des compétences sociales, des interactions sociales et des compétences cognitives. Favoriser l’acquisition de compétences fonctionnelles, qui peuvent être utilisées dans différents contextes. Maintenir une approche normative, écologique, qui assure aux personnes autistes un style de vie le plus proche possible des personnes non handicapées du même âge. Le choix des activités scolaires, des activités de loisirs et même le fonctionnement des institutions spécialisés doivent refléter cet état d'esprit. A l’âge pré-scolaire : promotion du développement global A l’âge scolaire : adoption d’un curriculum scolaire adapté A l’adolescence : envisager l’avenir, la vie sociale et communautaire et la transition vers l’âge adulte. On recommande, tout particulièrement dans le domaine de la prévention de la violence, la recherche et le développement de programmes éducatifs de prévention de la violence qui peuvent aider les personnes atteintes d’autisme à développer des compétences et stratégies pour se protéger de la violence. C- Le droit d'être élevé dans un environnement le moins restrictif possible, d'avoir accès à la culture, aux loisirs, aux activités récréatives et sportives et d’en jouir pleinement (Droit n°12 de la Charte des Droits des Personnes Autistes). La lutte contre le repli des personnes autistes sur elles-mêmes, contre l’isolement au sein de la famille ou de l’institution est un des moyens de prévenir les mauvais traitements (dans un environnement ouvert, les mauvais traitements seront plus visibles et par conséquence auront moins de chance de se produire et seront plus faciles à dénoncer/contrôler). 50 D - Le droit de profiter et d’utiliser tous les équipements, services et activités mis à la disposition du reste de la communauté (Droit n°13 de la Charte des Droits des Personnes Autistes). Pour la grande majorité des personnes atteintes d’autisme, un soutien sera nécessaire afin de les encourager à être indépendants, de les aider à imposer leurs droits et à prendre leurs responsabilité dans ces domaines. Bien que cela ne soit pas toujours évident, la personne atteinte d’autisme se soucie de son apparence, de ses réalisations, de ses aptitudes et de son indépendance, de la même façon que la personne non handicapée. En développant tous ces domaines, la personne atteinte d’autisme acquiert plus de confiance et plus de dignité en elle-même. E - Le droit pour les personnes atteintes d’autisme à ne recevoir aucune thérapeutique pharmacologique non appropriée et/ou excessive (Droit n°18 de la Charte des Droits des Personnes Autistes) Il n’y a pas des thérapeutiques pharmacologiques spécifiques pour l’autisme, les pharmacologies sont utilisées pour contrôler des symptômes (par exemple : instabilité, stéréotypies, irritabilité, comportements d’auto et hétéro-agressivité, dépression, isolement..). il y a aussi des maladies associées à l’autisme qui ont besoin de thérapeutique pharmacologique spécifique (par exemple, l’épilepsie). Mais toute médication doit être soumise à une évaluation rigoureuse et continue de ses effets (désirables et secondaires). En effet, seule une évaluation rigoureuse et continue permet de prendre la décision de maintenir (et à quelle dose) ou de suspendre une thérapeutique. LES 10 PRINCIPES DE PHARMAUTISME DE J. FUENTES (1998) 1 . Non, il n’existe pas de médicaments pour soigner l’Autisme. On a essayé beaucoup de médicaments mais aucun n’a réglé les problèmes fondamentaux que nous appelons Autisme. 2 . Oui, il existe des médicaments qui peuvent être efficaces pour traiter les troubles psychiatriques ou certains comportements des personnes atteintes d’autisme. 3 . Non, on ne doit pas avoir recours aux médicaments lorsque nous ne sommes pas capables d’obtenir avec d’autres méthodes les progrès souhaités chez la personne atteinte d’autisme. Il n’existe pas, à l’heure actuelle, de traitement pour l’autisme et les médicaments peuvent compliquer encore plus la situation. 4 .Oui, les médicaments peuvent être un complément à un programme de traitement multimodal et rendre plus efficaces d’autres interventions. 5. Non, il ne faut pas utiliser les médicaments comme substituts d’autres traitements sociaux et éducatifs, ni pour pallier des carences structurelles comme par exemple un manque de personnel qualifié. 6. Oui, il faut toujours penser que lorsqu’on donne un médicament, on tente un essai sans être sûr du résultat. Aucun médicament ne doit être, en principe, administré toute la vie. 51 7. Non, on ne doit pas administrer de médicaments psychotropes sans s’être assuré auparavant que les problèmes de comportement n’ont pas une origine physique, tout particulièrement lorsqu’il s’agit de petits enfants ou de personnes non verbales (l’agitation peut être due à un mal de dent, à un mal de tête, à une otite, etc.) 8. Oui, il faut toujours suivre les instructions du personnel médical : ne pas augmenter ou diminuer la dose sans autorisation ; ne pas raccourcir ou prolonger les traitements sans le contrôle nécessaire. 9. Non, il ne faut pas espérer que les médicaments psychotropes soient sans effets secondaires. Presque tous les médicaments ont des effets positifs et négatifs, et en terme général il faut bien peser le pour et le contre. 10. Oui, les personnes atteintes d’autisme, dans la mesure de leurs possibilités, les familles et les professionnels concernés doivent être toujours impliqués et informés des limites, risques et bénéfices potentiels des médicaments. La personne autiste et/ou son tuteur légal ont le droit de donner un consentement éclairé et c’est au professionnel qui prescrit les médicaments qu’incombe l’obligation de fournir les données nécessaires pour qu’ils puissent prendre leur décision en connaissance de cause. F- Le droit pour les personnes atteintes d’autisme à une formation répondant à leurs souhaits et à un emploi significatif, sans discrimination ni idées préconçues (Droit n°10 de la Charte). La formation et l’emploi devrait tenir compte des capacités et des goûts de la personne. Les personnes atteintes d’autisme devraient avoir la possibilité d’accomplir une variété de tâches et de partager une variété d’expériences de travail. Il ne peut y avoir un choix possible que si une telle variété existe et lorsque les gens en sont conscients. A cause des difficultés qui leur sont inhérentes, les personnes atteintes d’autisme, pourront nécessiter une aide considérable dans l’accomplissement des tâches en question. Des efforts devront être faits pour leur enseigner et les encourager à essayer de nouvelles tâches qui peuvent parfois, à première vue, apparaître comme un défi et sembler dépasser leurs capacités. Les activités de chaque individu doivent être reconsidérées régulièrement afin de s’assurer qu’elles reflètent les aspirations et les capacités de développement de l’individu, et aussi pour prévenir qu’il devienne victime d’exploitation. Même lorsqu’une personne autiste semble satisfaite de son travail, il peut être approprié de considérer l’expérience avec une alternative. La personne peut préférer son premier emploi et la possibilité d’y retourner devrait exister. G- Le droit pour les personnes autistes d’avoir des relations sexuelles y compris dans le mariage, sans y être forcées ou exploitées (Droit n° 14 de la Charte) Comme tous les citoyens, les personnes autistes ont le droit d’avoir des relations sexuelles et autres (y compris de se marier) sans y être forcées ni exploitées. Elles ont le droit de ce fait à recevoir des conseils appropriés, notamment sur les méthodes contraceptives. 52 H - Le droit pour la personne atteinte d’autisme aux conseils et aux soins appropriés pour leur santé mentale et physique et pour leur vie spirituelle (Droit n° 9 de la Charte). Ceci signifie que leur soient accessibles des traitements et des médications de qualité et qu’ils leur soient administrés seulement à bon escient et en prenant toutes les mesures de précautions nécessaires. Les personnes atteintes d’autisme sont soumises à la même série de problèmes de santé que n’importe quelle autre personne. Parce qu’ils sont souvent incapables d’exprimer un sentiment de malaise, ou l’exprime sous une forme mal adaptée (par exemple, instabilité, comportements d’auto ou d’hétero-agression), la famille et le personnel d’encadrement doivent être particulièrement attentifs à tout signe de problème de santé. Des contrôles de santé réguliers devraient être réalisés et les résultats des examens médicaux (avec contrôles de la vue, de l’audition, des dents...) devraient être enregistrés. Lorsque les problèmes sont identifiés, le traitement devra être appliqué avec une attention toute particulière quant aux effets (désirés ou secondaires). Les traitements médicaux, en particulier l’avortement et la stérilisation pour raisons autres que médicales, ne devraient pas être appliqués à une personne autiste sans son consentement éclairé ou, si elle est incapable de donner son consentement, sans le consentement de son tuteur légal dans le cadre de la loi. Toutes les mesures nécessaires doivent être prises pour obtenir son consentement éclairé, y compris des conseils adéquats et le soutien de la personne autiste et de sa famille ou tuteur. Les personnes atteintes d’autisme rencontrent les mêmes problèmes que les autres membres de la société et souvent sous des formes plus graves. Deuils, séparations et éloignement des personnes et lieux familiers sont stressants pour tous mais, les effets peuvent être dévastateurs pour ceux dont la compréhension est incomplète. Des conseillers avec une bonne compréhension de l’autisme devraient être disponibles pour aider, conseiller et soutenir la personne atteinte d’autisme lorsqu’elle traverse ces périodes difficiles. I - Le droit de ne pas être soumis à la peur ou à la menace d’un enfermement injustifié dans un hôpital psychiatrique ou dans toute autre institution fermée Droit n°16 de la Charte). La menace d’enfermement est une violence psychologique et l’enfermement injustifié est une agression et un attentat à la dignité et à la liberté individuelle, droits fondamentaux de la personne. L’inexistence de services ou d'institutions adaptées aux besoins des personnes atteintes d’autisme peut conduire à l’enfermement injustifié. J - La participation des personnes atteintes d’autisme (ou leurs représentants) à toutes les décisions qui les concernent doivent être encourager (Droit n° 4 de la Charte). Les désirs de l’individu doivent, dans la mesure du possible, être reconnus et respectés. Aucun effort ne devrait être épargné dans l’explication des options disponibles. Aucune tentative ne devrait être faite dans le but d’obtenir des réponses particulières par la tromperie ou par l’omission de détails significatifs. 53 Même les personnes atteintes de formes sévères de handicap et incapables de s’exprimer verbalement peuvent manifester leurs préférences par leur comportement, humeur, plaisir, ou dégoût. Ceux qui les connaissent (parents, personnel soignant) sont d’habitude capables de décoder leurs signes et comprendre leurs préférences. Il est reconnu qu’il n’est pas toujours dans l’intérêt de la personne autiste que tous ses désirs soient réalisés, mais lorsque des souhaits, exprimés ou non, sont rejetés, il faudrait fournir des explications à la personne autiste. Tous les enregistrements d’accords devraient être soumis à l’approbation de la personne autiste et/ou de ses représentants. K - Le droit pour les personnes atteintes d’autisme (ou leurs représentants) d’avoir accès à leur dossier concernant le domaine médical, psychologique, psychiatrique et éducatif (Droit n°19 de la Charte). Les informations personnelles contenues dans de tels registres ne devraient pas être communiquées à des organismes externes, chercheurs y compris, sans la permission expresse des personnes ou de leurs représentants. L - Le droit de ne pas subir de mauvais traitement physique, ni de souffrir de carences en matière de soins (Droit n°17 de la Charte). C’est pour mettre en pratique ce droit que nous essayons de définir ce Guide de bonnes pratiques, mais il faut toujours rappeler que les punitions physiques ne sont jamais acceptables dans l’éducation de ces enfants. L’utilisation de la violence conduit à une escalade de violence, la victime d’aujourd’hui peut devenir l’agresseur de demain. Le contrôle pharmacologique ou physique des comportements d’auto ou d’hétero-agressivité qui surgissent dans ce contexte, serait intégré dans un nouveau cycle de violence. La carence en matière de soins est un autre aspect que l’on peut prévenir, mais il faut aussi rappeler que la carence de soins peut aussi induire une altération de comportements qui amène l’usage de contrôle pharmacologique ou physique et un autre cycle de violence s’installe. Il faut interrompre la spirale de violence grâce aux bonnes pratiques. REFERENCES Charte Autisme-Europe et appendices Pharmautisme de J. Fuentes 1998 Autism. Explaining the enigma - Uta Frith, 1993 Autism - an introduction to psychological theory - F. Happé, 1994 Autism and Learning - A guide to good practice - Stuart et Rita Jordan, 1997 L’autisme. De la compréhension à l’intervention - Theo Peeters, 1996 Autism - preparing for adulthood - Patricia Howling, 1997 The biology of the autistic syndrome - C. Gillberg, M. Coleman, 1992 A. Bailey, W. Philips, M. Rutter, 1996 : Autism : towards an integration of clinical, genetic, neuropsychological, and neurobiological perspectives. J. of Child Psychology and Psychiatry, 37, 89-126 54 Invisible victims - crime and abuse against people with learning difficulities - C. Williams, 1995 55 CHAPITRE 7 : FAMILLE PREVENTION DE LA MALTRAITANCE EN Dr Donata Vivanti Présidente ANGSA LOMBARDIA Mère de jumeaux autistes 7.1 ACTION SUR LA FAMILLE 7.1.1 L‘INFORMATION Pour pouvoir soulager l’angoisse et l’incertitude des parents face à un enfant tellement différent et réduire ainsi les risques de maltraitance en famille, il faut d’abord que le diagnostic d’autisme soit accessible et précoce. Il est indispensable aussi que les parents reçoivent au plus tôt une information correcte sur l’origine et les caractéristiques du syndrome autistique, dans le but de les aider à mieux comprendre et à aborder les problèmes spécifiques de leur enfant. Il est aujourd’hui inacceptable non pas seulement de culpabiliser la mère, mais aussi de taire un doute que le diagnostic d’autisme même peut entraîner: les professionnels devraient être très explicites sur ce point et commencer par libérer les parents de tout sentiment de culpabilité et de tout préjudice. Pourtant l’idée que son enfant est atteint d’un handicap permanent, et souvent d’un retard mental, peut être difficile à accepter, alors que l’espoir de pouvoir résoudre tout problème en changeant soi même est tellement plus séduisant. Il faudra expliquer que le diagnostic de handicap mental n’est pas une condamnation à vie, qu’une bonne prise en charge pourra améliorer de manière significative les capacités de l’enfant qui a, de son côté, droit au respect et à la confiance de tout le monde. En outre, à cause de l’hétérogénéité des manifestations et des niveaux de développement, le diagnostic d’autisme n’explique pas encore aux parents assez sur leur enfant: il faut aussi leur fournir une évaluation individuelle de ses capacités et de ses possibilités pour le protéger des attentes excessives et des échecs éducatifs de la famille. 7.1.2 LA FORMATION “Mon enfant ne me regarde pas, il n’obéit pas, il se comporte comme si nous n’existions pas, il semble se moquer de nous. Comment devons nous nous conduire avec lui?” Beaucoup de professionnels répondent à cette question: “Soyez tout simplement des parents”. Mais être les parents d’un enfant autiste, ça n’est pas simple du tout: il faut connaître la diversité de l’autisme, les stratégies pour obtenir l’attention et la collaboration de la personne autiste, les difficultés sous-jacentes aux problèmes de comportement, et apprendre à se comporter avec lui. Lorsque les services n’offrent pas assez d’information dès le début, la famille, pour survivre, est obligée de s’informer elle même, et dans le souci de ne rien négliger qui puisse aider l’enfant, elle risque de se perdre dans un méandre de messages confus, balancée continuellement entre espoir et déception: c’est la période de la “thérapie d’un jour”. Les parents ne devraient pas appliquer de leur propre initiative de nouveaux traitements médicaux, pharmacologiques et diététiques sans avoir au préalable consulté des professionnels avisés. Il est souhaitable au contraire que les professionnels, après avoir informé la famille des caractéristiques de l’autisme et après avoir évaluer les capacités de l’enfant, prennent en charge la formation de la famille, soit par des cours théoriques dédiés aux parents ou communs pour parents et professionnels, soit par la collaboration active à 56 des programmes individualisés de prise en charge et de généralisation des compétences à la maison à l’aide de séances de travail en commun. 7.1.3 L’IMPLICATION DANS LA PRISE EN CHARGE La famille a un rôle éducatif primordial à l’égard de son enfant, et aucun parent ne peut accepter d’assister passivement à son développement: un programme d’intervention devrait être créé en tenant compte de la connaissance profonde que n’importe quelle famille a de son enfant, de ses priorités et de son style de vie, mais aussi prévoir la participation des parents en tant que partenaires actifs du plan éducatif. Malheureusement, il arrive trop souvent que les parents, surtout les mères d’enfants autistes, perdent aux yeux des professionnels leur identité et leur dignité de personne: tout ce qu’ils ont fait dans leur vie, leur humanité même ne vaut plus rien , ils se sentent considérés, en tant que parents d’enfants handicapés, incapables eux mêmes. L’implication active de la famille dans un programme de prise en charge accroît les chances de l’enfant de se développer au mieux, et au même temps représente le moyen le plus efficace pour soulager les parents des sentiments de culpabilité et d’inadéquation, en leur rendant leur rôle éducatif et la confiance en leurs capacités. Les parents pourront ainsi comprendre peu à peu que “être mieux” ne signifie pas nécessairement “être plus normal”, et après les premiers succès ils commenceront bientôt à aimer et à respecter la spécificité de leur enfant. Les risques de maltraitance en famille seront ainsi nettement diminués. 7.2 ACTION SUR L’ENVIRONNEMENT 7.2.1 LA PLANIFICATION DE LA PRISE EN CHARGE ET LA COORDINATION DES SERVICES Pour prévenir la violence domestique à l’égard des enfants autistes, chaque enfant devrait être diagnostiqué dès que possible et tous les professionnels impliqués dans les soins à l’enfance devraient recevoir une formation adéquate sur l’autisme et devraient au moins avoir les compétences nécessaires pour référer la famille le plus vite possible aux services spécialisés. Un service de diagnostic n’a pas de sens s’il ne pourvoit pas à une évaluation et à un programme d’intervention individualisée pour l’enfant, adapté à ses besoins et aux ressources de son environnement de vie, et supervisé régulièrement. L’angoisse de la famille en face d’un avenir incertain pourrait ainsi être soulagée par la programmation précoce de la prise en charge de l’enfant pendant toute la journée et toute la durée de sa vie. Cela demande évidemment une collaboration entre services, institutions et familles, dans une cohérence d’intervention par toute personne impliquée, et un programme politique de création de lieux de prise en charge adaptés pour les autistes adultes quel que soit leur niveau : ateliers protégés, lieux de vie, etc. Il est d’ailleurs logique qu’un trouble envahissant tel que l’autisme, qui atteint plusieurs domaines, éducatif, psychologique, médical, etc., demande une intervention généralisée; l’ intervenant qui travaille sans collaborer avec les autres personnes impliquées, y compris les parents, sera responsable de ne pas avoir donné toutes les chances possibles de développement à la personne autiste. 7.2.2 LE SOUTIEN SOCIAL ET EMOTIF Il faudrait aider les parents de personne autiste à garder le même style de vie et les mêmes relations sociales qu’avant la naissance de l’enfant, ce qui implique la disponibilité de 57 services organisés et accessibles et de personnel formé et compétent qui lui permettent de maintenir leurs emplois et leur cercle d’amis, mais aussi de trouver le temps pour cultiver les rapports de couple et de s’occuper des autres enfants. En effet il ne faut pas oublier que la famille de l’enfant autiste n’est pas exempte des problèmes de tout le monde, difficultés financières, maladies ou les devoirs à l’égard des parents âgés. Une chose est sûre : le risque de maltraitance pour l’enfant diminue s’il n’est pas le pivot, mais tout simplement un membre de la famille présentant un problème supplémentaire. Des moments de répit, la chance pour les parents et les frères et soeurs de jouir de brèves périodes de vacances en sachant que leur enfant est confié à des personnes compétentes dans un milieu adapté, donnent la possibilité de se recharger et de trouver des nouvelles énergies pour affronter les difficultés de la vie quotidienne. La solidarité et la compréhension des autres parents d’enfants autistes au sein des associations représentent aussi un soulagement émotif, mais elles ne devraient pas remplacer les relations sociales et les intérêts cultivés au dehors de l’autisme, faute de devenir une nouvelle source de marginalisation. L’aide concrète des services pour maintenir la vie sociale et relationnelle au sein et en dehors de la famille, une perspective digne pour l’avenir de l’enfant, la confiance des professionnels et par conséquent la confiance en soi et dans les possibilités de l’enfant représentent le soutien émotif le plus efficace, lorsque les professionnels impliqués sont vraiment motivés et spécialisés dans l’autisme. 7.3 LE ROLE DES ASSOCIATIONS DE PARENTS 7.3.1 INTRODUCTION En représentant un pont entre les familles et les services; les associations de parents ont un rôle très important et en même temps très délicat dans la prévention des abus à l’égard des enfants autistes ; au delà de l’influence que les associations sans but lucratif ont dans chaque pays, elle sont le porte-parole des parents et peuvent contribuer à prévenir la maltraitance en collaborant avec les services et les institutions. L’autisme est pourtant un domaine encore assez peu connu, surtout en ce qui concerne les causes et en conséquence les stratégies d’intervention. Il n’existe malheureusement pas encore une solution définitive ou des recettes valables pour tout le monde: ce qui donne aux associations de parents d’enfants autistes la tâche supplémentaire d’orienter les choix des parents et des services vers les types de prise en charge les plus adaptés aux caractéristiques du handicap et de l’enfant et en même temps les plus respectueux des droit de la personne. 7.3.2 ACTIONS SUR LA FAMILLE 7.3.2.1 Informations sur l’autisme S’il est souhaitable que l’information aux parents soit d’abord donnée par les services chargés de la prise en charge de l’enfant , même si les associations peuvent contribuer à libérer le champ des fausses croyances sur l’autisme par le moyen de publications, diffusion de matériel de vulgarisation, organisation de congrès ou séminaires dédiés aux parents, entretiens privés, dans le but d’accroître la compétence des parents et d’améliorer ainsi la qualité de vie de l’enfant et de la famille. Lorsque l’environnement social est encore influencé par les théories psychogéniques de l’autisme, l’information et la solidarité des autres parents seront une aide précieuse pour libérer les familles du sentiment de culpabilité. 58 Pourtant les parents mêmes peuvent se montrer réticents à abandonner les anciennes croyances sur l’autisme, surtout quand l’enfant est tout petit et doué: il est très logique que des personnes qui ont déjà investi tant d’amour dans leur enfant préfèrent au fond accepter le rôle de coupables que d’abandonner l’espoir d’un épanouissement à la normalité: il sera plus facile pour eux d’accepter la vérité si elle est exprimée par d’autres parents qui ont déjà vécu les mêmes angoisses. Les associations devraient organiser des réunions informelles où les parents auraient la possibilité de trouver la chaleur de la compréhension et de la solidarité, mais aussi d’accroître leur compétence par les témoignages des familles plus expertes, de se rassurer sur leurs capacités, et de se réapproprier le rôle éducatif dans le respect de la diversité de leur enfant. L’information sur l’autisme devrait suivre le plus possible la conception actuelle, pour ne pas risquer de confondre la famille et la plonger dans la période de la “thérapie du jour”; toutefois il est logique que des parents tellement éprouvés par les difficultés de la vie avec les problèmes de l’autisme et bouleversés par les souffrances de leur enfant, se tournent vers la première solution qui s’offre à eux deviennent la proie des marchands d’illusion. L’association peut aider ces parents en se tenant au courant de toute nouveauté et en mettant à leur disposition toute information utile, sans préjudices mais sans encourager le marché des illusions, éventuellement à l’aide d’un comité scientifique de professionnels compétents, influents et désintéressés. 7.3.2.2 Information sur les droits de l’enfant Trop souvent les parents des enfants autistes, écrasés par l’intolérance de l’environnement social, humiliés par les refus des professionnels et des institutions, épuisés par les problèmes quotidiens, mendient comme une faveur ce qui est un droit acquis pour les enfants dits “normaux”, trop souvent, ils acceptent une négligence injustifiée. Ils ont des difficultés à s’orienter dans le labyrinthe de la bureaucratie et des lois, dont parfois ils ignorent l’existence et qui semblent d’autant plus compliquées qu’elles sont destinées à protéger les plus faibles. Une bonne information par l’association et les conseils de parents plus compétents peuvent aider les familles à ne pas se décourager pas et à mieux défendre les droit de leurs enfants. 7.3.2.3 Informations sur les services Lorsque les parents ne trouvent pas de services qui acceptent de prendre en charge leurs enfants, ils peuvent être tenter de chercher des recettes ou confier leur enfant à n’importe quelle ” méthode” ou n’importe quelle nouveauté promettant le miracle de la guérison. On sait que, même si l’enfant reste autiste toute sa vie, une prise en charge adaptée peut améliorer sensiblement son autonomie à l’âge adulte. La déception des parents peut donc constituer pour l’enfant un risque de négligence et limiter ses chances de développement. Les associations peuvent représenter pour les familles la source la plus désintéressée d’adresses de services compétents et efficaces, sur base des témoignages des parents, mais aussi de contrôles effectués auprès des services spécialisés (voir: “Collaboration avec les services”). 7.3.2.4 Soutien Comme on a déjà vu, tout le sentiment de culpabilité que l’incompréhension de l’autisme risquent d’entraîner des attentes excessives de normalité ou bien de placer la faute du comportement autistique sur l’enfant et nourrir l’illusion qu’il puisse, mais qu’il ne veule pas, être comme les autres. L’exaspération qui résulte de sa prétendue attitude d’opposition et du sentiment d’inadéquation entraîne des punitions tout à fait injustifiées. Or une vérité cruelle peut être plus facilement acceptée si elle vient d’un autre parent, qui a déjà parcouru la route douloureuse de la conscience, du désespoir et de l’acceptation, et qui 59 saura écouter avec empathie et trouver le moment et les mots les plus adaptés pour partager la vérité, pour soulager et pour encourager la confiance en soi et en ces possibilités de développement de l’enfant. La solidarité des autres parents de l’association pourra rendre aux parents l’amour-propre et la force de se battre avec fierté contre l’intolérance à l’égard d’un enfant qui donne à tous une occasion d’apprentissage et de croissance. 7.3.2.5 Sensibilisation aux responsabilités des parents Les associations de parents représentent l’institution la plus adaptée pour rappeler aux parents leurs responsabilités à l’égard de l’enfant autiste sans éveiller le soupçon de minimiser les difficultés de la famille ou de la culpabiliser . Il serait toutefois trop simpliste de recommander à des personnes dont la vie est dévastée par l’autisme de respecter la diversité de leur enfant, de garder la confiance dans ses possibilités, d’être fière de ses efforts pour s’adapter à un monde incompréhensible, de défendre ses droits: au contraire, faute d’aide de l’environnement social, cela pourra augmenter le sentiment de frustration et d’inadéquation, et par conséquent le risque de maltraitance pour l’enfant. Les associations peuvent par contre sensibiliser les parents à l’égard des tâches pratiques qui peuvent aider sensiblement à améliorer la vie de l’enfant et de sa famille et à le protéger des maltraitances, en donnant les recommandations suivantes: - ne pas compter seulement sur ses propres forces et ne pas renoncer à une prise en charge hors de la famille dans le but d’épargner des souffrances à l’enfant. Ne pas penser que l’on peut prendre soin de l’éducation et du développement de son enfant tout seul: personne ne peut aborder seul un problème aussi généralisé que l’autisme. De plus l’enfant va bientôt devenir un adulte avec ses droits et ses exigences de participation à la vie sociale; - encourager la collaboration des frères et soeurs, mais se poser comme objectif prioritaire d’apprendre à l’enfant autiste à respecter leurs espaces de vie, éventuellement à l’aide d’un programme élaboré en collaboration avec les professionnels: il a plus besoin de leur sympathie que d’une tolérance imposée; - s’efforcer de ne pas enfermer l’enfant à la maison par peur des critiques, et de réagir avec calme aux manifestations d’intolérance sans l’humilier, par exemple à l’aide d’une petite et simple brochure sur l’autisme mise à disposition par l’association et que l’on peut au besoin offrir accompagnée d’une phrase telle que: ”Malheureusement mon enfant est autiste; est-ce que vous connaissez l’autisme?”; - n’avoir pas peur de demander explicitement l’aide même physique des étrangers en cas de besoin (par exemple lui donner la main pour monter dans un bus ou pour traverser la rue): il est rare qu’une personne interpellée directement ait le courage de refuser sa collaboration, et cela peut être l’occasion de la rendre consciente aux problèmes de l’autisme; - encourager la collaboration de parents, amis, voisins et bénévoles sincèrement motivés à aider l’enfant, même s’ils ne sont pas compétents: les personnes moins adaptées vont s’éloigner bientôt spontanément, mais il arrive qu’on trouve des collaborateurs précieux; - être prêts à collaborer sans préjugé avec les professionnels et à les rencontrer chaque fois qu’il faut pour témoigner les difficultés de l’enfant ou pour discuter des objectifs de la famille; - garder et mettre à disposition des professionnels toute documentation ou évaluation de l’enfant; - déterminer dès le début de la prise en charge un système d’échange régulier d’informations entre la famille et les professionnels, et les rôles réciproques; - demander un programme qui permettra de généraliser à la maison les compétences acquises hors de la famille, et s’efforcer de le mettre en oeuvre; - faire confiance aux professionnels qui font preuve de leur souhait de prendre l’enfant à coeur et de vouloir collaborer, même si au début ils éprouvent quelques difficultés, mais être 60 prêt à demander un avis extérieur si le service semble manquer d’expérience ou de compétence; - prêter attention aux réactions de refus de l’enfant à l’égard des professionnels qui l’ont en charge et signaler au plus tôt aux responsables des services n’importe quel soupçon de maltraitance; - prêter attention à la présence de contritions ou blessures trop fréquentes, même si l’enfant présente des problèmes d’automutilation: une prise an charge adaptée devrait diminuer les épisodes d’autoaggressivité. 7.3.3 ACTION SUR L’ENVIRONNEMENT 7.3.3.1 Sensibilisation de l’opinion publique Le handicap n’est pas une affaire de famille: personne n’a souhaité l’autisme de son enfant, et, bien que la famille soit la première responsable des choix de vie pour son enfant, personne ne peut se déclarer à l’abri de ces difficultés. Il arrive parfois que les familles trouvent une aide précieuse dans leur environnement social: parents, amis, bénévoles du quartier. Cette situation représente la meilleure chance pour l’enfant de dépasser l’isolement et de réaliser une vraie participation à la vie sociale, et devrait être encouragée par une sensibilisation et une vulgarisation des côtés positifs de l’autisme, tels que la naïveté, l’attitude au travail, etc. . Par contre, il arrive assez souvent que l’intolérance à l’égard des comportements difficiles de la personne autiste même à bout de la solidarité, et que tout effort de la famille pour intégrer son enfant dans le milieu social soit bientôt frustré. En outre, à cause de sa naïveté, l’enfant peut devenir la victime des plaisanteries de ses camarades “normaux”, et être humilié en raison de ses bizarreries. Parfois encore , si son handicap n’est pas bien compris, il peut arriver qu’il ne soit pas assez protégé, et que les meilleures intentions du monde l’exposent aux dangers ou bien à la souffrance d’une promiscuité sociale intolérable, d’un environnement chaotique et incompréhensible: tout le monde connaît le cas d’enfants autistes plongés au milieu d’une fête bruyante qui, faute d’une préparation adaptée et de points d’orientation, développent des crises de comportement . Les associations de parents peuvent améliorer la participation de la personne autiste et son intégration dans l’environnement en sensibilisant l’opinion publique sur l’autisme et sur ses caractéristiques, en sollicitant la diffusion de sa compréhension par les média, en organisant des conférences de vulgarisation et des cours adressés aux camarades et à leurs familles dans les écoles ou tout autre environnement de vie de l’enfant. Il faudra expliquer que l’autisme n’est pas contagieux, et qu’il représente pour les autres une chance de développer son sens de responsabilité et le respect de la diversité, c’est à dire de devenir des citoyens responsables. 7.3.3.2 Collecte d’informations : un numéro vert pour signaler les abus Il arrive souvent que les plaintes des parents à l’égard des professionnels ne soient pas prises au sérieux. Parfois les parents mêmes, bien qu’ils aient connaissance d’un épisode de maltraitance à l’égard de leur enfant, préfèrent se taire, de peur de perdre l’aide du service, pour protéger l’enfant des représailles ou par crainte qu’il ne soit enfermer. De même les professionnels, même les plus diligents, peuvent oublier leur devoir de protéger avant tout les personnes les plus faibles et confondre complicité tacite et solidarité à l’égard des collègues ou avec loyauté à l’égard du service, en profitant des difficultés de communication, c’est à dire du handicap même, des personnes autistes . Parfois, bien qu’ils soient conscients de leur responsabilité, c’est la peur d’être isolés, critiqués ou licenciés qui les empêche de dénoncer des épisodes dont ils ont été témoins. 61 Les associations pourraient faire pression auprès des institutions publiques pour obtenir la création d’un numéro vert qui prête attention à toute plainte en protégeant l’anonymat et en promouvant sans préjugés la vérification de n’importe quel signalement de maltraitance. 7.3.3.3 Collaboration avec les services Il est souhaitable que les associations organisent des commissions de parents non directement impliqués, chargées de superviser les services, de participer à la rédaction des règlements intérieurs et d’en contrôler l’application. Les commissions des parents pourraient remplir les tâches suivantes auprès des services: - aider à garantir une prise en charge compétente et respectueuse des besoins et des droits de la personne autiste, et à protéger l’enfant de n’importe quel abus physique ou psychologique; - contrôler que les médicaments soient administrés dans le but d’améliorer le bien-être de la personne et non pas pour apaiser les problèmes de comportement dus à une prise en charge inadaptée; - contrôler que la famille aie facilement accès à toute documentation qui concerne l’enfant, et à toute information sur n’importe quelle initiative thérapeutique et de recherche: dans ce cas, il faudra vérifier qu’il existe une autorisation écrite par les parents; - encourager la collaboration et une attitude impartiale des professionnels à l’égard de la famille dans le but d’améliorer la prise en charge et le sentiment d’adéquation des parents; - éviter que les parents soient interrogés sur leur style de vie: s’ils se sentent soupçonnés, critiqués, ils risquent de renoncer à la prise en charge de leur enfant; - aider les services à se doter d’un réseau de professionnels informés sur les difficultés de l’autisme qui peuvent être consultés par les parents pour tout problème médical: indispositions, maladies, problèmes de dents, etc., puisque les personnes autistes ne sont pas immunisées contre les maladies; - collaborer à la tâche ingrate de gérer la liste d’attente et de décider des priorités d’admission ; - collaborer au recrutement du personnel. 7.3.3.4 Soutien aux professionnels Les professionnels impliqués dans la prise en charge des personnes autistes ont aussi leurs problèmes, à cause de la difficulté du handicap mais aussi de l’incompréhension des collègues. “Tu as de la chance avec un enfant comme cela..”: la mine normale de l’enfant autiste trompe encore une fois , et le manque de connaissance de la gravité de l’autisme fait le reste. Les collègues se moquent parfois des stratégies éducatives bizarres, ou critiquent le particularité de la prise en charge. Il peut arriver que les directeurs mêmes des services aient du mal à comprendre qu’un enfant apparemment si normal ait besoin de tant de soins. Les progrès de l’enfant en outre sont souvent très modestes, et il est fait rarement montre de gratitude envers son éducateur. La compréhension des difficultés et l’appréciation par les associations des parents peut alors encourager et motiver les professionnels compétents et respectueux de la personne autiste. Les associations peuvent aussi s’engager dans la tâche politique de valoriser les professionnels et les services compétents auprès des institutions, de réclamer des financements proportionnés au besoin de formation permanente et à la difficulté de la prise en charge, et de rassembler les fonds nécessaires; elles peuvent enfin contribuer à la motivation du personnel en organisant des visites d’échanges ou des projets communs avec les services spécialisés d’autres pays. 62 CHAPITRE 8 : PREVENTION AU SEIN DES SERVICES ET ETABLISSEMENTS Bill Meldrum Scottich Society for Autistic Children (GB) 8.1 PROBLEMES ORGANISATIONNELS 8.1.1 Les organisations et agences publiques travaillant dans le domaine de l'autisme devraient disposer d'un Code de Bonne Pratique qui prenne en considération les difficultés particulières liées à l'autisme. Chaque organisation/service devrait adopter une brève déclaration de principe sur sa position quant à la protection du bien-être des enfants et des adultes avec lesquels elle/il travaille. Cette politique devrait clairement spécifier le rôle de tous les employés et personnes impliquées dans l'organisation pour prévenir les abus physiques, sexuels ou psychologiques sur toutes les personnes avec lesquelles ils sont en contact. Une telle déclaration devrait être portée à la connaissance de tous les membres du personnel déjà en fonction et des employés engagés. Ils devraient également être informés des lignes directrices ou des formations qui leur permettraient de mettre en pratique cette même déclaration. L’existence de ces déclarations de principe devraient, en outre, être signalée aux parents et tuteurs. 8.1.2 Le travail de l'organisation devrait être planifié de manière à minimiser le nombre de situations dans lesquelles des abus peuvent se produire. Cela inclut les mesures suivantes: Les activités qui impliquent la présence d'un seul enfant et d'un adulte devraient se dérouler dans des pièces pourvues de divers moyens d'observation et de contrôle. Les membres du personnels et les bénévoles ne devraient pas rencontrer des enfants ou des adultes hors de l'organisation en l'absence d'un parent ou d'un autre adulte. Lorsqu'il est nécessaire que des adultes travaillent avec des enfants ou des jeunes dans des infrastructures non supervisées (ex.: programmes d'assistance aux personnes autistes), les organisations devraient entreprendre toutes les démarches possibles pour s'assurer que les personnes occupant des positions à si hauts risques n'aient aucun précédent d'abus ou ne soient pas des agresseurs potentiels. Cela peut impliquer des procédures d'engagement beaucoup plus approfondies, l'obtention de références supplémentaires ainsi qu'une supervision très rapprochée. 8.1.3 Les procédures de protection des adultes/enfants des organisations devaient être régulièrement analysées et évaluées par des experts indépendants ayant une connaissance satisfaisante de l'autisme. 63 8.2 PROBLEMES DE PERSONNEL Deux considérations principales s'imposent : • Comment le personnel peut-il participer à la minimisation des risques encourus par les utilisateurs de services ? • Comment minimiser le risque de voir des membres du personnel impliqués dans des abus sur des utilisateurs de services ? Le personnel doit comprendre et être conscient des politiques et lignes directrices importantes ainsi que de leurs implications dans les techniques de travail. Il est nécessaire de donner au personnel la possibilité de réfléchir aux activités qui pourraient engendrer des abus sexuels. Il convient que le personnel sache quelles personnes sont les plus vulnérables et quel comportement aurait lieu d'être mis en cause et dénoncé au supérieur hiérarchique direct. Les membres du personnel doivent connaître la procédure à suivre en cas de soupçons, les limites de la confidentialité lorsque des accusations sont portées à leur connaissance et prendre conscience de leur devoir d'informer le supérieur hiérarchique direct (ou toute autre personne appropriée) de telles accusations. Les employeurs doivent s'assurer que les contrôles de police et la vérification des références soient effectués et éviter de placer des membres du personnel sur lesquels ils manquent d'informations dans des situations où il est relativement facile d'abuser des utilisateurs de services. Il faudrait, si possible, envisager un équilibre hommes/femmes lors de la préparation des tours de rotation du personnel. Les employeurs devraient adopter des politiques claires sur le travail des bénévoles en matière de procédures de supervision, de formation et de vérification. Des lignes de conduite claires et individuelles concernant les procédures et les mesures de protection à prendre quand ils prodiguent des soins personnels intimes devraient être mises à la disposition de tous les membres du personnel. Il est recommandé que de tels soins soient donnés par des personnes du même sexe. 8.3 PROBLEMES LIES AUX CLIENTS 8.3.1 Les utilisateurs de service en tant que victimes Il faut reconnaître que la vulnérabilité peut être accrue lorsque des clients dépendent d'autres personnes pour leur toilette de base et pour s'habiller, ce qui peut également affecter leur notion de l'intimité. Le degré de vulnérabilité augmente également lorsque les clients ont des difficultés de communication, comme dans le cas de l'autisme, qui ne leur permettent pas de pouvoir clairement dénoncer les abus en toute facilité. Il est donc d'une importance cruciale de consentir tous les efforts nécessaires pour comprendre un client que l'on soupçonne d'avoir été victime d'abus. Il faudrait être particulièrement attentif et surveiller de près les clients qui ont déjà été victimes d'abus car certains facteurs peuvent avoir fait d'eux des cibles plus faciles dans le passé. 64 Lorsque le personnel s'inquiète de la vulnérabilité d'un client, il convient de le souligner dans son programme de prise en charge et l'idéal serait de développer un programme de sécurité qui lui soit propre. On recommande un tel programme pour tous les clients considérés comme particulièrement vulnérables. Il pourrait inclure les personnes ayant déjà été victimes d'abus, celles qui semblent être vulnérables en raison d'un comportement social et sexuel non approprié ou encore celles qui vivent avec des personnes ayant des précédents en matière d'abus. Il est essentiel que les prestataires de services tentent de développer une série d'idées sur la responsabilisation des clients, pour qu'ils puissent se représenter eux-mêmes, prendre confiance en eux et, si possible, les encourager à poser des questions et à communiquer avec les membres du personnel pour faciliter la dénonciation. Ce point revêt une importance particulière car la plupart des recherches suggèrent que la majorité des dénonciations susmentionnées émanent des clients plutôt que du personnel ou de leur famille. 8.3.2 Les personnes atteintes d’un handicap mental auteurs d’abus Le fait que la personne responsable de l'abus n'en comprenne pas complètement la nature ne change en rien le fait qu'il a été commis et les démarches appropriées doivent être entreprises. Ignorer l'abus commis par un utilisateur de service n'aide ni le responsable ni la victime car le comportement abusif peut être renforcé s'il n'est pas mis en cause ou pris au sérieux. Le personnel devrait savoir que les victimes peuvent à leur tour commettre des abus et que cet aspect doit être envisagé dans les programmes de sécurité individuels. Lorsqu'une personne est responsable d'un abus, il conviendrait de le spécifier dans son programme de prise en charge, pour sa propre protection et celle d’autrui. 8.4 MAXIMISER LES SYSTEMES PERMETTANT DE LIMITER LES ABUS L'objectif général doit être de garantir que, dans les limites de la confidentialité, les systèmes de prestation de services soient ouverts plutôt que fermés. Une bonne collaboration entre les services est impérative. Il s’agit, en corollaire, de bien gérer les dossiers et les dénonciations, concernant à la fois les responsables et les victimes, et de développer un système qui garantisse une circulation d'informations entre agences lorsque cela s'avère nécessaire. Il convient de revoir régulièrement les cas d'abus survenus au sein des agences pour en tirer des leçons sur la prévention et savoir si les procédures de dénonciation et d'enquête sont appropriées. Les prestataires de services doivent créer un climat dans lequel le personnel, les usagers des services ainsi que leur famille soient encouragés à dénoncer les abus ou à exprimer leurs préoccupations. 8.4.1 Les services d’accompagnement suite à un incident Lorsque un abus est perpétré contre une personne autiste, certaines personnes impliquées requièrent un soutien. Cet accompagnement varie en fonction de la situation de la personne et peut impliquer différents types d'assistance pratique, voire psychologique. 8.4.2 L'aide aux victimes La première chose à faire est de s'assurer de la sécurité et du confort de la victime. Il est crucial pour elle de sentir qu'on la croit. Il faudrait clairement identifier la personne chargée de soutenir les victimes pour minimiser tout risque de confusion. 65 Il conviendrait de minimiser le nombre de changements pour la victime, même s'il incombe de prendre les mesures nécessaires pour qu'elle se sente en sécurité. Le soutien doit répondre aux besoins exprimés par le client, y compris ceux inhérents au comportement. Il est important que le soutien soit prodigué par une personne techniquement et psychologiquement habilitée à le faire. 8.4.3 Le soutien au personnel Les membres du personnel peuvent avoir besoin d'être soutenus lorsqu'ils : • dénoncent un abus ; • travaillent dans un établissement où un abus a été commis ; • ont eux-mêmes été accusés d'abus. Les membres du personnel qui dénoncent un abus doivent être soutenus par la direction. Comme certains abus n'ont pu être étalés au grand jour qu'après avoir été dénoncés par des membres du personnel ayant quitté le service, il conviendrait d'envisager des entretiens préalablement au départ d'un employé, avec la possibilité qu'il soit mené par une personne extérieure à l’établissement concerné. Les prestataires de services devraient être conscients de la nécessité de soutenir le personnel après un incident, particulièrement s'il a impliqué des membres de l'équipe. Un tel soutien devrait être pro-actif et ne pas dépendre d’une demande formulée par le personnel. 8.4.5 Le soutien aux autres usagers Il convient d'être aussi attentif aux autres usagers qu'aux membres du personnel lorsqu'ils sont touchés par des abus dans leur environnement et accorder une attention particulière aux modalités d’accompagnement les plus opportunes. Il faudrait reconnaître que lorsqu'un incident est découvert, les besoins ressentis par les membres du personnel peuvent les mettre dans l'impossibilité d'apporter le soutien nécessaire aux autres usagers. En de telles circonstances, il conviendrait de détacher du personnel supplémentaire en consultation avec le groupe d'employés déjà en fonction. 8.5 PROBLEMES DE FORMATION Les organisations devraient s'engager à proposer une formation adéquate à leur personnel afin que la plupart des recommandations soient efficacement mises en pratique. 8.5.1 Formation collective Il pourrait être bénéfique de développer des initiatives de formations collectives auxquelles participeraient du personnel du secteur social, de la Santé et de la Police ainsi que des bénévoles et avocats du Système juridique pénal. Cela devrait faciliter la compréhension de leurs rôles respectifs, la prise de conscience des difficultés rencontrées dans différents centres, le partage des compétences et l'échange d'informations. 66 8.5.2 Formation du personnel Il est recommandé que les membres du personnel qui prennent en charge des personnes autistes reçoivent une formation fondée sur : • • • • des lignes directrices politiques ; des indicateurs clés sur la possibilité d'abus ; les démarches à suivre en cas de suspicion d'abus des conseils clairs à propos des comportements sociaux/sexuels acceptables et inacceptables et des interactions avec les clients ; • une prise de conscience générale liée à l'abus de personnes autistes ; • les aptitudes en matière de communication. Il se peut également que certains membres du personnel bénéficient d'une formation dans les domaines suivants : • • • • gestion du risque ; aptitudes en matière d’accompagnement ; aptitudes dans le domaine de l’intervention thérapeutique ; techniques inhérentes à l’interview. 8.5.3 Formation des clients Puisque l'on reconnaît qu'il est difficile de donner aux clients la capacité de dénoncer les abus, il faudrait leur faciliter la tâche en leur donnant la possibilité d'apprendre à se protéger. L'éducation sexuelle devrait également faire partie du programme de formation à des aptitudes sociales plus larges : cela permettrait aux personnes concernées de comprendre ce qu'est un comportement acceptable et d'acquérir le vocabulaire relatif au comportement sexuel et aux parties du corps. Des stages de mise en confiance pour habiliter les clients à dire "non" et à prendre conscience de leurs droits pourraient être bénéfiques. Les clients devraient savoir à qui dénoncer les abus et se rendre compte de l'importance d'exprimer leurs préoccupations lorsqu'ils touchent d'autres personnes. Cela devrait faire partie d'un programme continu et non pas d'une séance de formation ponctuelle. Il est également essentiel que les clients connaissent les procédures à suivre pour porter plainte. 8.5.4 Formation des familles / des personnes qui s’occupent des personnes handicapées Il serait judicieux de proposer aux personnes qui s’occupent des clients et à leurs familles une formation sur la politique adoptée, particulièrement au sujet de la sensibilisation, des indicateurs clés de l'abus et des procédures à suivre pour porter plainte. Il ne fait aucun doute que cette formation devrait être présentée avec une grande prudence et beaucoup de sensibilité. 8.5.5 Formation des directeurs Pour que la politique adoptée soit efficace, il est absolument crucial que tous les responsables, du bas au sommet de l'échelle hiérarchique, aient une connaissance mise à jour de la politique adoptée, des actions à entreprendre et qu'un système clair soit créé pour s'assurer que les nouveaux directeurs en soient conscients. 67 8.5.6 Formation continue Il est recommandé que des initiatives de formations continues soient constamment développées et viennent s'ajouter à toute formation initiale ponctuelle suivant l'introduction du Code de Bonne Pratique. Une formation continue garantirait que les nouveaux membres du personnel soient conscients de la pratique adéquate et que les anciens puissent entretenir et cultiver leur connaissance de base. Il pourrait s'avérer nécessaire qu'un comité ad hoc contrôle de telles initiatives de formation. 68 CHAPITRE 9 : L’IMPORTANCE DE LA FORMATION DANS LA PREVENTION DE LA VIOLENCE ET DES ABUS ENVERS LES PERSONNES AUTISTES Theo Peeters , Opleiding Centrum Autisme (B) & Rita Jordan, University of Birmingham (GB) 9.1 INTRODUCTION Former le personnel à travailler dans un esprit positif avec des personnes autistes repose sur des préceptes identiques aux principes d’intervention qui leur sont inculqués. Ce type de formation devrait se fonder sur la compréhension de l’autisme, de la situation et de l’individu. Il est parfaitement logique que les personnes qui choisissent l’autisme comme profession reçoivent une formation exhaustive dans ce domaine. En revanche, les parents n’ont pas le choix, mais il est également judicieux qu’ils bénéficient de la meilleure formation possible car ils sont concernés au premier chef, sont en final responsables de leur enfant et, à l’instar du commun des mortels, ils ne viennent pas au monde armés d’une connaissance innée de l’autisme. Néanmoins, ce type de formation est rarement dispensé. Les parents et les professionnels qui vivent ou travaillent avec des personnes autistes courent le risque de subir un stress extrême en raison de l’amour porté aux personnes dont ils s’occupent et des nombreuses difficultés à comprendre leurs comportements comme leurs émotions. Aimer une personne qui souffre et n’avoir aucun moyen voire aucune idée sur la possibilité de lui venir en aide constitue certainement une des situations les plus épuisantes que l’on puisse imaginer. Dans de nombreux cas, le recours à la violence est une tentative désespérée de contrôler un comportement que l’on ne comprend pas et que l’on n’a pas véritablement appris à traiter ou à prévenir. Nous estimons que le recours à la violence est davantage susceptible de survenir lorsque la formation (et par voie de conséquence la compréhension de l’autisme) n’est pas disponible ou lorsque la société ne dégage pas les moyens nécessaires afin de mettre en pratique les subtilités de la formation. En conséquence, la formation des professionnels constitue un facteur essentiel en matière de prévention de la violence, mais elle ne se confine pas au domaine pédagogique car elle comporte une dimension politique qui devra également être prise en compte. Trop souvent, la formation à l’autisme est uniquement envisagée sous l’angle de l’intervention en cas de crise et pas suffisamment comme un facteur important de prévention de la crise (Jordan & Jones, 1996). Il apparaît fréquemment, et c’est bien compréhensible, que, dès le premier jour de la formation, les professionnels tentent de trouver une solution à court terme à des problèmes à long terme, d’où une formation fondée sur une approcherecette (Jordan, 1996a). Il est essentiel lorsque l’on traite des problèmes de comportements (et tente de prévenir le recours à la violence qui traduit une réaction désespérée au problème de comportement ‘incontrôlable’) d’opérer une distinction très claire entre les symptômes et les causes. 69 9.2 COMPRENDRE L’AUTISME Les individus autistes de haut niveau (comme Gerland, 1997 ; Grandin, 1986, Segar, 1996 ; Sinclair, 1992) décrivent par écrit les efforts inouïs déployés afin de comprendre notre mode de communication neurotypique et nos interactions sociales. Ils expriment également leurs sentiments lors de conférences ou sur INTERNET : ‘Le fait que les gens soi-disant normaux, ou quel que soit le nom dont je les affuble, pensent savoir très précisément comment l’être humain fonctionne a constitué une des plus grandes souffrances de mon existence : que toutes ces personnes aient eu un modèle dans lequel elles ont tenté de me mouler et qu’elles aient été absolument convaincues que leur fameux modèle était le seul existant. C’est probablement pour cette raison qu’elles m’ont suggéré de bien me comporter et non d’être différent. Elles n’ont jamais imaginé que je puisse fonctionner différemment d’elles et elles n’ont jamais pu deviner ce que je ressentais. Manque de commisération ou autre chose ?’ (Gerland, conférence de 1996 non publiée) ‘… abordez-nous avec respect, sans idées préconçues, ouverts à l’idée d’apprendre de nouvelles choses et vous découvrirez un monde que vous n’auriez jamais pu imaginer. Oui, cela implique davantage de travail par comparaison à des relations nouées avec des personnes qui ne sont pas autistes, mais cela relève du POSSIBLE, excepté si l’aptitude des personnes non autistes à établir des relations est davantage limitée que la nôtre. Nous, nous passons notre vie entière à le faire. Chacun d’entre nous qui apprend à vous parler, chacun d’entre nous qui parvient à fonctionner dans votre société, chacun d’entre nous qui réussit à vous aborder et à établir un lien avec vous, manœuvre en territoire étranger et entre en contact avec des êtres extra-terrestres. Nous passons notre vie entière à le faire. Et vous nous dites que nous ne savons pas entretenir de relations!’ (Sinclair, INTERNET, 1998). Par le truchement de leurs écrits, nous pouvons mieux saisir leur difficulté à ‘survivre’ parmi nous et les nombreuses adaptations consenties. Cela nous aide également à être davantage respectueux des personnes qui combinent autisme et retard mental ou qui ne peuvent s’exprimer en leur nom propre. De nombreuses formes d’écholalies, d’échopraxies et de comportements récurrents doivent être interprétées plus positivement que de coutume (Jordan, 1996b ; Shuler & Prizant, 1985). L’histoire de la compréhension de l’autisme semble aller de pair avec notre respect croissant envers les efforts déployés par les personnes autistes pour être avec nous. Pour les personnes autistes et les personnes présentant un retard mental, le bonheur peut dépendre davantage de nos adaptations que du développement de leurs aptitudes, même si les deux vont de pair. Nos relations avec les personnes autistes peuvent être comparées au mythe de Procuste. Procuste avait un sens singulier de l’hospitalité : il adaptait la taille des jambes de ses visiteurs aux dimensions de son lit, soit en étirant ou en raccourcissant leurs membres. Nous semblons avoir nous-mêmes une conception étrange de l’hospitalité : sans formation aucune, nous adaptons les personnes autistes à notre connaissance non spécialisée. Dans une telle relation, un climat de violence semble naturel, même s’il n’est pas toujours délibéré ou visible. Ainsi, la compréhension de l’autisme devient la pierre angulaire de la formation nécessaire pour éviter abus et violences lors d’un traitement. Juger et répondre littéralement à un comportement provoque des frustrations car la base du comportement n’est pas prise en compte dans la compréhension et la perception de la personne autiste (Jordan & Powell, 1995a). Ce principe est connu comme la ‘théorie de l’iceberg’ (Gillbert & Peeters, in presse ; Peeters, 1997 ; Schopler, 1995 ; Schopler & Mesibov, 1994) qui suggère que les problèmes de comportement dans le cadre de l’autisme sont semblables à la pointe d’un iceberg. La 70 pointe représente le symptôme, mais la partie la plus importante de l’iceberg reste invisible ; la pointe ‘résulte’ de la partie la plus vaste immergée sous l’eau. Lorsqu’une personne autiste lance des objets, par exemple, se frappe ou frappe une tierce personne, nous observons des symptômes. Pour restreindre ou éliminer les symptômes, nous devons traiter les causes. Si un adulte autiste s’ennuie à mort parce que chaque jour il dispose de sept à huit heures de temps libres non organisés et qu’il se frappe la tête contre un mur car il n’a pas appris à attirer l’attention autrement, il en ressort manifestement qu’il a besoin d’un accompagnement pédagogique afin de développer ses aptitudes en matière de communication et de loisirs. Si, en revanche, nous ‘traitons’ ses problèmes de comportement de manière symptomatique, en faisant fi des causes, il s’agit en soi d’une forme de violence, voire de négligence, voire pire encore si l’éducateur a recours à une punition. D’un point de vue éthique, il est impossible de tolérer qu’une personne en ‘punisse’ une autre parce que cette dernière n’est pas capable de communiquer comme nous. Une formation spécialisée dans le domaine de l’autisme constitue la meilleure forme de traitement des problèmes de comportement car la prévention est en point de mire. Les professionnels doivent en premier lieu comprendre que les personnes autistes traitent les informations différemment. ‘Le raisonnement autiste’ est une expression clé en matière de prévention des problèmes comportementaux et la violence ne s’apparente aucunement à une ‘recette’ quelconque. Il s’agit, en essence, de nous mettre dans le cerveau d’une personne autiste et de tenter de voir le monde avec ses yeux. Au plus nous parviendrons à comprendre les causes de leurs difficultés, au plus nous serons capables d’éliminer les obstacles et de prévenir les problèmes de comportement ainsi que la violence, souvent l’aboutissement d’une réaction désespérée. 9.3 CAUSES POSSIBLES DE VIOLENCE DANS LE TRAITEMENT ET LA PRISE EN CHARGE DES PERSONNES AUTISTES Au même titre qu’il s’avère nécessaire de comprendre l’autisme si nous sommes appelés à traiter efficacement et avec respect des personnes autistes, il nous faut également comprendre les causes de violence chez les éducateurs et le personnel impliqués dans leur prise en charge afin d’endiguer effectivement ce phénomène. La compréhension de cette situation devra sous-tendre la formation prodiguée. Certains facteurs spécifiques à l’autisme peuvent déclencher la violence outre les pressions familiales ou institutionnelles parfois traduites par un comportement violent. 9.3.1 La nature transactionnelle de l’autisme Elle débouche sur la frustration et un sentiment d’incompétence des parents et des professionnels. L’autisme constitue en essence une perturbation de la relation avec autrui (Kanner, 1943 ; Hobson, 1993), d’où deux conséquences importantes. Premièrement, l’effet sur l’individu autiste qui, contrairement aux autres groupes d’individus, sera perturbé et confus plutôt que d’être consolé et réconforté par la proximité et l’ouverture sociale dont fait preuve autrui. Le geste d’affection ou de réconfort ou une tentative d’apaisement à l’issue d’un conflit ne sera pas perçu comme tel par l’individu (Attwood et al. , 1998) et pourra, au mieux, induire davantage de confusion et au pire être assimilé à une agression ou une intrusion. La personne atteinte d’un trouble du spectre autistique pourra à son tour réagir dans la détresse et la panique, ce qui sera susceptible d’être perçu par autrui comme une agression. La seconde conséquence touche les personnes qui s’occupent ou travaillent avec la personne autiste. Même si elles comprennent théoriquement la maladie, davantage encore si elles ne la comprennent pas, elles vivront les réactions de la personne autiste comme un 71 rejet, voire même une agression. Elles ressentiront un sentiment d’impuissance et de colère. Leurs réactions naturelles instinctives ne fonctionnent pas, pas plus que les stratégies professionnelles auparavant couronnées de succès, elles se sentent démoralisées et incompétentes. Ces sentiments auront tout naturellement pour conséquence la frustration et la colère. 9.3.2 Une lecture littérale du comportement Comme précédemment indiqué, même lorsque l’on dispose d’une compréhension théorique de l’autisme, notre ‘lecture’ normale intuitive du comportement détecté est susceptible de nous induire en erreur. Les tentatives déployées par les personnes autistes afin de communiquer ne sont pas particulièrement reconnues ou comprises et, naturellement, nous imputons, peut-être inopportunément, une intention au comportement observé. Il est naturel que le comportement d’autrui soit traité sans réfléchir. Nous ne ‘déchiffrons’ pas les motivations d’autrui comme un type de théorie (à l’instar de ce que les théoriciens de la ‘théorie de l’esprit’ auraient voulu nous faire croire, Baron Cohen, 1995 ; Leslie, 1987 ;1991) : le traitement en temps réel est trop court pour se prêter à cet exercice. Nous réservons notre analyse consciente à la dissection des textes écrits ou dramatiques ou à une analyse a posteriori des événements. Sur le moment, nous répondons instinctivement à la ‘signification’ émotionnelle et subjective des événements transmise par le comportement d’autrui. Nous pouvons faire preuve de discipline afin d’admettre que ce que nous voyons ne signifie pas ce que notre lecture subjective des événements nous dit, mais cet exercice requiert une formation. Si nous répondons intuitivement, nous interpréterons erronément le comportement afin qu’il signifie tout simplement ce qu’il signifierait si nous en étions l’auteur et nous supposerons un niveau d’intention qui n’est pas véritablement présent. Un incident peut se produire comme celui où une personne autiste a été invitée à accomplir un geste relativement banal, à savoir s’installer sur la banquette arrière d’un véhicule. Elle a réagi avec une agressivité apparemment non provoquée, en hurlant, jetant ses patins sur la personne qui avait formulé la requête. Si nous analysons la situation du point de vue de la jeune femme autiste, une vision différente émerge. Lorsque, ultérieurement, on lui reparla de l’incident, elle ne pu se souvenir de ce qu’elle avait fait, indiqua avoir été en proie à un sentiment de panique et avoir aveuglément réagi face à cette sensation. La cause de cette panique ? On lui avait dit qu’une personne viendrait la chercher à la gare, mais au moment de monter dans le véhicule, elle remarque, contre toute attente, qu’un autre passager est présent, mais élément davantage perturbant car peu prévisible, il s’agit d’un enfant. Il n’est pas bon de punir la personne autiste qui a cédé à la panique car ce comportement n’est pas sciemment contrôlé à cet instant. Nous devons prévenir ce comportement (comme stipulé ci-dessus) en tentant d’anticiper les réactions probables d’une personne autiste dans de telles circonstances. 9.3.3 Crainte Tout comme il est difficile pour les personnes autistes de comprendre et anticiper notre comportement, il s’avère ardu pour nous de comprendre et prédire leurs agissements. Elles ont un parcours de développement différent et présentent de nombreux comportements particuliers susceptibles d’induire la crainte d’une perte de contrôle chez les personnes qui vivent ou travaillent avec elles. Ainsi, ce n’est pas toujours le comportement même d’une personne autiste qui peut provoquer une réaction de colère ou de violence, mais le fait que le parcours de développement différent et le comportement particulier, voire tranché qui en découle, compliquent le travail d’anticipation de leur comportement. Tout comme une personne autiste est en proie à la confusion et à la crainte car il lui est difficile d’appréhender et d’anticiper notre comportement, nous éprouvons aussi les mêmes sentiments lorsque nous 72 sommes confrontés à des comportements que nous sommes incapables de comprendre ou de prédire. D’ordinaire, la réaction face à de tels sentiments se traduit par un désir d’inhiber et de contrôler le comportement de sorte que les exigences envers les personnes autistes pourront devenir coercitives, voire même violentes. Il faut garder à l’esprit que les personnes autistes ressentiront le même besoin pour des raisons pratiquement identiques, d’où un affrontement entre les deux protagonistes impliqués dans l’interaction, chacun désirant contrôler l’autre. Cette expérience conflictuelle peut accroître la crainte ressentie par le professionnel ou la personne responsable de la prise en charge et amplifier le caractère extrême des mesures utilisées pour rétablir le contrôle. 9.3.4 Le succès à court terme renforce à long terme l’exacerbation du problème Le recours à la violence peut aboutir à un succès à court terme pour le professionnel ou la personne responsable de la prise en charge, à savoir l’arrêt du comportement en cause ou la coercition exercée sur l’individu autiste aux fins d’un acte précis. L’effet immédiat sera de récompenser la personne pour l’utilisation de la violence comme stratégie lors de situations similaires dans le futur. Le malaise ressenti par la personne au sujet du recours à la violence sera compensé par l’autojustification ‘c’est la seule chose qui fonctionne’ ou ‘cela lui permet d’accéder à une meilleure situation d’apprentissage ou à un meilleur environnement’. De telles positions peuvent avoir été défendues dans des ouvrages ou des approches destinés à guider les professionnels (Kraijer, 1997 ; Lovaas, 1981). En suivant cette voie, la personne peut trouver une justification à l’utilisation de la violence, voire acquérir davantage de respect de soi puisqu’elle dispose d’une stratégie ‘qui fonctionne’. Bien entendu, au fil du temps, la ‘solution’ à court terme déclenche des problèmes à long terme, mais cette dérive est rarement reconnue sauf si elle est mise en exergue lors d’une formation. A titre d’exemple, un professionnel peut commencer par donner une gifle à un enfant qui en a pincé un autre lors d’une activité commune. Cela semble fonctionner : l’enfant est vexé, mais il arrête de pincer et est à nouveau invité à poursuivre l’activité en cours. L’adulte est soulagé et éprouve, dans l’ensemble, un sentiment de réussite, en dépit de l’impression initiale de malaise liée au fait d’avoir giflé l’enfant. Mais qu’est-ce que l’enfant a appris ? Dans une situation jugée perturbante par l’enfant (éventuellement imputable à la nature confuse de l’activité accomplie ou à la façon dont elle est présentée, voire à la proximité de l’adulte à table), il pose un acte (pincement) qui, par le passé, a toujours eu pour résultat que les autres le laissaient tranquille. L’effet est néanmoins différent cette fois, à la place, l’enfant reçoit une gifle de l’adulte, s’en suit une pause dans l’activité car l’enfant est peiné, puis l’adulte propose à l’enfant une tâche concrète en le réorientant vers l’activité. Cela fonctionne durant un moment car le mode de comportement de l’enfant a été interrompu. Néanmoins, la situation inconfortable persiste, la tâche n’est toujours pas claire (l’adulte a peut-être réduit son niveau d’accompagnement à ce stade) et l’adulte se trouve toujours à une proximité jugée inconfortable. L’enfant essaie à nouveau de pincer et ce geste est suivi d’une gifle. Progressivement, un nouveau modèle est instauré. Il est vrai que le fait de pincer n’a plus pour résultat d’être laissé en paix, mais débouche sur une réaction nettement prévisible, à savoir une gifle. Elle peut avoir vocation de punition, mais dans un monde où toute réaction prévisible est préférable à l’imprévisible, l’enfant en vient à rechercher un modèle prévisible : le pincement suivi de la gifle. Pour l’adulte, c’est effrayant et exaspérant. Les gifles se font plus dures dans une tentative de rétablir le contrôle et un cercle vicieux (au sens propre et figuré) s’installe. 9.3.5 Quelques méthodologies fondées sur le contrôle et la récompense/punition L’efficacité à court terme de certaines mesures ont conduit à leur intégration à des programmes de formation. En dépit des restrictions émises par Skinner (1957) à l’encontre des punitions, elles ont été très largement préconisées dans le cadre des techniques de 73 formation comportementales. Les objections formulées contre le recours à la punition présentées ci-dessous s’inspirent des points initialement soulevés par Skinner : • inefficace à long terme (pour les raisons stipulées ci-dessus) ; • engendre des effets secondaires non souhaitables, comme la crainte ; • indique ce qu’un individu ne devrait pas faire et non ce qu’il/elle devrait faire ; • justifie le fait d’infliger une souffrance à autrui ; • être dans une situation où des comportements précédemment punis puissent ‘être envisageables’ sans être assortis de punition est susceptible ‘d’excuser’ le comportement (ex. l’enfant apprend à ne pas sauter sur le canapé en présence de son papa car il le frappera, mais s’en donnera à cœur joie en son absence) ; • déclenchera l’agressivité envers l’agent responsable de la punition et/ou autrui (l’agressivité peut être utilisée envers d’autres personnes plus vulnérables si l’agent est perçu comme trop puissant) ; • remplace une réponse indésirable par une autre (si les causes ne sont pas traitées, un comportement peut être supprimé, mais un autre comportement, éventuellement pire, s’y substituera). Sur l’instigation d’un ouvrage très influent publié au R-U dans les années 70 (Copeland, 1973) des parents ont régulièrement frappé leurs enfants autistes afin d’obtenir la ‘guérison’ promise par l’auteur. Lovaas et ses collègues (Lovaas, 1966 ; 1967 ; Lovaas et al., 1965 ; Lovaas & Simmons, 1969) avaient régulièrement recours à des méthodes aversives pour éliminer toute forme de comportement indésirable, voire même comme ils le prétendaient, pour induire un comportement pro-social. Bien que le système pédagogique et l’esprit éthique actuels signifient que de telles pratiques ne soient plus de mise dans le cadre du traitement de Lovaas, le fondement du programme de formation à domicile (Lovaas, 1987) ne reposait pas uniquement sur le recours à ces méthodes aversives, mais en faisaient le point d’orgue du programme. ‘… dans les études reprises en annexe, les méthodes aversives ont été isolées comme variables significatives. Il est par conséquent peu vraisemblable que les effets du traitement soient reproduits sans cette composante’. (p.8) Même si des méthodes aversives ne sont pas spécifiquement préconisées, il est probable que les techniques qui mettent en exergue le contrôle et la manipulation du comportement sans la moindre compréhension des causes sous-jacentes, voire de la signification du comportement, déboucheront sur des méthodes d’instauration et de maintien de contrôle vigoureuses (en fin de compte aversives et punitives). 9.3.6 Vulnérabilité des personnes autistes Les déficiences en matière de langage et/ou d’aptitudes à communiquer rendent les personnes autistes vulnérables et les auteurs d’actes violents peuvent ‘facilement s’en tirer’. Plus triste encore, la raison fondamentale pour laquelle la violence peut être utilisée lors du traitement des personnes autistes est tout simplement la possibilité de le faire. Dans de nombreux cas, les personnes autistes ne s’exprimeront pas ou peu ou utiliseront des modes de communication alternatifs. Même si la personne autiste utilise la parole, elle ne comprendra pas les éléments inhérents à la communication et ne sera pas capable de relater les faits dont d’autres ou elle-même a été victime, tout particulièrement si l’auteur des actes de violence propose une autre version. Nous avons connu des situations où la personne responsable d’un individu autiste lui intimait de donner un compte rendu erroné de ses blessures. Nous avons également répertorié des cas où une politique officielle de non violence avait donné naissance à des formes sournoises de violence : arracher des cheveux dans la nuque, enfoncer ses ongles sous la peau, voire sous les ongles mêmes de l’enfant etc. Il est ressorti que la violence augmente dans les situations où les chances de détection sont moindres (Blunden & Allen, 1987). Le succès à court terme de la violence, comme 74 stipulé auparavant, peut encourager son utilisation et, si elle n’est pas détectée, le cycle d’abus peut se poursuivre. A l’exception de cette dernière motivation, il convient de souligner que la violence n’émane pas d’ordinaire d’une intention malveillante ou d’un plaisir pervers tiré de la souffrance infligée à autrui. Nous souscrivons à la doctrine de la philosophie de l’option (Kaufman, 1994), à savoir que chacun fait de son mieux en fonction des moyens dont il dispose. Ce précepte signifie que les professionnels et autres personnes responsables de la prise en charge ont recours à la violence en raison des craintes, incompréhensions, méconnaissance de l’autisme et des stratégies alternatives efficaces susceptibles d’aboutir aux mêmes fins (Harris et al., 1996). Si ces éléments sont avérés, ils relèvent du pédagogique et étayent les arguments en faveur d’un programme de formation efficace et nécessaire. 9.4 PRINCIPES DE FORMATION Les principes qui devraient sous-tendre un programme de formation découlent de la compréhension de l’autisme et des points soulevés dans les paragraphes précédents ainsi que des causes éventuelles du comportement violent et des abus perpétrés par ceux qui vivent et/ou travaillent avec des personnes autistes. 9.4.1 Développer une bonne compréhension de l’autisme Un professeur qui enseigne à des personnes non voyantes sait ce que signifie la cécité, un professionnel qui travaille avec des personnes sourdes n’ignore pas les effets des problèmes auditifs sur le développement. Si vous exercez votre profession dans le domaine de l’autisme, vous devez comprendre correctement ce trouble pervasif du développement. L’amour et l’intuition sont nécessaires, mais insuffisants. Les critères internationaux pour le diagnostic de l’autisme (APA, 1994 ; OMS, 1992) font état de ‘déficiences qualitatives’ et les différentes qualités de certains comportements ne sont pas toujours aisées à comprendre. Voici quelques exemples de la triade de déficiences qui sous-tend les critères de diagnostic (Wing, 1996). ‘…les mots proférés, les intonations, l’expression du visage, le langage corporel et le toucher des autres personnes n’avaient aucune signification cohérente…’ (Williams, 1996, p.2) Il est extrêmement important que les professionnels, dans une culture où l’accent est souvent mis sur les ‘thérapies verbales’ et la médiation verbale de l’éducation, réalisent d’entrée de jeu que certaines utilisations du langage ou de la parole peuvent être davantage un fardeau qu’une aide pour les personnes autistes. Un autre exemple a trait au fait que les enfants qui combinent autisme et graves handicaps mentaux et dont l’âge de développement est de deux ans (un âge mental qui permet aux enfants se développant normalement et à ceux présentant des difficultés d’apprentissage de ‘parler’) peuvent devoir apprendre à utiliser un mode de communication expressif via des images ou des objets parce que leur capacité à tirer une signification des perceptions et que leur connaissance symbolique est inférieure à celle théoriquement inhérente à leur âge mental (Happe, 1995 ; Jordan, 1996b ; Peeters, 1997). Le développement de la communication dans le cas de l’autisme est vital afin de pratiquer des ouvertures vers notre monde, cependant la mauvaise utilisation de la communication peut être une source de souffrances, d’abus, voire de violences psychologiques. Gerland (1997) s’exprime sur les difficultés qu’elle a ressenties lorsqu’elle a progressé dans le monde social et ce, malgré son niveau d’intelligence très élevé. ‘…vous avez des règles tellement compliquées dans votre monde ! Et en permanence, je dois y penser, encore, encore et encore’ (Gerland, 1997, p.225). 75 Ou lorsqu’elle se rendit dans sa nouvelle école le tout premier jour : ‘…250 voix imprévisibles et tous ces bras et ces jambes’ (Gerland, 1997, p.88) D’aucuns ont déclaré que les personnes autistes souffrent de ‘cécité de l’esprit’ ou ‘de cécité sociale’ (Baron-Cohen, 1995). Elles éprouvent d’extrêmes difficultés à déchiffrer nos yeux, nos visages, davantage lorsqu’elles se retrouvent parmi un groupe que lors d’un face à face (Lee et al., 1994). Ce phénomène est souvent mal compris et les personnes autistes (dans une culture où de nombreux effets thérapeutiques sont associés à des situations de groupes sur base du principe que ‘sinon elles deviendront davantage autistes’) sont parfois catapultées dans des groupes, ce qui induit confusions et douleurs intolérables. Des comportements récurrents, stéréotypés, obsessionnels peuvent entraver ce que nous dénommons l’évolution pédagogique, mais ils constituent parfois la seule défense des personnes autistes contre la surcharge cognitive et sociale présente dans l’environnement (Grandin, 1995 ; Williams, 1996), une forme d’autoprotection. Développer une forme de respect envers ce réflexe d’autodéfense des personnes autistes ne se fait pas automatiquement. Un professionnel insuffisamment formé peut se débarrasser de la seule forme de défense dont une personne autiste disposait encore. C’est un acte cruel et violent issu de l’ignorance et d’une carence en formation. 9.4.2 L’évaluation : un point de départ pour un programme individualisé L’autisme peut être associé à tous les niveaux d’intelligence de sorte qu’une connaissance générale de l’autisme s’avère insuffisante car il faut également disposer d’éléments relatifs au développement cognitif. Un programme éducatif destiné à Rainman différera certainement du programme ébauché pour une personne dont l’âge mental est peu élevé. En outre, les personnes autistes présentent des profils extrêmement inégaux, d’où la nécessité de disposer d’informations détaillées sur les différents domaines de fonctionnement. Prendre l’âge mental comme base d’élaboration d’un programme éducatif constitue une piètre pratique professionnelle susceptible d’engendrer une démotivation, un sentiment d’échec ainsi qu’un respect de soi amoindri. Le projet éducatif doit ambitionner la réussite car en l’absence de succès, le personnel se sentira extrêmement stressé et répercutera ses réactions négatives contre des tierces personnes (Harris et al., 1996). La réussite s’avère uniquement possible si des évaluations détaillées ont été effectuées et si des programmes individualisés ont été concoctés sur base des résultats des évaluations. 9.4.3 Adapter l’environnement L’adaptation est un processus réciproque. Grâce à l’élaboration d’un programme éducatif spécialisé, les professionnels tentent ‘d’adapter’ une personne autiste afin qu’elle atteigne ce que nous appelons communément ‘une qualité de vie’. Cependant, l’autisme est un trouble pervasif du développement de sorte qu’on ne peut s’attendre à ce que ces adaptations émanent des personnes autistes elles-mêmes. La société est-elle capable et désireuse de s’adapter à elles de manière ‘pervasive’ ? Comment débutent les adaptations dans le cadre de l’élaboration d’un programme éducatif ? Thérèse Joliffe a écrit que les efforts déployés afin de trouver un modèle sous-jacent au chaos avaient constitué le moment le plus difficile de son existence (Joliffe et al., 1992). Si trouver un modèle semble être ardu, cet aspect primera lors de l’élaboration du programme éducatif des étudiants autistes. Personne n’est prêt à aborder des programmes de communication, d’interaction sociale etc. lorsque son existence est empreinte de chaos et de confusion. Etre capable d’anticiper le moment et le lieu où un événement se produit semble constituer le point de départ de l’indépendance et du respect de soi. Sans prévisibilité, la personne est trop impuissante et terriblement dépendante. 76 Si une personne vit dans un monde présymbolique où les perceptions ne sont que des perceptions (absence de signification au-delà du littéral), son existence est entièrement dominée par la coïncidence. Ces situations sont propices au déclenchement de la violence : un niveau extrême de stress débouche sur des problèmes comportementaux car la ‘signification’, la prévisibilité, le ‘pouvoir’ sur la vie font défaut. D’autre part , les professionnels ne comprennent pas que le problème de comportement découle du sentiment d’impuissance et se traduit par une réaction négative. Si les professionnels ne saisissent pas que le ‘problème de comportement’ est une tentative désespérée pour solliciter du pouvoir (une signification), leur réaction irréfléchie et violente (ou négligente) peut accroître le sentiment d’impuissance de la personne autiste. 9.4.4 Le recours à des stratégies éducatives spécialement adaptées à l’autisme L’utilité d’une approche éducative spécialement adaptée à l’autisme (à savoir, l’élaboration de méthodes et stratégies appropriées) est flagrante. Imaginez une école pour sourds où des méthodes éducatives pour aveugles seraient utilisées. D’aucuns s’accordent à dire que cette situation relèverait de l’absurde. Imaginez à présent un centre pour personnes autistes où des stratégies pour personnes présentant de graves difficultés d’apprentissage (sans être autistes) seraient utilisées. Absurde, bien entendu, mais dans le contexte européen, cette situation est malheureusement davantage la règle que l’exception. Cependant, ce ne devrait pas être le cas, même dans des institutions mixtes ; les pratiques efficientes spécifiques à l’autisme sont connues et les besoins des personnes autistes sont prioritaires (et fortuitement bénéficient à un groupe plus vaste du centre pour enfants ayant des difficultés d’apprentissage). Une des stratégies primordiales à utiliser repose en particulier sur les méthodes ‘augmentatives’ visuelles de communication et d’éducation car la majorité des personnes autistes confirment elles-mêmes les propos avancés dans la littérature internationale, à savoir leur prédilection pour l’apprentissage visuel (Grandin, 1995 ; Jordan & Riding, 1995 ; Sacks, 1995). 9.5 TYPES DE FORMATION 9.5.1 Formation continue pour les professionnels (formation à long terme) Il est souhaitable que la formation initiale dispensée aux professionnels intègre les principes ébauchés dans les précédents paragraphes. Néanmoins, il ne faut pas s’illusionner et croire que la violence survient uniquement parmi le personnel non formé et/ou inexpérimenté. La triste réalité démontre qu’une formation non spécialisée en matière d’autisme ne contrecarrera pas efficacement les causes de violence répertoriées dans cet article. Les individus stressés ou mis sous pression afin d’obtenir certains résultats avec leurs clients ou qui disposent de certains niveaux de contrôle avec des moyens restreints risquent de recourir à la violence. Si de telles conditions prévalent dans un service, une culture de la violence peut émerger où la violence est pardonnée, voire considérée comme inévitable. Dans de telles circonstances, les membres du personnel peuvent se soutenir mutuellement dans le recours à la violence et conspirer afin de se protéger des interventions ou inspections extérieures. Il s’avère par conséquent nécessaire de favoriser la formation continue afin que les travailleurs d’un centre puissent être exposés à d’autres modèles, d’autres idées de traitement nécessaires et acceptables. Le rôle de la formation continue s’avère dès lors crucial. Idéalement, elle prendrait les traits d’une formation obligatoire à l’issue d’un certain laps de temps, mais actuellement ce n’est pas le cas en matière d’autisme (du moins au R-U). Il est également important que la formation passe de l’intervention de crise à court terme vers une stratégie à long terme qui permette de conforter sa connaissance de l’autisme et 77 d’élaborer une tactique de changement applicable à la situation dans son ensemble et non pas uniquement à l’individu autiste. Ces principes ne sont pas spécifiques à l’autisme, mais revêtent néanmoins dans ce cas une pertinence accrue. Travailler avec des personnes présentant des troubles du spectre autistique implique un effort sérieux, voire ardu pour autant que nous admettions qu’il puisse être gratifiant et révélateur. Les professionnels concernés assument une énorme responsabilité quant à la qualité de vie des personnes autistes et de leurs familles. Si nous appréhendons la nature complexe de la tâche des professionnels (et des parents) en matière d’éducation et de prise en charge de la personne autiste, il est inconcevable d’envisager l’exécution de cette mission sans formation adéquate. Il est démontré que les attitudes sont tout aussi importantes que les connaissances comme éléments déterminants du comportement professionnel (Hall & Oliver, 1996). Les formations fondées sur les aptitudes à court terme ont un rôle à jouer au niveau de la construction de l’expérience, mais en l’absence d’une compréhension approfondie de l’autisme, de simples techniques peuvent être mal comprises et mal appliquées (Jordan, 1996a). Une analyse de la manière dont les étudiants impliqués dans des formations à long terme (1 ou 2 ans à mitemps) évaluent leur propre changement d’attitude dans la pratique démontre l’importance accordée par ces professionnels à la modification de leur comportement (schéma 1 cidessous) précurseur d’une modification de leur pratique. Une centaine d’étudiants inscrits à un cours de formation continue à temps partiel organisé par l’Université de Birmingham au R-U (tous diplômés comme professeurs, assistants sociaux, infirmières, psychologues, thérapeutes et travaillant avec des personnes présentant des troubles du spectre autistique) ont complété des formulaires d’évaluation sur les changements qu’ils avaient apporté à leur pratique suite à leur participation au cours. Une analyse qualitative des réponses à ce questionnaire ouvert a démontré que l’allusion à un ‘changement d’attitude’ constituait l’influence la plus flagrante dans l’amélioration de leur façon d’agir. Skills Networking Knowlegde 80 60 40 20 0 Attitude Figure 1: Facteurs affectant la pratique cités par les professionnels qui ont suivi une formation sur l'autisme Série1 78 9.5.2 L’importance de la pratique Outre, voire parallèlement à la possibilité de réfléchir et d’analyser les pratiques tirées des cours universitaires de formation continue, il convient d’aider les professionnels à traduire ces acquis et leur conception dans leurs actes. Dans une certaine mesure, les cours universitaires peuvent apporter leur concours en intégrant aux critères d’évaluation des illustrations de l’application de la théorie à la pratique (à l’instar des cours de Birmingham). Cependant, nombre d’entre eux ne seront pas éligibles pour cette formation et/ou les participants estimeront ce procédé trop abstrait, éprouveront le besoin d’être formés sur leur lieu de travail. Au R-U, certaines formes de besoins spécifiques (à savoir les difficultés sensorielles) impliquent l’obligation pour les professeurs de tels élèves de recevoir une formation endéans les trois premières années de leur entrée en fonction ; cette formation doit en outre comprendre un volet lié à l’évaluation de la pratique. Malheureusement, le gouvernement britannique est opposé à l’extension de cette obligation à l’autisme. Qui plus est, les coûts d’évaluation de la pratique sont trop onéreux pour être inclus dans les cours de formation continue en l’absence de toute obligation. Par conséquent, des cours pratiques semblables à ceux dispensés au Opleidingscentrum d’Anvers s’avèrent nécessaires. Leur vertu première réside dans le fait qu’ils ne tentent pas de donner des ‘tuyaux’ aux membres du personnel, une pratique susceptible d’engendrer une mise en application erronée, mais veillent à traiter davantage des principes et s’attachent à leur mise en œuvre concrète grâce à une expérience pratique encadrée. La meilleure approche en matière de formation se situe sur le long terme, comme indiqué ci-dessus, et intègre les principes inhérents à la réduction comme à la prévention des comportements difficiles des personnes autistes. Néanmoins, même le personnel le mieux formé commet occasionnellement des erreurs, et dans certains cas, des situations provoqueront des comportements difficiles qui ne pourront pas être entièrement contrôlés. Un des objectifs de la formation pratique consistera dès lors à fournir au personnel des méthodes pour éviter une réaction violente face à un comportement difficile ou défiant. Ces techniques engloberont : • la détection de ses propres symptômes de stress et de tension en instaurant des méthodes de désamorçage (exercices de respiration, fredonnement, exercices d’aérobic, musique, etc.). A titre d’exemple, un des auteurs a attribué l’absence manifeste de tension et de stress, généralement présents à la fin de l’automne, en particulier dans les établissements scolaires spécialisés pour enfants autistes, au fait que le personnel participait également aux séances quotidiennes d’aérobic organisées pour les élèves. • mise en œuvre d’un comportement alternatif qui sert la même fonction. Cela implique une formation préalable à l’analyse fonctionnelle de son propre comportement ; cette technique requiert davantage d’aptitudes analytiques et d’honnêteté que lorsque elle s’applique au comportement d’autrui. Ainsi, si la principale fonction de la violence est de mettre un terme au comportement d’une personne autiste, d’autres manières de modifier le comportement en question sont répertoriées (ou proposées lors d’un brainstorming). Dans l’éventualité où il s’avère improbable que leur efficacité à courte échéance satisfasse le besoin immédiat du professionnel, des solutions provisoires sont instaurées dans l’attente d’un meilleur contrôle ou gestion du comportement de la personne autiste (ex. méthodes pour éloigner le professionnel du contexte déclenchant que ce soit dans la réalité ou dans l’imaginaire). Si la principale fonction de l’acte violent est de relâcher la tension et les frustrations, certaines des techniques précédemment suggérées pourraient être tentées. • Finalement, intervient la question de la motivation. Fréquemment dans de telles situations, le professionnel attribue le problème à la personne autiste et manifeste quelques réticences à remanier son propre comportement au lieu de tenter de modifier celui de la personne 79 concernée. Parfois, l’adhésion à la nécessité d’un changement, peut être induite par une sensibilisation du professionnel aux effets à long terme de son comportement qui aggravent la situation. Parfois, cette révélation s’avère cependant insuffisante pour induire un changement de comportement et une modification des attitudes sous-jacentes. Les professionnels peuvent rechigner à déployer tant d’efforts pour un individu (surtout s’ils estiment, par exemple, que les autres personnes confiées à leurs soins ne posent pas de problème et sont plutôt négligées) ; ils peuvent également se sentir pris au piège de ce type de comportement. Une caractéristique du comportement violent est que les auteurs peuvent reconnaître l’existence d’autres formes de conduites dans l’abstrait, mais ne pas ressentir personnellement le sentiment qu’ils peuvent se comporter différemment (Harris et al., 1996). Dans de telles circonstances, imposer un changement de comportement est susceptible d’aggraver la situation : effectivement, les individus concernés se sentiront davantage impuissants et inaptes de sorte que recourir à une technique thérapeutique dérivée de la théorie de la construction personnelle de Kelly (1995) peut se révéler plus judicieux. Cette technique n’implique pas une modification de la personnalité ou des modalités constantes de comportement, mais invite plutôt le professionnel à s’imaginer dans la peau d’une personne qui réagit différemment. Par exemple, grâce à l’imagination, les professionnels se mettent dans la peau d’une personne qui ne cède pas à une colère incontrôlable suite au comportement d’une personne autiste, mais qui en lieu et place fait davantage preuve de tolérance et parvient à se comporter plus rationnellement. Un autre élément d’importance a trait au fait que les professionnels ne doivent pas se soumettre à un changement de comportement permanent (solution qui peut leur sembler menaçante), mais à un essai sur une durée de quelques jours ou d’une semaine, selon ce qui est jugé opportun. Il apparaît généralement qu’une personne soit capable de remarquer les effets bénéfiques d’un comportement différent lors d’un ‘essai’ et soit ensuite motivée à opérer un changement permanent dans son comportement. Elle aura, à tout le moins, éprouvé l’idée selon laquelle elle est impuissante face à sa propre colère ou son incapacité à changer et pourra être persuadée de prolonger ‘l’essai’ jusqu’au moment où elle se sentira suffisamment en confiance pour changer. Après tout, il est effrayant de modifier une ‘technique’ qui fait partie intégrante de son répertoire dans une situation donnée, même si l’on reconnaît son inefficacité à long terme, tout particulièrement en l’absence de garantie de succès immédiat des alternatives (ce qui est invariablement le cas en matière d’autisme). 9.5.3 Responsabilisation Ce point se rattache au thème de la motivation soulevé ci-dessus. Un élément vital de la formation, à l’instar de l’éducation prodiguée aux individus autistes ou même à tous les individus, porte sur la nécessité de prendre comme point de départ les aptitudes, l’expérience et la personnalité de l’apprenant. Une formation efficace n’impose pas à l’apprenant une méthode qui lui est étrangère sinon il lui sera ardu de la traduire dans la pratique, voire même à long terme. La personne doit pouvoir s’approprier cette approche et se sentir habilitée à agir selon une nouvelle modalité plutôt que de se sentir empêchée d’agir selon l’ancienne méthode. La législation seule est rarement responsable d’un tel changement (Lyon, 1994) excepté si d’un point de vue culturel cette métamorphose et le changement idéologique sont acceptés. Tenter d’imposer un changement d’attitude ou de comportement peut purement et simplement déboucher sur des ‘réactions’ (Short & Carrington, 1991) : les opinions étrangères sont rejetées et la culture de la violence renforcée. La formation ne doit pas mettre la violence en exergue dans une tentative pour s’en débarrasser, mais devrait se concentrer à la place sur l’instauration d’interactions positives et d’aptitudes que la personne a déjà commencé à démontrer en l’habilitant parallèlement à se comporter selon des manières qui lui sont propres. Un programme de formation restreint (10 semaines, 2 heures/semaine) qui a recours à de telles techniques de 80 responsabilisation avec des parents démontre à quel point ces derniers peuvent accroître leur confiance quant à la manière d’agir positivement (Jones & Jordan, 1997). 9.5.4 Accompagner le changement Comme Harocopoulos (1975) l’a démontré, nous ne pouvons nous contenter de former des individus et les laisser aux prises avec un climat qui n’est pas propice à leurs nouvelles aptitudes et conceptions surtout si nous comptons sur les effets durables de la formation. Il est important que les institutions soient favorables à des approches non violentes et que cet engagement ne se limite pas à de belles paroles, mais se traduisent par des stratégies d’accompagnement du personnel (Harris et al., 1996). Cet accompagnement englobe des stratégies et des moyens destinés à réduire le stress ainsi que des séances de debriefing du personnel à l’issue d’incidents stressants. Les politiques mise en œuvre par les institutions doivent encourager les professionnels à se soutenir mutuellement et non à entrer en compétition de façon à leur faire admettre d’entrée de jeu à quel moment ils ne sont plus aptes à faire face et à quel moment solliciter une aide au lieu d’attendre que la crise ne s’amplifie. En Angleterre et au Pays de Galles par exemple, le système d’inspection de la qualité des établissements scolaires (OFSTED : DfE, 1993) devrait mettre en lumière des pratiques de collaboration dans ces écoles en guise de marque de qualité plutôt que d’identifier les niveaux d’ancienneté des professeurs comme c’est le cas actuellement. Si admettre le besoin d’aide est considéré comme un signe de médiocrité et de faiblesse de l’enseignant, il en ressortira inévitablement une propension à dissimuler les difficultés et à les contourner (par quelque moyen que ce soit) au lieu de les affronter. Jordan et Powell (1995b) ont détaillé les faiblesses de l’enseignement et de la formation professionnelle (particulièrement dans le domaine de l’autisme), notamment le principe qui consiste à ce que chaque praticien apprenne de ses collègues ‘sur le tas’. Ce type d’approche (dénommée l’approche ‘sit by Nellie’ dans le secteur industriel et qui fut longtemps jugée inefficace) pourrait fonctionner si le modèle met en œuvre de bonnes pratiques, mais même dans ce cas, imiter les agissements d’une personne sans en comprendre les motivations ne peut conduire qu’à une forme d’échopraxie. Cette pratique n’est plus acceptable à une époque où les cours de formation professionnelle sont disponibles dans le domaine de l’autisme. 9.6 CONTINUITE DES SERVICES ET MOYENS PRATIQUES SUFFISANTS POUR EVITER TOUTE VIOLENCE OU NEGLIGENCE Dans le chapitre précédent, nous avons mis en exergue les aspects relatifs à l’éducation et la formation des professionnels et autres afin de les amener à travailler efficacement (sans violence ni négligence). Néanmoins, il ne faut pas oublier qu’une dimension politique importante est associée à la prévention de la violence et à la prise en charge des personnes autistes ainsi que de leurs familles. L’expérience pratique des auteurs est que les professionnels et autres personnes responsables de la prise en charge se montrent extrêmement satisfaits de leur formation à l’issue de celle-ci. Ils signalent fréquemment avoir beaucoup appris et nettement mieux comprendre l’autisme, l’évaluation, l’adaptation de l’environnement, l’utilisation des stratégies augmentatives, etc. Cependant, lorsqu’ils abordent leur situation professionnelle et la possibilité de mettre en œuvre les tâches qui leur incombent (dans le cas, par exemple, d’un professeur confronté sans aide supplémentaire à une classe pour quatre enfants autistes présentant également d’autres difficultés d’apprentissage graves ou le cas d’une infirmière dans une unité psychiatrique avec 20 ‘patients’), ils parlent du stress induit par le fait de savoir ce qu’il faut faire pour la personne confiée à leur charge, mais ne pas en avoir les moyens d’où le risque inhérent de renoncer et de négliger tout le savoir acquis. 81 Par conséquent, il s’avère vital de fournir les services appropriés afin d’éviter tout risque de problèmes de comportement et de violence dans les centres pour personnes autistes. Dans ce contexte, le terme ‘approprié’ signifie une continuité dans les services spécialisés proposés aux personnes autistes tout au long de leur existence (soit des services spécialisés, soit des pratiques spécifiques dans des services mixtes). Les conditions suivantes doivent cependant être respectées : 9.6.1 Créer une continuité horizontale Une personne autiste n’est pas autiste à temps partiel, mais à plein temps. Ce fait implique que deux heures par semaine de ‘thérapie’ ou même deux heures par jour frise le ridicule si la personne autiste ne peut se trouver à temps plein dans un environnement où elle peut adapter son autisme de manière cohérente. Cela requiert une excellente coordination entre les différents environnements où un individu évolue : maison, classe, pensionnat, services de répit, centre de formation professionnelle, groupes établis en vue de développer les aptitudes sociales, etc. Une bonne collaboration entre les parents et les professionnels, qui partagent des idées ainsi que des attentes similaires, mais réalistes s’avère également nécessaire. 9.6.2 Créer une continuité verbale Une personne est autiste à vie, même si elle est capable de faire des progrès remarquables, elle ne cesse pas d’être autiste à l’âge de 12, 16 ou 32 ans. Les services doivent offrir une protection en conséquence en prenant en compte le vaste nombre d’adultes autistes (en particulier ceux qui présentent des difficultés d’apprentissage) qui requerront des soins tout au long de leur existence. Les services nécessaires pour les personnes autistes et leurs familles comprennent : • diagnostic et formation à domicile ; • enseignement maternel, primaire, secondaire ; • études universitaires suffisamment adaptées à l’autisme afin que la personne autiste puisse mener une existence équilibrée entre protection et défi ; • centres résidentiels et infrastructures de travail pour personnes autistes ; • infrastructures de loisirs pour les personnes autistes et leurs familles. Toutes les personnes autistes ne doivent pas bénéficier de l’ensemble de ces services, mais ils s’avèrent néanmoins nécessaires pour certaines d’entre elles ainsi que leurs familles. Au sein de tous ces services, le personnel devrait être suffisamment formé à l’autisme. Le rôle de la mise sur pied de ces services dans un esprit de continuité afin de prévenir les problèmes de comportement et la violence ne peut pas être exagéré. Lors de la formation pratique (organisée par l’un des auteurs), des modèles théoriques comme pratiques sont proposés aux participants ; généralement, l’accent est mis sur la prévention des problèmes dus au stress. A la fin de la semaine, le ‘problème de comportement le plus important’ de la semaine est analysé. Un plan de traitement est ébauché. Au début de la discussion, il s’avère néanmoins opportun d’insister sur la nature hypocrite du débat si des services permanents adaptés aux personnes autistes ne sont pas concrétisés. Imaginez un enfant autiste dont la famille a pu bénéficier d’un diagnostic précoce, de services de formation à domicile. Ensuite, cet enfant est admis dans l’enseignement primaire et secondaire en ayant, en permanence, été entouré de personnes spécialement formées, capables d’adapter l’environnement, de réaliser des évaluations et d’ébaucher des programmes individualisés et qui ont utilisé des stratégies pédagogiques spécialement adaptées à l’autisme. Bien qu’il existe des exceptions, il est vraisemblable que cette personne autiste ne présentera pas beaucoup de problèmes de comportement. 82 Imaginez le même enfant pour lequel un diagnostic a été posé tardivement et dont les parents sont perplexes en raison des carences en aide spécialisée. Un enfant contraint de passer d’une ‘infrastructure’ à l’autre où une connaissance spécialisée de l’autisme fait défaut. A l’âge de 15 ans, cet enfant éprouve de graves problèmes comportementaux. N’en déduit-on pas qu’une analyse qui fait fi de l’absence de services adaptés est hypocrite ? Cette situation rappelle un panneau d’un zoo ‘attention, cet animal est dangereux. En cas d’attaque, il mord.’ Peut-être faudrait-il imaginer un autre message pour les prestataires de services : ‘Attention, cette personne est autiste. Si vous ne pouvez vous adapter à son autisme, elle aura des problèmes de comportement’. 9.7 LE PROFIL DE LA ‘PERSONNE CHARGÉE DE S’OCCUPER’ D’UNE PERSONNE AUTISTE A personne extraordinaire, professionnel extraordinaire. Ces trente années d’expériences (communes) dans le domaine de la formation, nous permettent de formuler une autre ‘idée’ : afin d’aider ces individus autistes différents, les professionnels eux-mêmes doivent être ‘qualitativement différents’. Certains d’entre eux ne parviendront jamais à élaborer des programmes éducatifs individualisés, même en ayant suivi la meilleure formation théorique et pratique. Il est inutile de ‘forcer’ quelqu’un à travailler avec des enfants autistes (nous avons connaissance de situations où des directeurs désignent au hasard les professeurs, mais cela ne fonctionne pas). Les professionnels doivent eux-mêmes choisir l’autisme. Ils n’opèrent pas un choix ‘malgré l’autisme’, mais ‘en raison de l’autisme’. Quel est le secret ? Jusqu’à présent, nous avons toujours avancé, en l’absence d’autre d’explication, qu’il faut attraper le ‘virus de l’autisme’. Pour les initiés, cette expression est parfaitement claire. Nous connaissons cependant des professionnels qui n’attraperont jamais ce ‘microbe’ car ils sont ‘immunisés’. Le problème réside malheureusement dans le fait que les virus sont invisibles pour les autorités. En conséquence, nous estimons nécessaire d’élaborer un profil professionnel pour les personnes chargées de la prise en charge des personnes autistes. Voici, selon nous, les caractéristiques les plus fondamentales : Etre attiré par les différences Nous pensons qu’il est utile d’être des ‘aventuriers du mental’ et de se sentir attiré par l’inconnu. Certaines personnes craignent les différences, d’autres sont attirées et souhaitent en découvrir davantage à leur sujet. Avoir une imagination vive Comme expliqué ci-dessus, il est pratiquement impossible de comprendre ce qu’est l’existence dans un monde littéral, les difficultés à aller au-delà de ‘l’information fournie’ (Bruner, 1975), le fait d’aimer sans intuition sociale innée. Afin de partager l’esprit d’une personne autiste, qui souffre d’un problème d’imagination, nous devons générer en compensation, d’énormes trésors d’imagination. Etre capable de donner sans recevoir des remerciements (ordinaires) Nous devons être capables de donner sans beaucoup recevoir en retour et ne pas être déçus par le manque de réciprocité sociale. Au fil de l’expérience, une personne apprendra à détecter les formes alternatives de remerciements et la gratitude (justifiée ou non) manifestée par de nombreux parents compense amplement. Etre désireux d’adapter son style naturel de communication et d’interaction sociale Le style requis a davantage trait aux besoins de la personne autiste qu’à nos niveaux spontanés de communication sociale (du type logorrhée ?). Cette tâche n’est pas aisée et 83 implique de nombreux efforts d’adaptation, mais il est vital de prendre en considération les besoins qu’il nous incombe de satisfaire. Avoir le courage de travailler ‘seul dans le désert’ Tout particulièrement lors des balbutiements des services instaurés dans ce domaine, peu de personnes comprennent l’autisme de sorte qu’un professionnel motivé risque d’être victime de critiques au lieu d’être applaudi pour ses nombreux efforts. Les parents ont connu ce genre de critiques bien avant : ‘tout ce dont il a besoin, c’est de la discipline’, ‘si c’était le mien’ ‘mères réfrigérateurs’ etc. Ne jamais se satisfaire de son degré de connaissance L’apprentissage de l’autisme et des stratégies éducatives est un processus continu car la connaissance dans ces deux domaines s’amplifie en permanence. Le professionnel qui pense l’avoir trouvée, l’a en fait ‘perdue’. La formation à l’autisme n’est jamais ‘terminée’. Accepter que chaque petit progrès apporte un nouveau problème Parfois, les gens ont tendance à jeter leur mots croisés s’ils ne parviennent pas à trouver la solution. C’est impossible dans le cas de l’autisme. Une fois que vous avez commencé, vous savez que votre mission de ‘détective’ ne se termine jamais. Capacités pédagogiques et analytiques extraordinaires Le professionnel de l’autisme doit avancer très progressivement, recourir à des supports visuels à des niveaux très individualisés. Maintes évaluations doivent être accomplies en permanence de sorte qu’il faut continuellement s’adapter. Etre prêt à travailler en équipe Etant donné que l’approche doit être cohérente et coordonnée, tous les professionnels doivent être informés des efforts déployés par les collègues ainsi que du degré d’aide proposé. Cela inclut les parents, tout particulièrement dans le cas des jeunes enfants. Humble Nous pouvons être des ‘experts’ en général, mais les parents sont les experts concernant leur enfant et nous devons tenir compte de leur sagesse et de leur expérience. Dans le domaine de l’autisme, le professionnel qui désire rester sur son ‘piédestal’ n’est pas utile. Lors de la collaboration avec les parents, il est important de parler des réussites, mais aussi d’admettre les échecs (‘s’il vous plaît, aidez-moi’). Les parents doivent aussi apprendre que les experts en autisme ne sont pas des dieux olympiques. Certains attendent sans doute le mot amour dans cette liste. L’amour est bien entendu essentiel, mais comme un parent l’a déjà indiqué ‘l’amour n’est pas un remède miracle’. Les parents et professionnels qui comptent trop sur les effets de l’amour seront déçus. Si l’enfant n’accomplit pas suffisamment de progrès, est-ce parce qu’il n’est pas suffisamment aimé ? Ou peut-être l’avons-nous aimé suffisamment, mais lui n’a pas accepté notre amour en suffisance. De telles attitudes sont destructrices et créent un abîme là où une collaboration optimale s’avère nécessaire. Amor NON vincit omnia. L’autisme est différent. 9.8 CONCLUSION En matière d’autisme, la prévention de la violence et des problèmes dus au stress dépend des caractéristiques individuelles de l’enfant, mais aussi du niveau de formation offert aux parents et professionnels. Ces paramètres dépendent également des attitudes utilisées envers les personnes faibles et de la continuité des moyens pratiques disponibles. Le degré de civilisation d’une société peut être mesuré par le niveau de protection octroyé aux plus vulnérables. 84 REFERENCES AMERICAN PSYCHIATRIC ASSOCIATION (APA) (1994) Diagnostic and Statistical Manual of Mental Disorders IVth Edition Washington, DC, APA ATTWOOD, A., FRITH, U. & HERMELIN, B. (1988) The understanding and use of interpersonal gestures by autistic and Down’s syndrome children Journal of Autism and Developmental Disorders, 18, 241-257 BARON-COHEN, S. (1995) Mindblindness: an Essay on Autism and Theory of Mind London, MIT Press BLUNDEN, R & ALLEN, D (1987) Facing the Challenge: an ordinary life for people with learning difficulties and challenging behaviour London, Kings Fund Centre BRUNER, J.S. (1975) The Ontogenesis of Speech Acts. Journal of Child Language 2, 2-19 COPELAND, J (1973) For the Love of Ann London, Arrow Books DEPARTMENT FOR EDUCATION (1993) Handbook for the inspection of schools, London; Ofsted GERLAND, G. 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Certaines des considérations applicables à l’utilisation de médicaments sont énumérées ci-après. 10.1 Mesure de précaution et stockage des médicaments Les médicaments doivent toujours être stockés dans des conteneurs dotés d’une serrure verrouillée. Des vitrines adaptées sont généralement utilisées par les pharmaciens afin d’y entreposer les médicaments contrôlés. Le pharmacien local a généralement la possibilité d’obtenir ce présentoir à prix coûtant auprès de son fournisseur. Il n’est pas rare que des médicaments s’égarent ou disparaissent de la circulation. Un système d’enregistrement minutieusement détaillé de tous les médicaments s’avère être une condition sine qua non absolue. Même les ‘médicaments en vente libre’ et les 'remèdes phytothérapeutiques' doivent être répertoriés car ils sont parfois susceptibles d’engendrer des effets très prononcés. Les relevés doivent être régulièrement inspectés afin de confirmer leur exhaustivité et leur fiabilité. 10.2 Posologie La posologie ainsi que les intervalles entre les prises doivent être rigoureusement respectés. Si la prescription indique ‘trois fois par jour', les prises devront être espacées de la manière la plus équitable que possible. A titre d’exemple, les antibiotiques sont fréquemment prescrits à raison de 'trois fois par jour'. S’ils sont administrés avant le petit déjeuner, au déjeuner et avant l’heure du thé, cela signifie que les trois doses ont été ingérées au cours d’une période de neuf heures. Les 15 heures restantes seront exonérées de toute médication et l’infection bactérienne aura toute latitude pour 'reconquérir du terrain' durant cette période. Il est tout aussi stupide de réveiller une personne en pleine nuit pour lui administrer son médicament. On estime que seulement 13% des médicaments prescrits sont pris conformément aux instructions stipulées sur l’ordonnance. Une première difficulté consiste à s’assurer que les personnes autistes prennent effectivement leurs médicaments. Certaines sont passées maîtres dans l’art de dissimuler les médicaments dans leur bouche pour les recracher ensuite. Pour la plupart des médicaments, une forme liquide est disponible, notamment pour les personnes qui éprouvent des difficultés à avaler une médication sous forme solide. Même si un tel produit 89 n’est pas commercialisé, il est généralement possible de prendre des dispositions pour produire une forme liquide acceptable. 10.3 Respect des instructions Les étiquettes comportent fréquemment une série d’instructions subsidiaires. 'Eviter le lait'. 'Prendre avant ou durant le repas'. De telles recommandations doivent être assimilées à des instructions et non à de simples conseils. A titre d’exemple, la plupart des antibiotiques doivent être pris l’estomac vide. En d’autres termes, ils doivent être consommés au minimum une demi-heure avant ou une heure après un repas. 50% de leur activité potentielle sera réduit à néant si de telles instructions sont ignorées. Certains antibiotiques (notamment l’oxytetracycline) sont rendus complètement inertes au contact du calcium présent dans les produits laitiers et dans maintes préparations antiacides. En revanche, dans d’autres cas il est préférable de prendre les médicaments lors des repas. En règle générale, l’ingestion de médicaments lors des repas engendre des résultats moins spectaculaires, mais suscite une action prolongée. L’ingestion de médicaments avec des denrées alimentaires s’avère également utile lorsqu’ils sont susceptibles d’endommager la paroi de l’estomac par exemple. L’aspirine constitue une excellente illustration de ce propos. 10.4 Absorber avec de l’eau Dans l’ensemble, tous les médicaments doivent être absorbés avec de l’eau. L’œsophage que le médicament va parcourir entre la bouche et l’estomac ne constitue aucunement un conduit rigide le long duquel le comprimé dégringole. Le médicament est activement transporté le long de l’œsophage grâce aux ondes péristaltiques. Un minimum de 100 ml d’eau (une tasse pleine) s’avère nécessaire pour garantir ce processus. La méthode qui consiste à prendre les comprimés 'à sec' est nocive, potentiellement préjudiciable et cruelle bien qu’elle soit répandue chez les personnes handicapées de manière inacceptable. De nombreux comprimés sont acides et auront pour conséquence physique une brûlure de la gorge par exemple. Dans de nombreux établissements scolaires ou centres pour personnes présentant des besoins spécifiques, il existe une difficulté flagrante à persuader les clients de prendre leurs médicaments. Leur refus peut être imputable à un goût déplaisant ou aux effets secondaires, voire le plus fréquemment au fait que le médicament ne soit pas administré avec des quantités d’eau suffisantes de sorte que l’ingestion des comprimés déclenche des douleurs instantanées. Il n’est dès lors pas surprenant que, dans ces circonstances, des réticences accompagnent la prise du médicament. 10.5 Interactions entre médicaments Une fois encore, le personnel soignant doit faire preuve de vigilance face à de telles possibilités. De nos jours, les pharmacies et les médecins inscrivent dans leurs dossiers tous les médicaments prescrits à chaque client individuel. En conséquence, il s’agirait simplement de repérer les difficultés éventuelles. La plupart des ordinateurs modernes dont les pharmacies sont équipées indiqueront les problèmes éventuels qui pourront ainsi être évités. Même les médicaments en vente libre et les remèdes phytothérapeutiques devraient être vérifiés de cette manière. Si des particularités existent chez un sujet défini, par exemple une sensibilité aux pénicillines ou au blé, elles devront être notifiées au pharmacien afin qu’il les encode dans son ordinateur. Dans certains cas, cette précaution est susceptible de sauver des vies. 90 Il s’avère manifestement utopique de relater tous les exemples d’interactions médicamenteuses possibles, néanmoins un aperçu éloquent est proposé ci-après. Les tetracyclines et les antiacides ont déjà été cités. Le même propos s’applique aux suppléments en fer (qui peuvent être présents dans les fortifiants et les produits multivitaminés). Mis en contact, ils réagissent dans l’estomac pour former un complexe totalement inerte de sorte que les effets bénéfiques de l’antibiotique et du supplément seront vains. La Warfarin et l’aspirine (et d’autres anti-inflammatoires non stéroïdes). Ces deux produits ont des effets qui, dans certaines circonstances, s’avèrent bénéfiques. Tous deux dilueront le sang et préviendront ainsi la coagulation sanguine dans des circonstances appropriées. La quantité de warfarin ingérée à cette fin est critique pour chaque patient. Le simple fait de prendre une aspirine en apparence innocente pourrait amplifier ces effets et provoquer une hémorragie interne. Des médicaments antifongiques comme le metronidazole (Flagyl) et autres (généralement assortis du suffixe -azole) sont à juste titre tristement renommés pour leurs interactions avec l’alcool, même en quantités infimes. Faire fi de la restriction 'Eviter l’alcool' provoquerait inéluctablement des nausées, des vomissements ainsi que de graves douleurs. Des médicaments dont les structures et modes d’action sont similaires provoqueront, s’ils sont pris conjointement, un effet cumulé et augmenteront ainsi le potentiel des effets secondaires. A titre d’exemple, le diazepam ingéré de jour pour lutter contre l’anxiété et du temazepam pris le soir afin d’encourager le sommeil appartiennent tous deux au même groupe de médicaments (les benzodiazépines). Bien que les profils de leurs activités soient légèrement différents, l’augmentation du risque est manifeste. Dans l’ensemble les antibiotiques sont des médicaments très sûrs, mais ils peuvent engendrer des interactions inattendues. A titre d’exemple, de nombreux types de pilules contraceptives perdront leur efficacité lors d’un traitement à base d’antibiotiques. Durant un tel traitement, les personnes ayant une activité sexuelle doivent être encouragées à utiliser des méthodes contraceptives supplémentaires. De nombreuses personnes autistes souffrent également de crises d’épilepsie qui étaient (et sont encore dans une large mesure) contrôlées grâce à la phenytoin (Epanutin). Les effets secondaires de la phenytoin sont nombreux et variés, ils incluent notamment des effets inattendus comme l’élargissement des gencives ainsi que la production d’une pilosité excessive. En outre, elle peut affecter de manière spectaculaire l’assimilation des autres médicaments de sorte que leurs effets seront soit diminués soit augmentés. La phenytoin est un de ces médicaments dont les niveaux de propagation ne sont pas nécessairement étroitement liés aux doses ingérées. Il s’avèrera nécessaire, tout particulièrement au début de surveiller les niveaux de propagation par le biais de prélèvements sanguins. Il existe de nombreux autres exemples d’interactions. Si un phénomène anormal est suspecté, il doit être signalé aux autorités compétentes pour évaluation et examen. 10.6 Effets secondaires Le médicament dénué d’effets secondaires n’existe pas. Les effets secondaires mineurs des médicaments sont extrêmement courants et peuvent apparaître anodins au regard du problème de santé traité. Cependant, nombre d’entre eux peuvent menacer la vie de certains individus. A titre d’exemple, le fait de parcourir le 'Datasheet Compendium' (1997/98) qui énumère tous les médicaments disponibles dans le 91 commerce au R-U et décrit tous les effets secondaires possibles, peut s’avérer une expérience pour le moins traumatisante. Le médecin comme le pharmacien sont sempiternellement confronté à un dilemme: que faut-il divulguer aux patients. Le patient devrait-il être averti de tous les effets secondaires possibles? Lorsque les patients sont informés des effets secondaires éventuels, ils pourraient parfaitement ressentir des effets en fin de compte inexistants. Par ailleurs, parallèlement le patient peut endurer des effets secondaires inutiles sans en connaître la cause et sans pouvoir les associer à son médicament. A titre d’exemple, de nombreux patients prétendent être sensibles à la pénicilline alors qu’en réalité ils ne le sont pas le moins du monde. Néanmoins, en raison de la gravité des conséquences éventuelles, de telles suggestions doivent être prises pour argent comptant. Manifestement, le personnel soignant et les parents devraient être alertés de ces possibilités et se montrer vigilants face à des effets malencontreux. Les personnes autistes dépendent souvent totalement des personnes qui s’en occupent pour les prémunir de tels préjudices. A l’heure actuelle, il existe de nombreux excellents ouvrages de référence qui traitent de l’utilisation et des abus de médicaments. De tels manuels devraient être disponibles à titre indicatif. Il est judicieux de solliciter auprès du pharmacien ou de l’auteur de l’ordonnance des informations ou clarifications en cas d’incertitude. Exemples d’effets secondaires Chaque médicament est assorti d’une liste complète d’effets secondaires, mais certains exemples classiques sont énumérés ci-après. Les antibiotiques préalablement décrits sont généralement prescrits pour un traitement d’une durée d’une semaine. Les bactéries, pour autant qu’elles soient sensibles sont tuées, mais les champignons et les levures proliféreront. Les selles présenteront probablement un aspect plus liquide et apparaîtront vraisemblablement du muguet et des démangeaisons au niveau des organes génitaux et de l’anus. De nombreux parents et membres du personnel soignant ont remarqué que ces problèmes se présentaient avec davantage d’acuité chez les personnes autistes. Il existe une école de pensée qui établit une corrélation entre la présence de ces levures (la Candida en particulier) et la cause de l’autisme. Ce lien n’est pas prouvé à ce jour, mais il ne subsiste aucun doute quant au fait que les personnes autistes sont tout particulièrement prédisposées à l’émergence de ce type de problème. Les diurétiques sont fréquemment administrés afin de réduire une pression artérielle élevée. Ils ôtent l’excès de liquide du sang, mais peuvent également enlever d’autres substances, en particulier le potassium. Souvent, mais pas invariablement, des suppléments en potassium sont prescrits. En outre, si les diurétiques et l’eau sont ôtés du sang, la concentration des autres médicaments augmentera et des effets secondaires pourront apparaître. La sécheresse de la bouche (sous forme d’un sentiment accru de soif), des pulsations irrégulières, des changements d’humeur ou mentaux, des nausées, des crampes musculaires, une fatigue ou mollesse inhabituelles constituent des signes précurseurs. Quasiment tous les médicaments qui affectent le cerveau se révèlent non spécifiques dans leur action. Néanmoins, grâce à une observation minutieuse et à une prise de conscience des effets secondaires, ils peuvent être minimisés au point d’être éradiqués grâce à des variations de la dose. Des neuroleptiques comme la Chlorpromazine (Largactil) et la Thioridazine (Melleril) sont fréquemment et, dans une large mesure inopportunément, administrés à des personnes autistes. Dans certains cas, probablement en raison des anomalies biochimiques inhérentes à la maladie, les personnes autistes semblent être tout particulièrement prédisposées aux effets secondaires provoqués par ces médicaments. Ces effets se traduisent 92 communément par la somnolence, des mouvements anormaux, une augmentation des comportements stéréotypés, une incapacité à rester calme. La plupart de ces mouvement dits 'dyskinétiques' sont, dans certains cas, typiques chez les personnes autistes, mais sont néanmoins largement amplifiés lorsque de tels médicaments sont administrés. Dans certains cas, les effets de cette médication sont suffisamment graves que pour provoquer une catatonie extrêmement grave (rigidité et incapacité de se mouvoir) ou d’avoir pour effet que le globe oculaire soit révulsé dans l’orbite. Heureusement, de tels effets sont rapidement annulés lors de l’arrêt du médicament ou lorsque d’autres médicaments sont prescrits afin de soulager ces effets (cf. ci-dessous). Le développement d’effets permanents et irréversibles connus sous le terme de ‘dyskinésie tardive’ pourrait revêtir une signification accrue. De tels effets surviennent lorsque ces médicaments sont utilisés au cours d’une certaine période sans résultat si ce n’est une augmentation des doses du médicament en question. Lorsque le traitement est interrompu, des ‘dyskinésies de sevrage’ apparaissent. La plupart des étranges mouvements du tronc ou mouvement de la bouche, comme par exemple les protrusions de la langue si fréquemment détectés chez les patients hospitalisés à long terme sont induits par les médicaments. Dans certaines parties du monde, il est illégal d’administrer de tels médicaments aux personnes autistes, ce n’est pas le cas au Royaume-Uni. Très fréquemment des médicaments tels que la procyclidine (Kemadrin), l’orphenadrine (Disipal) et le chlorhydrate detrihexyphénidazole (Artane) sont administrés parallèlement aux neuropleptiques afin d’en minimiser les effets. Parfois, un terme est mis au traitement à base de neuroleptiques, mais le médicament prescrit afin d’endiguer les effets secondaires est oublié et continue d’être prescrit. De tels phénomènes, bien qu’ils puissent entièrement être évités ne sont pas rares et certains patients peuvent avoir pris ces médicaments et ressenti leurs effets secondaires (sécheresse de la bouche, etc.) des années durant. Dans le cadre de ce paragraphe consacré aux neuroleptiques, il serait judicieux de rappeler que parmi les effets secondaires les plus inattendus, mais néanmoins sérieusement documentés, figure la possibilité d’un début de lactation, à savoir la production de lait, même chez les sujets de sexe masculin. Signification des effets et effets secondaires des médicaments Chaque fois qu’un changement d’humeur, de comportement, d’apparence ou de fonctionnement survient chez une personne autiste, il convient de vérifier automatiquement les médicaments administrés et plus particulièrement les modifications éventuellement opérées. Outre les effets flagrants traduits sous forme de nausée, d’état maladif ou de diahrrée, il y a lieu de déterminer la présence des phénomènes suivants: - agitation ou somnolence accrue; - éruptions cutanées; - température élevée; - mollesse; - changements d’humeurs/ confusion/vertiges; - sécheresse de la bouche ou sensation de soif; - coloration ou odeur inhabituelle de l’urine; 93 - douleurs; - toux persistante. Des symptômes tels que la toux persistante peuvent bien entendu être imputables à de nombreuses situations dont une à vérifier, à savoir la médication. Certains médicaments utilisés pour réduire la pression artérielle dénommés inhibiteurs ECA sont notoires pour ce type d’effet. Des vérifications doivent être effectuées et les dossiers mis à jours non seulement pour les médicaments officiellement prescrits, mais également dans le cas des médicaments en vente libre et des produits phytothérapeutiques. Toujours vérifier :- le médicament a-t-il été pris correctement? Lorsqu’une personne se trouve chez elle, c’est généralement peu vraisemblable. - cette réaction pourrait-elle être imputable à une prise excessive ou insuffisante des médicaments? - Existent-ils d’autres indices supplémentaires? - à titre d’exemple, la perception d’un halo jaune autour des objets (excès de digoxine). - un bourdonnement dans les oreilles (aspirine). - production soudaine de lait ou pilosité inattendue (cf. ci-dessus) 10.7 Personnes âgées Au fur et à mesure du vieillissement de la population, des effets secondaires deviendront apparents. Des médicaments auparavant jugés entièrement sûrs quant à ces effets commenceront à en induire. Plusieurs raisons justifient cette propension. a) La taille de l’individu diminue; b) L’efficacité du foie et des reins chargés de répartir et d’éliminer les déchets diminue; c) Le ratio muscle/graisse diminue de sorte qu’une moindre quantité du médicament est stockée dans les tissus adipeux et une quantité plus importante est disponible pour circuler dans le système sanguin. Dans l’ensemble de la communauté, l’utilisation correcte des médicaments est comparativement rare. Une grande partie des souffrances évitables est induite par une mauvaise utilisation du médicament et une négligence des procédures simples. Dans les centres résidentiels, les personnes chargées de la sélection des médicaments ne sont généralement pas les personnes responsables de leur administration. Le personnel en première ligne se plaint généralement d’être tenu dans l’ignorance quant aux raisons de la prescription des médicaments et leurs modalités de prise. Il se plaint également de ne pas avoir la possibilité d’émettre des commentaires ou de participer à la discussion au sujet des médicaments à prodiguer. La direction et le personnel prodigueront des conseils au médecin quant aux régimes médicamenteux, mais ils ne sont fréquemment pas en mesure d’avoir conscience de l’efficacité du programme, des problèmes susceptibles de survenir ou de l’incidence des effets secondaires, particulièrement des plus inattendus. 94 Des systèmes devraient manifestement être instaurés afin de mettre en place un suivi constant. La plupart des pharmacies offriront un large éventail d’aides afin de s’assurer de distribuer à chaque patient les médicaments appropriés. Ce service fait l’objet d’une commercialisation agressive de la part de certaines chaînes de pharmacies et elles seront probablement enclines à encourager l’utilisation de leur système propre afin de l’associer à de futurs achats de médicaments et à la préparation de prescriptions par leur firme. La plupart des pharmacies se feront un plaisir, si on le leur demande, de fournir un tel service et seront désireuses d’examiner et de fournir un système qui satisfasse vos besoins et non l’inverse. Si une compagnie désire retenir ses clients, elle doit offrir un service qui réponde entièrement à leurs besoins. 95 96 CHAPITRE 11 : DIMENSION EUROPEENNE Dr Christopher Williams Université de Londres (GB) 11.1 UN PRINCIPE DIRECTEUR – LA DECLARATION DES N.U. SUR LES VICTIMES Comme nous l’avons vu au premier chapitre, la majorité des préjudices endurés par les personnes vulnérables dépasse le cadre du droit national. La Déclaration of Basic Principals of Justice for Victims of Crime and Abuse of Power (1985) des N .U. semble dès lors être extrêmement pertinente. 1 Elle édicte trois éléments fondamentaux. Premièrement, la Déclaration indique que la victimisation ne se définit pas uniquement en termes de législation nationale et que, dans certains cas, il s’avère opportun de conceptualiser des groupes de victimes: 18. Le terme victimes désigne les personnes qui, individuellement ou collectivement, ont subi des préjudices, y compris des dommages physiques ou mentaux, des souffrances psychologiques, une perte économique, voire un affaiblissement substantiel de leurs droits fonctionnels, par le biais d’actes ou d’omissions qui ne constituent pas encore des violations des droits criminels nationaux, mais enfreignent les normes inhérentes aux Droits de l’Homme internationalement reconnues. (traduction non officielle) Deuxièmement, une réponse nationale est sollicitée: 19. Les Etats devraient envisager d’intégrer à leur droit national des normes qui proscrivent les abus de pouvoir et proposent des réparations aux victimes de tels abus. En particulier, ces réparations devraient inclure la restitution et/ou l’indemnisation ainsi qu’un soutien et une assistance matérielle, médicale, psychologique et sociale. (traduction non officielle). 21. Les Etats devraient périodiquement réviser la législation et les pratiques existantes afin de garantir leur capacité de réaction face à des circonstances en pleine mutation. Ils devraient promulguer et mettre en œuvre, si nécessaire, une législation qui proscrive des actes qui constituent de graves abus de pouvoir politiques ou économiques et promouvoir les politiques, les mécanismes de prévention de tels actes et devraient élaborer, mettre immédiatement à disposition des droits et réparations pour les victimes de tels actes. (traduction non officielle) Troisièmement, une réponse internationale est également requise: 20. Les Etats devraient envisager de négocier des traités internationaux multilatéraux concernant les victimes, conformément à la définition du paragraphe La Commission européenne constitue un forum approprié pour traiter l’Article 20. 11.2 CONSIDERATIONS EUROPEENNES 1 Fattah, E.A. (1992) The plight of victims in modern society, Macmillan: London, see chapter - ‘On some neglected types of victimisation - victims of abuse of power’. 97 Une approche européenne ne peut fournir un cadre global pour une réponse car maintes stratégies fondamentales requièrent la mise en œuvre de changements législatifs et une amélioration des pratiques professionnelles dans chacun des Etats-membres (cf. les suggestions formulées dans le chapitre final). Néanmoins, la perspective européenne offre la possibilité d’opérer des changements significatifs sur base de deux axes: (i) par le truchement d’actions spécifiques à l’échelon européen, actions non envisageables dans les Etats pris individuellement et (ii) grâce à une cohérence accrue à travers les nations. 11.2.1 Actions à l’échelon européen 11.2.1.1 Mobilité des auteurs d’infractions Certaines nations disposent de systèmes de vérification des casiers judiciaires et autres dossiers des professionnels désireux d’être engagés pour s’occuper d’enfants ou d’adultes vulnérables. Néanmoins, ces vérifications ne s’opèrent pas à l’échelon européen. Ainsi, les personnes dont le dossier recèle des infractions ou qui ont été licenciées pour avoir porter atteinte à des personnes vulnérables peuvent en toute impunité s’installer dans un autre pays, y décrocher un emploi et continuer à leur guise à abuser de personnes vulnérables. Les vérifications effectuées par la police concernant des éducateurs ou autres professionnels devraient être d’envergure européenne. En attendant, ces contrôles devraient englober les vérifications du casier judiciaire dans le pays d’où émane l’offre d’emploi, dans le pays d’origine ainsi que dans tout autre pays où la personne concernée a résidé. Les éléments recueillis devraient être mis à la disposition des employeurs du secteur gouvernemental et non gouvernemental. 11.2.1.2 Poursuites pénales transfrontalières En Europe, la mobilité des personnes handicapées est à la hausse, particulièrement en période de vacances. Cette situation implique que des infractions sont commises alors que les victimes ne séjournent pas dans leur pays natal. Dans de nombreux cas, l’auteur de l’infraction est un éducateur qui accompagne un groupe de personnes handicapées et les infractions ne sont pas révélées avant que les victimes ne regagnent leur pays de résidence. D’ordinaire, les tribunaux établis dans le pays de résidence sont dans l’impossibilité d’entamer des poursuites pénales. Le déploiement logistique nécessaire pour se déplacer dans le pays où l’événement s’est produit, pour procéder à l’enquête et entamer les poursuites s’avère complexe. Il est peu vraisemblable que des poursuites entamées devant un tribunal en s’exprimant dans une autre langue et en agissant au nom de victimes susceptibles d’éprouver des difficultés à communiquer dans leur langue maternelle soient couronnées de succès. A l’heure actuelle, les auteurs d’infractions sont conscients de la possibilité de se soustraire aux conséquences de leurs méfaits en raison de l’absence de poursuites transfrontalières ; d’ailleurs, nombre d’entre eux abusent à dessein de leur position de confiance lorsqu’ils séjournent en dehors de leur pays de résidence. Il existe deux possibilités pour garantir la mise en œuvre, au nom des personnes vulnérables, de poursuites transfrontalières: 98 (i) élaborer une législation similaire à celle qui permet actuellement de poursuivre des pédophiles dans leur pays d’origine, pour des infractions commises dans d’autres pays (ex. Belgique, R-U et Australie) ; (ii) recourir à des tribunaux mobiles. Un tribunal du pays où l’infraction s’est produite siège dans le pays où la victime réside et utilise éventuellement la langue de la victime et du défendeur. Techniquement, cette possibilité est déjà envisageable, mais n’a pas encore été explorée. Ce système pourrait être applicable à d’autres situations, par exemple à des personnes avec de graves problèmes de santé ou à des affaires de pédophilie ; il pourrait en outre être géré à l’échelon européen. 11.2.1.3 Pornographie et prostitution Selon certaines indications, des personnes présentant des troubles du développement sont utilisées pour la production de vidéos pornographiques, dans le cadre d’INTERNET et dans d’autres documents. De même, il semble que des personnes vulnérables soient parfois emmenées dans d’autres pays pour se prostituer. Les initiatives européennes pour contrer la pornographie et la prostitution devraient prendre en compte la possibilité que des personnes handicapées mentales soient exploitées. Elles devraient, en outre, favoriser la constitution d’une base de données sur les législations nationales tout particulièrement applicables à l’exploitation des personnes vulnérables à des fins sexuelles (ex. Sexual Offences Acts au R-U). Des recherches devraient être entreprises au niveau européen pour étudier l’ampleur et la nature de l’exploitation sexuelle des personnes atteintes de déficiences intellectuelles. 11.2.1.4 Mobilité et immigration. Les niveaux de prestation du service public pour les personnes handicapées varient considérablement d’un pays à l’autre. Dans les pays où les prestations s’avèrent supérieures, d’aucuns craignent que des personnes handicapées ne s’installent chez eux afin d’obtenir l’accès aux services publics. Les pratiques en matière d’immigration susceptibles d’être utilisées pour procéder à une discrimination fondée sur le handicap pourraient entraver la mobilité des personnes handicapées. A tort ou à raison, la conviction des familles quant au fait que les services de l’immigration leur refuseront l’entrée sur le territoire en raison de la présence d’une personne handicapée aura pour conséquence que les personnes handicapées seront ‘laissées’ aux mains d’éducateurs peu compatissants dans le pays d’origine. Ce problème semble être davantage répandu parmi les immigrants extérieurs à l’UE soit en raison du mythe selon lequel l’accès leur sera refusé (ex. les immigrants de HongKong à destination du R-U ont placé leurs enfants handicapés dans des orphelinats en Chine) ou parce que certains Etats octroient, de façon incongrue, différents niveaux de citoyenneté à ces groupes (ex. les Bosniaques ou les Turcs en Allemagne). 99 Les règles en matière d’immigration en vigueur dans tous les Etats membres, notamment celles afférentes aux personnes handicapées, devraient être examinées sous l’angle de la cohérence technique et en vue d’une application correcte. En outre, les critères devraient être ouvertement et clairement communiqués aux immigrants potentiels. 11.2.1.5 Pays administrés par des nations européennes Certaines nations européennes administrent encore quelques-unes de leurs anciennes colonies et assument, par conséquent, la responsabilité des préjudices subis par les personnes handicapées dans ces pays. Notamment si ces abus découlent de carences des services publics ou d’abus pratiqués en leur sein. Les normes en vigueur dans les services publics d’outre-mer sont parfois inférieures aux standards européens. En outre, les principes de la Convention européenne des Droits de l’Homme ne sont pas étendus à ces contrées. A l’époque où le Portugal administrait encore Macao, divers articles de presse relatèrent l’existence des ‘enfants des cages oubliés’ : Des jeunes gens et jeunes garçons présentant un grave retard mental qui passent leur existence enfermés dans un zoo humain désuet et pathétique... La plupart d’entre eux séjournent une grande partie de leur vie dans des cages ; ils restent généralement à l’état de pitoyables légumes allongés dans des lits en métal vieux de quarante ans...un bruit effrayant vient du coin d’une vaste pièce faiblement éclairée où un jeune homme muet complètement nu, agrippé aux barreaux, se balance, tel un singe, afin de réclamer du mieux qu’il peut un morceau de pain.’ 1 Des problèmes moins extrêmes, mais tout aussi significatifs sont encore signalés. Les normes minimales européennes en matière de prestation de services et les principes de la Convention européenne des Droits de l’Homme devraient être étendus aux pays d’outre-mer administrés par des Etats européens. 11.2.2 Cohérence à travers l’Europe 11.2.2.1 Identification et diagnostic de l’autisme Actuellement, il n’existe pas de critères standards pour l’identification et le diagnostic des troubles du spectre autistique ; en outre, la terminologie se révèle incohérente. Cet état de fait induit : (i) une offre de services inégale d’un Etat à l’autre ; (ii) une différence quant à la responsabilité ou non d’une personne autiste en matière d’actes criminels ; (iii) une carence en informations statistiques fiables au sujet de l’autisme. Un accord d’envergure européenne devrait être conclu quant à l’identification et au diagnostic de l’autisme. 11.2.2.2 1 Services incohérents et abandon op cit 6, p27. 100 Il semble que, parfois, des enfants handicapés sont abandonnés ou envoyés dans des pays où l’offre de services jouit d’une meilleure réputation. A l’échelon européen, les Etats devraient veiller à proposer aux personnes handicapées un niveau minimal de services de prise en charge, particulièrement en ce qui concerne les enfants. Les critères en la matière devraient en partie découler des recherches menées sur les motivations des familles à abandonner leurs enfants dans d’autres pays afin qu’ils bénéficient d’un meilleur accompagnement. 11.2.2.3 Négligence médicale Dans les Etats membres, les citoyens européens jouissent du droit à un traitement médical élémentaire, mais l’incohérence règne en maître quant aux réparations prévues en cas de préjudice (éventuellement un handicap) imputable à ce traitement. Ce cas de figure revêt d’autant plus de pertinence dans le cas du suivi post-natal, lors d’un accouchement ou en matière de protection de l’enfant à naître. Ce principe est également applicable aux soins de dentisterie. Récemment, il est apparu que la présence de mercure dans le plombage dentaire pouvait avoir une corrélation avec certaines déficiences détectées à la naissance. Des dispositions ont été immédiatement prises en Suède, en Allemagne et ultérieurement au R-U. Un individu issu d’un pays doté d’un niveau de protection élevé peut ne pas avoir conscience que des standards aussi élevés ne sont pas d’application dans le pays où le traitement est prodigué. Si une norme supérieure cohérente ne peut voir le jour en Europe, la différence en matière de standards doit être explicitement indiquée aux patients en provenance d’autres pays. Très occasionnellement, la vaccination des nourrissons et des enfants provoque des déficiences mentales. Des incohérences existent quant (i) aux types de vaccinations pratiqués en Europe (ex. le R-U a utilisé des formes de vaccins interdites en Allemagne et en Suède) ; (ii) à l’obligation ou non de vacciner les enfants (en France par exemple, la vaccination constitue une condition préalable à l’admission dans un établissement scolaire) ou à la possibilité de l’administrer uniquement en cas d’accord des parents (à l’instar des Pays-Bas) ; (iii) au paiement ou non d’une indemnité en cas de dommage, ex. le R-U dispose d’une législation spécifique. Ces divergences suscitent de nombreuses incohérences pour les familles mobiles. Un enfant néerlandais qui réside en France ne jouit pas de la protection du principe de l’accord parental dont il pourrait bénéficier dans son pays d’origine. Un enfant britannique vacciné au R-U, mais qui réside ailleurs au moment où une maladie est diagnostiquée ne pourrait pas réclamer une indemnité en vertu du droit britannique car la victime doit résider au R-U pour pouvoir introduire une requête conformément à la loi britannique. Cependant, un enfant qui n’est pas un ressortissant britannique, mais a été vacciné au R-U pourrait réclamer une indemnité en vertu du droit britannique. 101 Une politique européenne devrait être élaborée au sujet de la vaccination des enfants (i) quel que soit le pays, le type de vaccin utilisé devrait refléter les normes de sécurité européenne les plus élevées, (ii) le droit des parents de refuser leur accord devrait être défini et appliqué de manière cohérente, (iii) les systèmes d’indemnisation devraient être cohérents à travers toute l’Europe. 11.2.2.4 Le statut de l’enfant à naître en qualité de victime. Des handicaps peuvent fréquemment être provoqués par des facteurs identifiables alors que l’enfant se trouve dans l’utérus. Les causes peuvent être physiques (ex. une femme enceinte qui est agressée), découler de pratiques médicales ou de l’utilisation de médicaments, être induites par l’abus d’alcool ou de drogue, voire de plus en plus couramment, être imputables à des effets environnementaux, à savoir la pollution aux métaux lourds, les radiations ou les carences en substances micronutritives. 1 Il n’apparaît pas clairement dans les différents pays européens si l’enfant à naître jouit ou non du statut de victime à part entière et est habilité, à ce titre, à bénéficier de demandes d’indemnisation. (Aux E-U, cette question a été clarifiée). Dans le cas des nourrissons victimes de la Thalidomide, aucune réclamation n’a été introduite au tribunal car il n’était pas certain que des dommages et intérêts pouvaient être réclamés au nom d’un bébé à naître. Le règlement à l’amiable qui s’en est suivi s’est avéré totalement inadéquat et la tentative de la législation britannique de résoudre le problème a été vaine. Dans les différents Etats membres, le statut relatif de victime lorsqu’il s’agit d’un enfant à naître doit être davantage exploré et, dans la mesure du possible, un consensus doit être atteint. 11.2.2.5 Responsabilité des méfaits Une punition infligée pour des méfaits s’avère inopportune d’un point de vue éthique si la personne concernée ne comprend pas la nature pernicieuse de son acte. En outre, cette punition ne sera assortie d’aucun effet si cette personne ne saisit pas la corrélation entre l’acte et la punition. Dans certains Etats membres, des systèmes sophistiqués sont mis en oeuvre pour distinguer les auteurs d’infractions et les défendeurs qui présentent des déficiences mentales afin de s’assurer que les personnes qui ne peuvent être tenues responsables de leurs actes soient soustraites aux procédures normales et reçoivent une aide appropriée. Dans certains cas, un ‘trial of the facts’ 2 est organisé afin de s’assurer que la mesure de détention adoptée en vertu de la législation sur la santé mentale ne soit pas excessive au regard de l’infraction commise. (On a répertorié des cas où des personnes avaient été détenues de force dans des hôpitaux psychiatriques durant une décennie alors que l’infraction était mineure et n’aurait pas, d’ordinaire, été sanctionnée d’une condamnation à l’emprisonnement, par exemple dans le cas du vol d’une bouteille de lait.) A l’heure actuelle, la cohérence entre Etats membres fait défaut. Une personne qui vole une barre de chocolat pourra être remise entre les mains d’un assistant social dans un pays, être envoyée en prison dans un autre (pour ne pas avoir payé une amende) ou être internée 1 op cit 6. Note du traducteur: Le ‘trial of the facts’ est une procédure qui permet à un juge ou jury unique, selon le cas, de décider après avoir entendu les avocats des parties et assisté à l’interrogatoire contradictoire. 2 102 durant de nombreuses années dans un hôpital conformément à la législation sur la santé mentale dans un troisième. Les concepts de la capacité mentale et de la responsabilité criminelle doivent faire l’objet de davantage de cohérence à l’échelon européen. 11.2.2.6 Législation concernant l’avortement et la stérilisation Il est nécessaire d’harmoniser la législation concernant l’avortement et la stérilisation des personnes considérées légalement incapables afin d’éviter que des personnes handicapées soient emmenées dans d’autres Etats membres pour subir un avortement ou une stérilisation. La Commission européenne devrait encourager les Etats membres à développer une législation cohérente concernant l’avortement et la stérilisation des personnes légalement incapables. 11.2.2.7 Harcèlement raciste et harcèlement fondé sur le handicap De nombreux pays européens sont dotés d’une législation de prévention et de réparation en matière de harcèlement sexuel. Aucun ne dispose d’une législation pour réagir face à des harcèlements similaires fondés sur le handicap. A titre d’exemple, si un skinhead déclare au moment où une jeune homme noir passe à sa hauteur: “Allons casser la gueule à ce singe noir. Nous ne voulons pas des primitifs de la jungle ici.” ; ce commentaire serait illégal dans de nombreux pays. Mais si des termes pratiquement identiques sont utilisés à l’intention d’un jeune homme autiste ou présentant une déficience intellectuelle, “Allons casser la gueule à ce stupide imbécile. Nous ne voulons pas des gens de l’asile ici.” Aucune infraction ne serait commise. Cette différence réside dans le fait que la majorité de la législation antiraciste se justifie sur base du principe du maintien de l’ordre et non sur base du respect des droits de l’homme. D’aucuns craignent que les harcèlements à l’encontre des groupes raciaux minoritaires ne conduisent à des ripostes violentes. Les lois anti-harcèlement ne s’étendent pas aux personnes handicapées car il est peu probable que dans l’ensemble elles réagissent avec violence. Ce principe est moralement injustifiable et n’est pas conforme aux principes européens d’équité des droits de l’homme. La Commission européenne devrait prodiguer des conseils et encourager les Etats à étendre les lois sur le harcèlement racial aux personnes handicapées. 11.3 La Convention européenne des Droits de l’Homme De nombreuses facettes de la Convention européenne des Droits de l’Homme se révèlent extrêmement pertinentes en matière de réparation et prévention des 103 préjudices endurés par les personnes présentant des troubles du développement. Les organisations de personnes handicapées de toute l’Europe devraient être encouragées à recourir à la Convention. 104 CONVENTION EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune… (art.14) Le droit de toute personne à la vie est protégé par la loi. (art.2) Nul ne peut être soumis à la torture ni à des peines ou traitements inhumains ou dégradants. (art.3) Nul ne peut être astreint à accomplir un travail forcé ou obligatoire. (art. 4.2) Toute personne a droit à la liberté et à la sûreté. (art. 5.1) Toute personne arrêtée doit être informée, dans le plus court délai et dans une langue qu’elle comprend, des raisons de son arrestation et de toute accusation portée contre elle. (art. 5.2) Toute personne victime d’une arrestation ou d’une détention dans des conditions contraires aux dispositions de cet article a droit à réparation. (art. 5.5) Tout accusé a droit notamment à se faire assister gratuitement d’un interprète, s’il ne comprend pas ou ne parle pas la langue employée à l’audience. (art.6.3 e) Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. (art.8.1) Il ne peut y avoir ingérence d’une autorité publique dans l’exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi… (art.8.2) Toute personne a droit à la liberté de pensée, de conscience et de religion; ce droit implique la liberté de changer de religion ou de conviction, ainsi que la liberté de manifester sa religion ou sa conviction… en public ou en privé, par le culte, l’enseignement, les pratiques et l’accomplissement des rites. (art.9.1) Toute personne a droit à la liberté d’expression. Ce droit comprend la liberté d’opinion et la liberté de recevoir ou de communiquer des informations ou des idées sans qu’il puisse y avoir ingérence d’autorités publiques… (art.10.1) Toute personne a droit à la liberté de réunion pacifique et à la liberté d’association… (art.11.1) L’exercice de ces droits ne peut faire l’objet d’autres restrictions que celles qui, prévues par la loi… (art.11.2) À partir de l’âge nubile, l’homme et la femme ont le droit de se marier et de fonder une famille ... (art.12) Toute personne dont les droits et libertés reconnus dans la présente Convention ont été violés, a droit à l’octroi d’un recours effectif devant une instance nationale, alors même que la violation aurait été commise par des personnes agissant dans l’exercice de leurs fonctions officielles. (art.13) Traduction des protocoles 105 Des copies de la Convention ainsi qu’un guide de mise en œuvre sont disponibles auprès de Commission européenne des Droits de l’Homme Conseil de l’Europe BP 431 R6 67006 Strasbourg Cedex France. 106 107 CHAPITRE 12 : LES POSSIBILITES DE CHANGEMENT ETUDE DU CAS DE LA GRANDEBRETAGNE Dr Christopher Williams Institute of Education Université de Londres (GB) Dans certaines régions d'Europe, la possibilité d'opérer des changements adéquats à l'échelon gouvernemental peut paraître très limitée. L'objectif de ce chapitre est de démontrer que le changement est possible. Si la Grande-Bretagne fait l'objet d'une étude de cas, ce n’est pas qu'elle soit plus avancée que d'autres nations, mais parce qu'au moment de la mise sous presse de cet article, le gouvernement britannique commençait à prendre le problème au sérieux. Dans un rapport intitulé The Treatment of Vulnerable or Intimidated Witnesses in the Criminal Justice System 1 (traitement des témoins vulnérables ou intimidables dans le système judiciaire) , le Ministère de l'Intérieur britannique formule des propositions de changements significatifs. (Le terme 'témoin' s'applique très largement à toute personne susceptible de fournir des preuves : la victime, quelqu'un qui a assisté aux faits ou l'accusé.) Le rapport du Ministère de l'Intérieur émane d'un groupe de travail interministériel et présente des propositions de changements législatifs ainsi que d'autres développements nécessaires en matière d’accompagnement social et de prestation des soins de santé, par exemple. Par le passé, les objectifs des lois n'ont jamais été atteints car elles ne pouvaient à elles seules opérer des changements à l'échelle requise. La coopération interministérielle a permis de surmonter ce problème. Le rapport ne se confine pas à une simple liste de propositions politiques car il traite de détails précis, comme de savoir qui devrait être responsable de garantir que des politiques spécifiques soient mises en vigueur. Plus particulièrement, le rapport rappelle constamment que les victimes, lorsqu'il s'agit de personnes handicapées, devraient être consultées à part entière et que leurs souhaits soient pris en compte. Il est également établi de façon explicite que le rapport "a tenu compte des obligations imposées au Royaume-Uni par la Convention européenne des Droits de l'Homme." 12. 1 Contexte du rapport Différentes activités réalisées depuis le début des années 1990 (recherche universitaire, mobilisation des parents, préoccupation politique et intérêt de la presse) ont attiré l'attention du public et du gouvernement sur la situation des victimes handicapées mentales. Au début des années 1990, deux études 2 ont été financées par une association britannique 1 Home Office (1998) Speaking up for justice: report of the Interdepartmental Working Group on the treatment of Vulnerable or Intimidated Witnesses in the Criminal Justice System, Siège : Londres 2 Brown, H., Stein,J.& Turk, V. (1995) 'Report of a second two-year incidence survey on the reported sexual abuse of adults with learning disabilities: 1991-1992, 'Mental Handicap Research', 8, 1. Williams, C. (1995) Invisible victims: crime and abuse against people with learning disabilities, Jessica Kingsley Publishers : Londres. 108 indépendante, la Fondation Joseph Rowntree. 3 Cette Fondation jouit d'une excellente réputation en raison du soutien prodigué aux travaux sur les personnes handicapées, et plus particulièrement sur personnes atteintes de déficiences intellectuelles qui, sans cela, ne constitueraient pas un centre d'intérêt essentiel pour les chercheurs universitaires. Par la suite, le Ministère de l'Intérieur britannique a commandé sa propre recherche, qui a abouti a des conclusions 4 très similaires et a été prise plus au sérieux par le gouvernement (peut-être parce qu'il l'avait financée). Au même moment, une organisation de parents, VOICE, a été créée par des parents qui , avec succès, avaient intenté un procès au nom de leur fille, victime d'une agression sexuelle. 5 Ils avaient surmonté les préjugés de la police, du ministère public et des tribunaux grâce à l'aide d'un agent de police féminin très clairvoyant et ont pensé pouvoir partager leur expérience. Edwina Currie, une parlementaire pleine d'entrain, est devenue présidente de VOICE, ce qui a conduit à des réunions régulières avec d'autres parlementaires à la Chambre des Communes. En 1998, le All-Party Working Group on Disability (Intergroupe sur le Handicap) de la Chambre des Communes a entendu les témoignages d'un éventail de parties intéressées et d'experts. Un journal britannique, The Independent, a commencé à se préoccuper plus particulièrement de la victimisation dont les personnes présentant une déficience intellectuelle font l'objet. A une occasion remarquée, le journal a insisté sur la façon dont l'enlèvement d'une séduisante étudiante d'Oxford avait fait la une des journaux, alors que l'histoire presque identique d'une femme atteinte de trisomie avait été ignorée. Dans son bulletin intitulé VIEWPOINT, MENCAP, une organisation de parents bien établie, a étalé au grand jour le problème des crimes perpétrés contre des personnes ayant des difficultés d'apprentissage avant de commander sa propre recherche. Le bulletin en question était écrit de manière à être accessible aux personnes éprouvant des difficultés à lire. Le magazine spécialisé des assistants sociaux, "Community Care", a mené une campagne de trois mois avec, en point d’orgue, une pétition adressée au gouvernement, une rencontre à la Chambre des Communes et une conférence importante durant laquelle le ‘Director of Public Prosecutions’ (magistrat chargé des fonctions du Ministère Public) a été directement défié ; l’ensemble de ces manifestations ont été couvertes par la radio et la télévision. 12.2 Les propositions Les propositions du Ministère de l'Intérieur britannique couvrent dix vastes domaines: • • • • • • • • Définition des témoins vulnérables ou intimidés ; Encouragements à dénoncer les crimes ; Identification des témoins vulnérables ou intimidés ; Communication entre la police et le ministère public au sujet des besoins des témoins; Garantie de l'utilisation de méthodes d'interrogatoire appropriées ; Mesures de soutien pendant l'enquête et avant le procès ; Démarches pour que des mesures particulières soient prises pendant le procès ; Eventail des mesures utilisables pendant le procès pour aider les adultes ou les enfants vulnérables ou intimidés ; • Continuité des mesures nécessaires après le procès. 1. Il est difficile de définir le concept de témoin vulnérable ou intimidé en raison des circonstances particulières qui peuvent exercer une influence comparable à celle du 3 Fondation Joseph Rowntree, The Homestead, 40 Water End, York YO3 6LP. Les détails des projets de recherche sont disponibles sur notre Home Page - http://www.jrf.org.uk 4 Sanders, A., Creaton, J., Bird, S.& Weber, L (1996) Witnesses with learning disabilities, research findings no. 44, Siège : Londres. 5 VOICE, P.O. Box 238, Derby DE1 9JN UK, fax (0)1332 521392. 109 statut personnel - nous pouvons tous être vulnérables ou intimidés dans certaines situations. Le rapport précise que: Les témoins qui sont vulnérables en raison de caractéristiques personnelles pouvant être liées à un handicap ou à une maladie devraient automatiquement bénéficier de mesures particulières. Il devrait être demandé à la cour de mettre en place une ou plusieurs séries de mesures si un témoin, en raison d'une déficience intellectuelle significative et d'un handicap fonctionnel/mental ou autre trouble mental ou physique, ou de handicap physique, nécessite la mise en œuvre d'une ou plusieurs de ces mesures pour pouvoir témoigner au mieux. Le rapport ajoute que, Lors de l'examen d'une demande de mesures spéciales au profit d'un témoin, la cour doit prendre en considération les opinions de ce dernier, au nom duquel la demande a été introduite. 2. Le rapport reconnaît qu'il ne suffit pas de limiter les actions nécessaires au système juridique. Les services sociaux, les ministères responsables de la Santé ainsi que d'autres organes professionnels doivent aussi répondre aux besoins. Il faudrait envisager de proposer une formation mieux adaptée aux professionnels, aux utilisateurs de soins et de services chargés d'aider de potentiels témoins vulnérables ou intimidés pour qu'ils puissent identifier les signes précurseurs de victimisation et leur permettre d'être mieux à même de reconnaître des actes qui pourraient constituer une infraction. 3. Le besoin d'une coopération entre organismes est reconnu, particulièrement entre la police et les services sociaux. Les lignes directrices nationales devraient reconnaître qu'une infraction peut avoir été commis en cas d'abus et qu'il devrait exister des politiques claires relatives à la dénonciation à la police de tels incidents dès que possible et en consultation avec la victime. Les politiques de dénonciation de crimes devraient inclure les composantes suivantes: Des définitions claires des abus et types de mauvais traitements et des infractions criminelles ; Des indicateurs d'abus ; Les éléments qu’il convient de dénoncer à la police et à quel moment, tout en aidant la victime à le faire ; Un aperçu de l'objectif et de la conduite d'une enquête interne et des mesures à prendre pour pouvoir participer à une enquête policière. Des politiques et procédures claires pour dénoncer et traiter les accusations d'abus/d’infractions portées contre un membre du personnel. 4. L'excuse communément invoquée pour ne pas avoir répondu aux besoins d'une victime présentant une déficience intellectuelle est que la police n'a pas remarqué son handicap. C'est compréhensible. Il n'est pas toujours aisé pour des non 110 professionnels de différencier handicap et abus de drogues ou d'alcool, surtout dans les circonstances difficiles d'une enquête. Lors du processus d’enquête, l'objectif de la police devrait être de déterminer aussi vite que possible si un témoin est vulnérable. Les forces de police devraient désigner la personne chargée de définir si un témoin est vulnérable et/ou de chercher l’aide nécessaire à cette démarche. Une série de questions devraient être développées dans le but d'aider la police à identifier un témoin éventuellement vulnérable. Ces dernières ne devraient pas être utilisées en tant que telles mais plutôt comme un guide. Elles serviraient à faciliter une évaluation globale des besoins d'un témoin. 5. Il est crucial de garantir une communication efficace avec les témoins, non seulement au démarrage de l’enquête, mais également lors du déroulement du procès. La police devrait tout d'abord consulter le témoin vulnérable ainsi que ceux qui le connaissent le mieux afin de leur demander conseil sur la façon de communiquer avec lui/elle, à condition qu'ils ne soient pas eux-mêmes mis en cause dans l’infraction faisant l'objet de l'enquête. Les tribunaux devraient avoir le pouvoir statutaire de requérir l'utilisation de moyens visant à aider le témoin à communiquer, qu'il s'agisse d'un interprète, d'une aide ou d'une technique de communication, d'un "assistant à la communication" ou d'un intermédiaire lorsque cela aiderait le témoin à mieux témoigner lors des audiences préliminaires et pendant le procès, pourvu que la communication puisse être vérifiée indépendamment. (Ces propositions reflètent l'Article 6,3 e de la Convention des Droits de l'Homme.) 6. Il est clair que les victimes ont besoin d'un soutien psychologique et pratique ainsi que d'une salle d'interrogatoire appropriée, éventuellement située en dehors du poste de police, voire dans certains cas, à leur domicile ou sur leur lieu de travail. Pendant son interrogatoire, un témoin vulnérable, particulièrement en cas de difficultés d'apprentissage, devrait pouvoir être accompagné par quelqu'un, de préférence un proche. Cet "accompagnateur", dont le rôle devrait être clairement défini, ne devrait ni appartenir à la police, ni être mis en cause dans l'affaire à l'origine de l'enquête. La police devrait avoir la responsabilité de garantir la présence de cette personne. Il ne devrait pas être refusé aux témoins vulnérables ou intimidés de pouvoir bénéficier d'un soutien psychologique ainsi que de conseils avant et après le procès. Les besoins et les souhaits des témoins vulnérables et intimidés devraient être pris en compte lorsque le lieu de l’entrevue est décidé. Il convient de recueillir les opinions du témoin au sujet des mesures préalables au procès avec l'aide de l'accompagnateur quand elle s'avère nécessaire. Il convient également de tenir compte de la nécessité d'escorter le témoin lorsqu'il se rend au tribunal ou lorsqu'il le quitte. 111 7. Les témoins doivent souvent attendre des heures au tribunal avant de témoigner et, lorsqu'ils sont appelés, ils sont fatigués et confus. Il faudrait envisager l'utilisation de sémaphones pour que les témoins puissent attendre à l'extérieur du tribunal et n'être appelés que lorsqu'ils doivent témoigner. 8. Les mauvaises pratiques susceptibles d’être évitées sont souvent imputables à une communication médiocre entre les services de police et le ministère public. Tout en différenciant le rôle de la police, chargée de l'enquête, et celui du ministère public, les enquêteurs et le ministère public devraient tenir une réunion stratégique pour discuter et conclure un accord sur la façon d'établir les faits ainsi que sur les mesures nécessaires pour aider le témoin avant et après le procès, tout en tenant compte de ses opinions et de ses préférences. Des rencontres entre le ministère public et certains témoins vulnérables ou intimidés pourraient être bénéfiques à la conduite de l'affaire et rassurer les témoins. Le tribunal devrait désigner un agent de liaison pour s'assurer que les mesures d'assistance aux témoins vulnérables ou intimidés ordonnées par la cour soient bien en place au Tribunal le jour du procès. Les informations concernant les besoins d'un témoin ainsi que son avis sur les mesures d'assistance nécessaires au tribunal devraient toujours être transmises au ministère public par la police. 9. Le Ministère de l'Intérieur britannique a déjà octroyé des fonds à des experts pour la conception d'un matériel d'apprentissage destiné aux personnes présentant une déficience intellectuelle pour les aider à se préparer à leur comparution au tribunal. Il existe une excellente série de livres illustrés et sans texte. 6 Le Ministère de l'Intérieur devrait développer d'autres systèmes permettant d'aider les témoins vulnérables ou intimidés à se préparer à assister au procès. 10. Des liaisons vidéo sont déjà utilisées lorsque les témoins sont des enfants, et cette pratique pourrait être étendue aux adultes vulnérables. Des connexions en direct grâce à un système de télévision en circuit fermé devraient être disponibles pour permettre à des témoins vulnérables ou intimidés de témoigner au tribunal depuis une autre pièce du bâtiment ou d'un endroit approprié situé en dehors de la salle d'audience. Un témoin vulnérable ou intimidé devrait avoir la possibilité, s'il le désire, d'être aidé par un accompagnateur dans la pièce où les connexions du système en circuit fermé sont installées. Les enregistrements vidéo d'interrogatoires menés par des officiers de police, des assistants sociaux ou des personnes impliquées dans l'enquête et/ou par un 6 Hollins, S. et al (1994) Going to court, Sovereign Press, St Georges Mental Health Library: Londres. (Service de Psychiatrie du Handicap, St Georges Hospital Medical School, Cranmer Terrace, Londres, SW17 ORE. 112 représentant adéquat de la défense devraient pouvoir être considérés comme des preuves recevables. 11. Dans le passé, les victimes-témoins éprouvaient des difficultés à témoigner devant la défense et la salle. Des écrans peuvent être installés pour que seuls le jury et d'autres officiers attachés au tribunal puissent voir le témoin et non pas l'avocat de la défense ni la salle. Des écrans devraient être disponibles sur une base statutaire et utilisés comme une mesure d'assistance aux témoins vulnérables ou intimidés. 12. Il existe de nombreux exemples d'avocats qui ont persécuté, rabaissé ou intimidé des témoins vulnérables pour en arriver parfois à ce que ces derniers craquent ou ne puissent poursuivre leur témoignage. Cela inclut féliciter des témoins parce qu'ils utilisent de longs mots, laisser planer de longs silences, répéter les mêmes questions à plusieurs reprises ou dire à une dame que personne ne voudrait avoir des rapports sexuels avec elle parce qu'elle est handicapée. Les témoins remplissent un devoir civique et devraient être traités dignement et respectueusement lorsqu'ils témoignent au tribunal. Tout en reconnaissant qu'il convient que l'avocat de la défense puisse mener à bien un contre-interrogatoire, les avocats et les juges devraient être conseillés sur la nécessité d'interdire un comportement inutilement agressif et/ou inadéquat. 13. Les tribunaux britanniques peuvent paraître très bizarres car les avocats s'habillent tous de la même façon depuis trois siècles. Cela peut déranger les témoins. Le tribunal devrait avoir le pouvoir statutaire d'interdire les perruques et les toges lorsqu'il considère que cela pourrait aider le témoin vulnérable ou intimidé à mieux témoigner. 14. De nombreux procès ont été perdus parce que les témoins présentant une déficience intellectuelle ne pouvaient prêter serment ou ne pouvaient définir le mot "vérité". Alors que la définition de la "vérité" échappe aux philosophes depuis des siècles, on attend d'un témoin présentant une déficience intellectuelle qu'il en fournisse une définition instantanée et convaincante à la cour - un test auquel on ne soumet aucun autre témoin. Aucune recherche ne démontre que les personnes handicapées mentales aient plus tendance à mentir à la cour que, par exemple, un financier ou un politicien. Si elles le font, il serait plus facile à la cour de le déceler en raison de leur handicap ce sont les personnes les plus intelligentes qui font les meilleurs menteurs. Comme nous l'avons déjà mentionné dans cet article, il est moins probable que les personnes autistes mentent car leur handicap touche en particulier les capacités intellectuelles nécessaires pour pouvoir mentir. La loi sur les compétences devrait être modifiée en accord avec une de ces trois options: (i) Les témoignages hors serment devraient être recevables dans le cas des adultes présentant une déficience intellectuelle ; (ii) Les témoignages hors serment devraient être recevables si le témoin est incapable de comprendre le serment ; (iii) Il devrait être possible de ne pas témoigner sous serment si cela s'avère nécessaire, mais on expliquerait et demanderait au témoin de reconnaître la nécessité de dire la vérité. 113 15. Traditionnellement, la police attend un "plaignant" lorsqu'une infraction a été commise, c'est-à-dire quelqu'un qui, par exemple, dira à la police ou à la cour "Il m'a frappé !". Et ce, même si une dizaine de témoins dignes de confiance ont vu la scène et une expertise médico-légale témoigne de l’incident. La loi n'exige pas qu'il y ait un plaignant - dans une affaire de meurtre il n'y a en n'a pas, et lorsque la victime est restée inconsciente après une agression sérieuse, il est probable qu'il n'y en n'ait pas non plus. Dans ces circonstances, la police entame malgré tout des poursuites. Cependant, elle n'utilise pas la même logique lorsque la victime ne peut se plaindre en raison d'une déficience intellectuelle. Lorsqu'il s'agit de témoins vulnérables ou intimidés, la police devrait tout particulièrement essayer d'obtenir des formes de preuves afin de limiter la possibilité pour le témoin de devoir témoigner devant la cour. En plus de ces propositions du Ministère de l'Intérieur, le parlement examine actuellement un projet de Loi d'Intérêt Public et de Divulgation. Cette disposition viendra à point nommé pour les personnes désireuses de "tirer la sonnette d’alarme", à savoir les employés qui souhaitent dénoncer et témoigner des abus ainsi que des mauvaises pratiques de leurs employeurs. Dans le passé, les conséquences étaient la perte de l'emploi, la ruine de toute perspective de carrière professionnelle ou d'autres formes de représailles. La nouvelle loi les protégera, à la condition que leurs révélations soient faites de bonne foi. Cette loi émane du travail réalisé par une ONG, Public Concern at Work, 7 qui démontre que des accidents mortels auraient pu être évités si les employés avaient eu la possibilité de dénoncer des pratiques dangereuses. En 1215, la Magna Carta stipulait : "Nous ne refuserons ou ne différerons le droit ou la justice à personne". Elle n'ajoutait pas "Sauf aux personnes handicapées". Heureusement, l'action du gouvernement britannique actuel garantira que la volonté originelle des législateurs du 13ème siècle soit rétablie et respectée. 12.3 Le processus de changement Il reste encore à voir si ces propositions de l'actuel Ministère de l'Intérieur britannique deviendront finalement des lois, mais ce processus même permet à ceux qui souhaitent influencer l'élaboration des lois dans leur pays d'origine de tirer deux leçons importantes : 1. Il ne s'agit pas d'un sujet politiquement conflictuel. Peu de politiciens remettraient en cause l'idée qu'il faudrait faire en sorte que les personnes handicapées bénéficient d'un traitement égal face à la justice - pour citer un ministre britannique, "Vous essayez d'enfoncer une porte ouverte". Seuls quelques politiciens sont susceptibles de prendre le problème très au sérieux, en général parce qu'ils ont un lien direct avec une personne handicapée, et il est important de les considérer comme des alliés. MAIS 7 Public Concern at Work, 42 Kingsway, Londres, WC2B 6EN. 114 2. Bien que ce problème soit très important aux yeux des personnes directement concernées, il n'est que marginal dans le contexte global d'une nation. L'espoir principal de voir s'opérer le changement législatif approprié est que ce problème soit "jumelé" à un débat plus large axé sur l'élaboration de politiques. Les fonctionnaires du Ministère de l'Intérieur ont très adroitement regroupé des domaines d'intérêts publics actuels qui ne semblaient pas être connexes. Premièrement, dans des affaires importantes liées au terrorisme ou au crime organisé, les témoins ont été intimidés, très souvent par des menaces de mort, et il devient donc problématique de les faire comparaître. Deuxièmement, dans les affaires de viols, les victimes revivent une nouvelle fois l’expérience traumatisante lors du procès. Des questions intimes et indiscrètes leur sont posées, parfois par les accusés eux-mêmes, questions qui n'ont qu'un faible rapport avec l’objectif de rendre la justice. La troisième préoccupation ne date pas d'hier : les mauvais traitements infligés à des enfants. Le quatrième domaine se réfère à la façon dont les tribunaux répondent aux besoins des personnes handicapées en général, mais particulièrement dans des cas de personnes présentant des déficiences mentales. Les deux concepts communs à ces quatre domaines sont le fait que les témoins (de la défense et de l'accusation) sont potentiellement vulnérables - bien que pour des raisons très différentes - et que cela les place dans une situation dans laquelle ils sont susceptibles d'être intimidés, à l'intérieur ou à l'extérieur des tribunaux - bien que de façons très différentes. En s'attachant à ces deux problèmes génériques, le gouvernement pourrait proposer des mesures relativement simples qui toucheraient et satisferaient une grande partie du public, et qui bénéficieraient probablement de l'appui de tous les partis. Et ce résultat tente tous les politiciens. Ne s'attacher qu'aux problèmes des personnes handicapées ne serait probablement pas aussi attrayant. La situation parfois unique des personnes autistes doit être identifiée et intégrée dans le contexte des personnes handicapées mentales. La situation de ces personnes doit être alors envisagée dans le contexte de toutes les personnes handicapées. Ensuite, leur situation doit être envisagée dans le même contexte que celle de tout autre citoyen. Si la situation est inversée, l'histoire nous montre que des lois particulières concernant les handicaps mentaux peuvent marginaliser davantage des personnes qui, trop souvent, ne sont pas considérées comme des membres à part entière de la communauté. 115 CHAPITRE 13 : CONCLUSIONS ET RECOMMANDATIONS Grâce à une meilleure sensibilisation aux droits de l’Homme ces dernières années, le problème de la violence et des torts causés à des groupes de citoyens particulièrement vulnérables comme les personnes handicapées est devenu un souci majeur des législateurs et décideurs nationaux et européens. Toutefois, les abus perpétrés contre des personnes atteintes de handicaps sévères tels que l’autisme sont rarement reconnus comme des infractions et peu souvent signalés. C’est pourquoi, avec le soutien de l’Initiative DAPHNE, Autisme-Europe a décidé de rédiger un Code de Bonnes Pratiques pour traiter de la problématique de la violence perpétrée à l’égard des personnes autistes. Des lignes directrices ont été développées pour prévenir les circonstances dans lesquelles les personnes autistes endurent des souffrances en raison d’actes ou d’omissions causées par autrui. Des recommandations ont été tirées sur l’action nécessaire tant au niveau national qu’Européen. 13.1 Pourquoi des mesures spécifiques sont-elles nécessaires pour prévenir la violence à l’égard des personnes autistes ? Les témoignages recueillis durant cette recherche ont révélé que les personnes autistes sont particulièrement vulnérables à toutes sortes de violence, allant de l’acte criminel, aux infractions d’ordre civil, à l’abus de pouvoir et au harcèlement. Il a aussi été démontré que la victimisation mène à plus de victimisation : une prise en charge inadéquate peut donner naissance à une spirale de violence croissante : en effet, le manque de diagnostic précoce et une prise en charge éducative inadaptée peuvent engendrer des problèmes de comportement qui à leur tour accroissent le risque de violence. L’une de tâches majeurs des parents et du personnel s’occupant des personnes autistes est donc de reconnaître et de prévenir l’effet de boule de neige des abus et souffrances endurés par les victimes. Parce que les troubles du spectre autistique affectent l’interaction sociale, la communication et l’imagination, les personnes autistes sont particulièrement vulnérables à toutes sortes d’abus tant en milieu familial qu’institutionnel. Lorsqu’ils subissent des violences, ils ont beaucoup de mal à comprendre ce qui s’est passé, voire à le signaler à d’autres personnes (qui peuvent vouloir les aider). En raison de leur inaptitude à communiquer, les autres ont tendance à penser qu’il ne s’est rien passé. Les familles laissées seules face au défi d’élever un enfant autiste courent un risque accru de maltraiter leur enfant par désespoir ou épuisement ou en raison de fausses croyances sur l’autisme. Notre recherche est aussi arrivée à la conclusion paradoxale que les services qui sont sensés fournir accueil et protection à des personnes vulnérables comme les personnes autistes peuvent parfois institutionnaliser la violence ou donner lieu à des incidents violents épisodiques. Finalement, notre recherche a démontré que l’abus pharmacologique des personnes autistes est pratique courante et peut être attribué à un manque de diagnostic adéquat, à des structures de prise en charge inadaptées, à un manque de personnel, à un manque de formation du personnel et une connaissance insuffisante de l’autisme. 13.2 Quelles mesures convient-il de mettre en œuvre pour prévenir la violence à l’égard des personnes autistes ? Les recommandations suivantes ont été tirées et s’adressent aux divers groupes cibles : 13.2.1 Recommandations aux personnes autistes, aux familles et aux personnes s’occupant des personnes autistes 116 Pour réduire la vulnérabilité des personnes autistes : • • • • • • • • • • • Les personnes autistes devraient être prises en charge dans un environnement le moins restrictif possible. Les personnes autistes devraient être encouragées à développer une meilleure conscience de soi pour renforcer leur sens des responsabilités et faciliter la prise de décision. Des programmes spécifiques à l’autisme devraient être développés pour apprendre aux personnes autistes les éléments de base en terme de prévention de la violence appropriés pour leur âge. Soutien, information et formation devraient être offerts aux parents de manière continue dès le moment où leur enfant reçoit le diagnostic d’autisme, y compris le soutien à domicile. La famille constitue l’environnement naturel de tout enfant ; c’est pourquoi, les familles des enfants autistes devraient recevoir le soutien nécessaire pour leur permettre de répondre aux besoins spécifiques de leur enfant. Les personnes autistes dans la mesure du possible et leurs familles devraient être informées de leurs droits et encouragées à jouer un rôle actif dans les services qui leur sont fournis. Les parents doivent apprendre à demander de l’aide sans se sentir coupables ou incompétents : personne ne peut faire face seul à un problème aussi vaste que l’autisme. Les parents devraient éviter de centrer leur vie exclusivement sur l’enfant autiste : des moments de répit leur sont nécessaires pour rester en bonne santé et restaurer leur énergie afin de mieux faire face au défi d’élever un enfant autiste. Les parents devraient solliciter dès que possible l’avis de professionnels avisés sur les capacités de leur enfant afin d’éviter attentes excessives et erreurs pédagogiques. Les parents devraient travailler en étroite collaboration avec les professionnels impliqués dans la prise en charge de leur enfant. Il est plus facile de détecter les abus dans un environnement ouvert. Les parents devraient toujours demander l’avis de professionnels avisés avant d’essayer un nouveau traitement médical, pharmacologique ou un nouveau régime. Les personnes autistes dans la mesure du possible et les parents devraient apprendre à signaler tout abus notamment en faisant appel aux numéros verts (numéros spéciaux d’aide aux victimes de violence). 13.2.2. Recommandations aux associations de parents Les associations locales et nationales ont le devoir de : • • • • • Informer, soutenir et aider les parents à trouver la prise en charge adéquate pour leur enfant autiste. Faire pression sur les autorités publiques compétentes pour obtenir les centres de diagnostic et de soins nécessaires . Sensibiliser l’opinion publique et accroître les connaissances sur l’autisme pour réduire les risques liés aux fausses croyances. Faire pression sur les autorités publiques compétentes pour qu’une formation adéquate sur l’autisme soit assurée au niveau universitaire et post-universitaire. Exiger que toutes les personnes s’occupant de personnes autistes soient accrédités selon un système national 117 • • • • • • • • Exiger que des visites de contrôle imprévues par les services sociaux compétents ou les visiteurs statutairement désignés puissent avoir lieu pour identifier tout problème existant ou potentiel. Fournir aux parents d’enfants nouvellement diagnostiqués le soutien de pairs (autres parents) ainsi qu’un soutien continu aux familles en étroite collaboration avec les professionnels appropriés. Organiser des sessions spéciales pour former les professionnels et les familles aux indicateurs de risque et d’abus spécifiques aux personnes autistes. Collaborer avec les professionnels pour établir des relations ouvertes et franches. Explorer de nouveaux systèmes de « tutelle » avec les législateurs compétents pour assurer que les « tuteurs légaux » des personnes autistes qui n’ont plus de famille reçoivent une formation adéquate sur l’autisme et soient réellement concernés par le bien-être de la personne autiste. Collaborer avec les numéros verts d’aide aux victimes de violence pour s’assurer que leur personnel reçoive une formation adéquate sur l’autisme. Développer et diffuser une procédure pour signaler les abus (court document expliquant que faire et où chercher de l’aide). Fournir assistance légale et émotionnelle aux personnes autistes et aux parents ayant signalé des abus. 13.2.2 Recommandations aux professionnels des institutions Les institutions doivent s’assurer que : • • • • • • • • • • Lors de l’embauche de personnel salarié et bénévole, les personnes ayant commis des abus sont totalement exclues de tout emploi dans ce domaine, y compris dans les services aux adultes autistes. Les institutions et les parents devraient exiger qu’un registre national des employés d’établissement de soins soit disponible et puissent être consulté par les employeurs potentiels pour leur éviter d’embaucher des employés licenciés pour cause d’abus ou de violence. Des barèmes de salaire adéquats sont offerts pour attirer des candidats de qualité et limiter la rotation du personnel. Le personnel est engagé en nombre suffisant pour prendre soin des clients de manière adéquate en répondant aux besoins spécifiques de chacun. Le personnel reçoit une formation adéquate sur l’autisme accréditée selon un système national et une mise à jour régulière sur les derniers développements. Des contrôles du personnel ont régulièrement lieu et les remarques sont consignées. Ces contrôles devraient s’appliquer à tout le personnel. Les membres du personnel doivent savoir s’ils répondent aux normes et, au besoin, ce qu’ils doivent faire pour y répondre. Les méthodes de travail sont régulièrement révisées, contrôlées et évaluées par le personnel et la direction. Un projet individuel de soin est établi pour chaque client en tenant compte de ses besoins spécifiques. Des contrôles à l’improviste sont organisés par les services sociaux ou tout visiteur indépendant désigné par les associations de parents (associations de consommateurs). En cas de problème identifié lors d’un contrôle, les institutions doivent prendre toute action nécessaire pour remédier à la situation. Le règlement interne décrit la procédure à suivre pour signaler tout abus présumé ou avéré. Les membres du personnel doivent être conscients de leur obligation de signaler tout abus. Une procédure de plainte efficace et indépendante est clairement expliquée aux clients et aux familles et largement divulguée. 118 • • • • • • Les membres du personnel qui tirent la sonnette d’alarme sont protégés de tout licenciement abusif et harcèlement par les autres membres du personnel. Un système de « parrainage » est mis sur pied pour permettre aux membres du personnel inexpérimentés de suivre un membre plus expérimenté afin d’avoir l’occasion de mieux comprendre leur rôle et responsabilités avant d’être confrontés seuls à des situations difficiles. Des contacts réguliers entre membres du personnel, direction et consultants externes et entre enfants et familles/visiteurs indépendants/ communauté locale sont organisés pour contribuer à plus d’ouverture et à une meilleure confiance et compréhension mutuelle. Les droits des personnes autistes sont promus. Les personnes autistes doivent être encouragées à jouer un rôle plus actif au sein du service dans les décisions les concernant. Travail interdisciplinaire : la responsabilité de la protection des enfants/adultes autistes devraient être partagée entre plusieurs intervenants et groupes professionnels afin d’encourager la franchise et la transparence et éviter la poursuite d’intérêts personnels par quelque groupe ou individu. Les services statutaires et bénévoles devraient être légalement responsables de tout abus perpétré à l’égard d’une personne confiée à leurs soins. 13.2.3 Recommandations aux législateurs nationaux • • • • • • • L’autisme devrait être reconnu dans la législation comme un handicap spécifique avec des besoins spécifiques. Des services appropriés devraient être mis en oeuvre en nombre suffisant pour répondre aux besoins de toutes les personnes autistes y compris des programmes de diagnostic précoce. Tous les membres du personnel chargés des personnes autistes devraient recevoir une formation accréditée sur l’autisme. Un registre national des employés chargés des personnes atteintes de handicaps sévères devraient être établi et inclure toute information pertinente sur les personnes ayant commis des délits. Les employeurs potentiels devraient avoir accès à ce registre pour vérifier si un candidat convient pour le poste. Il devrait être obligatoire pour tous les employés de signaler tout abus et les personnes qui tirent la sonnette d’alarme devraient être protégées. Des recherches devraient être entreprises an niveau national pour identifier les indicateurs de risque et d’abus spécifiques aux personnes autistes. Les numéros verts d’aide aux victimes de violence devraient recevoir une formation spécifique sur la manière de traiter les abus à l’égard des personnes atteintes de handicaps sévères. La législation concernant la « tutelle » devrait être revue dans certains Etats membres pour garantir que les tuteurs des personnes autistes reçoivent une formation adéquate sur l’autisme et soient réellement concernés par le bien-être de la personne autiste. Pour éviter la poursuite d’intérêts personnels, il devrait être interdit à tout professionnel fournissant un service à une personne autiste d’être désigné tuteur légal de cette personne. La législation concernant la tutelle des personnes légalement incapables devrait reconnaître le rôle des familles dans la défense des intérêts des majeurs autistes incapables. 13.2.4 Recommandations au niveau européen • • Des recherches pour identifier les indicateurs de risque et d’abus spécifiques aux personnes autistes devraient être entreprises au niveau européen et les résultats devraient être diffusés à l’échelle européenne à tous les services concernés. Pour éviter que les personnes ayant commis des violences cherchent un emploi dans un autre Etat membre et pour faciliter la libre circulation des employés des établissements 119 • • • • • • • de soins, un registre des employés de services sociaux devrait être établi dans chaque Etat membre et devrait être accessible pour consultation par des employeurs potentiels dans d’autres Etats membres. Pour permettre les poursuites judiciaires transfrontalières au nom de personnes vulnérables, une législation semblable à celle qui permet maintenant la poursuite des pédophiles pour infractions commises dans d’autres pays devrait être développée. Des cours de justice mobiles devraient être mises en place et devraient gérées au niveau européen. Une coordination européenne devrait être établie entre les numéros verts des divers Etats membres et une attention particulière devrait être portée aux personnes atteintes de handicaps sévères. Des recherches devraient être entreprises au niveau européen sur l’exploitation sexuelle et/ou la prostitution d’enfants et jeunes autistes. En raison de leur naïveté sociale, les personnes autistes de haut niveau ou les personnes atteintes d’un handicap mental léger courent un risque accru d’être manipulées et exploitées. Afin d’obtenir des statistiques et des recherches plus crédibles, une définition commune de l’autisme est nécessaire au niveau européen (pour le moment, l’autisme est défini différemment selon les pays, ce qui rend les recherches et les études sur la violence perpétrée à l’égard des personnes autistes très difficiles). Une telle définition aiderait aussi les parents qui souhaitent travailler dans un autre Etat membre à obtenir le soutien et l’aide nécessaire dans le pays hôte. Une meilleure cohérence devrait être recherchée pour le concept de tutelle, capacité légale et responsabilité délictuelle. La Commission européenne devrait soutenir et encourager les Etats membres à étendre leur législation sur la discrimination et le harcèlement racial aux personnes handicapées en vertu de l’Article 13 du nouveau Traité d’Amsterdam. Une meilleure cohérence devrait être recherchée sur la législation concernant l’avortement et la stérilisation des personnes légalement incapables pour éviter de ces personnes ne soient emmenées dans d’autres Etats membres pour subir ces traitements. 13.3 L ‘avenir Ce Code identifie les principaux domaines où des mesures de prévention peuvent aider à réduire les abus et souffrances infligés aux personnes autistes. La plupart de ces recommandations s’appliquent également à d’autres groupes vulnérables comme les personnes atteintes d’autres handicaps, les enfants en institutions, les adolescents en établissement de soins, etc. En unissant nos efforts, il devrait être possible dans un proche avenir de créer un environnement sûr où tous les enfants pourront grandir et chacun pourra jouir d’une vie digne dans une société européenne inclusive. 120