Les jeunes d`origine maghrébine et les Centres de Formations d

Transcription

Les jeunes d`origine maghrébine et les Centres de Formations d
MASTER « Métiers de l’éducation et de la formation »
Spécialité « Encadrement et Conseil en Education »
Option : « Encadrement des Missions Educatives et Sociales »
Note d’avancement de mémoire
Le choix d’orientation des jeunes d’origine maghrébine et la formation par apprentissage
Sous la direction de M. Thierry Goguell d’Allondans
Par Thomas Bunz
Année Universitaire 2013/2014
Janvier 2014
UE 35
1
Partie I : Construction de l’objet
Question de départ
Ce projet repose avant tout sur une observation réalisée au sein d’un Centre de Formation
d’Apprentis rattaché à un lycée d’enseignement professionnel, dans une commune du Bas-Rhin.
Avec des formations préparant aux métiers de la maintenance des matériels (agricoles, travaux
publics), de la maintenance industrielle et des énergies (nucléaire), cette structure situe son secteur
d’activités en direction des milieux industriels. Si certaines formations dispensées dans l’un et
l’autre de ces deux établissements (CFA et lycée professionnel) ne sont pas concurrentielles1,
d’autres, au contraire, sont dans cette position. Le CFA se caractérise par sa faible fréquentation
par des jeunes d’origine maghrébine. Le lycée professionnel et le CFA ont des effectifs de jeunes
assez proches, environ 3002 élèves pour le premier et 2703 apprentis pour le second, cependant la
proportion de jeunes d’origine maghrébine n’est pas équivalente. Ainsi, quand près de 90 élèves
d’origine maghrébine composent les effectifs du lycée professionnel, ils sont seulement 5 à se
repartir entre les différents niveaux de l’apprentissage4. Pourquoi une telle disparité dans les
effectifs, entre les deux dispositifs de la voie professionnelle ? L’apprentissage serait-il mal connu
par ces jeunes ? L’entrée en apprentissage serait-elle soumise à un tri qui serait défavorable aux
jeunes d’origine maghrébine, ce qui en ferait un dispositif discriminatoire ? Aux vues des
interrogations que cette observation procure, il est apparu nécessaire de comprendre une telle
différence entre les deux dispositifs, en tentant de saisir les raisons d’une orientation en faveur du
lycée professionnel plutôt qu’en apprentissage. Y’aurais-t-il une particularité lié aux jeunes
d’origine maghrébine ? Si la voie scolaire et celle de l’apprentissage au sein de cet établissement
ne préparaient pas aux mêmes formations, nous aurions pu obtenir un élément d’explication. De
plus, si les deux établissements n’étaient pas mitoyens, nous aurions également pu trouver une
réponse. Par ailleurs, située au 11ème rang national en termes d’effectifs apprentis5, et 5ème région
1
Par concurrentielle nous entendons : qu’une même formation professionnelle de niveau équivalent, est
proposée à la fois par la voie de l’apprentissage et par la voie scolaire. Exemple : le Bac pro (froid et
2
http://www.lycee-cfa-victor-obernai.fr/presentation
3
http://www.oref-alsace.org/Pages/contexte-regional.aspx?Rub=9&SsRub=134&All=1#Apprentis
4
Proportion évaluée lors d’une pré-enquête s’appuyant sur les informations recueillies dans chacun des
deux établissements.
5
http://oref-recette.region-alsace.eu/Lists/DocumentsOREF/Attachments/665/CF-156.%20apprentissage
2
pour laquelle la part de la population immigrée est importante6, l’Alsace semble être un terrain
favorable à ce type de recherche.
Etat des connaissances
Dans le but de délimiter un cadre d’analyse, nous allons faire une brève présentation des
différents travaux qui seraient susceptibles d’apporter des informations sur notre sujet d’étude. De
cette manière nous pourrons approcher avec un peu plus de pertinence les questions qui nous
préoccupent et donc apporter un peu d’eau à notre moulin.
Si les contributions disponibles permettent de brosser rapidement le paysage de la situation
des jeunes d’origine maghrébine dans leur trajectoire scolaire, les études concernant leur accès à la
formation professionnelle par apprentissage demeurent plutôt rares, voire même inexistantes. Quel
écueil concourt à ce manque de données ?
Concernant les jeunes d’origine maghrébine, le manque de données ne peut pas s’expliquer par la
seule volonté d’éviter de stigmatiser certaines populations. En s’inscrivant dans l’explication
républicaine « d’indifférence aux différences », la preuve en est qu’en ce qui concerne l’éducation
et l’insertion professionnelle, des travaux existent mais restent anormalement peu abondant au
regard des enfants d’immigrés. L’explication principale réside plutôt dans le fait que jusqu’à une
date récente, nous ne disposions pas de données permettant de combler ce vide7. Peu d’enquêtes
recensent en effet la nationalité des bénéficiaires de formation et encore plus rares sont celles qui
permettent de distinguer les immigrés et leurs descendants. Même si les études sur les descendants
d’immigrés se sont multipliées, les données sur le cursus de formation du secondaire au supérieur
sont peu nombreuses.
Du coté de l’apprentissage, Gilles Moreau nous explique que celui-ci a sans doute été longtemps
considéré comme « la simple survivance d’un ancien régime, condamné à disparaître8 » sous
l’effet de ce qu’Antoine Prost a fort justement appelé « la scolarisation des apprentissages9 ».
L’apprentissage est donc peu observé mais il est aussi difficile à voir, notamment à cause des
particularités statistiques, ainsi qu’un manque de coordination des institutions qui le régentent.
6
http://www.insee.fr/fr/insee_regions/alsace
Grelot D. et Minni C., « Les immigrés accèdent moins à la formation professionnelle continue »,
Formation/emploi, n°94, 2006.
8
Moreau G., Le monde apprenti, La Dispute, 2003.
9
Prost A., L’école et la famille dans une société en mutation, Nouvelle Librairie de France, Paris, 1981.
7
3
Malgré les difficultés évoquées, nous allons néanmoins tenter de faire le tour de la question,
en abordant dans un premier temps les questions qui ont traits à la trajectoire scolaire des jeunes
d’origine maghrébine, et voir notamment les particularités de leur cursus. Dans un second temps,
nous nous emploierons à préciser les contours de la formation par apprentissage afin de mieux
cerner sa singularité. La plupart des informations recueillies concernant les jeunes d’origine
maghrébine proviennent d’analyses s’appuyant sur des enquêtes statistiques récentes développées
par l’INSEE, l’INED, l’Education Nationale et surtout le CEREQ 10 . Les données de
l’apprentissage quant à elles apparaissent beaucoup plus faméliques, excepté l’ouvrage de
référence de Gilles Moreau, et quelques contributions développées encore une fois par le CEREQ.
Peu de sociologues se sont attardés sur ce mode de formation initiale.
10
Centre d’Etudes et de Recherches sur les Qualifications
4
Les jeunes d’origine maghrébine : des trajectoires marquées par leurs origines
Ce sont des jeunes dont le père est né au Maroc, en Algérie, ou en Tunisie qui sont de
nationalité étrangère, ou française par acquisition. Dans l’ensemble des ressources
bibliographiques, c’est la filiation par le père qui est utilisée. L’analyse des trajectoires s’inscrit
dans une étude sur la mobilité sociale et c’est essentiellement le père qui est vecteur de
transmission d’un statut social aux enfants. Cette population d’élèves issus de l’immigration, c’est
à dire nés en France, ont effectué toute leur scolarité dans un environnement familial à dominante
ouvrière, sont aussi marqués par l’expérience même de cette immigration. Cette double culture
peut influencer leur scolarité.
D’un “handicap“ …
Les politiques d’ouverture et d’élévation du niveau scolaire offrent des opportunités
nouvelles aux enfants de milieu populaire en général, et aux enfants issus de l’immigration en
particulier. L’accès au baccalauréat s’est démocratisé, les inégalités se sont réduites mais se
déplacent vers l’enseignement secondaire et supérieur11. Ainsi, les bacheliers sont plus nombreux
aujourd’hui, toutefois le type de bac reste marqué par de fortes disparités selon l’origine sociale.
Les bacs sont « très fortement hiérarchisés selon leur prestige, selon les chances sociales et
professionnelles qu’ils procurent 12 ». En effet, l’émergence de filières différenciées et
hiérarchisées transforme les inégalités, les enfants des milieux populaires se concentrent dans les
filières les moins valorisées, plus souvent professionnelles13. Les jeunes d’origine maghrébine
appartiennent majoritairement à des familles dont la personne de référence est ouvrière, employée
de service ou inactive14. Ils grandissent bien souvent dans des familles nombreuses où les parents
n’ont jamais été scolarisés et occupent des emplois peu qualifiés. Les pères subissent un taux de
chômage particulièrement élevé par rapport à la population majoritaire et les mères ont un lien
11
Merle P., La démocratisation de l’enseignement, Paris, Repères, La Découverte, 2002.
Prost A., L'enseignement s'est-il démocratisé ?, Les élèves des lycées et collèges de l'agglomération
d'Orléans de 1945 à 1980, Paris, PUF, « coll. Sociologies », 1986.
13
Duru-Bellat M., L'inflation scolaire. Les désillusions de la méritocratie, Éditions du Seuil, 2006.
14
Caille J-P. (2007), « Perception du système éducatif et projet d’avenir des enfants d’immigrés »,
Education et Formations, n°74, DEPP, Paris.
12
5
ténu avec l’emploi car elles sont souvent inactives. En alimentant une partie importante des
emplois ouvriers et employés non qualifiés, les enfants d’immigrés semblent particulièrement
défavorisés du point de vue des inégalités de réussite à l’école. Ils cumulent un double handicap
lié à leur origine sociale et étrangère. Il s’agit ici du moment structurel de l’analyse des trajectoires
de ces jeunes.
Un démarrage dans le secondaire plutôt ralenti
Si les inégalités d’éducation se forment dès l’école maternelle et les premières années de
scolarisation15, les enfants d’immigrés rencontrent très tôt des difficultés spécifiques, comme en
témoignent les redoublements fréquents en primaire, dont la moitié dés le cours préparatoire16.
Ainsi, ils arrivent plus âgés que les autres lorsqu’ils rentrent au collège. Les jeunes garçons
d’origine maghrébine sont toutefois plus affectés que les filles par le redoublement. Ils fréquentent
aussi plus souvent des établissements publics que les jeunes français d’origine. Par ailleurs, du fait
de la ségrégation sociale de l’habitat urbain et scolaire17 , ils connaissent des conditions de
scolarisation en moyenne moins favorables que celles des autres jeunes : plus souvent inscrits dans
des collèges de ZEP à fort recrutement populaire, parfois situés en zone urbaine sensible. Si ces
établissement sont plus homogènes socialement que les autres, c’est que la part d’étrangers est
nettement plus élevés en ZEP qu’ailleurs, ce qui génère une progression plus faible. De plus, les
familles tentent rarement de déjouer la carte scolaire et acceptent généralement les établissements
proposés18. Ces élèves ont également un niveau scolaire à l’entrée en 6ème plus faible que les autres
notamment dans les matières du français et des mathématiques. Moins dotés en capital scolaire car
ils sont plus souvent peu ou pas diplômés,19 les parents immigrés éprouvent des difficultés pour
accompagner la scolarité de leurs enfants. Du fait d’une faible maîtrise de la langue française, les
mères se sentent souvent dépassées dès l’école primaire alors que se joue l’apprentissage de la
15
Duru-Bellat M., Les inégalités sociales à l'école : Genèse et Mythes, PUF, 2002.
Caille J-P. et Rosenwald F. (2006), « Les inégalités de réussite à l’école élémentaire : construction et
évolution », France, Portait Social 2006, INSEE, Paris.
17
Van Zanten A., L’école de la périphérie. Scolarité et ségrégation en banlieue, Paris, PUF, 2001.
18
Idem.
19
Caille J-P. (2007), « Perception du système éducatif et projet d’avenir des enfants d’immigrés »,
Education et Formations, n°74, DEPP, Paris.
16
6
lecture et de l’écriture20. Les élèves d’origine immigrée n’accèdent pas au secondaire avec les
mêmes chances que les autres élèves, ils l’entament dans des conditions plus difficiles avec un
niveau plus faible en moyenne.
La voie professionnelle comme salut ?
Les inégalités de performances rencontrées par les jeunes d’origine maghrébine durant les
premiers moments de leur carrière scolaire ne s’atténuent pas véritablement durant la suite de leur
trajectoire. En effet, la scolarité en primaire exerce un impact durable sur toute la carrière scolaire
ultérieure de l’élève.
Au niveau de l’enseignement secondaire, existent des paliers particulièrement importants
qui contraignent les élèves et leur famille à effectuer des choix d’études. L’orientation à l’issue du
collège constitue l’un des premiers temps de sélection des élèves dans le système éducatif.
L’expansion du baccalauréat a été fortement favorisée par l’ouverture de nouvelles filières
professionnelles et technologiques à partir du milieu des années 80. Ainsi, au terme du collège les
élèves ont trois possibilités, soit l’orientation vers une seconde générale et technologique, une
seconde professionnelle, ou un CAP sachant que ces 2 dernières peuvent se faire par voie scolaire
ou par voie d’apprentissage. Les jeunes issus de l’immigration vont suivre davantage des
formations professionnelles que les jeunes français d’origine21. Même s’ils ont accès aux filières
générales, les jeunes d’origine maghrébine, faute de performances suffisantes, se retrouvent en
majorité scolarisés dans l’enseignement professionnel et technologique tout en évitant la voie de
l’apprentissage. L’orientation dans ces filières est fortement corrélée au niveau d’éducation des
parents et par la scolarité antérieure du jeune.
De part les faibles ressources de leurs parents, les jeunes d’origine maghrébine se
retrouvent seuls, face à l’institution scolaire. Les moindres connaissances des rouages du système
éducatif français ainsi qu’une faible maîtrise de la langue réduisent la capacité des parents à
20
Brinbaum Y., (2002), Au cœur du parcours migratoire, les investissements éducatifs des familles
immigrées : attentes et désillusions, Thèse de Doctorat de Sociologie, Paris, Université René Descartes.
21
Brinbaum Y. et Guegnard C., « Parcours de formation et d’insertion des jeunes issus de l’immigration au
prisme de l’orientation – De l’orientation au sentiment de discrimination », Net. Doc, n°78, Céreq, février
2011.
7
s’opposer aux décisions ou propositions d’orientation22. Alors qu’ils envisageaient plus volontiers
une carrière en direction de la voie générale, leur orientation apparait plus souvent contrainte. Par
ailleurs, un certain nombre d’élèves plutôt minoritaire sort du système scolaire sans diplôme, ce
qui caractérise ces jeunes d’origine maghrébine23, et plus particulièrement les garçons. Plus
couramment en échec dans les filières professionnelles en raison de leurs mauvaises performances
scolaires, les jeunes d’origine maghrébine ont également plus fréquemment le sentiment de subir
leur orientation vers ces voies. Ainsi, ils échouent plus souvent dans l’acquisition d’un diplôme
professionnel, notamment lorsqu’il est de nature industrielle que pour un diplôme général24. Par
ailleurs, ces jeunes encourent aussi des difficultés à trouver un stage25, or cette situation qui les
confronte directement à la discrimination sur le marché du travail les pénalise dans l’acquisition
du diplôme où le rapport de stage servira de notation finale. Du point de vue des spécialités de la
voie professionnelle poursuivie, les jeunes d‘origine maghrébine se distinguent par une préférence
pour les formations du secteur tertiaire plutôt que du secteur industriel. Les choix des garçons
traduisent une attirance plus forte pour les professions commerciales26. A l’issue du baccalauréat,
de nouvelles tensions jaillissent au niveau de leur orientation pour l’accès aux études supérieures.
Désirant majoritairement s’engager vers les filières supérieures courtes hors apprentissage, ils se
retrouvent davantage orientés à l’université. Si les IUT qui donnent accès au DUT, sélectionnent
plutôt les meilleurs élèves des filières générales, les BTS donnent l’avantage aux Bacs
professionnels et technologiques des milieux populaires. Or, les jeunes d’origine maghrébine ont
moins de chances d’y accéder à niveau équivalent. Si ces jeunes arrivent plus souvent que les
autres enfants d’immigrés avec des diplômes universitaires sur le marché du travail, ce n’est pas
parce qu’ils valorisent l’université au détriment des formations d’enseignement supérieur plus
professionnalisées, mais sans doute parce qu’ils n’obtiennent pas l’orientation souhaitée27.
22
Frickey A. (2010), « Les inégalités de parcours scolaires des enfants d’origine maghrébine résultent-elles
de discrimination ? », Formation-emploi, n°112, La Documentation Française, pp.21-37.
23
Caille J-P. (2007), « Perception du système éducatif et projet d’avenir des enfants d’immigrés »,
Education et Formations, n°74, DEPP, Paris.
24
Brinbaum Y. et Kieffer A. (2005) « D’une génération à l’autre, les aspirations éducatives des familles
immigrées : ambition et persévérance », in Education et Formations, n°72, DEP, ministère de l’Education
nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
25
Frickey A. (2010), « Les inégalités de parcours scolaires des enfants d’origine maghrébine résultent-elles
de discrimination ? », Formation-emploi, n°112, La Documentation Française, pp.21-37.
26
Caille J-P. (2007), « Perception du système éducatif et projet d’avenir des enfants d’immigrés »,
Education et Formations, n°74, DEPP, Paris.
27
Idem.
8
Une vie active précarisée
En France, les jeunes issus de l’immigration sont confrontés à des difficultés d’accès à
l’emploi et sont plus touchés par le chômage, plus particulièrement ceux d’origine maghrébine28.
Les écarts avec les français d’origine s’expliquent notamment par le niveau d’éducation obtenu
qui est lui même fortement corrélé aux origines sociales29, mais aussi par une discrimination sur le
marché du travail. De plus, les diplômes du supérieur ne garantissent pas un égal accès à
l’emploi30. Ainsi, même à caractéristique équivalente un jeune d’origine maghrébine a toujours
plus de risques que son homologue français d’être au chômage. Par ailleurs, « ils participent moins
souvent aux mesures marchandes de la politique de l’emploi (apprentissage, formation par
alternance) qui sont par nature plus insérantes sur le marché du travail »31. Cependant, ceci
réclame une mobilisation de relations sociales et professionnelles que ne possèdent pas toujours
les jeunes d’origine maghrébine, dû notamment à la situation sociale et économique des parents32.
Précisons que ces derniers sont plus souvent chômeurs ou retraités pour les pères, et les mères sont
plus nombreuses à être inactives et n’appartiennent donc pas aux réseaux dont pourraient
bénéficier leurs enfants sur le marché du travail33. D’autre part, Les jeunes d’origine maghrébine
occupent plus souvent que les autres des emplois précaires où les chances d’embauche restent
faibles34. Néanmoins, lorsqu’ils décrochent un emploi, celui-ci se caractérise par sa spécialisation
professionnelle. Davantage dans le secteur des services peu qualifié, ils sont également présents
dans le domaine de l’industrie et des métiers de l’action sociale 35. S’il est devenu courant
d’expliquer l’insertion professionnelle des jeunes à travers une transmission parentale, les garçons
28
Silberman R. et Fournier I. (2006), « Les secondes générations sur le marché du travail en France : une
pénalité ethnique ancrée dans le temps. Contribution à la théorie de l'assimilation segmentée Revue
française de sociologie, vol. 47, n°2, p. 243-292.
29
Brinbaum Y. et Guegnard C. (2011), « Parcours de formation et d’insertion des jeunes issus de
l’immigration au prisme de l’orientation – De l’orientation au sentiment de discrimination », in Net. Doc,
n°78, Céreq, Février.
30
Frickey A. et Primon J-L. (2002) « Jeunes issus de l’immigration : les diplômés de l’enseignement
supérieur ne garantissent pas un égal accès au marché du travail », Formation Emploi, n° 79, pp. 31-49.
31
Lainé F., Okba M. (2005), « L’insertion des jeunes issus de l’immigration : de l’école au métier », in
Net.Doc, n°15, Céreq, Avril.
32
Idem
33
Silberman R. et Fournier I. (1999), « Les enfants d'immigrés sur le marché du travail. Les mécanismes
d'une discrimination sélective », Formation Emploi, n° 65, p. 31-55.
34
Joseph O., Lopez A., Ryk F. (2008), « Génération 2004, des jeunes pénalisés par la conjonctures » in
Bref, n°248, Céreq, Janvier.
35
Lainé F., Okba M. (2005), « L’insertion des jeunes issus de l’immigration : de l’école au métier », in
Net.Doc, n°15, Céreq, Avril.
9
maghrébins se dirigent plutôt massivement vers les métiers du service, en rupture avec leurs pères
ouvriers qualifiés36.
… à un “atout“
Rappelons que les trajectoires scolaires des jeunes d’origine maghrébine s’inscrivent à
l’aune de la démocratisation scolaire et d’une tendance générale à l’allongement de la scolarité. En
effet, à l’heure de cet avènement, les aspirations éducatives se sont diffusées et manifestées dans
tous les milieux sociaux, ce qui a été mis en évidence par M. Duru-Bellat et P. Merle. Ainsi,
quelque soit le niveau d’étude ou l’origine sociale, l’obtention du baccalauréat est devenu la
norme pour l’ensemble des familles. Bien entendu, celles-ci souhaitent davantage accéder au
baccalauréat général, plus valorisé dans la mesure où il donne accès à une large palette de
formations ultérieures. Les familles immigrées adhèrent également à ce modèle, ainsi les
maghrébins privilégient pour leurs enfants les filières générales menant à l’enseignement
supérieur. Par ailleurs, les parents maghrébins auraient des aspirations plus élevées, à milieu social
équivalent que leurs homologues français, vers études longues pour leurs enfants. L’observation
paraît ici beaucoup proche de l’individu où l’analyse s’intéresse davantage à ses actions.
Un projet familial de mobilité sociale
Parce qu’elles sont émigrantes avant d’être immigrantes, ces familles ont un projet qui
dépasse les frontières du territoire français et de son école. C’est à travers la mobilité sociale qu’il
s’agit de lire leur parcours migratoire, « toutes les familles étaient porteuses d'un projet et d'une
volonté d'ascension sociale en quittant leur milieu d'origine37 ». Toutefois, « parce qu’ils y sont
contraints par la situation économique et sociale, ou alors parce qu’il est trop ambitieux ou
illusoire de mener à terme le projet familial d’ascension en une seule génération, les parents
36
Idem.
Zeroulou Z. (1988), « La réussite scolaire des enfants d’immigrés. L’apport d’une approche en terme de
mobilisation », in Revue Française de Sociologie, vol.XXIX, n°2.
37
10
reportent alors de façon évidente leurs espoirs sur leurs enfants38 ». C’est ainsi que parmi les
ouvriers et employés, les maghrébins expriment des aspirations scolaires plus ambitieuses pour
leurs enfants que les parents français d’origine. S’ils sont ouvriers non qualifiés dans leur majorité,
ils connaissent la dureté des conditions de travail, les dégâts du chômage et les ravages de la
discrimination qu’ils subissent sur le marché du travail39. L’investissement scolaire leur parait sans
doute être la seule alternative pour que leurs enfants échappent à des perspectives similaires à leur
situation. Si les familles considèrent les études comme un investissement, c’est qu’ils considèrent
les diplômes comme un vecteur de capital économique40. Par ailleurs, leurs enfants s’inscrivent
dans cette perspective par une volonté de se démarquer de la condition ouvrière. Souvent témoins
de la mise à l’écart de leurs pères sur le marché du travail, ils tendent également vers des
aspirations d’ascension sociale. De plus fortes préoccupations financières41 corroborent à cette
idée d’améliorer des conditions matérielles d’existence qui sont en moyenne moins favorables que
celles des autres jeunes.
Avec de hautes ambitions scolaires
Particulièrement élevés dans les familles maghrébines, les aspirations, ancrées dans la
dynamique migratoire, exercent un effet de levier sur les scolarités de leurs enfants puisque ceuxci sont en moyenne inscrits dans une trajectoire scolaire plus positive que les autres42. En effet, si
les enfants d’étrangers réussissent globalement moins bien que les enfants d’origine française, à
milieu social comparable ce résultat cesse d’être vrai dans le secondaire43. D’après Vallet et
Caille, cela s’explique par un niveau d’aspiration élevé des familles et à une mobilisation pour la
réussite de leurs enfants. Ainsi, les aspirations éducatives des parents immigrés ont un rôle positif
sur la scolarité des enfants, l’origine migratoire conjuguée à l’origine sociale apparaît ici comme
38
Laurens J-P. (1995), « La migration : une chance contre l'échec scolaire ? », in Revue Hommes et
migrations, n°1185.
39
Silberman R. et Fournier I. (2006), « Les secondes générations sur le marché du travail en France : une
pénalité ethnique ancrée dans le temps. Contribution à la théorie de l'assimilation segmentée Revue
française de sociologie, vol. 47, n°2, p. 243-292.
40
Zeroulou Z. (1988), « La réussite scolaire des enfants d’immigrés. L’apport d’une approche en terme de
mobilisation », in Revue Française de Sociologie, vol.XXIX, n°2.
41
Caille J-P. (2007), « Perception du système éducatif et projet d’avenir des enfants d’immigrés », in
Education et Formations, n°74, DEPP, Paris.
42
Vallet L-A. et Caille J-P. (2000), « La scolarité des enfants d’immigrés », in L’école : l’état des savoirs,
Paris, La Découverte, pp. 293-301
43
Idem.
11
une ressource. Des ambitions plus élevées dans les familles immigrées comme chez leurs enfants
se traduisent par une persévérance plus soutenue à résultat scolaire comparable. L’épreuve du
redoublement, qui serait synonyme d’échec pour l’ensemble des familles françaises d’origine,
marque ici une volonté de se maintenir dans le système scolaire afin de poursuivre des études44.
Les parents d’origine maghrébine témoignent d’une préférence plus prononcée pour le
baccalauréat général. Les aspirations éducatives des parents sont en partie liées à leurs
représentations de l’utilité des diplômes. Même si le baccalauréat est le symbole d’une intégration
réussie et d’évasion de la condition ouvrière, les familles maghrébines souhaitent rarement que
leurs enfants s’orientent vers les voies professionnelles après le collège. Peu conscientes de
l’utilité des diplômes qu’elles procurent pour trouver un emploi 45 , les parents maghrébins
cherchent souvent à éviter les filières professionnelles qu’ils perçoivent comme un frein à leur
projet de réussite sociale. De plus elles leurs paraissent plus opaques que les diplômes généraux
qui sont eux valorisés socialement. Ces familles maghrébines prennent moins en compte le niveau
de l’enfant dans leurs vœux46 et donc leurs ambitions peuvent parfois sembler surréalistes car leurs
projets dépendent peu des résultats. Néanmoins, les jeunes d’origine maghrébine, s’ils ne se
conforment pas aux vœux d’une orientation en général exprimée par les parents, gardent leurs
chances de poursuite d’étude dans l’enseignement supérieur. Le baccalauréat apparaît plutôt
comme une passerelle. Alors que le projet d’études supérieures dépend d’abord de la filière
d’enseignement fréquentée, les ambitions des enfants d’immigrés sont nettement plus affranchies
des résultats et des parcours scolaires que celles des autres jeunes47. Tandis que la voie générale
leur est moins fréquemment ouverte, les stratégies des élèves s’inscrivent dans cette dynamique de
poursuite d’études. Le choix d’une filière technologique peut devenir une alternative raisonnable
en cas de difficultés scolaires pour maintenir leurs chances d’intégrer l’enseignement supérieur48.
C’est pourquoi la remarque de Vallet et Caille « à caractéristiques sociodémographiques
comparables, avoir des parents immigrés constitue après l’origine sociale, le déterminant le plus
fort du souhait de poursuite des études supérieures » s’affirme avec force pour les familles
44
Brinbaum Y. et Guegnard C., « Parcours de formation et d’insertion des jeunes issus de l’immigration au
prisme de l’orientation – De l’orientation au sentiment de discrimination », in Net. Doc, n°78, Céreq,
février 2011.
45
Brinbaum Y. et Kieffer A. (2005) « D’une génération à l’autre, les aspirations éducatives des familles
immigrées : ambition et persévérance », in Education et Formations, n°72, DEP, ministère de l’Education
nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
46
Idem
47
Caille J-P. (2007), « Perception du système éducatif et projet d’avenir des enfants d’immigrés », in
Education et Formations, n°74, DEPP, Paris.
48
Brinbaum Y. et Kieffer A. (2005) « D’une génération à l’autre, les aspirations éducatives des familles
immigrées : ambition et persévérance », in Education et Formations, n°72, DEP, ministère de l’Education
nationale, de l’Enseignement supérieur et de la Recherche.
12
maghrébines. Ainsi, même lorsqu’ils sont en lycée professionnel, l’intérêt pour l’enseignement
supérieur reste vif.
Ayant plus ou moins intégré les évolutions des rapports entre scolarité et marché du travail,
ils ont conscience que les études supérieures peuvent leur permettre d’accéder à un emploi qualifié
stable et assorti de perspectives professionnelles. C’est pour cela, qu’ils envisagent beaucoup plus
souvent que les autres jeunes de poursuivre leur scolarité dans le supérieur court, en direction
notamment des BTS hors alternance, dans les spécialités du tertiaire.
Et des effets inattendus
Comme nous l’avons évoqué précédemment, les jeunes d’origine maghrébine se
distinguent par des attentes plus fortes de poursuites d’études vers les voies générales afin d’éviter
les filières courtes et les métiers auxquels elles mènent. Cependant, des « décalages » peuvent se
créer. Si les familles parviennent à transmettre à leurs enfants leurs ambitions de mobilité sociale à
travers l’école et des dispositions en faveur d’une scolarisation longue, ils peinent davantage à leur
fournir les conseils pertinents leur permettant de parvenir à cette fin. Leur aide dépend de leur
connaissance du système éducatif français et des ressources dont ils disposent. Or, ils disposent
d’une vision floue de système scolaire, de ses mécanismes de sélection et des perspectives
professionnelles auxquelles les différentes filières conduisent49. Par ailleurs, ils connaissent mal
les usages, les marges de manœuvre, les droits et les moyens mis à leur disposition pour aider les
enfants50. Selon certains auteurs notamment Yael Brinbaum, le choix du baccalauréat général
s’explique
sans doute par l’ignorance du jeu des filières (générales, technologiques,
professionnelles et alternance) et de la diversité des diplômes auxquels elles mènent. Ainsi, de part
leur milieu social et leur niveau d’éducation plus faible, ils tendent plus souvent à subir leur
orientation et connaissent davantage que les autres une situation scolaire qui ne correspond pas
toujours à leur ambition initiale51. Le sentiment d’une orientation contrainte par des résultats
scolaires insuffisants est bien évidemment lié à la position par rapport au système scolaire, il
touche ainsi essentiellement les jeunes des lycées professionnels, ceux sortis du système éducatif
49
Idem.
Brinbaum Y. (2002), Au cœur du parcours migratoire, les investissements éducatifs des familles
immigrées : attentes et désillusions, Thèse de Doctorat de Sociologie, Paris, Université René Descartes.
51
Caille J-P. (2007), « Perception du système éducatif et projet d’avenir des enfants d’immigrés », in
Education et Formations, n°74, DEPP, Paris.
50
13
mais aussi des filières technologiques. Mais, ce sont surtout les jeunes d’origine maghrébine qui
sont les plus atteints en raison de leur ambition scolaire de départ. Si l’orientation vers les voies
professionnelles répond souvent à la demande des élèves, les jeunes d’origine maghrébine proches
des aspirations familiales sont le plus fréquemment en désaccord avec cette décision qu’ils vivent
beaucoup plus mal. Il n’est alors pas étonnant que ces enfants manifestent plus souvent que les
autres élèves un sentiment d’injustice52. Par ailleurs, après le baccalauréat, les jeunes d’origine
maghrébine sont les principaux déçus de la démocratisation scolaire53 car beaucoup se tournent
vers l’université après avoir été refusés dans les filières de l’enseignement supérieur court. Leur
orientation à l’université se soldant souvent pas un échec, leur insertion sur le marché du travail,
devient nettement plus chaotique que pour les autres élèves, avec pour corollaire, une
insatisfaction plus forte et un jugement plus négatif sur le fonctionnement du système scolaire.
52
Idem
Beaud S., « 80 % au bac » et après ? : les enfants de la démocratisation scolaire, Paris : La Découverte,
coll. « Textes à l'appui. Enquêtes de terrain », 2002.
53
14
La formation par apprentissage : une voie marquée par son époque
L’apprentissage tel que nous allons tenter de le décrire s’inscrit dans une histoire
contemporaine où ce sont les quarante dernières années qui ont participé à nous renvoyer l’image
que nous en avons aujourd’hui. A la rentrée 1975, le nombre d’apprentis était de l’ordre de 200
00054. En 2012, la formation par apprentissage en accueille un peu plus du double55. Une telle
augmentation de ses effectifs n’a pas pu se réaliser sans des transformations majeures du dispositif
de la formation par apprentissage et n’a pas été sans incidence sur son public, notamment les
apprentis.
La démocratisation scolaire dans l’apprentissage
Si l’apprentissage est devenu une formation qui compte dans le paysage éducatif français,
c’est notamment à cause d’un climat peu favorable à l’emploi auprès des jeunes et surtout grâce à
la préoccupation des politiques à l’égard de cette situation. Cependant, en gagnant en légitimité,
ce dispositif a du faire quelques concessions dont les premières victimes sont la frange
traditionnelle de la formation par apprentissage.
D’une impulsion politique
C’est dans un idéal d’éducation populaire que l’accord interprofessionnel du 9 juillet 1970
sur la formation continue et l’apprentissage, ainsi que la loi du 16 juillet 1971, ont posé les
premières pierres de l’apprentissage moderne. En instituant l’agrément préalable du maître
d’apprentissage, un contrat de travail strictement normalisé, une règlementation des durées et des
contenus de formation, l’obligation de présenter l’apprenti à l’examen, la tutelle pédagogique et
financière de l’Education nationale et la participation de l’Etat au financement des CFA 56 ,
54
Moreau G., Le monde apprenti, La Dispute, 2003.
http://www.insee.fr/fr/themes/tableau.asp?reg_id=0&ref_id=NATTEF07253
56
Centre de Formation des Apprentis
55
15
l’apprentissage devient petit à petit une formation à part entière. Avec un certain nombre d’heures
à totaliser, la formation pratique se « scolarise » et entre dans l’ère nouvelle de la formation par
alternance57. Alors qu’au début des années 80 le chômage gagne du terrain en France avec pour
principales victimes les jeunes de 15 à 24 ans, l’école est accusée de ne pas trouver d’adéquation
entre la formation et l’emploi. Dans ce contexte de crise économique, le dispositif de
l’apprentissage retient de plus en plus l’attention politique car « l’entreprise formatrice apparaît
comme la panacée 58 ». Avec la décentralisation des compétences en matière formation aux
Régions en 1983, l’objectif est clairement de mettre en concordance l’offre de formation et le
marché du travail dans une dimension locale. La réforme de 1987 dite loi Seguin ouvrant
l’apprentissage à tous les niveaux de formation, rendant possible la succession de plusieurs
contrats d’apprentissage et portant l’âge limite de signature du contrat à 25 ans, donne encore un
peu plus de légitimité à ce type de formation. Mais c’est surtout la loi quinquennale de 1993, en
supprimant l’agrément préalable du maître d’apprentissage et en améliorant substantiellement le
régime de subventions aux entreprises formant des apprentis, qui achève de donner à
l’apprentissage sa forme actuelle.
à une dévalorisation des faibles certifications
Consécutives à la préoccupation politique à l’égard de la formation et de l’insertion des
jeunes, ces différentes mesures ont profondément impacté l’avenir de la formation professionnelle.
De plus, la loi d’orientation de 1989 ou loi Jospin concomitante à la réforme Chevènement de
1985 avec la création du baccalauréat professionnel, a beaucoup contribué à dévaloriser
l’enseignement professionnel. En effet, ce dernier a été la première victime d’une politique visant
à conduire 80% d’une classe d’âge au niveau du baccalauréat puisque des élèves qui auraient pu
intégrer la filière professionnelle se sont vus soudainement proposer l’accès au lycée général59.
Dans ce contexte, les filières professionnelles sous statut scolaire ainsi que l’apprentissage ont
connu des destins très différents. Dans les lycées professionnels, l’ouverture du bac pro entraina la
fermeture de nombreuses sections de CAP pour garder essentiellement le BEP comme autre
57
Combes M-C., « La loi de 1971 sur l’apprentissage : une institutionnalisation de la formation
professionnelle », Formation-emploi, n°15, 1986.
58
Moreau G., Le monde apprenti, La Dispute, 2003.
59
Beaud S., « 80 % au bac » et après ? : les enfants de la démocratisation scolaire, Paris : La Découverte,
coll. « Textes à l'appui. Enquêtes de terrain », 2002.
16
représentant du niveau V. Abandonné par les lycées professionnels et donc mis au ban de la voie
scolaire, les CAP ont massivement émigré vers les centres de formation d’apprentis devenant le
symbole de la formation par apprentissage. Cependant, la hausse générale du niveau scolaire a
suscité chez les employeurs la tendance à privilégier l’embauche de jeunes à des niveaux bac pro
fragilisant par là même, la situation des détenteurs d’un diplôme de niveau V. C’est alors que le
CAP s’est retrouvé peu à peu associé à des activités socialement peu valorisantes, devenu le
diplôme de base « permettant aux exclus de l’école publique en grande difficulté d’accéder au
marché du travail60 ». Ainsi, c’est en reléguant le CAP à la formation des apprentis, que faire de
l’apprentissage une formation d’exclus est un amalgame assez répandu.
Un public dominé parmi les dominés
Alors que l’enseignement professionnel est toujours apparu comme un dispositif en marge
du système scolaire, c’est en partie parce qu’il accueille les élèves les plus en difficultés61. Alors
que traditionnellement, les lycées professionnels et les CFA recrutent dans les mêmes viviers
sociaux, le public recruté a un profil sensiblement différent. Ainsi, d’après S. Lemaire, les
candidats à la voie professionnelle se caractérisent par une surreprésentation des familles
nombreuses et ouvrières, des faibles niveaux de diplôme des parents et un taux d’inactivité
professionnelle de la mère plus fort. Toutefois, le profil des apprentis se singularise
essentiellement par des difficultés scolaires plus importantes en primaire retardant leur entrée en
6ème, et de sérieuses lacunes en Français62. Sylvie Lemaire souligne également la moindre attente
des parents d’apprentis en matière de formation. S’ils sont peu nombreux à souhaiter que leurs
enfants poursuivent des études jusqu’à 20 ans, ils sont aussi parmi ceux qui croient le moins à
l’intérêt du baccalauréat ou des diplômes supérieurs pour trouver un emploi. Si les parents
d’élèves de lycée professionnel désirent voir leurs enfants acquérir un diplôme du supérieur, le fait
d’être toujours scolarisé maintiendrait cet espoir, alors l’apprentissage l’annihilerait. De plus, il y a
beaucoup moins d’étrangers en apprentissage et notamment d’origine maghrébine qu’en lycée
professionnel, pourtant ils accusent des caractéristiques sensiblement identiques que les autres
60
Brucy G. (2002), « Heurs et malheurs des diplômes professionnels », dans G. Moreau, Les patrons, l’Etat
et la formation des jeunes, Paris, La Dispute.
61
Moreau G., Les patrons, l’Etat et la formation des jeunes, Paris, La Dispute, 2002.
62
Lemaire S. (1996), « Qui entre en lycée professionnel, qui entre en apprentissage ? », Educations et
formations, n°48.
17
enfants entrant en apprentissage.
Or S. Lemaire pose l’hypothèse que les parents auraient
des aspirations plus grandes pour la scolarité de leurs enfants. Au delà d’une information
insuffisante sur cette filière, il demeure la persistance d’une mauvaise image de l’apprentissage
longtemps considéré comme une voie de garage pour les jeunes en échec. D’ailleurs, inscrits dans
un rapport plus négatif à l’école, les futurs apprentis se tourneraient plus volontiers ou seraient
orientés vers un dispositif qui paraît être une alternative à la voie scolaire.
Un dispositif à deux apprentissages
L’avènement conjoint de l’élévation du niveau général et son corolaire : la dévalorisation
des formations inférieures au bac a fortement contribué à troubler l’homogénéité de la formation
par apprentissage. Cependant, cette hétérogénéité nouvellement acquise n’est pas sans incidence.
Si l’offre de formation s’est étendue et le public s’est diversifié, certaines inégalités demeurent.
D’une force d’acclimatation
Si l’orientation vers la voie professionnelle était un moyen de drainer les scolarités les plus
chaotiques qui affectent essentiellement les familles d’origine populaire plus éloignées de la
culture scolaire63, on ne saurait toutefois réduire l’orientation en apprentissage à ce seul processus
de relégation. C’est donc dans un contexte de dévalorisation de la voie professionnelle successif à
« la logique de poursuite d études au détriment de la vocation à former des ouvrier qualifiés64 »
que se développe l’apprentissage. Ainsi, la formation professionnelle initiale et diplômante de
niveaux V et IV 65 a perdu du terrain en terme d’effectifs au sein du second cycle de
l’enseignement secondaire. Néanmoins, la « déprofessionnalisation66» agit de façon différenciée
sur les lycées professionnels et les CFA. Ainsi, les lycées professionnels ont été confrontés à une
63
Duru-Bellat M., Les inégalités sociales à l'école : Genèse et Mythes, PUF, 2002.
Brucy G. (2002), « Heurs et malheurs des diplômes professionnels », dans G. Moreau, Les patrons, l’Etat
et la formation des jeunes, Paris, La Dispute.
65
Au sein de la nomenclature des niveaux de formation en France le niveau V correspond aux diplômes du
CAP et du BEP, le niveau IV correspond au BAC et le niveau III au BTS.
66
Troger V. (2002) « L’identité perdue des enseignements techniques et professionnels, dans G. Moreau,
Les patrons, l’Etat et la formation des jeunes, Paris, La Dispute.
64
18
crise structurelle de recrutement67, tandis que la formation professionnelle par apprentissage a
connu, depuis le milieu des années 80, un élargissement de son champ d’application. Toutefois,
soulignons que cette augmentation concerne surtout une offre de formation accrue dans les filières
de niveau IV. De plus, elle concerne peu les formations de niveau V68 , même si celles-ci
regroupent le plus grand nombre d’apprentis. Rappelons que la loi Séguin a permis à
l’apprentissage de gagner « en verticalité » en proposant désormais une palette quasi complète de
diplômes, allant du CAP au Diplôme d’ingénieur. Pourtant, au sein des formations de niveau V,
l’apprentissage se diffuse peu. En effet, il semble davantage se concentrer sur ses territoires
traditionnels, plutôt artisanaux ou préparant aux métiers peu qualifiés69. Dans les formations de
niveau IV cela est différent : l’apprentissage se développe un peu plus vers de nouvelles
spécialités industrielles et tertiaires, mais on reste néanmoins assez proche des figures classiques
de l’apprenti70. C’est surtout au niveau III que l’univers des métiers est en forte évolution avec une
palette de formations par apprentissage toujours plus large. Si on y trouve un certain nombre de
formations du domaine de la production, les formations du tertiaire dominent largement71. En
effet, dans l’ensemble, les diplômes industriels restent dominants au sein de la formation par
apprentissage et notamment dans les niveaux V et IV. Cependant, aux étages supérieurs, c’est dans
le secteur des services que son offre est la plus dynamique. Fortement plébiscité par les politiques,
l’apprentissage se développe de façon verticale avec une élévation des niveaux de formation, et
horizontale en portant de plus en plus ses formations vers le secteur du tertiaire.
Au pouvoir de ségrégation
S’il est possible de faire se succéder trois contrats d’apprentissage consécutifs, il existe
néanmoins une hiérarchisation propre aux spécialités et aux niveaux de formation qui contribuerait
à faire du baccalauréat par apprentissage un véritable « plafond de verre72 ». En effet, la création
d’une filière de formation allant du CAP au diplôme d’ingénieur a généré une stratification de la
67
Brucy G. (2002), « Heurs et malheurs des diplômes professionnels », dans G. Moreau, Les patrons, l’Etat
et la formation des jeunes, Paris, La Dispute.
68
Arrighi J-J., Brochier D., « L’apprentissage au sein de l’Education nationale : une filière sortie de la
clandestinité », Nef n°40, 2009.
69
Idem
70
Idem
71
Idem
72
Kergoat P., Les formation par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de
l’enseignement supérieur, Céreq, décembre 2010.
19
population apprentie. Tandis que plus le niveau s’élève et plus les formations aux métiers des
services sont représentées, plus les formations aux métiers de la production tendent à disparaître.
Corrélativement c’est la proportion d’enfants d’ouvriers qui diminue alors que celle des enfants de
cadres supérieurs et catégories intermédiaires augmente 73 . D’autre part, la formulation des
politiques éducatives en terme de niveau de formation et ce malgré la création du bac pro en 1985
n’a pas permis d’instituer une parité entre les différentes voies de l’enseignement. Ce choix
politique à donc contribué à
établir des disparités, valorisant le « haut », les filières
technologiques courtes du supérieur et à dévaloriser le « bas », les formations professionnelles
inférieures au BTS74.
Ainsi, les bacs pro subissant une négation des savoirs acquis dans les formations sont
confrontés à des établissements préparant au BTS qui privilégient les détenteurs d’un diplôme
général ou technologique. De plus, si l’apprentissage à su s’ouvrir vers l’enseignement supérieur,
il convient de préciser que les appentis du « haut » ne sont pas les mêmes que les apprentis du
« bas ». L’apprentissage dispose d’un recrutement encore massivement populaire de par la
proportion du diplôme du CAP au sein de son offre de formation, or, parmi les nouveaux diplômés
du bac pro et du BTS, le nombre de ces jeunes enfants d’ouvriers et d‘employés s’étiole. Donc,
« CAP et BTS constituent les profils extrêmes du spectre social du recrutement apprenti75 », les
1ers cumulent les traits les plus caractéristiques de l’appartenance au milieu populaire tandis que
les BTS proviennent de familles moins souvent ouvrières et davantage de professions
intermédiaires et cadres. Les apprentis du supérieur ont des origines comparables aux étudiants et
ces apprentis ont rarement été des apprentis du bas. Ainsi, la possibilité de s’élever au sein de la
hiérarchie des diplômes grâce à l’existence d’une filière par apprentissage doit être fortement
relativisée, et ceci d’autant plus qu’elle est productrice de désillusion. La seule issue, dont on sait
combien elle est productrice de désenchantement76 est dès lors de se tourner vers les filières
universitaires dites « générales ».
73
Idem
Idem
75
Moreau G., Le monde apprenti, La Dispute, 2003.
76
Beaud S., « 80 % au bac » et après ? : les enfants de la démocratisation scolaire, Paris : La Découverte,
coll. « Textes à l'appui. Enquêtes de terrain », 2002.
74
20
Du marché de l’apprentissage au marché du travail
L’orientation vers la formation par apprentissage présente un certain nombre de
spécificités qui la différencie fondamentalement des autres orientations. Le futur apprenti doit
choisir un type particulier de formation, un métier et une entreprise. Alors que le choix de
l’apprentissage dépendrait de l’histoire sociale et scolaire du jeune, celui du métier et de
l’entreprise semblerait plus équivoque. D’autre part, si la formation par apprentissage s’inscrit
dans une politique adéquationniste entre la formation et l’emploi, son efficacité demeure relative.
De l‘adhésion pour ce type de formation
Nous l’avons vu précédemment, c’est souvent un rapport négatif à l’école qui conduit à
l’orientation vers ce dispositif, notamment pour le niveau V. De ce point de vue, l’apprentissage
apparaît comme une sortie de l’école, plus précisément du statut scolaire. Néanmoins, ce
« désamour pour l’école » qui ne doit pas être confondu avec l’échec scolaire, ne suffit pas à
expliquer cette orientation. Ainsi, Gilles Moreau dans son ouvrage Le monde apprentis distingue
« trois formes d’adhésions à l’apprentissage ».
-
un premier mode d’adhésion plutôt ancien fait part d’une « pré-socialisation dans les
familles d’artisans et de travailleurs indépendants ». Souvent surreprésentés au sein de ce
type de formation, ces jeunes auraient hérité de
dispositions à gérer au mieux leur
formation ;
-
Le second mode d’adhésion s’appuie sur le désamour pour l’école, « la dépréciation de la
théorie au profit de la pratique… Elle survalorise l’expérience comme forme de
réhabilitation de soi à priori impossible au sein du système scolaire » ;
-
Le dernier mode d’adhésion est plus contemporain et plus complexe. Il s’articule avec la
redéfinition sociale de la notion de jeunesse. L’orientation vers l’apprentissage, serait
l’opportunité « de prolonger la période de la jeunesse (en conformité avec le modèle
dominant de la jeunesse « lycéenne ») tout en accédant à une relative autonomie par le
salaire qu’il procure et en échappant aux impératifs d’une scolarisation prolongée » pour
laquelle certains jeunes ressentent peu d'attirances ;
21
Au choix du métier ?
Outre les adhésions propres aux caractéristiques individuelles de l’aspirant apprenti, le
choix du métier serait également important lors de la décision d’entrée en apprentissage.
Cependant, l’idée de choix semble à relativiser, tant elle paraît déterminée par la position
socioprofessionnelle des parents. En effet, Gilles Moreau souligne l’importance majeure des
réseaux informels dans la recherche du maître d’apprentissage, ainsi la proximité familiale avec
certains milieux (artisanal ou indépendant) constitue un avantage considérable. Ces effets
d’opportunité77 jouant un rôle non négligeable, certaines populations connaissent des difficultés
particulières pour accéder à l’apprentissage. Les jeunes issus de l’immigration qui évoluent
souvent en milieu urbain, peinent à trouver un maître d’apprentissage en raison notamment de
discrimination78. Cependant, le recours aux ressources familiales demeure efficient, notamment
pour les niveaux V. Plus le niveau de formation s’élève et moins cette solution s’avère efficace
pour trouver un maître d’apprentissage. Ainsi, les aspirants les plus en difficultés sont plus
souvent les enfants de cadres. En somme de ce point de vue, ouvriers et cadres font jeu égal dans
l’accès à l’apprentissage.
Où l’entreprise a le dernier mot
Par ailleurs, la part de l’apprentissage au sein de l’offre de formation initiale progresse79.
Toutefois, celle-ci est tributaire de l’offre de formation existante ainsi que des établissements
susceptibles de signer des contrats d’apprentissages, c’est-à-dire des entreprises. Comme sur le
marché du travail, « l’entrée en apprentissage se fait sur marché dominé par une logique libérale
d’autorégulation80 » dont les règles peuvent échapper aux candidats. Ainsi, le choix du métier est
fortement soumis aux aléas de la recherche du maître d’apprentissage, plus que lié aux goûts et
aux intérêts du jeune. Faute de trouver une entreprise qui les acceptent, certains d’entres eux
77
Idem
Lemaire S. (1996), « Qui entre en lycée professionnel, qui entre en apprentissage ? », Educations et
formations, n°48.
79
Arrighi J-J., Fadda Y., « Tendances nationales et identités régionales : éléments de cadrage pour un
diagnostic régional de l’apprentissage », Net.Doc n° 104, 2012.
80
Moreau G., Les patrons, l’Etat et la formation des jeunes, Paris, La Dispute, 2002.
78
22
doivent renoncer à leur vœux initial pour se diriger vers un autre métier81. A travers l’effet d’offre,
c’est le métier qui choisit l’apprenti.
Le recrutement des apprentis dépend des sélections appliquées par les employeurs,
potentiels maîtres d’apprentissage. Un certain nombre de critères explicites sont en jeu : l’âge, la
rédaction d’une lettre de motivation, le CV et le niveau scolaire, ainsi que les derniers bulletins
scolaires, sont autant d’éléments permettant de trier les aspirants apprentis.
Toutefois, des critères implicites et amplement moins saisissables infèrent également dans la
sélection des candidats. Ainsi, la présentation de soi joue sûrement un rôle lors de l’embauche.
C’est pourquoi les candidats soignent leur présentation et se trouvent confrontés à un exercice de
« mise en scène de soi » parfois en contradiction avec les références vestimentaires de la culture
jeune entretenue par le collège et le lycée. Si dans « le marché de l’apprentissage » le primat
accordé à l’entreprise conduit à légitimer une sélection axée sur les « manières d’être », « les
mécanismes de sélection et d’exclusion propres au marché du travail ne déterminent pas seulement
l’accès à l’emploi, mais aussi l’accès à l’éducation82 ». Ainsi, des pratiques discriminatoires que
l’on retrouve sur le marché du travail s’inscrivent dans un processus de dérèglementation du
secteur de l’apprentissage dans la mesure où « l’état n’assure plus et n’a pas les moyens d’assurer
sa fonction de contrôle pour une application stricte de la législation du travail83 »
Vers une insertion professionnelle favorable ?
Elaborer dans le cadre d’une politique de l’emploi, les différentes mesures allant en faveur
de l’apprentissage tendent vers le présupposé qu’une formation par apprentissage conduit
inévitablement à la mise au travail. Par ailleurs, dans un contexte de « sous emploi et de
précarisation des statuts salariés », les apprentis sont convaincus d’avoir une longueur d’avance
sur les autres. Néanmoins, cette idée semble légèrement déformée, tant le gain que paraît procurer
une formation par apprentissage est « inversement proportionnel au niveau du diplôme atteint84 ».
En effet, si la formation par apprentissage n’apporte pas un net avantage sur le marché du travail
dans les niveaux II et I, elle demeure toutefois bénéfique aux niveaux inférieurs. Ceci dit,
81
Moreau G., Les patrons, l’Etat et la formation des jeunes, Paris, La Dispute, 2002.
Kergoat P., Les formation par apprentissage : un outil au service d’une démocratisation de
l’enseignement supérieur, Céreq, décembre 2010.
83
Noel O., « Pour une politique d’égal accès à l’apprentissage », Agora-débats-jeunesses n°32, 2003.
84
Arrighi J-J., Brochier D., « L’apprentissage au sein de l’éducation nationale : une filière sortie de la
clandestinité », Nef n°40, 2009.
82
23
soulignons néanmoins que l’apprentissage reste une filière facilitant la transition vers l’emploi, car
le taux de chômage des apprentis est deux fois moindre que celui de leurs homologues de la voie
scolaire85 en ce qui concerne les formations de niveaux IV à III. C’est l’effet d’autochtonie86 qui
est explicatif d’une insertion plus favorable des apprentis. Dans leur cas de figure, ces derniers ne
sont pas mis en concurrence avec les candidats extérieurs du fait de leur proximité avec l’emploi
créé, et la probabilité d’une embauche par le maître d’apprentissage à l’issue du contrat
d’apprentissage.
85
Joseph O., Lopez A., Ryk F., « Génération 2004, des jeunes pénalisés par la conjoncture », Bref, n°248,
Céreq, janvier 2008.
86
Moreau G., Le monde apprenti, La Dispute, 2003.
24
Partie II : Opérationnalisation de notre démarche
Problématisation
En nous intéressant aux jeunes d’origine maghrébine dans l’apprentissage à travers le
prisme de l’orientation, nous essayons de saisir les raisons qui contribuent au désintérêt ou à
l’éviction d’un dispositif qui parait répondre plutôt favorablement à l’exigence adéquationniste
dans la relation formation/emploi et à l’élévation générale du niveau d’études.
L’approche par l’orientation scolaire permet de profiter de cet instant pour observer comment se
forgent les décisions des acteurs, et notamment le choix des élèves et de leurs camps, c’est-à-dire
leurs familles. En tant que palier au sein de la trajectoire scolaire des jeunes, l’orientation en fin de
troisième présuppose qu’ils aient déjà engagés une première réflexion sur le futur métier qu’ils
souhaitent exercer. Ainsi, lorsque nous apercevons qu’une partie des jeunes d’origine maghrébine
poussés par des aspirations scolaires élevées en direction des études générales et supérieures,
manifestent un désir d’orientation vers les filières supérieures courtes du domaine des services,
nous pouvons légitimement nous interroger sur leur faible représentation au sein de la voie de
l’apprentissage. En effet, si ce dispositif à travers la démocratisation scolaire a su développer son
offre de formation de façon verticale et horizontale87, pourquoi une fraction de la population et
notamment les jeunes d’origine maghrébine en demeurent presque inexistants ? Par ailleurs, ces
jeunes plus fragilisés que les autres sur le marché du travail sont plus fréquemment touchés par la
précarité à travers les emplois occupés et le chômage, or l’effet d’autochtonie corolaire de
l’apprentissage serait susceptible de jouer en leur faveur. Toutefois, les mécanismes du marché de
l’apprentissage, et plus précisément du processus de sélection des entreprises (potentiels futurs
maîtres d’apprentissage) paraissent latents.
Tandis que la voie scolaire et la voie de l’apprentissage recrutent au sein d’un même vivier
social, le profil des futurs apprentis et celui des jeunes d’origine maghrébine demeure
sensiblement identique. Pourtant, ces jeunes se retrouvent davantage vers les lycées professionnels
au risque de subir leur orientation et d’échouer dans l’acquisition du futur diplôme, ce qui peut
développer un sentiment d’injustice à l’égard du système scolaire. Pour autant, une orientation en
87
L’apprentissage propose des formations allant du CAP au diplôme d’ingénieur et s’est adapté à la
conjoncture économique en s’efforçant de « tertiariser » son secteur d’activité, principalement à partir du
bac pro.
25
apprentissage n’aurait sans doute pas été synonyme d’un destin plus favorable, toutefois ce constat
interpelle quant à la perception de la voie professionnelle au sein de ces jeunes. Non seulement la
voie professionnelle et particulièrement l’apprentissage, semble être ternie par cette image
historique de la formation de l’ouvrier faiblement qualifié, mais elle semble aussi repousser encore
plus singulièrement ces jeunes, témoins de la précarité et dont le projet de mobilité sociale incarné
par les attentes familiales cherchent à s’affranchir de ce destin. Alors que la situation des jeunes
d’origine maghrébine à l’égard de l’apprentissage semble a priori paradoxale, tout laisse supposer
qu’il pourrait davantage s’agir d’une méconnaissance de cette voie de formation par ces jeunes et
leurs familles. Par ailleurs, si une meilleure connaissance du système scolaire contribuerait
probablement à élaborer des choix plus rationnels en termes d’orientation scolaire, il réduirait sans
doute aussi les décalages entre les aspirations et le niveau effectif de ces jeunes. Qui plus est, cela
conduirait probablement à améliorer les rapports qu’entretient l’institution scolaire et des jeunes
souvent épris d’un sentiment d’injustice.
Mais alors, si le processus d’orientation est soutenu par les différentes instances que sont
les collèges et les CIO en accompagnant les futurs lycéens dans l’élaboration de leurs choix,
pourquoi certaines voies de formations paraissent floues pour une part d’entre eux ? Il n’est pas
question ici de savoir si les élèves ont pris une bonne ou une mauvaise décision mais de saisir leur
choix d’orientation. Ce dernier est déterminé par un certain nombre d’éléments dont la
connaissance des possibilités qui leur sont offertes en fin de 3ème. En tentant de saisir pourquoi les
jeunes d’origine maghrébine sont faiblement représentés au sein de l’apprentissage, il s’agit
également de faire la lumière sur ce qui contribue à faire que cette voie soit négligée.
26
Hypothèses provisoires
Notre état d’avancement actuel ne nous permet de présenter qu’un certain nombre d’hypothèses.
-
Les jeunes d’origine maghrébine et leurs familles de ne sont pas suffisamment informées
quant au différents dispositifs de formation après la classe de 3ème ?
-
La méconnaissance à l’égard de la formation par apprentissage est consécutive à des
difficultés de compréhension du système éducatif français ? exemple de obstacle par la
langue ?
-
Les jeunes d’origines maghrébines sollicitent moins que les autres, les personnes ou les
structures (professeurs, conseillers d’orientation, CIO) susceptibles de les accompagner
dans leurs choix d’orientation ?
-
La voie de l’apprentissage en tant que dispositif attaché aux régions ne bénéficierait pas
d’une promotion semblable que les voies ordinaires de la formation initiale (générale,
technologique et professionnel) ?
-
Les filières de l’apprentissage ne bénéficieraient pas d’une promotion semblable aux
formations sous statut scolaire ?
-
Les filières par apprentissages éprouverait la concurrence entre région (apprentissage) et
l’état (Education nationale), dont le collège, où les professeurs et les instances de
l’orientation (CIO et conseiller d’orientation-psychologues) ne seraient pas impartiaux ?
27
Partie III : Méthodologie
Présentation du champ d’investigation
Notre réflexion consiste à mettre en exergue les phénomènes expliquant la faible
représentation des jeunes d’origine Magrébine au sein des centre de formation d’apprentis. Tandis
que ces jeunes sont davantage représentés dans les lycées professionnels pourquoi ceux-ci sont
absents d’un dispositif qui possède une offre de formation identique et génère une plus grande
employabilité. Si nous considérons davantage le point de vue de ces jeunes, nous allons donc
tenter de répondre à notre problématique à travers l’option qualitative et notamment par le
recueille d’entretiens. Car dans cette exercice, il s’agit bien de donner la parole à ces jeunes trop
souvent absent de la voie par apprentissage mais aussi constamment mis au ban d’un système
scolaire apriori désireux d’améliorer l’accès de tous et de favoriser l’insertion professionnel de
chacun. Afin de rendre compte des limites et des obstacles susceptibles d’intervenir il convient de
présenter le terrain d’investigation que nous allons exploiter durant le temps de notre étude. Par
conséquent avant d’étayer plus précisément la démarche méthodologique que nous souhaitons
engager, nous tenons à évoquer le contexte dans lequel l'exercice va se dérouler.
Etat des lieux
L’enquête sera réalisée au sein d’un établissement regroupant le lycée professionnel et le
CFA “Paul Emile Victor“. Si ce choix ne résulte pas du hasard, c’est essentiellement parce que les
circonstances le permettent. Ayant exercé ma fonction de maitre d’internat et de surveillant à
temps plein pendant la période allant de 2009 à 2013. C’est d’ailleurs en ces lieux que nous avons
eu loisir de faire l’observation qui deviendra l’objet d’étude que nous poursuivons actuellement.
Ainsi la dimension pratique apparaît ici comme un facteur amplement déterminant dans le choix
du terrain, nous seulement par l’expérience que nous en avons mais aussi par les perspectives qu’il
nous offre même au terme du contrat qui nous relie. Même si cet établissement d’enseignement
28
public devrait ici, sous toute vraisemblance être mixte, il n’empêche que les formations
professionnelles qu’il livrent demeurent surreprésentés par les jeunes hommes.
Cet établissement se situe à environ 30km à l’Est de Strasbourg et à environ 50km au Nord
de Colmar, dans la ville d’Obernai. Accueillant près de 600 élèves, cette structure demeure plutôt
unique en Alsace en terme d’offre de formation et des spécialités qu’il délivre88. En effet,
l’ensemble des différents parcours proposés n’ont pas de concurrence en Alsace sauf la formation
MEI89 qui est elle préparé dans de nombreux établissement professionnels.
Si, cette description pose le cadre et le décore de notre terrain d’enquête, nous allons nous
atteler à la présentation du contexte d’étude afin que nous puissions mettre à plat, l’état
d’imprégnation et d’objectivation de notre objet. Cette démarche paraît nécessaire dans une
enquête qualitative qui fait appel à des représentations subjective.
Les conditions de la recherche.
L’enquête va certainement se déroulée entre Février début 2014 et la fin Avril 2014, ce qui
correspond grossièrement au début du deuxième semestre et le temps qu’il nous sera nécessaire à
la réalisation de notre étude. N’exerçant plus au sein de l’établissement depuis Juin 2013, nous
tacherons d’établir des liens préliminaires avec les jeunes dont l’objectif sera d’établir un climat
de confiance qui leur permettra certainement de se livrer plus volontiers. Cette démarche laisse
supposer que cela favoriserait une proximité nécessaire, pour les entretiens que nous envisageons.
Nous comptons d’ailleurs sur le fait que de nos générations soient voisines pour encourager le
rapprochement : la culture jeunes ne nous étant pas encore totalement étrangère. Par ailleurs, notre
position en tant qu’individu externe à l’établissement détaché de nos fonctions précédente nous
aide à demeurer plus objectif que si nous étions encore en poste. Néanmoins gardons à l’esprit que
« la seule objectivité possible réside dans la connivence des points de vue90 ».
Aussi et afin de pallier aux sentiments psychosociaux que nombreux sociologue redoute,
nous avons simplement exclu de notre étude les élèves avec qui nous avions pu avoir des liens lors
de notre mission de surveillant au sein de l’établissement.
88
89
90
Voir en annexe la brochure des formations de l’établissement.
Maintenance des équipements industriels.
G. Simmel, Sociologie et épistémologie, PUF, coll. « Sociologies », traduit de l’allemand par L.
Gasparini, 1981.
29
Si le contexte de la tenue de l’enquête semble dorénavant exposé même s’il demeure
l’inconvénient d’être présupposé, il reste néanmoins à résoudre le problème de la population à
étudier ainsi que le choix des variables à exploiter.
Population et variables.
Notre étude porte sur une population scolaire bien définie : les apprentis d’origine
maghrébine d’un centre de formation d’apprentis. Seulement, l’origine migratoire d’un élève n’est
pas visible par un simple coup d’œil. Si découvrir cette information chez des individus n’est pas
une mince affaire, il s’agira d’utiliser l’appui des conseillers principaux d’éducation qui ont accès
aux dossiers scolaires des élèves. Nous aurons ainsi besoin de repérer l’origine Magrébine des
jeunes dont celle-ci n’est pas identifiable qu’à travers l’apparence physique. Il s’agira ainsi dans
un premier temps d’exploiter les informations qui ont attraits à l’origine familiale du jeune dans le
dossier scolaire puis dans un second temps de vérifier auprès de celui-ci cette information. Cette
pratique sera usitée dans chacun des établissements, CFA et lycée professionnel. L’exercice
consiste à construire un échantillon suffisamment large afin de pouvoir contraster les informations
recueillies par des jeunes inscrits dans une même formation soit CFA, soit en lycée professionnel.
En effet, l’étude qui sera également comparative doit pouvoir présenter des variables identiques
pour être pertinente. Si nous comparions des jeunes inscrits dans des formations différentes le
débat pourra se situer ailleurs, car une formation se faisant sous statut scolaire n’ai pas forcément
disponible sous statut apprentis. Ainsi plutôt que de nous encombrer avec des considérations de
disponibilité de formation, nous allons tâcher de confronter des jeunes d’origine maghrébine
inscrit dans des parcours à la fois dispensés au CFA et au lycée professionnel.
La démarche méthodologique.
Toute recherche utilise une démarche méthodologique appropriée faisant appel aux
techniques de collecte de l’information et des méthodes d’analyse de données. Souhaitant repérer
chez ces jeunes les raisons qui les conduisent plutôt à réaliser leur formation sous statut scolaire
que sous statut apprentis, c’est à travers d’entretiens semi-directif que nous allons tenter trouver
des réponses.
30
Le choix des techniques de collecte d’information.
Même si nous sommes relativement fixé sur la technique de collecte d’information, des
questions se posent dans la manière de mener cette étude. Alors que nous avons encore de
nombreux doute sur le choix des variables et/ou de telle ou telle technique à employer. Pour
décrisper ces incertitudes, nous réfléchissons à l’utilisation d’une pré-enquête.
31
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