Comment dépenser sa richesse pour maximiser son bonheur

Transcription

Comment dépenser sa richesse pour maximiser son bonheur
i-2
numéro du 12 octobre 2013
LES AFFAIRES | WWW.LESAFFAIRES.COM
chronique
Comment dépenser
sa richesse pour
maximiser son bonheur
L’investisseur passe une
grande partie de sa vie à
accumuler le capital qui lui
permettra de vivre la retraite
rêvée, mais rarement
parle-t-on des façons de
dépenser celui-ci d’une
manière optimale afin de
maximiser son bonheur à
long terme. Il est possible
d’améliorer sa vie en
dépensant mieux son argent,
écrit notre chroniqueur
Bernard Mooney.
« Ce pourrait être
une bonne idée
de calculer
son return on
happiness (ROH),
le rendement en
bonheur de ses
principales
dépenses. »
Lorsque vous investissez, votre objectif est
de faire de l’argent. Toutefois, il ne s’agit pas
là d’une finalité. Une fois la richesse acquise,
le problème épineux de la façon de la
dépenser se pose grandement.
Or, 99 % de toute l’information que vous
lisez est consacrée à la gestion de l’argent
pour le faire fructifier, le protéger de l’inflation
et du fisc. Rarement, pour ne pas dire jamais,
traite-t-on des moyens ou des façons de dépenser de façon optimale votre capital.
Je ne parle pas ici de l’information visant à
mieux consommer (acheter le meilleur frigo
ou l’auto qui convient à vos besoins, par
exemple), mais bien de celle qui peut vous
guider à dépenser pour maximiser votre
bonheur à long terme.
« L’argent ne fait pas le bonheur » est un
dicton usé à la corde, vous en conviendrez.
Toutefois, malgré sa superficialité, il contient
un grain de vérité, si on se fie aux résultats
des recherches menées sur le sujet. Par
exemple, les gens qui gagnent 55 000 $ par an
ne sont pas deux fois plus heureux que ceux
dont le revenu annuel est de 25 000 $.
Aux États-Unis, une fois que vous avez atteint le seuil annuel de 75 000 $ de revenus,
faire plus d’argent n’a aucune influence sur le
bonheur quotidien.
Ce constat à lui seul devrait faire réfléchir
bien des gens quand on connaît les efforts
qu’ils font pour gagner plus.
Au lieu de chercher à gagner plus, on devrait
plutôt viser à améliorer sa vie et à être plus
heureux en dépensant mieux son argent.
L’idée générale
Il y a quatre grands principes pour mieux
dépenser : acheter des expériences au lieu
des objets, créer la rareté, acheter du temps
et investir dans les autres. Ces principes ne
sont que de grands thèmes sur lesquels il
faut réfléchir et non des dogmes que vous
devez suivre aveuglément.
L’idée derrière ces principes est de développer le réflexe de vous demander ceci :
est-ce que je dépense mon argent de façon à
me procurer le plus de bonheur possible ? Et
arriver à une réponse personnelle, adaptée à
sa situation.
Comme un investisseur le fait, ce pourrait
être une bonne idée de calculer son return on
happiness (ROH), le rendement en bonheur
de ses principales dépenses...
Sans prétendre qu’on peut tout réduire à un
chiffre, on peut tenter de visualiser ses dépenses avec comme point de référence l’uni-
té de bonheur par dollar dépensé. Autrement
dit, qu’est-ce qui me procure le plus de bonheur par dollar, la dépense A ou l’achat B ?
1 Privilégier les expériences
aux dépens des objets
Le premier principe pour mieux dépenser
votre capital, et le plus important, selon
moi, est d’acheter des expériences au lieu de
biens matériels.
Nombreuses sont les personnes qui achètent
la plus grande maison qu’ils peuvent se permettre et souvent plus encore. Pourquoi ? Les
raisons sont multiples : culturelles, sociales,
familiales, etc. Pourtant, il n’y a aucune preuve
qu’acheter une maison augmente le bonheur,
bien au contraire.
La raison pour laquelle votre maison ne vous
rendra pas plus heureux est la même que celle
qui est liée à l’achat de n’importe quel bidule.
Après le plaisir immédiat suivant l’acquisition,
nous nous habituons et tenons le nouvel
objet pour acquis. C’est vrai pour le logis
comme pour l’auto sport ou le téléviseur HD
de 120 000 pouces !
L’autre grand désavantage des choses achetées, c’est qu’on trouve rapidement mieux, plus
gros et plus coûteux ailleurs. Si c’était là votre
motivation première pour acheter, le plaisir
initial ferait rapidement place à la déception.
« Les choses nous rendent heureux jusqu’à
ce que nous découvrions qu’il en existe de
meilleures », écrivent Elizabeth Dunn et
Michael Norton dans leur excellent livre
Happy Money, publié aux éditions Simon &
Schuster. Vous retrouverez dans ce livre une
grande partie des principes décrits ici et
plus encore.
C’est une tout autre dynamique lorsque vous
achetez une expérience comme un voyage.
Par exemple, au lieu d’acheter une nouvelle
auto, vous choisissez de dépenser 20 000 $
pour amener toute la famille en voyage pendant trois semaines au Costa Rica. Vous faites
le voyage et, au retour, vous êtes plus pauvre
de 20 000 $. Pire, vous n’avez rien de concret
pour votre argent !
Pourtant, toutes les recherches démontrent
que, si vous mesurez le bonheur après coup,
votre voyage sera le meilleur placement de
votre vie, mesuré en unité de bonheur par
dollar dépensé.
Tout simplement parce que vous aurez
des souvenirs précieux pour le reste de votre
vie, ce qu’aucun gadget au monde ne peut
vous procurer.
Acheter des expériences a aussi souvent
l’avantage de procurer un plus grand bonheur
avant de les vivre. En effet, pour reprendre
l’exemple du voyage, une grande partie du
plaisir provient des moments passés à le
préparer. Et à l’anticiper.
La nature humaine est telle que l’anticipation d’un événement peut être une plus
grande source de bonheur que l’événement
lui-même.
Les expériences ne se limitent pas qu’aux
voyages, mais bien à toutes celles dont vous
vous souviendrez longtemps. Ce peut être ce
souper à tel restaurant célèbre et si cher
(comme le légendaire El Bulli), un pèlerinage
(Compostelle vient en tête), une tournée
nord-américaine des stades de baseball, une
visite à Walt Disney avec ses petits-enfants,
une place dans la première rangée d’un spectacle donné par votre idole, etc.
Si vous sondez les gens à l’automne ou à
l’hiver de leur vie, vous verrez qu’ils regrettent
le plus d’avoir privilégié l’achat de biens
matériels aux dépens d’achat d’expériences.
numéro du 12 octobre 2013
LES AFFAIRES | WWW.LESAFFAIRES.COM
3
chronique
2 Créer la rareté
Lorsqu’on est riche, le problème est
qu’on n’apprécie plus ce qu’on a. « L’abondance est l’ennemi de l’appréciation »,
observent Mme Dunn et M. Norton. Et ce
n’est pas seulement vrai chez les enfants
devenus ce qu’on appelle des bébés gâtés.
C’est la nature humaine à l’œuvre.
Plus nous sommes exposés à quelque
chose, plus son impact diminue au point
de disparaître.
Si vous voulez retrouver l’extase de manger du chocolat, cessez d’en manger pendant un certain temps !
Je parlais plus tôt de voyage. Rappelezvous l’excitation ressentie lors de votre
premier voyage en avion... Comparez-la à
votre réaction aujourd’hui lorsque vous
voyagez. Si vous êtes comme bien des
lecteurs qui voyagent souvent, le plaisir du
voyage a diminué, ses aspects négatifs
ayant remplacé l’excitation, voire l’exubérance initiale.
Il est démontré que, plus les gens
voyagent, moins ils savourent chaque
périple.
Le remède est simple, mais sera peu
populaire. Imposez-vous un moratoire
d’un an, même de deux ans sur tout
voyage. Vous verrez qu’une fois ce moratoire levé, vous apprécierez davantage
votre prochain voyage.
C’est vrai pour tous les aspects de la vie
quotidienne. Les gens fortunés sont habitués à voyager en première classe, à manger dans les meilleurs restaurants, à s’habiller aux meilleures adresses, etc. Le résultat,
c’est qu’ils tiennent tout cela pour acquis
et n’apprécient plus rien.
Une façon de retrouver une partie du
plaisir que devrait provoquer ce luxe est
de le perdre de façon temporaire. Et cela
comporte l’avantage supplémentaire de
faire prendre conscience que vous pourriez bien finir par tout perdre. Constatation qui, en soi, pourrait décupler votre
appréciation.
Il est donc important de se rappeler qu’il
n’y a pas seulement la consommation d’un
produit ou d’un service qui peut procurer
du plaisir. Il y a l’anticipation de cette
consommation ; et si on remet celle-ci à
plus tard, on prolonge ce plaisir.
3 Acheter du temps
Dans Happy Money, les auteurs mentionnent que les gens riches ne passent pas
leur temps à faire au quotidien plus de
choses agréables que l’ensemble de la
population. C’est ce que révèlent des
études récentes sur le sujet. Lorsque j’ai lu
cela, je n’en croyais pas mes yeux.
À quoi sert d’accumuler de l’argent, si
cette richesse ne vous permet pas de faire
davantage ce que vous aimez dans la vie ?
Si je peux me permettre, je vais prendre
mon exemple personnel. Dès que j’en ai
eu les moyens, je me suis empressé de
payer pour faire tondre le gazon, tâche
ennuyeuse au possible, de façon à passer
plus de temps à faire ce que j’aimais vraiment. Cela me semblait la meilleure utilisation de mon pécule.
J’aime mieux avoir moins d’argent à la
fin de l’année, mais accorder plus de temps
aux choses agréables.
Cette constatation a eu une autre conséquence. Elle m’a fait remettre en cause la
vieille idée que « le temps est de l’argent ».
Initialement, je croyais que payer 20 $
l’heure pour faire faire des travaux était
« rentable » si j’utilisais ce temps pour
gagner plus dans le même laps de temps.
Par exemple, si au lieu de prendre 10 heures
pour peindre mon appartement, je paie
200 $ pour faire faire les travaux en me
disant que je vais utiliser cette période
pour gagner 500 $, je fais un bon coup.
La mathématique est exacte, mais elle ne
donne qu’une partie de la réponse.
En effet, certaines choses n’ont pas de
prix ou, plus précisément, on ne devrait
pas leur attribuer de valeur monétaire.
Par exemple, pendant qu’on s’occupe de
mon gazon, j’en profite, à 55 ans, pour lire
un roman uniquement pour le plaisir. Dans
ce sens, le temps n’est pas de l’argent, c’est
une occasion de me faire plaisir.
Acheter du temps a une autre signification stratégique intimement liée au bonheur. Les recherches montrent en effet que
demeurer près de son travail est associé à
une plus grande appréciation de la vie.
Dans ce sens, je crois qu’acheter du temps
devrait signifier d’écourter les trajets pour
aller et revenir du travail. Autrement dit,
il est rationnel d’utiliser son argent pour
organiser sa vie de façon à en passer une
plus petite partie possible sur les routes.
Gérer son temps est ainsi essentiel au
bonheur, et le concept de gestion dépasse
la simple optimisation de son agenda. Il
est certes important d’être efficace avec
son temps, mais il faut aller plus loin et
inclure votre façon de dépenser et ses
conséquences sur votre temps. En effet,
vous devez avoir du temps libre pour
pouvoir jouir de vos biens. Or, si vous
achetez et achetez encore, vous vous
condamnez à devoir travailler plus fort et
plus longtemps pour régler vos factures,
vous privant de temps, soit la chose que
vous devez avoir pour en profiter vraiment.
Ce cercle vicieux est le piège classique
de la vie moderne. Faire passer le temps
avant l’argent pourrait changer votre vie
pour le mieux. Il devient ainsi impératif
de prendre l’habitude de se demander
comment chaque achat influera sur votre
temps. Par exemple, ce n’est pas parce
que vous en avez les moyens que vous
devez acheter un chalet. Si vous n’avez
pas le temps d’y aller ou si avoir un chalet grèvera votre temps déjà fort rare, il
est peut-être préférable d’en louer un à
l’occasion.
4 Dépenser pour
d’autres : donner
Enfin, le dernier principe ne vous surprendra pas. Les recherches démontrent que
dépenser pour d’autres rend plus heureux
que de le faire pour soi. C’est une autre
façon de parler de ce qu’on appelle le plus
souvent la philanthropie.
C’est très différent de tout ce qu’on a
traité jusqu’à maintenant, car on ne peut
pas vraiment parler de dépenser. Investir
dans d’autres personnes serait une meilleure description. De plus, contrairement
aux autres dimensions, il ne s’agit pas de
dépenser pour soi, mais pour d’autres et
sans rien attendre en retour.
Et c’est là qu’on entre dans la subtilité.
En effet, donner rend plus heureux que
dépenser. Mais la clé et l’ironie sont que,
pour en récolter le plus de bonheur, il faut
le faire sans avoir aucune attente quant au
rendement de l’investissement.
Autrement dit, si vous donnez (ce peut
être de l’argent, du temps, des choses, etc.)
avec le but précis d’en retirer du bonheur,
votre comportement frise la mesquinerie
et vous n’en ressortirez pas plus heureux.
Par contre, si vous donnez sans rien
attendre en retour, alors vous ouvrez toutes
grandes les portes du bonheur. n
Être riche, ça
veut dire quoi ?
Si vous êtes comme la plupart des gens, être riche
signifie gagner un gros salaire, conduire une automobile de luxe, porter des vêtements griffés, avoir
une immense maison, un ou deux condos, sans
oublier une résidence secondaire en Floride, etc.
N’est-ce pas là notre vision d’une personne riche ?
C’est pour cela que, si vous croisez une personne
au volant d’une rutilante Ferrari, vous conclurez
presque automatiquement qu’elle est millionnaire.
Or, des études montrent que ceux qui gagnent le
plus et qui dépensent le plus ne sont pas nécessairement les plus riches.
La richesse, la vraie, ne se mesure pas à ses revenus. Si vous voulez estimer la richesse d’une personne, vous devez faire comme pour une entreprise
et regarder son bilan, sa situation financière. En
soustrayant son passif (sa dette) de son actif, vous
obtiendrez sa valeur nette.
Et si vous faites cela pour bien des gens que vous
croyez riches, vous obtiendrez un résultat souvent
surprenant. En effet, bien des professionnels utilisent leurs revenus élevés pour financer un mode
de vie si luxueux qu’ils n’accumulent aucune
richesse.
En effet, conduire une automobile de 500 000 $
et vivre dans un château de 10 millions ne fait pas
de moi un véritable millionnaire si je dois 12 M$ à
la banque !
Selon les recherches faites par Thomas J. Stanley,
auteur de l’excellent The Millionaire Next Door, la
plupart des millionnaires américains ont les caractéristiques suivantes :
> Ils vivent dans une maison de moins
de 400 000 $ ;
> Ils n’ont pas de résidence secondaire ;
> Ils n’ont jamais eu de bateau ;
> Ils ne collectionnent pas le vin et paient
généralement moins de 15 $ la bouteille ;
> Ils n’ont jamais payé plus de 400 $
pour un complet ;
> Ils dépensent très peu sur des articles
de luxe et de prestige.
Selon M. Stanley, les gens qui achètent des bateaux
de luxe et des Ferrari appartiennent à deux catégories. D’abord, les rares multimillionnaires (valant
plus de 10 M$) et ceux qui se prennent pour des
millionnaires. Cela exclut ceux qui sont devenus
millionnaires par leurs efforts et leur frugalité. Parce
qu’on ne peut pas accumuler plus d’un million
quand on dépense plus que ce qu’on gagne.
Le problème avec ces millionnaires frugaux, c’est
qu’une fois rendus à ce niveau, souvent à plus de
50 ans, ils ont du mal à changer leurs habitudes. Ils
ont été sur le mode épargne toute leur vie, ce qui
leur a permis d’accumuler une fortune. Ils peuvent
se permettre de dépenser, de profiter de l’existence,
mais ils le font peu.
Si vous faites partie de ces gens, lisez attentivement les principes que j’explique dans le texte cicontre pour dépenser de façon à optimiser votre
bonheur et votre vie. B.M.