son témoignage

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son témoignage
De la révolution dans la régie…
Lucien Pascal qui devait jusqu’en 1970 assurer les cours de Régie de l’ENSATT était le
Directeur de la scène de la Comédie-Française, chargé à ce titre, au cours des répétitions,
d’établir deux documents essentiels à la représentation théâtrale :
- Le relevé de mise en scène spécialement incontournable pour un théâtre de répertoire,
puisqu’il doit recéler toutes les indications artistiques et techniques qui permettent la
reprise d’un spectacle.
- La conduite de la représentation qui tout au long de son déroulement va permettre au
régisseur de veiller à la cohérence des éclairages, de la plantation des décors et de
celle des meubles et accessoires de donner aux services techniques les différentes
consignes d’exécution des effets prévus par le metteur en scène et de rappeler aux
artistes le moment de leur entrée en scène.
Et quotidiennement la rédaction du bulletin de service et la tenue du livre de bord.
Les cours de régie qui s’adressaient à des bacheliers aspirant au BTS reposaient sur ces axes,
lesquels, dans la décennie 1960, recouvraient encore les tâches essentielles du régisseur
général que ses propres conventions collectives désignaient comme un cadre administratif.
De son côté, Jean-Claude Chassaigne, ex-machiniste de l’Opéra de Paris, donnait à ses élèves
un cours de machinerie, qui faute d’installations professionnelles, relevait plutôt, à son corps
défendant, de la menuiserie et de la construction de mini décors.
Georges Négluau, dispensait un cours de lumière qui pour les mêmes raisons, et sans plus de
satisfaction, était relativement éloigné des pratiques professionnelles.
Louis Le Coz allait succéder à Lucien Pascal et reprendre le même enseignement. Conscient
cependant, que l’apprentissage des métiers du spectacle ne peut se suffire d’une salle de classe
fût-elle pourvue d’une estrade en guise de plateau et d’exercices écrits au tableau, il s’efforça
d’emmener ses élèves visiter le théâtre Gramont dont il était l’administrateur et là, de leur
expliquer l’usage des équipements professionnels et spécialement du magnétophone. Il leur
proposa même pour le compte de l’Association de la Régie Théâtrale, dont, comme Lucien
Pascal, il était un membre éminent, d’organiser la captation audiovisuelle de la Farce de
Maître Pathelin au Festival du Marais ainsi que de la Folle de Chaillot au Théâtre de
l’Athénée.
Cependant, lorsqu’en 1976, Louis Le Coz cède sa place au Président de l’Association de la
Régie Théâtrale que je suis alors, la profession avait sérieusement évolué. Aussi bien dans les
Théâtre Privés que dans le secteur subventionné, les équipes techniques qui adaptaient depuis
des siècles au service de la représentation des savoir faire empruntés à la marine et au
bâtiment (manipulation de cordages et de toiles, menuiserie, tapisserie, serrurerie, électricité),
se spécialisaient chaque jour davantage dans des techniques spécialement conçues pour la
scène. Le langage même souligne cette évolution. En effet, depuis quelques années déjà, le
magnétophone ayant gagné le plateau, c’est un régisseur qui officie sur ce nouveau matériel
et sa compétence s’affirme au rythme des progrès de la technique.
De même, le régisseur lumière s’est emparé du jeu d’orgues puis de la console informatisée.
Et tandis que le machiniste menuisier, serrurier ou tapissier, gagne les ateliers des
constructeurs de décors, le régisseur de scène assure désormais le service du plateau.
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Par ailleurs, le jeu d’orgues n’est plus - à la cour ou au jardin - adossé au mur frontal de la
scène. Il a migré au fond de la salle où la console son l’a rejoint. Si bien que les officiants
n’ont plus à obéir aux consignes du Régisseur général, puisque mieux placés que lui pour
suivre le jeu des acteurs, ils sont à même d’exécuter les effets consignés dans la « conduite du
spectacle » au fur et à mesure du déroulement de la représentation. L’Association de la Régie
Théâtrale (ART) consciente que le relevé de mise en scène est de plus en plus négligé par les
théâtres, procède depuis quelques années à la captation audiovisuelle des spectacles de
création. Enfin, sauf à la Comédie-Française, où les reprises constituent l’une des raisons
d’être de l’institution, elles sont ailleurs extrêmement rares, du moins dans la mise en scène
originale. C’est ainsi que la régie générale définie par ses propres conventions collectives de
1952, fut vidée de son contenu.
Les métiers techniques du théâtre s’étant professionnalisés, il convenait de mettre en place un
enseignement qui prendrait en compte cette nouvelle appréciation des choses.
Il est bien évident que cette révolution ne pouvait venir que de la profession elle-même.
Dépourvue d’installations scéniques, de matériels techniques, privée des moyens qui auraient
permis de remédier à ces carences, sans locaux disponibles pour une adaptation aux nouvelles
exigences de l’enseignement, l’ENSATT poursuivait la formation de régisseurs généraux pour
qui le seul espoir d’un recrutement adapté à leurs connaissances ne pouvait venir que de la
Maison de Molière. Selon moi, cette inadéquation ne pouvait être combattue que par
l’expédition, le plus souvent possible, des élèves de régie générale en stages professionnels
sachant qu’en répétition ou en représentation, aux cintres ou sur le plateau, dans la cabine son
ou dans celle de la lumière, leur présence leur en apprendrait infiniment plus que sur les bancs
de leurs classes. Elle pouvait l’être aussi en ajoutant au cursus de régie celui d’administration
qui permettrait l’approche plus générale des problèmes quotidiens du théâtre en tant que tel et
qui donnerait à l’enseignant…. « du grain à moudre ». Elle pouvait l’être enfin, en apportant
au proviseur de l’ENSATT Pierre Roudy, une assistance professionnelle dans l’acquisition du
Théâtre 347, laquelle acquisition ne deviendrait définitive qu’après son départ.
En 1980, en effet, je suis appelé à prendre la direction du Centre de Formation Professionnelle
des Techniciens du Spectacle (CFPTS). Le conseil d’Administration de cet établissement était
présidé par Denis Maurey, lequel présidait également la chambre syndicale des Directeurs de
Théâtres Privés. J’aimais beaucoup cet homme et quoique je n’en eue aucune envie, je
m’étais laissé porter, après consultation de Pierre Roudy, à la tête du CFPTS qui fondé en
1974 à Saint-Ouen dispensait annuellement 26 semaines de stages de machinerie ou
d’électricité. Le CFPTS ayant abandonné Saint-Ouen disposait à Bagnolet de deux bureaux,
d’un atelier dont la verrière de toiture était brisée et de deux machines à bois non conformes
aux règlements les plus laxistes de sécurité. Après quelques mois durant lesquels je m’étais
convaincu qu’il n’y avait décidément rien d’autre à faire que de reprendre en électricité le
modeste programme de mon prédécesseur, je donnais ma démission pour assurer
l’Administration de Bobino. Une fois de plus le Président Maurey me convainquit de ne pas
abandonner le CFPTS sans toutefois renoncer à Bobino. Eloigné depuis quelques temps de la
quotidienne réalité du plateau, je retrouvais avec bonheur le petit monde qui y déploie ses
talents. Il fallait remplacer le régisseur général, je m’y employais. C’est alors que Maxime Le
Forestier vint installer son nouveau spectacle à Bobino. Il avait bien entendu exigé d’utiliser
son propre matériel pour les éclairages et pour le son. Aux premiers essais il fallut se rendre à
l’évidence : il y avait une « ronflette » sur l’amplificateur. Maxime s’en prit au courant
électrique qui, selon lui, était seul coupable, mais malgré un branchement extérieur, la
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« ronflette » subsistait. Pendant 48 heures, tout ce que Paris comptait de techniciens du son se
penchèrent sur le problème, il fallut finalement faire venir de Londres un spécialiste qui
diagnostiqua… une « masse » sur l’ampli.
Durant toutes ces heures passées autour de l’installation sonore, le nouveau régisseur général,
par ailleurs plein de qualités, tenta de donner son avis sur la panne et les moyens d’y
remédier, mais chaque fois - il ne fut pas le seul - il proféra une sottise. Je compris alors qu’il
n’y avait pas une minute à perdre, qu’il fallait faire en sorte :
- que le personnel de plateau ne puisse plus se ridiculiser
- que lorsqu’une installation tomberait en panne, on puisse trouver à Paris le technicien qui
maîtriserait la situation.
Le lendemain matin, je jetais les bases d’un stage de formation continue qui permettrait au
Régisseur général d’acquérir une formation en machinerie, en éclairage et en son. Le budget
de l’intervention prévoyait la location de tout le matériel nécessaire à cette formation.
Présenté à l’AFDAS, ce projet reçut l’adhésion générale, on allait enfin sortir des stages
techniques enseignés au tableau noir. Le cursus de ce stage sera repris par l’ENSATT qui
bouleversera ses programmes pour l’adopter, il sera fait de même à l’école du TNS ainsi
qu’en Avignon. On n’enseignera plus en France la régie générale qu’en le reprenant. La
première année ce stage fut reconduit deux fois, les années suivantes quatre et lorsque je
quittais le CFTPS fin 1996 il y avait toujours une liste d’attente.
Pour le CFPTS ce stage marque le début de la prospérité, d’autres stages allaient
immédiatement suivre dans toutes les disciplines techniques du spectacle. Il fallait adapter
les locaux. Il se trouve que c’est à mon initiative que l’Association pour le soutien du Théâtre
Privé avait acquis à Bagnolet le vaste ensemble immobilier (ancienne usine de séchage de
bois de plaquage) dans lequel le CFPTS avait trouvé refuge et dans lequel les théâtres
emmagasinaient leurs décors. Il se trouve que le Président Maurey avait jugé bon de me
nommer gérant de cet ensemble et qu’à ce titre, il était disposé à me consentir un loyer
dérisoire. Une équipe du bâtiment menuisier, électricien, soudeur, maçon est mise en place et
chaque année un budget important est affecté à la rénovation ou à l’aménagement de
nouveaux locaux ( au fil du temps, ponctuellement, certains cours de l’ENSATT y furent
donnés).
En Novembre 1990 le CFPTS a obtenu pour son stage de régie générale un titre de niveau III
(BTS). Ces formations font elles aussi une place de choix à l’étude des langues étrangères.
Lorsque en 1996, Patrick Bourgeois, ami de longue date, qui projetait de délocaliser
l’ENSATT à Lyon, vint visiter le CFPTS. Sa réaction fut spontanée : « Je sais maintenant ce
qu’il faut faire ». J’appris avec plaisir que plusieurs de mes collaborateurs formateurs étaient
aller renforcer les équipes de l’ENSATT, certains y sont toujours.
Serge Bouillon Professeur à l’ENSATT 1976-1981
Directeur du CFPTS de 1980-1996
…à la renaissance de l’administration
En septembre 1981, je succédais à Serge Bouillon. Administratrice adjointe du Théâtre
Antoine depuis 1971 auprès de Daniel Darès et de Simone Berriau, j’avais acquis, depuis mes
débuts fin 1964, une formation professionnelle très éclectique avec une bonne expérience des
techniques alors en constante évolution. Je savais comment on « fabriquait » un spectacle. Je
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voulais faire des « chefs » de ces futurs régisseurs administrateurs, avec cette devise :
« Apportez votre motivation et votre fiabilité , la compétence vous allez l’acquérir ». Petite
reine de l’auberge espagnole je tentais de les convaincre que le théâtre est aussi une école de
vie où l’on trouve ce qu’on y apporte.
Il ne s’agissait pas de leur garantir l’entrée en fanfare à la tête d’un théâtre parisien, dès
l’obtention de leur BTS, mais de leur faire acquérir une connaissance de l’ensemble des
tenants et aboutissants de ce métier si particulier, si exigeant qui demande à la fois, énergie,
réflexion et sang froid. Qui n’a jamais vécu, en tant que responsable, une alerte à la bombe en
pleine époque terroriste, avec mille personnes dans la salle, ne peut pas comprendre ce dont il
s’agit. En bref, il fallait les former à une profession et non à un emploi. Elargir au maximum
leurs champs de compétences en ouvrant à la fois leur cœur et leur esprit.
Ce fut, je l’avoue une expérience passionnante.
Des mutations s’avéraient nécessaires, tant et si bien que, la génération entrée en septembre
1982, dut opter, pour sa deuxième année, soit pour la régie, soit pour l’administration. Notre
regretté et talentueux François Rouchard allait se charger du secteur public, tandis que je
conservais le théâtre privé. J’avais, dès mon arrivée, ajouté la comptabilité à mon cours,
consciente de la nécessité, pour un administrateur, d’en connaître tous les arcanes.
L’arrivée d’une spécialiste, Carole Ivars, que nous avions souhaitée François Rouchard et
moi, transforma notre binôme en trinôme et fonctionna, osons le dire, très bien. Chacun
apportant son regard, ses acquis et ses expériences.
Immergés dans la profession, notre grand avantage était de bénéficier d’un vaste réseau et de
pouvoir engager dans nos propres structures des élèves de l’Ecole (toutes classes confondues).
Notre connaissance du métier nous permettait de leur fournir les contacts essentiels pour leur
avenir avec ceux qui deviendraient leurs employeurs. Je jonglais avec humour et énergie, je
crois, mais exigence toujours. Je les baladais dans mes différentes aventures, tant dans la
production de cinéma, que dans des productions théâtrales extérieures, ou dans de grandes
expositions pour les ouvrir ainsi à de multiples rencontres.
Nous avions suggéré, lors de nos discussions pédagogiques, certaines évolutions qui n’avaient
pas reçu immédiatement l’aval ministériel. Nous pouvions pourtant nous vanter d’avoir lâché,
dans une nature un peu dédramatisée, des jeunes suffisamment aguerris, pour affronter ce qui
se pratiquait « ici et maintenant ».
J’avais suggéré que les questions plus vastes, permissent, lors des concours d’entrée, de
révéler la réflexion des impétrants. L’oral qui laisse entrevoir le charisme de l’élève devait
aussi permettre une meilleure sélection. Cette méthode fut également appliquée, lors des
examens.
La plupart de ceux en qui j’ai cru ont abouti et font de belles et passionnantes carrières.
L’ENSATT fut une magnifique aventure. Merci à Pierre Roudy de m’avoir fait si totalement
confiance.
Danielle Mathieu-Bouillon
Professeur de Régie-Administration 1981-1989
Présidente de l’Association de la Régie Théâtrale
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